GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE ILNSEHER c. ALLEMAGNE
(Requêtes nos 10211/12 et 27505/14)
ARRÊT
STRASBOURG
4 décembre 2018
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ilnseher c. Allemagne,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Helena Jäderblom,
Robert Spano,
Vincent A. De Gaetano,
Kristina Pardalos,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Aleš Pejchal,
Dmitry Dedov,
Iulia Antoanella Motoc,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani,
Alena Poláčková,
Pauliine Koskelo,
Lәtif Hüseynov, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 novembre 2017 et le 11 juillet 2018,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 10211/12 et 27505/14) dirigées contre la République fédérale d’Allemagne et dont un ressortissant de cet État, M. Daniel Ilnseher (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 février 2012 et le 4 avril 2014 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire pour ses deux requêtes, a été initialement représenté pour sa requête no 10211/12 par Me A. Ahmed, avocat exerçant à Munich, puis pour les deux requêtes par Me I.-J. Tegebauer, avocat exerçant à Trèves. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, Mme A. Wittling-Vogel, M. H.-J. Behrens et Mme K. Behr, du ministère fédéral de la Justice et de la Protection du consommateur.
3. Le requérant alléguait en particulier que sa détention de sûreté « rétrospective » (nachträgliche Sicherungsverwahrung ; pour les questions de terminologie, voir aussi les paragraphes 104-106 et 157 ci‑dessous) en cause en l’espèce, qui avait été ordonnée au cours de la procédure au principal, emportait violation des articles 5 § 1 et 7 § 1 de la Convention. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, il reprochait également aux juridictions internes de ne pas avoir statué à bref délai sur la légalité de sa détention de sûreté provisoire et avançait que le juge P. avait manqué d’impartialité à son endroit dans le cadre de la procédure au principal concernant l’ordonnance de placement en détention de sûreté « rétrospective » prise contre lui.
4. Les requêtes ont été attribuées à la cinquième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 26 novembre 2013, la requête no 10211/12 a été communiquée au Gouvernement. Le 22 décembre 2014, les griefs relatifs à l’ordonnance de placement du requérant en détention de sûreté subséquente et le grief relatif à l’impartialité du juge P., formulés dans la requête no 27505/14, ont été communiqués au Gouvernement, et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
5. Le 2 février 2017, une chambre de la cinquième section composée de Erik Møse, président, Angelika Nußberger, Ganna Yudkivska, Faris Vehabović, Yonko Grozev, Síofra O’Leary et Mārtiņš Mits, juges, ainsi que de Milan Blaško, greffier adjoint de section, a décidé à l’unanimité de joindre les requêtes. Elle a rayé une partie des requêtes du rôle à la suite de la déclaration unilatérale faite par le Gouvernement relativement aux griefs de violation des articles 5 et 7 § 1 de la Convention concernant la détention de sûreté subie par le requérant pendant la période du 6 mai 2011 au 20 juin 2013, et a déclaré les requêtes recevables pour le surplus. Elle a également dit, à l’unanimité, qu’il n’y avait eu ni violation de l’article 5 § 1 de la Convention ni violation de l’article 7 § 1 de la Convention à raison de la détention de sûreté du requérant à compter du 20 juin 2013. La chambre a par ailleurs conclu à l’unanimité à la non-violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de la durée de la procédure de contrôle juridictionnel de la détention de sûreté provisoire du requérant et à la non‑violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison du défaut d’impartialité allégué du juge P. dans le cadre de la procédure au principal lors de laquelle une nouvelle ordonnance de placement en détention de sûreté avait été prise contre le requérant.
6. Le 15 mars 2017, le requérant a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre au titre des articles 43 de la Convention et 73 du règlement. Le 29 mai 2017, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.
7. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Lors des premières délibérations, Stéphanie Mourou-Vikström, juge suppléante, a remplacé Işıl Karakaş, empêchée (article 24 § 3 du règlement).
8. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement). Par ailleurs, des observations ont été reçues de l’European Prison Litigation Network, que le président de la Grande Chambre avait autorisé le 30 août 2017 à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 et 4 du règlement).
9. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 29 novembre 2017 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
MmesA. Wittling-Vogel, ministère fédéral de la Justice et de la
Protection du consommateur,
K. Behr, ministère fédéral de la Justice et de la Protection
du consommateur, agents,
M. T. Giegerich, professeur de droit de l’UE, de droit
international public et de droit public,
Université de la Sarre,conseil,
MmesP. Viebig-Ehlert, ministère fédéral de la Justice et de la
Protection du consommateur,
K. Müller, chaire de droit de l’UE, de droit international
public et de droit public, Université de la Sarre,
MM.B. Bösert, ministère fédéral de la Justice et de la
Protection du consommateur,
C.-S. Haase, ministère fédéral de la Justice et de la
Protection du consommateur,
MmeS. Bender, ministère de la Justice de Bavière,
M.A. Stegmann, ministère de la Justice de Bavière,conseillers ;
– pour le requérant
MeI.-J. Tegebauer, avocat,
M. M. Mavany, conseils,
MmeD. Thörnich,conseillère.
La Cour a entendu Me Tegebauer et MM. Mavany et Giegerich en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par les juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
10. Le requérant, né en 1978, est actuellement détenu dans le centre de détention de sûreté de la prison de Straubing (« le centre de détention de sûreté de Straubing »).
A. La genèse de l’affaire : la condamnation du requérant et la première ordonnance de placement en détention de sûreté subséquente prise contre lui
11. Le 29 octobre 1999, le tribunal régional de Ratisbonne déclara le requérant coupable de meurtre et, se fondant sur le droit pénal applicable aux jeunes délinquants, le condamna à dix ans d’emprisonnement. Il conclut qu’en juin 1997 le requérant, alors âgé de dix-neuf ans, avait, en recourant à une force considérable et en s’aidant d’un câble, d’une branche d’arbre et de ses mains, étranglé une femme qui faisait du jogging sur un chemin forestier, avait en partie dévêtu la victime agonisante ou décédée et s’était ensuite masturbé. Après avoir consulté deux médecins experts, le tribunal estima que la responsabilité pénale du requérant était pleinement engagée au moment où il avait tué cette femme pour en tirer une satisfaction sexuelle et couvrir son intention de la violer. Le tribunal nota que malgré l’existence d’éléments allant dans ce sens, les deux experts n’avaient pas souhaité conclure que le requérant était atteint d’une déviance sexuelle car le jeune homme ne s’était guère exprimé sur les motivations de son infraction.
12. Le 12 juillet 2008, une nouvelle disposition législative, l’article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, entra en vigueur. Cette disposition permettait d’ordonner le placement en détention de sûreté subséquente (pour les questions de terminologie, voir également les paragraphes 104-106 et 157 ci-dessous) de personnes condamnées en vertu du droit pénal applicable aux jeunes délinquants (paragraphes 54-57 ci-dessous).
13. À partir du 17 juillet 2008, après qu’il eut purgé l’intégralité de sa peine d’emprisonnement, le requérant fut placé en détention de sûreté provisoire sur le fondement de l’article 275a § 5 du code de procédure pénale (paragraphe 61 ci-dessous).
14. Le 22 juin 2009, le tribunal régional de Ratisbonne, où siégeait le juge P., ordonna la détention de sûreté subséquente du requérant en application de l’article 7 § 2 no 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs combiné avec l’article 105 § 1 de cette même loi (paragraphes 56 et 59 ci‑dessous). À la lumière des rapports établis par un expert criminologue (Bo.) et un expert psychiatre (Ba.), le tribunal estima que le requérant nourrissait toujours des fantasmes sexuels violents et qu’il existait un risque élevé qu’il commît de nouveau des infractions sexuelles graves, notamment des meurtres à caractère sexuel, s’il était remis en liberté. Le 9 mars 2010, la Cour de justice fédérale rejeta, sur des points de droit, le pourvoi dirigé contre le jugement du tribunal régional.
15. Le 4 mai 2011, dans un arrêt de principe, la Cour constitutionnelle fédérale accueillit le recours formé par le requérant. Elle annula le jugement du tribunal régional du 22 juin 2009 ainsi que l’arrêt de la Cour fédérale de justice du 9 mars 2010 et renvoya l’affaire devant le tribunal régional. Elle conclut en outre à l’inconstitutionnalité de l’ordonnance de placement du requérant en détention de sûreté provisoire – qui était sans objet depuis que l’ordonnance imposant la détention de sûreté subséquente du requérant qui avait été prise dans le cadre de la procédure au principal était devenue définitive (dossier nos 2 BvR 2333/08 et 2 BvR 1152/10). La Cour constitutionnelle fédérale estima que les jugements et décisions attaqués avaient porté atteinte au droit à la liberté du requérant et contrevenu au principe de la protection constitutionnelle des attentes légitimes garantie dans un État de droit (pour de plus amples détails, voir les paragraphes 68-75 ci‑dessous).
B. La procédure en cause dans la requête no 10211/12 concernant la détention de sûreté provisoire du requérant
1. La procédure devant le tribunal régional
16. Le 5 mai 2011, le requérant demanda au tribunal régional de Ratisbonne d’ordonner sa remise en liberté immédiate. Il avança qu’à la suite de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011, lequel avait annulé le jugement ordonnant sa détention de sûreté subséquente, sa privation de liberté ne reposait plus sur aucune base légale.
17. Le 6 mai 2011, le tribunal régional de Ratisbonne, faisant droit à la demande du procureur datée du 5 mai 2011, ordonna une nouvelle fois le placement du requérant en détention de sûreté provisoire en application des articles 7 § 4 et 105 § 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, combinés avec la première phrase de l’article 275a § 5 du code de procédure pénale (paragraphes 59 et 61 ci-dessous). Le tribunal estima que la détention de sûreté provisoire du requérant était nécessaire car il existait des raisons sérieuses de croire que sa détention de sûreté subséquente serait décidée en vertu de l’article 7 § 2 no 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs lu à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011.
18. Par une requête datée du 27 juin 2011, reçue au tribunal régional le 29 juin 2011, le requérant fit appel de la décision du tribunal régional et, les 15, 19, 22, 25 et 26 juillet 2011, présenta à cette fin de nouveaux exposés de ses moyens. Il alléguait en particulier que sa détention de sûreté provisoire était irrégulière.
19. Le 4 juillet 2011, le tribunal régional de Ratisbonne refusa de modifier sa décision du 6 mai 2011.
2. La procédure devant la cour d’appel
20. Le 16 août 2011, la cour d’appel de Nuremberg rejeta pour défaut de fondement le recours du requérant. Elle s’appuya sur les éléments suivants : i) une requête déposée par le procureur général de Nuremberg le 20 juillet 2011 demandant le rejet de l’appel du requérant, ii) l’établissement des faits opéré par le tribunal régional de Ratisbonne dans son jugement du 22 juin 2009, iii) les conclusions rendues par deux médecins experts dans le cadre de la procédure qui avait conduit au jugement du 22 juin 2009, iv) les conclusions rendues dans le contexte d’une procédure antérieure par deux autres experts relativement à la santé mentale du requérant et à sa dangerosité, et v) les nouvelles règles plus restrictives établies par la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt du 4 mai 2011.
21. Le 29 août 2011, la cour d’appel de Nuremberg écarta le grief du requérant relatif à une atteinte à son droit d’être entendu ainsi que son opposition au rejet prononcé le 16 août 2011. Cette décision fut signifiée à l’avocat du requérant le 6 septembre 2011.
3. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale
22. Le 7 septembre 2011, le requérant saisit la Cour constitutionnelle fédérale d’un recours contre la décision du tribunal régional de Ratisbonne du 6 mai 2011, telle que confirmée par la cour d’appel de Nuremberg. Il demanda en outre un sursis à l’exécution de ces décisions par une mesure provisoire en attendant que la Cour constitutionnelle fédérale eût statué. Le requérant soutint en particulier que la procédure de contrôle de sa détention de sûreté provisoire avait méconnu son droit à une décision à bref délai, qui était selon lui consacré par son droit constitutionnel à la liberté.
23. Le 18 octobre 2011, la Cour constitutionnelle fédérale communiqua le recours constitutionnel formé par le requérant au gouvernement du Land de Bavière, au président de la Cour fédérale de justice et au procureur général près cette dernière.
24. Le 25 octobre 2011, la Cour constitutionnelle fédérale rendit une décision motivée refusant de surseoir par une mesure provisoire à l’exécution de l’ordonnance de placement du requérant en détention de sûreté provisoire.
25. Par un mémoire daté du 1er janvier 2012, le requérant répondit aux observations du gouvernement du Land de Bavière, du président de la Cour de justice fédérale et du procureur général près cette dernière datées respectivement des 28, 24 et 25 novembre 2011.
26. Le 22 mai 2012, la Cour constitutionnelle fédérale refusa, sans motiver sa décision, d’examiner le recours du requérant (dossier no 2 BvR 1952/11). Cette décision fut signifiée à l’avocat du requérant le 30 mai 2012.
4. Les faits ultérieurs
27. Le 17 novembre 2011, le requérant déposa une nouvelle demande de contrôle juridictionnel de sa détention de sûreté provisoire. Par une décision du 28 novembre 2011, le tribunal régional de Ratisbonne confirma la détention de sûreté provisoire du requérant telle qu’elle avait été ordonnée le 6 mai 2011. Le 2 janvier 2012, la cour d’appel de Nuremberg rejeta le recours formé par le requérant contre cette décision.
C. La procédure en cause dans la requête no 27505/14 concernant la procédure au principal relative à la détention de sûreté subséquente du requérant
1. La procédure devant le tribunal régional de Ratisbonne
a) La décision relative à la requête en suspicion légitime introduite par le requérant
28. À la reprise de la procédure devant le tribunal régional de Ratisbonne, auquel l’affaire avait été renvoyée (paragraphe 15 ci-dessus), le requérant déposa une requête en suspicion légitime contre le juge P. Ce dernier avait siégé dans la formation du tribunal régional de Ratisbonne qui, le 22 juin 2009, avait ordonné la détention de sûreté subséquente du requérant (paragraphe 14 ci-dessus). Celui-ci affirma qu’à cette date, immédiatement après que le tribunal régional eut prononcé le jugement ordonnant sa détention de sûreté subséquente, le juge P. avait dit à son avocate à son sujet : « faites attention à ne pas le trouver devant chez vous à vous attendre pour vous remercier une fois qu’il aura été remis en liberté. » Le requérant allégua que ces propos avaient été formulés, après le jugement rendu par le tribunal régional, au cours d’une discussion qui s’était tenue en privé entre les juges du tribunal régional et ses deux défenseurs concernant l’éventualité de son transfert dans un hôpital psychiatrique.
29. Dans une observation datée du 13 décembre 2011 portant sur la requête en suspicion légitime introduite par le requérant, le juge P. expliqua qu’il se souvenait avoir discuté, après le prononcé du jugement, de l’éventualité d’un transfert ultérieur du requérant dans un établissement psychiatrique. Cependant, compte tenu du temps qui s’était écoulé depuis lors, il dit ne plus se rappeler la teneur précise de la discussion ni le contexte exact dans lequel il aurait prononcé la remarque litigieuse.
30. Le 2 janvier 2012, le tribunal régional de Ratisbonne rejeta la requête en suspicion légitime introduite par le requérant. Il considéra en particulier que même à supposer que le requérant eût démontré de manière convaincante pour le tribunal que le juge P. avait bien formulé la remarque en question, cela ne permettait pas objectivement de douter de l’impartialité de P. Il estima que, même en admettant que le requérant eût pu raisonnablement interpréter les mots « vous remercier » prononcés dans le contexte exposé ci-dessus comme signifiant qu’il était susceptible de commettre une infraction violente, il y avait lieu de noter que le tribunal régional, et notamment le juge P., venait juste d’établir que le requérant nourrissait toujours des fantasmes de violences sexuelles et qu’il existait à ce moment‑là un risque élevé qu’il commît de nouveau des infractions graves attentatoires à la vie et à l’autodétermination sexuelle d’autrui. Selon le tribunal, même si le juge P. avait effectivement fait la remarque en question, son « conseil » n’avait donc constitué en substance rien de plus que la transposition à un cas particulier des conclusions formulées par le tribunal régional. De plus, d’après le tribunal, cette remarque s’était inscrite dans le contexte d’un dialogue confidentiel qui s’était déroulé, en l’absence du requérant, entre les participants à la procédure. Pour le tribunal, le juge P. pouvait s’attendre à ce que l’avocate du requérant interprétât sa remarque de la manière indiquée ci-dessus dans ce contexte.
31. Le tribunal ajouta que la remarque du juge P. reflétait l’opinion qui était la sienne le jour où le tribunal régional avait rendu son jugement, à savoir le 22 juin 2009. Il considéra que les propos du juge P. ne suggéraient aucunement que celui-ci n’était pas prêt à rendre une décision impartiale dans la procédure en cours, laquelle se déroulait plus de deux ans après que les propos litigieux avaient été prononcés et après la fin d’une nouvelle audience au principal. Il conclut que le fait que le juge P. avait précédemment eu à connaître de l’affaire du requérant ne signifiait pas automatiquement qu’il fût partial.
b) La nouvelle ordonnance de placement du requérant en détention de sûreté subséquente
32. Le 3 août 2012, le tribunal régional de Ratisbonne, après avoir siégé pendant plus de vingt-quatre jours, ordonna de nouveau la détention de sûreté subséquente du requérant.
33. Le tribunal régional fonda son jugement de 164 pages sur les articles 7 § 2 no 1 et 105 § 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, combinés avec l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011. Il estima en premier lieu que l’évaluation globale de la personnalité du requérant, de l’infraction commise par lui et de son évolution au cours de l’exécution de la peine qui lui avait été infligée en vertu du droit pénal applicable aux jeunes délinquants révélait que l’intéressé risquait fort, du fait des spécificités tenant à sa personne et à sa conduite, de commettre, s’il venait à être libéré, des crimes à caractère violent ou sexuel des plus graves, de même nature que celui pour lequel il avait été condamné.
34. Le tribunal régional jugea en second lieu que le requérant était atteint d’un trouble mental aux fins de l’article 1 § 1 de la loi sur l’internement thérapeutique (paragraphe 85 ci-dessous), à savoir de sadisme sexuel. Eu égard à la jurisprudence de la Cour fédérale de justice et de la Cour constitutionnelle fédérale, il considéra que si une simple « accentuation de la personnalité » ne suffisait pas à constituer un trouble mental au sens de ladite loi, il n’était pas nécessaire que ce trouble présentât un niveau de gravité tel qu’il exclût ou atténuât la responsabilité pénale de la personne concernée aux fins des articles 20 et 21 du code pénal (paragraphes 82-83 et 88-89 ci-dessous). Le tribunal estima que le sadisme sexuel dont le requérant était atteint, étant donné la gravité qu’il présentait et les importantes conséquences néfastes qu’il avait eues sur le développement du requérant depuis son adolescence, était constitutif d’un trouble mental au sens de la loi sur l’internement thérapeutique.
35. Le tribunal régional fonda son avis sur les rapports établis par deux médecins experts extérieurs expérimentés qu’il avait consultés, K. et F, qui étaient professeurs et docteurs en psychiatrie et en psychothérapie et exerçaient dans deux hôpitaux universitaires différents. K., l’un des deux experts, était fermement convaincu que le requérant était toujours atteint de sadisme sexuel tandis que F., l’autre expert, restait plus prudent et déclarait qu’il était certain que le requérant était atteint de sadisme sexuel en 2005 et qu’il ne fallait pas s’attendre à ce que ce trouble eût disparu.
36. Eu égard aux conclusions rendues par ces experts ainsi qu’aux constats dressés par plusieurs médecins experts qui avaient auparavant examiné le requérant depuis son arrestation après la commission de l’infraction, le tribunal régional se dit convaincu que le requérant nourrissait depuis l’âge de dix-sept ans des fantasmes sexuels violents, notamment de strangulation de femmes. Il estima que le requérant était atteint de sadisme sexuel, qui était un trouble de la préférence sexuelle décrit par l’outil pertinent pour la classification des maladies, la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes, dans sa version en vigueur à l’époque (CIM-10)[1], et que ce trouble, qui avait été à l’origine du crime brutal qu’il avait commis et s’était manifesté à travers lui, persistait. Au regard des constats dressés par les experts, le tribunal observa que le requérant avait, pendant la procédure devant le tribunal du fond en 1999, dissimulé les pulsions sadiques qui avaient été à l’origine de son infraction et que le tribunal avait, malgré la présence de certains signes indiquant une déviance sexuelle, interprété cette infraction comme une intention de violer qui n’avait pas abouti. Il constata que le requérant, qui avait donné des versions divergentes de la motivation de son infraction, n’avait admis qu’en 2005/2006, alors qu’il était examiné par un expert psychologue et psychiatre, qu’il avait à l’occasion de ce meurtre réalisé des fantasmes qui se faisaient chez lui de plus en plus prégnants et dans lesquels il prenait le pouvoir sur des femmes en les saisissant à la gorge et en se masturbant sur leur corps inanimé. Il ajouta que les nouvelles déclarations faites par le requérant à propos de ses fantasmes étaient davantage compatibles avec les conclusions rendues par le tribunal du fond sur la manière dont l’infraction avait été commise.
37. Le tribunal observa en outre que la thérapie que le requérant avait suivie jusqu’en 2007, et en particulier la thérapie sociale qui selon les experts K. et F. constituait un traitement adapté à son état de santé, avait été inopérante. Le tribunal releva que, même s’il apparaissait que le requérant ne refusait pas par principe une nouvelle thérapie, il ne suivait à l’époque aucun traitement et qu’il s’était en particulier opposé à la demande adressée par le procureur au tribunal régional de Ratisbonne en 2010/2011 aux fins de le faire transférer dans un hôpital psychiatrique en vertu de l’article 67a §§ 2 et 1 du code pénal (paragraphe 67 ci-dessous) afin que son état de santé pût être traité dans un environnement différent. Il ajouta que le requérant, invoquant la procédure judiciaire pendante, avait également refusé des entretiens destinés à permettre la mise en place d’un nouveau protocole thérapeutique personnalisé.
2. La procédure devant la Cour fédérale de justice
38. Le requérant forma contre le jugement rendu par le tribunal régional le 3 août 2012 un pourvoi sur des points de droit dans lequel il alléguait que sa détention de sûreté « rétrospective » était illégale et qu’un juge, le juge P., auquel il reprochait un manque d’impartialité, avait pris part au jugement dans son affaire.
39. Le 5 mars 2013, la Cour fédérale de justice rejeta pour défaut manifeste de fondement le pourvoi du requérant.
3. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale
40. Le 11 avril 2013, le requérant saisit la Cour constitutionnelle fédérale d’un recours. Il alléguait en particulier que l’ordonnance « rétrospective » relative à son placement en détention de sûreté avait emporté violation du principe de non-rétroactivité des peines consacré par la Loi fondamentale ainsi que par l’article 7 § 1 de la Convention. De plus, il affirmait que cette ordonnance avait porté atteinte dans son chef au droit constitutionnel à la liberté ainsi qu’au principe de la protection des attentes légitimes garantie dans un État de droit, et avait emporté violation de l’article 5 § 1 de la Convention. Enfin, il avançait que son droit constitutionnel à ce que sa cause fût entendue par un tribunal établi par la loi avait été méconnu, arguant que le juge P. avait manqué d’impartialité à son égard.
41. Le 5 décembre 2013, la Cour constitutionnelle fédérale refusa, sans motiver sa décision, d’examiner le recours constitutionnel du requérant (dossier no 2 BvR 813/13).
D. Les faits ultérieurs
42. Le tribunal régional de Ratisbonne examina par la suite à intervalles réguliers la nécessité de la détention de sûreté du requérant. Le 18 septembre 2014, le 2 mars 2016 et le 6 avril 2017, il décida que le requérant devait être maintenu en détention parce que son trouble mental et, partant, sa dangerosité persistaient. Il fonda chacune de ces décisions sur un nouveau rapport établi par un expert psychiatre à chaque fois différent ; tous les experts consultés diagnostiquèrent un sadisme sexuel chez le requérant. Celui-ci est actuellement toujours en détention de sûreté.
E. Les conditions de la détention du requérant avant et pendant l’exécution de l’ordonnance de placement en détention de sûreté
43. Pendant la durée de sa peine de dix ans d’emprisonnement (jusqu’en juillet 2008) le requérant fut, en particulier, interné de 2001 à 2007 dans le centre de thérapie sociale pour délinquants sexuels de la prison de Bayreuth, où il suivit une thérapie sociale. Le requérant ne s’étant pas engagé dans cette thérapie avec le degré de sincérité et de motivation nécessaire, le problème central de ses fantasmes sexuels déviants ne put être suffisamment traité et la thérapie ne fut pas fructueuse. En 2007, il fut transféré dans le département de thérapie sociale pour délinquants sexuels de la prison de Straubing, où une nouvelle tentative de le soigner échoua également faute d’une motivation suffisante de sa part pour les différentes thérapies proposées.
44. Pendant l’exécution de la première ordonnance de placement en détention de sûreté, qui avait été délivrée le 22 juin 2009, le requérant s’était opposé à la demande du procureur tendant à ce qu’il fût transféré dans un hôpital psychiatrique en vertu de l’article 67a §§ 2 et 1 du code pénal (paragraphe 67 ci-dessous) afin qu’il y suivît un traitement destiné à consolider sa réadaptation. De plus, il avait refusé de participer au nouveau programme thérapeutique qui lui était proposé à la prison de Straubing.
45. Le 7 mai 2011, à la suite de l’annulation de la première ordonnance de placement en détention de sûreté et de l’adoption de la nouvelle ordonnance de placement en détention de sûreté provisoire, le requérant quitta l’aile de la prison de Straubing accueillant les personnes en détention de sûreté et fut transféré dans une aile réservée aux détentions provisoires. Il perdit de ce fait les avantages dont bénéficiaient les personnes en détention de sûreté. En particulier, il fut privé de la possibilité de suivre une quelconque forme de thérapie. Le 13 septembre 2011, il fut reconduit dans l’aile de la prison de Straubing accueillant les personnes placées en détention de sûreté, où il fut maintenu jusqu’au 20 juin 2013 et où une thérapie sociale lui fut proposée. Il rejeta cette proposition.
46. Depuis le 20 juin 2013, le requérant se trouve dans le centre de détention de sûreté de Straubing nouvellement construit. Ce centre, qui est situé dans une enceinte fermée sur le site de la prison de Straubing et qui peut accueillir jusqu’à 84 détenus, compte davantage de personnel que la prison de Straubing, puisqu’un psychiatre, sept psychologues, un médecin généraliste, quatre infirmiers, sept travailleurs sociaux, un juriste, un enseignant, un inspecteur pénitentiaire, quarante-quatre membres du personnel pénitentiaire général et quatre membres du personnel administratif s’y occupent des détenus. Dans ce centre, les cellules mesurent 15 m² (contre environ 10 m² auparavant) et comportent un bloc cuisine ainsi qu’une salle de bains séparée ; les détenus ont le droit de rester à l’extérieur de leur cellule de 6 heures à 22 h 30.
47. Dans le centre de détention de sûreté de Straubing, un personnel spécialisé dispense aux détenus des traitements médicaux et des thérapies personnalisés en fonction d’un protocole de traitement individuel. Les possibilités de traitement sont nettement plus nombreuses que celles qui étaient disponibles dans le cadre du précédent régime de détention de sûreté dans la prison de Straubing. Le requérant commença par refuser toutes les formes de thérapies que lui proposait le centre, notamment une thérapie sociale individuelle ou en groupe, la participation à un programme intensif destiné aux délinquants sexuels et une thérapie assurée par un psychiatre externe. Il ne commença une psychothérapie individuelle que postérieurement à la période couverte par la procédure en cause dans cette affaire ; il suivit celle-ci du 10 juin 2015 jusqu’au 30 juin 2017 avec un psychologue du centre de détention de sûreté.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le cadre juridique général du régime de la détention de sûreté
48. S’inscrivant dans une longue tradition juridique, le code pénal allemand établit une distinction entre les deux catégories de mesures qui sont prises en réponse à des actes illégaux : les peines (Strafen) et les mesures dites d’amendement et de sûreté (Maßregeln der Besserung und Sicherung). Dans ce système double de sanctions, les peines (articles 38 et suivants du code pénal) comprennent principalement les peines d’emprisonnement et les amendes, qui sont définies en fonction de la culpabilité de l’accusé (article 46 § 1 du code pénal). Les mesures d’amendement et de sûreté (articles 61 et suivants du code pénal) recouvrent essentiellement l’internement en hôpital psychiatrique (article 63 du code pénal), le placement dans un centre de désintoxication (article 64 du code pénal) ou la détention de sûreté (articles 66 et suivants du code pénal). Ces mesures visent à réadapter les délinquants dangereux et à en protéger la collectivité. Elles peuvent être infligées en plus de leur peine aux délinquants pénalement responsables (articles 63 et suivants). Elles doivent cependant rester proportionnées à la gravité des infractions commises ou susceptibles d’être commises par les délinquants ainsi qu’à la dangerosité de ceux-ci (article 62 du code pénal).
49. En droit allemand, il est possible d’ordonner le placement en détention de sûreté de personnes qui ont commis une infraction pénale, que leur responsabilité pénale se trouvât pleinement engagée ou qu’elle fût atténuée au moment des faits (articles 66 et suivants du code pénal). Initialement, le placement en détention de sûreté ne pouvait être ordonné par un tribunal pénal qu’au moment où celui-ci prononçait la condamnation de l’accusé, cette détention venant ainsi s’ajouter à une peine d’emprisonnement. En vertu de l’article 66 du code pénal, il fallait en particulier que le tribunal pénal eût déclaré l’accusé coupable d’une infraction présentant un certain degré de gravité (précisé dans la loi) et que, au regard de sa propension à commettre des infractions graves, l’accusé représentât un danger pour la société. La législation en vigueur avant le 31 janvier 1998 (article 67d § 1 du code pénal) limitait à dix années la première période de détention de sûreté qui pouvait être infligée à un accusé. Une modification de la législation abolit cette durée maximale avec effet immédiat (pour de plus amples détails, voir M. c. Allemagne, no 19359/04, §§ 49-54, CEDH 2009).
50. En 2004, un nouvel article 66b fut inséré dans le code pénal ; il permettait d’imposer une détention de sûreté subséquente à des délinquants adultes. Il fut dès lors aussi possible d’ordonner le placement en détention de sûreté de délinquants adultes lorsque la juridiction de jugement qui les avait reconnus coupables de certaines infractions graves n’avait pas adopté pareille mesure à leur endroit. De telles ordonnances pouvaient ainsi être prises séparément et subséquemment, après le prononcé du jugement par la juridiction de jugement, si, avant la fin de l’exécution d’une peine d’emprisonnement, des éléments indiquant que le détenu concerné représentait un danger significatif pour la société apparaissaient. Par une loi entrée en vigueur le 1er janvier 2011, le législateur restreignit considérablement les conditions dans lesquelles il était possible d’ordonner subséquemment une détention de sûreté (pour de plus amples détails, voir B. c. Allemagne, no 61272/09, §§ 33-35, 19 avril 2012).
51. En 2008, l’article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, qui est la disposition en cause en l’espèce, entra en vigueur ; cette disposition permettait d’ordonner le placement en détention de sûreté subséquente à l’égard de jeunes délinquants aussi (pour de plus amples détails, voir les paragraphes 54‑58 ci-dessous).
52. Outre les réformes relativement récentes susmentionnées dont le régime de la détention de sûreté fit l’objet en 1998, 2004 et 2008, d’autres modifications législatives furent adoptées à la suite de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire M. c. Allemagne (précité) le 17 décembre 2009 et de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011 (paragraphes 68-75 ci-dessous). Ces modifications furent introduites, en particulier, par la loi de refonte de la détention de sûreté (Gesetz zur Neuordnung des Rechts der Sicherungsverwahrung) du 22 décembre 2010, qui englobait la nouvelle loi sur l’internement thérapeutique (paragraphes 85-89 ci-dessous) et entra en vigueur le 1er janvier 2011, ainsi que par la loi sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement, qui entra en vigueur le 1er juin 2013 (paragraphes 78 et suivants ci-dessous).
53. En ce qui concerne la procédure d’exécution des mesures d’amendement et de sûreté en général, l’article 463 § 1 du code de procédure pénale indique que les dispositions relatives à l’exécution des peines d’emprisonnement doivent s’appliquer mutatis mutandis à l’exécution des mesures d’amendement et de sûreté, sauf disposition contraire.
B. Les ordonnances de placement en détention de sûreté concernant les mineurs et les jeunes adultes
1. L’ordonnance de placement d’un jeune délinquant en détention de sûreté subséquente
54. Initialement, la loi sur les tribunaux pour mineurs n’autorisait pas la délivrance d’ordonnances de placement en détention de sûreté visant les mineurs (c’est-à-dire des personnes de quatorze à dix-huit ans) et les jeunes adultes (c’est-à-dire les personnes de dix-huit à vingt-et-un ans, voir l’article 1 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs), qui tombaient sous le coup du droit pénal applicable aux jeunes délinquants. À partir du 29 juillet 2004, à la suite d’une modification apportée à l’article 106 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, il fut possible d’ordonner la détention de sûreté subséquente de jeunes adultes d’un âge compris entre dix-huit et vingt-et-un ans lorsqu’ils étaient condamnés selon le droit pénal ordinaire applicable aux délinquants adultes.
55. Avec la loi du 8 juillet 2008 portant introduction de la détention de sûreté subséquente en cas de condamnations prononcées sur le fondement du droit pénal applicable aux jeunes délinquants (Gesetz zur Einführung der nachträglichen Sicherungsverwahrung bei Verurteilungen nach Jugendstrafrecht), qui entra en vigueur le 12 juillet 2008, l’article 7 § 2 fut intégré dans la loi sur les tribunaux pour mineurs.
56. L’article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, tel qu’en vigueur jusqu’au 31 mai 2013, se lisait ainsi :
« si, à la suite de l’imposition d’une peine spécifique aux jeunes délinquants d’une durée d’au moins sept années pour (...) un crime
1. attentatoire à la vie, à l’intégrité physique ou au droit à l’autodétermination sexuelle, ou
2. (...)
qui a causé à la victime un préjudice psychologique ou corporel grave ou l’a exposée au risque de subir pareil préjudice, il apparaît, avant le terme de la peine en question (...), que la personne condamnée représente une importante menace pour la société, le tribunal peut ordonner subséquemment son placement en détention de sûreté s’il ressort d’une analyse complète de la personnalité du condamné, de son infraction ou des infractions qu’il a commises et, à titre supplémentaire, de la manière dont il a évolué pendant qu’il purgeait sa peine (...) qu’il est très probable qu’il commettra de nouveau des infractions de même nature. »
57. Lorsqu’il présenta au Parlement le projet de loi portant introduction de la détention de sûreté subséquente en cas de condamnations prononcées sur le fondement du droit pénal applicable aux jeunes délinquants (Publication du Parlement fédéral (Bundestagsdrucksache) no 16/6562, p. 1), le gouvernement fédéral argua que des exemples récents montraient que, à l’instar des délinquants adultes, les jeunes délinquants condamnés sur le fondement du droit pénal qui leur était applicable pouvaient, dans des cas exceptionnels, se révéler très dangereux pour autrui même après avoir purgé une peine d’emprisonnement de plusieurs années. Lorsqu’il n’était pas possible d’interner les jeunes délinquants en hôpital psychiatrique, il n’existait à l’époque aucune base légale qui aurait permis de les maintenir en détention de manière à protéger la collectivité.
58. Avec la loi sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement, qui entra en vigueur le 1er juin 2013 (pour de plus amples détails, voir les paragraphes 76 et suivants ci-dessous), le législateur restreignit considérablement les conditions dans lesquelles il était possible d’ordonner subséquemment la détention de sûreté des jeunes délinquants.
59. L’article 105 § 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs indique que le tribunal doit appliquer certaines dispositions de cette loi qui concernent les mineurs, en particulier l’article 7, si un jeune adulte d’un âge compris entre dix-huit et vingt-et-un ans a commis une infraction et si, en particulier, une analyse complète de sa personnalité, englobant son milieu de vie, révèle que l’intéressé présentait seulement le niveau de développement moral et intellectuel d’un mineur au moment de la commission de l’infraction.
60. L’article 43 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs dispose que dans les procédures pénales visant des jeunes délinquants, un expert compétent pour examiner des mineurs doit, si possible, être chargé de procéder aux examens nécessaires sur l’auteur de l’infraction en question.
2. La détention de sûreté provisoire et le contrôle juridictionnel de cette détention
61. Lorsqu’une procédure concernant la détention de sûreté subséquente d’un jeune délinquant est pendante, un tribunal peut ordonner que cette personne soit placée en détention de sûreté provisoire (jusqu’à ce que le jugement relatif à son placement en détention de sûreté subséquente devienne définitif) s’il existe des raisons sérieuses de croire que le placement de cette personne en détention de sûreté subséquente sera prononcé (article 7 § 4 de la loi sur les tribunaux pour mineurs combiné avec ce qui était la première phrase de l’article 275a § 5 dans la version du code de procédure pénale en vigueur à la période considérée en vertu du régime transitoire applicable).
62. Les articles 304 § 1 et 305 du code de procédure pénale prévoient la possibilité (qui n’est pas limitée dans le temps) de saisir la cour d’appel d’un recours contre la décision, prise par un tribunal régional, d’ordonner un placement en détention de sûreté provisoire ; l’article 310 du code de procédure pénale exclut la possibilité de contester par la suite devant les juridictions ordinaires la décision rendue par la cour d’appel.
63. Après la décision de la cour d’appel, un détenu peut toutefois former une nouvelle demande de contrôle juridictionnel de sa détention auprès du tribunal régional compétent conformément aux articles 117 et suivants du code de procédure pénale combinés avec la quatrième phrase de l’article 275a § 5 de ce même code. Il peut ensuite exercer devant la cour d’appel un recours contre la décision rendue par le tribunal régional dans le cadre du contrôle juridictionnel (articles 304 et suivants du code de procédure pénale).
3. Le contrôle juridictionnel de la détention de sûreté subséquente et de la durée de cette détention
64. En vertu de l’article 7 § 4 de la loi sur les tribunaux pour mineurs dans sa version en vigueur jusqu’au 31 mai 2013, combiné avec l’article 67e du code pénal, les tribunaux étaient tenus de vérifier à intervalles d’un an s’il était envisageable, en application de l’article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, de révoquer ou de suspendre telle ou telle ordonnance de placement en détention de sûreté et d’appliquer une mesure de mise à l’épreuve. Dans son arrêt du 4 mai 2011 (paragraphes 68-75 ci‑dessous), la Cour constitutionnelle fédérale ordonna de ramener cette périodicité d’un an à six mois.
65. Depuis le 1er juin 2013, en vertu de l’article 67d § 2 du code pénal combiné avec l’article 316f §§ 2 et 3 de la loi introductive au code pénal, les tribunaux ne peuvent ordonner la prolongation de la détention de sûreté subséquente que si l’intéressé présente un trouble mental et si, en raison de spécificités tenant à sa personnalité ou à son comportement, il existe un risque élevé que ce trouble l’amène à commettre des crimes violents ou des infractions sexuelles des plus graves. Si ces critères ne sont pas réunis, le tribunal suspendra, avec mise à l’épreuve, l’exécution de l’ordonnance de placement en détention de sûreté et ordonnera que l’intéressé soit mis sous surveillance.
66. Depuis le 1er juin 2013, l’article 67d § 2 du code pénal prévoit de plus que le tribunal suspendra également, avec mise à l’épreuve, l’exécution de l’ordonnance de placement en détention de sûreté s’il estime que le maintien en détention de sûreté présenterait un caractère disproportionné parce que l’intéressé ne s’est pas vu offrir, dans un délai fixé par le tribunal qui ne peut excéder six mois, des soins suffisants au sens de l’article 66c § 1 sous-alinéa 1 du code pénal (paragraphes 79-80 ci-dessous). Si des soins suffisants n’ont pas été prodigués à l’intéressé, il appartient au tribunal d’imposer ce délai lorsqu’il vérifie l’opportunité du maintien de l’intéressé en détention de sûreté et de définir les mesures qui doivent lui être proposées. La suspension de la détention de sûreté entraîne automatiquement la mise sous surveillance de l’intéressé.
4. Transfert en vue de la mise en œuvre d’une mesure différente d’amendement et de sûreté
67. L’article 67a du code pénal contient des dispositions relatives au transfert des détenus en vue de la mise en œuvre d’une mesure d’amendement et de sûreté différente de celle qui a initialement été ordonnée dans le jugement rendu contre les intéressés. En vertu de l’article 67a § 2, combiné avec le paragraphe 1, un tribunal peut ultérieurement ordonner qu’une personne qui a été placée en détention de sûreté soit transférée dans un hôpital psychiatrique ou un établissement de désintoxication si la réinsertion de cette personne dans la société peut ainsi s’en trouver facilitée.
C. L’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 mai 2011 et les modifications ultérieurement apportées au régime de la détention de sûreté en Allemagne
1. L’arrêt de principe sur la détention de sûreté rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011
68. Le 4 mai 2011, la Cour constitutionnelle fédérale prononça un arrêt de principe sur la détention de sûreté en réponse à des recours constitutionnels qui avaient été introduits tant par des personnes dont la détention de sûreté avait été prolongée subséquemment au-delà de la durée maximale de dix ans anciennement autorisée que par des personnes, dont le requérant en l’espèce, contre lesquelles une détention de sûreté avait été ordonnée subséquemment en vertu de l’article 66b § 2 du code pénal ou de l’article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs (dossier nos 2 BvR 2365/09, 2 BvR 740/10, 2 BvR 2333/08, 2 BvR 1152/10 et 2 BvR 571/10).
69. L’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale fut adopté après que la Cour de Strasbourg eut, le 17 décembre 2009, rendu un arrêt de principe dans l’affaire M. c. Allemagne (précitée), dans lequel elle avait dit que la prolongation subséquente de la détention de sûreté de M. M. au-delà de la durée maximale anciennement autorisée de dix ans applicable au moment de la commission de l’infraction par le requérant et de sa condamnation avait emporté violation de l’article 5 § 1 et de l’article 7 § 1 de la Convention.
70. Revenant sur la position qu’elle avait adoptée notamment dans son arrêt du 5 février 2004 (dossier no 2 BvR 2029/01), la Cour constitutionnelle fédérale dit que toutes les dispositions en cause dans les recours constitutionnels, tant celles portant sur les prolongations subséquentes d’une détention de sûreté que celles ayant trait aux ordonnances subséquentes de placement en détention de sûreté, étaient incompatibles avec la Loi fondamentale car elles contrevenaient au principe de la protection constitutionnelle des attentes légitimes garantie dans un État de droit, combiné avec le droit constitutionnel à la liberté.
71. La Cour constitutionnelle fédérale dit de plus que toutes les dispositions pertinentes du code pénal relatives à l’imposition et à la durée de la détention de sûreté étaient incompatibles avec le droit fondamental à la liberté des personnes placées en détention de sûreté. Elle conclut que ces dispositions ne satisfaisaient pas à l’exigence constitutionnelle de différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement (Abstandsgebot).
72. La Cour constitutionnelle fédérale ajouta que toutes les dispositions qui avaient été déclarées incompatibles avec la Loi fondamentale continueraient de s’appliquer jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle législation et au plus tard jusqu’au 31 mai 2013, selon des conditions supplémentaires plus restrictives. Dans le cas des personnes dont la détention de sûreté avait été prolongée ou ordonnée de manière subséquente en vertu de l’article 66b § 2 du code pénal ou de l’article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, les juridictions de l’exécution des peines devaient examiner sans délai s’il existait un risque élevé de voir les intéressés, en raison de spécificités tenant à leur personnalité ou à leur comportement, commettre des crimes violents ou des infractions sexuelles des plus graves, et si de surcroît ils présentaient un trouble mental au sens de l’article 1 § 1 de la loi sur l’internement thérapeutique nouvellement adoptée (paragraphe 85 ci-dessous). Concernant la notion de trouble mental, la Cour constitutionnelle fédérale fit explicitement référence à la notion d’aliéné visée à l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention telle qu’interprétée dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (paragraphes 138 et 143-156 de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale). Si les conditions préalables susmentionnées n’étaient pas réunies, les détenus en question devaient être libérés au plus tard le 31 décembre 2011. Les autres dispositions relatives à l’imposition et à la durée d’une détention de sûreté ne pouvaient être appliquées pendant la période transitoire que sous réserve d’un strict contrôle de proportionnalité ; de manière générale, la proportionnalité était réputée respectée lorsqu’il existait un risque que la personne concernée commît des crimes à caractère violent ou sexuel graves si elle venait à être libérée.
73. Dans son raisonnement, la Cour constitutionnelle fédérale s’appuyait sur les articles 5 et 7 de la Convention tels qu’interprétés par la Cour de Strasbourg dans l’arrêt M. c. Allemagne (précité, voir les paragraphes 137 et suivants de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale). Elle y soulignait, en particulier, que l’obligation constitutionnelle d’opérer une distinction entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement ainsi que les principes énoncés à l’article 7 de la Convention commandaient d’offrir aux personnes concernées une prise en charge et des traitements thérapeutiques personnalisés et intensifs. Dans le droit fil des conclusions rendues par la Cour dans l’affaire M. c. Allemagne (précitée, § 129), la Cour constitutionnelle fédérale jugeait nécessaire de prévoir un niveau élevé de soins dispensés par une équipe pluridisciplinaire et de proposer aux détenus une thérapie personnalisée si les thérapies habituellement disponibles au sein de l’établissement n’offraient pas de perspectives de réussite (paragraphe 113 de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale).
74. La Cour constitutionnelle fédérale confirma sa jurisprudence constante selon laquelle le principe absolu de non-rétroactivité des lois pénales consacré par l’article 103 § 2 de la Loi fondamentale ne couvrait pas la détention de sûreté. Celle-ci était selon la haute juridiction une mesure d’amendement et de sûreté qui n’avait pas pour finalité de sanctionner une culpabilité pénale mais qui avait une visée purement préventive consistant à protéger la collectivité d’un délinquant dangereux (paragraphes 100-101 et 141-142 de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale). La Cour constitutionnelle fédérale releva que la Cour européenne des droits de l’homme avait considéré la détention de sûreté comme une peine au sens de l’article 7 § 1 de la Convention (ibidem, paragraphes 102 et 140). Elle estima qu’il n’était pas nécessaire d’aligner à l’identique la signification de la notion de peine telle que l’entendait la Loi fondamentale sur le sens que cette notion revêtait sur le terrain de la Convention. Elle considéra qu’il était préférable de s’appuyer sur les principes sous-jacents (Wertungen) de la Convention en se donnant pour but d’éviter les manquements au droit international public (ibidem, paragraphes 91 et 141 et suivants).
75. Eu égard au droit constitutionnel à la protection des attentes légitimes dans un État de droit et aux principes sous-jacents découlant de l’article 5 de la Convention, la Cour constitutionnelle fédérale jugea que la prolongation de la détention de sûreté au-delà de la période maximale de dix ans anciennement applicable ou la décision d’ordonner subséquemment pareille détention n’étaient constitutionnelles en pratique que si, entre autres, les exigences de l’article 5 § 1 e) étaient respectées (ibidem, paragraphes 143 et 151-156). Dans ce contexte, elle fit expressément référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle la « détention » d’une personne comme malade mental ne pouvait être régulière au regard de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 que si elle se déroulait dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié (ibidem, paragraphe 155).
2. Les suites données à l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale
76. Pour répondre aux exigences énoncées dans l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011, le législateur vota la loi sur l’établissement, au niveau fédéral, d’une différence entre les dispositions relatives à la détention de sûreté et les dispositions relatives aux peines d’emprisonnement (Gesetz zur bundesrechtlichen Umsetzung des Abstandsgebotes im Recht der Sicherungsverwahrung – la « loi sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement ») du 5 décembre 2012, qui entra en vigueur le 1er juin 2013.
77. Parallèlement, les différents Länder allemands adoptèrent des lois visant à réformer la mise en œuvre de la détention de sûreté. Ces lois contiennent des règles détaillées sur l’application, dans la pratique, du nouveau régime de détention de sûreté, laquelle doit être axée sur la prise en charge thérapeutique des détenus et adaptée autant que possible à des conditions de vie normales (voir, pour le Land de Bavière, où le requérant est actuellement interné, la loi bavaroise sur l’exécution de la détention de sûreté – Bayerisches Sicherungsverwahrungsvollzugsgesetz / Gesetz über den Vollzug der Sicherungsverwahrung und der Therapieunterbringung –, et en particulier les articles 2 et 3 de cette loi, qui fut adoptée le 22 mai 2013 et entra en vigueur le 1er juin 2013 ; cette loi compte au total 105 articles).
78. En vertu de la nouvelle législation (voir, en particulier, l’article 66c du code pénal), la détention de sûreté doit désormais se dérouler dans des établissements qui offrent aux détenus non seulement des conditions plus proches des conditions de vie normales mais aussi, en particulier, des soins personnalisés et continus visant à les encourager à suivre des traitements psychiatriques, psychothérapeutiques ou sociothérapeutiques adaptés à leurs besoins.
79. L’article 66c du code pénal, qui porte sur les modalités de mise en œuvre de la détention de sûreté ainsi que des peines d’emprisonnement qui la précèdent, est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :
« 1. Les personnes faisant l’objet d’une détention de sûreté sont placées dans des établissements qui
1) leur offrent, sur la base d’un examen complet et d’un protocole de traitement personnalisé qui est adapté régulièrement, des soins qui sont
a) individuels et continus et de nature à susciter et à renforcer leur volonté de prendre part à un traitement, en particulier psychiatrique, psychothérapeutique ou sociothérapeutique, qui soit adapté à leurs besoins si les soins qui sont habituellement disponibles n’offrent pas de perspectives de réussite, et
b) destinés à atténuer la menace qu’ils représentent pour la société au point que la mesure puisse être suspendue et une mise à l’épreuve accordée ou qu’il puisse être décidé de mettre un terme à la mesure dès que possible,
2) garantissent une forme de détention qui
a) pèse le moins possible sur les personnes qui y sont soumises, soit conforme aux exigences en matière de soins énoncées à l’alinéa 1 et offre des conditions de vie proches de la normale pour autant que les impératifs de sécurité le permettent, et
b) se déroule à l’écart des détenus qui purgent une peine d’emprisonnement, dans des ailes ou des unités distinctes, pour autant que le traitement visé à l’alinéa 1 n’exige pas, à titre exceptionnel, d’autres arrangements, et
3) dans le but de permettre la réalisation de l’objectif énoncé à l’alinéa 1 b)
a) consentent à des assouplissements dans le déroulement de la détention et préparent les intéressés à leur remise en liberté à moins qu’il existe des raisons impérieuses d’en décider autrement, en particulier si des faits concrets révèlent qu’ils risquent de s’enfuir ou d’abuser de ces assouplissements pour commettre des infractions graves, et
b) permettent, après la remise en liberté, qu’un suivi soit effectué en étroite collaboration avec des établissements publics ou privés. »
80. En vertu d’une disposition transitoire – l’article 316f 3) de la loi introductive au code pénal – le nouvel article 66c du code pénal trouve aussi à s’appliquer aux personnes qui ont commis les infractions qui avaient motivé leur placement en détention de sûreté avant le 1er juin 2013.
81. Conformément à ce nouveau cadre judiciaire et législatif, les Länder construisirent, équipèrent et dotèrent en personnel de nouveaux centres de détention de sûreté dans le but de se mettre en conformité avec l’obligation d’établir une différence entre le déroulement des détentions de sûreté et l’exécution des peines de prison et de donner la priorité à la prise en charge thérapeutique des détenus. Selon les éléments communiqués par le Gouvernement, qui n’ont pas été contestés par le requérant, douze nouveaux centres de détention de sûreté furent ainsi construits et/ou aménagés dans les différents Länder, pour un coût total supérieur à 200 millions d’euros (EUR). Les détenus y sont placés dans des cellules (d’une superficie comprise entre 14 et 25 m²) qui sont plus grandes que des cellules de prison et qui comportent habituellement un bloc cuisine et une salle de bains séparée ; ils peuvent circuler plus librement à l’intérieur du centre où ils sont accueillis, qui comprend d’autres salles ainsi que des espaces extérieurs destinés à la thérapie, au travail et aux loisirs. Ils sont autorisés à porter leurs vêtements personnels. Dans ces centres, les détenus se voient en particulier proposer une offre thérapeutique complète, personnalisée et pluridisciplinaire qui est plus vaste que celle qui était disponible dans le cadre du régime de détention de sûreté précédent et qui englobe des entretiens psychothérapeutiques visant à encourager les détenus à se faire soigner, des thérapies adaptées aux infractions commises par les délinquants violents et les délinquants sexuels ainsi que des séances de thérapie sociale ; ces mesures, individuelles ou en groupe, font pour certaines intervenir des thérapeutes extérieurs si nécessaire. Tous les centres ont embauché du personnel soignant chargé de dispenser les thérapies requises.
D. Responsabilité pénale et détention des personnes atteintes de troubles mentaux
1. Dispositions relatives à la responsabilité pénale
82. L’article 20 du code pénal contient des règles sur l’irresponsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux. Il prévoit qu’une personne ne peut être déclarée coupable si, au moment où elle commet un acte, elle se trouve, du fait d’un trouble mental pathologique, d’un trouble profond de la conscience, d’une déficience mentale ou d’une autre anomalie mentale grave, incapable d’en apprécier le caractère répréhensible ou d’agir en conséquence de pareille appréciation.
83. L’article 21 du code pénal régit l’atténuation de la responsabilité pénale. Il prévoit que la sanction peut être plus clémente si, pour l’une des raisons énumérées à l’article 20 du code pénal, l’aptitude de l’auteur à apprécier le caractère répréhensible de son geste ou à agir en conséquence de pareille appréciation se trouve grandement diminuée au moment de la commission de l’acte.
2. La détention des personnes atteintes de troubles mentaux
a) La détention régie par l’article 63 du code pénal
84. C’est principalement le code pénal qui régit la détention des personnes atteintes de troubles mentaux, qu’il conçoit comme une mesure d’amendement et de sûreté dans les cas où elle est imposée en lien avec un acte illicite commis par la personne concernée. L’article 63 du code pénal dispose ainsi que si une personne commet un acte illicite alors qu’elle n’est pas pénalement responsable (article 20) ou que sa responsabilité pénale est atténuée (article 21), le tribunal ordonnera son internement en hôpital psychiatrique, pour lequel la loi ne prévoit pas de durée maximale. Une évaluation complète de la personnalité de l’intéressé et de ses actes devra avoir révélé qu’il est susceptible de commettre de nouveaux actes illicites graves en conséquence de son état de santé et qu’il constitue donc un danger pour la société.
b) La détention régie par la loi sur l’internement thérapeutique
85. De plus, le 1er janvier 2011, à la suite de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire M. c. Allemagne (précitée), la loi relative au traitement et à l’internement des délinquants violents souffrant de troubles psychiques (Gesetz zur Therapierung und Unterbringung psychisch gestörter Gewalttäter, la « loi sur l’internement thérapeutique ») entra en vigueur. En vertu des articles 1 § 1 et 4 de cette loi, les chambres civiles du tribunal régional sont en droit d’ordonner le placement dans un établissement adapté de personnes qui ne peuvent plus être maintenues en détention de sûreté compte tenu de l’interdiction d’imposer subséquemment des mesures plus lourdes aux personnes placées en détention de sûreté. Cet internement thérapeutique peut être ordonné si un jugement définitif a reconnu que la personne concernée était coupable de certaines infractions graves justifiant un placement en détention de sûreté en vertu de l’article 66 § 3 du code pénal. Cette personne doit de surcroît présenter un « trouble mental » induisant une forte probabilité que si elle était remise en liberté, elle porterait gravement atteinte à la vie, à l’intégrité physique, à la liberté personnelle ou à l’autodétermination sexuelle d’autrui. La détention de cette personne doit être considérée comme nécessaire aux fins de la protection de la population.
86. Conformément à l’article 2 § 1 de la loi sur l’internement thérapeutique, seuls sont considérés comme adaptés à l’« internement thérapeutique » les établissements qui peuvent garantir, par des soins médicaux et une prise en charge thérapeutique, que le trouble mental que présente la personne concernée sera dûment traité sur la base d’un protocole personnalisé visant à réduire le plus possible la durée de l’internement (point [1]). De plus, les établissements en question doivent veiller à ce que la détention se déroule de la manière la moins pesante pour le détenu, en tenant compte des aspects thérapeutiques et des impératifs de sécurité publique (point [2]). Ils doivent être séparés, sur un plan géographique et organisationnel, des établissements pénitentiaires (point [(3]). En vertu de l’article 2 § 2 de la loi sur l’internement thérapeutique tel qu’en vigueur au 1er juin 2013, les établissements visés à l’article 66c § 1 du code pénal se prêtent également à un internement thérapeutique s’ils respectent les exigences énoncées aux points [1] et [2] de l’article 2 § 1 de cette loi.
87. La Cour constitutionnelle fédérale donna une interprétation restrictive de la loi sur l’internement thérapeutique, déclarant que l’internement au titre de cette loi n’était possible que si les conditions restrictives qui régissaient l’imposition ou la prolongation subséquentes d’une détention de sûreté étaient également respectées (voir la décision de cette juridiction en date du 11 juillet 2013, dossier nos 2 BvR 2302/11 et 2 BvR 1279/12, qui est résumée dans l’arrêt rendu dans l’affaire Bergmann c. Allemagne, no 23279/14, §§ 75-76, 7 janvier 2016, et le paragraphe 72 ci‑dessus). Dans la pratique, une détention a rarement été imposée au titre de cette loi.
