GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE MIHALACHE c. ROUMANIE
(Requête no 54012/10)
ARRÊT
STRASBOURG
8 juillet 2019
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Mihalache c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,
Vincent A. De Gaetano,
Ganna Yudkivska,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani,
Georgios A. Serghides,
Marko Bošnjak,
Péter Paczolay,
María Elósegui, juges,
et de Søren Prebensen, greffier adjoint de la Grande Chambre,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 3 octobre 2018 et 29 avril 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 54012/10) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Aurelian-Erik Mihalache (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 septembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me M. Bratu, avocat exerçant à Focşani. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant alléguait avoir été poursuivi et condamné deux fois pour les mêmes faits et considérait à cet égard qu’il y avait eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.
4. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 19 juin 2013, le grief concernant l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement. Par la suite, la requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour. Le 27 mars 2018, une chambre de cette section composée de Ganna Yudkivska, présidente, Paulo Pinto de Albuquerque, Egidijus Kūris, Iulia Antoanella Motoc, Georges Ravarani, Marko Bošnjak et Péter Paczolay, juges, ainsi que de Marialena Tsirli, greffière de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).
5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.
6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur la recevabilité et le fond de l’affaire.
7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 3 octobre 2018 (articles 71 et 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
MmesC. Brumar, du ministère des Affaires étrangères, agente,
S.D. Popa,adjointe au représentant permanent
de la Roumanie auprès du Conseil de l’Europe,conseillère ;
– pour le requérant
MeM. Bratu, avocat,conseil.
La Cour a entendu Mmes Brumar et Popa puis Me Bratu en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses à ses questions.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Le requérant est né en 1975 et réside à Tulnici.
9. Dans la nuit du 2 au 3 mai 2008, la police arrêta le requérant, qui se trouvait sur la voie publique au volant de son véhicule, dans le cadre d’un contrôle préventif. L’intéressé fut soumis à un test d’alcoolémie. Ce test paraissant positif, les policiers invitèrent le requérant à les accompagner à l’hôpital afin de faire établir son taux d’alcoolémie au moyen d’un prélèvement de preuves biologiques. Le requérant refusa.
1. L’ouverture de poursuites pénales contre le requérant
10. Par une décision (rezoluție) du 17 juillet 2008, le parquet près le tribunal de première instance de Focşani (« le parquet ») engagea des poursuites pénales contre le requérant pour refus de se soumettre à un prélèvement de preuves biologiques visant à établir son taux d’alcoolémie, infraction prévue et réprimée par l’article 87 (5) de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 195/2002 relative à la circulation sur la voie publique (« l’OUG no 195/2002 »).
11. Entendu par le parquet, le requérant reconnut avoir consommé de l’alcool et avoir refusé de se soumettre à un prélèvement de preuves biologiques.
12. Le témoin G.D. fut entendu.
2. L’arrêt des poursuites pénales contre le requérant et l’application d’une sanction administrative
13. Par une ordonnance du 7 août 2008, se fondant sur les articles 10 lettre b1 et 11 du code de procédure pénale (« le CPP ») et 91 du code pénal (« le CP ») combinés, en vigueur à l’époque des faits, le parquet arrêta les poursuites pénales contre le requérant (scoaterea de sub urmărire penală). Selon les dispositions légales précitées, l’action pénale ne pouvait être exercée si les faits commis n’atteignaient pas le degré de gravité d’une infraction (paragraphe 33 ci-dessous). Le parquet indiqua ce qui suit :
« Compte tenu de ce qu’il ressort du dossier des poursuites pénales qu’en l’espèce les dispositions de l’article 10 lettre b1 du CPP sont applicables, les faits n’atteignant pas le [degré de] danger social associé à une infraction et l’atteinte aux valeurs sociales protégées par la loi étant minime ;
Prenant en considération la sincérité de l’auteur des actes en cause (făptuitor), le fait qu’il circulait un jour de trafic routier réduit, la courte distance parcourue et le fait que [l’intéressé] était poursuivi au pénal pour la première fois ;
[J]’ORDONNE :
L’arrêt des poursuites pénales (scoaterea de sub urmărire penală) contre le suspect pour les faits visés à l’article 87 (5) de l’OUG no 195/2002 (...) et l’application d’une sanction à caractère administratif consistant en une amende d’un montant de 1 000 lei roumains (RON) [environ 250 euros (EUR)], qui devra être exécutée conformément aux dispositions de l’article 4411 du CPP combiné avec l’article 442 du CPP.
Les frais de justice, d’un montant de 20 RON [environ 5 EUR], (...) sont à la charge du suspect et seront à acquitter suivant [les dispositions] de l’article 443 du CPP.
La décision est communiquée au suspect. »
14. L’ordonnance du parquet du 7 août 2008 (paragraphe 13 ci-dessus) ne fit pas l’objet d’un recours tel que celui visé à l’article 2491 du CPP (paragraphe 34 ci-dessous).
15. Les pièces du dossier ne permettent pas de déterminer à quelle date l’ordonnance du 7 août 2008 fut effectivement communiquée au requérant. Quoi qu’il en soit, ce dernier prit connaissance de son contenu et, le 15 août 2008, il paya l’amende et les frais de justice. Il versa au dossier pénal les quittances attestant le paiement de ces sommes.
3. L’annulation de l’ordonnance arrêtant les poursuites pénales par le parquet hiérarchiquement supérieur
16. Par une ordonnance du 7 janvier 2009, se fondant sur les articles 270 (1) et 273 (2) du CPP en vigueur à l’époque des faits (paragraphe 34 ci‑dessous), le parquet près le tribunal départemental de Vrancea, en sa qualité de parquet hiérarchiquement supérieur au parquet près le tribunal de première instance de Focşani, infirma d’office l’ordonnance du 7 août 2008 (paragraphe 13 ci-dessus).
17. Dans son ordonnance du 7 janvier 2009, le parquet près le tribunal départemental de Vrancea fournit le raisonnement suivant :
« Après examen des pièces du dossier, il convient de constater que, compte tenu du degré de danger social général et concret associé aux faits, du type de valeurs sociales méconnues par le suspect et des circonstances concrètes dans lesquelles il a commis les actes en cause, la sanction administrative appliquée n’est pas justifiée.
Le suspect a justifié son refus ferme de se soumettre au prélèvement de preuves biologiques qui visait à établir son taux d’alcoolémie par le fait qu’avant d’être arrêté par la police il avait consommé des boissons alcoolisées. Dans la déclaration qu’il a lui-même rédigée, il a indiqué qu’il avait agi ainsi [opposé un refus] « en raison de son état d’ébriété », circonstance qui met en évidence le danger social associé aux faits et au suspect lui-même, qui cependant n’a pas été sanctionné correctement.
L’acte commis par le suspect présente un degré élevé de danger social, que le législateur même a entendu sanctionner plus sévèrement que d’autres infractions liées à la circulation sur la voie publique, dans le but de prévenir la commission d’actes plus graves entraînant des blessures corporelles ou des dommages matériels ; car la vraie raison du refus de se soumettre à un prélèvement de preuves biologiques est précisément la consommation de boissons alcoolisées, parfois exagérée, susceptible d’engager la responsabilité pénale également à raison d’autres conséquences plus graves.
Les plafonds élevées de la peine et sa nature (emprisonnement exclusivement, à l’exclusion de toute sanction pécuniaire) soulignent l’intention du législateur de sanctionner sévèrement ceux qui commettent pareils actes répréhensibles. Dès lors, l’amende administrative infligée au suspect Mihalache Erik Aurelian ne répond pas à l’objectif préventif poursuivi par la loi.
Il convient de garder à l’esprit que, en état d’ébriété manifeste et au volant d’un véhicule automobile, le suspect se rendait à une soirée dansante organisée dans la localité de Lepsa (lieu de consommation fréquente de boissons alcoolisées), et que les conséquences de ses actes auraient pu être encore plus graves qu’il n’en a conscience.
Compte tenu de toutes ces circonstances, l’application d’une sanction administrative n’est pas fondée (nejustificată). En conséquence, la décision d’arrêter les poursuites qui a été ordonnée dans cette affaire est infirmée et les poursuites pénales [sont] rouvertes aux fins de la reprise de l’enquête et de la préparation de la saisine de la juridiction de jugement.
