RG N° 11/01639
N° Minute :
Notifié le :
Grosse délivrée le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU JEUDI 05 AVRIL 2012
Appel d'une décision (N° RG F09/01123)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 03 mars 2011
suivant déclaration d'appel du 25 Mars 2011
APPELANTE :
Madame [D] [M] [I]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Comparante et assistée par Me Sylvie GIBERT (avocat au barreau de GRENOBLE)
INTIMEE :
La Société GRENOBLE ALPES INNOVATION ET INCUBATION, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Laurent CLEMENT-CUZIN (avocat au barreau de GRENOBLE)
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Bernard VIGNY, conseiller, faisant fonction de président,
Madame Hélène COMBES, conseiller,
Madame Astrid RAULY, conseiller,
Assistés lors des débats de Melle Sophie ROCHARD, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 07 Mars 2012,
Les parties ont été entendues en leurs conclusions et plaidoirie(s).
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 05 Avril 2012.
L'arrêt a été rendu le 05 Avril 2012.
RG 11/1639BV
Mme [M] [I] a été engagée en qualité de chargée de projet le 1er octobre 2003 par l'association Grenoble Alpes Innovation et Incubation, dite GRAIN ( GRenoble Alpes INcubation ).
Cette association est un incubateur consistant en un dispositif mutualisé résultant d'une volonté politique des universités et des établissements publics de recherche présents sur le site grenoblois et le sillon alpin. Son objet est d'accueillir et d'accompagner les projets de création d'entreprises à caractère innovant.
Les membres de l'association comportent : le CEA, le CNRS, l'INRIA, l'INPG, l'UJF, l'UPMF etc. L'équipe comporte neuf personnes salariées en 2009.
Le 19 mars 2009, le directeur de l'association, M.[F] a été informé par le CEA de ce que M.[X], chargé de projet à l'association avait pris contact avec lui pour lui présenter une plate-forme d'innovation qu'il était en train de constituer sous le nom de PLATINN.
La Direction de l'association apprenait que la copie de la marque PLATINN avait été déposée par M. [X] et Mme [M] [I].
Par courrier du 25 mai 2009, Mme [M] et M.[X] ont été licenciés pour faute grave.
Par jugement du 3 mars 2011, le conseil des prud'hommes de Grenoble a débouté M.[X] de ses demandes
En ce qui concerne Mme [M] [I], le conseil des prud'hommes de Grenoble, par jugement en date du 3 mars 2011 a :
- jugé que la rupture reposait sur une cause réelle et sérieuse
- condamné l'association à payer à la salariée 7650 € au titre du préavis outre les congés payés afférents ainsi que 4500 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.
Mme [M] [I] qui a relevé appel demande de dire le licenciement infondé et sollicite les sommes suivantes :
- 2500 € de dommages-intérêts pour procédure irrégulière,
- 2550 € de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,
- 2337,50 € à titre de rappel du salaire de la mise à pied, outre les congés payés afférents,
- 30'000 € de dommages-intérêts au titre du préjudice résultant de la rupture,
- 1171,22 € à titre de rappel de salaire en raison d'une discrimination salariale,
- 3000 € en application de l'article 700 du CPC pour les frais exposés en cause d'appel.
Elle expose que :
- sur les conditions vexatoires du licenciement : dès la mise en oeuvre de la procédure, les serrures des locaux ont été changées ; l'ensemble du personnel a été réuni pour lui annoncer son licenciement et celui de son collègue.
- sur l'irrégularité de la procédure : son licenciement avait été décidé avant même l'entretien préalable ; dès le 13 mai 2009, une offre d'emploi est parue sur le site de l'APEC. , pour des fonctions de chargé d'affaires.
- sur le motif du licenciement : le courrier du CEA ne la mentionne pas. Le seul élément la concernant est le dépôt de la marque PLATINN : cette circonstance est insuffisante à caractériser une rupture pour faute grave.