88. En ce qui concerne l’interprétation de la notion de « trouble mental » telle que visée à l’article 1 § 1 de la loi sur l’internement thérapeutique, la Cour constitutionnelle fédérale conclut qu’au vu des normes découlant de l’article 5 § 1 e) de la Convention, cette notion n’exigeait pas que le trouble fût sérieux au point d’atténuer ou d’exclure la responsabilité pénale de la personne concernée aux fins des articles 20 et 21 du code pénal (dossier no 2 BvR 1516/11, décision du 15 septembre 2011, paragraphes 35-36 ; et dossier nos 2 BvR 2302/11 et 2 BvR 1279/12, précité).
89. Selon la Cour constitutionnelle fédérale, la notion de « trouble mental » visée à l’article 1 § 1 de la loi sur l’internement thérapeutique couvrait des troubles spécifiques affectant la personnalité, le comportement, la préférence sexuelle et la capacité d’une personne à maîtriser ses pulsions. Cette notion ne se limitait donc pas aux maladies mentales susceptibles d’être traitées cliniquement mais pouvait également englober des troubles de la personnalité dyssociale d’une gravité suffisante (dossier no 2 BvR 1516/11, précité, paragraphes 35-40). Dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg relative à l’article 5 § 1 e) (la Cour constitutionnelle fédérale fit en particulier référence aux arrêts Kronfeldner c. Allemagne, no 21906/09, 19 janvier 2012, et B. c. Allemagne, précité), la Cour constitutionnelle fédérale conclut qu’il pouvait être justifié d’ordonner la détention d’une personne parce qu’elle était aliénée à la condition que cette détention fût exécutée dans un établissement psychiatrique adapté, ce qui nécessitait que le trouble mental présentât l’intensité requise (dossier nos 2 BvR 2302/11 et 2 BvR 1279/12, précité).
c) La détention régie par la législation des Länder sur la sécurité publique
90. En vertu de la législation des Länder en matière de sécurité publique et de prévention des risques, par exemple la loi bavaroise sur l’internement et la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux (Gesetz über die Unterbringung psychisch Kranker und deren Betreuung – la « loi bavaroise sur l’internement des personnes atteintes de troubles mentaux » ) du 5 avril 1992, les juridictions civiles peuvent ordonner l’internement d’une personne en hôpital psychiatrique à la demande des autorités de la commune ou de l’arrondissement si la personne en question est atteinte d’une maladie mentale ou d’un trouble mental résultant d’une déficience intellectuelle ou d’une addiction et représente ainsi une grave menace pour la sécurité et l’ordre publics (articles 1 § 1, 5 et 7 § 3 de la loi, combinés avec les articles 312, point 4, et 313 § 3 de la loi sur la procédure dans les affaires familiales et sur la procédure gracieuse – Gesetz über das Verfahren in Familiensachen und in den Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit). Pareille décision ne pourra être exécutée que si aucune mesure n’a été prise au titre de l’article 63 du code pénal (article 1 § 2 de ladite loi).
E. Données statistiques
91. Selon les éléments statistiques fournis par le Gouvernement, qui ne sont pas contestés par le requérant, le 10 mai 2010, date à laquelle l’arrêt M. c. Allemagne (précité) est devenu définitif, 102 personnes se voyaient appliquer en Allemagne une détention de sûreté qui avait été prolongée de manière subséquente. Le 31 mars 2017, sur tout le territoire de l’Allemagne (qui comptait 81 millions d’habitants environ), 51 129 personnes au total purgeaient une peine de prison et 591 personnes étaient en détention de sûreté. Sur ces 591 personnes, 41 avaient vu leur détention de sûreté ordonnée ou prolongée de manière subséquente.
92. En ce qui concerne les peines de prison de longue durée et les placements en détention de sûreté, les Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe (SPACE I) pour 2015 indiquent que l’on dénombrait cette année-là en Allemagne 2 471 personnes qui purgeaient une peine de prison de dix ans ou plus, contre 7 603 (chiffre disponible pour 2014 uniquement) en France, 9 747 en Italie, 12 012 en Espagne et 16 511 au Royaume-Uni (document PC-CP (2016) 6, pp. 87-88, tableau 7, et SPACE I pour 2014, document PC-CP (2015) 7, p. 90, tableau 7). De plus, 521 personnes faisaient l’objet d’une mesure de sûreté ou d’une ordonnance de détention de sûreté en Allemagne contre 540 en Italie (SPACE I pour 2015, document PC-CP (2016) 6, p. 78, tableau 5.2).
III. ÉLÉMENTS DE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS
1. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies
93. Dans les Observations finales concernant le sixième rapport périodique de l’Allemagne, adoptées par le Comité des droits de l’homme à sa 106e session (15 octobre-2 novembre 2012 – CCPR/C/DEU/CO/6), le Comité des droits de l’homme des Nations unies s’est exprimé ainsi :
« 14. Le Comité accueille avec satisfaction les mesures prises par l’État partie pour réviser sa législation et sa pratique concernant l’internement préventif après condamnation, conformément aux normes relatives aux droits de l’homme, et prend note des informations selon lesquelles un projet de loi sur la question est actuellement en lecture au Parlement, mais il est préoccupé par le nombre de personnes qui sont encore soumises à ce régime. Il est également préoccupé par la durée de cet internement dans certains cas et par le fait que les conditions de détention n’ont pas été jusqu’ici conformes aux prescriptions en matière de droits de l’homme (art. 9 et 10).
L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que l’internement préventif après condamnation soit une mesure de dernier ressort et pour instaurer dans le cadre de ce régime des conditions de détention distinctes de celles auxquelles sont soumis les condamnés et qui soient axées uniquement sur la réadaptation et la réinsertion dans la société. L’État partie devrait prévoir dans le projet de loi en cours d’examen toutes les garanties juridiques permettant de préserver les droits des détenus, y compris une procédure d’évaluation périodique de leur situation sur le plan psychologique qui puisse déboucher sur leur remise en liberté ou sur la réduction de la durée de leur internement. »
2. Le Comité contre la torture des Nations unies (CAT)
94. Dans les Observations finales concernant le cinquième rapport périodique de l’Allemagne, adoptées à sa quarante-septième session (31 octobre-25 novembre 2011 – CAT/C/DEU/CO/5 du 12 décembre 2011), le Comité contre la torture des Nations unies a dit ce qui suit :
« Internement de sûreté
17. Le Comité prend acte de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 mai 2011 dans lequel cette dernière a statué que toutes les dispositions du Code pénal et de la loi sur les tribunaux pour mineurs relatives à l’application et à la durée de l’internement de sûreté étaient contraires à la Constitution, et note avec satisfaction que les autorités fédérales et les Länder ont commencé à appliquer cette décision. Il relève toutefois avec regret l’information selon laquelle plus de 500 personnes sont encore soumises à ce régime, certaines depuis plus de vingt ans (art. 2 et 11).
Le Comité invite instamment l’État partie à :
a) Adapter et modifier ses lois compte tenu de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale d’ici au 31 mars 2013, comme l’a demandé cette juridiction, en vue de réduire les risques inhérents à l’internement de sûreté;
b) Prendre, dans l’intervalle, toutes les mesures nécessaires pour donner effet aux mesures institutionnelles édictées dans la décision de la Cour, notamment en ce qui concerne la libération des personnes faisant l’objet d’un internement de sûreté, la réduction du recours à cette mesure et de sa durée, et tenir compte des dispositions des Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de libertés (Règles de Tokyo) lorsqu’il élaborera des mesures pour remplacer l’internement de sûreté. »
3. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)
95. Dans le rapport au gouvernement allemand du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) relatif à la visite effectuée par lui du 20 novembre au 2 décembre 2005 en Allemagne (CPT/Inf (2007) 18 du 18 avril 2007), les parties consacrées à la détention préventive dans la prison de Berlin-Tegel se lisent ainsi (traduction du greffe) :
« (...)
99. Même à l’égard des autres détenus qui s’adaptaient apparemment mieux à leur situation, le manque d’engagement du personnel dans l’unité n’était pas justifié (...). La délégation a nettement eu l’impression que le personnel lui-même ne savait pas très bien comment aborder son travail avec ces détenus. Il s’agit non seulement de donner aux détenus les moyens de prendre en charge leur vie en détention, mais aussi de leur apporter un soutien constant afin de les aider à faire face à une détention de durée indéterminée et également à gérer le fardeau que font peser sur eux leurs graves antécédents de comportements aberrants ainsi que leurs problèmes psychologiques patents. La prise en charge et l’accompagnement psychologiques sont apparus gravement insuffisants ; le CPT recommande que des mesures soient prises immédiatement pour remédier à cette carence.
100. Il faut s’employer d’urgence à régler au plus haut niveau le délicat problème de la mise en œuvre d’une stratégie cohérente et humaine pour le traitement des personnes placées en détention de sûreté (Sicherungsverwahrung). Le travail auprès de cette catégorie de détenus constitue forcément l’une des tâches les plus difficiles qui puissent être demandées au personnel pénitentiaire.
Étant donné que les détenus placés en détention de sûreté (Sicherungsverwahrung), dont les effectifs sont peu nombreux mais en augmentation, s’y trouvent potentiellement pour une durée indéterminée, il faut avoir une vision particulièrement claire des objectifs de cette unité et de la manière réaliste dont on peut espérer les atteindre. La démarche à adopter requiert qu’une équipe pluridisciplinaire déploie beaucoup d’attention et se livre à un travail intensif et individuel avec les détenus (sur la base de projets individualisés établis dans les plus brefs délais) dans un cadre cohérent permettant aux intéressés de progresser dans la perspective d’une remise en liberté, laquelle devrait être une possibilité réelle. Le système devrait aussi faciliter, le cas échéant, le maintien des contacts familiaux.
Le CPT recommande aux autorités allemandes de lancer immédiatement, à la lumière des observations ci-dessus, une révision de la conception de la détention de sûreté (Sicherungsverwahrung) mise en œuvre à la prison de Berlin-Tegel et, le cas échéant, dans les autres établissements qui accueillent des personnes soumises à ce régime en Allemagne. »
96. Ultérieurement, dans son rapport au gouvernement allemand relatif à la visite effectuée par lui du 25 novembre au 2 décembre 2013 (CPT/Inf (2014) 23 du 24 juillet 2014), le CPT s’exprima ainsi (traduction du greffe) :
« (...)
A. La détention de sûreté (Sicherungsverwahrung)
(...)
10. L’objectif de la visite de 2013 était d’examiner les modalités pratiques de mise en œuvre du nouveau système de détention de sûreté ainsi que les mesures prises par les autorités compétentes à cet égard depuis la visite de 2010. À cette fin, la délégation s’est surtout intéressée à la situation des personnes placées en détention de sûreté dans le Bade-Wurtemberg et dans le Land de Rhénanie-Palatinat (...)
(...)
14. S’agissant des conditions de détention, la délégation a été particulièrement impressionnée par le nouveau quartier de détention de sûreté de la prison de Diez. Les unités d’hébergement sont toutes spacieuses (d’une superficie d’environ 18 m², annexe sanitaire comprise) et bien équipées (de toilettes, d’une douche et d’une kitchenette) (...) Il existe par ailleurs plusieurs salles dans lesquelles les personnes détenues peuvent se réunir ou pratiquer des activités (dont une salle de sport). Il convient également de se féliciter du fait que, dans la journée, les détenus peuvent se déplacer librement dans le bâtiment qui abrite le quartier de détention de sûreté et sortir en plein air ou se rendre dans un autre quartier de détention à leur guise (toute la journée et aussi, sauf les week-ends, en soirée).
15. Dans la prison de Fribourg, les conditions matérielles sont dans l’ensemble satisfaisantes dans le nouveau quartier de détention de sûreté. Les unités d’hébergement sont toutes en excellent état, spacieuses (d’une superficie d’environ 14 m², sans compter l’annexe sanitaire) et bien équipées (...) À chaque étage se trouvent un grand salon-salle à manger (de 50 m² environ, équipé de tables, de chaises, d’un canapé, d’un téléviseur, d’un réfrigérateur et de plantes), une cuisine et une buanderie. Le quartier de détention de sûreté abrite en outre un grand atelier, une salle informatique et une salle de thérapie par l’art. Cela étant, on peut regretter que l’ensemble du quartier de détention de sûreté continue de s’apparenter à une prison et que la liberté de circulation des détenus au sein de l’établissement ainsi que leur accès à la cour de promenade soient plus restreints qu’à la prison de Diez (notamment les week-ends). (...)
À cet égard, le CPT souhaite rappeler que, conformément aux dispositions légales en vigueur, les personnes placées en détention de sûreté ont en principe le droit de sortir en plein air sans restriction et sans limitation, sauf durant les heures de verrouillage nocturne des cellules. (...)
(...)
17. S’agissant du régime de détention et des mesures de traitement (Behandlungsmassnahmen), la délégation a appris que tous les détenus de la prison de Fribourg se voient proposer un travail, des consultations individuelles avec un psychologue et tout un éventail d’activités de loisirs. De plus, un certain nombre de thérapies de groupe leur sont offertes, dont un protocole de traitement destiné aux délinquants sexuels (dix participants, durée d’un an et demi), une formation aux aptitudes sociales (six participants, durée de six à sept mois), des séances de thérapie par l’art (cinq participants), des séances de thérapie par le théâtre et par le mouvement (cinq participants), ainsi qu’un programme de traitement contre les addictions (neuf participants). Sur 58 détenus, 48 prennent part à des consultations individuelles d’accompagnement psychologique, et parmi eux, 13 participent aussi à l’une des thérapies de groupe précitées et 11 sont membres de deux groupes thérapeutiques. Sept détenus ont refusé de prendre part à une thérapie, deux autres viennent d’arriver et aucun programme de traitement n’a encore été prévu pour eux et un détenu n’est apparemment pas capable de participer à un programme de traitement (en raison d’une lésion cérébrale). L’équipe spécialisée se compose de trois psychologues et de quatre travailleurs sociaux (un par étage). La délégation a appris que, si l’on voulait respecter le ratio membres du personnel/détenus en vigueur dans les établissements socio-thérapeutiques, le quartier de détention de sûreté devrait compter au moins six psychologues à temps plein (...). Le chef du service de psychologie a indiqué qu’en raison de la dotation en personnel limitée de l’établissement, il est actuellement impossible d’organiser une thérapie individuelle hebdomadaire (...), impossible de s’occuper des détenus qui manquent de motivation et refusent de s’engager dans des mesures thérapeutiques et impossible d’organiser une thérapie par le milieu de manière efficace.
18. La situation à la prison de Diez apparaît plus inquiétante encore. Bien que l’administration pénitentiaire de Rhénanie-Palatinat ait élaboré en mai 2013 un modèle complet et détaillé de traitement à l’intention des personnes placées en détention de sûreté, la visite a révélé l’existence d’un décalage frappant entre la théorie et la pratique. Sur 40 détenus, seuls 24 bénéficiaient d’une thérapie individuelle et huit participaient à une thérapie de groupe. Il est également regrettable qu’aucune mesure n’ait été prise jusqu’ici par l’administration pénitentiaire pour organiser des séances collectives de thérapie par l’art, par la musique ou par le théâtre, qui pourraient se révéler particulièrement bénéfiques aux détenus ne souhaitant pas ou ne pouvant pas prendre part à un autre programme de thérapie de groupe. En outre, la délégation a constaté que les tentatives faites pour inciter les détenus à assister aux réunions hebdomadaires organisées dans les espaces de vie par le personnel dans le cadre d’une thérapie par le milieu s’étaient dans une large mesure soldées par des échecs.
19. Le CPT reconnaît que la mise en œuvre de la nouvelle législation qui régit la détention de sûreté en est encore à ses débuts et qu’il faudra probablement du temps avant que toutes les mesures prévues ne soient pleinement mises en pratique. Toutefois, il ne fait aucun doute que les ressources disponibles pour les mesures de traitement destinées aux personnes placées en détention de sûreté dans le Bade-Wurtemberg et en Rhénanie‑Palatinat sont insuffisantes pour satisfaire aux exigences découlant de la législation fédérale et des Länder pertinente, qui requiert la mise en place d’un ensemble de programmes axés sur les besoins thérapeutiques et favorisant la liberté et la motivation individuelles (therapiegerichtet, freiheitsorientiert et motivationsfördernd). (...)
Le Comité recommande aux autorités compétentes du Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-Palatinat de redoubler d’efforts pour continuer à élaborer des mesures de traitement individuelles et collectives à l’intention des personnes placées en détention de sûreté dans les prisons de Fribourg et de Diez et d’étoffer le personnel spécialisé en conséquence.
20. Les mesures thérapeutiques proposées aux détenus (...) au sein du service socio-thérapeutique de la prison de Diez ont produit bonne impression sur la délégation. Ce département héberge des personnes en détention de sûreté qui sont considérées comme aptes à suivre un protocole thérapeutique intensif pour délinquants violents et/ou sexuels. (...) »
4. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
97. Dans son rapport du 11 juillet 2007 sur sa visite en Allemagne du 9 au 11 puis du 15 au 20 octobre 2006 (CommDH(2007)14), le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Thomas Hammarberg, déclara ce qui suit sur ce qu’il nomme « l’internement de sécurité », exécuté conformément aux dispositions applicables à l’époque :
« 8.2. L’internement de sécurité
201. Aux termes du droit pénal allemand, un criminel qui a commis une infraction grave, telle que l’homicide ou le viol, peut être maintenu en internement de sécurité (Sicherungsverwahrung) après avoir purgé sa peine de prison. La décision d’internement de sécurité ne peut être prise que par le tribunal qui a rendu le verdict initial, sur la base d’une expertise médicale. La durée de l’internement est indéfinie, mais doit faire l’objet d’un réexamen par le tribunal (...). L’internement de sécurité peut soit être prévu dans le verdict initial, soit être ordonné peu avant l’expiration de la peine d’emprisonnement.
202. Le maintien d’un individu en internement de sécurité n’a pas de vocation punitive, mais vise à protéger la société des crimes qu’il pourrait commettre. En conséquence, les conditions de détention sont adaptées à cette situation spécifique et aucune restriction qui ne serait pas nécessaire n’est appliquée.
203. Au cours de sa visite, le Commissaire a abordé la question de l’internement de sécurité avec plusieurs représentants des autorités des Länder, juges et experts médicaux. Il est conscient des pressions publiques auxquelles sont soumis les juges et les experts médicaux lorsqu’il s’agit de prendre des décisions concernant la libération d’une personne susceptible de commettre à nouveau un crime grave. Il est en effet impossible de prévoir avec certitude si une personne récidivera. Les psychiatres évaluent régulièrement le comportement de détenus qui agiront peut-être différemment en dehors de la prison. Il est en outre difficile de prévoir toutes les situations auxquelles sera confronté le criminel une fois libéré.
204. Le Commissaire recommande de recourir avec une extrême précaution à l’internement de sécurité. D’autres possibilités devraient être envisagées avant de choisir cette solution. Le Commissaire s’inquiète qu’un nombre croissant de personnes soient privées de liberté à la suite d’un internement de sécurité. Il encourage les autorités allemandes à commanditer des études indépendantes sur le recours à l’internement de sécurité afin d’évaluer cette mesure du point de vue de la protection de la société et de ses conséquences pour la personne détenue.
205. Le Commissaire a également pris connaissance de propositions de modifications législatives visant à autoriser le placement a posteriori de délinquants mineurs en internement de sécurité dans les situations extraordinaires. Le Commissaire invite les autorités allemandes à réexaminer ces propositions en raison des conséquences extrêmement graves qu’elles pourraient avoir pour les délinquants mineurs. D’autres mesures devraient être appliquées dans leur cas dès que c’est possible.
206. Le Commissaire a par ailleurs appris que les personnes maintenues en internement de sécurité perdaient en général toute perspective d’avenir et avaient tendance à se laisser aller. Par conséquent, il conviendrait d’envisager une prise en charge psychologique ou psychiatrique de ces détenus. Si le corps médical est parfois divisé quant à l’efficacité des soins fournis à des personnes maintenues en internement de sécurité, l’éventualité de leur réadaptation et libération ne devrait cependant pas être exclue. En conséquence, ces personnes devraient pouvoir bénéficier d’un traitement médical approprié ou d’autres soins adaptés à leur situation particulière. »
IV. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT COMPARÉ
98. Les éléments de droit comparé produits devant la Cour donnent quelques éclaircissements concernant les mesures adoptées par d’autres États parties à la Convention pour protéger leur population des délinquants aliénés condamnés risquant de commettre de nouvelles infractions graves après leur libération. Sur les trente-deux États contractants étudiés, dix autorisent l’application de mesures de protection entraînant une privation de liberté postérieurement à l’exécution d’une peine pénale. Dans la moitié d’entre eux, ces mesures peuvent être ordonnées après l’infliction de la peine. Elles sont imposées par un organe judiciaire. Dans la plupart de ces États, le droit interne ne qualifie pas ces mesures de « peines ». Ces mesures sont exécutées dans différents types d’établissements, qui vont des centres de détention spécialisés aux hôpitaux psychiatriques en passant par les ailes psychiatriques des prisons et les centres de détention ordinaires.
EN DROIT
I. L’OBJET DU LITIGE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE
99. La Grande Chambre note d’emblée que la chambre a rayé du rôle les présentes requêtes pour autant que les griefs formulés par le requérant sur le terrain des articles 5 § 1 et 7 § 1 de la Convention portaient sur la détention de sûreté qu’il avait subie du 6 mai 2011 au 20 juin 2013 dans la prison de Straubing. Cette décision de radiation a été prise au titre de l’article 37 § 1 c) de la Convention à la suite d’une déclaration unilatérale par laquelle le gouvernement défendeur reconnaissait une violation de la Convention à cet égard, le requérant n’ayant pas été détenu pendant ladite période dans un établissement propre à accueillir des patients atteints de troubles mentaux (Ilnseher c. Allemagne, nos 10211/12 et 27505/14, §§ 45-58, 2 février 2017 et paragraphe 5 ci-dessus).
100. La Cour rappelle que le contenu et l’objet de l’« affaire » renvoyée devant la Grande Chambre sont délimités par la décision de la chambre sur la recevabilité (voir, entre autres, K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, §§ 140-141, CEDH 2001-VII, Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, §§ 36-37, CEDH 2002‑V, et Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, § 83, 12 mai 2017). Cela signifie que la Grande Chambre ne peut pas examiner les parties de la requête que la chambre a déclarées irrecevables (Syssoyeva et autres c. Lettonie (radiation) [GC], no 60654/00, § 61, CEDH 2007‑I, Al‑Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse [GC], no 5809/08, § 78, 21 juin 2016, et Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, § 84, 24 janvier 2017).
101. La Cour estime que les mêmes considérations s’appliquent lorsque, comme en l’espèce, des parties des requêtes, au lieu d’être déclarées irrecevables, ont été rayées du rôle de la Cour avant que la chambre ne statue sur leur recevabilité. Ces parties des requêtes ne relèvent donc pas de l’« affaire » renvoyée devant la Grande Chambre.
102. La Cour note que ce point n’est nullement contesté par les parties. Pour appuyer son argumentation, le requérant se fonde sur la déclaration unilatérale du Gouvernement (paragraphe 114 ci-dessous). Ce dernier, qui a indiqué se considérer lui-même comme étant tenu par sa déclaration unilatérale ainsi que par la décision de radiation adoptée par la chambre, a versé au requérant le 28 avril 2017 l’indemnité indiquée dans la déclaration unilatérale et le requérant a accepté ce paiement. La Cour ne voit par conséquent elle non plus aucune raison de prendre une décision telle que prévue à l’article 37 § 2 de la Convention.
103. Partant, la question de savoir si la détention de sûreté dont le requérant a fait l’objet du 6 mai 2011 au 20 juin 2013 dans la prison de Straubing est conforme aux articles 5 § 1 et 7 § 1 de la Convention échappe à la compétence de la Grande Chambre.
II. TERMINOLOGIE
104. À la lumière des constats relatifs à l’objet du litige devant la Cour, la Grande Chambre entend par ailleurs préciser les points suivants. Jusqu’ici dans les arrêts de la Cour, la notion allemande de « nachträgliche Sicherungsverwahrung », qui désigne la détention de sûreté qui a été imposée à un délinquant condamné dans le cadre d’un jugement rendu séparément de sa condamnation pénale et postérieurement à celle-ci, a été traduite en anglais par les expressions « retrospective preventive detention » ou « retrospectively ordered preventive detention , et cette notion a été traduite en français par « détention de sûreté rétroactive » ou « détention de sûreté ordonnée rétroactivement ».
105. La Grande Chambre reconnaît que la décision d’ordonner pareille détention de sûreté renferme un élément rétrospectif dans la mesure où l’adoption de l’ordonnance est soumise à la condition que la personne concernée ait été préalablement condamnée par un jugement à une peine de prison pour une infraction pénale grave. Cependant, cette décision comporte également un important élément prospectif car elle doit être fondée sur une appréciation ex nunc aboutissant à la conclusion qu’il existe un risque que la personne concernée commette de nouvelles infractions à l’avenir. Cet élément prospectif s’est encore trouvé renforcé avec les modifications apportées par la Cour constitutionnelle fédérale et par le législateur allemand au régime de détention de sûreté applicable aux personnes telles que le requérant. En conséquence de ces modifications, il faut de surcroît qu’au moment où l’ordonnance est prise, la personne concernée soit atteinte d’un trouble mental qui la rende dangereuse pour la société.
106. Au vu de ces éléments prospectifs importants, la Grande Chambre considère qu’il est plus adapté de traduire la notion de « nachträgliche Sicherungsverwahrung » respectivement par les expressions « subsequent preventive detention » en anglais et « détention de sûreté subséquente » en français, ce qui exprime l’idée d’une mesure qui est imposée postérieurement à la condamnation et qui, tout en se rapportant à la dernière condamnation en date de la personne concernée, repose pour l’essentiel sur un trouble mental qui existe au moment où la mesure est imposée et qui rend la personne dangereuse.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
107. Le requérant allègue que la mesure de détention de sûreté qui a été ordonnée « rétrospectivement » contre lui et qui a été exécutée à compter du 20 juin 2013 dans le centre de détention de sûreté de Straubing sur le fondement du jugement rendu le 3 août 2012 par le tribunal régional de Ratisbonne a emporté violation de son droit à la liberté garanti par l’article 5 § 1 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée dans ses parties pertinentes en l’espèce :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
(...)
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
(...)
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;
(...) »
108. Le Gouvernement conteste cet argument.
A. L’arrêt de la chambre
109. Eu égard aux considérations que la Cour a formulées dans l’arrêt de principe rendu dans l’affaire Bergmann c. Allemagne (précité, §§ 77-134), la chambre a conclu à la conformité avec l’article 5 § 1 de la détention de sûreté subie par le requérant à compter du 20 juin 2013. Elle a considéré que la détention du requérant était justifiée au regard de l’alinéa e) de l’article 5 § 1, estimant que le requérant, qui était atteint de sadisme sexuel et susceptible de commettre un autre meurtre s’il était remis en liberté, était un « aliéné » aux fins de cette disposition. De plus, elle a conclu que depuis son transfert de la prison au centre de détention de sûreté de Straubing le 20 juin 2013, la détention du requérant était régulière puisqu’elle était exécutée dans un établissement adapté à l’accueil de patients atteints de troubles mentaux.
B. Thèses des parties
1. Le requérant
110. Le requérant allègue que la détention de sûreté qui lui a été infligée sur le fondement du jugement rendu le 3 août 2012 par le tribunal régional de Ratisbonne a emporté violation de l’article 5 § 1 de la Convention à compter du 20 juin 2013 également, tout comme selon lui celle qu’il a subie antérieurement à cette date.
111. Il soutient que sa détention ne se justifiait au regard d’aucun des alinéas a) à f) de l’article 5 § 1. Il estime en particulier qu’elle ne pouvait pas se justifier sous l’angle de l’article 5 § 1 e) en tant que détention d’un « aliéné » d’après l’interprétation que donne selon lui la jurisprudence de la Cour de cette notion (il fait référence aux arrêts Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, et Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 145, CEDH 2012). En premier lieu, le requérant avance qu’il n’a pas été établi de manière probante qu’il était aliéné, contrairement à ce qu’aurait exigé les articles 7 § 2 no 1) et 105 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, combinés avec l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011 (paragraphes 56, 59 et 72 ci-dessus). Il indique que la moitié des experts qui l’ont examiné depuis 1999, y compris l’expert F. qui a été consulté pour les besoins de la procédure en cause, n’ont pas conclu qu’il était atteint d’un trouble mental, et en particulier de sadisme sexuel, ce qui montrerait que l’existence d’un trouble mental réel dans son cas n’a pas été prouvée. Il ajoute que contrairement à ce que préconisait l’article 43 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, aucun des experts n’était qualifié pour examiner des personnes jeunes.
112. En deuxième lieu, le requérant argue que seules les juridictions internes ont établi l’existence chez lui d’un trouble mental et ajoute qu’il se pourrait que la notion de trouble mental au sens de l’article 1 de la loi sur l’internement thérapeutique soit moins restrictive que la notion d’« aliéné » visée à l’article 5 § 1 e) (le requérant fait référence à l’arrêt Glien c. Allemagne, no 7345/12, § 87, 28 novembre 2013). Il prétend qu’il n’a donc pas été établi qu’il était aliéné, c’est-à-dire qu’il présentait un trouble mental justifiant son internement forcé.
113. En troisième lieu, le requérant admet que le droit interne (article 67e du code pénal, voir le paragraphe 64 ci-dessus) conditionnait la validité de son maintien en détention à la persistance d’un trouble mental.
114. Qui plus est, la détention qu’il a subie en tant que patient atteint de troubles mentaux n’aurait pas été régulière au sens de l’article 5 § 1 e). Le Gouvernement aurait reconnu dans sa déclaration unilatérale le caractère illégal du jugement prononcé par le tribunal régional de Ratisbonne le 3 août 2012. Le transfert du requérant dans le nouveau centre de détention de sûreté n’aurait pas suffi à remédier ultérieurement à ce manquement. En l’absence d’un nouveau jugement ordonnant son placement en détention de sûreté, sa détention n’aurait reposé sur aucune base légale après le 20 juin 2013 non plus.
115. La détention de sûreté du requérant à compter du 20 juin 2013 aurait aussi été illégale pour un autre motif : elle ne se serait pas déroulée dans un établissement adapté aux patients atteints de troubles mentaux, contrairement à ce qu’aurait exigé la jurisprudence de la Cour (le requérant fait en particulier référence à l’arrêt Glien, précité, § 75). Le nouveau centre de détention de sûreté de Straubing dans lequel il a été transféré le 20 juin 2013 ne serait pas doté d’un environnement médical et thérapeutique adéquat et ne conviendrait donc pas à la détention d’aliénés. Sur les 57 détenus que ce centre accueillerait au total, cinq seulement, dont le requérant, y seraient internés en tant que patients atteints de troubles mentaux. Par conséquent, le requérant serait détenu dans un environnement pénitentiaire plutôt qu’en milieu psychiatrique.
2. Le Gouvernement
116. Le Gouvernement soutient que la détention de sûreté du requérant à compter du 20 juin 2013 était conforme à l’article 5 § 1. Il estime qu’elle se justifiait au regard de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 en tant que détention d’un « aliéné ».
117. Le Gouvernement explique que dans son arrêt de principe du 4 mai 2011, la Cour constitutionnelle fédérale s’est efforcée d’adapter les normes constitutionnelles aux exigences découlant de l’article 5 § 1 (et aussi de l’article 7 § 1) de la Convention telles que la Cour les aurait définies dans l’arrêt M. c. Allemagne (précité). Il indique que la Cour constitutionnelle fédérale a expressément dit qu’une détention de sûreté subséquente ne pouvait dès lors être ordonnée que si les exigences de l’article 5 § 1 e) étaient satisfaites (paragraphes 72 et 75 ci-dessus).
118. Le Gouvernement argue que les conditions qui, d’après la jurisprudence de la Cour (il fait référence à l’arrêt Bergmann, précité, § 96), auraient dû être remplies pour que le requérant pût être détenu en tant qu’« aliéné » ont été satisfaites. Il expose que, dans le cadre de la procédure au principal, le tribunal régional a consulté deux experts psychiatres externes de renom et que ceux-ci ont établi qu’à l’époque considérée, c’est‑à-dire au moment de l’adoption de l’ordonnance de placement en détention de sûreté subséquente, le requérant présentait un trouble mental réel, en l’occurrence une forme grave de sadisme sexuel. Selon le Gouvernement, la persistance de ce trouble a justifié l’internement forcé du requérant en raison de l’existence d’un risque élevé qu’il commît des crimes violents ou des infractions sexuelles des plus graves s’il était remis en liberté.
119. Comme le confirmerait l’arrêt Glien (précité, § 84), il aurait été possible de considérer le requérant comme un « aliéné » aux fins de l’article 5 § 1 e) alors même qu’il ne présentait pas un état de santé propre à exclure ou à atténuer sa responsabilité pénale au moment de la commission de l’infraction.
120. De plus, la détention du requérant en tant qu’« aliéné » aurait été régulière aux fins de l’article 5 § 1 e) à compter du 20 juin 2013. Elle aurait été fondée sur une base légale suffisamment précise, à savoir les articles 7 § 2 et 105 § 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, combinés avec l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011. Qui plus est, le requérant aurait été interné à compter du 20 juin 2013 dans un établissement apte à recevoir des patients atteints de troubles mentaux.
121. À cet égard, le placement initial du requérant dans une prison n’impliquerait pas que le tribunal régional de Ratisbonne eût ordonné le 3 août 2012 la détention du requérant dans un établissement inapproprié. Au contraire, conformément à l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire M. c. Allemagne (précitée) et à l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 mai 2011, il aurait été prévu que le requérant fût interné dans un établissement adapté (dès que possible). Toutefois, le nouveau centre de détention de sûreté ayant encore été en cours de construction, cela n’aurait pas été matériellement possible avant le 20 juin 2013. Un certain laps de temps aurait donc été nécessaire pour adapter les conditions de la détention de sûreté aux exigences découlant de la Convention. À partir du 20 juin 2013, le requérant aurait été détenu dans un établissement approprié et la violation de l’article 5 § 1 reconnue par le Gouvernement dans sa déclaration unilatérale pour la période allant du 6 mai 2011 jusqu’au 20 juin 2013 aurait alors pris fin, sans que le tribunal régional n’ait à rendre de nouveau jugement.
122. Conformément aux dispositions du nouveau régime juridique de la détention de sûreté applicable au niveau fédéral et des Länder (en particulier l’article 66c du code pénal et la loi bavaroise sur l’exécution de la détention de sûreté ; voir les paragraphes 77-80 ci-dessus), le traitement thérapeutique offert aux malades mentaux placés dans les centres de détention de sûreté, tout en étant adapté au fait que ces personnes étaient pénalement responsables de leurs infractions, aurait été similaire à celui administré aux patients séjournant en hôpital psychiatrique fermé. Les nouvelles modalités de la détention de sûreté privilégieraient désormais le traitement médicamenteux et thérapeutique individualisé des détenus. Les données statistiques disponibles (paragraphe 91 ci-dessus) montreraient que de nombreux détenus dont la détention de sûreté a été ordonnée ou prolongée de manière subséquente ont été remis en liberté depuis que l’arrêt M. c. Allemagne est devenu définitif. Il serait donc clair que seuls certains des détenus concernés ont été considérés comme des « aliénés » et sont demeurés en détention et il ne saurait nullement être question de classer toutes les personnes placées en détention de sûreté dans la catégorie des personnes présentant un trouble mental réel.
123. Dans le centre de détention de sûreté de Straubing qui, pour des raisons pratiques, aurait été construit sur le site de la prison de Straubing mais qui serait complètement distinct de la prison du fait de l’amélioration substantielle des conditions matérielles et de la prise en charge thérapeutique assurée par de nombreux professionnels nouvellement recrutés, le requérant se serait ainsi vu offrir un traitement intensif fondé sur un protocole personnalisé ainsi qu’une thérapie complète. Par ailleurs, si seule une faible proportion des détenus du centre de détention de sûreté auraient été des sadiques sexuels, la plupart auraient souffert de troubles de la personnalité et chacun d’eux aurait reçu un traitement personnalisé spécifiquement adapté à son cas.
C. Le tiers intervenant
124. L’European Prison Litigation Network (EPLN, réseau européen de contentieux pénitentiaire) soutient que l’interprétation que la chambre a donnée de la notion d’« aliéné » au sens de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 dans l’arrêt Bergmann et dans la présente affaire, qui vise selon lui à y englober les personnes placées en détention de sûreté, revient à priver ces personnes de leurs droits conventionnels. L’EPLN estime que l’interprétation de ce terme est trop vaste et imprécise. Il indique que pour la Cour constitutionnelle fédérale, la notion de trouble mental en droit allemand couvre également des troubles non pathologiques. Cependant, selon lui, le terme « aliénés », ou « persons of unsound mind » en anglais, désigne des personnes se trouvant à tout le moins dans un état pathologique grave et dont la capacité à apprécier le caractère répréhensible de leurs actes est abolie ou du moins amoindrie. De plus, pour être condamnées, les personnes concernées devraient être pénalement responsables au moment de la commission de l’infraction, ce qui serait incompatible avec le constat ultérieur de leur aliénation.
125. De l’avis de l’EPLN, dans les affaires Bergmann et Ilnseher, la chambre n’a pas empêché que la notion d’« aliéné » fût assimilée à la dangerosité des personnes concernées et confondue avec elle et n’a donc pas protégé lesdites personnes de l’arbitraire. Cette notion aurait ainsi servi à priver ces personnes de leur liberté en contournant les droits conventionnels tels qu’interprétés dans l’arrêt M. c. Allemagne.
D. Appréciation de la Grande Chambre
1. Récapitulatif des principes pertinents
a) Motifs autorisant une privation de liberté
126. La Cour rappelle que les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 de la Convention renferment une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de liberté ; une privation de liberté n’est donc pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs (Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 123, CEDH 2013, avec d’autres références). Le fait qu’un motif soit applicable n’empêche toutefois pas nécessairement qu’un autre le soit aussi ; une détention peut, selon les circonstances, se justifier sous l’angle de plus d’un alinéa (Kharin c. Russie, no 37345/03, § 31, 3 février 2011, avec les références qui y sont citées). Seule une interprétation étroite de la liste exhaustive des motifs admissibles de privation de liberté cadre avec le but de l’article 5 : assurer que nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Winterwerp, précité, § 37, et Shimovolos c. Russie, no 30194/09, § 51, 21 juin 2011).
127. En ce qui concerne la justification de la détention d’une personne au titre de l’alinéa e) de l’article 5 § 1, la Cour rappelle que le terme « aliéné » doit se concevoir selon un sens autonome (Glien, précité, §§ 78 et suivants). Il ne se prête pas à une définition précise, son sens ne cessant d’évoluer avec les progrès de la recherche psychiatrique (Winterwerp, précité, § 37, et Rakevitch c. Russie, no 58973/00, § 26, 28 octobre 2003). Un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante, c’est-à-dire que l’existence d’un trouble mental réel doit avoir été démontrée devant l’autorité compétente au moyen d’une expertise médicale objective ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (Winterwerp, précité, § 39, Stanev, précité, § 145, et Bergmann, précité, § 96).
128. Il y a lieu de reconnaître aux autorités nationales un certain pouvoir discrétionnaire quand elles se prononcent sur l’internement d’un individu comme « aliéné », car il leur incombe au premier chef d’apprécier les preuves produites devant elles dans un cas donné ; la tâche de la Cour consiste à contrôler leurs décisions sous l’angle de la Convention (Winterwerp, précité, § 40, et S. c. Allemagne, no 3300/10, § 81, 28 juin 2012).
129. Au sujet de la première condition qui doit être remplie pour qu’il soit possible de priver une personne de liberté en tant qu’« aliénée », à savoir qu’il faut avoir démontré devant l’autorité compétente, au moyen d’une expertise médicale objective, l’existence d’un trouble mental réel, la Cour rappelle que bien que les autorités nationales disposent d’un certain pouvoir discrétionnaire, en particulier quand elles se prononcent sur le bien‑fondé de diagnostics cliniques (H.L. c. Royaume-Uni, no 45508/99, § 98, CEDH 2004‑IX), les motifs admissibles de privation de liberté énumérés à l’article 5 § 1 appellent une interprétation étroite. Un état mental doit présenter une certaine gravité pour être considéré comme un trouble mental « réel » aux fins de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 car il doit être sérieux au point de nécessiter un traitement dans un établissement destiné à accueillir des malades mentaux (Glien, précité, §§ 82-85, et Petschulies c. Allemagne, no 6281/13, § 76, 2 juin 2016).
130. Concernant les critères à respecter par une « expertise médicale objective », la Cour considère en général que les autorités nationales sont mieux placées qu’elle-même pour apprécier les qualifications du médecin expert en question (voir, mutatis mutandis, Sabeva c. Bulgarie, no 44290/07, § 58, 10 juin 2010, Biziuk c. Pologne (no 2), no 24580/06, § 47, 17 janvier 2012, et Ruiz Rivera c. Suisse, no 8300/06, § 59, 18 février 2014). Cependant, dans certains cas précis, elle a jugé nécessaire que les médecins experts eussent une qualification spécifique ; elle a en particulier imposé que l’évaluation fût effectuée par un expert psychiatre lorsque la personne internée comme « aliénée » ne présentait pas d’antécédents de troubles mentaux (C.B. c. Roumanie, no 21207/03, § 56, 20 avril 2010, Ťupa c. République tchèque, no 39822/07, § 47, 26 mai 2011, Ruiz Rivera, précité, § 59, et Vogt c. Suisse (déc.), no 45553/06, § 36, 3 juin 2014) et aussi parfois que ce fût un expert extérieur qui s’en chargeât (voir à cet égard Ruiz Rivera, précité, § 64).
131. Pour passer pour objective, l’expertise médicale doit de plus être suffisamment récente (Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 47, CEDH 2000‑X, Witek c. Pologne, no 13453/07, § 41, 21 décembre 2010, Ruiz Rivera, précité, § 60, et W.P. c. Allemagne, no 55594/13, § 49, 6 octobre 2016). La réponse à la question de savoir si l’expertise médicale était suffisamment récente dépend des circonstances particulières de la cause (Aurnhammer c. Allemagne (déc.), no 36356/10, § 35, 21 octobre 2014).
132. Comme elle l’a souligné dans le contexte de la détention de sûreté des délinquants dangereux, la Cour rappelle que pour qu’un trouble mental soit réputé attesté devant une autorité compétente, et en particulier devant les juridictions internes, celles-ci doivent avoir établi de manière suffisante, en s’appuyant sur une expertise médicale adéquate, les faits pertinents sur lesquels elles fondent la décision de placer la personne concernée en détention (voir, pour l’article 5 § 1 a), H.W. c. Allemagne, no 17167/11, §§ 107 et 113, 19 septembre 2013, et Klinkenbuß c. Allemagne, no 53157/11, § 48, 25 février 2016, et, pour l’article 5 § 1 e), W.P. c. Allemagne, précité, § 49). De l’avis de la Cour, l’autorité nationale doit pour cela soumettre l’expertise qui lui est communiquée à un examen scrupuleux et décider elle-même, au vu des éléments qui lui ont été fournis, si la personne concernée souffrait d’un trouble mental.
133. En ce qui concerne la deuxième condition qui doit être remplie pour qu’il soit possible de priver un individu de sa liberté pour cause « d’aliénation », à savoir que le trouble mental revête un caractère ou une ampleur légitimant l’internement (paragraphe 127 ci-dessus), la Cour rappelle qu’un trouble mental peut passer pour présenter une ampleur légitimant l’internement s’il est établi que cette mesure s’impose car la personne concernée a besoin, pour guérir ou pour voir son état s’améliorer, d’une thérapie, de médicaments ou de tout autre traitement clinique, mais également lorsqu’il s’avère nécessaire de la surveiller pour l’empêcher, par exemple, de se faire du mal ou de faire du mal à autrui (voir, par exemple, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 52, CEDH 2003-IV, et Petschulies, précité, § 61).
134. La date pertinente à laquelle l’aliénation d’une personne doit avoir été établie de manière probante au regard des exigences de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 est celle de l’adoption de la mesure la privant de sa liberté en raison de son état (Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 28, série A no 75, et B. c. Allemagne, précité, § 68, et Bergmann, précité, § 98). Comme le montre toutefois la troisième condition minimum à respecter pour que la détention d’un aliéné soit justifiée, à savoir que l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance du trouble mental (paragraphe 127 ci-dessus), toute évolution éventuelle de la santé mentale du détenu postérieurement à l’adoption de l’ordonnance de placement en détention doit être prise en compte.
b) Détention « régulière » « selon les voies légales »
135. Toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions énoncées aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure (voir, parmi beaucoup d’autres, Erkalo c. Pays‑Bas, 2 septembre 1998, § 52, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI, Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 50, CEDH 2000-III, et Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 67, CEDH 2008).
136. Toutefois, le respect du droit national n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi beaucoup d’autres, Winterwerp, précité, §§ 37 et 45, Saadi, précité, § 67, et Reiner c. Allemagne, no 28527/08, § 83, 19 janvier 2012).
137. Pour que la détention puisse passer pour « régulière » et dépourvue d’arbitraire, il convient de démontrer que la privation de liberté était indispensable au vu des circonstances (Varbanov, précité, § 46, et Petschulies, précité, § 64). La privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (C.B. c. Roumanie, précité, § 48, Karamanof c. Grèce, no 46372/09, § 42, 26 juillet 2011, Stanev, précité, § 143, et V.K. c. Russie, no 9139/08, § 30, 4 avril 2017 ainsi que les références qui y sont citées).
138. De plus, pour que la détention soit « régulière », il faut qu’il existe un certain lien entre, d’une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et, de l’autre, le lieu et le régime de la détention. En principe, la « détention » d’une personne comme malade mental ne sera « régulière » au regard de l’alinéa e) du paragraphe 1 que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié (Hutchison Reid, précité, § 49, Brand c. Pays-Bas, no 49902/99, § 62, 11 mai 2004, Glien, précité, § 75, et Bergmann, précité, § 99, ainsi que les références qui y sont contenues).
139. La Cour observe dans ce contexte que, comme l’illustre la présente affaire, les conditions de détention d’une personne peuvent évoluer au fil de la détention alors même que celle-ci reste fondée sur une seule et unique ordonnance.
140. Elle observe que dans l’affaire W. P. c. Allemagne (précitée, §§ 24 et suivants), la Cour a rayé la requête du rôle pour autant qu’elle portait sur des violations alléguées de l’article 5 § 1 (et de l’article 7 § 1) de la Convention après que le Gouvernement eut fait une déclaration unilatérale reconnaissant que ces dispositions avaient été méconnues pendant une première période de détention, le requérant n’ayant pas été détenu dans un établissement adapté. Concernant la seconde période de détention, qui a commencé après le transfert de M. W.P. dans un établissement différent mais toujours sur la base de la même ordonnance de placement en détention, la Cour a jugé que cette détention était conforme à l’article 5 § 1 (et à l’article 7 § 1) parce que l’intéressé avait été détenu dans un établissement propre à accueillir des patients atteints de troubles mentaux et que cette seconde période de détention avait pour but de traiter son trouble mental.
141. L’analyse retenue par la Cour implique ainsi que la détention d’un aliéné sur le fondement d’une seule et même ordonnance de placement en détention peut devenir régulière, et donc conforme à l’article 5 § 1, dès lors que la personne est transférée dans un établissement adapté. Selon l’interprétation susmentionnée du terme « régularité », il existe bien un lien intrinsèque entre la régularité d’une privation de liberté et ses conditions d’exécution. Cette position est de surcroît comparable à l’analyse adoptée dans l’examen de la conformité des conditions de détention à l’article 3, où une évolution des conditions de détention joue également un rôle déterminant dans l’appréciation du respect de l’interdiction des traitements dégradants (voir, en particulier, Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, §§ 136 et suivants, CEDH 2016). Il en résulte que le moment ou la période à retenir lorsqu’il s’agit de rechercher si une personne a été détenue dans un établissement propre à accueillir des patients atteints de troubles mentaux est la période de détention en cause dans la procédure devant la Cour, et non le moment où l’ordonnance de placement en détention a été prise.
2. Application de ces principes au cas d’espèce
142. La Cour est appelée à déterminer, à la lumière des principes susmentionnés, si la détention de sûreté en cause appliquée au requérant relevait de l’un des motifs autorisant la privation de liberté énumérés aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 et si elle était « régulière » aux fins de cette disposition, et donc conforme à l’article 5 § 1.
143. La Cour tient à préciser que la période en cause dans la procédure devant la Grande Chambre a commencé le 20 juin 2013, date à laquelle le requérant a été transféré de la prison de Straubing dans le nouveau centre de détention de sûreté de Straubing (paragraphe 46 ci-dessus). Comme démontré ci-dessus (paragraphes 99-103), la période antérieure comprise entre le 6 mai 2011 et le 20 juin 2013 échappe à la compétence de la Grande Chambre. La période en cause a pris fin le 18 septembre 2014, date à laquelle une nouvelle décision ordonnant le maintien du requérant en détention de sûreté a été adoptée dans le cadre de la procédure de contrôle juridictionnel périodique (paragraphe 42 ci-dessus), que le requérant a eu la possibilité de contester séparément devant les juridictions internes.
a) Motifs de privation de liberté
144. Dans son examen destiné à déterminer si la détention du requérant pouvait se justifier au regard de l’un des alinéas a) à f) de l’article 5 § 1, la Cour observe d’emblée que le placement de celui-ci en détention de sûreté a été ordonné subséquemment, par un jugement séparé en date du 3 août 2012, qui a été rendu après le jugement prononcé par le tribunal du fond le 29 octobre 1999. Au vu de la jurisprudence constante de la Cour (M. c. Allemagne, précité, §§ 96-101, Glien, précité, § 107, et Bergmann, précité, § 104, concernant une détention de sûreté prolongée de manière subséquente, ainsi que B. c. Allemagne, précité, §§ 71-76, et S. c. Allemagne, précité, §§ 84-90, concernant une détention de sûreté imposée de manière subséquente), la détention du requérant ne pouvait donc pas se justifier au regard de l’alinéa a) de l’article 5 § 1 comme une détention « après condamnation » faute d’un lien de causalité suffisant entre sa condamnation prononcée par le tribunal du fond – qui ne comportait pas d’ordonnance de placement en détention de sûreté – et la privation de liberté qui lui a été infligée en 2012 en conséquence de l’ordonnance de placement en détention de sûreté.
145. De même, la Cour considère que la détention de sûreté du requérant ne pouvait pas se justifier au titre de l’alinéa c) de l’article 5 § 1 par l’existence de « motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ». En vertu de la jurisprudence constante de la Cour, ce motif de détention ne se prête pas à une politique de prévention générale dirigée contre une personne qui se révèle dangereuse par sa propension à la délinquance. Il ménage seulement aux États contractants le moyen d’empêcher une infraction concrète et déterminée, notamment en ce qui concerne le moment et le lieu de sa commission ainsi que les victimes potentielles (M. c. Allemagne, précité, §§ 89 et 102, et les références qui y sont citées, et Jendrowiak c. Allemagne, no 30060/04, § 35, 14 avril 2011), ce qui ne couvre pas les autres infractions potentielles que le requérant pouvait commettre. Les parties ne contestent d’ailleurs pas ce point.
146. La Cour examinera donc si, comme le soutient le Gouvernement et comme le conteste le requérant, la détention de ce dernier pouvait se justifier en tant que détention d’un aliéné aux fins de l’article 5 § 1 e). Tel qu’indiqué ci-dessus (paragraphes 127 et 134), cela suppose en premier lieu qu’au moment où la décision d’ordonner son placement en détention de sûreté a été prise le 3 août 2012, son aliénation ait été établie de manière probante, c’est-à-dire qu’il faut que l’existence d’un trouble mental réel ait été démontrée devant l’autorité compétente au moyen d’une expertise médicale objective.
147. La Cour observe que le tribunal régional, qui avait consulté deux experts psychiatres extérieurs, K. et F., a considéré que le requérant présentait un trouble de la préférence sexuelle, à savoir un sadisme sexuel tel que décrit par l’outil pertinent pour la classification des maladies, la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes, dans sa version en vigueur à l’époque (CIM-10). Le tribunal a estimé établi que le requérant nourrissait des fantasmes de violences sexuelles dans lesquels il saisissait des femmes à la gorge, les étranglait et se masturbait sur leur corps inanimé. Ce sadisme sexuel présentait un caractère grave et avait affecté le développement du requérant depuis son adolescence. Le trouble mental en question avait été à l’origine du crime brutal qu’il avait commis, s’était manifesté à travers lui et persistait. Le requérant souffrait donc d’un trouble mental aux fins de l’article 1 § 1 de la loi sur l’internement thérapeutique. Le tribunal a précisé qu’en vertu de cette loi, il n’était pas nécessaire qu’un trouble mental présentât un niveau de gravité tel qu’il exclût ou atténuât la responsabilité pénale de la personne concernée (paragraphes 32-37 ci-dessous).
148. Cherchant à déterminer si l’on peut de ce fait dire que le tribunal régional a établi chez le requérant l’existence d’un trouble mental réel aux fins de l’article 5 § 1 e) de la Convention, la Cour note que le requérant conteste ce point, arguant que le tribunal a donné du terme « trouble mental » une interprétation qui pourrait être plus large que le sens que revêt le terme « aliéné » et qu’il ne souffrait pas d’un trouble mental (paragraphes 111-112 ci-dessus). Pour sa part, le tiers intervenant avance que le terme « aliénés » devrait se comprendre comme n’englobant que des personnes se trouvant dans un état pathologique grave et dont la capacité à apprécier le caractère répréhensible de leurs actes est abolie ou du moins amoindrie (paragraphe 124 ci-dessus).
149. Étant donné que la notion d’aliéné doit se concevoir selon un sens autonome, il n’est pas indispensable que la personne concernée ait souffert d’un état de santé tel qu’il aurait exclu ou atténué sa responsabilité pénale selon le droit pénal interne au moment où elle a commis une infraction (voir également Glien, précité, §§ 83-84, et Petschulies, précité, §§ 74-75).
150. La Cour renvoie par ailleurs à ses conclusions antérieures, sur lesquelles s’appuie le requérant, selon lesquelles il apparaît que la notion d’« aliéné » (« persons of unsound mind » dans la version anglaise) figurant à l’article 5 § 1 e) de la Convention pourrait être plus restrictive que la notion de « trouble mental » (« psychische Störung ») visée à l’article 1 § 1 de la loi sur l’internement thérapeutique (Glien, précité, §§ 87-88, Bergmann, précité, § 113, et W.P. c. Allemagne, précité, § 60). Cependant, la Convention n’impose pas que les notions employées en droit interne, et en particulier la notion de trouble mental aux fins de l’article 1 § 1 de la loi sur l’internement thérapeutique, soient définies ou interprétées de la même manière que les termes figurant dans la Convention. De l’avis de la Cour, l’élément déterminant est en revanche le point de savoir si, dans l’affaire dont elles se trouvent saisies, les juridictions internes ont établi l’existence d’un trouble qui peut passer pour constituer un trouble mental réel tel que défini par la jurisprudence de la Cour. Dans ce contexte, la Cour souligne une fois encore que les motifs autorisant la privation de liberté appellent une interprétation étroite (paragraphes 126 et 129 ci-dessus).
151. En l’espèce, comme décrit en détail ci-dessus, les juridictions internes ont conclu que le requérant était atteint d’une forme de sadisme sexuel qui doit être considérée comme présentant un caractère grave. Selon elles, l’état de santé du requérant nécessitait une thérapie complète qui devait lui être dispensée soit dans le centre de détention de sûreté soit dans un hôpital psychiatrique (paragraphes 32-37 ci-dessus). La Cour considère donc que l’état de santé qui a été diagnostiqué chez le requérant était constitutif d’un trouble mental réel aux fins de l’article 5 § 1 e).
152. En ce qui concerne l’exigence selon laquelle le constat d’un trouble mental réel doit être fondé sur une expertise médicale objective, la Cour prend note de l’argument avancé par le requérant, qui soutient qu’un certain nombre d’experts n’ont pas conclu qu’il souffrait d’un trouble mental et que les experts consultés pour les besoins de la procédure en cause n’étaient pas qualifiés pour examiner des personnes jeunes (paragraphe 111 ci-dessus). Comme indiqué plus haut, c’est en premier lieu aux juridictions internes qu’il appartient d’évaluer les qualifications des médecins experts qu’elles consultent (paragraphe 130 ci-dessus). Dans la procédure en cause, le tribunal régional a consulté deux experts psychiatriques externes expérimentés, K. et F., lesquels, en résumé, ont tous deux considéré que le requérant présentait un sadisme sexuel (paragraphe 35 ci-dessus). Avant de conclure que le requérant était atteint de sadisme sexuel, le tribunal s’est en outre appuyé sur les constats dressés par plusieurs médecins experts qui avaient examiné le requérant depuis son arrestation (paragraphe 36 ci‑dessus). Le requérant, qui avait trente-trois ans au moment où les experts ont établi leur rapport, n’a pas avancé d’éléments spécifiques de nature à démontrer que les experts consultés ne disposaient manifestement pas des qualifications nécessaires pour évaluer sa santé mentale et sa dangerosité. La Cour estime donc que la conclusion rendue par le tribunal régional, qui a été confirmée en appel, reposait sur une expertise médicale objective.