Compte tenu également des dispositions de l’article 273 alinéa 2 du CPP et de l’article 270 alinéa 1 lettre c) du CPP,
[J’]ORDONNE :
1. l’infirmation de la solution adoptée dans le dossier (...) ;
2. l’annulation de la sanction administrative infligée au suspect Mihalache Erik Aurelian, soit une amende d’un montant de 1 000 lei, pour commission de l’infraction visée à l’article 87 alinéa 5 de l’OUG no 195/2002, et l’annulation de l’obligation qui lui a été imposée de payer à l’État des frais de justice d’un montant de 20 lei ;
3. la réouverture des poursuites pénales contre le suspect Mihalache Erik Aurelian pour commission de l’infraction visée à l’article 87 alinéa 5 de l’OUG no 195/2002 et la poursuite de l’enquête conformément à la présente ordonnance ;
4. le renvoi du dossier de l’affaire au parquet près le tribunal de première instance de Focşani pour exécution [de la présente ordonnance]. »
18. Le dossier de l’affaire fut renvoyé au parquet en vue de la poursuite de l’enquête pénale qui visait le requérant.
4. Le renvoi en jugement et la condamnation pénale du requérant
19. Le 18 février 2009, le requérant fut informé de la réouverture des poursuites pénales et entendu au sujet des accusations portées contre lui. Le 19 février 2009, le procureur lui présenta le dossier des poursuites pénales. Le requérant avoua les faits qui lui étaient reprochés et ne demanda pas la production de nouveaux éléments de preuve.
20. Le témoin G.D. fut entendu.
21. Par un réquisitoire du 24 mars 2009, le parquet renvoya le requérant en jugement pour refus de se soumettre à un prélèvement de preuves biologiques qui visait à établir son taux d’alcoolémie. Le réquisitoire exposait que, dans la nuit du 2 au 3 mai 2008, vers 1 heure du matin, le requérant avait été arrêté sur la voie publique au volant de son véhicule par la police, dans le cadre d’un contrôle préventif. Il indiquait que, le test d’alcoolémie ayant paru positif, les policiers avaient invité le requérant à les accompagner à l’hôpital en vue de l’établissement de son taux d’alcoolémie par prélèvement de preuves biologiques, ce que l’intéressé avait refusé. Le réquisitoire mentionnait comme preuves le procès-verbal de constatation des faits, les aveux de l’intéressé, le témoignage de G.D. et le procès-verbal par lequel le requérant avait été informé des accusations portées contre lui et de ses droits à la défense.
22. Par un jugement du 18 novembre 2009, après examen des preuves versées au dossier, le tribunal de première instance de Focşani condamna le requérant à une peine d’emprisonnement d’un an avec sursis, du chef énoncé dans le réquisitoire. Ayant analysé les circonstances factuelles de l’affaire, il jugea qu’une peine inférieure au minimum prévu par la loi était suffisante.
23. Par un arrêt du 10 février 2010, le tribunal départemental de Vrancea rejeta l’appel interjeté par le requérant contre le jugement susmentionné.
24. Le requérant forma un recours (recurs) contre cet arrêt. Il soutint notamment que l’acte de saisine du tribunal de première instance était frappé de nullité absolue en raison de la méconnaissance du principe ne bis in idem. Il fit valoir que, par l’ordonnance du 7 août 2008, le parquet avait clôturé les poursuites pénales engagées à son encontre et lui avait infligé une amende administrative, ce qui à son avis avait mis fin à l’enquête pénale. Il ajouta que, par la suite, le parquet près le tribunal départemental de Vrancea avait à tort infirmé d’office la décision de clore les poursuites et qu’aucun recours n’avait été formé contre l’ordonnance du 7 août 2008 sur le fondement de l’article 2491(3) du CPP (paragraphes 14 ci-dessus et 34 ci‑dessous).
25. Par un arrêt définitif du 14 juin 2010, la cour d’appel de Galați rejeta le recours (recurs) du requérant et confirma le bien-fondé de l’arrêt rendu en appel. Pour ce qui était du moyen présenté par le requérant concernant le non-respect du principe ne bis in idem, la cour d’appel exposa ce qui suit :
« En vertu de l’article 4 § 1 du Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.
Ce principe figure également dans le code de procédure pénale roumain, qui prévoit en son article 10 alinéa 1 lettre j) que l’action pénale ne peut pas être ouverte ou poursuivie lorsqu’il y a autorité de la chose jugée.
Dès lors, pour que l’inculpé ait le droit d’invoquer une méconnaissance du principe non bis in idem, il faut qu’une procédure antérieure ait abouti à un arrêt définitif de condamnation ou d’acquittement.
Or, l’ordonnance du 7 août 2008 par laquelle le procureur a clôturé les poursuites ne peut pas être qualifiée d’acte juridictionnel ayant l’autorité de la chose jugée, [celle-ci] n’étant pas l’équivalent d’un arrêt (hotărâre judecătorească) définitif.
Le droit du procureur de reprendre les poursuites pénales en cas de réouverture de celles-ci, conformément à l’article 270 alinéa1 lettre c) du code de procédure pénale et à l’article 273 alinéa 1 du code de procédure pénale, n’est conditionné ni par un délai ni par l’absence de plainte contre la décision clôturant les poursuites pénales, de sorte que la réouverture des poursuites pénales contre le prévenu Mihalache Erik Aurelian, fondée sur l’ordonnance du 7 janvier 2009, a eu lieu dans le respect des dispositions légales.
En constatant, d’une part, que le principe non bis in idem n’a pas d’incidence sur l’espèce et, d’autre part, que la reprise et le déroulement des poursuites pénales ont eu lieu dans le respect des [dispositions légales], la Cour écarte les affirmations de l’intéressé selon lesquelles l’acte de saisine de l’instance était frappé de nullité absolue. »
26. Eu égard à la responsabilité pénale du requérant, la cour d’appel jugea que, d’après les pièces du dossier, les juridictions inférieures avaient correctement établi les faits, leur qualification juridique et la peine correspondante.
5. Autres éléments factuels pertinents pour l’affaire
a) L’enquête visant la manière d’appliquer l’article 181 du CP
27. Le 17 janvier 2013, le procureur général de la Roumanie adressa aux parquets du pays une note par laquelle il leur demandait de vérifier la manière dont les dispositions de l’article 181 du CP étaient appliquées dans le contexte, entre autres, des infractions au code de la route. La note visait l’identification des critères utilisés dans la pratique des tribunaux et des parquets pour évaluer le degré de danger social associé à un acte, et faisait expressément référence aux infractions visées par l’OUG no 195/2002. Le procureur général demandait également aux parquets inférieurs de lui transmettre les résultats des contrôles qu’ils avaient effectués pendant les années 2011 et 2012 et des mesures ordonnées à la suite de ces contrôles. D’après cette note, le but de l’exercice était d’identifier les critères qui avaient justifié l’application de l’article 181 du CP par les tribunaux et par les parquets.
b) Démarches incombant au requérant aux fins de la restitution des sommes payées en exécution de l’ordonnance du 7 août 2008
28. Le 10 mars 2013, le procureur en chef du parquet de Focşani demanda à l’administration financière de procéder au remboursement de l’amende versée par le requérant en application de l’ordonnance du 7 août 2008 (paragraphe 15 ci-dessus).
29. Le 3 octobre 2013, le parquet indiqua à la Direction générale des finances publiques (« la DGFP ») de Vrancea que les sommes payées par le requérant en exécution de l’ordonnance du 7 août 2008 devaient être restituées à l’intéressé. Le 4 octobre 2013, un policier se rendit au domicile du requérant pour l’informer que, pour obtenir la restitution des sommes payées au titre de l’amende administrative et des frais de justice, il devait faire une demande auprès de la DGFP de Vrancea. Le requérant signa le procès-verbal dressé à cette occasion.
30. D’après les documents versés au dossier, le requérant n’a pas demandé le remboursement des sommes payées.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Constitution
31. L’article 132 § 1 de la Constitution, qui porte sur le statut des procureurs, est ainsi libellé :
« Les procureurs exercent leur activité conformément aux principes de légalité, d’impartialité et de contrôle hiérarchique, sous l’autorité du ministre de la Justice. »
B. L’ordonnance d’urgence du gouvernement no 195/2002
32. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 195/2002 relative à la circulation sur la voie publique (« l’OUG no 195/2002 ») se lisent comme suit :
Chapitre I
Dispositions générales
Article 1
« 1) La circulation sur la voie publique des véhicules, des piétons et d’autres catégories de participants au trafic [routier], les droits, les obligations et les responsabilités des personnes physiques et morales, ainsi que les attributions de certaines autorités relevant de l’administration publique, des institutions et des organisations, sont régis par les dispositions de la présente ordonnance d’urgence.
2) Les dispositions de la présente ordonnance d’urgence ont pour objectif d’assurer un trafic fluide et sûr sur la voie publique, ainsi que la protection de la vie, de l’intégrité corporelle et de la santé des personnes participant au trafic [routier] ou se trouvant à proximité de la voie publique, [et] la protection des droits et des intérêts légitimes desdites personnes, de la propriété publique et privée et de l’environnement.
(...)
