A l’audience publique ordinaire de la chambre judiciaire de la Cour suprême, tenue au Siège de la Cour à Lomé, le jeudi seize juin deux mille seize, est intervenu l’arrêt suivant :
LA COUR,
Sur le rapport de Monsieur Koffi DEGBOVI, conseiller à la chambre judiciaire de la Cour suprême ;
Vu l’arrêt N°76/14 rendu en matière civile le 12 mars 2014 par la Cour d’Appel de Lomé ;
Vu la requête à fin de pourvoi de maître Mawuvi MOUKE, conseil des demandeurs au pourvoi ;
Vu le mémoire en réponse de maître Tokou LARE, conseil des défendeurs au pourvoi ;
Nul pour maître Paul LARE, faute pour lui de n’avoir pas produit son mémoire en réponse, conseil des défendeurs au pourvoi ;
Vu le mémoire en réplique de maître Mawuvi MOUKE, conseil des demandeurs au pourvoi ;
Vu les conclusions écrites de Monsieur le Troisième Avocat Général ;
Vu les autres pièces de la procédure ;
Vu la loi organique N°97-05 du 06 mars 1997 portant organisation et fonctionnement de la Cour Suprême et le décret N°82-50 du 15 mars 1982 portant code de procédure civile ;
Ouï le conseiller Koffi DEGBOVI en son rapport ;
Nul pour maître Mawuvi MOUKE, absent et non représenté, conseil des demandeurs au pourvoi ;
Ouï maître Paul LARE, conseil des défendeurs au pourvoi ;
Nul pour maître Tokou LARE, absent et non représenté, conseil des défendeurs au pourvoi ;
Le Ministère Public entendu ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant en matière civile sur le pourvoi formé le 11 septembre 2014 par Maître Mawuvi MOUKE, Avocat à la Cour, agissant au nom et pour le compte des nommés De AH Ae Ab, AJ Au, AJ Av, AJ Ah, AJ At et veuve AJ Ao B Y contre l’arrêt N°076/14, rendu le 12 mars 2014 par la Cour d’Appel de Lomé dans le différend qui oppose ses clients à leurs cohéritiers AJ Ak, AJ Ai Al, AJ Aq Am et AJ Ak Aj, ainsi qu’aux dames As Ac, AI Ap née C, AKA Jackie et A Ag Aa, ayant pour conseils Maîtres Paul LARE et Tokou LARE, Avocats à la Cour à Lomé, lequel arrêt a confirmé le jugement N°1566/2012 du Tribunal de Première Instance de Lomé en date du 25 mai 2012 ayant, entre autres dispositions, débouté le sieur de AH Ae et son épouse Ax AM AH de leur action en confirmation de droit de propriété, déclaré le terrain litigieux sis à Hountigomé, d’une contenance de 20 ares 93 centiares, faisant partie intégrante du domaine objet du Titre Foncier N°8805-RT du 29 mai 1971, propriété indivise de l’ensemble des héritiers de feu AJ Af, a déclaré chacune des deux ventes non opposable aux héritiers n’y ayant pas adhéré et déclaré nulle la pré-notation grevant l’immeuble litigieux, et prenant le contre-pied du premier juge, a dit que la vente consentie à dame Ag Aa A par le sieur Ak AJ pour le compte de la succession Af AJ est régulière et, partant, opposable à ladite succession ;
EN LA FORME
Attendu qu’il ressort des éléments du dossier que le pourvoi a été fait dans les forme et délai de la loi ; qu’il y a lieu de le déclarer formellement recevable ;
AU FOND
Attendu, selon l’arrêt attaqué et les éléments du dossier, qu’un géomètre nommé AK Aw avait procédé au lotissement des terrains de feu AJ Af ; qu’en paiement de ses honoraires d’un montant de 800.000F, le sieur AJ Ak, administrateur des biens de la succession, lui avait attribué le terrain litigieux après avoir partagé tous les autres terrains du défunt entre ses héritiers ; qu’avec le concours de maître MATHE Messan, Jurisconsulte, les héritiers ont réussi à retirer ledit terrain des mains du sieur AK Aw contre paiement en espèce de la somme de 800.000 F due à ce dernier ; que les héritiers ont alors décidé de vendre ce terrain et d’en partager le prix de vente ; que c’est ainsi que AJ Ak, AJ Ai et la veuve AJ Ao B Y ont contacté le sieur de AH Ae pour lui proposer la vente ; que suite à une mésentente, les sieurs AJ Ak et AJ Ai se sont retirés du processus de la vente projetée alors que le sieur AG et dame veuve AJ Ao l’ont poursuivi et le prix de vente d’un montant de 10.500.000 FCFA a été versé dans les mains de maître MATHE, qui