153. Sur le point de savoir si les juridictions internes ont « établi » que le requérant présentait un trouble mental réel aux fins de l’article 5 § 1 e), la Cour note que le tribunal régional de Ratisbonne, dans le jugement litigieux du 3 août 2012, a scrupuleusement examiné les conclusions énoncées dans les rapports produits par les deux experts psychiatres qu’il avait consultés, de même que les conclusions rendues par de nombreux médecins experts qui avaient déjà examiné le requérant depuis son arrestation après la commission de l’infraction, et décidé sur cette base qu’il était atteint de sadisme sexuel (paragraphes 34-36 ci-dessus).
154. Dans ce contexte, la Cour ne perd pas de vue que le tribunal régional a estimé en 2012 dans la procédure en cause que le requérant souffrait de ce trouble mental grave, tandis que le tribunal du fond n’avait pas jugé que le requérant présentait un trouble mental sévère et avait donc conclu que sa responsabilité pénale était pleinement engagée au moment où il avait commis son infraction en 1997. Cela ne suffit toutefois pas à mettre en doute l’établissement des faits effectué par les juridictions internes concernant la santé mentale du requérant telle qu’elle se présentait dans les circonstances de la procédure en cause en l’espèce, c’est-à-dire à partir du 20 juin 2013 (paragraphe 103 ci-dessus).
155. À cet égard, il convient de noter en premier lieu que les juridictions nationales disposent d’un certain pouvoir discrétionnaire quand elles se prononcent sur le bien-fondé de diagnostics cliniques. De plus, dans l’affaire du requérant, le tribunal régional a en réalité évoqué la manière dont l’appréciation portée sur la santé mentale de l’intéressé par les médecins experts et la justice avait évolué. Au vu des éléments en sa possession, il a conclu que, lors de son procès en 1999, le requérant avait dissimulé les pulsions sadiques qui avaient été à l’origine de son infraction. Le tribunal du fond, qui avait lui aussi consulté deux médecins experts, avait néanmoins déjà discerné des signes indiquant que le jeune homme présentait une déviance sexuelle. Mais ce ne fut qu’en 2005/2006 que le requérant avoua à deux experts ses fantasmes de violences sexuelles qu’il avait assouvis en perpétrant ce meurtre. Le tribunal régional a de surcroît expliqué que ces nouvelles déclarations faites par le requérant à propos de ses fantasmes étaient davantage compatibles avec les conclusions rendues par la juridiction de jugement sur la manière dont l’infraction avait été commise (paragraphe 36 ci-dessus).
156. À cet égard, la Cour ajoute que les éléments statistiques dont elle dispose (paragraphe 91 ci-dessus) montrent qu’un nombre considérable de personnes qui avaient été soumises à une détention de sûreté ordonnée ou prolongée de manière subséquente ont été remises en liberté depuis l’adoption de l’arrêt M. c. Allemagne (précité). On peut y voir le signe que la santé mentale des personnes soumises à une détention de sûreté qui avait été ordonnée de manière subséquente donne effectivement lieu à une appréciation individuelle.
157. Par ailleurs, la santé mentale d’une personne est susceptible d’évoluer au fil du temps. Comme indiqué ci-dessus, sous l’angle de l’article 5 § 1 e), il suffit de déterminer si la personne concernée est aliénée à la date de l’adoption de la mesure qui la prive de liberté (et non à la date de la commission d’une infraction antérieure, qui, en tout état de cause, ne constitue pas une condition préalable à la détention en vertu de cet alinéa). Qui plus est, pour apprécier si le trouble mental revêt un caractère ou une ampleur légitimant l’internement forcé, il est d’ordinaire nécessaire d’apprécier la dangerosité de la personne au moment de l’adoption de l’ordonnance et pour l’avenir. Au vu de ces éléments essentiels de caractère prospectif, il est plus judicieux de dire que la détention de sûreté qui a été ordonnée contre le requérant était « subséquente » à l’infraction et à la condamnation qui l’ont précédée, même si pour apprécier sa dangerosité, il conviendrait également de tenir compte de ses infractions passées, ce qui induit un aspect rétrospectif (voir également les paragraphes 104-106 ci‑dessus).
158. La Cour estime par ailleurs qu’en ce qui concerne la deuxième condition préalable requise pour qu’une personne puisse être qualifiée d’« aliénée », le tribunal régional a considéré à juste titre que le trouble mental dont le requérant était atteint revêtait un caractère ou une ampleur légitimant l’internement forcé, compte tenu de l’existence d’un risque élevé, qui a été établi par ce tribunal, que le requérant, du fait de ce trouble, commît de nouveau une infraction grave similaire à celle dont il avait été reconnu coupable, c’est-à-dire un autre meurtre à caractère sexuel, s’il était remis en liberté.
159. En troisième lieu, la validité du maintien en détention du requérant était conditionnée par la persistance de son trouble mental. Conformément au droit interne (article 67d § 2 du code pénal, combiné avec l’article 316f §§ 2 et 3 de la loi introductive au code pénal, voir le paragraphe 65 ci-dessus), les juridictions internes ne pouvaient ordonner son maintien en détention de sûreté à l’occasion des procédures ultérieures de contrôle juridictionnel périodique (paragraphes 42 et 64 ci-dessus) que s’il existait un risque élevé que l’intéressé récidivât du fait de ce trouble s’il était remis en liberté et uniquement tant que ce risque existerait. Rien dans le dossier n’indique que ce risque avait cessé d’exister pendant la période en cause en l’espèce.
160. La Cour en conclut que le requérant était un « aliéné » aux fins de l’article 5 § 1 e).
b) « Détention régulière » « selon les voies légales »
161. À propos de la régularité de la détention du requérant, la Cour note que cette détention a été ordonnée par un jugement rendu par le tribunal régional le 3 août 2012 et confirmée en appel, en application des articles 7 § 2 no 1 et 105 § 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, combinés avec l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011 (paragraphes 56, 59 et 72 ci-dessus).
162. La Cour prend note de l’argument du requérant, qui avance que le jugement rendu par le tribunal régional le 3 août 2012 était illégal, comme l’aurait concédé le Gouvernement dans sa déclaration unilatérale, et que la détention en cause ne reposait donc sur aucune base légale. Elle relève cependant que, dans sa déclaration unilatérale, le Gouvernement a seulement reconnu que, pendant une période antérieure à celle en cause en l’espèce, le requérant n’avait pas été détenu dans un établissement propre à accueillir des patients atteints de troubles mentaux (paragraphe 99 ci‑dessus), ce qui ne jette pas le doute sur la validité de l’ordonnance de placement en détention en tant que telle et donc sur la conformité de la détention du requérant avec le droit interne.
163. La Cour observe à cet égard que, comme le Gouvernement l’explique de manière convaincante, le tribunal régional, dans son jugement du 3 août 2012, n’a pas imposé que le requérant fût placé en détention de sûreté dans un établissement particulier mais a simplement ordonné de manière générale son placement en détention de sûreté. En vertu des principes établis par la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt de principe (paragraphes 15 et 68-75, et en particulier 75, ci-dessus), tels que le tribunal régional les a appliqués, cela signifiait que le requérant devait être détenu dans un établissement adapté. En transférant le requérant le 20 juin 2013 dans le centre de détention de sûreté les autorités se sont donc conformées à l’ordonnance initiale prise par le tribunal régional, laquelle demeurait une base valide pour la détention du requérant.
164. Pour que l’on puisse considérer que la détention du requérant était régulière au regard de l’article 5 § 1 e), elle devait en outre se dérouler dans un établissement adapté aux malades mentaux. Conformément à la jurisprudence de la Cour (paragraphes 138-141 ci-dessus), l’appréciation à cet égard doit porter sur la période de détention ici en cause, qui court du 20 juin 2013 jusqu’à la date à laquelle a été prise la décision relative au maintien en détention de sûreté du requérant à l’issue du contrôle juridictionnel périodique suivant, c’est-à-dire le 18 septembre 2014, et non sur le moment où l’ordonnance de placement en détention a été adoptée (ici le 3 août 2012). Pendant la période comprise entre le 20 juin 2013 et le 18 septembre 2014, le requérant a été détenu dans le centre de détention de sûreté nouvellement construit à Straubing.
165. La Cour note que le requérant ne conteste pas que les soins médicaux et thérapeutiques dont il a bénéficié dans ce centre ont marqué un changement par rapport aux conditions qui prévalaient à la prison de Straubing. La Cour observe, au vu des éléments dont elle dispose, qu’au total 71 membres du personnel s’occupent de 84 détenus au maximum dans le centre de détention de sûreté de Straubing (paragraphe 46 ci-dessus). En particulier, un psychiatre, sept psychologues, un médecin et quatre infirmiers sont spécifiquement chargés de dispenser le traitement médical et thérapeutique. Un large éventail de traitements sont offerts aux personnes atteintes de troubles mentaux, par exemple des protocoles de traitement destinés aux délinquants violents ou aux délinquants sexuels, des thérapies individuelles adaptées aux besoins des détenus, une thérapie sociale en groupe ainsi qu’un soutien socio-pédagogique personnalisé, faisant intervenir si nécessaire des thérapeutes extérieurs. Le requérant s’est vu en particulier proposer une thérapie sociale individuelle ou en groupe, la participation à un programme de traitement intensif destiné aux délinquants sexuels et une thérapie assurée par un psychiatre externe.
166. La Cour prend note de l’argument du requérant selon lequel, malgré ces éléments, le centre de détention de sûreté ne constituait pas un établissement propre à accueillir des patients atteints de troubles mentaux, étant donné que, d’après lui, la majorité des personnes qui s’y trouvaient en détention de sûreté ne présentaient pas de trouble mental avéré.
167. La Cour observe que, conformément à l’exigence constitutionnelle de différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement, toutes les personnes qui sont placées en détention de sûreté, qu’elles soient détenues parce qu’elles présentent un trouble mental ou non, bénéficient désormais de manière générale de conditions matérielles de détention nettement améliorées par rapport à celles qu’elles connaissaient lorsqu’elles séjournaient dans les ailes distinctes qui leur étaient réservées à l’intérieur des prisons (paragraphe 81 ci-dessus). Ce constat ne justifie toutefois pas de conclure que la prise en charge médicale et thérapeutique proposée dans le centre de détention de sûreté ne convient pas aux malades mentaux tels que le requérant. Comme indiqué ci-dessus, un protocole de traitement personnalisé répondant à ses besoins et à sa santé mentale est proposé au requérant. La Cour prend par ailleurs note de l’explication avancée par le Gouvernement, qui indique que dans ce centre, un grand nombre de détenus présentent au moins des troubles de la personnalité qui appellent un traitement, et qu’un traitement personnalisé spécifiquement adapté à leurs troubles est dispensé à tous les détenus.
168. Au vu de ces facteurs, la Cour estime que l’on a offert au requérant l’environnement thérapeutique convenant à une personne détenue en tant que patient atteint de troubles mentaux et que, aux fins de l’article 5 § 1 e), le requérant était donc détenu dans un établissement adapté. La Cour relève à ce propos qu’elle a déjà tiré cette même conclusion concernant l’adéquation d’un nouveau centre de détention de sûreté à l’accueil de malades mentaux, notamment relativement au requérant dans l’affaire Bergmann (précitée, §§ 118-128).
169. Qui plus est, pour que la détention puisse être considérée comme « régulière » et dépourvue d’arbitraire, il faut démontrer que la privation de liberté était nécessaire au vu des circonstances (paragraphe 137 ci-dessus). En l’espèce, comme indiqué ci-dessus (paragraphes 33 et 158), les juridictions internes ont conclu qu’il existait un risque élevé que le requérant, s’il était libéré, commît un nouveau crime à caractère sexuel, et elles n’ont pas estimé que des mesures moins sévères qu’une privation de liberté suffiraient à protéger les intérêts individuels et collectifs. Étant donné que dans les circonstances de la cause, les juridictions internes ont, en s’appuyant sur les avis rendus par des experts, établi qu’il existait un risque considérable que les individus concernés ne fussent victimes de l’une des infractions les plus graves réprimées par le code pénal allemand, la Cour considère qu’il a également été démontré que la privation de liberté imposée au requérant était nécessaire dans ces circonstances.
c) Conclusion
170. Il s’ensuit que la détention de sûreté du requérant ordonnée subséquemment, pour autant qu’elle a été exécutée en application du jugement litigieux du 20 juin 2013 jusqu’au 18 septembre 2014 dans le centre de détention de sûreté de Straubing, était justifiée au regard de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 en tant que détention régulière d’un « aliéné ».
171. Partant, la Cour conclut à la non-violation de l’article 5 § 1 de la Convention à cet égard.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 § 1 DE LA CONVENTION
172. Le requérant allègue en outre que la détention de sûreté qui a été ordonnée contre lui de manière « rétrospective » et qui a été exécutée sur le fondement du jugement rendu le 3 août 2012 par le tribunal régional de Ratisbonne dans le centre de détention de sûreté de Straubing à compter du 20 juin 2013 a également emporté violation de son droit à ne pas se voir infliger une peine plus lourde que celle qui était applicable à l’époque où il avait commis l’infraction, à savoir en juin 1997. Il invoque l’article 7 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. »
173. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. L’arrêt de la chambre
174. La chambre a estimé que les considérations relatives à l’article 7 § 1 énoncées dans l’affaire Bergmann (précitée), qui concernait une détention de sûreté qui avait été prolongée au-delà d’une durée maximale anciennement autorisée, s’appliquaient aussi au cas d’espèce, qui porte sur une détention de sûreté qui a été ordonnée « rétrospectivement » par un jugement distinct. Comme dans l’arrêt Bergmann, la chambre a conclu que lorsque la détention de sûreté était ordonnée ou prolongée, et ne pouvait que l’être, aux fins du traitement d’un trouble mental dans un établissement adapté, l’élément punitif de la détention de sûreté et son lien avec la condamnation pénale de l’intéressé s’effaçaient au point que la mesure n’était plus constitutive d’une peine au sens de l’article 7 § 1. Elle a considéré que la détention de sûreté du requérant ne pouvait donc plus être qualifiée de peine et que partant, il n’y avait pas eu violation de l’article 7 § 1 de la Convention.
B. Thèses des parties
1. Le requérant
175. Le requérant estime que la détention de sûreté qu’il a subie à compter du 20 juin 2013 dans le centre de détention de sûreté de Straubing a emporté violation de l’article 7 § 1 de la Convention.
176. Il soutient que sa détention de sûreté a été ordonnée de manière « rétrospective ». En effet, au moment où il a commis son infraction, en juin 1997, la loi sur les tribunaux pour mineurs n’autorisait pas encore l’adoption d’ordonnances de placement en détention de sûreté contre les jeunes délinquants et, par conséquent, le jugement par lequel il a été condamné en 1999 ne comportait pas d’ordonnance de placement en détention de sûreté. Le requérant avance que ce n’est que le 12 juillet 2008 que l’article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, qui autorisait selon lui l’adoption d’ordonnances « rétrospectives » de placement en détention contre des jeunes délinquants, est entré en vigueur (paragraphes 54-57 ci-dessus), et que c’est sur cet article que s’est fondée l’ordonnance de placement en détention de sûreté prise contre lui le 3 août 2012.
177. Qui plus est, le requérant considère que sa détention de sûreté doit être qualifiée de peine. À son avis, la date à retenir pour apprécier si une mesure imposée à une personne par un jugement constitue une peine aux fins de l’article 7 § 1 est celle du prononcé du jugement ayant ordonné ladite mesure. Il argue que le 3 août 2012, au moment du prononcé du jugement ayant ordonné sa détention de sûreté qui fut alors exécutée à la prison de Straubing, cette détention était constitutive d’une peine, ce que le Gouvernement aurait reconnu dans sa déclaration unilatérale. Il soutient que le jugement du 3 août 2012 est demeuré contraire à la Convention et que l’ordonnance de placement en détention de sûreté qu’il contenait était entachée d’illégalité, y compris après son transfert dans le nouveau centre de détention de sûreté. Selon le requérant, il n’a pas pu être remédié ultérieurement au caractère illégal de cette ordonnance, que les modalités d’exécution de sa détention de sûreté dans ce centre aient ou non changé au point que cette détention ne pût plus être qualifiée de peine. Pour le requérant, ce jugement devait donc être annulé et l’affaire renvoyée pour un nouveau procès.
178. Se référant aux critères permettant de déterminer si une mesure constitue une peine aux fins de l’article 7 § 1, tels que résumés par la Cour dans l’arrêt M. c. Allemagne (précité, § 120), le requérant soutient de surcroît qu’au-delà des apparences, sa détention de sûreté était toujours, en tout état de cause, constitutive d’une « peine » au sens autonome que revêt ce terme dans cette disposition, y compris après son transfert dans le centre de détention de sûreté de Straubing.
179. Le requérant argue que la détention de sûreté lui a été imposée à la suite d’une condamnation pénale et indique que cette privation de liberté ne pouvait pas être ordonnée en l’absence de déclaration préalable de culpabilité.
180. Le requérant soutient que la détention de sûreté était pour l’essentiel régie par des dispositions énoncées aux articles 66-66c du code pénal et à l’article 463 du code de procédure pénale et qu’elle constituait donc une mesure de droit pénal en droit interne.
181. Concernant la nature et la finalité de la mesure, le requérant affirme que la détention de sûreté telle qu’exécutée dans le centre de détention de sûreté de Straubing conformément aux changements introduits en vertu de la loi du 5 décembre 2012 sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement est demeurée fondamentalement différente d’un internement en hôpital psychiatrique. Il indique que sur les 71 postes qui ont été créés dans le centre de détention de sûreté de Straubing (paragraphe 46 ci-dessus), 13 seulement étaient des postes de personnel soignant tandis que la majorité du personnel aurait été composée d’agents administratifs et d’agents pénitentiaires en uniforme. De plus, malgré les nouvelles conditions de détention dans le centre de détention de sûreté, rien n’aurait séparé en termes organisationnels la prison et le centre de détention de sûreté, ce dernier ne formant qu’un département de la prison et étant situé sur le site d’un établissement pénitentiaire.
182. En ce qui concerne les procédures associées à l’adoption et à la mise en œuvre des ordonnances de placement en détention de sûreté, le requérant avance que dans son cas la mesure a été ordonnée par un tribunal pénal. Selon lui, l’exécution de la mesure relevait des juridictions chargées de l’exécution des peines. Par ailleurs, les dispositions régissant l’ordonnance de placement en détention de sûreté et son exécution seraient toujours inscrites dans le code pénal (articles 66-66c) et le code de procédure pénale (article 463).
183. Les juridictions civiles seraient au moins aussi rompues que les juridictions pénales à l’appréciation de la nécessité d’interner les malades mentaux susceptibles, du fait de leur état, de commettre des crimes graves. En vertu de la loi bavaroise sur l’internement des personnes atteintes de troubles mentaux, les juridictions civiles seraient compétentes pour décider de faire interner des aliénés soupçonnés de représenter un danger pour la société (paragraphe 90 ci-dessus). De plus, la loi sur l’internement thérapeutique leur conférerait la compétence d’ordonner l’internement thérapeutique des aliénés dans un établissement adapté (paragraphe 85 ci‑dessus).
184. Le requérant argue que la détention de sûreté, dont la durée maximale n’aurait plus été limitée et à laquelle seul un tribunal aurait pu mettre fin s’il constatait qu’il n’existait plus un risque élevé que le détenu commît des crimes à caractère sexuel ou violent des plus graves du fait du trouble mental dont il était atteint, demeure parmi les peines les plus lourdes susceptibles d’être imposées en vertu du code pénal allemand, voire la peine la plus lourde. Il estime qu’il y a lieu de prendre en considération qu’il a commis son infraction alors qu’il était un jeune adulte et de surcroît un primo-délinquant et que dans son cas, la détention de sûreté pourrait donc se traduire par une privation de liberté pendant pratiquement toute sa vie.
185. En résumé, de l’avis du requérant, tous les critères énoncés dans la jurisprudence de la Cour sont réunis pour que sa détention de sûreté puisse être qualifiée de peine aux fins de l’article 7 § 1.
186. Par ailleurs, au vu des éléments de droit comparé exposés dans l’arrêt M. c. Allemagne (précité, §§ 70-73), le requérant indique que rares sont les États qui autorisent la détention de sûreté des adultes et que l’Allemagne est probablement le seul à autoriser la détention de sûreté des jeunes délinquants.
2. Le Gouvernement
187. Le Gouvernement estime que dès lors que le requérant a été transféré dans le centre de détention de sûreté de Straubing le 20 juin 2013, l’ordonnance de placement en détention de sûreté du 3 août 2012 ne lui a pas imposé une peine plus lourde que celle qui lui était applicable au moment où il avait commis son infraction, et était donc conforme à l’article 7 § 1 de la Convention.
188. Il concède que ce n’est qu’après la commission de l’infraction par le requérant en 1997 que l’article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs est entré en vigueur et a permis d’ordonner des détentions de sûreté subséquemment, c’est-à-dire après la condamnation.
189. Cependant, de l’avis du Gouvernement, la détention du requérant à l’époque pertinente, c’est-à-dire à partir du 20 juin 2013, ne pouvait plus être qualifiée de peine. Se référant aux critères établis dans la jurisprudence de la Cour pour déterminer si une mesure donnée est constitutive d’une peine – critères qui sont résumés dans l’arrêt Bergmann (précité, §§ 149‑150) – le Gouvernement avance que le seul facteur statique à prendre en compte est la question de savoir si la mesure en cause a été imposée à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale. Selon lui, tous les autres critères sont dynamiques et peuvent donc évoluer au fil du temps.
190. Par conséquent, le Gouvernement estime que, comme la Cour l’a selon lui admis dans l’arrêt Bergmann (précité, §§ 164-177), si des changements suffisants sont mis en œuvre, une mesure peut perdre le caractère punitif qu’elle revêtait jusque-là. Il ajoute que cela pourrait également se produire alors même que l’exécution de ladite mesure continue de se fonder sur une seule et même ordonnance judiciaire. D’après le Gouvernement, il serait excessivement formaliste de considérer qu’il était indispensable qu’une nouvelle décision judiciaire concernant la détention de sûreté du requérant fût adoptée après le transfert de celui-ci dans le nouveau centre de détention de sûreté dès qu’il a été possible d’y accueillir des détenus. Selon lui, l’état du requérant n’ayant pas évolué, si une nouvelle décision avait été rendue en juin 2013, elle n’aurait pu être que strictement identique à celle qui avait été prise le 3 août 2012.
191. Le Gouvernement explique par ailleurs que les critères spécifiques qui auraient permis de qualifier de peine la détention de sûreté imposée au requérant n’étaient plus réunis après le transfert de celui-ci dans le centre de détention de sûreté de Straubing. Sur le point de savoir si la mesure en cause a été imposée après une condamnation pour une infraction pénale, le Gouvernement note que, contrairement à l’affaire Bergmann, où, explique‑t‑il, l’ordonnance de placement du requérant en détention de sûreté avait été incluse dans le jugement de condamnation rendu par le tribunal du fond et avait été prolongée subséquemment, en l’espèce, l’ordonnance a été prise dans le cadre d’une procédure distincte en 2012, de nombreuses années après la condamnation du requérant en 1999, qui n’incluait pas d’ordonnance de placement en détention de sûreté. Aux yeux du Gouvernement, le lien entre la condamnation pénale du requérant et sa détention de sûreté n’était donc pas aussi étroit que dans l’affaire Bergmann.
192. En ce qui concerne la qualification de la mesure en droit interne, le Gouvernement soutient que dans le cadre du double système de sanctions établi de longue date par le droit pénal en Allemagne, la détention de sûreté n’a jamais été considérée comme une peine mais plutôt comme une mesure d’amendement et de sûreté. Ce système double de peines et de mesures d’amendement et de sûreté permettrait de limiter, pour tous les délinquants, la peine à ce qui est strictement nécessaire en fonction de la culpabilité de l’auteur de l’infraction. Comme le démontreraient les Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe (paragraphe 92 ci-dessus), ce système double se traduirait en Allemagne par un pourcentage relativement faible de peines d’emprisonnement de longue durée par rapport à beaucoup d’autres États parties à la Convention.
193. Pour ce qui est de la nature et de la finalité de la mesure, le Gouvernement explique que le requérant a été détenu non plus en tant que délinquant à des fins punitives mais en tant qu’« aliéné » ayant des antécédents criminels et ayant besoin d’être soigné, son trouble mental étant devenu une nouvelle condition préalable à sa détention. Eu égard au principe constitutionnel de proportionnalité, les aliénés ne pourraient être détenus pendant une période prolongée qu’à condition que leur dangerosité se soit déjà manifestée au travers d’une infraction grave. La détention du requérant aurait été exécutée pendant la période considérée dans un centre de détention de sûreté nouvellement construit qui aurait privilégié une thérapie complète dispensée par une équipe pluridisciplinaire d’experts, lesquels n’auraient pas ménagé leurs efforts pour motiver le requérant à suivre un traitement adapté à sa pathologie. Dès lors que l’ordonnance de placement en détention de sûreté n’aurait pas été incluse dans le jugement de condamnation et que la gravité de l’infraction n’aurait constitué qu’à un stade ultérieur une raison ayant conduit les autorités à rechercher si le requérant était atteint d’un trouble mental qui le rendait dangereux, le caractère préventif de la mesure apparaîtrait encore plus clairement que dans l’affaire Bergmann.
194. Dans ce contexte, après l’arrêt adopté par la Cour constitutionnelle fédérale aux fins de l’application de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire M. c. Allemagne, ce serait tout le système de la détention de sûreté qui aurait été remanié via la législation fédérale et via les lois d’application dans chacun des seize Länder. Les Länder auraient construit de nouveaux centres de détention de sûreté pour un coût considérable (plus de 200 millions d’euros (EUR)) et embauché de nombreux professionnels de manière à offrir des soins personnalisés et une thérapie complète à tous les détenus. Cette réforme du système de détention de sûreté en Allemagne aurait été accompagnée, examinée et finalement validée par une série d’arrêts de chambre rendus par la Cour. On pourrait y voir un modèle de dialogue et de coopération fructueux entre cette Cour et une cour suprême nationale qui aurait été engagé aux fins de faire progresser la protection des droits fondamentaux en Europe.
195. Le centre de détention de sûreté dans lequel le requérant a été détenu n’aurait donc pas été une prison mais un établissement thérapeutique destiné à soigner des malades mentaux, où des normes comparables à celles régissant les unités fermées des hôpitaux psychiatriques auraient été respectées. Le lien entre la détention du requérant et sa condamnation pénale aurait donc été effacé.
196. En ce qui concerne les procédures associées à l’adoption et à la mise en œuvre de la mesure, le Gouvernement concède que les décisions relatives à l’imposition et au contrôle des détentions de sûreté sont toujours prises par des juridictions pénales et non civiles, ce qui se justifierait par des raisons pratiques. En effet, ce seraient également des juridictions pénales qui prendraient les décisions relatives à l’internement en hôpital psychiatrique en vertu de l’article 63 du code pénal. Comme la Cour l’aurait admis dans l’arrêt Bergmann (précité, § 146), ces juridictions seraient ainsi particulièrement rompues à l’appréciation de la nécessité d’interner les malades mentaux susceptibles, du fait de leur état, de commettre des crimes graves. En tout état de cause, les exigences juridiques à appliquer seraient les mêmes, que ce soient les juridictions civiles ou les juridictions pénales qui statuent sur l’imposition et le contrôle de la détention de sûreté.
197. D’après le Gouvernement, la détention de sûreté constitue certes une mesure lourde parce que la loi n’en limite pas la durée maximale, mais elle est néanmoins soumise à des contrôles juridictionnels réguliers.
198. Le Gouvernement conclut que, comme dans l’affaire Bergmann, tant la nature que la finalité de la détention de sûreté du requérant ont changé à un point tel depuis le transfert de celui-ci dans le centre de détention de sûreté le 20 juin 2013 que la mesure ne peut plus être qualifiée de peine.
199. Enfin, il soutient qu’un certain nombre d’États parties à la Convention, notamment la France, l’Italie, la Pologne, la République tchèque, le Royaume-Uni et la Suisse, autorisent la détention de sûreté de personnes qui ont commis des crimes en tant que jeunes adultes et que le requérant avait plus de trente ans lorsque sa détention de sûreté lui a été imposée.
C. Le tiers intervenant
200. L’EPLN considère que l’arrêt Bergmann, dans le droit fil duquel s’inscrit selon lui la présente affaire, a marqué un tournant radical dans la jurisprudence de la Cour en ce qu’il aurait conclu que la détention de sûreté ordonnée à des fins thérapeutiques contre une personne atteinte d’une maladie mentale n’était plus réputée constituer une peine. De l’avis de l’EPLN, la détention de sûreté exécutée dans les nouveaux centres de détention de sûreté conformément à la loi sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement doit toujours être qualifiée de peine. En effet, cette mesure ne pourrait s’appliquer qu’à des personnes qui ont été condamnées pour une infraction pénale. Elle serait ordonnée par des juridictions pénales et elle aurait pour but de prolonger la détention après que les délinquants condamnés ont purgé leur peine. Elle serait en outre exécutée dans des centres situés à l’intérieur des prisons. D’une durée qui serait potentiellement illimitée, cette mesure constituerait l’une des atteintes les plus graves aux droits fondamentaux dans une société démocratique. Son imposition « rétrospective » serait donc contraire à l’article 7 § 1.
201. De l’avis de l’EPLN, avec l’adoption de la loi sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement, le législateur allemand a cherché, en faisant entrer ce type de détention dans le champ d’application de l’article 5 § 1 e), à contourner la conclusion rendue dans l’arrêt M. c. Allemagne, dans lequel la Cour a déclaré que la détention de sûreté telle qu’elle était en vigueur à l’époque était incompatible avec la Convention. L’EPLN estime que le traitement reçu par les détenus dans un environnement pénitentiaire ne peut toutefois pas être comparé à un internement psychiatrique non pénal.
D. Appréciation de la Grande Chambre
1. Récapitulatif des principes pertinents
202. La Cour rappelle que la garantie que consacre l’article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune dérogation en temps de guerre ou en cas d’autre danger public. Ainsi qu’il découle de son objet et de son but, on doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et les sanctions arbitraires (Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 137, CEDH 2008, M. c. Allemagne, précité, § 117, et Bergmann, précité, § 149).
203. La notion de « peine » contenue à l’article 7 possède une portée autonome. Pour rendre efficace la protection offerte par l’article 7, la Cour doit demeurer libre d’aller au-delà des apparences et d’apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond en une « peine » au sens de cette clause (Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, § 27, série A no 307-A, Jamil c. France, 8 juin 1995, § 30, série A no 317-B, et Del Río Prada, précité, § 81). Le libellé de l’article 7 § 1, seconde phrase, indique que le point de départ, et donc un aspect crucial (Glien, précité, § 121, et Bergmann, précité, § 150), de toute appréciation de l’existence d’une peine consiste à déterminer si la mesure en question est imposée à la suite d’une condamnation pour une « infraction ». D’autres éléments peuvent être jugés pertinents à cet égard : la qualification de la mesure en cause en droit interne, sa nature et son but, les procédures associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sa gravité (Welch, précité, § 28, Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), no 29514/05, CEDH 2006-XV et Kafkaris, précité, § 142). La gravité de la mesure n’est toutefois pas décisive en soi, puisque de nombreuses mesures non pénales de nature préventive peuvent, de même que des mesures devant être qualifiées de peines, avoir un impact substantiel sur la personne concernée (Welch, précité, § 32, Del Río Prada, précité, § 82, et Bergmann, précité, § 150).
204. Les conditions spécifiques d’exécution de la mesure en question peuvent se révéler pertinentes, en particulier pour la nature et le but, ainsi que pour la gravité de ladite mesure, et donc pour l’appréciation visant à déterminer si cette mesure doit être qualifiée de peine aux fins de l’article 7 § 1. Ces conditions d’exécution peuvent évoluer alors que la mesure reste couverte par une seule et même décision judiciaire. Comme dans le contexte de l’article 5 § 1, il y a alors lieu de préciser si ce sont les conditions d’exécution qui prévalaient au moment où la mesure, par exemple une détention, a été ordonnée ou celles qui étaient en vigueur pendant une période ultérieure à examiner par la Cour dont il faut tenir compte pour rechercher si la mesure en question constituait une « peine » au sens de l’article 7 § 1.
205. L’affaire W.P. c. Allemagne (précitée, §§ 76-80) est l’une des rares dans lesquelles la Cour ait été confrontée à pareille situation. Dans cette affaire, la Cour a considéré que les conditions de la détention de sûreté du requérant avaient considérablement changé alors que cette mesure restait couverte par une seule et même ordonnance de placement en détention. Comme démontré ci-dessus (paragraphe 140), bien que la Cour ait rayé la requête du rôle pour autant qu’elle portait sur une violation alléguée de l’article 7 § 1 après que le Gouvernement eut, dans une déclaration unilatérale, reconnu une violation de cette disposition pendant la période durant laquelle M. W.P. avait été incarcéré en prison, elle a conclu que la détention de M. W.P. avait été conforme à l’article 7 § 1 pendant la période durant laquelle il avait séjourné dans un nouveau centre de détention de sûreté. Par conséquent, pour déterminer si la mesure en question, à savoir la détention de sûreté infligée à M. W.P., devait être qualifiée de peine, la Cour a, comme dans le contexte de l’article 5 § 1, tenu compte de l’évolution des conditions de détention qui était intervenue pendant que la mesure était exécutée sur le fondement de la même ordonnance de placement en détention.
206. Cette analyse implique que dans de rares cas, en particulier lorsque le droit interne ne qualifie pas la mesure de peine et que son but est thérapeutique, un changement significatif des conditions d’exécution de la mesure, notamment, peut ôter à celle-ci la qualification de « peine » qu’elle aurait eue au sens de l’article 7 de la Convention avant le changement, même si cette mesure demeure mise en œuvre sur la base de la même ordonnance que précédemment.
207. La Grande Chambre considère que le libellé de la seconde phrase de l’article 7 § 1, selon laquelle il n’est « infligé » aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise, n’interdit pas d’interpréter cette disposition en tenant compte du fait qu’une mesure puisse continuer d’être « infligée » sur une période prolongée alors que les modalités de son exécution, et donc ses caractéristiques, changent pendant son exécution.
208. Qui plus est, la Cour considère que pour pouvoir apprécier pleinement, à la lumière des critères développés dans sa jurisprudence (paragraphe 203 ci-dessus), si une mesure est en substance constitutive d’une peine, elle doit impérativement tenir compte des changements intervenus dans l’exécution effective de ladite mesure sur la base de la même ordonnance. Elle note que certains de ces critères peuvent être qualifiés de « statiques » ou d’insusceptibles de modification après que la mesure a été ordonnée ; c’est particulièrement le cas du critère relatif à l’existence d’une mesure infligée après une condamnation pour une « infraction » ou du critère relatif aux procédures associées à son adoption. En revanche, d’autres critères, comme la nature et le but de la mesure et sa gravité, peuvent être qualifiés de dynamiques ou de susceptibles d’évoluer au fil du temps. Pour apprécier si une mesure était conforme à l’article 7 § 1 pendant une période donnée, la Cour doit donc considérer comme pertinente la manière dont la mesure a été effectivement exécutée pendant toute cette période et doit la prendre en considération.
209. Partant, le moment ou la période à retenir pour apprécier si une mesure était constitutive d’une peine au sens de l’article 7 § 1 est la période en cause dans la procédure devant la Cour, c’est-à-dire en l’occurrence la période comprise entre le 20 juin 2013 et le 18 septembre 2014, et non le moment où ladite mesure a été ordonnée.
2. Application de ces principes au cas d’espèce
a) Appréciation de la Cour dans les affaires antérieures de détention de sûreté
210. Sur le point de savoir si la détention de sûreté litigieuse qui a été imposée au requérant doit être qualifiée de peine aux fins de la seconde phrase de l’article 7 § 1, la Cour observe d’emblée qu’elle a déjà été appelée à trancher cette question dans un certain nombre de requêtes introduites contre l’Allemagne depuis 2004. Ces requêtes concernaient différents régimes de détention de sûreté dont la base légale ainsi que les modalités pratiques d’application avaient évolué au fil du temps. Conformément à sa jurisprudence, la Cour a dû dans ces affaires interpréter de façon autonome la notion de peine visée à l’article 7 § 1, tout en tenant également compte de la manière dont d’autres États parties à la Convention qualifiaient des mesures comparables (M. c. Allemagne, précité, § 126, Glien, précité, § 124, et Bergmann, précité, §§ 161-163).
211. Dans l’affaire M. c. Allemagne (précitée, §§ 124-133), la Cour a conclu que la détention de sûreté qui avait été ordonnée et exécutée conformément au code pénal allemand dans sa version en vigueur à l’époque (dans une aile distincte au sein d’un établissement pénitentiaire et sans être conditionnée par l’existence d’un trouble mental) devait être qualifiée de peine. Dans l’affaire Glien (précitée, §§ 120-130), elle a conclu que la détention de sûreté du requérant telle qu’elle avait été exécutée pendant la période transitoire comprise entre l’adoption de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 mai 2011 et l’application concrète de la loi sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement (paragraphes 76-80 ci-dessus), laquelle est entrée en vigueur le 1er juin 2013 et définissait un nouveau régime de détention dans des centres de détention de sûreté nouvellement construits, constituait toujours une peine aux fins de l’article 7 § 1. Elle a considéré que l’exécution de la détention de sûreté de M. Glien, qui se déroulait encore dans une aile distincte au sein d’une prison, ne se caractérisait pas par des changements substantiels par rapport à la situation qui avait été en cause dans l’affaire M. c. Allemagne.
212. Dans l’affaire Bergmann (précitée, §§ 151-183), la Cour a enfin été appelée à se prononcer sur la compatibilité avec l’article 7 § 1 de la détention de sûreté du requérant, qui avait été prolongée de manière subséquente et qui avait été exécutée après l’expiration de la période transitoire susmentionnée, conformément à la loi sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement, dans un nouveau centre distinct réservé aux détentions de sûreté, c’est-à-dire conformément au nouveau régime de détention de sûreté.
213. Toujours dans l’affaire Bergmann, la Cour a conclu que la détention de sûreté devait de manière générale rester considérée comme une peine aux fins de l’article 7 § 1. Cependant, dans les cas, tels que celui du requérant, où cette détention avait été prolongée en raison de la nécessité de traiter un trouble mental et dans cette perspective, ce qui constituait une nouvelle condition préalable à une prolongation subséquente de sa détention de sûreté, la nature et le but de cette détention avaient changé au point qu’elle ne pouvait plus être qualifiée de peine au sens de l’article 7. Pareille détention de sûreté était donc conforme à l’article 7 (voir également W.P. c. Allemagne, précité, §§ 76-79).
214. Afin de déterminer si la détention de sûreté imposée subséquemment au requérant en l’espèce constituait une peine aux fins de la seconde phrase de l’article 7 § 1, la Cour, comme indiqué ci-dessus, estime nécessaire d’analyser les caractéristiques de la mesure pendant la période en cause, c’est-à-dire du 20 juin 2013 au 18 septembre 2014. Pendant cette période, le requérant, qui était détenu à Straubing, séjournait dans un centre de détention de sûreté nouvellement construit. La Cour note que cela constitue un point commun avec les affaires Bergmann (précitée) et W.P. c. Allemagne (précitée), qui portaient pour leur part sur une détention de sûreté qui avait été prolongée subséquemment au-delà de la durée maximale anciennement autorisée.
b) Mesure imposée après une condamnation pour une infraction
215. Sur le point de savoir si la mesure en cause a été infligée après une condamnation pour une « infraction », la Cour relève que l’ordonnance de placement en détention de sûreté prise contre le requérant n’a pas été adoptée en même temps que la condamnation de celui-ci (contrairement à ce qui s’était passé dans l’affaire Bergmann susmentionnée), mais qu’elle l’a été dans un jugement séparé en 2012, soit plusieurs années après la condamnation du requérant, qui avait été prononcée en 1999. Cette ordonnance était toutefois liée à la condamnation et lui faisait donc suite, l’article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs n’autorisant l’adoption d’une ordonnance de placement en détention de sûreté (paragraphe 56 ci-dessus) contre des jeunes délinquants qu’à la condition que ceux-ci aient été condamnés à une peine d’au moins sept années pour un crime attentatoire, en particulier, à la vie, à l’intégrité physique ou à l’autodétermination sexuelle d’autrui. Qui plus est, en vertu de cette disposition, la procédure concernant la détention de sûreté de l’auteur de l’infraction devait s’appuyer sur des preuves obtenues avant le terme de la peine d’emprisonnement qui avait sanctionné l’infraction en question.
216. La Cour ajoute que dans son jugement du 3 août 2012, le tribunal régional n’a pas ordonné que le requérant fût placé en détention de sûreté dans un établissement en particulier mais a simplement ordonné de manière générale son placement en détention de sûreté. Au moment où le tribunal régional a délivré cette ordonnance, il était clair, à la suite de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 mai 2011 que le tribunal régional appliquait, que le requérant devait être transféré dès que possible dans un établissement qui lui offrirait non seulement des conditions plus proches des conditions de vie normales mais aussi, en particulier, une prise en charge thérapeutique adaptée à ses besoins de patient atteint de troubles mentaux. L’ordonnance de placement en détention de sûreté couvrait donc la détention du requérant dans le nouveau centre de détention de sûreté pendant la période en cause en l’espèce.
c) Qualification de la mesure en droit interne
217. Pour ce qui est de la qualification de la détention de sûreté dans le droit interne, la Cour note qu’en Allemagne, cette mesure n’est pas, et n’a jamais été, considérée comme une peine à laquelle s’appliquerait le principe constitutionnel d’interdiction absolue des peines rétroactives. Dans son arrêt de principe du 4 mai 2011, la Cour constitutionnelle fédérale a une fois encore confirmé que la détention de sûreté n’était pas constitutive d’une peine aux fins de l’interdiction absolue de la rétroactivité du droit pénal consacrée par la Loi fondamentale (paragraphe 74 ci-dessus), allant ainsi à l’encontre des conclusions de la Cour concernant la notion de peine au regard de l’article 7 de la Convention. Elle a toutefois estimé que les dispositions du code pénal relatives à l’imposition et à la durée de la détention de sûreté telles qu’elles se présentaient alors n’étaient pas conformes à l’exigence constitutionnelle de différenciation entre les mesures d’amendement et de sûreté à visée purement préventive, comme la détention de sûreté, d’une part, et les peines, comme les peines d’emprisonnement, d’autre part (paragraphes 70-72 ci-dessus). La Cour constitutionnelle a donc demandé au législateur de corriger les dispositions du code pénal relatives à la détention de sûreté afin d’y introduire cette différenciation.
218. Répondant à cette exigence, les modifications apportées au code pénal par la loi sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement visent à clarifier et à étendre les différences dans les modalités d’exécution entre la détention de sûreté et les peines d’emprisonnement (voir en particulier le nouvel article 66c du code pénal). Elles confirment et amplifient par conséquent les différences entre les mesures d’amendement et de sûreté, comme la détention de sûreté, telles que prévue par le code pénal, et les mesures qui sont qualifiées de peines dans le cadre du double système de sanctions établi de longue date dans le droit pénal allemand (M. c. Allemagne, précité, §§ 45-48 et 125).
d) Nature et but de la mesure
219. À propos de la nature et du but de la mesure de détention de sûreté, la Cour observe qu’à l’époque considérée, le requérant était détenu dans le centre de détention de sûreté de Straubing. La mesure n’a donc pas été exécutée dans une aile distincte réservée aux détentions de sûreté dans l’enceinte d’une prison ordinaire, comme cela avait été le cas pour les requérants dans les affaires M. c. Allemagne et Glien susmentionnées, mais dans un établissement comparable à celui en cause dans l’affaire Bergmann. Le requérant y a de plus été privé de liberté en tant qu’aliéné et s’est vu proposer un traitement visant à soigner son trouble mental (paragraphes 142 et suivants ci-dessus).
220. La Cour observe qu’il existe des différences considérables entre une privation de liberté qui est exécutée dans une prison ordinaire et la détention de sûreté subie par le requérant au sein du centre de détention de sûreté créé conformément au nouveau régime de détention de sûreté (voir en particulier l’article 66c du code pénal et la loi bavaroise sur l’exécution de la détention de sûreté, paragraphes 76-81 ci‑dessus). Dans ce centre, les conditions matérielles de la privation de liberté imposée au requérant étaient considérablement améliorées par rapport à celles qui régnaient dans les prisons ordinaires, le but étant d’opérer une distinction entre ces deux formes de détention, comme l’imposait la Loi fondamentale. Ainsi, le requérant a été placé dans une cellule plus grande, d’une superficie de 15 m², qui était équipée d’un bloc cuisine et d’une salle de bains séparée, et il pouvait circuler plus librement au sein du centre, lequel comportait des salles ainsi que des espaces extérieurs destinés aux activités de travail et de loisirs (paragraphe 46 ci-dessus).
221. Surtout, la Cour note que dans le centre de détention de sûreté de Straubing, comme dans d’autres centres du même type (paragraphes 47 et 81 ci-dessus), le personnel soignant spécialisé était plus nombreux et dispensait aux détenus tels que le requérant un traitement médical et thérapeutique personnalisé défini selon un protocole individuel. La prise en charge thérapeutique complète du requérant, adaptée à sa santé mentale, incluait alors, en particulier, une thérapie sociale individuelle ou en groupe, la participation à un programme de traitement intensif ciblant les délinquants sexuels ainsi qu’une thérapie conduite par un psychiatre extérieur. La Cour note que ce n’est qu’après la fin de la période couverte par la procédure en cause en l’espèce que le requérant a consenti à suivre une partie des traitements qui lui étaient proposés (paragraphe 47 ci-dessus). La Cour n’a toutefois aucune raison de douter que les traitements offerts au requérant étaient adéquats, suffisants et disponibles pour lui pendant la période pertinente en l’espèce. Ses conclusions sur la nature et le but de la détention de sûreté infligée au requérant ne sont donc en rien influencées par le fait que celui-ci n’a pas accepté immédiatement les propositions qui lui étaient faites.
222. Comme indiqué dans des arrêts précédents (voir, en particulier, Glien, précité, §§ 98-99, et Bergmann, précité, §§ 121-123), après que la Cour a statué dans l’affaire M. c. Allemagne (précitée) et que la Cour constitutionnelle fédérale a, en réponse, rendu son arrêt du 4 mai 2011, les autorités internes ont pris des dispositions de grande ampleur au niveau judiciaire, législatif et exécutif dans le but d’adapter l’exécution de la détention de sûreté aux exigences posées à la fois par la Loi fondamentale et par la Convention. Elles ont pris des mesures concrètes, pour un coût considérable, en vue d’offrir aux détenus placés en détention de sûreté une prise en charge psychiatrique, psychothérapeutique ou sociothérapeutique individuelle et intensive destinée à atténuer le risque qu’ils représentaient pour la société.
223. Au vu des éléments dont elle dispose, la Cour estime que les mesures qui ont été prises par les autorités internes ont sensiblement amélioré les conditions de vie des personnes placées en détention de sûreté. Cette forme de détention est désormais axée sur une prise en charge visant à atténuer la menace que ces personnes représentent pour la société dans l’optique de pouvoir mettre un terme à leur détention aussi rapidement que possible, tant dans l’intérêt du public que dans celui de la personne détenue.
224. Dans ces conditions, la Cour estime, comme le Gouvernement, que la réforme du système allemand de détention de sûreté a été conduite et mise en œuvre dans le contexte d’un dialogue entre elle-même et la Cour constitutionnelle fédérale (voir en particulier les arrêts rendus par la Cour dans les affaires M. c. Allemagne et Jendrowiak, précités, Schmitz c. Allemagne, no 30493/04, 9 juin 2011, Glien et Bergmann, précités ; ainsi que les arrêts et décisions de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 mai 2011, dossier nos 2 BvR 2365/09, 2 BvR 740/10, 2 BvR 2333/08, 2 BvR 1152/10 et 2 BvR 571/10, précités, du 15 septembre 2011, dossier no 2 BvR 1516/11, précité, du 6 février 2013, dossier nos 2 BvR 2122/11 et 2 BvR 2705/11, du 11 juillet 2013, dossier nos 2 BvR 2302/11 et 2 BvR 1279/12, précités, et du 29 octobre 2013, dossier no 2 BvR 1119/12).
225. De l’avis de la Cour, les changements apportés aux modalités d’exécution de la détention de sûreté revêtent un caractère fondamental pour les personnes qui, à l’instar du requérant, sont détenues en tant que patients atteints de troubles mentaux. La Cour attache une importance décisive, à cet égard, au fait que les articles 7 § 2 et 105 § 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, combinés avec les exigences énoncées dans l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011, subordonnaient, à l’époque pertinente, le placement du requérant en détention de sûreté subséquente à une nouvelle condition préalable supplémentaire : l’intéressé devait être atteint d’un trouble mental avéré.
226. Cette condition était indépendante de la sanction initiale imposée pour une infraction pénale. Elle établit donc une distinction entre le type de détention de sûreté qui a été décidée dans la situation du requérant et la détention de sûreté des délinquants dangereux qui n’a pas été ordonnée (ni prolongée) de manière subséquente. Pour qu’il soit possible de placer cette catégorie de délinquants en détention de sûreté, le droit interne n’exige pas qu’elles soient atteintes de troubles mentaux et leur détention n’a pas pour but de traiter ces troubles.
227. Dans le cas des personnes détenues en tant que malades mentaux, la visée préventive du nouveau régime de détention de sûreté revêt une importance décisive. La Cour ne fait pas abstraction du fait que pour cette catégorie de personnes non plus, le lien entre la mesure et l’infraction ou les infractions à la suite desquelles elle a été ordonnée n’est pas complètement rompu. Pour pouvoir ordonner ou prolonger de manière subséquente la détention de sûreté d’un malade mental, il demeure préalablement nécessaire que celui-ci ait été déclaré coupable d’une infraction grave. Cependant, eu égard à l’environnement dans lequel les ordonnances de détention de sûreté sont exécutées en vertu du nouveau régime, la Cour estime que cette mesure est désormais axée sur la prise en charge médicale et thérapeutique de la personne concernée. Cette prise en charge a occupé une place centrale dans les soins spécifiques prodigués au requérant. Cet aspect a modifié la nature et le but de la détention de personnes telles que le requérant et l’a transformée en une mesure ciblant le traitement médical et thérapeutique d’individus ayant des antécédents criminels (voir également Bergmann, précité, §§ 164-177).
228. La Cour entend préciser à cet égard que dans le droit fil des conclusions rendues dans l’arrêt Bergmann (ibidem, § 181) ainsi que de sa jurisprudence antérieure (M. c. Allemagne, précité, §§ 124-132), une détention de sûreté « ordinaire » qui ne vise pas à traiter un trouble mental chez le détenu, même si elle est mise en œuvre conformément au nouveau cadre législatif, demeure constitutive d’une peine aux fins de l’article 7 § 1 de la Convention. L’amélioration des conditions matérielles et des soins ne suffit pas, dans ces circonstances, à éclipser les facteurs indicatifs d’une peine.
e) Procédures associées à l’adoption et à la mise en œuvre de la mesure
229. En ce qui concerne les procédures associées à l’adoption et à la mise en œuvre de l’ordonnance de placement en détention de sûreté prise contre le requérant, la Cour observe que la détention de sûreté a été imposée au requérant par les juridictions (pénales) de jugement ; sa mise en œuvre devait ensuite être déterminée par les juridictions chargées de l’exécution des peines, c’est-à-dire par des juridictions qui relevaient également du système de justice pénale.
230. La Cour estime que la visée thérapeutique de la mesure aurait pu être mise en évidence si les juridictions civiles avaient été chargées de statuer sur l’internement d’individus particulièrement dangereux atteints de troubles mentaux et présentant des antécédents criminels, comme cela était prévu aux articles 1 et 4 de la loi sur l’internement thérapeutique (paragraphe 85 ci-dessus), laquelle n’apparaît pas être beaucoup appliquée dans la pratique.
231. La Cour tient toutefois compte de l’argument exposé par le Gouvernement, qui avance que les juridictions pénales étaient particulièrement rompues à l’appréciation de la nécessité d’interner les malades mentaux qui avaient commis un acte criminel car elles devaient aussi rendre des décisions concernant les internements en hôpital psychiatrique en vertu de l’article 63 du code pénal (paragraphe 84 ci‑dessus ; voir également Bergmann, précité, § 178). Elle observe par ailleurs que les critères à appliquer pour l’imposition d’une détention de sûreté auraient été les mêmes, indépendamment du point de savoir si des juridictions civiles ou des juridictions pénales, c’est-à-dire des juridictions de droit commun dans les deux cas, étaient compétentes pour imposer cette mesure.
f) Gravité de la mesure
232. Enfin, sur la question de la gravité de la mesure infligée au requérant, la Cour observe que l’ordonnance de placement en détention de sûreté prise contre lui ne fixait pas une durée maximale de détention. Ce type de détention est donc demeuré parmi les mesures les plus lourdes susceptibles d’être imposées en application du code pénal. La Cour note à cet égard que tant les Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe que les chiffres fournis par le Gouvernement confirment que les ordonnances de placement en détention de sûreté sont prises à titre d’ultima ratio. En mars 2017, 591 personnes étaient en détention de sûreté en Allemagne, pays qui comptait alors quelque 81 millions d’habitants.
233. La Cour ne perd pas non plus de vue le fait que le requérant était un jeune adulte lorsqu’il a commis sa première infraction, à raison de laquelle la détention de sûreté en cause en l’espèce a été ordonnée en 2012, alors qu’il avait trente-cinq ans. Le requérant pourrait ainsi potentiellement être maintenu en détention plus longtemps que les personnes qui se sont vu imposer ce type de mesure à un âge plus avancé.
234. Cependant, comme la Cour l’a confirmé à maintes reprises (paragraphe 203 ci-dessus), la gravité de la mesure ne constitue pas en soi un élément décisif. De plus, contrairement aux peines d’emprisonnement, la détention n’était pas non plus assortie d’une durée minimale. La remise en liberté du requérant n’était pas conditionnée par l’écoulement d’un certain laps de temps mais par le constat, qui devait être établi par un tribunal, qu’il n’existait plus un risque élevé qu’il commît des crimes violents ou des infractions sexuelles des plus graves du fait de son trouble mental.
235. La durée de la détention du requérant dépendait ainsi pour beaucoup de sa coopération aux mesures thérapeutiques qui étaient nécessaires. La Cour note à ce sujet qu’après son transfert dans le nouveau centre de détention de sûreté de Straubing, le requérant était mieux à même d’œuvrer à sa remise en liberté grâce aux thérapies adaptées à ses besoins. Qui plus est, sa détention a fait l’objet de contrôles juridictionnels réguliers et relativement rapprochés (paragraphe 64 ci-dessus). Ainsi, la probabilité que la mesure ne durât pas trop longtemps a augmenté. Ces facteurs ont adouci la sévérité de l’ordonnance de placement en détention de sûreté (voir également Bergmann, précité, §§ 179-180).
g) Conclusion
236. Eu égard à ce qui précède et ayant examiné les facteurs pertinents dans leur intégralité et procédé à sa propre appréciation, la Cour considère que la détention de sûreté telle qu’exécutée en application du nouveau cadre législatif pendant la période en cause en l’espèce ne peut plus être qualifiée de peine au sens de l’article 7 § 1. La détention de sûreté a été imposée au requérant en raison de la nécessité et dans l’optique de traiter le trouble mental dont il était atteint et eu égard à son passé criminel. La Cour admet que la nature et le but de sa détention de sûreté, en particulier, différaient substantiellement de ceux d’une détention de sûreté ordinaire qui aurait été infligée à une personne ne présentant pas de trouble mental. L’élément punitif de la détention de sûreté et son lien avec l’infraction commise par le requérant ont été effacés au point que dans ces circonstances la mesure n’était plus constitutive d’une peine.
237. Au vu de ces constats, il n’est pas nécessaire de rechercher si l’imposition de la détention de sûreté subséquente et l’exécution de cette détention ont eu pour conséquence d’infliger au requérant une mesure plus lourde que celle qui était applicable au moment où il a commis son infraction.
238. La Cour observe que ses constats s’inscrivent dans le droit fil des conclusions qu’elle a rendues dans l’affaire Bergmann (précitée, §§ 182‑183). Comme dans sa jurisprudence antérieure (voir, entre autres, M. c. Allemagne, précité, §§ 122 et suiv., d’une part, et K. c. Allemagne, no 61827/09, §§ 79 et suiv., 7 juin 2012 ainsi que G. c. Allemagne, no 65210/09, §§ 70 et suiv., 7 juin 2012, d’autre part), elle considère que les différences entre la prolongation subséquente d’une détention de sûreté au-delà de la durée maximale anciennement applicable (en cause dans les affaires Bergmann et W.P. c. Allemagne, précitées) et l’imposition subséquente de pareille détention dans un jugement séparé du jugement rendu par le tribunal du fond et postérieur à ce jugement ne sont pas telles qu’elles puissent infléchir l’appréciation de la conformité de ces mesures avec la Convention.
239. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 7 § 1 de la Convention.