5) Les dispositions de la présente ordonnance d’urgence sont applicables à l’ensemble des participants au trafic [routier], de même qu’aux autorités qui exercent des attributions dans le domaine de la circulation et de la sécurité sur la voie publique et en matière de protection de l’environnement. »
Chapitre VI
Infractions et peines
Article 84
« Le non-respect des dispositions relatives à la circulation sur la voie publique qui réunit les éléments constitutifs d’une infraction engage la responsabilité pénale et est sanctionné conformément à la présente ordonnance d’urgence. »
Article 87 (5)
« Le refus (...) du conducteur d’un véhicule automobile (...) de se soumettre à un prélèvement de preuves biologiques ou à un test sur l’air expiré visant à établir l’alcoolémie ou la présence de produits ou de substances stupéfiantes, ou de médicaments ayant des effets similaires à ceux-ci, est puni d’une peine allant de deux à sept ans d’emprisonnement. »
C. Le code pénal
33. Les articles du CP en vigueur à l’époque des faits qui sont pertinents pour la présente espèce étaient libellés comme suit :
Article 17
« Constitue une infraction l’acte qui présente un danger social, qui est commis avec faute (vinovăţie) et qui est prévu par la loi pénale.
L’infraction est le seul fondement de la responsabilité pénale. »
Article 18
« Un acte qui présente un danger social au sens de la loi pénale s’entend de toute action ou omission qui porte atteinte à l’une des valeurs mentionnées à l’article 1 et qui appelle l’application d’une sanction.
Article 181
« 1) Ne constitue pas une infraction l’acte réprimé par la loi pénale si, compte tenu du caractère minime de l’atteinte portée à l’une des valeurs défendues par la loi pénale et du contenu concret de cet acte, [qui est] manifestement dépourvu d’importance, ne présente pas le degré de danger social associé à une infraction.
2) Pour établir le degré de danger social [associé à un acte], il faut tenir compte du mode et des moyens de commission de l’acte, du but recherché, des circonstances dans lesquelles il a été commis, des conséquences qui se sont produites ou qui auraient pu se produire, ainsi que de la personne et de la conduite de l’auteur [de l’acte], si celui-ci est connu.
3) Le procureur ou le tribunal applique à un tel acte l’une des sanctions administratives prévues par l’article 91. »
Article 91
« Lorsqu’un tribunal substitue [à] la responsabilité pénale [une autre forme de responsabilité], il ordonne l’application de l’une des sanctions à caractère administratif suivantes :
(...)
c) une amende d’un montant allant de 10 lei à 1 000 lei. »
Article 141
« Par « loi pénale » [on entend] toute disposition de nature pénale contenue dans des lois ou des décrets. »
D. Le code de procédure pénale
34. Les dispositions pertinentes du CPP en vigueur à l’époque des faits se lisaient comme suit :
Article 10
« 1) Il ne peut y avoir ouverture ou poursuite d’une procédure pénale si :
(...)
b1) les faits n’atteignent pas le degré de danger requis pour être qualifiés d’infraction ; (...)
g) il y a (...) prescription (...) ;
j) il y a autorité de la chose jugée (...) »
Article 11
« Lorsque l’un des cas prévus à l’article 10 est constaté :
1) lors des poursuites pénales, le procureur, sur proposition de l’organe de poursuite ou d’office, ordonne : (...)
b) l’arrêt des poursuites (scoaterea de sub urmărire) au bénéfice du suspect ou de l’inculpé dans les cas prévus à l’article 10 a) à e).
(...) »
Article 22 (1)
« La décision définitive de la juridiction pénale bénéficie de l’autorité de la chose jugée devant la juridiction civile qui juge l’action civile, pour ce qui est de l’existence des faits, de la personne qui les a commis et de la culpabilité de celle-ci. »
Article 229
Le suspect
« Le suspect est la personne contre laquelle des poursuites pénales autres qu’une action pénale ont été ouvertes. »
Article 246
« 1) Une copie de l’ordonnance (...) de non-lieu est communiquée (...) au suspect ou à l’inculpé (...) ».
Article 249
« 1) L’arrêt des poursuites pénales (scoaterea de sub urmărirea penală) intervient lorsque l’un des cas visés à l’article 10 lettres a) – e) est constaté et lorsqu’il y a un suspect ou un inculpé dans l’affaire.
(...)
3) Dans le cas visé à l’article 10 lettre b1), le procureur décide par ordonnance. »
Article 2491
« (...) 3) L’ordonnance par laquelle l’arrêt des poursuites sur le fondement de l’article 10 lettre b1) a été ordonné peut faire l’objet d’un recours (plângere) dans un délai de vingt jours à partir de la communication visée à l’article 246.
4) L’ordonnance par laquelle a été appliquée la sanction de l’amende administrative est exécutée à l’échéance du délai prévu au troisième alinéa et, si un recours (plângere) a été formé et rejeté, après le rejet de celui-ci. »
Article 262
« Si le procureur constate que les dispositions légales qui garantissaient l’établissement de la vérité ont été respectées, que la procédure pénale est complète et que les preuves nécessaires ont été légalement administrées, selon les cas, il :
(...)
2. rend une ordonnance par laquelle :
a) [sont] classées (clasează), arrêtées (scoate de sub urmărire) ou terminées (încetează) les poursuites pénales, conformément aux dispositions de l’article 11.
Si le procureur arrête les poursuites en se fondant sur l’article 10 lettre b1), il applique l’article 181 alinéa 3 du code pénal ; (...). »
Article 270
« 1) La procédure pénale reprend son cours en cas de :
(...)
c) réouverture des poursuites pénales (...) »
Article 273
« 1) La réouverture des poursuites pénales peut être ordonnée si, postérieurement à [une décision] (...) d’arrêt des poursuites (scoaterea de sub urmărirea penală), il est constaté que le motif sur lequel est fondée la décision antérieure n’a pas réellement existé ou n’existe plus (...)
2) La réouverture des poursuites est décidée sur ordonnance du procureur. »
Article 275
« Toute personne dont les intérêts légitimes ont été lésés par une mesure ou une décision prise dans le cadre d’une enquête pénale peut déposer une plainte contre cette mesure ou contre cet acte (...) »
Article 278
« Les plaintes contre des mesures ou décisions prises par un procureur, ou mises en œuvre à sa demande, sont examinées par (...) le procureur en chef du service compétent (...) »
Article 2781
« 1) Après rejet, par le procureur, d’une plainte introduite en vertu des articles 275 à 278 et concernant la clôture d’une enquête pénale (...) par une décision de classement sans suite (neurmărire penală) (...), la partie lésée, ou toute autre personne dont les intérêts légitimes ont été lésés, peut déposer, dans un délai de vingt jours à compter de la notification de la décision litigieuse, une plainte auprès du juge du tribunal qui est en principe compétent pour examiner l’affaire en première instance (...) »
Article 415
« 1) Les jugements des juridictions (hotărîrile instanțelor) pénales sont exécutoires à la date à laquelle ils deviennent définitifs.
2) Les jugements non définitifs sont exécutoires [dans les cas expressément prévus par la loi]. »
Article 4411
« (...) [L]a peine d’amende est exécutée conformément aux articles 442 et 443. »
Article 442
« L’organe judiciaire qui a imposé la peine d’amende judiciaire en assure l’exécution.
Aux fins de l’exécution, un extrait de la partie du dispositif qui prévoit l’application de l’amende judiciaire est envoyé à l’organe qui, selon la loi, fait exécuter la peine d’amende pénale.
L’exécution de la peine d’amende judiciaire est assurée par l’organe visé à l’alinéa précédent. »
Article 443
« (...) Lorsque l’obligation de payer les frais de justice avancés par l’État est imposée par ordonnance, l’exécution est assurée par le procureur, en application (...) des dispositions de l’article 442 alinéa 2. »
35. Le Gouvernement a versé au dossier des exemples tirés d’une jurisprudence selon laquelle seuls les jugements rendus par les tribunaux jouissent de l’autorité de la chose jugée, et non les actes pris par le procureur avant la saisine du tribunal, comme par exemple une ordonnance d’arrêt des poursuites (voir, par exemple, l’arrêt no 346 du 30 janvier 2015 de la Haute Cour de cassation et de justice, ainsi qu’une décision rendue le 14 novembre 2017 par la cour d’appel de Bucarest).
III. LE RAPPORT EXPLICATIF DU PROTOCOLE No 7 À LA CONVENTION
36. Le rapport explicatif du Protocole no 7 a été rédigé par le Comité directeur pour les droits de l’homme et soumis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Il y est expliqué d’emblée que le texte du rapport lui‑même « ne constitue pas un instrument d’interprétation authentique du texte du Protocole, bien qu’il puisse faciliter la compréhension des dispositions qui y sont contenues ».