a délivré au sieur de AH Ae Ab un reçu en date du 07 mai 1991 ; que Maître MATHE a consigné ladite somme au greffe du Tribunal de Première Instance de Lomé en vue de son partage entre les onze (11) héritiers et la veuve, après défalcation de ses honoraires, estimés à 2.200.000 FCFA à raison de 200.000 FCFA par héritier ; que de son côté, le sieur AJ Ak, en sa qualité d’administrateur des biens de la succession, a vendu le même immeuble à dame A Ag Aa, qui l’a acquis au prix de 14.000.000 FCFA et y a aussitôt entrepris des travaux de clôture ; qu’entre temps, l’immeuble a été revendu par dame A Ag Aa à dame AI Ap dite C qui l’a, à son tour, revendu à dame AKA Jackie ; que le sieur de AH Ae Ab et son épouse Elise ont, par exploit d’huissier de justice en date du 19 mars 2008, saisi le Tribunal de Première Instance de Lomé aux fins de voir déclarer parfaite et régulière la vente à eux consentie, de voir autoriser le morcellement du terrain à leur profit, de voir ordonner la démolition de la clôture érigée sur l’immeuble litigieux et de voir renvoyer dame A à se pourvoir contre son vendeur ; que ledit tribunal les a déboutés de leurs demandes, fins et conclusions par jugement N°1566/2012 en date du 25 mai 2012 ; qu’ils en ont alors relevé appel devant la Cour d’Appel de Lomé qui a rendu l’arrêt objet du présent pourvoi, articulé autour de deux moyens ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu’il est, d’une part, fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande du sieur De AH Ae Ab visant à faire procéder à une enquête à la barre afin d’établir si le sieur AJ Ak, administrateur des biens, s’est présenté ou non avec la veuve et son frère AJ Ai au sieur De SOUZA, au nom des héritiers, lors de l’acquisition du terrain litigieux par ce dernier, au motif que le reçu délivré par Maître MATHE Messan au sieur De AH Ae Ab prouve déjà que la vente n’a pas été consentie par ceux-là mais par Maître MATHE ;
Mais attendu que c’est à bon droit que la Cour d’Appel de Lomé a préféré la preuve par écrit à la preuve testimoniale, se conformant ainsi à l’esprit et à la lettre de l’article 1341 du code civil français dans sa version applicable au Togo qui dispose que : « …il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes … » ; que face au reçu de vente délivré par Maître MATHE Messan le 07 mai 1991 et à sa lettre en date du 10 mai 1991, dans laquelle il déclarait : « j’ai dû vendre au sieur de SOUZA honoré …le terrain que nous avons retiré du géomètre BADJENE », les juges d’appel n’ont plus besoin de recourir à la mesure d’instruction sollicitée ; qu’il suit que cette branche du moyen n’est pas fondée ;
Attendu qu’il est, d’autre part, fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 502 alinéa 4 du code togolais des personnes et de la famille pour avoir reconnu la vente consentie par le sieur AJ Ak à la dame A Ag Aa au motif que AJ Ak, en sa qualité d’Administrateur, a le pouvoir de disposer pour le compte de la succession qui l’a constitué, alors, selon le moyen, que l’administrateur n’a pas le pouvoir de disposer des biens de la succession sans le consentement unanime des cohéritiers et que la vente consentie par un administrateur sans le consentement unanime de tous les cohéritiers est inopposable à ceux-ci conformément aux dispositions de l’article 502 alinéa 4 du code des personnes et de la famille ;
Mais attendu que le contexte dans lequel est intervenue la vente incriminée est tel qu’il est constant que les héritiers ont, à l’unanimité, marqué leur accord pour que le terrain retiré des mains du géomètre BADJENE soit vendu et que le produit de la vente soit partagé entre tous les héritiers ; que l’administrateur des biens et certains héritiers ont entamé des recherches en vue de trouver l’acquéreur le mieux disant ; que dès lors, la question du consentement unanime est réglée ; que l’autre question qui touche à l’habilitation du sieur AJ Ak est également réglée par l’article 497 alinéa 4 du code togolais des