V. SUR L’ABSENCE ALLÉGUÉE DE CONTRÔLE JURIDICTIONNEL À BREF DÉLAI
240. Dans la requête no 10211/12, le requérant allègue en outre que les juridictions internes n’ont pas statué à bref délai dans le cadre de la procédure par laquelle il a cherché à contester la régularité de sa détention de sûreté provisoire. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention.
241. Comme la chambre l’a conclu, la procédure de contrôle juridictionnel de la régularité de la détention telle qu’en cause en l’espèce doit être examinée sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
242. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. L’arrêt de la chambre
243. La chambre a estimé que la période à prendre en compte avait commencé le 29 juin 2011, date à laquelle le tribunal régional avait reçu le recours formé par le requérant contre l’ordonnance de placement en détention du 6 mai 2011. Selon la chambre, cette période avait pris fin le 30 mai 2012 avec la signification à l’avocat du requérant de la décision rendue par la Cour constitutionnelle fédérale le 22 mai 2012. Cette période a donc duré onze mois et un jour pour trois degrés de juridiction. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale en tant que telle a duré huit mois et vingt-deux jours.
244. Eu égard, en particulier, aux spécificités d’une procédure devant une juridiction constitutionnelle et à la complexité de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale, la chambre a conclu que l’exigence de célérité avait néanmoins été respectée aussi devant cette haute juridiction. Elle a souligné que le fait qu’un détenu pouvait obtenir un nouveau contrôle d’une ordonnance de placement en détention devant les juridictions ordinaires alors même qu’une procédure antérieure était toujours pendante devant la Cour constitutionnelle témoignait de la particularité du rôle de cette haute juridiction au sein de l’ordre juridique interne.
B. Thèses des parties
1. Le requérant
245. Le requérant allègue que la durée de la procédure par laquelle il a cherché à contester la légalité de sa détention de sûreté provisoire n’a pas satisfait à l’exigence de célérité posée par l’article 5 § 4 de la Convention.
246. Il estime que la durée totale de la procédure relative au contrôle de la légalité de sa détention de sûreté provisoire était excessive. Il avance qu’à partir du moment où, le 27 juin 2011, il a introduit son recours contre la décision rendue par le tribunal régional de Ratisbonne le 6 mai 2011, quelque onze mois se sont écoulés avant que la Cour constitutionnelle fédérale, par une décision du 22 mai 2012 qui fut signifiée à son avocat le 30 mai 2012, ne rendît sa décision définitive sur la légalité de sa détention de sûreté provisoire. Il indique en particulier que la durée – huit mois et vingt-trois jours – de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale, qui aurait refusé d’examiner le recours constitutionnel introduit par lui le 7 septembre 2011, était excessivement longue.
247. Le requérant conteste l’assertion selon laquelle les spécificités du recours constitutionnel aient pu justifier une prolongation de la durée de la procédure. Il indique que le contrôle exercé par la Cour constitutionnelle portait uniquement sur la conformité des décisions litigieuses avec le droit fondamental à la liberté et estime donc que l’on pouvait s’attendre à ce qu’elle statuât dans un délai raisonnable, comme le tribunal régional et la cour d’appel. Il considère que la procédure devant la Cour constitutionnelle n’a revêtu qu’une complexité moyenne, expliquant que les juges appelés à statuer sur son recours étaient ceux qui avaient adopté l’arrêt de principe du 4 mai 2011 dans son affaire un an auparavant, ce qui leur aurait conféré une bonne connaissance de son affaire. Qui plus est, un long délai se serait écoulé entre la réponse apportée par le requérant le 1er janvier 2012 aux arguments présentés par les institutions auxquelles le recours constitutionnel avait été communiqué et le prononcé par la Cour constitutionnelle de sa décision le 22 mai 2012. Le requérant se serait trouvé dans l’impossibilité de former un autre recours tant que la procédure devant la Cour constitutionnelle était pendante.
2. Le Gouvernement
248. Le Gouvernement estime que la procédure en cause a été conduite avec célérité, comme l’exige l’article 5 § 4.
249. Il avance qu’à l’époque considérée, les juridictions allemandes étaient contraintes d’adapter du mieux que possible aux exigences découlant de la Convention le droit allemand relatif à la détention de sûreté subséquente. Il ajoute que pendant la période comprise entre le 4 mai 2011 et le 1er juin 2013, le législateur n’ayant pas encore adopté la réforme du système allemand de détention de sûreté, elles ne disposaient d’aucun appui pour s’efforcer d’accomplir cette tâche.
250. Le Gouvernement renvoie aux conclusions formulées par la chambre relativement à l’article 5 § 4 et y souscrit. Il soutient en particulier que la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale a satisfait à l’exigence de célérité. Il avance que c’était la première fois que la Cour constitutionnelle était appelée à apprécier si les juridictions ordinaires avaient correctement appliqué son arrêt de principe du 4 mai 2011 et qu’il s’agissait donc d’une procédure complexe. Qui plus est, il aurait été nécessaire de tenir compte des spécificités de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale et du rôle particulier que cette haute juridiction tenait dans le système judiciaire allemand. De plus, le requérant aurait eu la possibilité, dont il aurait fait usage, de saisir le tribunal régional d’une nouvelle demande de contrôle juridictionnel de sa détention de sûreté provisoire tandis que la procédure en cause était pendante devant la Cour constitutionnelle fédérale.
C. Appréciation de la Grande Chambre
1. Récapitulatif des principes pertinents
251. La Cour rappelle qu’en garantissant un recours aux personnes arrêtées ou détenues l’article 5 § 4 consacre aussi le droit pour celles-ci d’obtenir, dans un bref délai à compter de l’introduction du recours, une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale (Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 106, 9 juillet 2009, et Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 154, 22 mai 2012).
252. Le point de savoir si le droit à une décision à bref délai a été respecté doit – comme c’est le cas pour la clause de « délai raisonnable » de l’article 5 § 3 et de l’article 6 § 1 de la Convention – s’apprécier à la lumière des circonstances de l’espèce (voir, entre autres, R.M.D. c. Suisse, 26 septembre 1997, § 42, Recueil 1997-VI, Fešar c. République tchèque, no 76576/01, § 68, 13 novembre 2008, et Stephens c. Malte (no 2), no 33740/06, § 84, 21 avril 2009), notamment la complexité de la procédure, la manière dont elle a été conduite par les autorités nationales et par le requérant et l’enjeu qu’elle représentait pour ce dernier (Mooren, précité, § 106, ainsi que les références qui y sont citées, S.T.S. c. Pays-Bas, no 277/05, § 43, CEDH 2011, et Shcherbina c. Russie, no 41970/11, § 62, 26 juin 2014).
253. La Cour reconnaît que, dans le cadre de l’examen d’une demande de libération, la complexité des questions médicales, ou autres, en jeu est un facteur pouvant entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier le respect de l’exigence du contrôle à « bref délai » posée par l’article 5 § 4. La complexité d’un dossier donné, quelque exceptionnelle qu’elle soit, ne saurait pourtant dispenser les autorités nationales de se conformer à leurs obligations essentielles au regard de cette disposition (Musiał c. Pologne [GC], no 24557/94, § 47, CEDH 1999‑II, Baranowski, précité, § 72, et Frasik c. Pologne, no 22933/02, § 63, CEDH 2010 (extraits)).
254. L’article 5 § 4 n’astreint pas les États contractants à instaurer plus d’un degré de juridiction pour l’examen de la légalité de la détention et pour celui des demandes d’élargissement. Néanmoins, un État qui offre un second degré de juridiction doit en principe accorder aux détenus les mêmes garanties aussi bien en appel qu’en première instance (Navarra c. France, 23 novembre 1993, § 28, série A no 273-B, Khoudobine c. Russie, no 59696/00, § 124, CEDH 2006-XII (extraits), et S.T.S. c. Pays-Bas, précité, § 43), y compris en ce qui concerne la célérité du contrôle par l’organe d’appel d’une ordonnance de détention imposée par une juridiction inférieure (Piotr Baranowski c. Pologne, no 39742/05, § 63, 2 octobre 2007). Il en va de même pour les juridictions constitutionnelles qui statuent sur la légalité de la détention et ordonnent la remise en liberté de la personne concernée si sa détention n’est pas légale (Smatana c. République tchèque, no 18642/04, § 123, 27 septembre 2007, et Mercan c. Turquie (déc.), no 56511/16, § 24, 8 novembre 2016).
255. Pour déterminer s’il a été satisfait à l’exigence de respect d’un « bref délai », il faut se livrer à une appréciation globale lorsque la procédure s’est déroulée devant plusieurs degrés de juridiction (Navarra, précité, § 28, et Mooren, précité, § 106). Lorsque l’ordonnance initiale de placement en détention a été prise par un tribunal (c’est-à-dire par un organe judiciaire indépendant et impartial) dans le cadre d’une procédure offrant les garanties judiciaires appropriées, et lorsque le droit interne instaure un double degré de juridiction, la Cour est disposée à tolérer que le contrôle devant une juridiction de deuxième instance prenne plus de temps (Lebedev c. Russie, no 4493/04, § 96, 25 octobre 2007, et Shcherbina, précité, § 65). Ces considérations valent aussi pour les griefs soulevés sur le terrain de l’article 5 § 4 concernant des procédures conduites devant des juridictions constitutionnelles qui, en vertu des dispositions pertinentes de la procédure pénale, étaient distinctes des procédures conduites devant les tribunaux ordinaires (Žúbor c. Slovaquie, no 7711/06, § 89, 6 décembre 2011).
256. La Cour a défini dans sa jurisprudence des normes relativement rigoureuses concernant le respect par l’État de l’exigence de célérité. Une analyse de sa jurisprudence révèle que, dans les procédures de recours qui se déroulent devant des juridictions ordinaires et qui font suite à une ordonnance de placement en détention prise par un tribunal de première instance, des retards de plus de trois à quatre semaines dont les autorités doivent être tenues pour responsables sont susceptibles de soulever un problème du point de vue de l’exigence de célérité énoncée à l’article 5 § 4, à moins que ce délai de contrôle plus long ne soit exceptionnellement justifié dans les circonstances de l’affaire (voir, entre autres, G.B. c. Suisse, no 27426/95, §§ 27 et 32-39, 30 novembre 2000 – où la Cour a dit qu’un délai de trente-deux jours pour qu’un procureur fédéral et un tribunal fédéral se prononcent sur la demande d’élargissement d’un requérant était contraire à l’article 5 § 4 –, et Lebedev, précité, §§ 98-102 – où la Cour a dit que les autorités étaient responsables de vingt-sept jours sur le délai total qu’il a fallu à la cour d’appel pour statuer sur la demande de remise en liberté du requérant, ce qui était incompatible avec l’article 5 § 4 – ; pour d’autres exemples, voir Piotr Baranowski, précité, § 64, et Shcherbina, précité, § 65).
2. Application de ces principes au cas d’espèce
257. En ce qui concerne la période à prendre en compte pour déterminer si l’État défendeur a satisfait à l’exigence de célérité posée par l’article 5 § 4, la Cour observe que cette période a commencé le 29 juin 2011, date à laquelle le tribunal régional a reçu le recours formé par le requérant contre l’ordonnance de placement en détention du 6 mai 2011. Elle a pris fin le 30 mai 2012 avec la signification à l’avocat du requérant de la décision rendue par la Cour constitutionnelle fédérale le 22 mai 2012 (pour le calcul de la période, voir Smatana, précité, § 117, ainsi que les références qui y sont citées). Cette période a donc duré onze mois et un jour pour trois degrés de juridiction.
258. La Cour relève que le requérant a contesté la conformité avec l’article 5 § 4 de la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale (huit mois et vingt-trois jours) ainsi que la durée totale de la procédure qui en est résultée ; il n’apparaît pas que le requérant avance que la procédure devant les juridictions ordinaires ait contrevenu à l’exigence de célérité énoncée par cette disposition.
259. La Cour admet que le tribunal régional, qui a pris la décision de refuser de modifier son ordonnance de placement en détention du 6 mai 2011 cinq jours après avoir été saisi, le 29 juin 2011, de l’appel introduit par le requérant, c’est-à-dire le 4 juillet 2011, a mené la procédure engagée devant lui avec célérité.
260. À la suite de la décision du tribunal régional, la cour d’appel, ayant reçu les observations de l’accusation et de la défense, a rendu sa décision au sujet de l’appel du requérant le 16 août 2011 ; la procédure devant cette juridiction a donc duré quarante-trois jours.
261. Il n’apparaît pas que le requérant, qui a étoffé à cinq reprises ses moyens d’appel (paragraphe 18 ci-dessus), ait substantiellement contribué à la durée de la procédure devant cette juridiction.
262. La Cour considère toutefois que la procédure devant la cour d’appel était relativement complexe, d’un point de vue tant juridique que factuel. Après le revirement de jurisprudence opéré par la Cour constitutionnelle fédérale dans un arrêt de principe, la cour d’appel devait en effet examiner si, au vu des nouvelles règles plus restrictives établies par la Cour constitutionnelle, il existait toujours des raisons sérieuses de s’attendre à ce que la détention de sûreté subséquente du requérant fût ordonnée. Il était en particulier devenu nécessaire de déterminer s’il existait des raisons suffisantes de présumer que le requérant souffrait d’un trouble mental. La loi sur les tribunaux pour mineurs telle qu’interprétée auparavant n’avait pas imposé pareille appréciation. En procédant à cette appréciation dans le cas du requérant, la cour d’appel s’est appuyée sur les faits établis par le tribunal régional de Ratisbonne dans son jugement du 22 juin 2009, ainsi que sur les rapports remis par quatre médecins experts au cours de cette procédure et de la procédure antérieure. Elle a soigneusement motivé sa décision d’ordonner le placement du requérant en détention de sûreté provisoire.
263. Eu égard à la complexité de la procédure et au fait que la cour d’appel a contrôlé en qualité de juridiction de deuxième instance une ordonnance de placement en détention qui avait été imposée et contrôlée par une juridiction de première instance – situation dans laquelle la Cour est disposée à tolérer des délais de contrôle plus longs (paragraphe 255 ci‑dessus) – la Cour estime que la procédure devant la cour d’appel a néanmoins satisfait à l’exigence de célérité dans les circonstances de l’espèce.
264. Elle observe en outre que, le 29 août 2011, la cour d’appel a statué sur le grief que le requérant tirait d’une atteinte à son droit d’être entendu ainsi que sur son opposition à la décision du 16 août 2011 et que la décision de cette juridiction a été signifiée à l’avocat du requérant le 6 septembre 2011. La procédure a donc duré vingt et un jours, ce qui, à la lumière des considérations ci-dessus, ne saurait être considéré comme excessif.
265. Pour ce qui est de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale, la Cour note que le requérant a saisi cette haute juridiction de son recours le 7 septembre 2011. Le 25 octobre 2011, c’est-à-dire dans un délai de quarante-sept jours, la Cour constitutionnelle fédérale a rendu une décision provisoire de rejet de la requête du requérant, lequel demandait un sursis à exécution de l’ordonnance de placement en détention le concernant. La décision du 22 mai 2012 par laquelle la haute juridiction a refusé d’examiner le grief a été signifiée à l’avocat du requérant le 30 mai 2012. La procédure devant la haute juridiction a donc duré au total huit mois et vingt-trois jours.
266. Sur le point de savoir si dans les circonstances de l’espèce, malgré ce délai plutôt long, le droit du requérant à obtenir une décision à bref délai a tout de même été respecté, la Cour admet que la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale était complexe. C’était la première fois depuis que la Cour constitutionnelle avait adopté son arrêt de principe du 4 mai 2011, qui avait été prononcé notamment à l’égard du requérant, que cette haute juridiction était appelée à apprécier si les juridictions ordinaires avaient interprété et appliqué cet arrêt de principe dans le respect de la Loi fondamentale. Elle devait notamment déterminer si les juridictions ordinaires avaient respecté le droit constitutionnel à la liberté dans leur interprétation des nouveaux critères plus restrictifs qui conditionnaient l’imposition subséquente d’une détention de sûreté, et en particulier l’exigence voulant que la personne concernée fût atteinte d’un trouble mental, ce qui soulevait des questions médicales et juridiques complexes.
267. La complexité de la procédure transparaît aussi dans le fait que la Cour constitutionnelle fédérale a communiqué le recours constitutionnel au gouvernement du Land de Bavière, au président de la Cour fédérale de justice et au procureur général près cette dernière et que, avant de statuer, elle a recueilli leurs observations, ainsi que le mémoire en réponse du requérant.
268. Constatant que le requérant a répondu aux observations du gouvernement du Land de Bavière, du président de la Cour fédérale de justice et du procureur général près cette dernière datées respectivement des 28, 24 et 25 novembre 2011 par un mémoire du 1er janvier 2012, la Cour relève que l’on ne peut pas dire qu’il ait beaucoup contribué à la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale.
269. De son côté, la Cour constitutionnelle fédérale n’est pas restée inactive pendant la période durant laquelle la procédure était pendante devant elle. Elle a mené la procédure en tenant dûment compte de l’importance du droit à la liberté du requérant puisque, à la suite de la requête introduite par le requérant dans le but de faire surseoir à l’exécution de l’ordonnance de détention qui avait été prise contre lui, elle a assez promptement délivré une décision provisoire motivée et qu’elle a communiqué le recours constitutionnel, en demandant à plusieurs parties de soumettre leurs observations.
270. La Cour considère en outre que la Cour constitutionnelle fédérale a conduit la procédure devant elle dans un contexte juridique différent de celui dans lequel les juridictions ordinaires mènent la procédure et que les spécificités de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale doivent être prises en compte lorsqu’il s’agit d’apprécier si l’exigence de « bref délai » prévue à l’article 5 § 4 a été respectée. La Cour note que dans son examen de la conformité d’une ordonnance de placement en détention avec le droit fondamental à la liberté, la Cour constitutionnelle contrôle elle aussi, à l’instar des juridictions inférieures, la légalité de la détention de l’auteur du recours et a compétence pour casser la décision des juridictions ordinaires et, le cas échéant, pour ordonner sa remise en liberté si sa détention se révèle irrégulière (voir à titre d’exemple à ce sujet l’arrêt de principe rendu par la Cour constitutionnelle le 4 mai 2011, paragraphes 68‑75 ci-dessus).
271. La Cour constitutionnelle fédérale n’agit toutefois pas en tant que « quatrième instance » qui statue au fond mais se borne à rechercher si l’ordonnance de placement en détention était conforme à la Loi fondamentale. Le fait qu’en droit interne les décisions deviennent définitives dès lors que la juridiction ordinaire de dernier ressort a statué témoigne de la particularité du rôle que tient la Cour constitutionnelle au sein de l’ordre juridique interne. Un détenu peut obtenir un nouveau contrôle d’une ordonnance de placement en détention devant les juridictions ordinaires alors même qu’une procédure antérieure est toujours pendante devant la Cour constitutionnelle (paragraphe 63, comparer également avec Şahin Alpay c. Turquie, no 16538/17, § 137, CEDH 2018).
272. La Cour relève en outre que le requérant s’est prévalu de cette possibilité en l’espèce. Peu après avoir formé son recours constitutionnel le 7 septembre 2011, il a déposé le 17 novembre 2011 une nouvelle demande de contrôle juridictionnel de sa détention de sûreté provisoire auprès du tribunal régional. Celui-ci et la cour d’appel ont examiné le recours du requérant et l’ont rejeté au fond respectivement le 28 novembre 2011 et le 2 janvier 2012, avant que la Cour constitutionnelle ne rendît sa décision le 22 mai 2012 (paragraphe 27 ci-dessus).
273. De l’avis de la Cour, cette possibilité n’exonérait pour autant pas la Cour constitutionnelle de l’obligation découlant de l’article 5 § 4 de statuer à bref délai sur la légalité de la détention du requérant afin de garantir que le droit à une décision rapide demeurât concret et effectif (voir aussi, mutatis mutandis, Smatana, précité, §§ 124 et 131). Toutefois, la prise en compte de cet élément dans l’examen global destiné à déterminer si une décision a été rendue promptement s’inscrit dans la même logique que la jurisprudence (citée au paragraphe 255) dans laquelle la Cour se dit disposée à tolérer que le contrôle devant une juridiction de deuxième instance prenne plus de temps lorsque l’ordonnance initiale de placement en détention a été adoptée par un tribunal dans le cadre d’une procédure qui a offert les garanties judiciaires appropriées.
274. La Cour considère que pareilles considérations s’appliquent a fortiori à la procédure devant une juridiction constitutionnelle, c’est-à-dire une instance supplémentaire uniquement chargée d’examiner la conformité d’une mesure de détention avec le droit fondamental à la liberté, alors même que pendant la durée de cette procédure, les tribunaux ordinaires peuvent déjà être saisis d’une nouvelle demande de contrôle juridictionnel. Elle ajoute que les normes relativement rigoureuses qui sont énoncées dans sa jurisprudence à propos du respect par l’État de l’exigence de célérité, telles que décrites dans un certain nombre d’affaires susmentionnées (paragraphe 256), n’ont pas été développées dans des affaires portant sur la contestation devant une juridiction constitutionnelle interne de la légalité de la détention de l’auteur du recours.
275. En résumé, eu égard à la complexité de la procédure dont la Cour constitutionnelle fédérale a été saisie en l’espèce, à la manière dont celle-ci l’a conduite, notamment en rendant une décision provisoire motivée sur le maintien en détention du requérant, et aux spécificités de la procédure devant cette haute juridiction, qui ont permis au requérant d’obtenir un nouveau contrôle de sa détention par les juridictions ordinaires alors que la procédure devant la Cour constitutionnelle était toujours pendante, la Cour estime que dans les circonstances particulières et spécifiques de la cause (paragraphes 270 et 271 ci-dessus), l’exigence de célérité énoncée à l’article 5 § 4 a néanmoins été satisfaite.
276. À la lumière de ces constatations, la Cour, se livrant à une appréciation globale, considère par ailleurs que l’ensemble de la procédure relative à la légalité de la détention de sûreté provisoire du requérant a respecté le droit de celui-ci à obtenir une décision à bref délai.
277. Partant, la Cour conclut à la non-violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
VI. SUR LE DÉFAUT ALLÉGUÉ D’IMPARTIALITÉ DU JUGE P.
278. Le requérant allègue enfin que le juge P. a manqué d’impartialité à son égard dans le cadre de la procédure au principal qui s’est tenue devant le tribunal régional de Ratisbonne relativement à l’ordonnance de placement en détention de sûreté « rétrospective » prise contre lui. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »
279. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. L’arrêt de la chambre
280. La chambre, qui a considéré que l’article 6 § 1 trouvait à s’appliquer sous son volet civil à la procédure relative à la légalité de l’ordonnance de placement du requérant en détention de sûreté, a estimé que dans les circonstances de l’espèce, le juge P. n’avait pas fait montre de préjugé personnel et que rien ne permettait de douter de manière objectivement justifiée de son impartialité, aux fins de l’article 6 § 1, dans le contexte de la procédure en cause.
B. Thèses des parties
1. Le requérant
281. Le requérant allègue que le tribunal régional de Ratisbonne au sein duquel a siégé le juge P. et qui a ordonné son placement en détention de sûreté a manqué d’impartialité, au mépris de l’article 6 § 1 de la Convention.
282. Il soutient qu’il existe des éléments suffisants permettant d’établir, sur la base de la conviction personnelle et du comportement du juge P., que ce magistrat a manqué d’impartialité (démarche subjective). Il indique que le juge P. a invité son avocate à faire attention à ne pas trouver le requérant devant chez elle à l’attendre pour la « remercier » en personne une fois qu’il aurait été remis en liberté. Le requérant affirme que, comme la chambre l’a conclu selon lui à juste titre, cette remarque devait être comprise comme signifiant que le juge P. estimait qu’il existait un risque que le requérant commît sur la personne de son avocate une infraction violente ou sexuelle grave s’il était remis en liberté.
283. Selon le requérant, ce n’est pas dans l’exposé de la motivation du jugement rendu par le tribunal régional le 22 juin 2009 que le juge P. a formulé sa remarque au sujet de la menace que le requérant était censé représenter. Les propos litigieux auraient été tenus au cours d’une discussion que le juge P. aurait eue, après que le tribunal régional eut prononcé son jugement, avec l’avocate du requérant et qui aurait porté sur l’éventualité d’un transfert ultérieur de celui-ci dans un établissement psychiatrique. Dans ce contexte, ce risque aurait été totalement hors de propos et rien n’aurait justifié la remarque litigieuse. Le juge P. se serait donc indûment immiscé dans la relation avocat-client que le requérant entretenait avec son avocate et aurait manqué à ses obligations déontologiques. Il se serait montré partial, donnant au requérant des raisons de croire que le défaut d’impartialité allégué du juge P. avait perduré jusque pendant la procédure en cause, à laquelle ce même juge avait également pris part.
2. Le Gouvernement
284. Le Gouvernement argue que, comme la chambre l’a conclu selon lui à juste titre, il n’y a pas eu violation du droit du requérant à un procès équitable devant un tribunal impartial tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.
285. Le Gouvernement convient que la remarque que le juge P. aurait faite en 2009 à l’avocate qui assurait alors la défense du requérant signifiait que le juge P. estimait qu’il existait un risque que le requérant commît sur la personne de son avocate une infraction violente ou sexuelle grave s’il était remis en liberté. De l’avis du Gouvernement, rien ne prouve toutefois que le juge P. entretenait un préjugé personnel à l’égard du requérant. Le Gouvernement indique que le magistrat a tenu les propos litigieux dans le contexte d’une réunion confidentielle qui s’est tenue immédiatement après que le tribunal régional au sein duquel il avait siégé eut ordonné la détention de sûreté subséquente du requérant car il existait un risque élevé que celui-ci commît des infractions graves, comme un meurtre à caractère sexuel, s’il était remis en liberté. Ces propos auraient donc résumé de manière lapidaire l’appréciation du risque représenté par le requérant à laquelle le tribunal régional venait de se livrer dans son jugement et ils auraient été formulés à l’intention de juristes qui connaissaient l’affaire et le contexte.
286. Qui plus est, le fait que le juge P. a quelque peu abruptement confirmé le 22 juin 2009 qu’il était convaincu que le requérant était dangereux n’aurait pas justifié objectivement de douter de son impartialité pendant la procédure en cause, laquelle se serait déroulée quelque trois années plus tard et se serait conclue par le jugement rendu par le tribunal régional le 3 août 2012. Aucune raison légitime n’aurait justifié de craindre que le juge P. ne procédât pas à la nouvelle appréciation requise de la dangerosité du requérant sur la base des nouveaux éléments produits et sous l’angle de la loi telle que modifiée par l’arrêt rendu dans l’intervalle par la Cour constitutionnelle fédérale le 4 mai 2011.
C. Appréciation de la Grande Chambre
1. Récapitulatif des principes pertinents
287. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 2 février 2017 dans la présente affaire, la chambre a judicieusement résumé les principes pertinents en l’espèce (ibidem, §§ 120-123) :
« La Cour rappelle que, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement de tel juge, c’est-à-dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans tel cas, et aussi selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, entre autres, Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98 et 3 autres, § 191, CEDH2003‑VI et Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 104, CEDH 2013).
(...) Pour ce qui est de la démarche subjective, l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire (Morel c. France, no 34130/96, § 41, CEDH 2000‑VI, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 94, CEDH 2009).
(...) Quant à l’appréciation objective, elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge ou d’une juridiction collégiale un défaut d’impartialité, l’optique de la personne concernée entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant est le point de savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 44, CEDH 2000‑XII, et Micallef, précité, § 96).
(...) On ne saurait poser en principe général découlant du devoir d’impartialité qu’une juridiction de recours annulant une décision administrative ou judiciaire a l’obligation de renvoyer l’affaire à une autre autorité juridictionnelle ou à un organe autrement constitué de cette autorité (Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, § 97, série A no 13, et Diennet c. France, 26 septembre 1995, § 38, série A no 325‑A). »
2. Application de ces principes au cas d’espèce
288. La Cour note que dans l’arrêt qu’elle a rendu dans cette affaire, la chambre a conclu que le requérant avait été entendu par un tribunal impartial aux fins de l’article 6 § 1 dans la procédure en cause et qu’elle a motivé ce constat comme suit (ibidem, §§ 124-128) :
« En ce qui concerne le défaut allégué d’impartialité du juge P. en l’espèce, la Cour observe que les juridictions nationales ont fondé leur examen de l’affaire sur l’hypothèse que le juge P. avait pu faire la déclaration en question (...) et elle mènera donc son analyse à partir de cette même hypothèse. Elle relève en outre que le juge P. a fait la déclaration litigieuse dans le cadre d’un échange confidentiel entre les juges du tribunal régional et deux avocats qui avaient assuré la défense du requérant. Cette discussion, qui a eu lieu juste après que le tribunal régional, le 22 juin 2009, a rendu son premier jugement ordonnant rétroactivement le placement du requérant en détention de sûreté, portait sur un éventuel transfert ultérieur du requérant vers un hôpital psychiatrique. Il apparaît que les parties ne contestent pas – et la Cour se rallie à cette interprétation – que la remarque qui aurait été faite par le juge P. dans ce contexte, qui tendait à inciter l’avocate du requérant à prendre garde que celui-ci ne vînt pas lui rendre visite pour la « remercier » une fois qu’il serait remis en liberté, devait être comprise comme signifiant que le juge P. estimait qu’il existait un risque que le requérant commît sur la personne de son avocate une infraction violente ou sexuelle grave (semblable à celle dont il avait été jugé coupable) s’il était remis en liberté.
(...) La Cour tient à souligner d’emblée l’importance de la déontologie dans l’exercice des fonctions judiciaires. Aux fins de déterminer s’il est établi, au vu de la remarque qu’il a pu formuler, que le juge P. nourrissait personnellement un préjugé à l’encontre du requérant (voir la « démarche subjective » ci-dessus), la Cour attache une importance décisive au contexte dans lequel le juge P. aurait formulé cette remarque. À supposer, comme l’ont fait les juridictions nationales, que le juge a effectivement prononcé la remarque en question, il l’a fait immédiatement après que le tribunal régional au sein duquel il siégeait avait ordonné rétroactivement le placement du requérant en détention de sûreté car il considérait que celui-ci entretenait toujours des fantasmes sexuels violents et qu’il existait un risque élevé que l’intéressé commît de nouveau des infractions sexuelles graves, comme un meurtre à caractère sexuel, s’il était remis en liberté (...) Dans ces conditions, la remarque du juge P. s’analysait en substance en une confirmation de la conclusion qui avait été établie par le tribunal régional dans le jugement qu’il venait de rendre. La Cour n’est donc pas persuadée que, même à supposer que cette remarque ait bien été prononcée, il existe des éléments suffisants démontrant que le juge P. ait fait montre d’hostilité pour des raisons personnelles et ait donc entretenu un préjugé personnel à l’encontre du requérant.
(...) La Cour doit ensuite rechercher si le comportement du juge P. peut susciter des doutes objectivement justifiés quant à l’impartialité de celui-ci du point de vue d’un observateur extérieur (voir la « démarche objective » susmentionnée). Elle note que dans la procédure en cause, le tribunal régional, où siégeait le juge P., était appelé à décider de nouveau s’il était nécessaire d’ordonner rétroactivement le placement du requérant en détention de sûreté après que la Cour constitutionnelle fédérale eut annulé son jugement du 22 juin 2009 et renvoyé l’affaire devant cette juridiction.
(...) Compte tenu de sa jurisprudence (...), la Cour considère que le simple fait que le juge P. avait déjà siégé au sein de la formation collégiale qui avait rendu la première ordonnance rétroactive de placement du requérant en détention de sûreté et que de plus, à la suite de l’annulation de ce jugement, il avait également siégé dans la formation qui avait de nouveau ordonné rétroactivement de placer le requérant en détention de sûreté le 3 août 2012, ne suffit pas à soulever des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité.
(...) La Cour estime par ailleurs que le fait que le juge P. a dans sa remarque litigieuse censément confirmé le 22 juin 2009 qu’il considérait le requérant comme dangereux ne permet pas de douter de manière objectivement justifiée de l’impartialité du juge dans la procédure en cause ici. Dans cette procédure, qui a pris fin trois ans environ après que la remarque litigieuse a été prononcée, le tribunal régional a entendu de nouveaux témoignages afin de déterminer si, à cette époque et en vertu de la loi telle que modifiée par l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale qui a renversé sa jurisprudence antérieure, il y avait lieu d’ordonner rétroactivement le placement du requérant en détention de sûreté. La déclaration litigieuse ne fournit aucune raison légitime de craindre que le juge P. n’ait pas mené la nouvelle appréciation nécessaire du niveau de danger que représentait le requérant sur la base des éléments produits et des arguments avancés au cours de la nouvelle procédure. »
289. La Grande Chambre tient à souligner qu’à supposer que le juge P. ait effectivement prononcé la remarque très inconvenante en question, il aurait fait preuve de manque de professionnalisme. Toutefois, pour les raisons qui ont été exposées de manière détaillée par la chambre et qu’elle reprend à son compte, elle considère que, dans les circonstances de la cause, ce comportement ne prouve pas que le juge P. entretenait un préjugé personnel contre le requérant ni qu’il existait des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité dans la procédure en cause.
290. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Dit, par quinze voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention à raison de la détention de sûreté du requérant à compter du 20 juin 2013 en conséquence de l’ordonnance litigieuse relative à sa détention de sûreté subséquente ;
2. Dit, par quatorze voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 § 1 de la Convention à raison de la détention de sûreté du requérant à compter du 20 juin 2013 en conséquence de l’ordonnance litigieuse relative à sa détention de sûreté subséquente ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de la durée de la procédure de contrôle de la légalité de la détention de sûreté provisoire du requérant ;
4. Dit, par quinze voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison du défaut allégué d’impartialité du juge P. dans la procédure au principal relative à l’ordonnance de placement du requérant en détention de sûreté subséquente.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 4 décembre 2018.
Johan CallewaertGuido Raimondi
Adjoint au greffierPrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion concordante du juge Ravarani ;
– opinion en partie dissidente du juge Sicilianos ;
– opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque à laquelle se rallie le juge Dedov.
G.R.
J.C.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE RAVARANI
1. J’estime, comme mes collègues, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention et je souscris également aux autres parties de l’arrêt. Je me permets d’exprimer une opinion séparée parce que je crois que la formulation des principes généraux énoncés à propos de l’article 7 de la Convention aux paragraphes 202 à 209 de l’arrêt mérite certaines précisions.
2. La Cour conclut que, surtout « lorsque le droit interne ne qualifie pas la mesure de peine et que son but est thérapeutique, un changement significatif des conditions d’exécution de la mesure, notamment, peut ôter à celle-ci la qualification de « peine » qu’elle aurait eue au sens de l’article 7 de la Convention avant le changement, même si cette mesure demeure mise en œuvre sur la base de la même ordonnance que précédemment ». En outre, la Cour considère que « le libellé de la seconde phrase de l’article 7 § 1, selon laquelle il n’est « infligé » aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise, n’interdit pas d’interpréter cette disposition en tenant compte du fait qu’une mesure puisse continuer d’être « infligée » sur une période prolongée alors que les modalités de son exécution, et donc ses caractéristiques, changent pendant son exécution » (paragraphes 206-207 de l’arrêt).
3. En résumé, comme l’explique la Cour au paragraphe 208, certains des critères énoncés dans sa jurisprudence qui permettent de déterminer si une mesure constitue une sanction en vertu de l’article 7 sont « statiques » ou « insusceptibles de modification après que la mesure a été ordonnée ». C’est particulièrement le cas du critère relatif à l’existence d’une mesure infligée après une condamnation pour une « infraction » ou du critère relatif aux procédures associées à son adoption. En revanche, d’autres critères, y compris la nature et l’objet de la mesure ainsi que sa gravité, peuvent être qualifiés de « dynamiques » ou de « susceptibles d’évoluer au fil du temps ». Par conséquent, poursuit la Cour, pour apprécier si une mesure était conforme à l’article 7 § 1 pendant une période donnée, elle doit « considérer comme pertinente la manière dont la mesure a été effectivement exécutée pendant toute cette période et doit la prendre en considération » (paragraphe 208 de l’arrêt).
4. Un tel raisonnement appelle des précisions destinées à écarter le risque de malentendus. On pourrait, en effet, être amené à admettre que la notion de peine telle qu’elle découle de l’article 7 n’est plus fixe et objective, mais fluide ou « dynamique », comme le dit l’arrêt lui-même au paragraphe 208, dans le sens où il peut s’agir ou d’une peine ou d’une mesure au gré des conditions d’exécution.
5. Il est vrai que l’arrêt se réfère aussi à des éléments « statiques » ou insusceptibles de modification après que la mesure a été ordonnée, en mentionnant plus particulièrement l’existence d’une mesure infligée après une condamnation pour une « infraction » ou le critère relatif aux procédures associées à son adoption. Mais il y a autre chose : pour rester dans les catégories utilisées par la Cour, même au niveau de la mesure elle‑même, une fois que celle-ci a été adoptée, on pourrait distinguer entre un élément statique et un élément dynamique. Ces termes apparaissent pourtant comme peu aptes à traduire la réalité sous-jacente à la nature de la peine telle qu’envisagée par l’article 7. Il semble beaucoup plus adéquat de distinguer entre la nature même – selon la législation nationale – d’une mesure ordonnée (c’est son aspect abstrait) et son exécution effective (qui constitue son aspect concret).
6. La recherche de la nature effective d’une mesure au regard de l’article 7 est essentielle car elle constitue un passage obligé lorsqu’il s’agit de délimiter les champs d’application respectifs de cette disposition et de l’article 5 § 1 de la Convention. Cette dernière disposition interdit en principe la privation de liberté d’un individu mais l’autorise dans certaines conditions. Parmi celles-ci figure en particulier celle, énoncée à l’alinéa e), d’un aliéné qui peut être détenu dans des conditions tout à fait particulières telles que définies par la jurisprudence de la Cour (paragraphes 126 et suivants de l’arrêt).
7. La situation de départ dans l’affaire Ilnseher est la suivante : le requérant fut d’abord condamné à une peine au sens du code pénal allemand, et ensuite à une « détention de sûreté » qui, selon la nomenclature utilisée par la législation allemande, ne constitue pas une peine pénale mais une mesure d’amendement qui, lorsqu’elle est appliquée, comme en l’espèce, à un malade mental, doit être exécutée dans un établissement hospitalier où il existe une offre adéquate de traitement psychologique et psychiatrique. En fait, le requérant s’est retrouvé, dans un premier temps après le prononcé de la mesure, dans une prison ne proposant aucune forme d’accompagnement thérapeutique puis, dans un deuxième temps seulement, dans un établissement approprié qui dispensait un traitement digne de ce nom.
8. La Cour était appelée à se prononcer sur la compatibilité avec la Convention de cette deuxième phase de la détention sous l’angle de l’article 7, qui prohibe les peines non prévues par la loi et celles imposées rétroactivement. Ici, le problème portait sur le caractère de « peine » dans le sens où, si la Cour arrivait à la conclusion que la mesure ne constituait pas une peine, il n’y avait pas violation de l’article 7. La question se posait de savoir si la Cour pouvait, pour rechercher si la mesure constituait une peine ou non, en rester à la qualification opérée par le droit interne et, dans le cas où – comme en l’espèce – le droit interne ne classait pas la mesure dans la catégorie des peines, exclure immédiatement l’applicabilité de l’article 7, quitte alors à examiner si les conditions de détention étaient compatibles avec les exigences de l’article 5 § 1 e).
9. Une telle démarche aurait rétréci outre mesure le domaine d’application de l’article 7 et, de surcroît, permis à un État d’échapper entièrement à cette disposition (non susceptible de dérogation en vertu de l’article 15 de la Convention alors que l’article 5 ne bénéficie pas de cette protection renforcée) en prévoyant simplement dans sa législation que certaines mesures privatives de liberté ne relèvent pas du droit pénal. Elle aurait conduit à méconnaître le pouvoir et le devoir de la Cour de conférer aux notions utilisées par la Convention une signification autonome, procédé indispensable pour lui permettre d’appliquer les mêmes standards à l’égard de tous les États membres (et qui empêche par ailleurs que les États ne tentent d’échapper à l’application de la Convention ou de certaines de ses dispositions en utilisant des qualifications abusives ou ne correspondant pas à la réalité).
10. En fait, pour qualifier une mesure de peine, la Cour ne conçoit la classification de cette mesure dans le droit interne que comme une étape (parmi d’autres, à l’instar de l’imposition de la mesure à la suite d’une condamnation pénale) que l’on peut considérer comme abstraite. Si une mesure ne relève pas de la catégorie des peines, la Cour va examiner comment cette mesure est conçue ; elle va se pencher sur sa nature et son but (notamment répressif), sur les procédures associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sur sa gravité (Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, § 28, série A no 307‑A, et Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 82, CEDH 2013).
11. En réalité, dans la présente affaire, la Cour n’a pas seulement contrôlé comment la mesure a été conçue, mais aussi comment elle a été exécutée, poussant très loin son examen autonome de la situation concrète. Ce qu’elle a dit, c’est qu’une mesure pouvait, en cours d’exécution, changer de nature. Elle peut successivement, selon le mode d’exécution, revêtir les caractéristiques d’une peine, d’une mesure thérapeutique, le cas échéant à nouveau d’une peine, etc. C’est ce que la Cour appelle l’aspect « dynamique » de la mesure.
12. L’inconvénient est patent : si une mesure peut, au gré de son exécution, changer de nature – parfois même plusieurs fois et à des intervalles très rapprochés – la définition de la notion de peine risque d’en pâtir et de se trouver vidée de sa substance.
13. Pourrait-on alors envisager un examen en deux étapes consistant à étudier d’abord la qualification de la mesure selon la nomenclature nationale – peine ou mesure –, puis la manière dont la législation nationale prévoit son exécution, la Cour pouvant ainsi, par une interprétation autonome des dispositions légales nationales, décider si, au sens de l’article 7 de la Convention, il s’agit d’une peine ou d’un autre type de mesure ? L’examen de la compatibilité de la mesure avec l’article 7 s’arrêterait là. Si, au terme de cet examen, il apparaissait que le droit interne considère cette mesure comme non pénale et prévoit pour elle une exécution n’entrant pas dans le domaine pénal, il n’y aurait pas violation de l’article 7. Si alors, dans les faits, l’exécution concrète de ce qu’une loi qualifie de mesure thérapeutique constituait une privation de liberté non compatible avec l’article 5 § 1 e), ce serait cette disposition qui serait méconnue et non l’article 7.
14. On peut se demander si cette manière de voir embrasse toute la réalité ou toutes les réalités et la panoplie des situations qui peuvent se présenter et, pour être tout à fait concret, celle de la présente espèce. Dans le cas d’espèce, non seulement la loi qualifiait la mesure en cause de détention de sûreté et non de peine, mais elle prévoyait également un traitement adéquat dans un établissement spécialisé pour personnes atteintes d’un trouble mental. Cependant, dans les faits, selon une pratique administrative systématique et constante, les mesures de ce type étaient dans un premier temps – jusqu’à ce que le requérant fût transféré dans un établissement adapté nouvellement construit – exécutées dans des établissements pénitentiaires ne proposant pas de traitement adéquat. La situation n’était pas accidentelle mais structurelle : toutes les personnes atteintes d’un trouble mental qui étaient placées en détention de sûreté se retrouvaient systématiquement et sans exception dans des prisons, pour la simple raison qu’il n’existait pas d’établissements spécialisés. Peut-on, face à une telle situation, considérer que la mesure ne constituait pas une peine, sachant qu’en vertu d’une pratique administrative systématique, son exécution ne la distinguait pas d’une peine ? Ne doit-on pas, alors, en prenant en compte tous les éléments structurels, estimer que la mesure était constitutive d’une peine ?
15. Dès lors que l’on considère qu’une mesure qui est qualifiée de thérapeutique par le droit interne – celui-ci prévoyant de surcroît son exécution dans un établissement approprié – mais qui est systématiquement exécutée dans un établissement pénitentiaire constitue une peine, toute exécution non conforme au texte de la loi interne qui prévoit une mesure autre qu’une peine constitue-t-elle tout de même une peine dès lors que, concrètement, cette exécution s’apparente à une privation de liberté incompatible avec les exigences de cette disposition ? Cela n’est pas le cas : dès lors que la privation de liberté n’est pas conforme aux exigences de la loi interne et ne fait pas l’objet d’une pratique administrative générale et systématique, en d’autres termes dès lors que la privation de liberté se révèle être un phénomène conjoncturel, accidentel, de durée limitée et non systématique, il y a privation de liberté contraire aux exigences de l’article 5 § 1 e).
16. Ainsi, le critère d’application de l’article 7 semble être, au-delà de la qualification d’une mesure privative de liberté par le droit national, le caractère systématique ou structurel de l’exécution de la mesure : si, selon les critères autonomes appliqués par la Cour, une mesure thérapeutique est exécutée de manière systématique – soit en vertu de la loi nationale (et même si celle-ci lui dénie le caractère de peine), soit en vertu d’une pratique administrative généralisée – selon des procédés qui la qualifient de peine en vertu des critères appliqués par la Cour, elle constitue une peine au sens de l’article 7. Si l’exécution concrète est contraire à la loi mais ne procède pas d’un système, elle constitue une privation de liberté contraire à l’article 5 § 1 e).
17. L’application du critère sus-énoncé semble compliquée et laborieuse à première vue, mais on peut douter qu’elle le soit effectivement. Elle a l’avantage de ne pas restreindre indûment le champ d’application de l’article 7 et de permettre à la Cour de regarder de très près les réalités. Elle permet aussi de considérer que si, au cours de l’exécution d’une mesure, la pratique administrative est modifiée, la nature de la mesure peut changer. Dans la présente affaire, après les changements radicaux entrepris par les autorités allemandes, une mesure qui, du fait de son exécution, relevait du droit pénal, a vu sa nature changer et s’est muée en mesure thérapeutique.
18. Un tel système permettant à une mesure de changer de nature au cours de son exécution comporterait-il des risques, par exemple si un régime peu recommandable tentait de l’utiliser pour faire passer pour des mesures thérapeutiques des mesures ayant jusque-là été qualifiées de peines ? À vrai dire, il ne semble pas qu’un tel danger existe et l’applicabilité de l’article 7 (non susceptible de dérogation alors que cela n’est pas le cas de l’article 5) pourrait même s’en trouver renforcée. Deux scénarios sont possibles : soit une peine devient une mesure, soit une mesure devient une peine. Dans les deux hypothèses, par définition, la loi doit qualifier la mesure ab initio de mesure et non de peine, sinon, les conditions de l’article 7 sont ipso facto remplies. Dans la première, qui est celle du cas d’espèce, des conditions d’exécution illégales inacceptables sont remplacées par des conditions adéquates. La Cour contrôle si elles le sont effectivement. Il est difficile d’imaginer qu’un régime puisse abuser de la possibilité d’améliorer les conditions d’exécution. Dans la seconde, la pratique administrative dégénère et un traitement jusqu’alors adéquat des personnes soumises à une mesure thérapeutique est exécuté d’une manière qui l’éloigne de la thérapie mais le rapproche d’un emprisonnement. La Cour va dire que la mesure relève désormais de l’article 7 puisqu’elle remplit toutes les caractéristiques d’une peine. Un régime illibéral se voit de cette manière soumis à un contrôle renforcé par la Cour.
19. En conclusion, on peut être pleinement d’accord avec les passages de l’arrêt qui considèrent qu’une mesure peut changer de nature au gré de son exécution, mais il faut préciser que cela n’est possible que 1) si le droit interne qualifie la mesure de thérapeutique, 2) s’il en prévoit une exécution qui, selon les critères d’appréciation autonomes de la Cour, exclut la qualification de peine, et 3) si la pratique administrative constante permet également à la Cour, en se livrant à une appréciation autonome, d’exclure la qualification de peine. En l’espèce, pour la période soumise à l’appréciation de la Cour, les trois critères cumulatifs étaient remplis.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SICILIANOS
1. J’ai voté avec la majorité en faveur de la non-violation de l’article 5 § 1 de la Convention et je partage le constat selon lequel la détention de sûreté du requérant ordonnée subséquemment, pour autant qu’elle a été exécutée en application du jugement litigieux pendant la période comprise entre le 20 juin 2013 et le 18 septembre 2014 dans le centre de détention de Straubing, était justifiée au regard de l’alinéa e) de cette disposition. Outre le fait que le requérant est atteint d’un trouble mental et qu’il demeure dangereux, l’argument prépondérant qui a permis d’aboutir à ce constat a été l’amélioration sensible des conditions de détention du requérant durant la période sous examen, y compris et surtout le placement de celui-ci dans un établissement adapté aux malades mentaux.
2. On sait, en effet, que selon la jurisprudence constante de la Cour, les conditions de détention constituent un élément important de la légalité de celle-ci. Ainsi, la Cour a constaté à diverses reprises qu’une détention qui a été décidée « selon les voies légales » peut se révéler incompatible avec l’article 5 § 1 de la Convention si les conditions de détention sont (ou deviennent) inappropriées (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt de principe Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, série A no 129). C’est précisément ce que le gouvernement défendeur a reconnu en l’espèce dans sa déclaration unilatérale à propos de la période comprise entre le 3 août 2012, date de l’adoption du jugement du tribunal régional, et le 20 juin 2013. La proposition inverse – à savoir celle qui consiste à constater qu’une détention illégale se transforme en détention légale en conséquence de l’amélioration sensible des conditions de détention – est à première vue plus difficile à accepter. Cependant, les arguments contenus notamment aux paragraphes 162-169 de l’arrêt m’ont convaincu que la détention du requérant durant la période litigieuse était justifiée au regard de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention.
3. De là à admettre que l’amélioration des conditions de détention du requérant, et notamment son placement dans un établissement thérapeutique approprié, suffisent pour justifier également la détention litigieuse au regard de l’article 7 § 1 de la Convention, il y a un pas supplémentaire important à franchir. Je rappelle, en effet, que les faits litigieux remontent à 1997, que le requérant était alors âgé de dix-neuf ans et que sa condamnation a été prononcée en 1999. À l’époque, la loi sur les tribunaux pour mineurs n’autorisait pas la délivrance d’ordonnances de placement en détention de sûreté visant les mineurs et les jeunes adultes, comme le requérant. Cette possibilité n’a existé qu’à partir du 12 juillet 2008, date de l’entrée en vigueur de la loi du 8 juillet 2008 portant introduction de la détention de sûreté subséquente en cas de condamnations prononcées sur le fondement du droit pénal applicable aux jeunes délinquants (paragraphes 55-56 de l’arrêt). L’ordonnance de placement du requérant en détention de sûreté, en date du 3 août 2012, se fondait sur cette nouvelle loi. Il est évident, par conséquent, que la situation du requérant a été affectée par une disposition législative qui n’était pas applicable au moment de l’infraction. Or, selon l’article 7 § 1 de la Convention « (...) il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ». Toute la question est donc de savoir si la mesure litigieuse constituait une « peine » au sens autonome de cette notion en vertu de la Convention.
4. Ainsi que la Cour l’a relevé au paragraphe 203 de l’arrêt :
« La notion de « peine » contenue à l’article 7 possède une portée autonome. Pour rendre efficace la protection offerte par l’article 7, la Cour doit demeurer libre d’aller au-delà des apparences et d’apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond en une « peine » au sens de cette clause (Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, § 27, série A no 307-A, Jamil c. France, 8 juin 1995, § 30, série A no 317-B, et Del Río Prada, précité, § 81). Le libellé de l’article 7 § 1, seconde phrase, indique que le point de départ, et donc un aspect crucial (Glien, précité, § 121, et Bergmann, précité, § 150), de toute appréciation de l’existence d’une peine consiste à déterminer si la mesure en question est imposée à la suite d’une condamnation pour une « infraction ». D’autres éléments peuvent être jugés pertinents à cet égard : la qualification de la mesure en cause en droit interne, sa nature et son but, les procédures associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sa gravité (Welch, précité, § 28, Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), no 29514/05, CEDH 2006-XV et Kafkaris c. Chypre, précité, § 142). »
5. Au sujet du premier élément susmentionné, l’arrêt rappelle que la mesure litigieuse était « liée à la condamnation et lui faisait donc suite, l’article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs n’autorisant l’adoption d’une ordonnance de placement en détention de sûreté (...) contre des jeunes délinquants qu’à la condition que ceux-ci aient été condamnés à une peine d’au moins sept années pour un crime attentatoire, en particulier, à la vie, à l’intégrité physique ou à l’autodétermination sexuelle d’autrui » (paragraphe 215 de l’arrêt).
6. Concernant le critère relatif aux procédures associées à l’adoption de la mesure litigieuse, il importe de noter que celle-ci a été décidée par une juridiction pénale, conformément aux dispositions applicables du code de procédure pénale. De plus, ainsi qu’il a été relevé au paragraphe 215 de l’arrêt, « la procédure concernant la détention de sûreté de l’auteur de l’infraction devait s’appuyer sur des preuves obtenues avant le terme de la peine d’emprisonnement qui avait sanctionné l’infraction en question. »
7. En bref, les critères que l’arrêt qualifie de « statiques » ou d’« insusceptibles de modification après que la mesure a été ordonnée » – à savoir l’existence d’une mesure infligée après une condamnation pour une infraction et le critère relatif aux procédures associées à son adoption – (paragraphe 208 de l’arrêt) militent pour que la mesure en question soit qualifiée de « peine » au sens de l’article 7 de la Convention.
8. Il reste à examiner les critères dits « dynamiques », à savoir la nature et le but de la mesure litigieuse, ainsi que sa gravité.
9. Au sujet du critère de la gravité de la mesure, j’observe, tout d’abord, que l’emploi du qualificatif « dynamique » est motivé par le fait que les dispositions applicables ne prévoient ni durée maximale ni durée minimale pour la détention de sûreté (paragraphes 232 et 234 de l’arrêt). Autrement dit, celle-ci peut prendre fin à l’issue de la prochaine évaluation de la situation et de la dangerosité du requérant si cette évaluation révèle une amélioration, mais elle peut aussi durer – théoriquement du moins – pendant toute la vie de celui-ci. C’est la raison pour laquelle la majorité admet que la détention de sûreté « est donc demeuré[e] parmi les mesures les plus lourdes susceptibles d’être imposées en application du code pénal » (paragraphe 232 de l’arrêt).
10. Pour ma part, je doute fort que la gravité de la détention de sûreté constitue un critère « dynamique ». Je rappelle, en effet, que le troisième des critères « Engel » correspond au degré de gravité maximum de la mesure conformément aux dispositions applicables. Autrement dit, le troisième critère Engel – qui constitue la source d’inspiration par excellence en l’occurrence – n’est pas flexible ou changeant, mais inflexible et figé. S’il devait être appliqué tel quel dans la présente affaire, il faudrait prendre en compte uniquement le fait que la loi en vigueur ne prévoit pas de durée maximale et que, par conséquent, la détention de sûreté peut durer à vie.
11. En tout état de cause, le requérant a fini de purger sa peine le 17 juillet 2008 et aujourd’hui, plus de dix ans après, il est toujours en détention. Dans ces circonstances, il me semble que la gravité de la mesure litigieuse milite, elle aussi, pour que cette mesure soit qualifiée de « peine ». Les données statistiques mentionnées au paragraphe 232 de l’arrêt – à savoir le fait qu’en mars 2017, on dénombrait 591 personnes en détention de sûreté en Allemagne, pays qui comptait alors quelques 81 millions d’habitants – indiquent, certes, que la mesure litigieuse est appliquée avec parcimonie. D’un point de vue juridique, cependant, ces données ne sauraient empêcher que la détention de sûreté soit qualifiée de « peine » au sens autonome de cette notion.
12. Restent la nature et le but de la détention de sûreté. Il s’agit du critère par excellence sur lequel se fonde la majorité pour conclure que la détention en question ne constituait pas une « peine ». On peut néanmoins légitimement se demander, me semble-t-il, si ce critère « dynamique », et donc évolutif et changeant, peut contrebalancer les trois critères mentionnés précédemment. En d’autres termes, est-ce que la nature et le but de la détention peuvent transformer une « peine » en une simple mesure de sûreté qui ne relèverait pas du champ d’application de l’article 7 de la Convention ?
13. Afin de répondre à cette question cruciale, je note qu’en clôturant l’argumentation sur la nature et le but de la mesure litigieuse, la majorité admet qu’« une détention de sûreté « ordinaire » qui ne vise pas à traiter un trouble mental chez le détenu, même si elle est mise en œuvre conformément au nouveau cadre législatif, demeure constitutive d’une peine aux fins de l’article 7 § 1 de la Convention. L’amélioration des conditions matérielles et des soins ne suffit pas, dans ces circonstances, à éclipser les facteurs indicatifs d’une peine » (paragraphe 228 de l’arrêt). Autrement dit, l’élément décisif pour « éclipser les facteurs indicatifs d’une peine » est non pas tant l’amélioration des conditions matérielles et des soins – élément qui peut fluctuer dans le temps et qui ne présente donc aucune certitude – mais bel et bien le but de la mesure qui doit viser « à traiter un trouble mental chez le détenu ».