37. Les parties pertinentes en l’espèce dudit rapport explicatif se lisent comme suit :
« 22. (...) Selon la définition contenue dans le rapport explicatif de la Convention européenne sur la valeur internationale des jugements répressifs, une décision est définitive « si elle est, selon l’expression consacrée, passée en force de chose jugée. Tel est le cas lorsqu’elle est irrévocable, c’est-à-dire lorsqu’elle n’est pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les parties ont épuisé ces voies ou laissé passer les délais sans les exercer ». »
(...)
Article 4
(...)
27. Les mots « par les juridictions du même État » limitent l’application de l’article au plan national. Plusieurs autres conventions du Conseil de l’Europe, telles que la Convention européenne sur l’extradition (1957), la Convention européenne sur la valeur internationale des jugements répressifs (1970) et la Convention européenne sur la transmission des procédures répressives (1972), règlent l’application de ce principe au plan international.
(...)
29. Le principe établi dans cette disposition s’applique uniquement après l’acquittement ou la condamnation de l’intéressé par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénales de l’État concerné. Cela signifie qu’il doit y avoir eu un jugement définitif, selon la définition rapportée ci-dessus, au paragraphe 22.
30. Le procès peut toutefois être rouvert, conformément à la loi de l’État concerné, à la suite de l’apparition de faits nouveaux ou nouvellement révélés, ou s’il apparaît qu’il y a eu un vice fondamental dans la procédure, susceptibles d’affecter l’issue du procès soit en faveur, soit au détriment de la personne concernée.
31. L’expression « des faits nouveaux ou nouvellement révélés » englobe tous moyens de preuve relatifs à des faits préexistants. De plus, cet article n’exclut pas une réouverture de la procédure en faveur du condamné ni tout autre changement du jugement au profit du condamné. »
IV. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNATIONAL
38. L’article 14 § 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par les Nations unies est ainsi libellé :
« Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays. »
39. La Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités énonce :
Article 31
Règle générale d’interprétation
« 1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité ;
b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions ;
b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ;
c) De toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties. »
Article 32
Moyens complémentaires d’interprétation
« II peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 :
a) Laisse le sens ambigu ou obscur ; ou
b) Conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable. »
Article 33
Interprétation de traités authentifiés en deux ou plusieurs langues
« 1. Lorsqu’un traité a été authentifié en deux ou plusieurs langues, son texte fait foi dans chacune de ces langues, à moins que le traité ne dispose ou que les parties ne conviennent qu’en cas de divergence un texte déterminé l’emportera.
2. Une version du traité dans une langue autre que l’une de celles dans lesquelles le texte a été authentifié ne sera considérée comme texte authentique que si le traité le prévoit ou si les parties en sont convenues.
3. Les termes d’un traité sont présumés avoir le même sens dans les divers textes authentiques.
4. Sauf le cas où un texte déterminé l’emporte conformément au paragraphe 1, lorsque la comparaison des textes authentiques fait apparaître une différence de sens que l’application des articles 31 et 32 ne permet pas d’éliminer, on adoptera le sens qui, compte tenu de l’objet et du but du traité, concilie le mieux ces textes. »
V. LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE ET LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
40. L’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée le 12 décembre 2007 dispose :
« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi. »
41. L’article 54 de la Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 (« CAAS ») énonce :
« Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie contractante de condamnation. »
42. L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 11 février 2003 dans Hüseyin Gözütok et Klaus Brügge (affaires jointes C-187/01 et C-385/01, EU:C:2003:87, § 31) indique que « le fait qu’aucune juridiction n’intervient dans le cadre d’une telle procédure et que la décision prise à l’issue de celle-ci ne prend pas la forme d’un jugement n’est pas de nature à infirmer cette interprétation », c’est-à-dire à empêcher l’application du principe ne bis in idem.
43. Dans son arrêt Piotr Kossowski c. Generalstaatsanwaltschaft Hamburg du 29 juin 2016, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE ; (grande chambre), ECLI:EU:C:2016:483) a expliqué comme suit la notion de personne « définitivement jugée » :
« 34. Pour qu’une personne puisse être considérée comme étant « définitivement jugée » pour les faits qui lui sont reprochés, au sens de cet article, il importe, en premier lieu, que l’action publique ait été définitivement éteinte (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2014, M, C‑398/12, EU:C:2014:1057, point 31 et jurisprudence citée).
35. L’appréciation de cette première condition doit être faite sur la base du droit de l’État contractant ayant rendu la décision pénale en cause. En effet, une décision qui, selon le droit de l’État contractant ayant engagé des poursuites pénales contre une personne, n’éteint pas définitivement l’action publique au niveau national ne saurait avoir, en principe, pour effet de constituer un obstacle procédural à ce que des poursuites pénales soient éventuellement entamées ou poursuivies, pour les mêmes faits, contre cette personne dans un autre État contractant (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Turanský, C‑491/07, EU:C:2008:768, point 36, ainsi que du 5 juin 2014, M, C‑398/12, EU:C:2014:1057, points 32 et 36).
36. Il ressort de la décision de renvoi que, dans l’affaire en cause au principal, en droit polonais, la décision du parquet d’arrondissement de Kołobrzeg mettant fin aux poursuites pénales éteint définitivement l’action publique en Pologne.
(...)
38. Quant aux circonstances selon lesquelles, d’une part, la décision en cause au principal a été prise par le parquet d’arrondissement de Kołobrzeg en tant que ministère public et, d’autre part, une sanction n’a pas été exécutée, elles ne sont pas déterminantes pour apprécier si cette décision met définitivement fin à l’action publique.
39. En effet, l’article 54 de la CAAS est également applicable à des décisions émanant d’une autorité appelée à participer à l’administration de la justice pénale dans l’ordre juridique national concerné, telle que le parquet d’arrondissement de Kołobrzeg, mettant définitivement fin aux poursuites pénales dans un État membre, bien que de telles décisions soient adoptées sans l’intervention d’une juridiction et ne prennent pas la forme d’un jugement (voir, en ce sens, arrêt du 11 février 2003, Gözütok et Brügge, C‑187/01 et C‑385/01, EU:C:2003:87, points 28 et 38).
40. En ce qui concerne l’absence d’une sanction, il y a lieu d’observer que l’article 54 de la CAAS ne prévoit la condition que la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de l’État contractant d’origine qu’en cas de condamnation.
41. La mention d’une sanction ne saurait, dès lors, être interprétée comme soumettant l’applicabilité de l’article 54 de la CAAS, en dehors de l’hypothèse d’une condamnation, à une condition additionnelle.
42. Afin de déterminer si une décision telle que celle en cause au principal constitue une décision jugeant définitivement une personne, au sens de l’article 54 de la CAAS, il convient, en second lieu, de s’assurer que cette décision a été rendue à la suite d’une appréciation portée sur le fond de l’affaire (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2005, Miraglia, C‑469/03, EU:C:2005:156, point 30, et du 5 juin 2014, M, C‑398/12, EU:C:2014:1057, point 28).
43. À cette fin, il faut tenir compte de l’objectif poursuivi par la réglementation dont fait partie l’article 54 de la CAAS ainsi que de son contexte (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2014, Welmory, C‑605/12, EU:C:2014:2298, point 41 et jurisprudence citée).
(...)
47. Dès lors, l’interprétation du caractère définitif, au sens de l’article 54 de la CAAS, d’une décision pénale d’un État membre, doit se faire à la lumière non seulement de la nécessité de garantir la libre circulation des personnes mais aussi de celle de promouvoir la prévention de la criminalité et de lutter contre ce phénomène, au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
48. Eu égard aux considérations qui précèdent, une décision mettant fin aux poursuites pénales, telle que celle en cause au principal, qui a été adoptée alors que le ministère public n’a pas poursuivi l’action publique au seul motif que l’inculpé avait refusé de faire une déposition et que la victime et un témoin par ouï-dire résidaient en Allemagne, si bien qu’ils n’avaient pas pu être entendus au cours de la procédure d’instruction et que les indications de la victime n’avaient ainsi pas pu être vérifiées, sans qu’aucune instruction plus approfondie ait été menée aux fins de rassembler et d’examiner des éléments de preuve, ne constitue pas une décision ayant été précédée d’une appréciation portée sur le fond.
(...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 4 DU PROTOCOLE No 7 À LA CONVENTION
44. Le requérant allègue avoir été poursuivi et condamné pénalement deux fois pour les mêmes faits, en violation de l’article 4 § 1 du Protocole no 7. Il estime également que la réouverture des poursuites contre lui n’était pas conforme aux critères énoncés à l’article 4 § 2. L’article 4 du Protocole no 7 à la Convention est ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.
2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.
3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »
45. Le Gouvernement récuse cette thèse.
A. Sur la recevabilité
46. La Cour estime que la requête soulève des questions complexes du point de vue du droit de la Convention, de sorte qu’elle ne saurait la rejeter pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 § 3 a). Constatant par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle la déclare recevable.