- sur le manquement à la clause d'exclusivité : elle travaillait à temps partiel. L'association ne démontre pas que cette clause était indispensable à la protection de ses intérêts légitimes et qu'elle était justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. Cette clause porte atteinte au principe de libre exercice d'une activité professionnelle.
- sur le non-respect de l'obligation générale de loyauté : aucun acte de concurrence n'est démontré à son encontre (pas de société PLATINN...)
- sur la participation à l'élaboration d'un projet concurrentiel : aucune preuve n'est rapportée de ce fait.
- l'association a voulu se débarrasser d'elle parce qu'elle avait dénoncé à plusieurs reprises une mauvaise utilisation des fonds publics par cette dernière.... Elle donne des exemples,
- sur la discrimination salariale : elle compare sa situation à celle de M.[X] qu'elle a formé.
L'association GRAIN conclut au débouté de l'ensemble des demandes de l'appelante dont elle sollicite la condamnation à lui payer 1500 € en application de l'article 700 du CPC.
Elle fait valoir que :
- sur la procédure : il est faux que le personnel ait été réuni pour annoncer le licenciement de la salariée. Par ailleurs, si les serrures ont été changées, c'est en raison de la découverte du développement par les deux salariés d'un projet concurrentiel, découverte qui permettait de douter de leur loyauté.
S'agissant de l'offre d'emploi : l'annonce ne correspond nullement au poste de la salariée.
- sur la réalité de la faute grave : la salariée a participé au projet PLATINN qui prend pour cible celles de GRAIN c'est-à-dire des projets technologiques innovants conduisant à la création d'entreprises ; les thématiques étant toutes présentes au sein de l'association (EDA, biotechnologies, environnement, énergie, TIC ) 90 % des organismes cités par PLATINN sont ceux présents sur l'académie de Grenoble : CEA,INRIA, FLORALIS, AEPI, INPG... Grenoble école de management, Becton Dickinson, ST Microélectronics,SOITEC,MINALOGIC.....
Le rôle qu'entendait jouer PLATINN est identique à celui de l'association.
- Mme [M] était tenue par une clause d'exclusivité. Elle a violé son obligation de loyauté.
- l'association est étroitement contrôlée par les autorités publiques, de sorte que les insinuations de l'appelante sont déplacées.
- la discrimination salariale n'est pas établie.
MOTIFS DE L'ARRÊT.
La lettre de licenciement adressée à Mme [M] [I] était rédigée dans les termes suivants (extraits) :.. «. Votre contrat de travail prévoit expressément une clause d'exclusivité mais surtout, comme tout salarié, vous êtes soumis vis-à-vis du GRAIN à une obligation générale de loyauté.
Or, nous avons appris, à la fin du mois de mars 2009, la création d'un projet dénommé PLATINN (Plate-forme mutualisée et collaborative d'innovation technologique).
Ce projet a été présenté à plusieurs de nos partenaires comme étant clairement concurrentiel à celui du GRAIN puisqu'il a pour cible les projets technologiques innovants conduisant à la création d'entreprise.
Les thématiques mentionnées dans la plaquette de PLATINN sont toutes présentes à GRAIN et représentent même l'essentiel des projets incubés, le rôle donné à PLATINN correspond en tous points à celui du GRAIN, de même que l'accompagnement technologique de PLATINN est en fait strictement identique à celui de GRAVIT, le département de maturation technologique de GRAIN.
Non seulement, il s'agit d'un projet concurrent, mais il pourrait même être considéré comme un élément de concurrence déloyale puisque la plaquette de PLATINN précise :
« Certains porteurs de ce projet sont aujourd'hui en poste dans des structures d'accompagnement en région Rhône-Alpes. Ils ont une forte expérience de la création d'entreprises et de l'accompagnement de projets technologiques. Ils ont une forte connaissance du dispositif existant, forces et faiblesses et un réseau important dans l'innovation. Ils sont convaincus que l'on peut faire mieux et plus vite en s'appuyant sur les atouts de la région. »
Ainsi donc, les porteurs du projet PLATINN, tout en semblant assumer leur appartenance dans d'autres structures d'incubation, n'hésite pas à prétendre que leur projet est tout simplement meilleur !