14. Concernant plus particulièrement le but de la détention de sûreté, l’arrêt semble indiquer que celui-ci est en réalité double. En effet, ainsi qu’il est relevé au paragraphe 223 de l’arrêt, « [c]ette forme de détention est désormais axée sur une prise en charge visant à atténuer la menace que ces personnes représentent pour la société dans l’optique de pouvoir mettre un terme à leur détention aussi rapidement que possible, tant dans l’intérêt du public que dans celui de la personne détenue. » Autrement dit, la détention de sûreté vise d’abord à atténuer le risque que des personnes comme le requérant représentent pour la société et ensuite à aider celles-ci à réintégrer la société. « L’intérêt collectif » passe avant celui de la personne détenue.
15. Cette approche générale semble expliquer l’attitude de la majorité à l’égard de la relative passivité des autorités dans le centre de détention de Straubing. En effet, ainsi qu’il ressort de l’arrêt et des éléments du dossier, le personnel du centre était, certes, à la disposition du requérant et en mesure de lui offrir des traitements « adéquats » et « suffisants » (paragraphe 221 de l’arrêt). Il est vrai, également, que le requérant n’a pas été coopératif, puisqu’il s’est opposé à l’idée d’un séjour en hôpital psychiatrique. Il ne semble pas, pour autant, que pendant la période litigieuse le personnel du centre de Straubing ait proposé au requérant un protocole thérapeutique concret et précis et qu’il ait essayé de le persuader de suivre ce protocole en lui expliquant que cela aurait été dans son propre intérêt. En substance, le personnel semblait dire au requérant « si tu décides de te faire soigner au centre, nous sommes disponibles ». Est-ce que cette attitude suffit pour étayer le but thérapeutique de la détention de sûreté au point d’éclipser tous les autres éléments forts qui militent pour que cette mesure soit qualifiée de peine ? Avec tout le respect que je dois à la majorité, je ne le pense pas. Le critère du but thérapeutique, qui constitue pour ainsi dire le « cheval de bataille » de la majorité, me semble être en réalité – du moins dans les circonstances de l’espèce – un critère assez faible.
16. Plus généralement, l’utilisation d’un critère « dynamique », et donc évolutif et changeant par définition, risque de créer des incertitudes incompatibles avec la nature du principe nullum crimen nulla poena sine lege. Il est presqu’un truisme de rappeler que le principe en question constitue la pierre angulaire du droit pénal et de la procédure pénale et qu’il relève du noyau dur de la Convention puisqu’il fait partie des dispositions insusceptibles de dérogation. En limiter la portée présuppose l’utilisation de critères sûrs et stables, propres à assurer la sécurité juridique requise en matière pénale.
17. Pour toutes ces raisons, je pense que la mesure litigieuse était une « peine », qu’elle relevait du champ d’application de l’article 7 de la Convention et qu’il y a eu en l’espèce violation de cette disposition.
OPINION DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE DEDOV
(Traduction)
Table des matières
I. Introduction (§ 1)
Première partie – La détention de sûreté vue au travers du prisme du droit interne (§§ 2-55)
II. L’histoire de la détention de sûreté (§§ 2-35)
A. Oublier le sombre passé (§§ 2-20)
i. Lutter contre les « parasites sur le corps du peuple » (§§ 2-11)
ii. « Sous les verrous, et pour toujours » (§§ 12-18)
iii. Plus loin qu’Hitler (§§ 19-20)
B. La réaction habile à l’arrêt M. c. Allemagne (§§ 21-31)
i. La réaction du législateur (§§ 21-24)
ii. La réaction du système judiciaire (§§ 25-28)
iii. La réaction du gouvernement (§§ 29-31)
C. Conclusion préliminaire (§§ 32-35)
III. La dogmatique de la détention de sûreté (§§ 36-55)
A. Les délinquants adultes et les jeunes adultes délinquants (§§ 36‑48)
i. Retour à la « majesté sans but » de la prison (§§ 36-41)
ii. La manipulation de la psychiatrie (§§ 42-44)
iii. La déception des espérances légitimes (§§ 45-48)
B. Les délinquants mineurs et les jeunes adultes délinquants (§§ 49‑52)
i. Une politique qui ignore la proportionnalité (§ 49)
ii. L’impasse sur la visée éducative (§ 50)
iii. L’inégalité de traitement par rapport aux adultes (§§ 51-52)
C. Conclusion préliminaire (§§ 53-55)
Deuxième partie – La détention de sûreté vue au travers du prisme du droit international (§§ 56-130)
IV. Le contexte du dialogue entre Strasbourg et Karlsruhe (§§ 56-89)
A. Le contexte du droit constitutionnel (§§ 56-74)
i. L’ouverture au droit international de la Loi fondamentale (§§ 56-59)
ii. La réserve relative aux relations multipolaires dans le domaine des droits de l’homme (§§ 60-61)
iii. L’interprétation de la détention de sûreté hostile au droit de la Convention (§§ 62-74)
B. Le contexte du droit international et du droit comparé (§§ 75-85)
i. Les normes des Nations unies (§§ 75-79)
ii. Les normes du Conseil de l’Europe (§§ 80-83)
iii. Les normes en droit comparé (§§ 84-86)
C. Conclusion préliminaire (§§ 87-89)
V. La Cour de Strasbourg sur une pente glissante (§§ 90-128)
A. Les nouvelles normes illibérales en droit pénal (§§ 90-110)
i. La conception minimaliste du principe de légalité (§§ 90-94)
ii. L’effacement du sens autonome de la « peine » (§§ 95-107)
iii. La conception « fourre-tout » de la notion d’« aliéné » (§§ 108‑110)
B. L’approche excessivement répressive de la présente affaire (§§ 111‑126)
i. La détermination biaisée de la « maladie mentale » du requérant (§§ 111-115)
ii. L’illégalité de l’ordonnance de placement en détention visant le requérant (§§ 116-121)
iii. Le « sacrifice spécial » imposé par la détention de sûreté du requérant (§§ 122-126)
C. Conclusion préliminaire (§§ 127-128)
VI. Conclusion finale (§§ 129-130)
I. Introduction (§ 1)
1. J’ai voté pour un constat de violation de l’article 5 § 1 (à raison de la détention de sûreté du requérant à compter du 20 juin 2013), de l’article 6 § 1 (à raison du défaut d’impartialité du juge P.) et de l’article 7 § 1 (à raison de la détention de sûreté susmentionnée du requérant) ainsi que pour un constat de non-violation de l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention ») (à raison de la durée de la procédure de contrôle de la détention de sûreté provisoire du requérant).
Mon opinion séparée ne porte que sur mon vote dissident. Elle se compose de deux parties. La première partie est consacrée à l’étude de la détention de sûreté des adultes, des jeunes adultes (Heranwachsenden)[2] et des mineurs (Jugendlichen)[3] en droit interne, dans la mesure où il me semble que l’arrêt rendu par la majorité n’a pas pleinement pris en compte le contexte historique (II.) et le cadre dogmatique (III.) dans lesquels s’est inscrite cette mesure, de sorte qu’il en a mal cerné la nature et les buts et qu’il en a sous-estimé les lacunes théoriques de même que les déficiences pratiques.
La seconde partie de cette opinion présente le contexte dans lequel s’opère le dialogue entre la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») et la Cour constitutionnelle fédérale allemande (« la Cour constitutionnelle » ou la « Cour de Karlsruhe ») au sujet de la détention de sûreté (IV.A.) ; elle s’intéressera à l’interprétation, peu soucieuse de la Convention, qu’a faite cette dernière de la détention de sûreté, ainsi qu’au contexte de droit international et de droit comparé dans lequel se tient ce dialogue (IV.B.). Une attention particulière sera portée à la contribution des Nations unies et du Conseil de l’Europe à ce dialogue et, surtout, à la position officielle de ces organisations au sujet du régime de détention de sûreté allemand. Dans le cadre de la conception minimaliste que se fait la Cour du principe de légalité, cette opinion analysera ensuite la manière dont la majorité a effacé le sens autonome de la notion de « peine » énoncée à l’article 7 de la Convention pour mettre en avant une conception fourre-tout de la notion d’« aliéné » figurant à l’article 5 (V.A.). Enfin, sur la base des données de droit international, de droit comparé et de droit constitutionnel qui ont été recueillies, cette opinion étudiera l’approche excessivement répressive adoptée par les autorités internes concernant la procédure relative à l’ordonnance de placement en détention de sûreté rétrospective[4] du requérant, que la majorité a largement confirmée (V.B.). à mon avis, le grief soulevé sous l’angle de l’article 7 précède logiquement celui qui est formulé sur le terrain de l’article 5, le premier portant sur la nature et le but de la détention de sûreté du requérant au sein du centre de détention de sûreté de la prison de Straubing à compter du 20 juin 2013 tandis que le second concerne l’exécution de cette détention dans un établissement adéquat et selon des modalités appropriées[5]. En tout état de cause, cette opinion soutient qu’il y a bien eu violation de ces deux dispositions (VI.).
Première partie – La détention de sûreté vue au travers du prisme du droit interne (§§ 2-55)
II. L’histoire de la détention de sûreté (§§ 2-35)
A. Oublier le sombre passé (§§ 2-20)
i. Lutter contre les « parasites sur le corps du peuple » (§§ 2-11)
2. Introduite en 1933[6], la détention de sûreté des « délinquants d’habitude »[7] constituait, aux côtés de la détention défensive (Schutzhaft), l’un des deux principaux instruments du « droit pénal de l’ennemi » (Feindstrafrecht) du régime national-socialiste. La différence essentielle entre ces deux instruments de la politique pénale nazie résidait dans le fait que la détention de sûreté pouvait être prononcée par les tribunaux en plus d’une peine de prison tandis que la « détention défensive » était imposée par la SA[8], la SS[9] et la Gestapo[10], qu’une procédure pénale fût pendante ou prévue ou non, et en l’absence de tout contrôle judiciaire ou de toute limitation de durée.
Dans le nouveau cadre du système double de répression pénale allemand (zweispuriges System), la détention de sûreté était considérée comme une « mesure privative de liberté à des fins d’amendement et de sûreté » (freiheitsentziehende Maßregel der Besserung und Sicherung) applicable à tout délinquant dont la conduite pouvait être perçue comme un « acte symptomatique d’une dangerosité » (Symptomtat für die Gefährlichkeit). Cette mesure se fondait donc sur la « propension [du délinquant] à commettre des infractions pénales » (Hang, Straftaten zu begehen).
3. La loi national-socialiste sur les délinquants d’habitude a également introduit la détention de sûreté rétrospective pour deux types de cas : premièrement, lorsqu’une infraction avait été commise avant le 1er janvier 1934 et que les conditions permettant une détention de sûreté étaient réunies, le tribunal devait imposer ce type de détention dès lors que des impératifs de sûreté publique le commandaient[11] et, deuxièmement, le tribunal a pu ordonner a posteriori (nachträglich anordnen) la détention de sûreté de certains récidivistes qui purgeaient également une peine de prison à compter du 1er janvier 1934, là aussi dès lors que des impératifs de sûreté publique le commandaient[12].
4. La détention de sûreté a été largement appliquée aux adultes, y compris rétrospectivement[13]. Les personnes placées en détention de sûreté (que l’on appelait les Sicherungsverwahrten) étaient « indignes de vivre au plus haut degré » (unwertes Leben in höchster Potenz) selon les termes d’Otto Georg Thierack, ministre de la justice d’Hitler[14], qui les a également comparées à des « parasites sur le corps du peuple » (Parasit am Volkskörper) dans sa fameuse Richterbrief no 4 et a appelé à « l’extermination de ces corps étrangers à la communauté » (Vernichtung dieser Fremdkörper der Gemeinschaft)[15]. En 1942, le ministre Thierack et Heinrich Himmler, le chef de la SS, sont convenus de retirer les « éléments antisociaux » du système pénitentiaire, y compris ceux qui se trouvaient en détention de sûreté (Sicherungsverwahrten) pour les confier à la police à des fins d’« extermination par le travail » (Auslieferung asozialer Elemente aus dem Strafvollzug an den Reichsführer SS zur Vernichtung durch Arbeit)[16]. Rien que dans le camp de concentration de Mauthausen, 6 736 personnes qui avaient été placées en détention de sûreté (SV-Häftlinge) sont décédées pendant les années qui ont précédé février 1944[17]. L’introduction de la détention de sûreté par le régime nazi a aussi été étroitement liée au programme d’euthanasie de sinistre mémoire qui ciblait ces criminels, entre autres catégories de personnes[18].
5. L’ordonnance de 1939 sur la protection contre les délinquants mineurs dangereux (Verordnung zum Schutz gegen jugendliche Schwerverbrecher) et l’ordonnance de 1943 sur la simplification et l’harmonisation du droit pénal applicable aux délinquants mineurs (Verordnung über die Vereinfachung und Vereinheitlichung des Jugendstrafrechts) ont permis d’appliquer le droit pénal général aux délinquants mineurs et donc de placer ceux-ci en détention de sûreté.
6. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Conseil de contrôle allié n’a pas aboli la détention de sûreté[19], en dépit des critiques répétées de « manipulation des étiquettes » (Etikettenschwindel) que lui avaient valu sa sévérité et la difficulté à la distinguer d’une peine de prison[20]. En République démocratique allemande, la détention de sûreté a été abolie et remplacée par d’autres dispositions[21], tandis qu’en République fédérale d’Allemagne, elle a été conservée.
7. En janvier 1953[22], la Cour constitutionnelle a décidé que l’absence de différenciation entre l’exécution d’un châtiment dans un établissement pénitentiaire de réclusion criminelle (Zuchthaus) et la détention de sûreté n’était pas contraire à la Loi fondamentale, même si ces deux types de sanctions poursuivaient des objectifs juridiques différents. Pour des raisons de sûreté, elle a admis cette absence de différenciation à titre d’exception à l’obligation générale de traiter de manière différenciée des cas différents découlant du principe de l’égalité de traitement (article 3 de la loi fondamentale).
8. La loi sur les tribunaux pour mineurs du 4 août 1953 a interdit la détention de sûreté des mineurs[23] et des jeunes adultes relevant du droit pénal applicable aux délinquants mineurs[24], mais cette détention est restée autorisée dans le cas des jeunes adultes qui avaient été condamnés selon le droit pénal général[25], jusqu’à ce que la première loi de réforme du droit pénal (Erstes Gesetz zur Reform des Strafrechts), du 25 juin 1969, eut interdit également cette forme de détention.
9. Dans la deuxième loi de réforme du code pénal (Zweiten Gesetz zur Reform des Strafrechts), du 4 juillet 1969, la détention de sûreté est devenue une mesure de dernier recours (ultima ratio) dans le double système répressif allemand, et une durée maximale de dix ans a été introduite[26].
10. à la suite d’une décision mémorable prise par la Cour constitutionnelle le 14 mars 1972[27], la loi sur l’exécution de la détention et des mesures privatives de liberté prises à des fins d’amendement et de sûreté (Gesetz über den Vollzug der Freiheitsstrafe und der freiheitsentziehenden Maßregeln der Besserung und Sicherung) est entrée en vigueur le 1er janvier 1977. Ce texte ne comportait que sept dispositions spéciales sur la détention de sûreté (articles 129-135), lesquelles étaient de surcroît assorties d’une réserve relative à la faisabilité. Au moment de rédiger cette loi, le législateur a justifié le petit nombre de ces dispositions spéciales en invoquant la décision susmentionnée rendue par la Cour constitutionnelle en 1953[28]. Selon le législateur, la détention de sûreté ne répondait pas à une finalité thérapeutique, contrairement à d’autres mesures privatives de liberté prises à des fins d’amendement et de sûreté (articles 63 et 64 du code pénal), lesquelles devaient, compte tenu de leur visée thérapeutique, être exécutées hors du système pénitentiaire.
11. Une tentative visant à substituer à la détention de sûreté une mesure restrictive de liberté autonome, présentant un caractère obligatoire et recourant à des programmes de thérapie sociale pour le traitement des délinquants présentant de graves troubles de la personnalité, inscrite dans le nouvel article 65 du code pénal, a été abandonnée en 1984 ; la disposition a été effacée et la solution ramenée à un simple « mode d’exécution optionnel » (Vollzugslösung)[29]. Outre le coût financier que représentait cette solution, on a principalement critiqué le caractère problématique d’une obligation de soins dans le cas de délinquants ayant été déclarés sains d’esprit, et donc pénalement responsables.
ii. « Sous les verrous, et pour toujours » (§§ 12-18)
12. À la suite d’une série de meurtres à fort retentissement, les exigences formelles de la détention de sûreté ont été assouplies et la limitation de durée à dix ans a été abolie en 1998, de sorte que la détention de sûreté est dans les faits devenue une mesure à durée indéterminée[30]. Pour justifier cette suppression, le législateur a argué que la nouvelle loi n’avait pas d’incidence sur la mesure elle-même, mais uniquement sur sa durée, et donc que la protection apportée par la Constitution contre la rétroactivité de la législation ne trouvait pas à s’appliquer avec la même force[31]. Pendant les quelques années qui ont suivi, cinq Länder allemands ont adopté des lois permettant de maintenir en prison des récidivistes potentiels[32].
13. En juillet 2001, le Bundeskanzler Gerard Schröder, réagissant au meurtre d’un enfant de huit ans dont le cadavre avait été brûlé, a prononcé ces mots : « pour celui qui s’exclut ainsi de lui-même de la communauté des humains, il ne peut y avoir que la peine maximale » (Wer sich so außerhalb der menschlichen Gemeinschaft stellt, für den kann es nur die Höchststrafe geben)[33]. Pour cet homme politique, la solution allait de soi : « sous les verrous, et pour toujours » (wegschließen - und zwar für immer), parce que pareille conduite démontrait à elle seule que le criminel n’était « pas amendable » (nicht therapierbar). L’état d’esprit répressif du Chancelier ne pouvait être plus transparent. Le législateur lui a très rapidement emboité le pas. Ainsi, en 2002, le Parlement allemand a introduit l’ordonnance différée de détention de sûreté, permettant au tribunal de jugement de différer l’application d’une future ordonnance de placement en détention de sûreté lorsqu’au moment du jugement, il est probable que la personne condamnée représente un danger pour la société en raison de sa propension à commettre des infractions graves[34]. Avec cette loi, la décision définitive d’imposer ou non une détention de sûreté n’est prise qu’au terme de la peine d’emprisonnement et qui plus est, une détention de sûreté pourrait désormais venir s’ajouter à une peine d’emprisonnement à vie.
14. L’année suivante, la détention de sûreté différée a été étendue aux jeunes adultes qui étaient condamnés selon le droit pénal général[35]. Comme la mesure générale visant les adultes, cette nouvelle mesure pouvait être imposée sur la base de la dangerosité du délinquant au moment du jugement.
15. Par un arrêt du 5 février 2004[36], la Cour constitutionnelle a confirmé cette tendance en décidant que la suppression de la durée maximale de dix ans avec effet rétrospectif n’était pas inconstitutionnelle puisqu’elle n’était contraire ni au principe de la dignité humaine (article 1 § 1 de la Loi fondamentale)[37], ni au droit à la liberté (article 2 § 2 de la Loi fondamentale)[38], ni au principe de l’interdiction de la rétroactivité absolue (absolute Rückwirkungsverbot) (article 103 § 2 de la Loi fondamentale)[39], ni au principe de la protection de la confiance légitime (Vertrauensgrundsatz) (article 2 § 2 de la Loi fondamentale). De l’avis de la Cour constitutionnelle, les mesures d’amendement et de sûreté, comme la détention de sûreté, ne constituaient pas des peines (Strafen) au sens de l’article 103 § 2 de la Loi fondamentale et de son prédécesseur, l’article 116 de la Constitution de Weimar, et elles pouvaient donc s’appliquer rétrospectivement[40]. L’hypothèse de base était que la détention de sûreté était « liée » (verknüpft) à une conduite illicite et répréhensible de la part d’une personne saine d’esprit, mais que ce « lien » (Verknüpfung) ne conférait pas à la détention de sûreté le caractère d’une peine (Strafe)[41]. À l’incohérence constitutionnelle intra-systémique qui résultait de ce que l’article 74 § 1 no 1 de la Loi fondamentale rangeait des mesures d’amendement et de sûreté dans le champ du « droit pénal » (Strafrecht) alors que ces mêmes mesures n’étaient pas considérées comme des « peines » aux fins de l’article 103 § 2 de cette même Loi fondamentale, il a été opposé l’argument selon lequel la première disposition concernait la répartition des compétences législatives entre l’état fédéral et les Länder et qu’elle ne revêtait donc pas de « fonction de garantie de la liberté » (freiheitsgewährleistende Funktion)[42].
Pourtant, la Cour de Karlsruhe a formulé une réserve : bien qu’une ordonnance de placement en détention de sûreté dût être exécutée conformément au règlement général des établissements pénitentiaires tel que défini par l’article 130 de la loi sur l’exécution de la détention et des mesures privatives de liberté prises à des fins d’amendement et de sûreté (susmentionnée), il devait exister une « différenciation » (Abstand) entre l’exécution de la détention de sûreté et celle d’une peine de prison, « ce qui met[tait] clairement en évidence la finalité particulière de la détention de sûreté pour la personne détenue et la société dans son ensemble »[43]. C’est ce que l’on appelle l’« exigence de différenciation » (Abstandsgebot). Bien que les juges constitutionnels aient estimé qu’il n’appartenait pas au tribunal de définir les caractéristiques pratiques de pareil principe, ils ont considéré que dans les cas de détention de sûreté « prolongée de manière particulièrement longue », il convenait d’offrir au détenu « privé de tout espoir » des « aménagements supplémentaires » afin de lui garantir une « qualité de vie minimum »[44].
16. Quelques jours plus tard, le 10 février[45], un autre arrêt de cette même haute juridiction a décidé que la détention de sûreté entrait dans le champ du droit pénal aux fins de l’article 74 § 1 no 1 de la Loi fondamentale, et relevait par conséquent de la législation fédérale. Pourtant, la Cour constitutionnelle a déclaré les lois litigieuses sur la détention de sûreté adoptées par les Länder, à savoir la Straftäterunterbringungsgesetz[46] bavaroise et l’Unterbringungsgesetz[47] de Saxe-Anhalt, comme étant seulement incompatibles (unvereinbar) avec la Loi fondamentale, selon l’article 31 §§ 2 et 3 de la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale, et non comme étant nulles et non avenues (nichtig) au titre de l’article 95 §§ 3 et 1 de cette même loi, cherchant ainsi à éviter la remise en liberté immédiate de toutes les personnes qui étaient détenues en application des lois litigieuses[48]. De plus, la Cour constitutionnelle a décidé que lesdites lois pouvaient rester en vigueur jusqu’au 30 septembre 2004, ce qui permettrait à l’organe fédéral compétent de les abroger et de les remplacer par des textes compatibles avec la Loi fondamentale[49]. Adoptant une attitude volontariste en la matière, la Cour constitutionnelle a demandé au législateur fédéral d’envisager, dans un délai déterminé, la possibilité de prendre une décision rétrospective sur le maintien en détention des délinquants dangereux qui étaient encore détenus[50].
17. Toujours en 2004, le Parlement a diligemment obtempéré à cette instruction et a approuvé l’applicabilité rétrospective de la détention de sûreté en l’absence d’une ordonnance de détention de sûreté différée délivrée antérieurement lorsque des faits nouveaux (nova) démontrant que le détenu représentait un danger pour la société étaient révélés avant que l’intéressé ne fût arrivé au terme de sa peine privative de liberté[51]. Cette nouvelle loi est entrée en vigueur un mois avant le délai fixé par la Cour constitutionnelle. Cette nouvelle mesure visait les adultes et les jeunes adultes condamnés selon le droit pénal général. Elle pouvait également s’appliquer aux multirécidivistes (première catégorie de cas : article 66b § 1 du code pénal) comme aux primo-délinquants (deuxième catégorie de cas : article 66b § 2 de ce même code) ainsi qu’aux accusés dont la fin de l’internement en hôpital psychiatrique avait été décidée parce que la condition excluant ou atténuant la responsabilité pénale sur laquelle reposait leur internement n’existait pas ou plus (troisième catégorie de cas : article 66b § 3 du même code).
18. Par une décision du 23 août 2006[52], la Cour constitutionnelle a considéré que l’article 66b § 2 du code pénal (la deuxième catégorie de cas) n’était pas contraire à l’interdiction de l’application rétroactive des lois pénales et était conforme au principe de la protection des espérances légitimes garantie dans un État régi par l’état de droit. La décision du législateur selon laquelle l’intérêt public primordial à voir la population bénéficier d’une protection effective contre les délinquants très dangereux devait l’emporter sur la certitude pour le délinquant condamné que la loi ne pourrait pas être modifiée à son détriment aux fins de permettre son maintien en détention, a été déclarée compatible avec la Loi fondamentale. La Cour constitutionnelle a en outre considéré que ladite disposition ne méconnaissait pas le droit à la liberté de la personne concernée. La Loi fondamentale autorisait le législateur à priver de sa liberté une personne dont on s’attendait à ce qu’elle commît des atteintes volontaire à la vie, à l’intégrité individuelle ou la liberté des citoyens, eu égard au principe de proportionnalité. Étant donné que l’article 66b § 2 du code pénal ne s’appliquait que dans des cas très exceptionnels, cette disposition devait être considérée comme une restriction proportionnée au droit à la liberté.
Sur la base d’arguments similaires, la constitutionnalité de la disposition relative à la première catégorie de cas a été confirmée par une décision de la Cour constitutionnelle du 22 octobre 2008[53] et celle de la troisième catégorie par une décision du 5 août 2009[54].
iii. Plus loin qu’Hitler (§§ 19-20)
19. En juillet 2008, la détention de sûreté rétrospective a été étendue cette fois-ci aux mineurs de quatorze à dix-huit ans[55], y compris dans les cas où il avait été mis fin à un internement en hôpital psychiatrique parce que la condition qui excluait ou atténuait la responsabilité pénale de l’accusé et sur laquelle reposait son internement n’existait pas ou plus[56]. Contrairement à la législation relative aux adultes, le régime réservé aux mineurs a été déconnecté de la notion de « délinquants d’habitude », puisque la « propension » (Hang) à commettre des infractions n’était pas requise. De plus, le régime réservé aux mineurs s’écartait de celui appliqué aux adultes, lequel imposait qu’avant le terme de la peine d’emprisonnement, des faits « [fussent] apparus » (werden ... vor Ende des Vollzugs dieser Freiheitsstrafe Tatsachen erkennbar) qui témoignaient de la dangerosité du détenu. Dans la loi sur les tribunaux pour mineurs, le libellé a changé et ce texte imposait que « des faits [fussent] connus ... avant la fin de la période de détention du délinquant mineur ... » (Sind ... vor Ende des Vollzugs dieser Jugendstrafe Tatsachen erkennbar). La différence importante résidait dans le fait que la loi sur les tribunaux pour mineurs imposait que les faits fussent connus avant la fin de la peine de prison, mais pas qu’ils fussent nouveaux à ce moment-là[57].
20. Parmi les nombreuses critiques que la proposition du gouvernement s’est attirées pendant les débats devant la commission parlementaire compétente du Bundestag[58], un expert a observé que si elle était adoptée, cette mesure irait encore plus loin que la législation de la période nazie[59]. D’autres ont évoqué un « artifice législatif » (legislativer Kunstgriff)[60] et une « absurdité » (Unding)[61].
B. La réaction habile à l’arrêt M. c. Allemagne (§§ 21-31)
i. La réaction du législateur (§§ 21-24)
21. Figure de proue de la réforme libérale du droit pénal, la Cour a réagi à cette tendance. Dans son arrêt M. c. Allemagne[62], elle a mis un terme à la tendance de la politique pénale allemande à étendre sans fin la détention de sûreté et a déclaré que la suppression du délai maximal de dix ans avec effet rétroactif était contraire à l’article 7 § 1 de la Convention. Son argument était simple : la détention de sûreté visait, dans « le droit des livres », à sanctionner des délinquants condamnés sur la base de leur passé criminel et, dans le « droit en pratique », son exécution ne différait guère de celle d’une peine de prison[63]. Elle devait par conséquent être considérée comme une peine aux fins de l’article 7 de la Convention et ne pouvait pas être appliquée de manière rétroactive[64]. Regardant vers le passé, les juges ont adressé au législateur de lourds reproches pour ne pas avoir mis en œuvre l’exigence de différenciation qui avait été énoncée dans l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle cinq années auparavant.
En outre, il n’existait pas de lien de causalité suffisant entre la condamnation du requérant par le tribunal de jugement et la prolongation de sa privation de liberté au-delà des dix années de détention de sûreté. Son maintien en détention n’était donc pas justifié au titre de l’alinéa a) de l’article 5 § 1 de la Convention. La détention de sûreté du requérant au-delà de la limite de dix ans n’était pas non plus justifiée au titre de l’alinéa c) de l’article 5 § 1, dans la mesure où les infractions que le requérant aurait pu potentiellement commettre à l’avenir n’étaient ni assez concrètes ni assez spécifiques en ce qui concernait, par exemple, le lieu et le moment de leur commission ainsi que leurs victimes[65]. Enfin, l’alinéa e) ne pouvait pas non plus légitimer la détention étant donné que le requérant ne présentait pas de trouble mental et que les juridictions internes n’avaient pas fait référence à pareils troubles[66].
22. La réaction des autorités allemandes a été de trois ordres. Le législateur a cherché à engager une refonte de la détention de sûreté[67]. Les principaux changements ont été les suivants. Premièrement, l’application de la détention de sûreté ordinaire au titre de l’article 66 du code pénal a été substantiellement restreinte. Deuxièmement, le système de détention de sûreté différée a été étendu. Il est devenu possible, dans certaines circonstances, d’imposer une détention de sûreté différée au titre de l’article 66a du code pénal aux délinquants qui n’étaient condamnés qu’à une peine d’emprisonnement de cinq ans. Troisièmement, la détention de sûreté rétrospective prévue par les articles 66b du code pénal et 106 de la loi sur les tribunaux pour mineurs a été abolie, excepté dans les cas où il était mis un terme à un internement en hôpital psychiatrique parce que la condition qui excluait ou atténuait la responsabilité pénale de l’accusé et sur laquelle reposait son internement n’existait pas ou plus. Cependant, l’article 316e § 1 de la loi introductive au code pénal précisait que les nouvelles dispositions ne devaient s’appliquer que si l’infraction, ou au moins l’une des infractions, pour la commission de laquelle une détention de sûreté devait être imposée ou différée avait été commise après l’entrée en vigueur de la loi le 1er janvier 2011. Les infractions commises avant cette date demeuraient régies par la loi antérieure.
23. De plus, l’Allemagne a introduit une nouvelle mesure d’« internement thérapeutique » (Therapieunterbringung)[68] dans le but explicite de pouvoir maintenir en détention des personnes soumises au régime de la détention de sûreté qui auraient sinon dû être remises en liberté en vertu de la nouvelle jurisprudence de la Cour. Comme on peut le déduire du libellé même de la loi, cette législation avait pour but de prolonger la mesure privative de liberté pour les délinquants dangereux qui avaient déjà fait l’objet d’une ordonnance de détention de sûreté ne pouvant plus être maintenue au titre de l’article 5 § 1 a) de la Convention après l’adoption de l’arrêt M. c. Allemagne[69]. La référence à l’article 5 § 1 e) ne semblant pas poser le même problème dans le cas d’une législation rétrospective, le législateur allemand a décidé de fonder l’internement de cette même population (exception faite de la remise en liberté dans quelques cas de moindre importance) sur le but légal d’offrir une thérapie pour les « aliénés », détachant apparemment cette mesure des infractions qui avaient été à l’origine de leur détention. Au moment de rédiger le projet de loi, le législateur savait que tous les délinquants qu’il avait l’intention de maintenir derrière les barreaux étaient loin de présenter un trouble mental réel au sens strict du terme tel qu’utilisé en médecine légale et psychiatrique[70], et que, même si tel était le cas, il n’existait aucune raison sérieuse de penser qu’ils pouvaient tous être guéris par une thérapie[71].
Le tribunal compétent, lequel, selon cette loi, était une juridiction civile, pouvait ordonner un internement thérapeutique si la personne présentait un « trouble mental » (psychische Störung), s’il était établi qu’il existait une forte probabilité qu’elle commît certains crimes graves et si l’internement était nécessaire pour protéger la société. Cette mesure pouvait intervenir que la personne concernée fût encore soumise à une détention de sûreté ou qu’elle eût déjà été remise en liberté.
24. En d’autres termes, la loi sur l’internement thérapeutique s’est livrée à un pur exercice de manipulation des étiquettes (Umetikettierung) de la détention de sûreté rétrospective incompatible avec la Convention destiné à la faire passer pour une mesure d’internement thérapeutique prétendument non pénale et non punitive[72]. Bien que cet internement fût imposé par des juridictions civiles, son caractère non pénal n’était pas clair, pas plus que ne l’était la notion de « trouble mental » (psychische Störung). L’artifice utilisé était une intensification de la « formule magique[73] » offerte par l’exigence de différenciation. En d’autres termes, le législateur a doublé la mise sur l’exigence de différenciation pour faire en sorte que les caractéristiques pratiques de l’exécution d’une détention de sûreté sous la forme d’un internement thérapeutique non punitif parussent la distinguer de l’exécution d’une peine de prison, mettant ainsi la détention de sûreté rétrospective à l’abri de la réprobation de Strasbourg. La manœuvre politique était risquée mais elle s’est finalement révélée judicieuse puisqu’elle a été bien accueillie par le système judiciaire allemand.
ii. La réaction du système judiciaire (§§ 25-28)
25. La réaction du système judiciaire à l’arrêt M. n’a pas été moins adroite[74]. Le 4 mai 2011[75], la Cour constitutionnelle a déclaré l’incompatibilité avec le droit fondamental à la liberté des dispositions relatives à l’imposition et à la durée de la détention de sûreté parce que ces dispositions ne respectaient pas les exigences constitutionnelles de différenciation[76]. Allant plus loin que dans son arrêt de 2004, la haute juridiction a insisté sur l’exécution « orientée sur la remise en liberté et sur la thérapie » (freiheitsorientierte und therapiegerichteten Vollzug) de la détention de sûreté et sur son « caractère exclusivement préventif » (den allein präventiven Charakter)[77]. Selon les juges de Karlsruhe, l’exigence de différenciation était impérative pour toutes les autorités publiques et devait être spécifiée par le seul législateur, lequel devait élaborer un « concept global de détention de sûreté orienté sur la remise en liberté » (freiheitsorientiertes Gesamtkonzept der Sicherungsverwahrung)[78] avec une telle pléthore de normes qu’elle déterminait la conduite des pouvoirs exécutif et judiciaire dans « tous les domaines importants » (allen wesentlichen Bereichen)[79]. Agissant en « législateur de substitution » (Ersatzgesetzgeber), la Cour constitutionnelle a énoncé les « normes constitutionnelles minimales » (verfassungsrechtlichen Mindestanforderungen)[80] requises pour la mise en œuvre législative de l’exigence de différenciation et a de surcroît fixé la date butoir du 31 mai 2013 pour le remplacement des dispositions inconstitutionnelles par de nouvelles règles fondées sur ces normes[81].
S’appuyant sur la philosophie de la loi sur l’internement thérapeutique, texte qui n’était pas en cause dans le recours constitutionnel, la Cour constitutionnelle a, dans les cas où la détention de sûreté n’était pas possible du fait du principe de la non-rétroactivité des lois, justifié l’internement par l’apparition d’un « trouble mental » (psychische Störung)[82]. Sachant qu’il serait impossible à l’avenir de justifier tout type de détention de sûreté rétrospective sur la base de l’article 5 § 1 a) de la Convention, la Cour constitutionnelle a explicitement recherché dans son article 5 § 1 e) une justification différente pour la détention de sûreté rétrospective[83]. Avec cette justification, elle a admis la perpétuation de la détention de sûreté rétrospective au titre de l’article 316e de la loi introductive au code pénal dans les « affaires anciennes »[84], recourant à un critère strict de proportionnalité (strikten Verhältnismäßigkeitsprüfung)[85].
Dès lors, la rhétorique de l’« orientation thérapeutique » (Therapieorientierung) employée par le législateur pour différencier l’exécution d’une détention de sûreté de l’exécution d’une peine de prison a reçu l’approbation constitutionnelle explicite de Karlsruhe[86], qui imposait une conception de l’exigence de différenciation « avec des contours encore plus clairs » (noch deutlicher zu konturieren)[87]. La Cour de Karlsruhe a souligné, en particulier, que l’exigence constitutionnelle d’une différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement exigeait de proposer aux personnes placées en détention de sûreté une offre individualisée et plus dense de thérapies et de soins dispensés par une équipe pluridisciplinaire si les thérapies standard disponibles au sein de l’établissement ne présentaient aucune chance de succès[88]. En fin de compte, la Cour de Karlsruhe a confirmé que sa propre conception de la peine différait de celle de la Cour de Strasbourg[89], mais a insisté sur le fait qu’il n’était pas nécessaire que ces deux notions fussent alignées, l’important pour elle étant que les jugements de valeur de la Cour fussent pris en compte dans une optique de résultats[90]. Elle a considéré que l’ordre constitutionnel allemand « mature » (gewachsene) devait finir par prévaloir sur la « flexibilité et le manque de précision » (Flexibilität und Unschärfe) de la formation des concepts par la Cour[91].
26. En 2012, le Parlement allemand a adopté la loi sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement[92], insérant un nouvel article 66c dans le code pénal[93]. Ce texte a converti les normes édictées par la Cour constitutionnelle pour l’exécution de la détention de sûreté en loi nationale, et, assez curieusement, en une disposition du code pénal, tout en gardant intact l’ancien article 129 de la loi sur l’exécution de la détention et des mesures privatives de liberté prises à des fins d’amendement et de sûreté (susmentionnée). Étant donné que ce sont les Länder qui sont responsables de l’exécution des peines d’emprisonnement, chaque Land a adopté une nouvelle législation dans le but de mettre en œuvre l’exigence de différenciation dans la pratique[94]. La détention de sûreté différée est demeurée applicable aux mineurs[95], mais la détention de sûreté rétrospective a été supprimée de l’article 7 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, excepté pour les cas où il était mis un terme à un internement en hôpital psychiatrique parce que la condition qui excluait ou atténuait la responsabilité pénale de l’accusé et sur laquelle reposait son internement n’existait pas ou plus[96].
27. Le législateur a adopté une disposition transitoire importante, à savoir l’article 316f de la loi introductive au code pénal, qui prévoyait l’application des dispositions rétrospectives relatives à la détention de sûreté à chaque fois que l’acte à l’origine de la détention (Anlasstat), c’est-à-dire l’infraction, ou au moins l’une des infractions, pour la commission de laquelle une détention de sûreté devait être imposée ou différée, avait été commise avant le 31 mai 2013. Cette disposition visait explicitement à permettre à la justice de recourir aux anciennes dispositions jusqu’à ce que la protection de la sûreté publique fût possible grâce aux ordonnances de détention de sûreté différées, en d’autres termes, pendant les décennies à venir, malgré le caractère problématique que l’on reconnaissait, sur les plans factuel et juridique, aux dispositions anciennes[97]. Pour exprimer les choses simplement, on peut dire que la nouvelle disposition de l’article 316f, comme celle qui la précédait, l’article 316d, a prolongé pour une durée indéfinie la période transitoire qui avait été prévue dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle.
28. Le 11 juillet 2013[98], la Cour constitutionnelle fédérale a déclaré que la loi sur l’internement thérapeutique était constitutionnelle à condition qu’elle fût interprétée strictement, au sens où tout internement décidé au titre de cette loi devait observer les mêmes conditions restrictives que celles qui régissaient l’imposition d’une détention de sûreté rétrospective[99], parce que cette loi devait être considérée comme une « loi pénale » aux fins de l’article 74 (1) no 1 de la Loi fondamentale[100] et que l’intensité de son ingérence dans le droit à la liberté de la personne internée correspondait à celle de la détention de sûreté[101]. En particulier, la détention ordonnée au titre de la loi sur l’internement thérapeutique ne pouvait être légale que si les faits matériels laissaient penser qu’il existait un risque élevé que la personne concernée commît des crimes extrêmement graves. Néanmoins, la notion de « trouble mental » a été interprétée largement, comme incluant non seulement les maladies mentales qui nécessitaient un traitement clinique, mais aussi les troubles de la personnalité présentant une gravité suffisante[102].
À la suite de cette décision, les autorités compétentes ont réévalué tous les cas restants de détention imposée au titre de la loi sur l’internement thérapeutique et les personnes concernées ont été progressivement remises en liberté. Au moment de la visite effectuée par le Comité pour la prévention de la torture (« le CPT ») en novembre 2013, il ne restait plus dans le pays qu’une personne en détention sur le fondement d’une ordonnance qui avait été prise au titre de la loi en question. La délégation a appris que ladite personne devait, elle aussi, être libérée à terme et qu’ensuite, la loi sur l’internement thérapeutique deviendrait « obsolète » de facto[103].
Depuis que l’article 316 f § 2 autorisait la poursuite d’une détention de sûreté qui avait été antérieurement ordonnée ou prolongée de manière rétrospective dans les cas où l’on pensait qu’un trouble mental risquait de conduire le délinquant à commettre des crimes violents ou sexuels extrêmement graves, le champ d’application de la loi sur l’internement thérapeutique avait été pratiquement réduit à néant. Dès lors, il n’était plus nécessaire de recourir à cette possibilité de détention offerte par le droit civil puisqu’il suffisait de maintenir les personnes ciblées en détention de sûreté en faisant usage d’une possibilité similaire prévue par le droit pénal. Cette situation a été à l’évidence rendue possible par l’arrêt prononcé en mai 2011 par la Cour constitutionnelle fédérale, laquelle avait décidé, peu après l’entrée en vigueur de la loi sur l’internement thérapeutique le 1er janvier 2011, que dans les conditions précises énoncées dans cette loi, les délinquants pouvaient être maintenus en détention de sûreté.
iii. La réaction du gouvernement (§§ 29-31)
29. Le gouvernement a fait preuve d’astuce dans sa réponse à Strasbourg. Il a insisté devant la Cour sur la nécessité d’admettre sous l’angle de la Convention non seulement la détention de sûreté rétrospective illimitée des délinquants atteints d’un « trouble mental » (psychische Störung), mais aussi la détention, à des fins de prévention, de personnes censément dangereuses avant même qu’elles ne commettent une infraction. Cette tactique s’est révélée payante. Deux ans à peine après l’arrêt Schwabe et M. G[104], la Cour a fait marche arrière dans l’arrêt Ostendorf[105], abandonnant sa position antérieure et concédant que l’obligation de faire respecter l’ordre public en empêchant les infractions pénales pouvait être considérée comme suffisamment « concrète et spécifique » aux fins de l’article 5 § 1 b) de la Convention « si le lieu ainsi que le moment de la commission imminente de l’infraction et les victimes potentielles de celle-ci [étaient] suffisamment déterminés »[106]. Cette même année, la Cour a rendu l’arrêt Bergmann[107], revenant sur M. Le présent arrêt confirme cette tendance de la Cour à faire des concessions.
30. Si l’on devait accepter une interprétation de l’article 5 § 1 e) de la Convention qui soutienne le modèle allemand de détention de sûreté considérée comme la détention d’une personne « aliénée » n’ayant rien à voir avec le système pénal, on ouvrirait la porte à une détention de sûreté qui ne ferait pas suite à la commission d’une infraction. Le raisonnement du gouvernement conçoit le lien entre l’infraction antérieure et la détention comme étant plutôt lâche, parce que sinon, la détention se résumerait à une mesure telle que prévue à l’article 5 § 1 a). La voie est libre pour que l’on puisse détenir une personne sur la seule base d’une prévision de dangerosité.
31. La réussite du gouvernement a eu du retentissement dans certains Länder qui n’ont pas craint d’introduire de nouvelles formes strictes de détention de sûreté, comme la détention de sûreté illimitée ordonnée sur le fondement d’un règlement de police (par exemple, l’article 20 de la Polizeiaufgabengesetz en Bavière et l’article 18 de la Polizeigesetz de Brême). Bien qu’imposées sous la supervision du système judiciaire, ces mesures de détention reposent sur le simple soupçon d’une conduite criminelle à venir, indépendamment de toute procédure pénale pendante ou à venir et sans limitation de durée[108]. La Schutzhaft est de retour, mais cette fois-ci avec le soutien du système judiciaire.
C. Conclusion préliminaire (§§ 32-35)
32. Dans la logique du système pénal allemand, la détention de sûreté ne visait pas une finalité thérapeutique. Un délinquant aliéné était envoyé, en application d’une ordonnance d’internement, dans un établissement psychiatrique médico-légal (article 63 du code pénal) après qu’un expert eut conclu qu’il existait un risque qu’il récidivât du fait d’un trouble mental. Un délinquant était placé en détention de sûreté (article 66 du code pénal) lorsqu’il ne présentait pas de trouble mental sous-jacent, mais seulement une méchante tendance susceptible de le conduire à commettre des infractions à l’avenir. L’article 63 a été conçu pour cibler le délinquant « fou » (c’est-à-dire un délinquant dangereux et dément qui avait commis une infraction pénale du fait d’une maladie mentale), tandis que l’article 66 ciblait le délinquant « méchant » (c’est-à-dire un délinquant sain d’esprit dangereux qui avait commis à plusieurs reprises des infractions graves (Gewohnheitsverbrecher) et qui était considéré comme « inamendable » (unverbesserlich)[109]). Tel est toujours le cas aujourd’hui : tandis que l’article 67d § 6 du code pénal dispose qu’il doit être mis un terme (erledigt) à la mesure de sûreté visée à l’article 63 et fondée sur une ordonnance d’internement lorsque les exigences pertinentes ne sont plus réunies, l’article 66b du code pénal et l’article 7 § 4 de la loi sur les tribunaux pour mineurs prévoient toujours une détention de sûreté rétrospective dans pareille situation, ce qui ne serait pas possible si cette mesure avait une finalité thérapeutique. De plus, l’article 67 du code pénal instaure ce que l’on appelle le système de détention « de substitution ». Lorsqu’une ordonnance d’internement psychiatrique est prise ou qu’une obligation de désintoxication est imposée, cette mesure doit en règle générale être exécutée préalablement à la peine de prison. Lorsque pareille mesure est exécutée alors que la peine de prison doit toujours l’être, le temps passé dans l’établissement médical en exécution de ladite mesure est compté comme du temps passé en prison à concurrence des deux tiers de la durée totale de la peine d’emprisonnement. La détention de sûreté est exclue de ce système « de substitution »[110], à l’évidence parce qu’elle n’est pas perçue comme un traitement mais plutôt comme une sanction. Le Feindstrafrecht demeure encore très vivace.
33. En résumé, depuis plus de 85 ans que la détention de sûreté existe dans le droit pénal allemand, elle n’a jamais été liée à un traitement médical ou psychiatrique, et même à aucun traitement du tout. Au contraire, la détention de sûreté a toujours été considérée comme étant surtout une mesure de sûreté restrictive de liberté[111], contrairement aux mesures à visée principalement thérapeutique prévues à l’article 63 du code pénal (internement dans un établissement destiné à accueillir des patients atteints de troubles mentaux) et à l’article 64 (internement aux fins d’une thérapie contre la toxicomanie ou l’alcoolisme).
34. Le revirement épistémique opéré par la Cour constitutionnelle en mai 2011, par lequel celle-ci s’est alignée sur le choix politique stratégique duquel procédait la loi sur l’internement thérapeutique afin d’éviter une confrontation directe avec Strasbourg, a été couronné par le nouvel article 66c du code pénal, qui a été introduit par la loi de 2012 sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement. En fait, les parlementaires allemands ont commencé par engager une politique de « transsubstantiation » de la détention de sûreté en une mesure de placement thérapeutique non punitive et ne relevant pas du droit pénal dans le but de préserver son autonomie par rapport à un emprisonnement et surtout son applicabilité rétrospective. Ensuite, dans son arrêt du 4 mai 2011, la Cour constitutionnelle a fait dépendre le maintien en internement des personnes qui faisaient déjà l’objet d’une mesure de détention de sûreté rétrospective des conditions énoncées dans la loi sur l’internement thérapeutique. Dans la pratique, cela s’est traduit par le maintien de ces personnes en détention, mais pas par leur internement thérapeutique, lequel aurait dû être ordonné par une juridiction civile, et conformément au droit civil. De plus, la Cour constitutionnelle a fait référence à une nouvelle loi (la loi sur l’internement thérapeutique) pour la justification du maintien en détention de sûreté, y compris de détenus relevant du droit des mineurs[112], à l’égard desquels elle avait reconnu une violation du principe des espérances légitimes (mais non de celui de la non-rétroactivité des lois) dans ce même arrêt. Ce faisant, l’arrêt de la Cour constitutionnelle a produit une sanation rétrospective pour la détention de sûreté déjà existante, même si celle-ci résultait explicitement d’une nouvelle perception des Sicherungsverwahrte, qui étaient désormais vus comme des « aliénés », et d’une perspective apparemment ex nunc de leur dangerosité et de la nécessité de les soigner à l’avenir.
35. Si l’article 316f de la loi introductive au code pénal a limité l’application de la détention de sûreté rétrospective aux délinquants atteints d’un « trouble mental » et présentant un risque élevé de commettre des infractions sexuelles ou violentes des plus graves, il s’agissait d’une disposition ne portant pas sur un placement thérapeutique en hôpital psychiatrique, mais sur une détention de sûreté rétrospective qui était étroitement liée au crime qui avait été commis dans le passé et pour lequel une condamnation, non accompagnée d’une ordonnance de placement en détention de sûreté, avait été prononcée. Comme le montre la distinction des affaires en fonction de l’acte à l’origine de la détention (Anlasstat) avant ou après le 31 mai 2013, c’est cette infraction – et non la santé mentale du délinquant – qui demeure le critère pertinent pour la décision de justice.
III. La dogmatique de la détention de sûreté (§§ 36-55)
A. Les délinquants adultes et les jeunes adultes délinquants (§§ 36‑48)
i. Retour à la « majesté sans but » de la prison (§§ 36-41)
36. La politique de détention de sûreté de l’État défendeur est foncièrement viciée. La distinction entre les peines fondées sur la culpabilité (Schuld) appliquées aux personnes responsables pénalement et les mesures d’amendement et de sûreté fondées sur la dangerosité (Gefährlichkeit) applicables aux personnes non responsables pénalement ainsi que la classification de la détention de sûreté dans la catégorie des mesures d’amendement et de sûreté, alors même que cette détention est appliquée à des personnes qui sont responsables pénalement, ne résiste pas à l’analyse des principes de base du droit pénal moderne, à savoir la dignité humaine et la réinsertion.
37. L’erreur dogmatique fondamentale a été d’ignorer qu’une peine de prison devrait être tout autant axée sur la thérapie et la liberté qu’une détention de sûreté[113]. Les principes énoncés aux paragraphes 106 à 118 de l’arrêt constitutionnel du 4 mai 2011 et incorporés dans l’article 66c du code pénal allemand par la loi sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d’emprisonnement devraient s’appliquer à la fois aux peines de prison et aux ordonnances de placement en détention de sûreté. Selon les Règles pénitentiaires européennes ainsi que d’autres normes internationales, l’offre d’un traitement individualisé fondé sur une évaluation complète des besoins ainsi que sur un plan d’exécution (Vollzugsplan)[114] actualisé régulièrement constitue une caractéristique impérative d’une organisation du système pénitentiaire axée sur la réinsertion[115], surtout dans le cas des peines de prison de longue durée[116]. De même, parmi les caractéristiques essentielles d’une gestion rationnelle du système pénitentiaire figurent l’accent sur les besoins thérapeutiques et sur la promotion de la liberté, de la participation et de la motivation individuelles, ainsi que l’objectif poursuivi par le programme thérapeutique, qui consiste à susciter chez les détenus la volonté de participer aux efforts destinés à atténuer leur dangerosité pour la société de façon à ce qu’ils puissent bénéficier d’une libération conditionnelle aussi tôt que possible. De manière générale, les programmes de traitement destinés aux prisonniers doivent prévoir un assouplissement progressif du régime ainsi que des permissions de sortie temporaires.
38. En d’autres termes, les caractéristiques censément spécifiques à la détention de sûreté devraient également être indissociables d’une peine de prison. La législation allemande le reconnaît elle-même lorsque, au sujet des détenus condamnés auxquels on a, dès leur condamnation, notifié l’éventualité de leur placement en détention de sûreté ultérieure, elle indique que les autorités pénitentiaires compétentes sont légalement tenues d’offrir des mesures de traitement spécifiques à ces détenus pendant qu’ils purgent leur peine dans le but de rendre leur éventuelle détention de sûreté ultérieure aussi inutile que possible (article 66c § 2 du code pénal)[117]. De plus, même avant l’inclusion de l’article 66c dans le code pénal, les dispositions portant spécifiquement sur l’exécution de la détention de sûreté étaient déjà calquées sur celles qui régissaient l’exécution des peines de prison (articles 130-135 de la loi sur l’exécution de la détention et des mesures privatives de libertés prises à des fins d’amendement et de sûreté, susmentionnée)[118]. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les juges de Karlsruhe considèrent que la réinsertion s’applique de la même manière à l’exécution d’une peine de prison et à l’exécution d’une détention de sûreté, ce qui « peut imposer certaines limites de facto concernant des points de détail de l’exigence de différenciation[119]. »
39. Point plus important, l’exigence de différenciation repose sur l’hypothèse selon laquelle les peines de prison et la détention de sûreté obéissent à des finalités différentes, les premières constituant principalement une réaction répressive à une conduite répréhensible dans l’objectif de la « réparation de la faute » (Schuldausgleich)[120], et la seconde visant exclusivement « à protéger la société à l’avenir » (zukünftigen Sicherung der Gesellschaft)[121] contre des délinquants qui, au regard de leur comportement passé, sont réputés être extrêmement dangereux. L’hypothèse selon laquelle le rachat d’une faute (Schuldvergeltung) ou la « réparation d’une faute » (Schuldausgleich)[122] constituerait l’objectif premier de la peine de prison contredit non seulement le principe de la réinsertion des délinquants responsables de la commission coupable d’une faute pénale, principe qui se trouve à la base du droit pénal moderne (prévention spéciale positive), mais aussi le principe de la dignité humaine sur lequel celui-ci s’appuie[123].
40. Depuis sa fameuse décision Lebach en 1973[124], la Cour constitutionnelle a rappelé que l’objectif unique d’une peine de prison était la réadaptation, et que le droit à la réadaptation découlait du principe de la dignité humaine et de l’humanité des peines. En contradiction avec son engagement de longue date en faveur de la réinsertion exprimé dans beaucoup d’autres arrêts phares ultérieurs[125], l’hypothèse sous-jacente dissimulée dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande relative à la détention de sûreté reste celle de l’emprisonnement vu comme une peine avec sa « majesté sans but », pour reprendre l’expression bien connue de Maurach[126]. Lorsque la Cour constitutionnelle a reconnu que la conduite répréhensible constituait le « point de contact » (Anknüpfungspunkt) de la détention de sûreté mais non son « fondement » (Grund), supposant qu’une peine de prison était « fondée » sur pareille conduite[127], la fonction répressive métaphysique de la peine de prison est rentrée par la porte arrière et a occupé une place centrale dans le droit pénal en Allemagne.
41. Pire encore, cette hypothèse détourne les autorités publiques de leur obligation de fournir les moyens nécessaires à un système pénitentiaire axé sur la réinsertion. En d’autres termes, pareille hypothèse met gravement en péril le principe de la réinsertion des prisonniers, parce que la pleine mise en pratique de ce principe dans les établissements pénitentiaires serait également contraire à l’exigence de différenciation. Ou bien l’exigence de différenciation a-t-elle pour conséquence que les juges constitutionnels acceptent qu’une pratique inconstitutionnelle continue d’avoir cours dans les prisons ? Cette exigence ne concorde pas avec l’approche adoptée par le droit pénal moderne, qui cherche à contrer les éventuelles atteintes à la personnalité (Haftschäden) causées par n’importe quel type de détention de longue durée[128]. Si l’hypothèse de la « majesté sans but » d’une peine de prison est erronée, comme nous le dit le droit pénal moderne, l’exigence de différenciation ne peut subsister et, « sans l’exigence de différenciation, l’instauration d’une détention de sûreté est incompatible avec le droit fondamental à la liberté des détenus placés en détention de sûreté[129] ».
ii. La manipulation de la psychiatrie (§§ 42-44)
42. Pour diverses raisons, la politique adoptée par l’État défendeur postérieurement à l’arrêt M. emporte le risque d’une manipulation de la psychiatrie aux fins de la répression sociale[130]. Sur un plan scientifique, il n’existe pas de corrélation entre un diagnostic psychiatrique et la dangerosité, surtout dans le cas des mineurs et des jeunes adultes, pour lesquels les pronostics sont très aléatoires. Il est en effet extrêmement difficile de pronostiquer la commission de crimes très graves parce que l’on part de chiffres très faibles, et l’on peut dire que cet exercice relève de l’impossible dans l’univers artificiel de la prison, particulièrement dans le cas des jeunes, qui sont d’un âge propice à la résistance et qui ont un passé criminel plus bref. On peut regretter que les autorités internes aient choisi d’ignorer les problèmes, pourtant abondamment décrits dans la littérature, liés à la surestimation de la probabilité de la récidive, laquelle entraîne la prolifération de « faux positifs ». En fait, les juges de Karlsruhe ont considéré que le problème du manque de fiabilité des preuves empiriques justifiait justement l’exigence de différenciation et l’exécution de la détention de sûreté conformément à cette exigence, mais n’ont pas tenu compte de ce même défaut de fiabilité concernant les peines de prison. Ces problèmes sont exacerbés par les récents développements de la psychiatrie et de la psychologie, lesquels sont à l’origine d’une augmentation massive des diagnostics dans la catégorie des troubles mentaux[131]. Nombre de ces troubles procèdent d’un phénomène circulaire dans la mesure où c’est l’infraction qui conduit au constat d’un trouble. Cela vaut particulièrement pour les troubles antisociaux et pour les troubles de la préférence sexuelle.