B. Sur le fond
47. La Cour rappelle que la garantie que consacre l’article 4 du Protocole no 7 occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune dérogation en temps de guerre ou en cas d’autre danger public.
48. La protection contre le renouvellement des poursuites pénales est l’une des garanties spécifiques découlant du principe général d’équité du procès en matière pénale. L’article 4 du Protocole no 7 à la Convention consacre un droit fondamental qui garantit que nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif (Marguš c. Croatie [GC], no 4455/10, § 114, CEDH 2014 (extraits), Sergueï Zolotoukhine c. Russie [GC], no 14939/03, § 58, CEDH 2009, Nikitine c. Russie, no 50178/99, § 35, CEDH 2004‑VIII, et Kadušić c. Suisse, no 43977/13, § 82, 9 janvier 2018). La réitération du procès ou de la peine est l’élément central de la situation juridique visée par l’article 4 du Protocole no 7 (Nikitine, précité, § 35).
49. La Cour constate que tel qu’il est libellé, le premier paragraphe de l’article 4 du Protocole no 7 énonce les trois composantes du principe ne bis in idem : les deux procédures doivent être de nature « pénale » (1), elles doivent viser les mêmes faits (2) et il doit s’agir d’une répétition des poursuites (3). Elle examinera successivement chacune de ces composantes.
1. Sur le point de savoir si la procédure ayant donné lieu à l’ordonnance du 7 août 2008 revêtait un caractère pénal
50. Il convient d’observer que, par l’ordonnance du 7 août 2008, le parquet a abandonné les poursuites pénales engagées contre le requérant pour refus de se soumettre à un prélèvement de preuves biologiques qui visait à établir son taux d’alcoolémie, après avoir considéré que les faits ne constituaient pas une infraction au sens du droit pénal. Par la même ordonnance, le parquet a toutefois infligé au requérant une sanction que le code pénal qualifiait d’« administrative ». Dès lors, pour déterminer si le requérant a été « acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de [l’] État [concerné] », il y a lieu de rechercher tout d’abord si cette première procédure concernait une affaire « pénale » au sens de l’article 4 du Protocole no 7.
a) Thèses des parties
i. Le Gouvernement
51. Le Gouvernement indique que l’article 87 (5) de l’OUG no 194/2002 relevait du droit pénal roumain compte tenu du but poursuivi par cette disposition, de la qualification des faits en infraction et de la sanction imposée. Il soutient que le fait que le requérant se soit vu infliger une sanction à caractère administratif n’a rien changé à la nature de la procédure : pour lui, celle-ci restait pénale, la sanction seule ayant été « empruntée » au domaine administratif.
ii. Le requérant
52. Le requérant soutient que l’amende prononcée par l’ordonnance du parquet du 7 août 2008 revêtait un caractère « pénal » au sens de l’article 4 du Protocole no 7.
b) Appréciation de la Cour
53. La Cour rappelle que la qualification juridique de la procédure en droit interne ne saurait être le seul critère pertinent pour l’applicabilité du principe ne bis in idem au regard de l’article 4 § 1 du Protocole no 7.
54. La Cour réaffirme l’autonomie de la notion d’« accusation en matière pénale » telle que la conçoit l’article 6 § 1. Selon sa jurisprudence constante, l’existence ou non d’une « accusation en matière pénale » doit s’apprécier sur la base de trois critères, que l’on désigne couramment sous le nom de « critères Engel » (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82, série A no 22, A et B c. Norvège [GC], nos 24130/11 et 29758/11, § 107, 15 novembre 2016, et Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 122, 6 novembre 2018). Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le second la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et non nécessairement cumulatifs. Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 53, et A et B c. Norvège, précité, § 105 ; voir également Escoubet c. Belgique [GC], no 26780/95, § 32, CEDH 1999‑VII).
55. La Cour recherchera ci-après si, en application des critères Engel susmentionnés, l’imposition d’une amende administrative au requérant pour les faits qui lui étaient reprochés relève de la notion de « procédure pénale ».
i. La qualification juridique de l’infraction en droit interne
56. La Cour note que les faits pour lesquels le requérant a été poursuivi, à savoir le refus de se soumettre à un prélèvement de preuves biologiques qui visait à établir son taux d’alcoolémie, étaient réprimés par l’article 87 (5) de l’OUG no 195/2002, décrits au chapitre consacré aux « infractions et peines », et qu’ils pouvaient être punis d’une peine d’emprisonnement. Selon les deux parties, ce texte de loi relevait du droit pénal roumain.
57. La Cour relève ensuite l’application en l’espèce de l’article 181 du CP, en vertu duquel un acte relevant de la loi pénale ne constituait pas une infraction s’il ne présentait pas le degré de gravité requis compte tenu du caractère minime de l’atteinte portée à l’une des valeurs protégées par la loi pénale, et de son contenu concret (paragraphe 33 ci-dessus). Dans cette hypothèse, le procureur pouvait décider d’arrêter les poursuites et appliquer non pas la sanction pénale prévue dans la définition de l’infraction reprochée à l’intéressé, mais une autre sanction, elle aussi prévue par le code pénal et qualifiée par celui-ci d’« administrative ».
58. En l’occurrence, par l’ordonnance du 7 août 2008, le parquet a abandonné les poursuites entamées contre le requérant après avoir noté que, bien que les faits relevassent du droit pénal, ils ne constituaient pas une infraction, et il lui a infligé une sanction administrative. Quoi qu’il en soit, la qualification donnée par le droit interne n’est qu’un simple point de départ et l’indication qu’il fournit n’a qu’une valeur formelle et relative (voir, parmi beaucoup d’autres, Engel et autres, précité, § 82, et Sergueï Zolotoukhine, précité, § 53). Dès lors, la Cour examinera plus loin la nature même de la norme interne qui constituait la base légale de la sanction infligée à l’intéressé et le degré de sévérité de cette dernière.
ii. La nature même de la norme légale applicable
59. Par sa nature, la constitution en infraction, par l’OUG no 195/2002, du refus d’une personne de se soumettre à un prélèvement de preuves biologiques en vue de l’établissement de son taux d’alcoolémie visait, selon l’article 1 (2) de l’OUG, à assurer notamment la protection de la vie, de l’intégrité corporelle et de la santé des personnes participant au trafic routier, et la protection des droits et des intérêts légitimes desdites personnes, de la propriété publique et privée et de l’environnement, valeurs qui relèvent de la sphère de protection du droit pénal. Les dispositions de l’ordonnance en question s’appliquaient, selon l’article 1 (5) de l’OUG, à l’ensemble des citoyens participant au trafic routier, et non pas à un groupe possédant un statut spécifique. La peine prévue en cas de constat de commission de l’infraction définie par l’article 87 (5) de l’OUG no 195/2002 était sévère, à savoir une peine de deux à sept ans d’emprisonnement, et elle visait à réprimer et dissuader des comportements qui risquaient de porter atteinte aux valeurs sociales protégées par la loi (paragraphe 32 ci-dessus).
60. La Cour estime également important de noter que, si les faits reprochés au requérant n’étaient pas qualifiés d’infraction dans l’ordonnance du 7 août 2008, il demeure qu’ils tombaient dans le champ d’application d’une disposition de droit pénal. Le fait que, dans un premier temps, les faits de caractère pénal reprochés au requérant aient été considérés comme manifestement dépourvus d’importance en raison de l’atteinte minime à l’une des valeurs protégées par la loi pénale et de leur contenu concret n’exclut pas en soi qu’on leur attribue une qualification « pénale » au sens autonome de la Convention : rien dans le texte de celle-ci ne donne à penser que la nature pénale d’une infraction, au sens des « critères Engel », implique nécessairement un certain degré de gravité (Ezeh et Connors c. Royaume-Uni [GC], nos 39665/98 et 40086/98, § 104, CEDH 2003‑X). D’ailleurs, dans le cadre de la deuxième procédure, les mêmes faits ont été qualifiés d’infraction. La Cour convient que la norme légale sur le fondement de laquelle le parquet a poursuivi et sanctionné le requérant par l’ordonnance du 7 août 2008 avait une nature pénale.
iii. Le degré de sévérité de la sanction
61. Quant au degré de sévérité de la sanction, il est déterminé en fonction de la peine maximale prévue par la disposition juridique applicable. Si la peine effectivement infligée constitue un élément pertinent, cela ne diminue pas l’importance de l’enjeu initial (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 56, Grecu c. Roumanie, no 75101/01, § 54, 30 novembre 2006, et Tomasović c. Croatie, no 53785/09, § 23, 18 octobre 2011).