Or, il se trouve que vous êtes à l'initiative du projet PLATINN avec votre collègue, [B] [X].
Nous avons constaté fin avril que vous aviez déposé auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle la marque PLATINN et que vous êtes la mandataire de ce dépôt.
En participant à l'élaboration et à la mise en place de ce projet concurrentiel déloyal, vous êtes allés très précisément à l'encontre de votre obligation de loyauté »....
1. Sur la régularité de la procédure.
L'appelante n'établit pas que son employeur aurait réuni l'ensemble du personnel pour lui expliquer qu'elle était licenciée, de même que M [X].
La partie intimée ne conteste pas que les serrures des locaux ont été changées mais explique ce fait par le souci de protéger l'association.
Le changement de serrures était justifié dès lors que l'association avait des raisons de s'inquiéter de la loyauté de Mme [M] [I] et de M. [X] qui venaient de déposer auprès de L'INPI la marque PLATINN.
Contrairement à ce que prétend l'appelante, l'offre d'emploi qu'a fait paraître le GRAIN, le 13 mai 2009 ne correspond pas au poste de l'appelante. Il concernait un poste de chargé d'affaires pour accompagner le développement technico - économique des projets innovants issus des laboratoires jusqu'au transfert vers la filière économique ou la création d'entreprises, et pour la prospection des besoins industriels en matière d'innovation technologique.
Le profil était double : scientifique : chimie - procédé / énergie ; management de l'innovation : conduite de projet, marketing... Ainsi qu'en atteste Mme [G], directrice opérationnelle du département GRAVIT au sein de l'association GRAIN, ce recrutement, initié début mai 2009 visait à remplacer Mme [C], chargée d'affaires GRAVIT, qui devait réintégrer le CEA son employeur, à la fin de son détachement en septembre 2009.
2. Sur les griefs de licenciement.
Pendant le temps de l'exécution du contrat de travail, le salarié est tenu à l'égard de son employeur d'une obligation de loyauté.
Le contrat de travail de l'appelante stipulait en son article 9 qu'elle devrait réserver à l'entreprise l'exclusivité de ses services et ne pourrait avoir aucune autre activité professionnelle salariée et même non concurrente, sauf accord préalable écrit de la direction.
En l'espèce, le document présentant le projet dénommé PLATINN précise :
en préambule : ce document est confidentiel. Certains porteurs de ce projet sont aujourd'hui en poste dans des structures d'accompagnement en région Rhône-Alpes. Ils ont une forte expérience de la création d'entreprises et de l'accompagnement de projets technologiques. Ils ont une forte connaissance du dispositif existant, forces et faiblesses et un réseau important dans l'innovation.. Ils sont convaincus que l'on peut faire mieux et plus vite en s'appuyant sur les atouts de la région. Ils vous expliquent comment et pourquoi.
Par ailleurs, le document présentant le projet fait apparaître les éléments suivants :
- l'objet du projet : l'objet est identique à celui du GRAIN : l'innovation technologique, le document soulignant que les porteurs de PLATINN ont une expérience de plusieurs années en matière industrielle, de création d'entreprises et d'accompagnement de projets technologiques.
- les acteurs du projet : les acteurs du projet sont identiques à ceux du GRAIN. (CEA, CNRS, INRIA, INPG, CREALYS, EM Grenoble et Lyon, société Becton Dickinson, Soitec.....)
- les thématiques : les thématiques sont les mêmes que celles du GRAIN.
- le rôle que s'assigne le projet PLATINN est identique à celui du GRAIN : accompagnement des projets technologiques, actions d'accompagnement sur la constitution d'équipes opérationnelles, valorisation de technologies.
- la méthode : la méthode est identique à celle du GRAIN.
Le 31 mars 2009, M. [P], directeur de la recherche technologique et directeur de la valorisation au CEA de Grenoble, a écrit à la présidente du GRAIN pour l'informer du projet PLATINN qui lui paraissait présenter un certain niveau de concurrence avec les structures GRAIN et PETALE et pour lui demander, en sa qualité d'administrateur de ces deux structures, un éclaircissement très rapide sur la situation.