43. Dans une situation typiquement kafkaïenne, on assimile dans la pratique trouble mental et dangerosité du détenu (« ré-étiquetage »). Sachant que la maladie mentale ne constitue pas une condition généralement requise pour la détention de sûreté, de sorte que se trouvent détenus au titre de l’article 66 du code pénal des délinquants présentant un trouble mental et d’autres n’en présentant pas, ces derniers ne peuvent pas être internés dans un établissement médical traitant les troubles mentaux. Or, l’interprétation large que donne la Cour constitutionnelle du « trouble mental » (psychische Störung) entraîne un risque sérieux que l’on assimile trouble mental et dangerosité du détenu, dans le simple but de garder celui-ci en détention plus longtemps. Ce risque de raisonnement circulaire, voulant que « quiconque commet telle infraction est forcément atteint d’un trouble mental, et quiconque commet telle infraction et est atteint d’un trouble mental est forcément dangereux[132] » est exacerbé par la conception que la Cour constitutionnelle se fait du « trouble mental », dans lequel elle voit une notion juridique fondée sur un vague diagnostic psychiatrique de trouble antisocial ou de comportement déviant, ainsi que par le caractère aléatoire et abstrait de la classification des détenus comme dangereux qui est opérée par les autorités internes[133].
44. Dans ces conditions, on voit aisément que la détention de sûreté appliquée à des délinquants condamnés qui ont été jugés mentalement aptes à se défendre pendant un procès et juridiquement responsables mais que l’on affuble à tort de l’étiquette de « malade mental » ne sert qu’à prolonger leur incarcération ad aeternam, et, si nécessaire, de manière rétrospective, qu’ils soient amendables ou non. En fait, dans son arrêt du 4 mai 2011, la Cour constitutionnelle a également adopté ce point de vue dans le cas d’un recourant, G., qui avait été interné dans des hôpitaux psychiatriques en application de mesures d’amendement et de sûreté (article 63 du code pénal), et dont il avait été mis fin à l’internement au motif qu’il n’était pas amendable (therapieunfähig), la justice ayant décidé qu’il devait purger le reste de ses peines privatives de liberté et qu’il devait être ultérieurement placé en détention de sûreté[134].
iii. La déception des espérances légitimes (§§ 45-48)
45. L’incertitude du cadre juridique interne se trouve accentuée par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle relative aux espérances légitimes[135]. Selon la Cour de Karlsruhe, la loi peut être rétrospective au sens où, tandis qu’elle ne produit ses effets juridiques qu’après sa publication, elle couvre des événements qui se sont « amorcés » (ins Werk gesetzt) avant qu’elle n’entre en vigueur, mais qui n’ont toujours pas pris fin à ce moment-là[136]. C’est ce que l’on appelle la « fausse rétroactivité » (unechte Rückwirkung), que l’on doit distinguer de la « véritable rétroactivité » (echte Rückwirkung), par laquelle la nouvelle loi modifie les effets juridiques d’événements qui ont pris fin avant son entrée en vigueur. Avec les lois rétroactives dans le premier sens évoqué, les principes de sécurité juridique et de protection des espérances légitimes ne priment pas globalement l’intention du législateur de modifier l’ordre juridique existant en réaction à l’évolution des circonstances. Le législateur peut adopter pareilles lois rétroactives si l’importance de la finalité de la législation pour l’intérêt général surpasse l’importance de l’intérêt qu’il y a à protéger les espérances légitimes.
46. C’est exactement ce que la Cour constitutionnelle a conclu dans l’affaire M., qui concernait la suppression de la durée maximale de dix ans avec effet rétroactif. Dans cette affaire, la haute juridiction a décidé que cette suppression n’avait d’incidence que pour les personnes qui se trouvaient déjà en détention de sûreté au moment de l’entrée en vigueur de la loi, et non pour celles dont la mesure de détention de sûreté avait déjà pris fin à ce moment-là. De plus, le « bien commun » (das Wohl der Allgemeinheit) l’emportait sur l’assurance que pouvaient avoir les détenus concernés de voir la durée maximale légale de dix ans maintenue[137].
47. Outre le caractère artificiel de l’argument selon lequel la loi nouvelle n’avait pas d’incidence sur la mesure elle-même en tant que conséquence juridique de la conduite du délinquant, mais uniquement sur sa durée, l’exercice de mise en balance effectué par la Cour de Karlsruhe emporte à l’évidence le risque de voir la détention de sûreté rétrospective utilisée à mauvais escient en pratique, à titre de mesure corrective pour des jugements erronés, dans une distorsion flagrante du principe ne bis in idem.
48. Dans son arrêt du 4 mai 2011, la Cour constitutionnelle non seulement n’a pas précisé à quelle situation elle faisait référence s’agissant du point de départ à partir duquel envisager la rétroactivité – la détention de sûreté (pas encore achevée), la condamnation (achevée) ou le crime commis dans le passé (achevé) –, mais elle a admis que tant dans le cas du prolongement rétroactif de la durée maximale de la détention de sûreté (article 67d § 3 no 1 du code pénal combiné avec l’article 2 § 6) que dans le cas de l’application rétroactive de la détention de sûreté (article 66b § 2 du code pénal et article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs), il y avait une atteinte aux espérances légitimes des détenus visés, que l’on se plaçât dans l’hypothèse d’une rétroactivité « véritable » ou « fausse »[138], ajoutant que le manquement à l’obligation de différenciation conférait aux espérances légitimes de la personne visée un poids proche de celui que revêtait une protection absolue des espérances légitimes[139]. La Cour constitutionnelle a admis que dans ce contexte, la protection des espérances légitimes était étroitement liée et structurellement similaire au principe nulla poena sine lege[140]. En effet, il est difficile de comprendre pourquoi un délinquant condamné à une peine de prison bénéficie de l’entière protection offerte par le principe de légalité, y compris de l’interdiction de la rétroactivité de la lex gravior, tant qu’il purge sa peine de prison, mais qu’il perd cette protection une fois qu’il se retrouve en détention de sûreté après avoir purgé sa peine de prison et « payé » pour ses fautes. Ces deux sanctions constituent de graves ingérences dans l’exercice par le délinquant de son droit à la liberté et devraient par conséquent être soumises au même contrôle de légalité et à la même interdiction absolue de la rétroactivité de la lex gravior, quel que soit l’état de santé mentale du délinquant concerné. Ou bien faut-il supposer que les Sicherungsverwahrten, en particulier ceux qui sont atteints de troubles mentaux, méritent moins que les autres de bénéficier de dignité et d’humanité ?
B. Les délinquants mineurs et les jeunes adultes délinquants (§§ 49‑52)
i. Une politique qui ignore la proportionnalité (§ 49)
49. Avec la détention de sûreté appliquée aux mineurs et aux jeunes adultes, les autorités n’ont pas choisi une politique fondée sur la proportionnalité qui aurait été testée de manière empirique[141]. L’étude de la procédure législative en dit long à ce sujet. On n’a ni cherché à évaluer les résultats de pareil régime lorsqu’il était appliqué aux adultes ni envisagé d’autres mesures éventuelles moins attentatoires à l’intégrité. Pour les mineurs, a fortiori, il aurait fallu prendre en compte l’avis du Comité des droits de l’homme au sujet de la détention de sûreté des adultes, qui était ainsi formulé :
« (...) Pour que la décision ne soit pas arbitraire, en l’espèce, l’État partie aurait dû démontrer que la réadaptation de l’auteur ne pouvait pas se faire par des mesures moins attentatoires à l’intégrité qu’un maintien en prison ou même un placement en détention, d’autant qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 10 il avait l’obligation continue de prendre des mesures efficaces pour favoriser la réadaptation de l’auteur, si celle-ci était vraiment nécessaire, pendant les quatorze années que celui-ci a passées en prison[142]. »
De plus, le choix politique de l’application rétrospective de la détention de sûreté aux mineurs a été déterminé sur la base d’une seule affaire, celle du requérant. En fait, lorsque les experts ont été entendus par les parlementaires, M. Konopka, le directeur du centre de détention de Straubing, a défendu le caractère indispensable de la mesure en se fondant sur la nécessité de maintenir le requérant en détention[143]. Dans sa décision du 9 mars 2010, la Cour suprême a explicitement admis le lien entre la nouvelle loi et le cas spécifique du requérant[144]. Une loi pénale qui est adoptée, en termes pratiques, pour une seule personne ne constitue pas simplement une violation flagrante du principe de proportionnalité : c’est une attaque contre l’état de droit même.
ii. L’impasse sur la visée éducative (§ 50)
50. Pire encore, le législateur allemand n’a fait aucun cas de la situation spécifique des délinquants mineurs, et particulièrement des spécificités de l’adolescence, la brièveté du passé criminel des adolescents, de leurs meilleures perspectives de thérapie et du risque de voir la détention de sûreté devenir potentiellement une peine à perpétuité. Partant, aucune instruction spéciale n’a été donnée pour l’exécution de la détention de sûreté des mineurs et des jeunes adultes[145]. De plus, les ordonnances de placement en détention de sûreté prises contre des mineurs sont demeurées axées sur la neutralisation plutôt que sur la réinsertion. Enfin, l’exigence d’une peine de prison d’au moins sept ans semble arbitraire et inadaptée au droit applicable aux mineurs, en particulier au regard des peines cumulées. Dans l’ensemble, ce choix de politique est difficilement compatible avec la visée éducative du droit applicable aux mineurs.
iii. L’inégalité de traitement par rapport aux adultes (§§ 51-52)
51. Cette conclusion s’est trouvée renforcée lorsque l’on a décidé que la détention de sûreté des mineurs ne serait plus conditionnée par l’existence d’une « propension » (Hang) à commettre des infractions et par l’apparition pendant l’exécution de la peine d’emprisonnement de faits nouveaux (nova) indicatifs de la dangerosité du délinquant, ce qui soulève une grave question d’inégalité par rapport aux délinquants adultes. Dans le but proclamé de renforcer l’exactitude des pronostics, il a été établi que l’on pourrait prendre en considération non seulement les faits nouveaux se manifestant pendant la période de privation de liberté, mais aussi tout type de faits, y compris ceux qui étaient déjà connus du tribunal de jugement mais qui, à l’époque, avaient été appréciés différemment.
52. Ce choix politique n’a nullement été dicté par une philosophie humaniste et n’a pas non plus été opéré à l’issue d’une étude sérieuse des problèmes liés aux pronostics effectués sur les jeunes. Il s’agissait plutôt d’une occasion manifeste de se débarrasser de la véritable condition limitative qui était en pratique susceptible d’empêcher d’ordonner une détention de sûreté rétrospective. Dans le cas du droit applicable aux adultes, cette condition était la nécessité de nova qui, selon la jurisprudence de la Cour fédérale de justice, a souvent conduit à rejeter la détention de sûreté rétrospective[146]. La Cour fédérale de justice avait en effet exprimé clairement que tout fait qui avait été pris en compte ou qui aurait pu être pris en compte par un juge du fond minutieux ne pouvait pas servir de novum justifiant une détention de sûreté rétrospective[147]. L’exigence de nova, telle que conçue par la Cour fédérale de justice, constituait à l’époque le seul obstacle sérieux et effectif à l’imposition d’une détention de sûreté rétrospective pour de nombreux prisonniers. C’est exactement ce que le législateur entendait éviter dans le cas des mineurs.
C. Conclusion préliminaire (§§ 53-55)
53. L’exercice législatif sans fin d’esquive et de replâtrage mené à propos de la détention de sûreté a été rendu possible par la connivence jurisprudentielle avec la solution « de fortune »[148] qu’offrait l’exigence de différenciation. En réalité, excepté quelques différences d’ordre quantitatif (comme la superficie des cellules ou le doublement du temps minimum de visite par mois), on ne perçoit une différence entre l’exécution d’une détention de sûreté et celle d’une peine de prison que parce que les droits du détenu ne sont pas mis en œuvre de manière effective dans les établissements pénitentiaires. Si ces droits étaient mis en œuvre conformément aux normes européennes et au droit interne, cette différence s’amenuiserait de manière significative ou pourrait même s’effacer[149]. Pire encore, les données empiriques montrent que dans la pratique, les personnes placées en détention de sûreté soit n’ont pas accès à une offre thérapeutique soit refusent les propositions de traitement[150]. On considère habituellement que cette situation est imputable aux détenus mais en réalité, elle est assez révélatrice de la qualité de l’offre[151].
54. Même si nous admettons, pour les besoins de la discussion, que la détention de sûreté a été imposée dans les conditions proches de celles d’une hospitalisation que le Gouvernement a dépeintes, cela ne devrait pas nous empêcher de voir la dure réalité, à savoir que les Sicherungsverwahrten sont détenus et peuvent demeurer en détention pendant le reste de leur vie. Dans le cas des mineurs, cela peut être synonyme d’une vie entière passée en prison. À des fins d’exactitude historique, il convient de rappeler que l’on a instauré l’exigence de différenciation dans le but de garantir à ces détenus un « minimum de qualité de vie », ce qui montre que l’on est parti de l’hypothèse que ces personnes étaient des cas « privés de tout espoir » pour lesquels une thérapie ne serait d’aucune efficacité et qui passeraient le reste de leur vie derrière les barreaux[152]. En fin de compte, la Cour constitutionnelle a reconnu que l’atteinte au droit à la liberté que la détention de sûreté entraînait, « même si l’exigence de différenciation était respectée » (selbst bei Währung des Abstandsgebotes), était « comparable » (vergleichbar) à une peine privative de liberté au regard de la privation permanente de liberté extérieure[153] et, expliquant pourquoi c’était la législation fédérale plutôt que celle des Länder qui devait introduire la détention de sûreté rétrospective, elle l’a désignée comme étant une « peine » (Strafe)[154]. Il en est allé de même pour le placement thérapeutique[155]. À la lumière des principes généraux de l’interprétation systématique du droit constitutionnel, il est effectivement difficile de comprendre pourquoi la Cour constitutionnelle considère les peines et les mesures d’amendement et de sûreté comme deux questions de même nature, à savoir de droit pénal (Strafrecht), mais les sépare aux fins du principe de légalité. Cette position sélective des juges de Karlsruhe en dit long sur la véritable visée punitive de la détention de sûreté et de l’internement thérapeutique.
55. En abandonnant la caractéristique essentielle du régime de détention de sûreté, à savoir la nécessité d’une « tendance » à commettre des infractions graves, le législateur a dé-caractérisé la mesure lorsqu’elle s’appliquait aux mineurs[156]. Pire encore, en renonçant à l’exigence de nova, il a ouvert la voie à une politique répressive illimitée à l’égard des mineurs, qui non seulement les traite différemment, mais opère aussi une discrimination à leur égard, les raisons invoquées pour justifier cette différence de traitement n’étant pas valides. Cette pomme de discorde spécifique revêt une importance particulière en l’espèce, parce qu’elle a été soulevée par le requérant devant la Cour suprême fédérale ainsi que devant la Cour constitutionnelle fédérale, lesquelles ont confirmé la politique susmentionnée[157]. Ces arguments ne peuvent être entièrement compris que dans le contexte du conflit entre les normes constitutionnelles et les normes de droit international qui lient les tribunaux allemands, sur lequel je vais maintenant me pencher.
Deuxième partie – La détention de sûreté vue au travers du prisme du droit international (§§ 56-130)
IV. Le contexte du dialogue entre Strasbourg et Karlsruhe (§§ 56-89)
A. Le contexte du droit constitutionnel (§§ 56-74)
i. L’ouverture au droit international de la Loi fondamentale (§§ 56-59)
56. Selon la Cour constitutionnelle, la Convention occupe un rang inférieur à celui de la Loi fondamentale, puisqu’on lui a assigné le rang d’une loi fédérale[158]. Compte tenu de ce rang hiérarchique, la Convention ne constitue pas une norme de contrôle constitutionnel directe, et un recourant ne peut donc pas contester directement la violation d’un droit fondamental garanti par la Convention en saisissant la Cour constitutionnelle. Néanmoins, l’interprétation des dispositions de la Loi fondamentale doit tenir compte du droit international. Les garanties de la Convention et les arrêts de la Cour servent d’instruments interprétatifs utiles lorsqu’il s’agit de déterminer l’étendue et la teneur des droits fondamentaux consacrés par la Loi fondamentale tant qu’ils ne limitent pas ou ne diminuent pas le niveau de protection de ces droits assuré par la Loi fondamentale[159].
Mais contrairement à d’autres traités internationaux, la Convention confère à une juridiction le pouvoir de prononcer un « arrêt déclaratoire » (Feststellungsurteil)[160], lequel est revêtu de la force de chose jugée à l’égard des parties mais pas d’un pouvoir de cassation. L’État partie à l’affaire est dans l’obligation de restaurer, si possible, la situation qui aurait prévalu si la violation de la Convention qui a été constatée n’avait pas eu lieu, de veiller à ce que l’ordre juridique interne soit compatible avec la Convention et de lever tout obstacle qui, dans le droit interne, empêche d’offrir au requérant un redressement adéquat. Pour les États non parties, les arrêts de la Cour constituent une « incitation » (Anlass)[161] à examiner l’ordre juridique national et à l’orienter dans le sens de la jurisprudence de Strasbourg.
57. Tous les organes de l’État doivent tenir compte de la Convention et des arrêts de la Cour, de sorte que le défaut de confrontation avec les arrêts de la Cour mais aussi leur « exécution automatique » (schematische « Vollstreckung »)[162] ou leur « application irréfléchie » (unreflektierten Vollzug)[163] contre le droit interne en vigueur peuvent se traduire par un manquement aux droits fondamentaux. L’obligation de tenir compte de la Convention et des arrêts de la Cour implique, au minimum, que ces derniers doivent être connus et inclus dans le processus de décision du législateur, des organes administratifs compétents et du pouvoir judiciaire. Les aspects pris en considération par la Cour dans son exercice de mise en balance doivent entrer en ligne de compte lorsque la question est envisagée du point de vue du droit constitutionnel, en particulier lorsqu’elle est étudiée à l’aune du critère de proportionnalité, et il y a lieu de procéder à une comparaison avec les résultats de cet exercice de mise en balance. Il s’agit là d’une obligation objective qui ne dépend pas de la date d’entrée en vigueur d’une loi nationale. Cette dernière est donc soumise aux normes de la Convention qui ont été établies après son entrée en vigueur.
58. Si la Cour constate une violation qui existe toujours au moment où les autorités internes sont confrontées à l’arrêt, ces dernières doivent en tenir compte et éventuellement énoncer une motivation claire qui justifie qu’elles ne s’y conforment pas. Trois scénarios sont possibles dans ce cas. Lorsqu’une disposition du droit national a été jugée incompatible avec la Convention, elle peut toujours être interprétée en conformité avec le droit international public lorsqu’elle est mise en pratique ou être modifiée par le législateur[164]. Lorsqu’un acte administratif a été jugé incompatible avec la Convention, l’autorité administrative compétente a la « possibilité » (Möglichkeit)[165], mais pas l’obligation, de l’annuler en application des dispositions du code des procédures administratives. Lorsqu’une décision judiciaire a été jugée incompatible avec la Convention, les arrêts de la Cour n’ont pas pour effet de faire disparaître la force de chose jugée de la décision du juge interne.
59. Les organes de l’État doivent envisager les conséquences juridiques que produisent les arrêts de la Cour dans l’ordre juridique interne, en gardant à l’esprit que la Cour de Strasbourg statue sur des litiges individuels concrets entre le requérant et une partie à la Convention. Ces arrêts peuvent se heurter à des sous-ensembles du droit national qui ont été façonnés par un système de jurisprudence complexe, dans lequel des positions conflictuelles relativement aux droits de l’homme ont été harmonisées par la construction de catégories d’affaires ainsi que d’un ensemble de conséquences juridiques prescrites[166]. Ces sous-ensembles sont notamment le droit de la famille, le droit des étrangers et les droits de la personnalité. Il appartient aux juridictions internes d’intégrer une décision de la Cour dans le sous‑ensemble pertinent du droit national, parce que les arrêts de la Cour ne peuvent procéder directement aux ajustements nécessaires au sein d’un sous-ensemble de droit national.
ii. La réserve relative aux relations multipolaires dans le domaine des droits de l’homme (§§ 60-61)
60. De l’avis des juges de Karlsruhe, les limites à une interprétation tenant compte du droit international découlent de la Loi fondamentale et des principes généraux de l’interprétation juridique. Pareille interprétation conforme au droit international n’est possible que si elle est défendable à la lumière des « méthodes d’interprétation juridique reconnues » (methodisch vertretbaren Gesetzauslegung)[167]. Les juges citent des cas dans lesquels l’observation de la jurisprudence de la Cour ne constituerait pas une interprétation convenable, par exemple lorsqu’il y a une « violation du droit ordinaire qui dispose clairement du contraire » (gegen eindeutig entgegenstehendes Gesetzesrecht ... verstößt) ou de dispositions du droit constitutionnel allemand, en particulier des droits fondamentaux de tierces parties[168].
61. Cette dernière limitation à la réception de la Convention peut se révéler pertinente particulièrement dans le contexte de « relations multipolaires dans le domaine des droits fondamentaux » (mehrpolige Grundrechtsverhältnisse), lorsqu’un surcroît de liberté pour l’un des titulaires de droits fondamentaux amoindrit la liberté d’un autre titulaire[169]. Voici les trois principales raisons qui peuvent inciter les autorités internes à s’abstenir de respecter la jurisprudence de la Cour dans ce type de relations : en premier lieu, elles recourent souvent à un exercice de mise en balance délicat entre différentes positions juridiques subjectives individuelles et le résultat de cet exercice peut changer lorsque les parties au litige juridique ou les circonstances juridiques et factuelles changent ; en deuxième lieu, dans le cadre d’une relation multipolaire, une décision de la Cour peut induire une ingérence dans les droits subjectifs de plusieurs parties qui doivent être harmonisés dans le cas d’un litige où une seule d’entre elle a pu être représentée devant la Cour ; et, en troisième lieu, la possibilité pour des tierces parties de prendre part à la procédure devant la Cour ne constitue pas un équivalent institutionnel aux droits et obligations d’une partie à une procédure ou de tout autre personne impliquée dans la procédure interne initiale. La spécificité des relations multipolaires dans le domaine des droits de l’homme peut aussi appeler à écarter la généralisation et à lui préférer un examen au cas par cas[170].
iii. L’interprétation de la détention de sûreté hostile au droit de la Convention (§§ 62-74)
62. L’interprétation tenant compte du droit international englobe l’obligation de considérer que les garanties offertes par la Convention ainsi que les arrêts rendus par la Cour produisent « au moins un effet de facto de précédents » (zumindest faktischen Präzedenzwirkung)[171], même au-delà du champ d’application de l’article 46 de la Convention. De plus, les arrêts de la Cour qui contiennent des aspects nouveaux pertinents pour l’interprétation de la Loi fondamentale sont « assimilés à des changements juridiquement pertinents » (rechtserheblichen Änderung gleichstehen)[172] qui sont susceptibles de l’emporter sur les arrêts définitifs de la Cour constitutionnelle. C’est la raison pour laquelle la Cour constitutionnelle a accepté de revenir sur la question de la constitutionnalité de l’article 67d § 3 du code pénal dans son arrêt du 4 mai 2011, alors même qu’elle avait déjà statué sur cette question dans son arrêt du 5 février 2004[173].
63. L’article 1 § 2 de la Loi fondamentale ne constitue pas une passerelle permettant de conférer à la Convention un « statut constitutionnel direct » (unmittelbaren Verfassungsrang), mais simplement une « déclaration programmatique non contraignante » (unverbindlicher Programmsatz) selon laquelle les droits fondamentaux énoncés par la Loi fondamentale intègrent les droits de l’homme à titre de normes minimales[174]. Selon la Cour de Karlsruhe, ce n’est pas parce que les décisions de la Cour de Strasbourg servent d’instruments auxiliaires pour l’interprétation de la Loi fondamentale que les garanties offertes par la Loi fondamentale et celles de la Convention doivent automatiquement être parallèles[175]. Il suffit d’adopter les normes qui sont exprimées dans la jurisprudence de la Cour à hauteur de ce qui semble méthodiquement acceptable et concordant avec les normes énoncées dans la Constitution allemande[176]. Dès lors, l’alignement schématique de la signification de la notion constitutionnelle de peine avec celle découlant de la Convention n’est pas obligatoire si, en substance, les normes minimales prescrites par la Convention sont respectées[177].
64. Dans son arrêt du 4 mai 2011, la Cour constitutionnelle a confirmé sa jurisprudence constante selon laquelle l’interdiction absolue de l’application rétrospective de la lex gravior ne s’applique pas à la détention de sûreté et que cette mesure d’amendement et de sûreté peut donc être appliquée de manière rétrospective à des délinquants condamnés. Selon cette haute juridiction, l’interprétation de ce qui est considéré comme une sanction en Allemagne ne peut pas être déterminée en fonction de la jurisprudence des organes de la Convention, mais doit être décidée uniquement en conformité avec la Constitution allemande[178]. Cet argument a conduit entre autres au maintien de l’article 2 § 6 du code pénal[179], lequel autorise l’imposition rétrospective de mesures d’amendement et de sûreté.
65. Dans la pratique, la Cour constitutionnelle a dénaturé le sens et la finalité de l’arrêt M. c. Allemagne[180] dans la mesure où ce dernier a examiné la manière dont la détention de sûreté avait été exécutée dans l’optique de parvenir à un résultat favorable au détenu, à savoir d’élargir la portée de l’article 7 de la Convention et de soumettre cette mesure au principe de légalité plein et entier, y compris au principe nulla poena sine lege praevia. Cependant, la Cour de Karlsruhe a renversé cet argument dans le but de parvenir à un résultat défavorable au détenu, c’est-à-dire de restreindre la portée de l’article 7 et de priver les Sicherungsverwahrten du bénéfice de ce principe précis. Il s’agit là à l’évidence du résultat du non-alignement des cours de Strasbourg et de Karlsruhe au sujet de l’applicabilité du principe nulla poena sine lege praevia à la détention de sûreté.
66. À ce stade, il importe de noter qu’un mois avant le prononcé de l’arrêt de la Cour constitutionnelle de mai 2011, la Cour de Strasbourg avait rendu un arrêt éclairant dans l’affaire Jendrowiak c. Allemagne[181], lequel avait clairement indiqué que la voie dans laquelle s’étaient engagées les autorités internes après l’arrêt M. c. Allemagne n’était pas la bonne. Dans l’arrêt Jendrowiak, la Cour a dit que la détention de sûreté du requérant, lequel avait commis de nombreuses infractions sexuelles et présentait un trouble de la personnalité, « ne relevait d’aucun des motifs admissibles de privation de liberté énumérés de manière exhaustive aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 » de la Convention[182]. La Cour de Strasbourg n’aurait pas pu s’exprimer plus clairement et pourtant, la Cour constitutionnelle s’est tenue à son interprétation des arrêts de la Cour « dans une optique de résultats » (ergebnisorientierten)[183].
67. Contrairement à ce que suppose la Cour constitutionnelle, il ne lui suffit pas de prendre en compte les jugements de valeur de la Cour « dans une optique de résultats ». Il doit exister une théorie des droits fondamentaux qui soit axée sur la Convention, ce qui est différent et plus exigeant[184]. Les arrêts de la Cour ne revêtent pas une simple « fonction de facto d’orientation et de référence pour l’interprétation de la Convention » (faktische Orientierungs- und Leitfunktion)[185], contrairement à ce que prétend la Cour constitutionnelle. Tous les arrêts de la Cour sont assortis de la même valeur juridique, du même caractère contraignant et de la même autorité interprétative, lesquels valeur, caractère et autorité sont les mêmes pour tous les États parties à la Convention[186]. Le fait que la Convention laisse les États décider de la manière dont ils entendent se conformer à l’obligation d’observer les dispositions de ce texte[187] ne leur donne pas le pouvoir d’annuler ou de contourner l’effet des arrêts rendus par la Cour. Le système constitutionnel qui reçoit les arrêts de la Cour ne doit pas les repenser (umdenken)[188] au point de les priver de leur sens et de leur but.
68. Si l’interprétation des droits fondamentaux inscrits dans la Loi fondamentale qui se concilie avec les arrêts de la Cour ne saurait se traduire par une réduction de la protection de ces droits, on ne saurait non plus utiliser la Loi fondamentale à mauvais escient de manière à abaisser le niveau de protection que la Convention garantit au requérant. Dans leurs systèmes internes, les Parties contractantes peuvent aller au-delà du niveau de protection des droits de l’homme offert par la Cour au requérant, mais l’article 53 de la Convention leur interdit de rester en deçà de ce niveau de protection. Pareille possibilité constituerait une dénaturation flagrante de l’article 53 de la Convention, qui entraînerait en elle-même une grave crise structurelle dans le système de la Convention. Il n’est certainement pas admissible d’invoquer « d’autres intérêts constitutionnels », comme les « besoins de sûreté de la société » (Sicherungsbedürfnis der Allgemeinheit)[189], in malam partem, de manière à amoindrir le degré de protection offert au requérant par un arrêt définitif de la Cour.
69. Il n’est pas non plus possible d’invoquer ici l’argument des « droits fondamentaux multipolaires[190] » potentiellement négligés comme un obstacle à la réception pleine et entière de l’arrêt M.[191] dans l’ordre constitutionnel allemand, parce que les impératifs de la sûreté publique avaient déjà été débattus de manière approfondie par les parties et dûment pris en compte par la jurisprudence de la Cour relative à la détention de sûreté[192]. La Cour a formulé la conclusion suivante :
« La Cour entend en outre noter que ses observations ci-dessus concernant la portée de l’obligation positive revenant aux autorités de l’État de protéger les victimes potentielles contre des traitements inhumains ou dégradants qui pourraient être causés par le requérant (...) s’appliquent, a fortiori, dans le contexte de l’interdiction des peines rétroactives énoncée à l’article 7 § 1, disposition insusceptible de dérogation même en période de danger public menaçant la vie de la nation (article 15 §§ 1 et 2 de la Convention). La Convention ne contraint donc pas les autorités de l’État à protéger les individus contre les actes criminels du requérant en prenant des mesures contraires au droit de celui-ci, tel qu’énoncé par l’article 7 § 1, de ne pas se voir infliger une peine plus forte que celle qui était applicable au moment où il a commis son infraction.[193] »
70. Malgré la grave dénaturation du sens et du but de l’arrêt M.[194] et du risque systémique que recèle le raisonnement de la Cour constitutionnelle, la majorité dans le présent arrêt lui emboîte le pas, en alignant son interprétation de la notion de « peine » découlant de l’article 7 sur les « normes minimales » des juridictions internes. Les États restreignent la portée du principe de légalité et la Cour se prête au jeu, externalisant le châtiment en faisant appel à d’autres sanctions qui ne sont pas couvertes par l’article 7, comme la confiscation administrative en Italie et la détention de sûreté en Allemagne.
71. En Italie, la Cour constitutionnelle considère toujours la confiscation des biens liés à un lotissement illicite comme une mesure administrative, qu’elle peut ainsi appliquer à des infractions frappées de prescription[195]. En Allemagne, la Cour constitutionnelle considère toujours la détention de sûreté comme une « mesure privative de liberté prise à des fins d’amendement et de sûreté » (freiheitsentziehende Maßregel der Besserung und Sicherung) qui n’est pas limitée par le principe nulla poena sine lege praevia.
72. Dans les deux cas, l’acceptation par les juridictions constitutionnelles de l’objection de principe énoncée par la Cour de Strasbourg concernant les principales caractéristiques de leurs systèmes répressifs respectifs n’est qu’apparente. L’objection de principe formulée par la Cour dans les arrêts Sud Fondi[196] en 2009 et Varvara[197] en 2013 relativement à l’usage de la confiscation comme mesure administrative a été contournée par la Cour constitutionnelle italienne dans son arrêt 49/2015, exactement comme l’objection de principe à la détention de sûreté formulée par la Cour de Strasbourg dans l’arrêt M. en 2009[198] ainsi que dans la jurisprudence qui a fait suite à cet arrêt[199] avait été contournée par la Cour constitutionnelle allemande dans son arrêt de mai 2011. Le paragraphe 151 de l’arrêt de la Cour de Karlsruhe du 5 février 2004 reste encore aujourd’hui considéré comme juridiquement valable, malgré son incompatibilité totale avec l’arrêt M[200].
73. Ces deux juridictions constitutionnelles s’en sont tenues à leurs positions de principe initiales concernant la nature respectivement de la confiscation (conçue comme une sanction administrative) et de la détention de sûreté (conçue comme ne constituant pas une Strafe) et n’ont rien concédé de substantiel à Strasbourg. La même chose s’est produite concernant l’objection de principe soulevée par la Cour à propos de la peine de perpétuité réelle de facto incompressible dans l’arrêt Vinter[201] en 2013, objection qui a été contournée par la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles dans son arrêt McLoughlin[202] en 2014. Dans son arrêt McLoughlin, la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles n’a pas reculé d’un pouce sur sa position antérieure au sujet de la compatibilité d’une peine de perpétuité réelle avec la Convention, que la Grande Chambre lui avait reprochée dans l’arrêt Vinter.
74. Dans ces trois affaires, la Cour a avalé la couleuvre. L’arrêt Hutchinson[203] a ainsi fait machine arrière par rapport à l’arrêt Vinter et autres, de même que récemment l’arrêt GIEM et autres[204] a cédé du terrain par rapport à l’arrêt Varvara, et qu’aujourd’hui, l’arrêt Ilnseher marque un recul par rapport à l’arrêt M. Il est triste de voir l’institution phare des droits de l’homme et de la réforme du droit pénal en Europe renoncer à faire valoir le principe élémentaire de l’état de droit et tourner le dos aux principes les plus fondamentaux du droit pénal moderne. L’ère de l’illibéralisme appelle une Cour solide et contre-majoritaire et non une Cour illibérale. Ce constat se vérifie en particulier à la lumière des enseignements que nous pouvons tirer du droit international et du droit comparé, comme cela va maintenant être démontré.
B. Le contexte du droit international et du droit comparé (§§ 75-85)
i. Les normes des Nations unies (§§ 75-79)
75. Le principe de légalité dans le domaine du droit pénal, tant dans sa version positive (l’effet rétroactif de la lex mitior) que dans sa version négative (l’interdiction de la rétroactivité de la lex gravior), fait partie des règles du droit international coutumier qui sont contraignantes pour tous les États et constituent des normes impératives auxquelles aucune autre règle de droit national ou international ne peut déroger[205]. Ce principe de jus cogens s’applique pleinement à la détention de sûreté.
76. Par principe, il a déjà été décidé que l’imposition d’une détention de sûreté à un détenu condamné qui est parvenu au terme de sa peine d’emprisonnement emportait violation de l’article 9 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques alors même que l’on craignait que l’intéressé fût dangereux pour la collectivité à l’avenir et que cette mesure était ordonnée aux fins de sa réadaptation[206]. L’application rétrospective de pareille peine, même si elle résulte d’une procédure qualifiée de « civile », relève de l’interdiction énoncée à l’article 15 du Pacte[207]. De plus, les Nations unies ont à plusieurs occasions fait part de leur inquiétude face au nombre de personnes se trouvant en détention de sûreté en Allemagne et à la durée de cette détention, et se sont également dites préoccupées par le fait que les conditions de détention n’étaient pas conformes aux prescriptions en matière de droits de l’homme[208].
77. De l’avis du Comité des droits de l’homme (CDH) des Nations unies, l’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que l’internement préventif après condamnation soit une mesure de dernier ressort et pour instaurer dans le cadre de ce régime des conditions de détention qui soient distinctes de celles auxquelles sont soumis les condamnés et axées uniquement sur la réadaptation et la réinsertion dans la société. L’État partie devrait prévoir toutes les garanties juridiques permettant de préserver les droits des détenus, y compris une procédure d’évaluation périodique de leur situation sur le plan psychologique qui puisse déboucher sur leur remise en liberté ou sur la réduction de la durée de leur internement.
78. Le Comité contre la torture (CAT) considère que l’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour libérer les personnes faisant l’objet d’un internement de sûreté, réduire le recours à cette mesure et sa durée, et tenir compte des dispositions des Règles minima des Nations unies pour l’élaboration de mesures non privatives de libertés (Règles de Tokyo) lorsqu’il élaborera des mesures pour remplacer l’internement de sûreté[209].
79. Et surtout, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a conclu que :
« 27. Si un prisonnier a entièrement purgé la peine qui lui a été imposée au moment de sa condamnation, les articles 9 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que le droit international coutumier interdisent un alourdissement rétrospectif de la peine. Les États ne sont pas autorisés à contourner cette interdiction en imposant sous une autre étiquette une détention qui soit l’équivalent d’un emprisonnement à caractère pénal. Comme l’ont rappelé le Comité des droits de l’homme dans son Observation générale no 35 (2014) sur l’article 9 (Liberté et sécurité de la personne) et le Groupe de travail dans sa pratique, les articles 9 et 15 du Pacte ainsi que le droit international coutumier interdisent sans équivoque l’imposition du nouveau régime de détention de sûreté de 1998, y compris les dispositions qui permettraient de prolonger la détention après que le détenu a purgé sa peine (ainsi que d’autres restrictions en droit interne).
28. Le Groupe de travail note qu’il est toujours regrettable que certains régimes de détention et des restrictions à la liberté individuelle qui sont considérés, au regard du droit international, comme des sanctions ne so[ie]nt pas considérés comme telles par le droit allemand et, par conséquent, [qu’]il existe des garanties différentes contre la rétroactivité, notamment des moyens de recours moins efficaces[210]. »
ii. Les normes du Conseil de l’Europe (§§ 80-83)
80. Le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe s’est montré très critique au sujet du fossé qui sépare la théorie et la pratique de la détention de sûreté en Allemagne[211]. À l’issue de sa visite du « quartier réservé aux internements de sûreté » (Sicherungsverwahrung) dans la prison de Berlin-Tegel en 2005, le CPT a conclu qu’« [e]n théorie du moins, cette unité recelait des possibilités d’offrir un cadre de vie en détention positif[212] ». Cependant, la délégation a eu l’impression que « les activités correspondaient à des stratégies pour tuer le temps et étaient dénuées de toute réelle finalité. Comme l’on pouvait s’y attendre, cet état de fait apparaissait être lié à la Sicherungsverwahrung à durée indéterminée. Plusieurs des détenus interrogés ont dit qu’ils avaient clairement le sentiment qu’ils ne sortiraient jamais et l’un d’eux a déclaré que la seule chose qu’il pouvait faire, c’était de se préparer à mourir[213]. » Selon l’administration pénitentiaire, le personnel travaillait sur la base de critères de traitement particuliers, la finalité étant de mettre fin au placement de l’individu en Sicherungsverwahrung. Pourtant, la délégation a observé qu’« en pratique, le personnel (y compris le travailleur social) brillait par son absence dans cette unité, maintenant au niveau minimum les contacts personnel-détenus[214]. (...) La délégation a eu la nette impression que le personnel lui-même ne savait pas précisément comment aborder son travail auprès de ces détenus. (...) Il est apparu que la prise en charge et l’accompagnement psychologiques présentaient de graves insuffisances[215]. »
81. Lors d’une visite dans le quartier réservé aux personnes placées en détention de sûreté dans la prison de Fribourg en 2010, « la délégation a observé que les conditions de détention des personnes soumises au régime de détention de sûreté étaient à peine meilleures que celles des prisonniers condamnés (...) et [qu’]il semblait que l’obligation générale d’opérer une différenciation entre ces deux catégories de détenus (Abstandsgebot) ne [fût] pas mise en œuvre de manière effective[216].
82. Après avoir visité le nouveau quartier de détention de sûreté de Fribourg en 2013, le CPT a déclaré qu’il « est quelque peu regrettable que l’ensemble du quartier de détention de sûreté continue de s’apparenter à une prison et que la liberté de circulation des détenus au sein de l’établissement ainsi que leur accès à la cour de promenade [fussent] plus restreints qu’à la prison de Diez (en particulier les week-ends)[217] ». Au sein de l’établissement sociothérapeutique de Hohenasperg, la délégation a recueilli de nombreuses doléances des détenus qui se plaignaient de l’exiguïté générale des lieux et de l’absence d’intimité dans l’établissement. À la prison de Fribourg, le chef du service de psychologie a indiqué qu’en raison de la dotation en personnel limitée, il était impossible d’organiser une thérapie individuelle hebdomadaire, impossible de s’occuper des détenus qui manquaient de motivation et refusaient de s’engager dans des mesures thérapeutiques et impossible d’organiser une thérapie par le milieu de manière efficace[218]. La situation à la prison de Diez est apparue plus inquiétante encore. La conclusion en dit long : « la visite a révélé l’existence d’un décalage frappant entre la théorie et la pratique. Sur quarante détenus, seuls vingt-quatre bénéficiaient d’une thérapie individuelle et huit participaient à une thérapie de groupe. (...) Il ne fait aucun doute que les ressources disponibles pour les mesures de traitement destinées aux personnes placées en détention de sûreté dans le Bade-Wurtemberg et en Rhénanie‑Palatinat sont insuffisantes pour satisfaire aux exigences découlant de la législation fédérale et des Länder pertinente, qui requiert la mise en place d’un ensemble de programmes axés sur les besoins thérapeutiques et favorisant la liberté et la motivation individuelles. » Dans la prison de Diez comme dans celle de Fribourg, la délégation a observé qu’« un nombre significatif de détenus n’étaient pas du tout motivés pour prendre part à quelque forme d’activité thérapeutique ou récréative que ce [fût], [qu’ils] restaient inoccupés dans leur logement et [qu’ils] refusaient de sortir à l’extérieur pendant des mois et des mois[219]. »
83. Sur la question de ce qu’il nomme « l’internement de sécurité » (Sicherungsverwahrung)[220], le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a appelé à « recourir avec une extrême précaution à l’internement de sécurité. D’autres possibilités devraient [selon lui] être envisagées avant de choisir cette solution. » Il s’est dit préoccupé par le nombre croissant de personnes qui se retrouvent privées de liberté à la suite d’un internement de sécurité. Le Commissaire a par ailleurs appris que les personnes maintenues en internement de sécurité perdaient en général toute perspective d’avenir et avaient tendance à se laisser aller. Il a par conséquent estimé qu’il conviendrait d’envisager une prise en charge psychologique ou psychiatrique de ces détenus.
iii. Les normes en droit comparé (§§ 84-86)
84. La majorité invoque l’existence et la qualification juridique de mesures comparables dans d’autres États parties à la Convention[221], dans une référence implicite au pouvoir discrétionnaire dont disposent les États pour statuer sur cette question. Pourtant, la majorité ne va pas jusqu’à arguer que l’État défendeur disposait d’une marge d’appréciation concernant la classification de la détention de sûreté dans la catégorie des peines. Par principe il n’existe pas de marge d’appréciation dans ce domaine du droit (la qualification des infractions et des peines) étant donné que l’article 7 de la Convention n’autorise aucune dérogation[222].
85. La majorité répartit les États étudiés en trois groupes. Le premier groupe compte dix États[223] dans lesquels les tribunaux peuvent ordonner des mesures conservatoires visant la détention d’individus qui présentent un certain degré de trouble mental, mais pas de nature à exclure leur responsabilité pénale, qui ont été condamnés pour une infraction grave et qui sont considérés par les autorités comme représentant un risque pour eux‑mêmes et pour autrui. Dans ce type de régime, des mesures conservatoires peuvent être imposées en plus de la peine prononcée pour l’infraction qui a été commise. Le deuxième groupe comporte seize États[224] qui, tout en condamnant ce type de délinquants, imposent néanmoins des mesures qui permettent que la peine soit exécutée dans un établissement psychiatrique spécialisé. Un troisième groupe réunit cinq États[225] dans lesquels les individus qui commettent un crime sous l’empire d’un trouble mental nécessitant un traitement psychiatrique d’office relèvent du régime civil ordinaire applicable aux malades mentaux. Les travaux de recherche se sont concentrés sur le premier groupe. Sur les dix pays que compte ce groupe, six[226] imposent que le jugement rendu par le tribunal de jugement comporte soit une ordonnance relative à la mesure de sûreté en elle-même soit la possibilité d’adopter pareille mesure au terme de la peine de prison, trois États[227] permettent que la mesure soit imposée après le prononcé de la peine et avant la fin de l’exécution de la peine, et l’un des États autorise les deux possibilités suivant le régime applicable[228].
86. Outre qu’elle fait l’impasse sur une analyse détaillée du contexte juridique et jurisprudentiel dans lequel s’inscrivent les normes internes spécifiques en question, l’étude effectuée par la majorité est entachée d’un problème méthodologique patent : l’objet de la recherche – les « mesures (...) adoptées pour protéger l[a] population des délinquants aliénés condamnés risquant de commettre de nouvelles infractions graves après leur libération[229] » – est trop large. Le rapport couvre ainsi de nombreuses mesures qui semblent comparables mais, qui, à y regarder de plus près, ne le sont pas. En résumé, sur les trente-deux États étudiés, trois seulement (la Belgique[230], le Royaume-Uni[231] et la Suisse[232]) se sont dotés de mesures présentant quelque similitude avec la mesure allemande. En tout état de cause, le consensus européen ne s’opère certainement pas en faveur de la détention de sûreté rétrospective, et encore moins en faveur de l’application de pareille mesure aux mineurs[233]. Il est d’ailleurs très révélateur qu’en France, le Conseil constitutionnel a interdit l’application rétrospective d’une mesure de rétention de sûreté « eu égard à sa nature privative de liberté[234]. »
C. Conclusion préliminaire (§§ 87-89)
87. Au XXIe siècle, les juges de Karlsruhe continuent de privilégier le modèle dualiste classique de relations entre le droit international et le droit interne. Si ce modèle est tempéré par un principe d’ouverture au droit international public (Völkerrechtsfreundlichkeit) dans l’ordre juridique interne, cette ouverture produit des effets à l’intérieur des limites instaurées par les « principes fondamentaux de la Constitution » (tragende Grundsätze der Verfassung)[235]. La Convention, comme tout autre traité international, ne sera valide sur le plan interne que lorsqu’elle est incorporée au système juridique interne sous la forme requise et en conformité avec le droit constitutionnel matériel et même avec le droit infra-constitutionnel.
88. Bien que la conception des relations multipolaires découle du domaine du droit civil, avec cette conception, la Cour constitutionnelle s’est arrogé le pouvoir de mettre en balance dans d’autres domaines sensibles, comme le droit pénal, les conséquences de l’exécution des arrêts de la Cour, d’une part, et les atteintes attendues aux droits fondamentaux de la société ou des victimes potentielles, d’autre part. Dès lors, même dans des domaines dans lesquels les droits absolus du délinquant doivent être respectés, comme le droit pénal, les droits de l’homme font l’objet d’un exercice de mise en balance, ce qui peut aboutir à un résultat contraire à celui que la Cour constitutionnelle entendait initialement obtenir – à savoir que l’application de la Loi fondamentale ne puisse conduire qu’à un renforcement de la protection des droits conventionnels, et non à leur affaiblissement. C’est précisément cet affaiblissement qui s’est produit après l’arrêt M. c. Allemagne. En s’affirmant compétente pour recalibrer, à la lumière de la Loi fondamentale, les différents droits et intérêts en jeu après que la Cour a rendu son arrêt définitif, la Cour constitutionnelle a privé les délinquants en détention de sûreté de leur droit conventionnel à l’observation du principe nulla poena sine lege praevia.
Les collèges d’experts des Nations unies et du Conseil de l’Europe ont formulé de vives critiques à l’égard de la solution allemande, même après le revirement épistémique opéré par l’arrêt du 4 mai 2011. Deux années après l’adoption de cet arrêt constitutionnel, lequel avait porté un jugement sévère sur les « carences » et les « défauts considérables »[236] de l’exécution de la détention de sûreté en Allemagne, le CPT concluait encore que la réalité n’avait guère changé. Quels que soient les changements intervenus sur le terrain, l’imposition de la détention de sûreté (dans ses versions ordinaire (article 66 du code pénal), différée (article 66a du code pénal) et rétrospective (article 66b du code pénal)) après l’exécution d’une peine de prison emporte violation du droit international coutumier et du droit conventionnel. Dès lors, l’abolition de la détention de sûreté, dans ses versions ordinaire, différée et rétrospective, constitue la voie que doit suivre le législateur allemand afin de se mettre en conformité avec le droit international. Pour motiver le rejet d’une telle voie, on évoque de manière générale deux risques : le risque allégué de voir cette voie finir par aggraver la durée des peines de prison, lequel ne constitue pas une excuse car on pourrait y parer en adoptant un ensemble de mesures pénales et de thérapie sociale alternatives ; le risque allégué de voir l’abolition de la détention de sûreté se traduire par une augmentation du nombre des infractions graves, qui ne relève de rien d’autre que d’un alarmisme politique dénué de tout fondement scientifique.
89. Les données de droit comparé mettent en évidence l’isolement de l’Allemagne en la matière. Aucun autre État européen n’impose une détention de sûreté rétrospective post condamnation à des adultes, et encore moins à des mineurs, qui ont été déclarés responsables de leurs actes par le tribunal de jugement mais qui sont considérés, pendant qu’ils purgent leur peine de prison, comme des aliénés et partant comme des individus dangereux. La majorité méconnaît ce fait. Les conclusions qu’elle rend dans cette affaire doivent également être envisagées dans le contexte de la conception minimaliste que se fait la Cour du principe de légalité et de la pente glissante sur laquelle celle-ci se trouve actuellement engagée dans le domaine du droit pénal.
V. La Cour de Strasbourg sur une pente glissante (§§ 90-128)
A. Les nouvelles normes illibérales en droit pénal (§§ 90-110)
i. La conception minimaliste du principe de légalité (§§ 90-94)
90. La jurisprudence de la Cour consacre une conception du principe de légalité inspirée par la common law, dans laquelle ce principe est protégé de manière minimale, au sens où le droit pénal n’est pas interprété de manière arbitraire[237]. La jurisprudence reste éloignée du niveau de protection plus élevé accordé par la conception du principe de légalité inspirée du droit civil, qui inclut les garanties de la lex scripta (Gesetzlichkeitsprinzip), de la lex certa (Bestimmtheitsgebot), de la lex stricta (Analogieverbot) et de la lex praevia (Rückwirkungsverbot).
91. Concernant le principe de la lex certa, la Cour traite des exigences de clarté, de prévisibilité et d’accessibilité du droit pénal. Comme on l’a vu par exemple dans les affaires Kokkinakis[238], Grigoriades[239] et Flinkkilä et autres[240], la norme de clarté fait souvent l’objet d’une évaluation au moment de la condamnation, dans le cadre du contrôle de légalité effectué au titre des articles 8 à 11 de la Convention, et non au moment de la commission de l’infraction[241]. L’exigence d’accessibilité ne fait l’objet d’un examen attentif que lorsque des signes clairs indiquent qu’elle n’est pas respectée, l’accessibilité étant réputée garantie dès lors que l’infraction est inscrite dans un code pénal[242]. De plus, la jurisprudence n’est guère exigeante concernant le contrôle du libellé de la disposition légale aux fins de l’appréciation de sa fiabilité, et accepte souvent des désignations d’infractions formulées de manière floue, parce que les notions légales litigieuses sont « bien connues et largement comprises[243] ». La norme de protection limitée appliquée par la Cour se trouve encore assouplie par la prise en compte d’une jurisprudence interprétative suffisamment cohérente au moment de la commission de l’infraction, qui peut satisfaire à l’exigence de prévisibilité en cas d’infractions à la désignation floue[244] ou même d’infractions relevant de la common law, qui induisent un manquement à l’exigence de lex scripta[245]. La même philosophie a été appliquée à l’alourdissement des peines conformément à une certaine ligne de jurisprudence relative aux effets de la récidive[246]. En résumé, l’acceptation de multiples sources de droit et de jurisprudence aux fins de l’exigence de lex certa engendre de l’insécurité juridique.
92. Concernant le principe de la lex stricta, la Cour se contente d’exclure les interprétations déraisonnables. Normalement, deux exigences sont mises en avant à cet égard : l’interprétation doit concorder avec la substance de l’infraction et elle doit être raisonnablement prévisible[247]. En fin de compte, ces deux exigences se recoupent pour autant qu’elles finissent par permettre d’examiner le caractère raisonnable de l’interprétation faite par les juridictions internes[248]. Dès lors, opérer une distinction entre ces deux exigences ne crée aucune valeur ajoutée. La gravité de l’infraction est également mentionnée comme un élément de prévisibilité, la criminalisation dans le cas de ces infractions graves « allant de soi »[249]. En définitive, le degré de protection dépend de l’affaire et est évalué au cas par cas, et est tributaire d’éventuels conseils juridiques ainsi que de la situation professionnelle et des connaissances spécialisées de l’accusé[250]. En d’autres termes, les exigences de lex stricta et de lex certa se retrouvent dans le même type de critère de prévisibilité subjective. Pire encore, cette norme se prête à une confusion dogmatique à la fois théorique et pratique car elle entremêle des questions de caractères différents, à savoir le principe de légalité et le principe de culpabilité (ignorantia legis non excusat, erreur de droit, Verbotsirrtum). Cette confusion se trouve aggravée dans le cas d’une norme juridique générale, qui fait dépendre la punissabilité de l’infraction pénale de lois et de règlements non pénaux[251].
93. Concernant le développement jurisprudentiel du droit pénal, la Cour recourt à ce même double critère (la substance de l’infraction et la prévisibilité), mais n’admet normalement pas une interprétation démesurément extensive[252]. Dans d’autres cas pourtant[253], la Cour a proposé un critère beaucoup plus strict, à savoir la stricte interprétation du droit pénal[254]. Entre ces deux critères, la Cour a accepté une expansion interprétative progressive de l’infraction[255] et de la peine[256]. On peut relever la même incohérence concernant la norme que la Cour applique pour l’appréciation des faits et du droit national dans le domaine du droit pénal. Si l’arrêt Kononov[257] met en évidence un pouvoir de contrôle plus élevé qui semble s’être manifesté parce qu’aucune dérogation à la disposition en cause n’était tolérée, dans d’autres cas, comme dans l’affaire Khodorkovskiy[258], un critère bien moins strict est appliqué pour l’appréciation menée par la Cour.
94. Le principe nullum crimen sine lege praevia se trouve au cœur de la protection du principe de légalité assurée par la Cour. Tant que la condamnation et la peine reposent formellement sur les règles applicables au moment des faits, il n’y aura pas de constat de violation de l’article 7 de la Convention. Cela vaut également pour les infractions continues[259]. En ce qui concerne le principe nulla poena sine lege praevia, l’arrêt Maktouf et Damjanović[260] a permis une approche de protection renforcée, puisque la simple possibilité d’une peine plus lourde suffit à interdire l’applicabilité rétrospective de la loi, sur la base d’une détermination concrète et globale de la lex gravior[261]. L’intérêt général à la protection des victimes et de la société ne justifie pas l’application rétrospective de la lex gravior[262].
ii. L’effacement du sens autonome de la « peine » (§§ 95-107)
95. Le requérant soutient que la détention de sûreté qui a été ordonnée de manière rétrospective contre lui et qu’il a exécutée, sur la base du jugement rendu par le tribunal régional de Ratisbonne du 3 août 2012, à compter du 20 juin 2013 dans le centre de détention de sûreté de la prison de Straubing a emporté et emporte toujours violation de son droit de ne pas se voir infliger une peine plus lourde que celle qui était applicable à la date de l’infraction commise par lui en juin 1997.
96. à l’instar du Gouvernement, la majorité s’assigne la difficile tâche d’arguer que le fait d’enfermer une personne dans un centre de détention de sûreté après que celle-ci a commis une infraction pénale ne constitue toutefois pas une « peine » aux fins de l’article 7 de Convention. La majorité ne fait pas de différence entre la « nature » et le « but » de la mesure, pas plus qu’elle ne donne d’indication méthodologique sur la manière de différencier les deux, mais elle reconnaît trois « buts » poursuivis par la détention de sûreté du requérant : un but « punitif »[263], un but « préventif »[264] et un but « thérapeutique »[265]. Cependant, son attachement aux conditions de détention révèle l’hypothèse implicite selon laquelle la « nature » ou le « but » de la mesure est déterminé par la manière dont la mesure est mise en œuvre. En fait, la majorité invoque les conditions matérielles et le cadre de vie qui sont offerts aux personnes internées dans le centre de détention de Straubing, précise que ces personnes peuvent choisir de porter leurs propres vêtements, qu’elles vivent dans des cellules plus spacieuses, qu’elles reçoivent des traitements spécialisés, etc. Selon la majorité, les buts « préventif » et « thérapeutique » effacent « l’élément punitif » de la mesure au point que celle-ci n’est plus constitutive d’une peine[266]. Cependant, pareil raisonnement omet certaines considérations juridiques cruciales.