62. En l’espèce, l’article 87 (5) de l’OUG 195/2002 prévoyait, pour des faits constitutifs de l’infraction de refus de se soumettre à un prélèvement de preuves biologiques visant à établir un taux d’alcoolémie, une peine allant de deux à sept ans d’emprisonnement. Même s’il considérait que les faits en cause ne constituaient pas une infraction au sens de la loi pénale, le parquet était tenu par la loi d’infliger une sanction lorsque la base légale de l’abandon des poursuites était l’article 181 du CP (paragraphe 33 ci-dessus). Pour les faits qui lui étaient reprochés, le requérant s’est vu infliger une amende de 1 000 lei roumains (RON), soit environ 250 EUR à l’époque des faits. Cette somme correspondait au montant maximal de l’amende prévue par l’article 91 du CP. Bien que le CP qualifie cette sanction d’« administrative », son but n’était pas de réparer le préjudice causé par le requérant mais de punir ce dernier et de le dissuader de commettre à nouveau les faits de nature pénale (comparer avec Ioan Pop c. Roumanie (déc.), no 40301/04, § 25, 28 juin 2011, affaire dans laquelle la Cour a qualifié de « pénale », aux fins de l’article 6 de la Convention, une amende contraventionnelle d’un montant d’environ 50 EUR infligée au requérant sur le fondement de l’OUG no 195/2002 pour refus de s’arrêter et de laisser passer un véhicule officiel ; et Sancakli c. Turquie, no 1385/07, § 30, 15 mai 2018, affaire dans laquelle la Cour a qualifié de « pénale », au sens de l’article 6 de la Convention, une amende d’environ 62 EUR qualifiée d’administrative par le droit turc). Dès lors, bien que l’amende infligée au requérant soit qualifiée d’« administrative » par le droit interne, elle revêt un caractère punitif et dissuasif et s’apparente donc à une sanction pénale.
iv. Conclusion relative à la nature de la procédure ayant abouti à l’ordonnance du 7 août 2008
63. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que la nature de l’infraction pour laquelle le requérant a été poursuivi et la sanction prononcée contre lui rattachent la procédure ayant abouti à l’ordonnance du 7 août 2008 à la notion de « procédure pénale » aux fins de l’article 4 du Protocole no 7.
64. Par ailleurs, il ne fait pas de doute que la condamnation du requérant à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis, par l’arrêt définitif de la cour d’appel de Galați en date du 14 juin 2010, présente un caractère pénal (paragraphe 25 ci‑dessus). Les procédures décrites par le requérant ayant revêtu un caractère pénal, la première condition d’application de l’article 4 du Protocole no 7 se trouve remplie.
2. Sur le point de savoir si le requérant a été poursuivi deux fois pour les mêmes faits (« idem »)
a) Thèses des parties
i. Le Gouvernement
65. Le Gouvernement ne conteste pas que les faits pour lesquels le requérant a été condamné par le jugement du tribunal de première instance de Focșani en date du 18 novembre 2009 sont les mêmes que ceux pour lesquels il s’était vu infliger une amende sur le fondement de l’ordonnance du 7 août 2008.
ii. Le requérant
66. Le requérant indique que les faits pour lesquels il a été condamné par le jugement du tribunal de première instance de Focşani en date du 18 novembre 2009 sont les mêmes que ceux pour lesquels il s’était vu infliger une amende sur le fondement de l’ordonnance du parquet du 7 août 2008.
b) Appréciation de la Cour
67. Dans l’arrêt Sergueï Zolotoukhine (précité, § 82), la Cour a conclu que l’article 4 du Protocole no 7 devait être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci avait pour origine des faits identiques ou des faits qui étaient en substance les mêmes. Cette approche factuelle a été expressément réitérée par la Cour dans des affaires postérieures (voir, par exemple, Marguš, précité, § 114, A et B c. Norvège, précité, § 108, et Ramda c. France, no 78477/11, § 81, 19 décembre 2017).
68. En l’espèce, la Cour relève que, sur la base de l’ordonnance du 7 août 2008 et de l’arrêt définitif de la cour d’appel de Galați en date du 14 juin 2010, le requérant a été convaincu de refus de se soumettre à un test d’alcoolémie, dans la nuit du 2 au 3 mai 2008, à la suite d’un contrôle préventif réalisé par la police de la circulation routière, et a été sanctionné pour ces faits. Dès lors, pour autant que les deux décisions susmentionnées portent sur les mêmes faits et les mêmes accusations, le requérant a bien été poursuivi et puni deux fois pour les mêmes faits.
3. Sur le point de savoir s’il y a eu répétition des poursuites (« bis »)
a) Thèses des parties
i. Le Gouvernement
69. Le Gouvernement soutient que la présente affaire porte sur une procédure « unique » tranchée de manière définitive par l’arrêt de la cour d’appel de Galați en date du 14 juin 2010, et non pas sur deux procédures distinctes qui se combineraient de manière à former un tout cohérent.
70. Selon lui, l’ordonnance du parquet du 7 août 2008 constituait un abandon des poursuites et n’était pas définitive. Il estime que, si cette ordonnance pouvait faire l’objet d’une contestation dans un délai de vingt jours à partir de sa communication à l’intéressé, cette circonstance ne suffit pas pour établir si l’ordonnance en question était devenue définitive. Se référant aux décisions rendues par la Cour dans les affaires Horciag c. Roumanie ((déc.), no 70982/01, 15 mars 2005) et Sundqvist c. Finlande ((déc.), no 75602/01, 22 novembre 2005), il considère qu’il faut également tenir compte de la possibilité prévue par le droit national en faveur du procureur hiérarchiquement supérieur d’ordonner la réouverture des poursuites pénales, possibilité qui, selon lui, constituait une voie de recours ordinaire, au sens de la jurisprudence de la Cour en la matière.
71. À ce sujet, il expose d’abord que, d’après les renseignements fournis par certaines juridictions internes, la décision de non-lieu ou d’arrêt des poursuites est infirmée dans très peu de cas, soit par le procureur soit par le juge. Il souligne que le nombre de cas dans lesquels le procureur agit d’office et infirme une décision est assez proche du nombre de cas dans lesquels le juge fait droit à la plainte formée par la personne intéressée contre la décision du procureur. Il estime que cette fréquence similaire en pratique des deux voies en question indique que la possibilité reconnue au procureur hiérarchiquement supérieur de rouvrir des poursuites doit avoir la même nature juridique que le recours formé par la partie lésée contre la décision prononcée par le procureur, à savoir celle d’une voie de recours ordinaire. Se référant à des données statistiques fournies par différents parquets nationaux, il indique que le taux de décisions de non-lieu ou d’arrêt des poursuites pénales qui sont infirmées par le procureur ou par le juge est très limité, soit d’environ 1 %. Pour les interventions du procureur qui ont abouti à ce résultat, le pourcentage est encore plus bas, c’est-à-dire inférieur à 0,5 %.
72. Selon le Gouvernement, le nombre réduit d’affaires dans lesquelles il y a intervention d’office du procureur s’explique, d’une part, par la nécessité de ne pas entamer la confiance du public dans la qualité du travail des procureurs et, d’autre part, par la nécessité de trouver un équilibre entre le but poursuivi par l’infirmation de la solution retenue et la stabilité des situations juridiques créées à la suite d’une première décision. Le Gouvernement fait remarquer qu’en l’espèce l’intervention du procureur hiérarchiquement supérieur a eu lieu à bref délai, soit environ cinq mois après l’ordonnance du 7 août 2008.
73. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour (Smirnova et Smirnova c. Russie (déc.), nos 46133/99 et 48183/99, 3 octobre 2002, et Harutyunyan c. Arménie (déc.), no 34334/04, 7 décembre 2006), le Gouvernement fait ensuite valoir que l’autorité de chose jugée n’est attachée qu’aux décisions qui tranchent le fond de l’affaire et que l’abandon des poursuites pénales par un procureur n’équivaut ni à une condamnation ni à un acquittement. Il souligne que, selon le droit interne, l’autorité de la chose jugée n’est reconnue qu’aux décisions rendues par les tribunaux et non pas aux ordonnances rendues par le parquet (paragraphes 34 et 35 ci-dessus).
74. Le Gouvernement explique également que l’exécution – volontaire ou non – d’une sanction infligée sur le fondement d’une ordonnance du parquet n’a aucune incidence sur le caractère de celle-ci : selon lui, le droit interne ne prévoit pas que l’exécution d’une telle sanction empêche la réouverture des poursuites pénales. Le Gouvernement ajoute que, en annulant une telle ordonnance, le procureur hiérarchiquement supérieur annule aussi la sanction.