personnes et de la famille dans sa version du 31 janvier 1980, en vigueur au moment des faits, correspondant textuellement à l’article 502 alinéa 4 visé au moyen, issu du même code dans sa version du 6 juillet 2012 ; qu’en effet ce texte qui dispose, s’agissant du gérant, « qu’il ne peut aliéner les biens indivis qu’avec le consentement unanime des indivisaires lorsque cette aliénation aurait pour effet de mettre fin à l’indivision », n’a nullement été violé par l’arrêt attaqué qui a énoncé que le pouvoir du mandataire pour disposer, pour le compte de la succession, de l’immeuble en cause, n’est pas contesté et que par conséquent la vente intervenue entre l’administrateur et la dame A Ag Aa est régulière et, partant, opposable à ladite succession ; qu’il est clair que l’administrateur des biens peut, dans le cas d’espèce, vendre le terrain en cause dès lors qu’il est prouvé que les héritiers ont unanimement opté pour sa vente ; qu’il s’ensuit que cette branche n’est pas non plus fondée ;
Sur le second moyen :
Attendu que les demandeurs font grief à l’arrêt querellé d’avoir refusé de déclarer régulière la vente consentie au sieur de SOUZA alors que cette vente respecte les prescriptions de l’article 502 du code des personnes et de la famille en ce que le sieur AG est unanimement choisi par les indivisaires en sa qualité de jurisconsulte pour les représenter et liquider les biens de la succession et que la vente consentie par ce dernier est régulière et opposable à la succession AJ Af ;
Mais attendu que le reçu de vente délivré par le sieur AG le 7 mai 1991, en sa seule qualité de jurisconsulte et en l’absence d’un mandat spécial, ne saurait valoir décharge en bonne et due forme et engager les héritiers de feu AJ Af ; que les juges d’appel ont relevé à bon droit que le mandataire AJ Ak, en sa qualité de gérant, a le pouvoir de disposer, au nom et pour le compte de la succession AJ Af, des biens composant ladite succession ; qu’il est en outre démontré plus haut que lesdits juges n’ont en rien violé les dispositions de l’article 497 alinéa 4, devenu 502 alinéa 4 du nouveau code des personnes et de la famille, dès lors que c’est de commun accord que les héritiers de feu AJ Af ont décidé de vendre l’immeuble en cause et d’en partager le prix ; que dans ces conditions, il ne peut être fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé ledit texte ou d’avoir refusé de déclarer régulière et opposable à la succession, la vente consentie par Maître MATHE Messan au sieur De AH Ae Ab et dénoncée par l’administrateur des biens ; qu’il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Attendu qu’il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi n’est fondé en aucun de ses moyens ; qu’il échet de le rejeter, d’ordonner la confiscation de la taxe du pourvoi et de condamner les demandeurs aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, publiquement en matière civile et en état de cassation ;
EN LA FORME
Reçoit le pourvoi ;
AU FOND
Le rejette ;
Prononce la confiscation de la taxe de pourvoi ;
Condamne les demandeurs au pourvoi aux dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt soit faite en marge ou au pied de la décision critiquée ;
Ainsi fait, jugé et prononcé par la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême, en son audience publique ordinaire du jeudi seize juin deux mille seize (16-06-2016) à laquelle siégeaient :
Monsieur Agbenyo Koffi BASSAH, Conseiller à la Chambre Judiciaire de la Cour Suprême, PRESIDENT ;
Messieurs Badjona SAMTA, Koffi DEGBOVI, Kuma LOXOGA et Léeyé BLAMCK, tous quatre Conseillers à ladite Chambre, MEMBRES ;
En présence de Madame X Ar An, Premier Avocat Général près la Cour Suprême ;
Et avec l’assistance de Maître Awié ATCHOLADI, Attaché d’Administration, Greffier à ladite Cour, GREFFIER ;
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier./.
POURVOI N°107/RS/14 DU 11 SEPTEMBRE 2014
PRESENTS : MM
BASSAH: PRESIDENT
SAMTA, DEGBOVI, LOXOGA, BLAMCK Membres
AL: M. Ad
Z : GREFFIER