97. Tout d’abord, un but « préventif » n’est pas étranger à la notion de peine, et lui est même plutôt étroitement lié. La prévention se trouve en effet au cœur de nombreuses théories sur le châtiment : on dit habituellement que le châtiment empêche la personne condamnée de commettre de nouvelles infractions pendant qu’elle est sous les verrous (par la neutralisation ou la prévention spéciale négative) et après (par la réinsertion sociale ou la prévention spéciale positive). De même, on dit que la sanction prévient les infractions pénales de manière générale, en dissuadant les délinquants potentiels (prévention générale négative) et en envoyant un signal indiquant que l’on fait respecter les règles (prévention générale positive)[267]. Ainsi, le but « préventif » d’une mesure n’exclut nullement son caractère punitif. Comme l’a dit la Cour il y a longtemps dans l’arrêt Welch, « les objectifs de prévention et de réparation se concilient avec celui de répression et peuvent être considérés comme des éléments constitutifs de la notion même de peine[268]. »
98. Ensuite, la « nature » et le « but » de la détention de sûreté ne sauraient se fonder sur les conditions de détention, mais sur l’acte juridique qui a conduit à cette détention. À cet égard, la détention de sûreté telle que la majorité la conçoit ignore le fait que dans le système allemand, comme démontré plus haut, la détention de sûreté était par essence une mesure destinée à neutraliser le « méchant » et non une mesure visant à traiter le « fou » et qu’elle était donc dénuée de finalité thérapeutique spécifique, comme le montre encore aujourd’hui l’article 66b du code pénal.
99. On ne peut soutenir que la « nature » et le « but » d’une peine puissent être modifiés rétrospectivement lorsque les conditions matérielles de détention s’améliorent. Le caractère trompeur de cette idée apparaît au grand jour dès lors que l’on demande à quel moment exactement la détention a changé de « nature » ou de « but » : dans la logique de la majorité, combien exactement faut-il ajouter de mètres carrés de superficie pour que la détention de sûreté cesse d’être une peine, au sens de cette notion telle qu’elle est utilisée dans l’arrêt M. c. Allemagne[269], pour devenir un internement thérapeutique acceptable ? On peut bien sûr compliquer encore cette question rhétorique : combien de blocs-cuisine, combien de salles de bains séparées, combien de téléviseurs ou d’appareils de musculation, combien de médecins et d’infirmiers, combien d’heures de visite ou d’appels téléphoniques faut-il pour qu’un quartier de détention de sûreté change de « nature » et pour que la détention qui y est exécutée change de « but » ? Dans la mesure où les conditions de détention varient considérablement d’un centre de détention de sûreté à un autre[270], comment l’ordonnance de placement en détention de sûreté peut-elle changer de nature suivant la région du pays et le centre précis où elle va être mise en œuvre ? La même ordonnance de placement en détention de sûreté peut-elle changer de nature à de multiples reprises lorsque le détenu passe d’un centre « accueillant » à un autre centre moins « accueillant » puis revient dans le premier ?
100. En ce qui concerne les procédures aboutissant à la mesure, la majorité reconnaît que la détention de sûreté a été imposée par des tribunaux appartenant au « système de justice pénale »[271]. Cependant, la majorité minore l’importance de cet élément très révélateur, eu égard à « l’argument exposé par le Gouvernement, qui avance que les juridictions pénales étaient particulièrement rompues à l’appréciation de la nécessité d’interner les malades mentaux qui avaient commis des actes criminels » et elle observe que « les critères à appliquer pour l’imposition d’une détention de sûreté auraient été les mêmes », que la mesure ait été imposée par une juridiction civile ou par une juridiction pénale[272].
Comme le note la majorité, le fait que les juridictions pénales sont chargées d’appliquer la détention de sûreté constitue un indicateur puissant de son caractère pénal. Je souhaiterais toutefois simplement observer que je ne vois pas comment l’argument du Gouvernement se rapportant au savoir‑faire des juridictions pénales pourrait apporter de l’eau à son moulin. Précisément, les juridictions pénales ont l’habitude d’apprécier les capacités mentales des accusés aux fins de statuer sur leur responsabilité pénale, et non aux fins de leur dispenser un traitement. L’expérience des juridictions pénales devrait donc plutôt contribuer à ce que l’on qualifie la détention de sûreté de peine et non le contraire.
101. Le dernier critère auquel recourt la majorité pour apprécier le caractère pénal de la mesure est la gravité de celle-ci. La majorité note d’emblée qu’une durée maximale n’est pas établie pour la détention de sûreté, mais elle minore son caractère punitif en soulignant qu’une durée minimale n’est pas non plus fixée pour ce type de détention, que celle-ci fait l’objet de contrôles juridictionnels à intervalles relativement rapprochés et qu’elle dépend dans une certaine proportion « de la coopération [du requérant] aux mesures thérapeutiques (...) nécessaires »[273].
102. Il est révélateur que la majorité considère le fait que la mesure fasse l’objet de contrôles juridictionnels périodiques comme une sorte de circonstance « atténuante »[274]. Si la détention de sûreté était une mesure thérapeutique principalement destinée à œuvrer à la réadaptation des détenus, le contrôle juridictionnel ne serait pas une concession qui leur serait gracieusement accordée, mais un élément de la fonction même de cette détention. Le fait que la majorité reconnaît cette caractéristique de la détention alors qu’elle s’efforce d’en minorer la sévérité montre à quel point même la majorité ne peut ignorer le caractère punitif évident de cette mesure. De plus, même à supposer que le degré d’adhésion des personnes condamnées à une mesure en détermine le taux de succès, ce taux n’a rien à voir avec sa nature, son but ou sa sévérité, pour la simple raison qu’il peut exister selon les cas de multiples raisons expliquant pourquoi les individus en question n’adhèrent pas à la mesure.
103. Dans la pratique, les tribunaux concluent régulièrement que l’établissement a offert un traitement adéquat mais que le détenu a décliné l’offre. Les personnes détenues dans des institutions totales[275] ne sont pas placées sur un pied d’égalité avec d’autres lorsqu’il s’agit de prouver que c’est de la faute de l’institution et non de la leur si la thérapie a été insuffisante. Selon des données empiriques datant de la période qui a précédé l’introduction de l’article 66c du code pénal, les institutions se défaussaient régulièrement de la responsabilité sur les prisonniers. Faute de garantie concernant la charge de la preuve, on ne peut exclure que cela soit encore souvent le cas de nos jours. En tout état de cause, l’absence d’éléments statistiques fiables ne saurait être utilisée au détriment des détenus[276].
104. En résumé, la majorité abandonne le sens autonome du mot « peine » tel qu’utilisé à l’article 7 de la Convention, et elle abandonne en réalité le principe de l’interprétation autonome de la Convention, qui a pour finalité d’éviter que la Cour ne se retrouve piégée dans les subtilités du droit interne et de lui permettre d’aller au-delà des apparences. Il est intéressant de noter que la majorité ne rappelle pas les considérations formulées à cet égard par la Cour dans l’arrêt M. c. Allemagne[277]. Dans cet arrêt, la Cour a dit que bien que la « détention de sûreté » fût considérée en droit allemand comme une mesure de sûreté, la notion de « peine » énoncée à l’article 7 possédait une portée autonome, et que c’était donc à la Cour, sans qu’elle fût liée par la qualification de la mesure en droit interne, qu’il appartenait de décider si une mesure donnée devait passer pour une peine.
105. C’est exactement l’inverse qui s’est produit en l’espèce. Suivant l’esprit et même la lettre de l’arrêt rendu en mai 2011 par la Cour constitutionnelle, la majorité ne range pas parmi les « peines » une détention de sûreté applicable à des délinquants condamnés, ordonnée par des juridictions pénales, visant à prolonger la détention après que le condamné est parvenu au terme de sa peine d’emprisonnement, dans la même prison, sur la base de preuves obtenues avant la fin de la peine d’emprisonnement, et dont la mise en œuvre subséquente devait être décidée par les juridictions chargées de l’exécution des peines, comme ce fut le cas pour le requérant.
106. Comme dans l’arrêt Bergmann[278], la majorité opère une « transsubstantiation » de la détention de sûreté en effaçant le sens autonome de la notion de « peine ». Comme dans l’arrêt Bergmann, la majorité accepte un compromis entre le principe de légalité des peines, qui est insusceptible de dérogation, et la qualité des conditions de détention, rabaissant ainsi le niveau de la protection offerte par l’article 7 à un simple exercice de marchandage sur les conditions d’exécution[279].
107. La confusion dans le raisonnement de la majorité peut être mesurée à la manière dont celle-ci mélange droit et faits et assimile la condamnation à l’exécution des peines au paragraphe 207, qui est central dans l’arrêt. Il est vrai que l’interprétation de l’article 7 § 1 de la Convention qui est proposée au fort malencontreux paragraphe 207 de l’arrêt se limite aux « rares cas » mentionnés au paragraphe précédent. Il n’y a qu’une seule justification, très insatisfaisante, à « l’argument de la rareté » que la majorité utilise ici : elle sait qu’elle entre au paragraphe 207 dans un territoire dangereux, inexploré et elle entend limiter autant que possible la portée de l’interprétation qu’elle propose de même que les dommages collatéraux causés aux principes fondateurs élémentaires du droit pénal moderne ainsi qu’au principe de légalité tel que nous le connaissons depuis qu’Anselm von Feuerbach a formulé au paragraphe 24 de son Lehrbuch des gemeinen in Deutschland geltenden peinlichen Rechts de 1801 l’expression latine nulla poena sine lege. La portée limitée de l’applicabilité de l’interprétation proposée au paragraphe 207 n’enlève rien au fait qu’elle constitue une hérésie en droit pénal.
iii. La conception « fourre-tout » de la notion d’« aliéné » (§§ 108‑110)
108. La jurisprudence de la Cour n’est pas cohérente concernant la portée de la notion d’« aliéné » au sens de l’article 5 § 1 e) de la Convention. Il est révélateur que le projet de loi sur l’internement thérapeutique fasse explicitement référence à la jurisprudence de la Cour et de la Commission, par exemple à la décision X. c. Allemagne[280], pour arguer que la notion d’« aliéné » inclut des personnes présentant des traits de personnalité anormaux ne correspondant pas à une maladie mentale[281]. Le projet de loi fait également référence aux arrêts Hutchison Reid c. Royaume-Uni[282] et Morsink c. Pays-Bas[283] pour soutenir que la responsabilité pénale d’un délinquant n’exclut pas la possibilité de l’internement aux fins de l’article 5 § 1 e) de la Convention, ce qui autoriserait l’internement systématique et illimité des délinquants indépendamment de la question de leur responsabilité pénale et, pire encore, indépendamment de l’impossibilité d’un traitement clinique[284].
109. Tirant parti de cet élément d’incohérence, les juridictions internes ont décidé qu’il n’était pas nécessaire que le « trouble mental » fût sérieux au point d’exclure la responsabilité pénale (article 20 du code pénal) ou de l’atténuer (article 21 de ce même code[285]). Le requérant soutient que la notion de « trouble mental » telle qu’utilisée par les juridictions internes est plus large que la notion d’« aliéné » visée à l’article 5 § 1 e) de la Convention. Dans le présent arrêt, la majorité est partagée : d’un côté, elle dit que « la notion d’« aliéné » « pourrait être plus restrictive que la notion de trouble mental[286] » mais d’un autre côté, elle dit que la notion d’« aliéné » ne requiert pas un état de santé mentale tel qu’il exclue ou même atténue la responsabilité pénale[287]. Avec cette ambiguïté bien commode, rien ne s’oppose à ce que l’on établisse un « trouble qui p[uisse] passer pour constituer un trouble mental réel[288] », à ce que l’on « traite » les délinquants dangereux comme des « malades mentaux » ou comme des « personnes présentant un trouble mental » et à ce qu’on les maintienne en détention jusqu’à la fin de leur vie, au besoin sur la base d’un régime de détention qui n’existait pas au moment où ils ont commis l’infraction en cause.
110. En résumé, bien qu’il faille donner une interprétation étroite de la liste des motifs de détention dressée à l’article 5 § 1, la majorité fait exactement le contraire : elle se lance dans une interprétation large de l’alinéa e) de cet article, qui devient un fourre-tout bien commode. Le moyen de garder les « méchants » derrière les barreaux jusqu’à ce qu’ils meurent consiste à les faire passer pour « fous ». Tel est le prix à payer pour se débarrasser de la protection offerte par l’article 7.
B. L’approche excessivement répressive de la présente affaire (§§ 111‑126)
i. La détermination biaisée de la « maladie mentale » du requérant (§§ 111-115)
111. La juridiction de jugement a décidé que la responsabilité pénale du requérant était pleinement engagée au moment où il avait commis son acte, bien qu’il existât certains éléments signalant le début d’une déviance sexuelle[289]. Le tribunal régional de Ratisbonne a conclu qu’à l’époque, le requérant présentait toujours un trouble de la préférence sexuelle, à savoir un sadisme sexuel tel que défini par la classification CIM-10. L’état de santé du requérant correspondait selon lui à un trouble mental aux fins de l’article 1 § 1 de la loi sur l’internement thérapeutique.
112. Le requérant allègue qu’il ne souffrait pas d’un trouble mental[290]. La majorité déclare que les juridictions nationales « disposent d’un certain pouvoir discrétionnaire quand elles se prononcent sur le bien-fondé de diagnostics cliniques[291] ». Mais il y a des limites à cette approche non interventionniste[292]. En l’espèce, plus de la moitié des experts estiment qu’il n’a pas été établi que l’accusé soit atteint d’une maladie mentale : les experts S (20 avril 1999), Z (6 octobre 1999), R (8 octobre 2003), F (24 novembre 2011)[293] et M.K. (27 septembre 2016) ont conclu dans ce sens, tandis que les experts O (16 janvier 2006), M (6 janvier 2006), B (15 janvier 2009) et K (12 décembre 2011)[294] ont conclu le contraire. Qui plus est, le fait que les contacts avec le psychologue M.K. ont été interrompus par le centre en mai 2017, parce que M.K. ne décelait aucun signe de « pulsions sadiques latentes » (larvierte sadistische Grundströmung)[295] chez le requérant, soulève de sérieux doutes sur l’indépendance du diagnostic effectué par les autorités internes. Ces doutes sont accentués par le fait qu’aucun des experts entendus n’était dûment qualifié pour effectuer spécifiquement un diagnostic sur un jeune délinquant adulte. Ni l’expert K ni l’expert F ni aucun autre expert n’était qualifié pour examiner des personnes jeunes, contrairement à ce qu’exigeaient le droit interne[296] et la jurisprudence constitutionnelle[297].
113. En ce qui concerne la qualité scientifique du diagnostic même, il y a lieu de noter que la fiabilité de ce diagnostic a été manifestement compromise par le fait que la maladie mentale alléguée (un sadisme sexuel) a été établie quinze années après la commission des actes criminels. En fait, la chambre pénale du tribunal régional a rendu sa décision le 2 août 2012[298] alors que les faits s’étaient produits en 1997[299]. De plus, le requérant était un primo-délinquant, ce qui complique encore la situation. Ce fait est simplement ignoré par la majorité, laquelle part à tort de l’hypothèse que celui-ci avait à son actif des « infractions passées »[300].
114. L’établissement de constatations cliniques, effectué par des personnes dépourvues de l’expertise de la maladie mentale spécifiquement en cause, quinze ans après la commission des faits au sujet d’un primo‑délinquant qui avait alors dix-neuf ans s’apparente à un exercice purement divinatoire consistant à cerner la personnalité de l’intéressé. Mais la présente affaire va plus loin que cela. L’affaire de M. Ilnseher constitue non seulement un chef-d’œuvre de mascarade scientifique, mais aussi un cas d’exercice biaisé par l’État de son pouvoir répressif. Une injure n’est pas redressée quand le redresseur se laisse déborder par le châtiment. C’est ce qui s’est produit avec le juge P.
115. La conclusion du tribunal régional selon laquelle le requérant avait, lors de son procès en 1999, « dissimulé[301] » les pulsions sadiques qui avaient été à l’origine de son infraction et ne les avait avouées qu’en « 2005/2006 » ajoute une note encore plus inquiétante à cette affaire. Le tribunal régional n’a pas envisagé la possibilité que, au vu des motivations divergentes que le requérant avait évoquées pour sa conduite, les pulsions sadiques alléguées, lesquelles n’avaient pas été établies au moment de la condamnation, eussent pu relever d’une rhétorique développée pendant qu’il purgeait sa peine de prison, eu égard aux effets délétères de l’environnement dans lequel le requérant avait été maintenu ainsi qu’au manque, reconnu, de soins adéquats dont il avait souffert pendant ses dix années d’emprisonnement (jusqu’en juillet 2008) et au-delà. Au lieu de cela, le tribunal régional a non seulement supposé que le requérant avait dupé les deux médecins experts qui l’avaient examiné à l’époque, mais il a aussi présupposé que le requérant était tenu par une obligation de coopérer avec l’accusation. En d’autres termes, les juges internes ont méconnu le sacro‑saint principe nemo tenetur se ipsum accusare (« nul n’est tenu de s’incriminer lui-même ») et ont tiré des conclusions défavorables de l’absence supposée de coopération de la part du requérant.
Dans ce scénario, qui est déjà préjudiciable à l’accusé, les doutes sérieux qui s’accumulent à propos de l’indépendance du tribunal de première instance se transforment en certitude dès lors que l’on considère l’attitude malencontreuse et non professionnelle qui a été celle du juge P. La partialité du juge P. non seulement a affaibli un dossier à charge déjà scientifiquement discutable, mais a définitivement compromis la légalité de l’ordonnance de placement en détention prise contre le requérant. Les paragraphes qui suivent développeront ce point plus en détail.
ii. L’illégalité de l’ordonnance de placement en détention visant le requérant (§§ 116-121)
116. Le Gouvernement admet que l’ordonnance de placement en détention de sûreté était illégale pour autant qu’elle portait sur la période allant jusqu’au 20 juin 2013, mais soutient que cette même ordonnance est légale pour autant qu’elle porte sur la détention postérieure à cette date. Le Gouvernement assure qu’une mesure peut, pendant son exécution, perdre le caractère punitif qu’elle revêtait jusque-là tout en restant fondée sur la même ordonnance judiciaire, parce qu’il serait « excessivement formaliste » d’exiger une nouvelle décision judiciaire[302]. Le droit pénal s’attache strictement à la formalité mais le Gouvernement invite la Cour à oublier cette vérité axiomatique. Malheureusement, c’est exactement ce que la majorité a choisi de faire.
117. Bien que le tribunal régional n’ait pas ordonné, dans son jugement du 3 août 2012, l’exécution de la détention de sûreté du requérant dans un établissement en particulier, l’intéressé a été transféré le 20 juin 2013 dans un autre établissement pénitentiaire. La majorité se trouve dans une position délicate : d’un côté, elle doit détacher l’ordonnance de placement en détention de sûreté de la condamnation pénale prononcée contre le requérant pour la commission d’une infraction pour laquelle la pleine responsabilité pénale de celui-ci était engagée si elle veut justifier le caractère non punitif allégué de pareille mesure, mais d’un autre côté, elle doit rattacher cette même ordonnance de placement en détention à l’infraction parce que la condamnation pour une infraction constituait une condition préalable à la détention de sûreté en droit interne (article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs).
Comme les autorités internes, la majorité résoud la quadrature du cercle en réussissant le miracle de la « transsubstantiation » de la nature de l’ordonnance de placement en détention de sûreté. L’ordonnance de placement en détention de sûreté prise contre le requérant est décrite, aux fins de l’article 5 de la Convention, comme étant « liée à la condamnation et lui faisa[n]t donc suite, l’article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs n’autorisant l’adoption d’une ordonnance de placement en détention de sûreté (...) qu’à [cette] condition[303] ». Aux fins de l’article 7 de la Convention, le lien entre l’ordonnance de placement en détention de sûreté et l’infraction « n’est pas complètement rompu »[304]. Pourtant, dans le même temps, la majorité conclut que « [l’]élément punitif de la détention de sûreté et son lien avec l’infraction commise par le requérant ont été effacés au point que dans ces circonstances la mesure n’était plus constitutive d’une peine[305] ».
118. La question à mille dollars est la suivante : comment un « lien » peut-il être « effacé » mais « pas complètement rompu » ? La maladresse linguistique avec laquelle la majorité s’exprime constitue la meilleure preuve du caractère fallacieux de son raisonnement. Dans l’arrêt Bergmann, on disait que l’élément punitif était « éclipsé[306] » et aujourd’hui il est question de l’« effacement[307] » de cet élément. Fait surprenant, la majorité reconnaît même que « [l]’amélioration des conditions matérielles et des soins » ne modifie pas la nature de la détention de sûreté « ordinaire » car elle « [n’]éclipse (...) [pas] les facteurs indicatifs d’une peine[308]. »
Ce choix linguistique est pour moi une énigme. Je suis perplexe face à ce langage qui ne s’appuie ni sur le droit pénal allemand actuel ni sur tout autre droit pénal interne ou international mais sur le pire prototype nazi de Täterstrafrecht, le projet d’une Gemeinschaftsfremdengesetz[309], qui était censé éclipser la connexion entre l’infraction pénale et la sanction au nom de la protection de la collectivité, puisque « les moyens offerts par le droit pénal n’étaient pas suffisants, les peines ainsi que les mesures d’amendement et de sûreté, y compris la détention de sûreté, étant toujours liées aux infractions pénales concrètes[310] ».
Cette énigme linguistique ne s’arrête pas là. La majorité fait un effort pour se débarrasser des adjectifs « rétroactif » et « retrospective » bien établis respectivement en français et en anglais pour traduire l’adjectif allemand nachträglich, dans le but de donner l’impression que l’élément prospectif de l’ordonnance de placement en détention de sûreté prime l’élément rétrospectif[311]. Le choix de l’expression « détention de sûreté subséquente » (ou « subsequent prevention detention » en anglais) pour traduire l’expression nachträgliche Sicherungsverwahrung se révèle particulièrement problématique parce que cette expression recoupe à l’évidence l’autre modalité de la Sicherungsverwahrung, à savoir la vorbehaltene Sicherungsverwahrung (détention de sûreté différée), qui est également appliquée sur la base d’une appréciation subséquente des besoins de prévention pour le détenu. La majorité ne se soucie pas de distinguer et de comparer ces deux notions[312]. Une chose est sûre, toutefois. Quels que soient les mots que l’on emploie, ils ne peuvent pas faire oublier que la nachträgliche Sicherungsverwahrung constitue une attaque post festum contre les fondements du droit pénal tel qu’il est connu et pratiqué depuis deux cents ans, dans les régimes démocratiques du moins.
119 Malgré ce changement terminologique apparent, la majorité ne peut ignorer le fait que l’appréciation de la dangerosité du requérant et ses besoins de prévention est « rétrospective[313] ». Il n’est pas possible de juger la détention de sûreté sans tenir compte de la disposition légale qui a été à la base de la décision judiciaire. En droit allemand, une mesure privative de liberté ne peut être ordonnée que sur le fondement d’une loi écrite et seul un juge peut le faire (article 104 de la Loi fondamentale). Les motivations énoncées dans l’ordonnance imposant une mesure privative de liberté revêtent donc une importance primordiale. De plus, on ne peut pas juger de la légalité de la mesure imposée sans tenir compte du temps précédemment passé en détention. Comme indiqué à l’article 66c § 2 du code pénal, il n’y a pas de séparation stricte entre l’exécution d’une peine de prison et celle d’une détention de sûreté, et dès lors, les périodes de détention antérieurement exécutées par une personne condamnée constituent une partie indissociable de la mesure subséquente. La Cour elle-même, dans l’arrêt M., a observé un lien entre la détention de dix années et la condamnation[314].
120. La commission d’une infraction pour laquelle le requérant a été jugé coupable forme la base légale de son châtiment et de l’appréciation rétrospective de sa dangerosité, et à ce titre, l’ordonnance de placement en détention de sûreté constitue une mesure punitive, c’est-à-dire exactement la même mesure juridique que le Gouvernement a considérée comme illégale. Je pense que la majorité sous-estime l’importance de cette seule conclusion.
S’il n’y avait pas eu de condamnation pénale dans cette affaire, la Cour aurait très probablement déclaré la requête irrecevable pour autant qu’elle concernait l’article 7 et aurait cantonné son analyse à l’article 5. La détention de sûreté rétrospective en cause en l’espèce ne peut s’appliquer qu’à des personnes qui ont commis une infraction pénale et qui ont été reconnues pénalement responsables de cette infraction – il s’agit là d’une « condition préalable » pour reprendre la terminologie utilisée par la majorité. Mais une mesure coercitive imposée par l’État dont la « condition préalable » est une infraction pénale ne peut être qu’une peine. Non seulement la détention de sûreté est soumise à l’exigence d’une condamnation pénale, mais l’infraction ou les infractions pénales commises doivent également correspondre à une certaine catégorie et présenter un certain degré de gravité. Selon la loi sur les tribunaux pour mineurs, les ordonnances de placement en détention de sûreté ne peuvent être prises que contre des individus qui ont été condamnés à au moins sept années d’emprisonnement pour des crimes attentatoires à la vie, à l’intégrité physique ou à l’autodétermination sexuelle d’autrui, ou pour d’autres infractions spécifiques[315]. Il est d’ailleurs révélateur que la majorité ait déclaré que l’article 7 trouvait à s’appliquer en l’espèce, et donc que la requête était recevable. Si la détention de sûreté du requérant n’était pas une peine au sens de l’article 7, sa rétroactivité ne constituerait pas une question relevant de l’article 7 et la requête aurait été jugée irrecevable à cet égard. Si la majorité avait été cohérente, elle aurait dû déclarer irrecevable le grief fondé sur l’article 7. Dès lors que la Cour reconnaît que la détention de sûreté imposée au requérant constituait une peine, la rétroactivité devient simplement trop évidente et impossible à ignorer. Le raisonnement exposé par la majorité constitue un moyen terme maladroit : la majorité déclare recevable le grief formulé sur le terrain de l’article 7 mais conclut néanmoins que la détention de sûreté imposée au requérant n’était pas une peine. Plus que dénoncer cette erreur logique patente dont on peut penser qu’elle a eu une incidence sur l’appréciation de la recevabilité du grief fondé sur l’article 7, je souhaiterais énoncer une évidence : dans une affaire telle que celle-ci, une conclusion de recevabilité est immanquablement suivie d’un constat de violation de l’article 7 de la Convention.
121. L’ordonnance de placement en détention de sûreté se trouve en outre entachée de l’illégalité continue résultant du défaut d’indépendance du juge P. La question du manque d’impartialité judiciaire ne se pose pas lorsqu’un juge a déjà rendu des décisions purement formelles et procédurales à d’autres stades de la procédure[316]. Il peut toutefois apparaître de graves problèmes concernant l’impartialité si, pendant d’autres phases de la procédure, un juge a déjà exprimé une opinion sur la conduite, la culpabilité ou la dangerosité d’un accusé[317]. En l’espèce, le minimum que le juge P. aurait dû faire en 2012 était de se récuser, étant donné qu’il s’était déjà exprimé en tant que membre du tribunal régional et, ce qui aggrave les choses, à l’occasion d’un aparté malencontreux avec les avocats du requérant le 22 juin 2009, après la délivrance de l’ordonnance de placement en détention de sûreté et avant que celle-ci ne devint définitive. La teneur de ses propos n’était pas neutre : elle faisait référence à la personnalité et à la dangerosité du requérant. À mon avis, il est simplement inconcevable qu’un juge qui a formulé une remarque aussi déplacée, non professionnelle et entachée de préjugés à propos de la personnalité et des agissements à venir du requérant ait pu siéger au sein de la formation qui, le 3 août 2012, a ordonné de nouveau de placer le requérant en détention rétrospective. Pareil comportement compromet la légalité de l’ordonnance de placement détention et donc de la détention de sûreté dans son intégralité.
iii. Le « sacrifice spécial » imposé par la détention de sûreté du requérant (§§ 122-126)
122. Le requérant a été condamné à une peine de dix ans d’emprisonnement le 29 octobre 1999 et a fini de purger sa peine le 17 juillet 2008[318]. Après avoir été placé en détention de sûreté provisoire ce jour-là, il s’est vu, le 22 juin 2009, imposer une ordonnance de placement en détention de sûreté rétrospective en application de l’article 7 § 2 no 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs. Le 6 mai 2011, il a de nouveau été placé en détention de sûreté provisoire à la suite de l’annulation de l’ordonnance antérieure de placement détention de sûreté rétrospective. Le 3 août 2012, une ordonnance de placement en détention de sûreté rétrospective a été prise contre lui et cette ordonnance est toujours en vigueur aujourd’hui[319].
123. Le requérant se plaint non seulement de la qualité du traitement qu’il a reçu dans le nouveau centre de détention, de la disponibilité du personnel thérapeutique, de la séparation, sur le plan organisationnel, entre la prison de Straubing et son centre de détention de sûreté, mais aussi du fait que ce dernier accueillait majoritairement des personnes ne présentant pas de troubles mentaux[320]. Sans prendre en considération les critiques susmentionnées formulées par le CPT concernant des centres de détention similaires ni la moindre évaluation impartiale du centre de détention de Straubing, la majorité croit religieusement ce que dit le Gouvernement. Elle se range à ses côtés dans l’appréciation de la situation sur le terrain. En d’autres termes, la Cour dilue le sens autonome de la notion de « peine » telle que visée à l’article 7 en se fondant sur des informations non vérifiées fournies par le Gouvernement quant au fonctionnement du système national de détention de sûreté et au centre dans lequel le requérant est interné[321]. Ce choix est d’autant plus inacceptable à la lumière du consensus qui règne au niveau international et européen contre la détention de sûreté rétrospective, tel qu’évoqué ci-dessus.
124. Les faits de la présente espèce sont révélateurs à cet égard, parce que pendant sa première période de détention de sûreté, le requérant n’a pas reçu le moindre soin à visée thérapeutique[322]. D’ailleurs, la majorité reconnaît que « le tribunal régional (...) a simplement ordonné de manière générale son placement en détention de sûreté » (les italiques sont de moi) et donc que la même ordonnance de placement en détention couvrait la détention de sûreté exécutée par le requérant d’abord à la prison de Straubing puis, plus tard, dans le centre de détention de Straubing[323]. Ce « caractère général » aurait dû consterner la majorité au lieu de l’inciter à faire preuve d’indulgence à l’égard du tribunal régional. Le fait que le tribunal régional a ordonné la détention de sûreté en termes généraux montre que la finalité thérapeutique de pareille détention ne présentait en fin de compte aucune importance : tant que le requérant était bien sous les verrous, les mesures thérapeutiques revêtaient un caractère cosmétique.
À cet égard, on relève une énorme différence entre la présente espèce et l’affaire Bergmann. Dans cette dernière, le requérant était un récidiviste au sujet duquel le tribunal de jugement avait conclu qu’il présentait un trouble mental au moment de la commission de l’infraction et qui avait déjà été transféré dans les établissements nouvellement construits propres à accueillir des délinquants atteints de troubles mentaux lorsque son maintien en détention de sûreté a été ordonné conformément aux conditions énoncées dans la deuxième phrase de l’article 316f § 2 de la loi introductive au code pénal[324]. Dans la présente espèce en revanche, le requérant, un primo‑délinquant qui était pleinement responsable pénalement lors de la commission de son acte, était déjà en détention au moment où le jugement du tribunal régional a été prononcé (le 3 août 2012) dans des conditions non conformes à la Convention et n’a été transféré dans le nouveau centre de détention de sûreté que deux années plus tard.
125. Pour prouver la transsubstantiation de la Sicherungsverwahrung dans l’affaire du requérant en une mesure autre qu’une « peine », la majorité invoque l’existence d’un traitement médical et thérapeutique personnalisé défini selon un protocole individuel, même si le requérant n’a pas accepté de le suivre[325]. L’argument principal avancé par la majorité est que « [c]ette forme de détention est désormais axée sur » un traitement[326]. Soyons clairs : cet argument ne peut pas servir à faire la distinction entre les mesures de détention de sûreté et les peines de prison pour une raison simple et prosaïque déjà évoquée, à savoir que les peines de prison doivent elles aussi viser à offrir un traitement fondé sur un protocole personnalisé, en vertu des règles pénitentiaires européennes[327] et des normes pénitentiaires internationales[328] qui ont déjà été incorporées dans la jurisprudence de la Cour relative à l’article 3 de la Convention[329].
126. Enfin, la majorité estime que la gravité de la mesure ne constitue pas en soi un élément décisif[330], contredisant ainsi son évaluation, axée sur les faits, des conditions de détention. Il est remarquable qu’un arrêt destiné à défendre la nature « thérapeutique » d’une mesure coercitive ne fasse nullement mention des bienfaits concrets que le requérant a retirés et retire de son séjour dans le centre de détention de Straubing. Si la majorité considère véritablement que la détention de sûreté en l’espèce constitue effectivement une mesure principalement thérapeutique, on pourrait s’attendre à ce qu’elle décrive, du moins jusqu’à un certain point, la manière dont les effets positifs viennent en compenser les inconvénients.
Pour la majorité, le fait qu’un primo-délinquant de dix-neuf ans soit toujours en prison aujourd’hui alors qu’il est parvenu au terme de sa peine le 17 juillet 2008 n’a pas grand-chose d’un sacrifice. La majorité ne s’émeut pas non plus beaucoup à l’idée que le requérant avait trente-cinq ans au moment de la délivrance de l’ordonnance de placement en détention de sûreté et que son emprisonnement potentiellement à vie pourrait se révéler plus long que celui d’autres délinquants se trouvant soumis au même type de régime. Mais cela n’a rien de nouveau : la Cour constitutionnelle a elle‑même confessé, dans le cadre du recours constitutionnel formé par le requérant, que la détention de sûreté constituait une atteinte « extrêmement grave » (äußerst schwerwiegend) au droit fondamental à la liberté et qu’elle imposait aux personnes concernées un « sacrifice spécial » (« Sonderopfer »)[331] dans l’intérêt de la collectivité. En effet, le requérant est en détention de sûreté rétrospective (et était auparavant en détention de sûreté provisoire) depuis maintenant dix ans et sert de « bouc émissaire » qui assouvit les besoins répressifs de la société.
C. Conclusion préliminaire (§§ 127-128)
127. La conception que se fait la Cour du principe de légalité est minimaliste et repose sur un critère de prévisibilité subjective. Les exigences de lex certa et de lex stricta découlant de l’article 7 de la Convention n’apportent qu’une protection limitée aux personnes accusées. La déférence témoignée à l’égard des juridictions pénales nationales laisse une latitude considérable pour une application répressive, au cas par cas, du principe de légalité. Jusqu’ici, seule l’exigence de lex praevia fournissait une protection effective. Il semble que ce ne soit plus le cas.
La conversion rétrospective d’une mesure de sûreté punitive limitée dans le temps en une mesure d’internement pseudo-médical potentiellement à vie qui est imposée à des délinquants condamnés présentant des « troubles mentaux » établis ex nunc constitue une interprétation déraisonnable sur les plans historique et dogmatique, et, disons-le, abusive qui non seulement va au-delà de la nature et du but de la mesure de détention de sûreté, mais qui contourne l’interdiction dictée par le principe nulla poena sine lege praevia qui est garantie dans un État de droit. En appuyant de son autorité morale incontestée le choix politique opéré par le législateur dans la « loi sur le traitement et la détention des délinquants violents atteints de troubles mentaux[332] », la Cour constitutionnelle a agi comme un facilitateur de la majorité politique[333] et non comme le garant des droits fondamentaux inscrits dans la Loi fondamentale lue au travers du prisme du droit international[334]. En acquiesçant à une stratégie de respect apparent des garanties de la Convention tout en s’écartant en substance du message essentiel de la Cour selon lequel la Convention garantit aux Sicherungsverwahrte le respect du principe nulla poena sine lege praevia, la Cour de Karlsruhe a choisi de s’aligner schématiquement sur Berlin et non sur Strasbourg.
128. La Cour constitutionnelle a décidé d’adapter dans une certaine mesure le droit interne à l’article 5 § 1 e) de la Convention en fabriquant un concept de détention des délinquants condamnés présentant des « troubles mentaux » allégués. Mais ce concept n’a été appliqué qu’à des cas anciens de détention de sûreté, se traduisant pour les personnes concernées par le résultat visé, à savoir le maintien en détention des délinquants ciblés. Les juges de Karlsruhe n’ont pas appliqué ce concept aux cas de détention de sûreté à venir. Pour ceux-ci, la Cour constitutionnelle s’est contentée d’imposer l’exigence d’une différenciation à respecter, mais n’a pas établi de lien avec la nécessité d’un trouble mental. C’est la raison pour laquelle, comme l’affirme le requérant, seule une minorité des personnes soumises à un régime de détention de sûreté dans le nouveau centre de Straubing étaient des patients atteints de troubles mentaux. Dans la mesure où les critères servant à classer ces institutions dans la catégorie des établissements propres à accueillir des malades mentaux correspondent à des catégories juridiques et non médicales, il est plus que compréhensible de se demander si ces établissements sont aussi en fait des établissements psychiatriques. Un même établissement ne peut pas être à la fois un établissement psychiatrique pour certains détenus mais pas pour d’autres. Si, au regard de la majorité des personnes détenues dans un tel établissement, il n’est pas raisonnable que celui-ci fonctionne comme un établissement pour malades mentaux, il faudrait alors vérifier s’il peut servir d’établissement psychiatrique pour la minorité et si tel est bien le cas. En revanche, si un tel établissement est un établissement psychiatrique, il faudrait de toute urgence trouver une justification à l’internement de personnes non atteintes de troubles mentaux (les Sicherungsverwahrten « ordinaires ») dans cet environnement, parce qu’il n’est pas convenable de traiter ces détenus comme s’ils étaient atteints de troubles mentaux. Le Gouvernement n’a pas répondu à cette nécessité en l’espèce.
VI. Conclusion finale (§§ 129-130)
129. La présente espèce fait revenir à ma mémoire un après-midi d’août 1995 à Fribourg-en-Brisgau. Alors que je discutais avec Hans‑Heinrich Jescheck de la résurgence du Feindstrafrecht[335], celui-ci m’a avoué que ce qu’il redoutait le plus en Europe était que des majorités politiques irréfléchies se servent du droit pénal à mauvais escient dans le silence complice des tribunaux. Il regrettait que l’Europe n’ait pas tiré les leçons de l’histoire.
130. Il n’est pas surprenant que les milieux politiques frôlent la limite du respect de la Convention, voire la franchissent, et opposent une résistance aux valeurs de la Convention et aux arrêts de la Cour dans des manœuvres polémiques, si ce n’est clairement démagogiques, destinées à gagner le soutien politique de tel ou tel électorat. Si les droits de l’homme ont une finalité fondamentale, c’est précisément celle de servir de « jokers » qui protègent les droits fondamentaux individuels contre les actes d’oppression de majorités mal inspirées. Ce point vaut particulièrement dans le cas de minorités aisément jetables, comme les prisonniers ou les migrants. Les personnalités politiques qui émergent de ces majorités devraient se conformer au droit international des droits de l’homme en général et à la Convention en particulier, puisque chaque représentant de l’État est tenu par le droit des droits de l’homme et que la Convention contribue à promouvoir un « développement européen conjoint des droits fondamentaux » (gemeineuropäische Grundrechtsentwicklung)[336]. Cette considération englobe naturellement les membres du Parlement qui ont adopté des dispositions autorisant la détention de sûreté rétrospective et approuvé une loi intuitu persona scandaleuse dans le but de maintenir M. Ilnseher sous les verrous à tout jamais.
Il est vraiment démoralisant de constater que dans toute l’Europe également, des cours constitutionnelles et des cours suprêmes résistent à l’application des valeurs de la Convention et à l’exécution des arrêts de la Cour, abandonnant leur rôle de garants de l’état de droit pour se muer en facilitateurs de l’exercice du pouvoir par les hommes politiques[337]. Nous avons assisté à cette mutation dans d’autres pays d’Europe, dans lesquels des juges dociles façonnent une jurisprudence taillée pour les majorités politiques. Malheureusement, c’est désormais le tour de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, avec la lecture déloyale qu’elle donne, sans le moindre complexe, de l’arrêt M. et des arrêts qui ont suivi et qui va dans le sens de l’inapplicabilité du principe nulla poena sine lege praevia à la détention de sûreté. En validant la position de la Cour de Karlsruhe, qui va à l’encontre des normes, limpides et anciennes, du droit international coutumier et du droit conventionnel, ainsi qu’à l’encontre du consensus mis en évidence par l’étude de droit comparé, la Cour fait un pas de plus vers la périphérie juridique de l’Europe. Tout en concluant que la détention de sûreté qui a été imposée au requérant constituait une « peine » rétrospective contraire aux articles 7 et 5 § 1 de la Convention, je plaide pour que la Cour joue un rôle central dans la défense des principes du droit pénal moderne et dans la sauvegarde des droits de l’homme en Europe.
* * *
[1]. La Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (10e révision), la CIM-10, est publiée par l’Organisation mondiale de la santé. La CIM constitue l’outil international standardisé de classification des maladies et des problèmes de santé. Elle définit les maladies, les troubles, les traumatismes et autres problèmes de santé connexes et les répertorie de manière exhaustive et hiérarchisée.
[2]. Délinquants âgés de 18 à 21 ans au moment de la commission de l’infraction.
[3]. Délinquants âgés de 14 à 18 ans au moment de la commission de l’infraction.
[4]. Pour des raisons que j’exposerai plus bas, j’emploie en français l’adjectif « rétrospective » et en anglais l’adjectif « retrospective » s’agissant de la nachträgliche Sicherungsverwahrung.
[5]. La question de la légalité de la détention du requérant en qualité d’« aliéné » au titre de l’article 5 § 1 e) de la Convention se pose parce que cette période de détention de sûreté n’a pas été considérée comme une « peine » au sens de l’article 7. Si cette période de détention de sûreté avait été considérée comme une « peine » aux fins de l’article 7, la détention devrait être examinée sous l’angle de l’article 5 § 1 a) de la Convention.
[6]. La loi sur les délinquants d’habitude et les mesures de sûreté (Gesetz gegen gefährliche Gewohnheitsverbrecher und über Maßregeln der Sicherung und Besserung) du 24 novembre 1933. Au sujet de cette loi, voir Michael Wagner-Kern, Präventive Sicherheitsordnung. Zur Historisierung der Sicherungsverwahrung, Berlin : Berliner Wissenschaftsverlag, 2016 ; Christian Müller, Das Gewohnheitsverbrechergesetz vom 24. November 1933, Kriminalpolitik als Rassenpolitik, Baden-Baden : Nomos, 1997 ; Jörg Kinzig, Die Sicherungsverwahrung auf dem Prüfstand: Ergebnisse einer theoretischen und empirischen Bestandsaufnahme des Zustandes einer Maßregel, Fribourg : iuscrim, 1996, et Joachim Hellmer, Der Gewohnheitsverbrecher und die Sicherungsverwahrung 1934-1945, Berlin : Duncker & Humblot, 1961.
[7]. Articles 42 e, 42 f du code pénal de l’empire allemand.
[8]. SA signifie Sturmabteilung, et désigne une force paramilitaire mise en place par le parti national-socialiste pendant la République de Weimar. Après l’arrivée au pouvoir du parti nazi, elle est devenue une Hilfspolizei sous Göring. En 1945, le Conseil de contrôle allié a interdit et dissous cette organisation.
[9]. SS signifie Schutzstaffel, et désigne la force militaire chargée de la gestion des camps de concentration et d’extermination. Bien qu’il s’agît au départ d’une organisation nazie, elle a ensuite été fusionnée avec la police ordinaire sous Himmler. En 1945, le Conseil de contrôle allié a interdit et dissous cette organisation.
[10]. Gestapo signifie Geheime Staatspolizei, et désigne la police politique secrète d’Hitler. En 1945, le Conseil de contrôle allié a interdit et dissous cette organisation.
[11]. Article 5 § 1 du code pénal de l’empire allemand.
[12]. Article 5 § 2 du code pénal de l’empire allemand : « ... so kann das Gericht die Sicherungsverwahrung des Verurteilten nachträglich anordnen, wenn die öffentliche Sicherheit es erfordert. …. »
[13]. Joachim Hellmer, Der Gewohnheitsverbrecher..., précité, p. 16.
[14]. Tobias Mushoff, Strafe-Maßregel-Sicherungsverwahrung: eine kritische Untersuchung über das Verhältnis von Schuld und Prävention, Francfort : Lang, 2008, p. 25, note de bas de page 118.
[15]. Les Richterbriefe étaient des directives politiques adressées aux magistrats et qui régissaient l’exécution du travail judiciaire. Toutes sont d’une lecture démoralisante, mais la Richterbrief no 4 est particulièrement marquante : « Stellungnahme des Reichsministers der Justiz Thierack zur „Bekämpfung Asozialer“: „Der rücksichtslose Kampf gegen das Berufs- und Gewohnheitsverbrechertum steht seit der Machtergreifung durch den Nationalsozialismus im Vordergrund der gesamten Verbrechensbekämpfung. …Bereits im Jahr der Machtübernahme wurde dem gefährlichen Gewohnheitsverbrecher durch das Gesetz vom 24. November 1933 mit der Erhöhung der Strafen (§ 20 a RStGB) und Einführung der Sicherungsverwahrung ein unerbittlicher Kampf angesagt. … Der gefährliche Gewohnheitsverbrecher, der sich stets von neuem an der Volksgemeinschaft vergreift, war schon im Frieden ein Parasit am Volkskörper; im Kriege ist er ein Schädling und Saboteur der inneren Front erster Ordnung.…Der Gesetzgeber hat daraus die erforderlichen Folgerungen gezogen und dem Richter die Mittel an die Hand gegeben, mit denen dieser den Kampf gegen den unverbesserlichen Gewohnheitsverbrecher nunmehr bis zur Vernichtung dieser Fremdkörper der Gemeinschaft fortführen kann… », [http://www.wienerlibrary.co.uk/Search-document-collection?item=551](http://www.wienerlibrary.co.uk/Search-document-collection?item=551)
[16]. Annemarie Dax, Die Neuregelung des Vollzugs der Sicherungsverwahrung: Bestandsaufnahme sowie kritische Betrachtung der bundes- und landesrechtlichen Umsetzung des Abstandsgebots, Berlin : Duncker & Humblot, 2017, p. 38, et Tobias Mushoff, Strafe-Maßregel-Sicherungsverwahrung..., précité, p. 25.
[17]. Ibidem.
[18]. Christian Müller, Das Gewohnheitsverbrechergesetz..., précité, p. 22.
[19]. Le Conseil avait dans un premier temps recommandé la suppression du régime de détention de sûreté, qu’il considérait comme un déni typiquement nazi du droit à la liberté, mais la Guerre froide et les tensions dont elle s’est accompagnée entre les forces alliées ont fait capoter la réforme. Voir Michael Wagner-Kern, Präventive Sicherheitsordnung…, précité, p. 60, Jan-David Jansing, Nachträgliche Sicherungsverwahrung, Entwicklungslinien in der Dogmatik der Sicherungsverwahrung, Münster : LIT Verlag, 2004, p. 49, et Matthias Etzel, Die Aufhebung von nationalsozialistischen Gesetzen durch den Alliierten Kontrollrat (1945-1948), Tübingen : Mohr Siebeck, 1992, p. 169.
[20]. C’était déjà ce reproche que Kohlrausch adressait aux projets de loi sur la détention de sûreté pendant la République de Weimar (Michael Wagner-Kern, Präventive Sicherheitsordnung…, précité, p. 41). Pour une version plus récente de cette critique, voir Axel Dessecker, « Etikettenschwindel oder Behandlungsvollzug? Kritik der Sicherungsverwahrung und neues Recht » (2012) 33, Zeitschrift für Rechtssoziologie, pp. 265-282.
[21]. J. Kinzig, Die Sicherungsverwahrung..., précité, p. 23.
[22]. BVerfGE (décisions de la Cour constitutionnelle fédérale) 2, 119.
[23]. Article 7 de la loi sur les tribunaux pour mineurs.
[24]. Article 105 § 1 de la loi sur les tribunaux pour mineurs.
[25]. Article 106 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs.
[26]. La Cour constitutionnelle a expliqué que l’introduction de cette limitation de durée était nécessaire face à la réticence des juges à recourir à une détention de sûreté à durée illimitée, qu’ils considéraient comme l’équivalent, dans la pratique, d’une peine à perpétuité. Les carences des méthodes de pronostic ont également justifié de limiter la durée de cette détention (BVerfGE 109, 133, § 14).
[27]. BverfGE 2 BvR 41/71. Sa principale conclusion a été que l’exécution d’une peine privative de liberté était contraire à la Constitution si des ingérences dans l’exercice des droits fondamentaux, venant s’ajouter à la privation de liberté, ne reposaient pas sur une base légale explicite.
[28]. Zweiter Schriftlicher Bericht des Sonderausschusses für die Strafrechtsreform BT-Drs. 5/4095, p. 31.
[29]. Pollähne, in Kindhäuser, Neumann et Paeffgen (eds.), Strafgesetzbuch Nomos Kommentar, volume 1, 4e edition, Baden-Baden : Nomos, 2013, annotation 4 au § 61.
[30]. La loi pour la lutte contre les infractions sexuelles et autres infractions dangereuses (Gesetz zur Bekämpfung von Sexualdelikten und anderen gefährlichen Straftaten) du 26 janvier 1998, qui est entrée en vigueur le 31 janvier 1998.
[31]. Comme la Cour constitutionnelle l’a expliqué dans BVerfGE, 109, 133, § 42.
[32]. Bade-Wurtemberg (2001), Bavière (2001), Saxe-Anhalt (2002), Thuringe (2003), Basse-Saxe (2003). Voir également Jörg Kinzig, Die Legalbewährung gefährlicher Rückfalltäter – Zugleich ein Beitrag zur Entwicklung des Rechts der Sicherungsverwahrung, Berlin : Duncker & Humblot, 2010, pp. 17-28.
[33]. Bild am Sonntag, 8 juillet 2001.
[34]. La loi sur la détention de sûreté différée (Gesetz zur Einführung der vorbehaltenen Sicherungsverwahrung), du 21 août 2002, est entrée en vigueur le 28 août 2002.
[35]. Article 106 de la loi sur les tribunaux pour mineurs dans la version de la loi portant modification des dispositions relatives aux infractions portant atteinte à l'intégrité sexuelle et autres dispositions (Gesetz zur Änderung der Vorschriften über die Straftaten gegen die sexuelle Selbstbestimmung und zur Änderung anderer Vorschriften) du 27 décembre 2003, entrée en vigueur le 1er avril 2004.
[36]. BVerfGE 109, 133.
[37]. Ibidem, § 70.
[38]. Ibidem, § 94.
[39]. Ibidem, § 127.
[40]. Ibidem, §§ 133, 136 et 144.
[41]. Ibidem, § 151.
[42]. Ibidem, § 137.
[43]. Ibidem, § 126.
[44]. Ibidem.
[45]. BVerfGE 109, 190.
[46]. La loi bavaroise sur la détention des délinquants très dangereux particulièrement susceptibles de récidiver (Bayerisches Gesetz zur Unterbringung von besonders rückfallgefährdeten hochgefährlichen Straftätern) du 24 décembre 2001.
[47]. La loi du Land de Saxe-Anhalt sur la détention des personnes particulièrement susceptibles de récidiver destinée à éviter de graves risques pour la sûreté et l’ordre publics (Gesetz des Landes Sachsen-Anhalt über die Unterbringung besonders rückfallgefährdeter Personen zur Abwehr erheblicher Gefahren für die öffentliche Sicherheit und Ordnung) du 6 mars 2002.
[48]. BVerfGE 109, 190, § 168. Trois juges ont rédigé une opinion dissidente commune, arguant que les dispositions litigieuses étaient nulles et non avenues et que les personnes qui étaient détenues en application de ces dispositions devaient être libérées immédiatement étant donné qu’il était possible d’adopter d’autres mesures, moins intrusives, pour lutter contre la récidive.
[49]. Ibidem, § 166.
[50]. Ibidem, § 167.
[51]. La loi portant introduction de la détention de sûreté rétrospective (Gesetz zur Einführung der nachträglichen Sicherungsverwahrung) du 23 juillet 2004, qui est entrée en vigueur le 29 juillet 2004, a introduit l’article 66b §§ 1 et 2 dans le code pénal.
[52]. BVerfGE, 2 BvR 226/06.
[53]. BVerfG, 2 BvR 748/08.
[54]. BVerfG, 2 BvR 2098/08.
[55]. Article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs dans la version de la loi portant introduction de la détention de sûreté rétrospective en cas de condamnations prononcées selon le droit pénal applicable aux jeunes délinquants (Gesetz zur Einführung der nachträglichen Sicherungsverwahrung bei Verurteilungen nach Jugendstrafrecht) du 8 juillet 2008, qui est entrée en vigueur le 12 juillet 2008. Au sujet de cette loi, voir Hauke Brettel, « Nachträgliche Sicherungsverwahrung bei jugendlichen Sexualstraftätern », in B. Bannenberg et J.-M. Jehle (eds), Gewaltdelinquenz, Lange Freiheitsentziehung, Delinquenzverläufe, Mönchengladbach : Forum Verlag, 2011, pp. 309-316 ; Heribert Ostendorf et Sandra Petersen, « Nachträgliche Sicherungsverwahrung im Jugendstrafrecht » (2010), Zeitschrift für Rechtspolitik, pp. 245-249 ; Christine Graebsch, « Sicherungsverwahrung im Jugendstrafrecht » (2008), Zeitschrift für Jugendkriminalrecht und Jugendhilfe, pp. 284-287 ; Jörg Kinzig, « Die Einführung der nachträglichen Sicherungsverwahrung für Jugendliche » (2008), Zeitschrift für Jugendkriminalrecht und Jugendhilfe, pp. 245-250, et « Entwicklung, Stand und Perspektiven einer Sicherungsverwahrung für Jugendliche und Heranwachsende » (2007), Recht der Jugend und des Bildungswesens, pp. 155-166.
[56]. Article 7 § 3 de la loi sur les tribunaux pour mineurs dans la version de la loi de 2008 susmentionnée.
[57]. Ce changement était intentionnel, et les raisons qui l’ont dicté sont explorées dans le projet de loi. Le projet de loi explique les conditions plus dures prévues pour les mineurs par comparaison avec celles définies pour les adultes en évoquant les difficultés à faire des prévisions dans le cas des personnes jeunes : “Diese Verlagerung des Entscheidungszeitpunkts an das Ende des Vollzugs ist bei jungen Menschen im Regelfall zur Erhöhung der Prognosesicherheit geboten. Allerdings ist der neue § 7 Abs. 2 JGG, wie sein Wortlaut verdeutlicht (‘sind nach einer Verurteilung … Tatsachen erkennbar’ und nicht ‘werden nach einer Verurteilung … Tatsachen erkennbar’), auch dann anwendbar, wenn die wesentlichen die Gefährlichkeit begründenden Tatsachen bereits zum Zeitpunkt des Urteils erkennbar waren und im Jugendstrafvollzug keine erheblichen ‘neuen’ Tatsachen hervorgetreten sind.” (BT-Drs. 16/6562, p. 7).
[58]. BT-Drs 16/6562.
[59]. Intervention du professeur Jörg Kinzig, BT-Dr 16/6562, p. 2.
[60]. N. Nestler et C. Wolf, « Sicherungsverwahrung gem. § 7 Abs. 2 JGG und der Präventionsgedanke im Strafrecht - kritische Betrachtung eines legislativen Kunstgriffs » (2008), Neue Kriminalpolitik, pp. 153-159.
[61]. T. Ullenbruch, « Das "Gesetz zur Einführung der nachträglichen Sicherungsverwahrung bei Verurteilungen nach Jugendstrafrecht" - ein Unding? » (2008), Neue Juristische Wochenschrift, pp. 2609-2615.
[62]. M. c. Allemagne, no 19359/04, CEDH 2009. À propos de l’impact de cet arrêt, voir Jörg Kinzig, « The ECHR and the German System of Preventive Detention: An Overview of the Current Legal Situation in Germany », in M. Caianiello et M. Corrado (eds), Preventing danger: new paradigms in criminal justice, Durham, NC : Carolina Acad. Press., 2013, pp. 71-95 ; E. Janus et al., « M. v. Germany: The European Court of Human Rights Takes a Critical Look at Preventive Detention » (2013), 29 Arizona Journal of International and Comparative Law, pp. 605-622 ; S. Schlickewei, « Preventive Detention Revisited Before the ECtHR: O.H. v. Germany », (2012) German Yearbook of International Law, pp. 659-669 ; T. Bartsch, « Aspekte der Sicherungsverwahrung im Straf- und Maßregelvollzug », in B. Bannenberg et J.-M. Jehle (eds), Gewaltdelinquenz, Lange Freiheitsentziehung, Delinquenzverläufe, Mönchengladbach : Forum Verlag, 2011, pp. 291-308 ; G. Merkel, « Incompatible Contrasts - Preventive Detention in Germany and the European Convention on Human Rights » (2010), German Law Journal, pp. 1046‑1066 ; H. Müller, « Die Sicherungsverwahrung, das Grundgesetz und die Europäische Menschenrechtskonvention » (2010), Strafverteidiger, pp. 207-212 ; M. Möllers, « Die ‘Einkesselung’ des EGMR durch BVerfG und BGH bei der nachträglichen Anordnung der Sicherungsverwahrung » (2010), Zeitschrift für Rechtspolitik, pp. 153-156, et M. Grosse-Brömer et O. Klein, « Sicherungsverwahrung als Verfassungsauftrag » (2010), Zeitschrift für Rechtspolitik, pp. 172-175.