L'appelante qui prétend n'avoir participé en aucune façon à l'élaboration du projet PLATINN s'est cependant déplacée à [Localité 5] pour y déposer la marque « PLATINN », le 13/11/2008. À cet égard, l'appelante se borne à dire dans ses conclusions que le fait de déposer une marque ne constitue ni une faute ni un manquement à l'obligation de loyauté. Elle ne donne aucune explication sur ce déplacement, alors même qu'elle aurait pu effectuer ce dépôt à l'antenne locale de l'INPI.
Pour sa part, ainsi que le rapporte M. [L], ingénieur au CEA et responsable de l'essaimage et de la création d'entreprises à la Direction de la Valorisation à [Localité 2], M.[X] lui a présenté et commenté le projet PLATINN qui concernait plusieurs personnes (ou au moins une dizaine) issues de différents secteurs d'activité.
Les éléments ci-dessus examinés établissent que le projet PLATINN était identique à l'objet du GRAIN et que ses activités étaient concurrentes de celles de ce dernier.
La clause d'exclusivité mentionnée au contrat de travail de l'appelante est licite. Si, à l'origine, Mme [M] [I] a été embauchée à plein temps et si, à sa demande, elle a travaillé, pour pouvoir s'occuper de son enfant, à temps partiel à partir de 2005 puis à mi-temps à partir de début 2007, son employeur n'était pas fondé à la libérer de l'obligation d'exclusivité. En effet, eu égard à la nature des activités de l'appelante, activités qui la mettaient au contact de technologies et de procédés nouveaux susceptibles de développements industriels et commerciaux, cette clause d'exclusivité était indispensable à la protection des intérêts légitimes du GRAIN. En outre, cette clause d'exclusivité était proportionnée au but recherché par l'employeur de Mme [M] [I].
Mme [M] [I] a enfreint la clause d'exclusivité mentionnée à son contrat de travail.
Mme [M] [I] a également contrevenu à l'obligation de loyauté découlant de son contrat de travail qui lui impose d'exécuter ses fonctions de bonne foi. En prenant part au projet PLATINN, elle a agi de façon contraire aux intérêts du GRAIN.
Le comportement de Mme [M] [I] qui menaçait les activités mêmes du GRAIN, était d'une gravité telle qu'il prohibait son maintien dans l'entreprise pendant le temps du préavis.
L'appelante soutient que le véritable motif du licenciement résiderait dans le fait qu'elle avait dénoncé une mauvaise utilisation des fonds publics par le GRAIN. Les quelques courriels qu'elle produit aux débats ne caractérisent nullement l'appréciation portée par l'appelante sur l'utilisation des fonds publics qui font l'objet de contrôles et d'évaluation.
L'appelante ne livre aucune étude financière ou comptable permettant de vérifier le bien-fondé de ses affirmations.
En conséquence, le jugement qui a requalifié le licenciement de Mme [M] [I] en licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, sera infirmé et l'intéressée sera déboutée de l'ensemble de ses demandes liées au licenciement.
3. Sur la discrimination salariale.
La somme réclamée à titre de rappel de salaire a été versée à Mme [M] [I] en septembre 2008, ainsi qu'en atteste le bulletin de paye de ce mois.
Sur l'application de l'article 700 du CPC.
L'équité commande la condamnation de Mme [M] [I] à payer au GRAIN 1000 € en application de l'article 700 du CPC.
PAR CES MOTIFS.
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi.
Infirme le jugement.
Statuant à nouveau.
Déboute Mme [M] [I] de l'ensemble de ses demandes.
Condamne Mme [M] [I] à payer au GRAIN la somme de 1000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme [M] [I] aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement ce jour pas mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été avisées préalablement conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
Signé par M. Vigny, président, et par Mlle Rochard, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistras signataire
Le greffier Le président.