75. Il soutient que, même au regard de la jurisprudence de la CJUE, l’ordonnance du 7 août 2008 ne constitue pas une décision « définitive ». Se référant aux arrêts rendus par la juridiction européenne (voir, par exemple, les arrêts rendus le 29 juin 2016 et le 22 décembre 2008 respectivement dans les affaires Kossowski c. Generalstaatwaltschaft Hamburg (C-486/14, EU:C:2016:483) et Vladimir Turanský (C-491/07, EU:C:2008:768)), il expose que, pour qu’une personne soit considérée comme « définitivement jugée », il importe en premier lieu que l’action publique soit définitivement éteinte, l’appréciation étant faite sur la base du droit de l’État contractant ayant rendu la décision pénale en cause. Renvoyant ensuite aux arrêts rendus par la CJUE dans Filomeno Mario Miraglia (10 mars 2005, C‑469/03, EU:C:2005:156), M. (5 juin 2014, C-398/12, EU:C:2014:1057) et Kossowski (précité), il note que même si, selon le droit interne, une décision éteint définitivement l’action publique, elle ne peut pas être qualifiée de « définitive » si elle n’est pas rendue à l’issue d’une appréciation sur le fond de l’affaire. En l’espèce, la possibilité pour le parquet de rendre une ordonnance fondée sur l’article 10 lettre b1 du CPP, sans se prononcer sur tous les éléments de l’action pénale (paragraphe 33 ci-dessus), plaide pour que l’ordonnance du parquet en date du 7 août 2008 soit qualifiée de « non définitive ». En outre, l’article 273 (1) du CPP ne limitait pas la réouverture des poursuites à des circonstances exceptionnelles et ne la subordonnait pas à la découverte de nouvelles preuves : la réouverture pouvait être ordonnée chaque fois que le procureur hiérarchiquement supérieur constatait que l’arrêt des poursuites reposait sur un motif de fait ou de droit qui n’existait pas.
76. Le Gouvernement soutient enfin que, à supposer même que l’ordonnance du parquet du 7 août 2008 constitue une décision définitive, l’ordonnance du parquet hiérarchiquement supérieur en date du 7 janvier 2009 n’a pas conduit à un renouvellement des poursuites mais à une réouverture du procès relevant de l’article 4 § 2 du Protocole no 7. Selon lui, cette réouverture était justifiée par un vice fondamental qui avait entaché l’ordonnance antérieurement prononcée. Se référant à la note du procureur général du 17 janvier 2013 (paragraphe 27 ci-dessus), il explique que le contrôle exercé par le procureur hiérarchiquement supérieur sur les décisions des procureurs relevant de son ressort avait pour but notamment d’uniformiser la pratique des parquets, surtout en ce qui concerne l’appréciation du degré de danger social associé à une infraction au code de la route. Le Gouvernement estime que, même si ladite note est postérieure aux faits de l’espèce, elle prouve que l’uniformisation de la pratique judiciaire a été une préoccupation constante des organes judiciaires. Il ajoute que dans ce type d’infractions il n’y a pas, de manière générale, d’autre partie qui aurait un intérêt à contester l’ordonnance d’arrêt des poursuites du procureur. Il ajoute qu’en l’absence de l’intervention du procureur hiérarchiquement supérieur, une décision fondée sur une appréciation erronée n’aurait pu être modifiée.
ii. Le requérant
77. Le requérant considère que l’ordonnance du parquet du 7 août 2008 est définitive aux fins de l’article 4 du Protocole no 7. Il expose d’abord qu’à la différence de la situation dans l’affaire A et B c. Norvège susmentionnée, en l’espèce il n’y a pas deux procédures complémentaires qui auraient poursuivi des finalités sociales distinctes. Pour étayer cette dernière affirmation, il indique que dans les deux procédures il a été poursuivi pour la même infraction, réprimée par le même texte de loi, et que les preuves produites étaient les mêmes. Il souligne que la deuxième procédure a annulé la première de manière imprévisible et après un laps de temps qu’il qualifie de considérable, ce qui démontre à son avis qu’il n’y avait pas en l’occurrence deux procédures complémentaires.
78. Le requérant soutient ensuite que l’ordonnance du parquet du 7 août 2008 était devenue définitive dans la mesure où elle n’avait pas été contestée dans les délais prévus par les articles 2491, 278 et 2781 du CPP pour la formation d’un recours, et qu’en conséquence l’amende a été acquittée. Il souligne que, selon le droit interne, tant les tribunaux que les parquets étaient compétents pour appliquer les articles 181 et 91 du CP en vigueur à l’époque des faits. Il indique que pour appliquer ces articles et surtout pour infliger l’une des sanctions prévues à l’article 91 du CP, l’autorité compétente pour intervenir devait enquêter sur les faits de manière approfondie et évaluer le comportement de la personne mise en cause. S’appuyant sur l’arrêt rendu par la CJUE dans l’affaire Kossowski c. Generalstaatwaltschaft Hamburg (précité), il expose qu’en l’occurrence, pour rendre l’ordonnance du 7 août 2008, le parquet a mené une enquête approfondie : il a entendu le suspect et un témoin et a livré sa propre appréciation des circonstances liées à la commission des actes en cause, avant de décider de la sanction la plus appropriée à appliquer. De l’avis du requérant, le caractère approfondi de l’enquête impose que l’on qualifie de « définitive » l’ordonnance du 7 août 2008.
79. Le requérant ajoute que, selon l’article 2491 du CPP, l’amende infligée était exécutoire à l’échéance du délai de vingt jours dont il disposait en vertu du CPP pour contester l’ordonnance en cause. Selon lui, le caractère exécutoire – imposé par la loi même – de l’ordonnance à l’expiration du délai de contestation a rendu cette ordonnance définitive, de sorte qu’après son exécution la réouverture des poursuites par le parquet sur le fondement de l’article 273 du CPP n’était plus envisageable.
80. Enfin, pour le requérant, la possibilité que l’article 273 du CPP en vigueur à l’époque des faits offrait au parquet hiérarchiquement supérieur de rouvrir les poursuites ne constituait pas un recours extraordinaire au sens de la jurisprudence de la Cour, mais une réouverture de la procédure, à examiner à la lumière de l’article 4 § 2 du Protocole no 7. Selon le requérant, la décision du parquet hiérarchiquement supérieur du 7 janvier 2009 était contraire tant au droit interne qu’à l’article 4 § 2 du Protocole no 7. Il argue en ce sens que la réouverture était fondée sur une appréciation différente des circonstances de la commission des faits et du caractère adéquat de la peine infligée, et non sur le constat que le motif sur lequel reposait la décision antérieure n’avait pas réellement existé ou n’existait plus – condition requise par l’article 273 du CPP en vigueur à l’époque des faits – ni sur l’existence de faits nouveaux ou sur un vice fondamental dans la procédure précédente, comme l’exige l’article 4 § 2 du Protocole no 7.
b) Appréciation de la Cour
81. La Cour rappelle que l’article 4 du Protocole no 7 a pour objet de prohiber la répétition de procédures pénales définitivement clôturées (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 107, avec les références qui s’y trouvent citées).
i. Observations préliminaires sur le point de savoir si les deux procédures étaient complémentaires
82. La Cour estime utile d’examiner tout d’abord si les faits de la présente espèce relèvent de procédures « mixtes » unies par un lien matériel et temporel suffisamment étroit, étant donné que la question du caractère « définitif » ou non d’une décision ne se pose pas dès lors qu’il n’y a pas une répétition des poursuites à proprement parler mais plutôt une combinaison de procédures dont on peut considérer qu’elles forment un tout intégré (A et B c. Norvège, précité, § 142).
83. Elle rappelle que, dans l’affaire A et B c. Norvège (précitée, §§ 126 et 130-134), elle a réitéré et élaboré le principe du « lien matériel et temporel suffisamment étroit » entre les procédures : lorsqu’un tel lien permet de considérer que les deux procédures s’inscrivent dans un mécanisme intégré de sanctions prévu par le droit national en cause, il n’y a pas répétition des poursuites mais une combinaison de procédures compatible avec l’article 4 du Protocole no 7.
84. En l’occurrence, le requérant a été poursuivi dans les « deux » procédures pour une seule et même infraction réprimée par un seul texte de loi, à savoir l’article 87 (5) de l’OUG no 195/2002. Ces procédures et les deux sanctions infligées au requérant poursuivaient la même finalité générale consistant à dissuader un comportement dangereux pour la sécurité routière. La « première » procédure dans son intégralité et la partie initiale de la « deuxième » procédure ont été conduites par la même autorité, à savoir le parquet près le tribunal de première instance de Focşani, et dans les « deux » procédures les mêmes preuves ont été produites. Il n’y a pas eu en l’espèce combinaison des deux sanctions infligées au requérant : il fallait appliquer soit l’une soit l’autre sanction, selon que les autorités d’enquête qualifiaient ou non les faits d’infraction. Les « deux » procédures se sont succédé dans le temps et à aucun moment elles n’ont été menées simultanément.