[63]. Dans l’arrêt M. c. Allemagne, précité, § 128, la Cour a commencé par poser un argument de principe (selon lequel, en vertu de l’article 66 du code pénal, « seules peuvent être placées en détention de sûreté les personnes qui ont été condamnées à plusieurs reprises pour des infractions pénales d’une certaine gravité ») et n’a évoqué la situation sur le terrain qu’à titre d’argument supplémentaire spécifique (« Elle observe notamment qu’il ne semble exister aucun instrument, mesure ou établissement spécialisés, en dehors de ceux prévus pour les détenus ordinaires condamnés à de longues peines ».)
[64]. Après l’arrêt M. c. Allemagne, précité, la Cour a dû se pencher sur la question de la compatibilité avec la Convention de la détention de sûreté rétrospective dans l’arrêt Kallweit c. Allemagne, no 17792/07, 13 janvier 2011, et de la loi bavaroise de 2002 sur l’internement thérapeutique dans l’arrêt Haidn c. Allemagne, no 6587/04, 13 janvier 2011, et a dans les deux cas déclaré l’incompatibilité de ces dispositions avec la Convention.
[65]. M. c. Allemagne, précité, § 102.
[66]. M. c. Allemagne, précité, § 103.
[67]. La loi de refonte de la détention de sûreté (Gesetz zur Neuordnung des Rechts der Sicherungsverwahrung) du 22 décembre 2010, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2011. Au sujet de cette loi, voir Arthur Kreuzer, « Beabsichtigte bundesgesetzliche Neuordnung des Rechts der Sicherungsverwahrung » (2011,) Zeitschrift für Rechtspolitik, pp. 7-11 ; « Strafrecht als präventiver Opferschutz? — Plädoyer für eine einheitliche vorbehaltene Sicherungsverwahrung anstelle des dringend reformbedürftigen dreigeteilten Systems » (2010), 22 (3) Neue Kriminalpolitik, pp. 89-95, et Jörg Kinzig, « Die Neuordnung des Rechts der Sicherungsverwahrung » (2011), Neue juristische Wochenschrift, pp. 177-182.
[68]. La loi relative au traitement et à l’internement des délinquants violents souffrant de troubles mentaux (Gesetz zur Therapierung und Unterbringung psychisch gestörter Gewalttäter), qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2011. Au sujet de cette loi, voir Katrin Höffler et Cornelius Stadtland, « Mad or bad? Der Begriff ‘psychische Störung’ des ThUG im Lichte der Rechtsprechung des BVerfG und des EGMR » (2012), Strafverteidiger, pp. 239-246 ; Volker Dittmann, « ‘Psychische Störung’ im Therapieunterbringungsgesetz (ThUG) und im Urteil des Bundesverfassungsgerichts zur Sicherungsverwahrung vom 4. Mai 2011 – Versuch einer Klärung », in J.L. Müller et al. (eds.), Sicherungsverwahrung – wissenschaftliche Basis und Positionsbestimmung, Berlin, 2012, pp. 27-42, et C. Morgenstern, « Krank - gestört - gefährlich: Wer fällt unter § 1 Therapieunterbringungsgesetz und Art. 5 Abs. 1 lit. e EMRK? » (2011), Zeitschrift für internationale Strafrechtsdogmatik, pp. 974-981.
[69]. M. c. Allemagne, précité.
[70]. Le projet de loi résume en ces termes le sens de l'expression « psychische Störung » tel qu'utilisé à l'article 1 de la loi sur l'internement thérapeutique : « Letztlich deckt der Begriff der „psychischen Störung“ ein breites Spektrum von Erscheinungsformen ab, von denen nur ein Teil in der psychiatrisch-forensischen Begutachtungspraxis als psychische Erkrankung gewertet wird. » (BT-Drs. 17/3403, p. 54). Pendant les audiences parlementaires, l'expert Norbert Leygraf en a proposé une synthèse sous l’angle psychiatrique: « Da eine als gefährlich eingeschätzte Gruppe bislang als psychisch gesund geltender ‘Hangtäter’ mit Mitteln des Strafrechtes nicht weiter gesichert werden kann, wird eine psychiatrisch verbrämte neue Form der Unterbringung geschaffen, um den weiteren Freiheitsentzug dieser Menschen sicherzustellen. Hierzu wird auf psychiatrische Klassifikationssysteme zurückgegriffen (ICD 10 bzw. DSM IV), obschon die genannten Diagnosemanuale gerade ausdrücklich hervorheben, dass sie als Grundlage einer gerichtlichen Entscheidung nicht hinreichend sind. »
([http://webarchiv.bundestag.de/archive/2013/1212/bundestag/ausschuesse17/a06/anhoerungen/archiv/02_Sicherungsverwahrung/04_Stellungnahmen/Stellungnahme_Leygraf.pdf](http://webarchiv.bundestag.de/archive/2013/1212/bundestag/ausschuesse17/a06/anhoerungen/archiv/02_Sicherungsverwahrung/04_Stellungnahmen/Stellungnahme_Leygraf.pdf), p. 5).
[71]. Ce point est en fait énoncé dans les commentaires explicatifs à l'article 9 § 2) de la loi sur l’internement thérapeutique : « Die Sachverständigen sollen zugleich auch Behandlungsvorschläge unterbreiten. Sollte eine Therapie des Betroffenen ausgeschlossen werden, sind in den Gutachten zumindest Vorschläge für eine Behandlung, z. B. mit Medikamenten, der psychischen Störung des Betroffenen zu unterbreiten. » (BT‑Drs. 17/3403, p. 57). Norbert Leygraf a également fait observer que la législation exigeait explicitement qu’un médecin expert proposât au moins un traitement médical même s'il était en principe considéré comme impossible de traiter la personne concernée : « Bei den von den Gutachtern vorzuschlagenden Behandlungen werden explizit medikamentöse Behandlungsformen genannt, die vom Gutachter sogar auch dann noch vorgeschlagen werden sollen, wenn eine Therapie des Betroffen eigentlich ausgeschlossen ist. » (Erläuterungen zu § 8 Abs. 2 ThUG GE), (source citée dans la note précédente).
[72]. Pour un problème similaire, voir le pragraphe 9 de mon opinion jointe à l’arrêt Kuttner c. Autriche, no 7997/08, 16 juillet 2015.
[73]. Katrin Höffler et Johannes Kaspar, « Warum das Abstandsgebot die Probleme der Sicherungsverwahrung nicht lösen kann: Zugleich ein Beitrag zu den Aporien der Zweispurigkeit des strafrechtlichen Sanktionssystems » (2012), 124 (1) Zeitschrift für die gesamte Strafrechtswissenschaft, pp. 87, 88.
[74]. Sur la réaction du système judiciaire à l'arrêt M., voir J. Kaspar, « Die Zukunft der Zweispurigkeit nach den Urteilen von Bundesverfassungsgericht und EGMR » (2015), Zeitschrift für die gesamte Strafrechtswissenschaft, pp. 654-690 ; C. Michaelsen, « From Strasbourg, with Love' - Preventive Detention before the German Federal Constitutional Court and the European Court of Human Rights » (2012), Human Rights Law Review, pp. 148-167 ; M. Payandeh et H. Sauer, « Menschenrechtskonforme Auslegung als Verfassungsmehrwert: Konvergenzen von Grundgesetz und EMRK im Urteil des Bundesverfassungsgerichts zur Sicherungsverwahrung » (2012), Juristische Ausbildung, pp. 289-298 ; B. Sonnen, « Verfassungswidrige Sicherungsverwahrung » (2011), Zeitschrift für Jugendkriminalrecht und Jugendhilfe, pp. 321-324 ; M. Pösl, « Die Sicherungsverwahrung im Fokus von BVerfG, EGMR und BGH » (2011), Zeitschrift für das juristische Studium, pp. 132-146 ; A. Kreuzer et T. Bartsch, « Urteilsanmerkung zum BVerfG-Urteil » (2011), Strafverteidiger pp. 472-480, U. Eisenberg ; « Urteilsanmerkung zum BVerfG-Urteil » (2011), Strafverteidiger pp. 480-482, Karl Nußstein, « (Kein) Anwendungsbereich des Therapieunterbringungsgesetzes nach dem Sicherungsverwahrungs-Urteil des BVerfG? » (2011), Strafverteidiger, pp. 633-635 ; F. Streng, « Die Zukunft der Sicherungsverwahrung nach der Entscheidung des Bundesverfassungsgerichts » (2011), Juristenzeitung, pp. 827-835, et U. Volkmann, « Fremdbestimmung - Selbstbehauptung – Befreiung » (2011), Juristenzeitung, pp. 835‑842.
[75]. BVerfGE 128, 326.
[76]. Ibidem, §§ 95 et 119. Mais l'article 66 du code pénal dans sa version en vigueur depuis le 27 décembre 2003 n'a pas été déclaré nul et non avenu avec effet rétroactif et a continué de s’appliquer, demeurant ainsi une base légale valide en droit interne, en particulier pendant la période qui a précédé l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle en 2011. Partant, la légalité de la détention de sûreté ordonnée et exécutée en application d’une version antérieure de l'article 66 aux fins de l'article 5 § 1 a) de la Convention n'a pas été remise en question (Ostermünchner c. Allemagne, no 36035/04, § 84, 22 mars 2012).
[77]. Ibidem, § 101
[78]. Ibidem
[79]. Ibidem, § 121.
[80]. Ibidem, §§ 171 et 110.
[81]. Ibidem, § 167. Il importe de noter que la Cour constitutionnelle a rejeté la possibilité d’interpréter les dispositions existantes relatives à la détention de sûreté à la lumière de l’article 5 § 1 e) de la Convention, parce que la teneur normative de ces dispositions ne pouvait pas être modifiée de cette manière (ibidem, § 160).
[82]. Ibidem, §§ 120, 130 et 173.
[83]. Ibidem, §§ 132, 143 et 151.
[84]. C'est-à-dire les cas dans lesquels l'infraction ou au moins l'une des infractions pour la commission de laquelle une détention de sûreté doit être imposée ou différée a été commise avant le 1er janvier 2011.
[85]. Ibidem, §§ 96, 97, 120, 132, 133 et 172.
[86]. Ibidem, §§ 130 et 173.
[87]. Ibidem, § 141.
[88]. Ibidem, § 113.
[89]. Ibidem, § 142.
[90]. Ibidem, §§ 91 et 141.
[91]. Ibidem, § 142.
[92]. La loi sur la différenciation entre détention de sûreté et peine d'emprisonnement (Gesetz zur bundesrechtlichen Umsetzung des Abstandsgebotes im Recht der Sicherungsverwahrung) du 5 décembre 2012, qui est entrée en vigueur le 1er juin 2013.
[93]. Paragraphe 79 du présent arrêt.
[94]. Paragraphe 77 du présent arrêt. Pour une évaluation de cette législation, voir Annemarie Dax, Die Neuregelung des Vollzugs..., précité.
[95]. Article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs dans la version de la loi du 5 décembre 2012.
[96]. Article 7 § 4 de la loi sur les tribunaux pour mineurs dans la version de la loi du 5 décembre 2012.
[97]. Le projet de loi qui a ultérieurement été adopté exposait la motivation suivante : « Damit wird ... diese rechtlich und tatsächlich problematische Anordnungsform noch so lange fortgeführt, bis der Schutz der Bevölkerung durch den Ausbau insbesondere der vorbehaltenen Sicherungsverwahrung übernommen werden kann. » (BT-Drs. 17/9874, p. 12)
[98]. Décision de la Cour constitutionnelle fédérale du 11 juillet 2013, BVerfGE 2 BvR 2302/11 et 2 BvR 1279/12.
[99]. Ibidem, § 83.
[100]. Ibidem, § 66.
[101]. Ibidem, § 80.
[102]. Ibidem, §§ 97-117.
[103]. Report to the German Government on the visit to Germany by the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment or Punishment (CPT) from 25 November to 2 December 2013, CPT/Inf (2014) 23, § 9.
[104]. Schwabe et M.G. c. Allemagne, nos 8080/08 et 8577/08, CEDH 2011 (extraits).
[105]. Ostendorf c. Allemagne, no 15598/08, 7 mars 2013.
[106]. Ibidem, § 93. Dans leur opinion séparée jointe à l’arrêt Ostendorf, les juges Lemmens et Jäderblom ont considéré que la detention à but purement préventif pouvait être justifiée au titre de l’article 5 § 1 c) de la Convention. Cette position vient d’être confirmée par la Grande Chambre dans l’arrêt S., V. et A. c. Danemark [GC], nos 35553/12 et 2 autres, 22 octobre 2018.
[107]. Bergmann c. Allemagne, no 23279/14, 7 janvier 2016.
[108]. Jörg Kinzig, « Die Ausweitung der Sicherungsverwahrung und die daraus resultierenden Probleme für eine zuverlässige Kriminalprognose », in B. Bannenberg et J.‑M. Jehle (eds.), Gewaltdelinquenz, Lange Freiheitsentziehung, Delinquenzverläufe, Mönchengladbach : Forum Verlag, 2011, pp. 355-366.
[109]. Dans la conception de von Liszt, la détention de sûreté n’était pas censée constituer une mesure d’amendement et de sûreté mais une sanction imposée pour des raisons de sécurité, parce que l’on avait l’impression que les traitements ne produiraient pas de résultats. Von Liszt comparait le délinquant d’habitude à un membre malade compromettant la santé de tout le corps, à une lésion cancéreuse empoisonnant la société (von Liszt, ‘Der Zweckgedanke im Strafrecht’ (1883) 3, Zeitschrift für die gesamte Strafrechtswissenschaft 36), anticipant à cet égard la pensée national-socialiste et sa pratique d’extermination (Johannes Kaspar, « Die v. Liszt-Schule und der Umgang mit gefährlichen Gewohnheitsverbrechern », in Arnd Koch et Martin Löhnig (eds.), Die Schule Franz von Liszts, Tübingen : Mohr Siebeck, 2016, p. 124).
[110]. Dans le code pénal, il n’existe pas de disposition similaire à celle de l’article 5 § 3 de la loi sur les tribunaux pour mineurs.
[111]. Selon les termes utilisés par la Cour constitutionnelle : « Dieser besondere Charakter der Sicherungsverwahrung tritt bei dauerhafter Unterbringung besonders augenfällig zutage, weil hier der Besserungszweck der Maßregel hinter ihren Sicherungszweck zurücktritt. » (BVerfGE 109, 133, § 124).
[112]. Mentionnant l'article 7 de la loi sur les tribunaux pour mineurs, voir BVerfGE 128, 326, §§ 99 et 156.
[113]. La Cour constitutionnelle s’est longuement penchée sur les « similitudes » (Ähnlichkeiten), « les recoupements fonctionnels » (Funktionsüberschneidungen) et les « parallèles » (Parallelen) entre ces deux régimes (BVerfGE 109, 2133, §§ 157-162).
[114]. Ce point se trouvait déjà au centre de la motivation de la Cour constitutionnelle dans BVerfGE 128, 326, §§ 108 et 109.
[115]. Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09 et 2 autres, CEDH 2013 (extraits)
[116]. Voir le commentaire à la règle 103 des Règles pénitentiaires européennes de 2006.
[117]. À propos de cette disposition, voir les critiques formulées par Norbert Nedopil, « Sicherungsverwahrung und ‘psychische Störung’ aus psychiatrischer Sicht », in Johannes Kaspar (ed.), Sicherungsverwahrung 2.0, Baden-Baden : Nomos, 2017, pp. 57-68.
[118]. La Cour constitutionnelle elle-même a admis que ces dispositions étaient « rudimentaires », et portaient sur des « questions marginales » (BverfGE 128, 326, § 121).
[119]. Ibidem, § 108.
[120]. Ibidem, § 105.
[121]. Ibidem.
[122]. Ibidem, § 108.
[123]. Il importe de rappeler que la Cour constitutionnelle fédérale a motivé par des considérations de dignité humaine (article 1 § 1 de la loi fondamentale) son exigence de différenciation dans sa décision de 2004.
[124]. BverfG 35, 202.
[125]. Par exemple, BVerfGE 39, 46 ; et 72, 114.
[126]. Maurach, Strafrecht, Allgemeiner Teil, Karlsruhe : Müller Verlag, 1971, p. 77. Faute de place, je ne puis ici m'appesantir sur le débat dogmatique allemand relatif aux finalités de la sanction, mais je renvoie à mon texte intitulé « Ein unausrottbares Missverständnis, Bemerkungen zum strafrechtlichen Schuldbegriff von Jakobs » (1998), 110 Zeitschrift für die Gesamte Strafrechtswissenschaft, pp. 640-657.
[127]. BVerfGE 128, 326, § 104.
[128]. Comme l'indique la décision de la Cour constitutionnelle du 21 juin 1977 concernant l'emprisonnement à vie (1 BvL 14/76).
[129]. BVerfGE 128, 326, § 130.
[130]. Au sujet de ces raisons, voir, parmi beaucoup d’autres, Katrin Höffler, « Die Kriminalprognose und das Risiko » et Hauke Brettel, « ‘Ist gestört, wer ständig stört?’ Zum Verhältnis von psychischer Störung und Straffälligkeit », in Johannes Kaspar (ed.), Sicherungsverwahrung 2.0, Baden-Baden, Nomos, 2017, respectivement pp. 35-56 et 245-252 ; Michael Alex, Nachträgliche Sicherungsverwahrung – ein rechtsstaatliches und kriminologisches Debakel, Holzkirchen : Felix-Verlag, Holzkirchen, 2013, et K. Drenkhahn et C. Morgenstern, « Dabei soll es uns auf den Namen nicht ankommen - Der Streit um die Sicherungsverwahrung » (2012), Zeitschrift für die gesamte Strafrechtswissenschaft, pp. 132-203 ; A. Kreuzer, « Kriminalpolitische und rechtliche Aspekte der Reform des Sicherungsverwahrungsrechts », in B. Bannenberg et J.-M. Jehle (eds), Gewaltdelinquenz, Lange Freiheitsentziehung, Delinquenzverläufe, Mönchengladbach : Forum Verlag, 2011, pp. 291-308 ; V. Schöneburg, « Rechtsstaat und Sicherheit: Die Sicherungsverwahrung auf dem Prüfstand » (2010), Menschenrechtsmagazin pp. 83-90 ; H. Ostendorf, « Jugendstrafrecht - Reform statt Abkehr » (2008), Strafverteidiger pp. 148-153, et Michael Alex, « Nachträgliche Sicherungsverwahrung - eine empirische Bilanz » (2008), Neue Kriminalpolitik pp. 150‑153 et U. Eisenberg, « Nachträgliche Sicherungsverwahrung bei zur Tatzeit Jugendlichen bzw. Heranwachsenden? » (2007), Juristenzeitung pp. 143-144.
[131]. Voir mon opinion jointe à l’arrêt Kuttner, précité.
[132]. Voir mon opinion jointe à l’arrêt Kuttner, précité.
[133]. Karl Nußstein, « Das Therapieunterbringungsgesetz - Erste Erfahrungen aus der Praxis » (2011), Neue juristische Wochenschrift, pp. 1194-1197.
[134]. BVerfGE 128, 326, § 64.
[135]. Pour un résumé des travaux à ce sujet, voir Monika Werndl, « Altfallproblematik und rechtsstaalicher Vertrauensschutz in Sachen Sicherungsverwahrung », in Johannes Kaspar (ed.), Sicherungsverwahrung 2.0, Baden-Baden : Nomos, 2017, pp. 71-102 ; Karl Nußstein, « Das Therapieunterbringungsgesetz... », précité, p. 1194 ; Jörg Kinzig, « Die Neuordnung ... », précité, p. 177, et Arthur Kreuzer, « Beabsichtige ... », précité, p.10.
[136]. BVerfGE 109, 133, §§ 173 et 174.
[137]. Ibidem, §§ 177 et 187. Cette justification a plus tard été étendue à l’article 66 § 2 du code pénal par la décision de la Cour constitutionnelle du 23 août 2006 (BVerfGE 2 BvR 226/06, §§ 14-16), à l’article 66b § 1, phrase 2, du code pénal par sa décision du 22 octobre 2008 (BVerfGE 2 BvR 226/06, §§ 26-37) et à l’article 66b § 3 du code pénal par sa décision du 5 août 2009 (BVerfGE 2 BvR 2098 et 2 BvR 2633/08, §§ 22-33). Ce dernier cas est particulièrement intéressant parce que la Cour constitutionnelle y a admis que la détention de sûreté « véritablement » rétroactive pouvait être compatible avec la Loi fondamentale. Cette position a fait l'objet d'un nouvel examen dans la décision du 6 février 2013 (BVerfGE 2 BvR 2122/11, 2 BvR 2705/11).
[138]. BVerfGE 128, 326, § 134.
[139]. Ibidem, § 138.
[140]. Ibidem, § 141.
[141]. À ce sujet, voir Bernd-Dieter Meyer, « Sicherungsverwahrung bei Jugendlichen und Heranwachsenden », in Johannes Kaspar (ed.), Sicherungsverwahrung 2.0, Baden-Baden : Nomos, 2017, pp. 17-238 ; Christian Laue, « Die Sicherungsverwahrung im Jugendstrafrecht », à paraître (2015) 205, Zeitschrift für Bürgerrechte und Gesellschaftspolitik, pp. 43-50 ; Katharina Karmrodt, Sicherungsverwahrung bei Verurteilungen nach Jugendstrafrecht, Berlin, LIT Verlag, 2012 ; Tillmann Bartsch, « Eine verpasste Chance! Zur Reform der Vorschriften über die Sicherungsverwahrung im JGG » (2013), Zeitschrift für Jugendkriminalrecht und Jugendhilfe, pp. 182-189 et Stefanie Kemme, « Sicherungsverwahrung nach Jugendstrafrecht » (2011), Praxis der Rechtspsychologie pp. 93-114.
[142]. Comité des droits de l’homme des Nations unies, Fardon c. Australie, (CCPR/C/98/D/1629/2007, 10 mai 2010) § 7.4.
[143]. M. Konopka a mentionné l'affaire du requérant comme la première de trois affaires dans lesquelles une détention de sûreté serait nécessaire. Voir Protokoll der 103. Sitzung am 28. Mai 2008, Stellungnahme für den BT-Rechtsausschuss, BT-Drucksache 16/6562
[http://webarchiv.bundestag.de/archive/2010/0304/bundestag/ausschuesse/a06/anhoerungen/Archiv/37_Jugendstrafrecht-Sichver/04_Stellungnahmen/Stellungnahrne_Konopka.pdf](http://webarchiv.bundestag.de/archive/2010/0304/bundestag/ausschuesse/a06/anhoerungen/Archiv/37_Jugendstrafrecht-Sichver/04_Stellungnahmen/Stellungnahrne_Konopka.pdf).
[144]. BGH 1 StR 554/09 : « Vorliegend ist zudem die zeitliche Nähe des Erlasses dieses Gesetzes zum Ende des Strafvollzugs des Verurteilten in dieser Sache zu berücksichtigen. Der Verurteilte verbüßte die Strafe aus der Anlassverurteilung bis 17. 7. 2008. Das Gesetz zur Einführung der nachträglichen Sicherungsverwahrung bei Verurteilungen nach Jugendstrafrecht (BGBl I 1212) vom 8. 7. 2008 trat unmittelbar vorher am 12. 7. 2008 in Kraft. Diese zeitliche Nähe lässt den Schluss zu, dass der Gesetzgeber Fallgestaltungen der vorliegenden Art bei Erlass des Gesetzes im Blick gehabt hat und auch diese erfassen wollte. »
[145]. Hauke Brettel, « Der Vollzug der Sicherungsverwahrung nach § 7 Abs. 2 JGG » (2009), Zeitschrift für Jugendkriminalrecht und Jugendhilfe, pp. 331-335.
[146]. Dans la loi de 2010 qui a presque aboli la détention de sûreté rétrospective pour les adultes, le gouvernement a mentionné l’ineffectivité de cette mesure du fait de la condition préalable de l'existence de nova telle qu'imposée par la Cour fédérale de justice (Bundestags-Drucksache 17/3403, p. 13).
[147]. BGH NJW 2006, 384.
[148]. Arthur Kreuzer et Tillmann Bartsch, « Gesetzgeberische Flickschusterei und Vollzugsprobleme bei der Sicherungsverwahrung » (2008), Forum Strafvollzug pp. 30-33.
[149]. Johnannes Kaspar, « Die Zukunft... », précité, Franz Streng, « Die Zukunft... », précité, et Hauke Brettel, « Nachträgliche Sicherungsverwahrung … », précité.
[150]. T. Bartsch, « Aspekte der Sicherungsverwahrung im Straf- und Maßregelvollzug », in B. Bannenberg et J.-M. Jehle (eds.), Gewaltdelinquenz, Lange Freiheitsentziehung, Delinquenzverläufe, Mönchengladbach : Forum Verlag, 2011, pp. 291-308.
[151]. Comme l'a admis la Cour constitutionnelle (BverfGE 128, 326, § 123).
[152]. BVerfGE 109, 133, § 126.
[153]. Ibidem, § 136
[154]. BVerfGE 109, 190.
[155]. BVerfGE 2 BvR 2302/11, 2 BvR 1279/12 (Zweiter Senat), § 59.
[156]. BVerfGE 109, 133, § 152.
[157]. Comme explicitement indiqué dans BVerfGE 128, 326, § 56.
[158]. BVerfGE 111, 307, § 31. Sur la relation entre la Convention et la Loi fondamentale, voir Luis López Guerra, « Dialogues between the Strasbourg Court and national courts », in Amrei Müller (ed.), Judicial dialogue and human rights, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, pp. 401-409 ; Andreas Paulus, « Engaging in judicial dialogue: the practice of the German Federal Constitutional Court », in Amrei Müller (ed.), Judicial dialogue and human rights, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, pp. 258-266 ; Amrei Müller, « The ECtHR's engagement with German and Russian courts' decisions: encouraging effective cooperation to secure ECHR rights », in Amrei Müller (ed.), Judicial dialogue and human rights, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, pp. 287-338 ; Julia Rackow, « From conflict to cooperation : the relationship between Karlsruhe and Strasbourg », in Katja S. Ziegler et al. (eds.), The UK and European human rights: a strained relationship?, Oxford, Hart, 2015, pp. 379-399 ; Thomas Giegerich, « The Struggle by the German Courts and Legislature to Transpose the Strasbourg Case Law on Preventive Detention into German Law », in Anja Seibert-Fohr et Mark E. Villiger (eds.), « Judgments of the European Court of Human Rights: effects and implementation », Baden-Baden, Nomos, 2014, pp. 207-236 ; Markus Ludwigs, « Kooperativer Grundrechtsschutz zwischen EuGH, BVerfG und EGMR » (2014) 41, Europäische Grundrechte Zeitschrift pp. 273-285 ; Andreas Paulus, « From implementation to translation : applying the ECtHR judgments in the domestic legal orders », in Anja Seibert-Fohr et Mark E. Villiger (eds.), « Judgments of the European Court of Human Rights: effects and implementation », Baden-Baden, Nomos, 2014, pp. 267-283 ; Andreas Vosskuhle, « Pyramid or mobile? Human rights protection by the European constitutional courts » (2014) 34, Human Rights Law Journal 1-3 ; Christoph Grabenwarter, « Deutschland und die Menschenrechtskonvention: eine Aussensicht », in Sabine Leutheusser-Schnarrenberger (ed.), Vom Recht auf Menschenwürde: 60 Jahre Europäische Menschenrechtskonvention, Tübingen, Mohr Siebeck, 2013, pp. 109-121 ; Renate Jaeger et Christiane Schmaltz, « Die deutsche Rechtsprechung und der EGMR: Kooperation oder Konfrontation? » in Sabine Leutheusser-Schnarrenberger (ed.), « Vom Recht auf Menschenwürde: 60 Jahre Europäische Menschenrechtskonvention », Tübingen, Mohr Siebeck, 2013, pp. 97-108 ; Juliane Kokott, « Zusammenwirken der Gerichte in Europa », in von Hanno Kube (ed.), Leitgedanken des Rechts: Festschrift für Paul Kirchhof, volume 1, Heidelberg, Müller, 2013, pp. 1097-1106 ; Hans-Jürgen Papier, « Das Bundesverfassungsgericht im Kräftefeld zwischen Karlsruhe, Luxemburg und Straßburg », in Holger P. Hestermeyer (ed.), Coexistence, cooperation and solidarity, volume 2, 2012, pp. 2041-2056 ; Christian Tomuschat, « The effects of the judgments of the European Court of Human Rights according to the German Constitutional Court » (2010) 11, German Law Journal pp. 513-526 ; Andreas Vosskuhle, « Multilevel cooperation of the European constitutional courts: der Europäische Verfassungsgerichtsverbund » (2010) 6, European Constitutional Law Review pp. 175-198 ; Oliver Klein, « Strassburger Wolken am Karlsruher Himmel: zum geänderten Verhältnis zwischen Bundesverfassungsgericht und Europäischem Gerichtshof für Menschenrechte seit 1998 » (2010) 29, Neue Zeitschrift für Verwaltungsrecht pp. 221-225, et Gertrude Lübbe-Wolf, « Der Grundrechtsschutz nach der Europäischen Menschenrechtskonvention bei konfligierenden Individualrechten: Plädoyer für eine Korridor-Lösung » in Martin Hochhuth (ed.), Nachdenken über Staat und Recht : Kolloquium zum 60. Geburtstag von Dietrich Murswiek, Berlin, Duncker & Humblot, 2010, pp. 193-209.
[159]. Ibidem, § 32.
[160]. Ibidem, § 40.
[161]. Ibidem, § 39.
[162]. Ibidem, § 48.
[163]. Ibidem, § 68.
[164]. Ibidem, § 51.
[165]. Ibidem.
[166]. Ibidem, § 58.
[167]. Ibidem, § 47.
[168]. Ibidem, § 62.
[169]. Ibidem, § 50, and BVerfGE 128, 326, § 93.
[170]. BVerfGE 120, 180, § 82.
[171]. BVerfGE 128, 326, § 89. Dans la même décision, toutefois, la Cour constitutionnelle a nié que les dispositions de la Convention eussent un effet de « précédent fort, allant au‑delà de l'affaire individuelle » (über den Einzellfall hinausgehende, strenge Präjudizienbindung).
[172]. Ibidem, § 82.
[173]. Entretemps, la cour de Strasbourg avait rendu son arrêt dans l'affaire M. c. Allemagne. Au sujet du débat de droit constitutionnel soulevé par cette affaire, voir Christoph Grabenwarter, « Die deutsche Sicherungsverwahrung als Treffpunkt grundrechtlicher Parallelwelten » (2012) 39, Europäische Grundrechte Zeitschrif, pp. 507-514, et « Wirkungen eines Urteils des Europäischen Gerichtshofs für Menschenrechte - am Beispiel des Falls M gegen Deutschland » (2010) 65, Juristenzeitung pp. 857-912 ; Mehrdad Payandeh et Heiko Sauer, « Menschenrechtskonforme Auslegung als Verfassungsmehrwert: Konvergenzen von Grundgesetz und EMRK im Urteil des Bundesverfassungsgerichts zur Sicherungsverwahrung » (2012), Jura pp. 289-298 ; Birgit Peters, « Germany's dialogue with Strasbourg: extrapolating the Bundesverfassungsgericht's relationship with the European Court of Human Rights in the preventive detention decision » (2012) 13, German Law Journal pp. 757-772, et Bertram Schmitt, « Der Einfluss der strafrechtlichen Rechtsprechung des EGMR auf den BGH und das BVerfG: Kommentar » in Nack Jahn (ed.), Gegenwartsfragen des europäischen und deutschen Strafrechts: Referate und Diskussionen auf dem 3. Karlsruher Strafrechtsdialog am 27.Mai 2011, Cologne, Carl Heymann, 2012, pp. 47-51.
[174]. Ibidem, § 90.
[175]. Ibidem, § 86.
[176]. BVerfGE 111, 307, § 32.
[177]. BVerfGE 128, 326, § 91.
[178]. « Für die gewachsene Verfassungsordnung des Grundgesetzes ist dagegen an dem Begriff der Strafe in Art. 103 GG, wie er in der Entscheidung vom 5. Februar 2004 (BVerfGE 109, 133 <167 ff.>) zum Ausdruck gekommen ist, festzuhalten. » (BVerfGE 128, 326, § 142).
[179]. BVerfGE 109, 133, § 15.
[180]. M. c. Allemagne, précité.
[181]. Jendrowiak c. Allemagne, no 30060/04, 14 avril 2011.
[182]. Ibidem, §§ 36-38 et 48.
[183]. BVerfGE 128, 326, § 91.
[184]. Voir mon opinion séparée jointe à l’arrêt G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 85, 28 juin 2018.
[185]. BVerfGE 128, 326, § 89.
[186]. G.I.E.M. et autres, précité, § 252, et mon opinion séparée jointe à cet arrêt, paragraphes 72-86.
[187]. BVerfGE 128, 326, § 91.
[188]. Ibidem, § 92.
[189]. Outre la sûreté publique, la Cour constitutionnelle fait, très discrètement, référence à l'« identité constitutionnelle » comme à une « limite absolue » (BVerfGE 128, 326, § 93), mais ne recourt pas à cet argument dans le cas précis de la détention de sûreté. Il semble que la détention de sûreté en tant que telle ne fasse pas partie de l'« identité constitutionnelle » de la Loi fondamentale.
[190]. Ibidem, § 93.
[191]. M.c. Allemagne, précité.
[192]. Par exemple, dans l'arrêt M., précité, § 82, le requérant argue précisément que « [s]on droit à être détenu régulièrement ne pourrait être mis en balance avec des préoccupations de sûreté publique » et le Gouverement a réfuté cet argument, invoquant la volonté de « protéger la collectivité des dangers » et « le but préventif que constitue la protection de la société » (M., précité, §§ 113 et 116). Voir également Jendrowiak, précité, §§ 36-38, S. c. Allemagne, no 3300/10, § 103, 28 juin 2012, G. c. Allemagne, no 65210/09, § 79, 7 juin 2012, B. c. Allemagne, no 61272/09, § 88, 19 avril 2012, Kronfeldner c. Allemagne, no 21906/09, §§ 86 et 87, 19 janvier 2012, et O.H. c. Allemagne, no 4646/08, §§ 94-94, 24 novembre 2011.
[193]. Jendrowiack, précité, § 48.
[194]. M. c. Allemagne, cited above.
[195]. G.I.E.M. et autres, précité.
[196]. Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie, no 75909/01, 20 janvier 2009.
[197]. Varvara c. Italie, no 17475/09, 29 octobre 2013.
[198]. L’arrêt M. c. Allemagne, précité, portait sur la prolongation rétroactive d’une mesure de détention de sûreté au-delà du délai maximum de dix ans (article 67 d § 3 StGB).
[199]. Haidn c. Allemagne, no 6587/04, 13 janvier 2011, B. c. Allemagne, précité, et S. c. Allemagne, précité. Dans ce groupe d'affaires, qui concernait une détention de sûreté rétrospective (Nachträgliche Sicherungsverwahrung) (article 66b du code pénal), le jugement rendu par le tribunal de jugement avait en fait été ultérieurement corrigé par une ordonnance rétrospective de placement en détention de sûreté.
[200]. « Für die gewachsene Verfassungsordnung des Grundgesetzes ist dagegen an dem Begriff der Strafe in Art. 103 GG, wie er in der Entscheidung vom 5. Februar 2004 (BVerfGE 109, 133 <167 ff.>) zum Ausdruck gekommen ist, festzuhalten. » (BVerfGE 128, 326, § 142).
[201]. Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09 et 2 autres, CEDH 2013 (extraits).
[202]. R v. McLoughlin, R v. Newell, Court of Appeal, Criminal Division, 18 février 2014 [2014] EWCA Crim 188.
[203]. Hutchinson c. Royaume-Uni [GC], no 57592/08, 17 janvier 2017. Voir mon opinion séparée jointe à cet arrêt.
[204]. G.I.E.M. S.r.l. et autres, précité. Voir mon opinion séparée jointe à cet arrêt, en particulier les paragraphes 61-63, à propos de l'approche du droit pénal adoptée par la Cour, qui privilégie l'efficacité et les intérêts.
[205]. Voir mon opinion séparée jointe à l’arrêt Maktouf et Damjanović c. Bosnie‑Herzégovine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, §§ 2-9 CEDH 2013 (extraits).
[206]. Comité des droits de l’homme des Nations unies, Fardon c. Australie (CCPR/C/98/D/1629/2007 10 mai 2010).
[207]. Ibidem.
[208]. Comité des droits de l’homme des Nations unies, Observations finales concernant le sixième rapport périodique de l’Allemagne, CCPR/C/DEU/CO/6, 2 novembre 2012.
[209]. Observations finales du Comité contre la torture, CAT/C/DEU/CO/5, 12 décembre 2011.
[210]. Rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire, additif, mission de suivi en Allemagne, A/HRC/30/36/Add.1, 10 juillet 2015.
[211]. Il est particulièrement regrettable que la majorité n'accorde pas aux rapports du CPT un poids identique à celui qui leur a été accordé dans l'arrêt M., précité, § 129.
[212]. Rapport du Comité européen de prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (CPT) au Gouvernement allemand concernant la visite effectuée par lui en Allemagne du 20 novembre au 2 décembre 2005 (CPT/Inf (2007) 18 du 18 avril 2007, § 96).
[213]. Ibidem.
[214]. Ibidem.
[215]. Ibidem, § 99.
[216]. Rapport du Comité européen de prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (CPT) au Gouvernement allemand concernant la visite effectuée par lui en Allemagne du 25 novembre au 7 décembre 2010 (CPT/Inf (2012) 6), § 107.
[217]. Rapport du Comité européen de prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (CPT) au Gouvernement allemand concernant la visite effectuée par lui du 25 novembre au 2 décembre 2013, CPT/Inf (2014) 23, § 15.
[218]. Ibidem, § 17.
[219]. Ibidem, § 19.
[220]. Rapport du Commissaire aux droits de l’homme M. Thomas Hammarberg sur sa visite en Allemagne du 9 au 11 et du 15 au 20 octobre 2006 (CommDH(2007)14 du 11 juillet 2007)
[221]. Paragraphe 210 de l’arrêt.
[222]. J'ai exposé cet argument dans d'autres opinions séparées, par exemple dans celle qui est jointe à l'arrêt Khamtokhu et Aksenchik c. Russie [GC], nos 60367/08 et 961/11, 24 janvier 2017, paragraphe 31 de mon opinion.
[223]. Belgique, France, l'ex-République yougoslave de Macédoine, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie et Suisse
[224]. Albanie, Autriche, Azerbaïdjan, Bulgarie, Croatie, Finlande, Hongrie, Lettonie, Liechtenstein, Luxembourg, Monténégro, Portugal, Russie, Saint-Marin, Slovénie et Turquie.
[225] Arménie, Estonie, Grèce, République de Moldova et Suède.
[226]. Voir l'article 93 du code pénal polonais, l’article 706-53-13 du code de procédure pénale français, l’article 81 du code pénal serbe, l’article 43 du code pénal norvégien, l’article 37 du code pénal néerlandais et les articles 63-65 du code pénal macédonien.
[227]. Les trois pays qui permettent que l'on impose des mesures de sûreté alors même que le jugement rendu par le tribunal de jugement ne prévoyait pas pareille possibilité sont également ceux dans lesquels le régime de protection ne varie pas selon que l'état de santé mentale du délinquant était connu au moment du prononcé de la peine ou qu'il n’a été découvert qu’ultérieurement (Belgique, Royaume-Uni et Suisse).
[228]. Articles 73 et 81 § 3 du code pénal slovaque.
[229]. Paragraphe 98 de l’arrêt.
[230]. Loi du 5 mai 2014. En Belgique, la mesure peut être imposée après la condamnation dans le cadre d’une procédure spéciale qui requiert que le prévenu soit soumis à une période d’observation de deux mois avant qu’un tribunal puisse ordonner sa détention (article 6 de la loi du 5 mai 2014). Selon la Cour constitutionnelle belge, pareille détention peut intervenir après le terme de la peine si trois conditions sont réunies : l’existence d’un trouble mental réel et permanent doit être démontrée, ce trouble doit être de nature à justifier la détention, et la détention ne doit durer qu’aussi longtemps que le trouble persiste, ce qui laisse au détenu la possibilité d’être remis en liberté dès qu’il recouvre une bonne santé mentale (arrêt no 22/2016, B.3 et B.68.3, 18 février 2016).
[231]. L’« ordonnance hybride » introduite par la loi de 1997 sur les peines en matière criminelle (Crime (Sentences) Act 1997)).
[232]. Articles 59 et 64 du code pénal suisse.
[233]. Christian Bochmann, « Freiheitsentzug bei jugendlichen Straftätern in Europa » (2008) Zeitschrift für Jugendkriminalrecht und Jugendhilfe pp. 324-329, Heribert Ostendorf et Christian Bochmann, « Nachträgliche Sicherungsverwahrung bei jungen Menschen auf dem internationalen und verfassungsrechtlichen Prüfstand » (2007) Zeitschrift für Rechtspolitik pp. 146-149.
[234]. Conseil constitutionnel français, décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, §§ 9‑10, et Observations finales du Comité des droits de l’homme des Nations unies sur le rapport soumis par la France (CCPR/C/FRA/CO/4), du 31 juillet 2008, § 16.
[235]. BVerfG 2 BvR 1481/04, § 35.
[236]. BVerfGE 128, 326, §§ 122-128 : « Les personnes concernées sont en quelque sorte sciemment soumises à une privation inconstitutionnelle de liberté » (Die Betroffenen werden gleichsam “sehenden Auges” einer verfassungswidrigen Freiheitsentziehung unterworfen.)
[237]. Mikhel Timmerman, Legality in Europe. On the principle “nullum crimen, nulla poena sine lege” in EU law and under the ECHR, 2018, Susana Sanz-Caballero, « The principle nulla poena sine lege revisited: the retrospective application of criminal law » (2017) 28, European Journal of International Law 787 ; C. Peristeridou, The Principle of Legality in European Criminal Law, Cambridge : Intersentia, 2015, et K. Gallant, The Principle of Legality in International and Comparative Criminal Law, Cambridge : Cambridge University Press, 2009.
[238]. Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, série A no 260‑A.
[239]. Grigoriades c. Grèce, 25 novembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VII.
[240]. Flinkkilä et autres c. Finlande, no 25576/04, 6 avril 2010.
[241]. Başkaya et Okçuoğlu c. Turquie [GC], nos 23536/94 et 24408/94, § 50, CEDH 1999‑IV.
[242]. Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, §§ 60, 63 et 75, CEDH 2008.
[243]. Voir déjà l’opinion séparée du juge Martens jointe à l’arrêt Kokkinakis, précité, voir également Ashlarba c. Géorgie, no 45554/08, §§ 37 et 40, 15 juillet 2014, Kuolelis et autres c. Lituanie, nos 74357/01 et 2 autres, § 121, 19 février 2008, et Grigoriades, précité, §§ 37 et 38.
[244]. Kokkinakis, précité, § 40, et Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 35, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V.
[245]. Dallas c. Royaume-Uni, no 38395/12, 11 février 2016.
[246]. Achour c. France [GC], no 67335/01, § 52, CEDH 2006‑IV.
[247]. Par exemple, C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 41, série A no 335‑C, S.W. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, série A no 335‑B et Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 20, CEDH 2004‑II.
[248]. Ibidem.
[249]. Ibidem. La Cour fait parfois référence à des infractions ne présentant pas de caractère infamant (voir mon opinion séparée dans l’affaire A et B c. Norvège [GC], nos 24130/11 et 29758/11, § 29, 15 novembre 2016).
[250]. Cantoni, précité, § 35.
[251]. Flinkkilä et autres, précité, § 67. Voir mon opinion jointe à l'arrêt Matytsina c. Russie, no 58428/10, 27 mars 2014.
[252]. Kononov c. Lettonie [GC], no 36376/04, § 185, CEDH 2010 et Baskaya et Okçuoglu, précité, §§ 42-43.
[253]. Dragotoniu et Militaru-Pidhorni c. Roumanie, nos 77193/01 et 77196/01, § 40, 24 mai 2007.
[254]. Koprivnikar c. Slovénie, § 56, 24 janvier 2017.
[255]. C.R., précité, S.W., précité, et Soros c. France, no 50425/06, § 58, 6 octobre 2011, ainsi que l'opinion séparée des juges Villiger, Yudkivska et Nussberger.
[256]. Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, §§ 112 et 117, CEDH 2013.
[257]. Kononov, précité, § 198.
[258]. Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie, nos 11082/06 et 13772/05, § 781, 25 juillet 2013.
[259]. Veeber c. Estonie (no 2), no 45771/99, CEDH 2003‑I, et Rohlena c. République tchèque [GC], no 59552/08, CEDH 2015.
[260]. Maktouf et Damjanović, précité.
[261]. Ibidem, mon opinion séparée, § 8. Voir également Rohlena, précité, § 56.
[262]. Jendrowiak, précité, § 48.
[263]. Au paragraphe 236 de l’arrêt, la reconnaissance par la majorité d’un certain effacement de l’élément punitif de la détention révèle sans aucun doute la persistance, à son avis, d’une certaine visée punitive à tout le moins.
[264]. Paragraphe 227 de l’arrêt : « Dans le cas des personnes détenues en tant que malades mentaux, la visée préventive du nouveau régime de détention de sûreté revêt une importance décisive ».
[265]. Paragraphe 227 de l’arrêt : « Cependant, eu égard à l’environnement dans lequel les ordonnances de détention de sûreté sont exécutées en vertu du nouveau régime, la Cour estime que cette mesure est désormais axée sur la prise en charge médicale et thérapeutique de la personne concernée (…) ».
[266]. Paragraphe 236 de l’arrêt.
[267]. Voir mon opinion commune avec le juge Turkovic jointe à l’arrêt in Khoroshenko c. Russie [GC], no 41418/04, CEDH 2015, § 3.
[268]. Welch, précité, § 30.
[269]. M. c. Allemagne, précité.
[270]. BVerfGE 109, 133, § 34.
[271]. Paragraphe 229 de l’arrêt.
[272]. Paragraphe 231 de l’arrêt.
[273]. Paragraphes 234 et 235 de l’arrêt.
[274]. Le mot utilisé à la fin du paragraphe 235 de l’arrêt est « adouci ».
[275]. J’ai déjà fait référence à cette notion dans mon opinion jointe à l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, 19 décembre 2017.
[276]. BVerfGE 109, 133, § 93.
[277]. M. c. Allemagne, précité.
[278]. Bergmann, précité.
[279]. Corrado perçoit l'exigence de différenciation comme un « moyen terrible de sortir du dilemme, par lequel on assure la différence (...) en modulant les conditions : un peu plus d’argent, un temps de parloir un peu plus long et ce sera une règle acceptable en droit allemand ; un peu moins et ce sera une sanction inacceptable » (Corrado, précité, p. 68).
[280]. X c. Allemagne, no 7900/77, décision de la Commission du 6 mars 1978, Décisions et rapports (DR) 13.
[281]. Par exemple, Kallweit c. Allemagne, no 17792/07, 13 janvier 2011, et Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, CEDH 2003‑IV.
[282]. Hutchinson Reid c. Royaume-Uni, précité.
[283]. Morsink c. Pays-Bas, no 48865/99, 11 mai 2004
[284]. Le texte pertinent du projet de loi est celui-ci : « Schon die Menschenrechtskommission hatte unter diesen Begriff auch abnorme Persönlichkeitszüge gefasst, die nicht einer Geisteskrankheit gleichkommen (X./. Bundesrepublik Deutschland, Entscheidung der Europäischen Menschenrechtskommission vom 12. Juli 1976, Nr. 7493/76, D.R. Band 6, Seite 182). In einem Urteil aus dem Jahre 2003 stellte der EGMR klar, dass auch ein weiterhin abnorm aggressives und ernsthaft unverantwortliches Verhalten eines verurteilten Straftäters ausreichen kann und betonte, dass eine fehlende Behandelbarkeit im klinischen Sinne nicht zu einer Freilassung zwinge, wenn eine Gefahr für die Allgemeinheit bestehe (Hutchinson Reid ./. UK, Urteil des EGMR vom 20. Februar 2003, Nr. 50272/ 99). 2004 gelangte der EGMR zu der Feststellung, dass die strafrechtliche Verantwortlichkeit eines Straftäters eine (auch) auf Artikel 5 Absatz 1 Satz 2 Buchstabe e EMRK gestützte Unterbringung nicht ausschließe (Morsink ./. NL, Urteil des EGMR vom 11. Mai 2004, Nr. 48865/99). » (Projet de loi du 26 octobre 2010 présenté par les groupes parlementaires des partis de gouvernement, Bundestags-Drucksache 17/3403, pp. 53 et suivantes). Ce même projet de loi a été cité dans BVerfGE 128, 326, § 152.
[285]. Paragraphes 34 et 88 de l’arrêt.
[286]. Paragraphe 150 de l’arrêt, comme dans l’arrêt Glien c. Allemagne, no 7345/12, § 87, 28 novembre 2013.
[287]. Paragraphe 149 de l’arrêt.
[288]. Paragraphe 150 de l’arrêt.
[289]. BVerfGE 128, 326, § 51.
[290]. Paragraphe 143 de l’arrêt.
[291]. Paragraphe 155 de l’arrêt.
[292]. La Cour constitutionnelle elle-même déclare que le bénéfice du doute devrait toutefois profiter au détenu lorsqu'il n'existe pas de preuve manifeste de la dangerosité de celui-ci (BVerfGE 109, 133, § 111).
[293]. Aux pages 77 à 79 de l’expertise, l'expert a affirmé que l'on pouvait douter que le requérant fût encore atteint de sadisme sexuel. À la page 79, il a conclu que le requérant présentait un risque de niveau intermédiaire de commettre de nouvelles infractions à l'avenir.
[294]. Ce rapport s'est exclusivement fondé sur une étude du dossier, le requérant ayant refusé de se laisser examiner par l'expert.
[295]. Annexes 10 et 11 jointes aux observations du requérant le 10 août 2017.
[296]. Voir l'article 43 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs combiné avec l'article 109 § 1 de cette même loi.
[297]. La Cour constitutionnelle elle-même a exigé un « expert particulièrement expérimenté » pour ce type de détention de sûreté de longue durée (BVerfGE 109, 133, § 114). Voir également BVerfGE 128, 326, § 99, soulignant là encore la nécessité d’un « rapport d'expertise médicale effectuée par un praticien spécialement qualifié » précisément dans le cas du recours constitutionnel formé par le requérant.
[298]. Paragraphe 34 de l’arrêt.
[299]. Paragraphe 155 de l’arrêt.
[300]. Paragraphe 157 de l’arrêt. La majorité insiste sur le « passé criminel » du requérant (paragraphe 236 de l'arrêt). Il s'agit là d'une raison suffisante de considérer que le présent arrêt est nul et non avenu parce qu'il est fondé sur une description erronée des faits qui a exercé une influence décisive sur les conclusions. L'article 80 du règlement de la Cour est précisément conçu pour ce type d'erreurs graves.
[301]. Paragraphe 157 de l'arrêt.
[302]. Paragraphe 190 de l’arrêt.
[303]. Paragraphe 215 de l’arrêt.
[304]. Paragraphe 227 de l’arrêt.
[305]. Paragraphe 236 de l’arrêt, qui copie la déclaration du Gouvernement, voir le paragraphe 195.
[306]. Bergmann, précité, §§ 175, 181 et 182. Voir également l'arrêt de la chambre dans l'affaire Ilnseher, § 81.
[307]. Paragraphe 236 de l’arrêt.
[308]. Paragraphe 228 de l’arrêt.
[309]. Ce projet de loi, qui opérait une distinction entre cinq catégories de « Gemeinschaftfremden », à savoir les « Versager », les « Tunichtgute und Schmarotzer », les « Taugenichtse », les « Störenfriede » et les « gemeinschaftfeindliche Verbrecher und Neigungsverbrecher », n'est jamais entré en vigueur. Les Hang- und Neigungsverbrecher étaient précisément ceux qui étaient déjà ciblés par la détention de sûreté.
[310]. Voir « Begründung des Entwurfs eines Gemeinschaftsfremdengesetzes », in Schumann et Wapler, Erziehen und Strafen, Bessern und Bewahren, Entwicklungen und Diskussionen im Jugendrecht im 20. Jahrhundert, 2017, p. 113, note de bas de page 164.
[311]. Paragraphe 157 de l’arrêt.
[312]. Voir la decision Müller c. Allemagne (déc.), no 264/13, §§ 20, 40, 60 et 61, 10 février 2015, dans laquelle la Cour opère une différence entre la détention de sûreté rétrospective et subséquente. En recourant au même adjectif, « subséquente », pour la détention de sûreté dite nachträglich, la majorité met un terme à cette distinction linguistique.
[313]. Paragraphe 105 de l'arrêt.
[314]. M. c. Allemagne, précité, § 100.
[315]. Article 7 § 2 de la loi sur les tribunaux pour mineurs (paragraphes 54-60 de l'arrêt).
[316]. Le simple fait qu’un juge ait déjà rendu des décisions concernant la même infraction ne saurait en soi être considéré comme justifiant des craintes quant à l'impartialité de celui-ci (voir, par exemple, Romero Martin c. Espagne (déc.), no 32045/03, 12 juin 2006, concernant des décisions rendues avant le procès, Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, § 97, série A no 13, concernant la situation de juges auxquels une affaire avait été renvoyée après qu'une décision eut été écartée ou annulée par une juridiction supérieure, Thomann c. Suisse, 10 juin 1996, §§ 35-36, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III, pp. 815-816, concernant le nouveau procès d'un accusé qui avait été condamné par contumace, et Craxi III c. Italie (déc.), no 63226/00, 14 juin 2001, concernant la situation de juges ayant participé à une procédure dirigée contre des co-auteurs présumés).
[317]. Voir, mutatis mutandis, Gómez de Liaño y Botella c. Espagne, no 21369/04, §§ 67-72, 22 juillet 2008.
[318]. Paragraphe 13 de l’arrêt.
[319]. Paragraphes 32 et 42 de l’arrêt.
[320]. Paragraphes 166 et 181 de l’arrêt.
[321]. Il aurait été judicieux de prendre en compte les travaux empiriques remarquables effectués par Axel Dessecker, « Empirische Erkentnisse zur Entwicklung der Sicherungsverwahrung: Bestandaufnahme und neue Daten », in Johannes Kaspar (ed.), Sicherungsverwahrung 2.0, Baden-Baden : Nomos, 2017, pp. 11-34, Nicole Ansorge, Bericht über die 5. Erhebung zur länderübergreifenden Bestandsaufnahme der Situation des Vollzugs der Sicherungsverwahrung, Hannover, Niedersächsisches Justizministerium, 2014 ; Jutta Elz, Rückwirkungsverbot und Sicherungsverwahrung. Rechtliche und praktische Konsequenzen aus dem Kammerurteil des Europäischen Gerichtshofs für Menschenrechte im Fall M./.Deutschland, Wiesbaden, 2014, et Tillmann Bartsch, Sicherungsverwahrung: Recht, Vollzug, aktuelle Probleme, Baden-Baden, 2010.
[322]. Paragraphes 44 et 45 de l’arrêt.
[323]. Paragraphe 216 de l’arrêt.
[324]. Bergmann, précité, §§ 14 et 34.
[325]. Paragraphes 47, 81 et 221 de l’arrêt.
[326]. Paragraphe 223 de l’arrêt.
[327]. Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09 et 2 autres, § 77, CEDH 2013 (extraits), renvoyant au « au projet d’exécution de peine » prévu par la règle 103 des règles pénitentiaires européennes.
[328]. Ibidem, § 79, renvoyant aux règles 24 et 62 de l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (1957) sur le constat et le traitement de toute déficience physique ou mentale qui pourrait être un obstacle au reclassement d’un détenu.
[329]. Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, 26 avril 2016. Voir également mon opinion séparée jointe à cet arrêt, ainsi que mon opinion jointe à l’arrêt Tautkus c. Lituanie, no 29474/09, 27 novembre 2012, et mon opinion commune avec le juge Turkovic jointe à l’arrêt Khoroshenko c. Russie [GC], no 41418/04, CEDH 2015.
[330]. Paragraphe 234 de l’arrêt.
[331]. BVerfGE 128, 326, § 101.
[332]. BverfGE 128, 326, §§ 130 et 173. Dépassant certes la petita de cette affaire, la Cour constitutionnelle a donné son « feu vert » au choix politique opéré par le législateur dans la loi de 2011 sur l’internement thérapeutique. Plus tard, cette approbation anticipée de ladite loi a été confirmée par une décision du 11 juillet 2013 (BVerfG 2 BvR 2302/11, 2 BvR 1279/12 (Zweiter Senat)).
[333]. L’image est tirée de Michael Bock et Sebastian Sobota, « Sicherungsverwahrung: Das Bundesverfassungsgericht als Erfüllungsgehilfe eines gehetzten Gesetzgebers? » (2012) Neue Kriminalpolitik 106.
[334]. BVerfGE 111, 307, § 33.
[335]. Voir mon texte « Ein unausrottbares Missverständnis... », précité.
[336]. BVerfG 111, 307, § 62.
[337]. Michael Bock et Sebastian Sobota, « Sicherungsverwahrung: Das Bundesverfassungsgericht als Erfüllungsgehilfe eines gehetzten Gesetzgebers? », précité.