85. Compte tenu de ces éléments, la Cour partage l’avis des parties et conclut que les deux procédures ne se combinaient pas de manière à former un tout cohérent, unissant des procédures mixtes par « un lien matériel et temporel suffisamment étroit » et donc compatible avec le critère « bis » découlant de l’article 4 du Protocole no 7 (comparer avec A et B c. Norvège, précité, §§ 112-134, et Johannesson et autres c. Islande, no 22007/11, §§ 48-49, 18 mai 2017).
86. Afin de rechercher plus avant s’il y a eu en l’espèce une répétition de procédures au sens de l’article 4 du Protocole no 7, la Cour examinera ci‑après si l’ordonnance du parquet du 7 août 2008 constitue un « jugement définitif » portant « acquittement ou condamnation » du requérant. Dans l’affirmative, il conviendra de déterminer si la décision du procureur hiérarchiquement supérieur en date du 7 janvier 2009 relève de l’exception prévue par l’article 4 § 2 du Protocole no 7 et s’analyse dès lors en une réouverture de la procédure compatible avec l’article 4 du Protocole no 7.
ii. Sur le point de savoir si l’ordonnance du 7 août 2008 constitue un acquittement ou une condamnation par un jugement définitif
87. La Cour remarque que sur ce point les parties sont en désaccord : le Gouvernement estime que l’ordonnance du 7 août 2008 constitue un simple abandon des poursuites par le parquet, alors que le requérant considère qu’elle s’analyse en une condamnation prononcée contre lui. De même, le requérant affirme que l’ordonnance du 7 août 2008 est une décision définitive, ce que le Gouvernement conteste.
88. La Cour note que le texte de l’article 4 du Protocole no 7 indique que le principe ne bis in idem vise à protéger une personne qui a déjà été « acquittée ou condamnée par un jugement définitif ». Le rapport explicatif du Protocole no 7 énonce relativement à l’article 4 que « [l]e principe établi dans cette disposition s’applique uniquement après l’acquittement ou la condamnation de l’intéressé par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénales de l’État concerné » (paragraphe 29 du rapport explicatif, cité au paragraphe 37 ci-dessus). Pour qu’une personne puisse bénéficier de la protection de cet article, il ne suffit donc pas d’une décision définitive ; il faut aussi que cette décision définitive porte acquittement ou condamnation de l’intéressé.
89. Dans la présente affaire, la Cour doit d’abord déterminer si l’ordonnance du 7 août 2008 constitue bien un acquittement ou une condamnation. Dans l’affirmative, elle doit rechercher si cette ordonnance est une décision « définitive » au sens de l’article 4 du Protocole no 7. Pour répondre à ces questions, elle doit procéder à une analyse plus générale de l’article 4 du Protocole no 7, à la lumière de sa jurisprudence en la matière.
90. Pour ce faire, elle rappelle que, en tant que traité international, la Convention doit s’interpréter à la lumière des règles prévues aux articles 31 à 33 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 29, série A no 18, et Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], no 18030/11, § 118, 8 novembre 2016). Ainsi, en vertu de la Convention de Vienne, la Cour doit rechercher le sens ordinaire à attribuer aux termes dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de la disposition dont ils sont tirés (Johnston et autres c. Irlande, 18 décembre 1986, § 51, série A no 112, et article 31 § 1 de la Convention de Vienne, cité au paragraphe 39 ci-dessus).
91. Par ailleurs, afin d’interpréter les dispositions de la Convention et de ses Protocoles à la lumière de leur objet et de leur but, la Cour a développé dans sa jurisprudence des moyens supplémentaires d’interprétation, à savoir les principes d’interprétation autonome et d’interprétation évolutive ainsi que celui de la marge d’appréciation. Ceux-ci appellent à comprendre et appliquer les dispositions de la Convention et de ses Protocoles d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives, et non théoriques et illusoires (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 87, série A no 161).
92. Il faut aussi tenir compte de ce que le contexte de la disposition est celui d’un traité de protection effective des droits individuels de l’homme et de ce que la Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter en veillant à l’harmonie et à la cohérence interne de ses différentes dispositions (Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, §§ 47-48, CEDH 2005‑X, et Magyar Helsinki Bizottság, précité, § 120).
α. Concernant la portée des notions d’« acquittement » et de « condamnation »
93. Avant de préciser le contenu de ces notions, la Cour estime utile de s’interroger sur la nécessité de l’intervention d’un juge dans la procédure pour qu’une décision puisse être considérée comme un « acquittement » ou une « condamnation ».
– Sur la nécessité de l’intervention d’un juge
94. À la lecture des deux versions authentiques – anglaise et française – de l’article 4 du Protocole no 7, la Cour relève une différence de rédaction entre les deux textes : si la version française énonce que la personne concernée doit avoir « été acquitté[e] ou condamné[e] par un jugement », la version anglaise du même texte dispose que l’intéressé doit avoir été « finally acquitted or convicted ». La version française indique donc que l’acquittement ou la condamnation est prononcé par « jugement », tandis que la version anglaise ne mentionne pas la forme que doit prendre la décision portant acquittement ou condamnation. Ainsi placée devant des textes d’un même traité normatif faisant également foi mais ne concordant pas entièrement, la Cour doit les interpréter d’une manière qui les concilie dans la mesure du possible et qui soit la plus à même d’atteindre le but et de réaliser l’objet de ce traité (Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), 26 avril 1979, § 48, série A no 30, et article 33 § 4 de la Convention de Vienne sur le droit des traités).
95. Compte tenu de la place primordiale occupée par l’article 4 du Protocole no 7 dans le système de la Convention et du but du droit qu’il garantit, l’emploi du terme « jugement » dans la version française de cet article ne saurait justifier l’adhésion à une approche restrictive de la notion de personne « acquittée ou condamnée ». Ce qui importe dans une affaire donnée, c’est que la décision en cause émane d’une autorité appelée à participer à l’administration de la justice dans l’ordre juridique national concerné, et que cette autorité soit compétente selon le droit interne pour établir et sanctionner, le cas échéant, le comportement illicite reproché à l’intéressé. Le fait que la décision en cause ne prenne pas la forme d’un jugement n’est pas de nature à remettre en cause l’acquittement ou la condamnation de l’intéressé, dès lors qu’un tel élément de procédure et de forme ne saurait avoir d’incidence sur les effets de ladite décision. La version anglaise du texte de l’article 4 du Protocole no 7 permet d’ailleurs cette interprétation large de la notion. En outre, la Cour a de manière constante appliqué une approche similaire pour déterminer les effets d’une situation juridique, par exemple lorsqu’elle a recherché si une procédure définie comme administrative par le droit interne produisait des effets qui imposaient de la qualifier de « pénale » au sens autonome de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, A et B c. Norvège, précité, §§ 139 et 148, et Sergueï Zolotoukhine, précité, §§ 54-57 ; voir aussi Tsonyo Tsonev c. Bulgarie (no 2), no 2376/03, § 54, 14 janvier 2010, affaire dans laquelle la Cour est partie du constat que la décision du maire d’infliger une amende administrative au requérant, non contestée en justice et exécutoire, a constitué une décision définitive au sens de l’article 4 du Protocole no 7).
Partant, la Cour considère que, pour que l’on se trouve en présence d’une décision, l’intervention d’une juridiction n’est pas nécessaire.
– Sur le contenu des notions d’« acquittement » et de « condamnation »
96. Jusqu’à présent, la Cour n’a pas défini dans sa jurisprudence la portée de l’expression « acquitté ou condamné », ni énoncé de critères généraux à cet égard. Cela étant, elle a déjà jugé à maintes reprises que l’abandon de poursuites pénales par un procureur n’équivalait ni à une condamnation ni à un acquittement et qu’en conséquence l’article 4 du Protocole no 7 ne trouvait pas application dans cette situation (voir, en ce sens, Marguš, précité, § 120, Smirnova et Smirnova et Harutyunyan, décisions précitées). Dans l’affaire Horciag (décision précitée), la Cour a déclaré qu’un « jugement confirmant l’internement psychiatrique provisoire ne peut pas être assimilé à un acquittement au sens de l’article 4 du Protocole no 7, mais qu’il a trait à une mesure à caractère préventif n’impliquant aucun examen ou constat de la culpabilité du requérant (voir, mutatis mutandis, Escoubet c. Belgique, précité, § 37, et Mulot c. France (déc.), no 37211/97, 14 décembre 1999) ».
97. Pour déterminer si une certaine décision constitue un « acquittement » ou une « condamnation », la Cour s’est donc penchée sur le contenu même de la décision en cause et a examiné ses effets sur la situation de l’intéressé. En partant du texte de l’article 4 du Protocole no 7, elle considère que le choix délibéré des mots « acquitté ou condamné » implique qu’il y ait eu établissement de la responsabilité « pénale » de l’accusé à l’issue d’une appréciation des circonstances de l’affaire, en d’autres termes qu’il y ait eu une appréciation du fond de l’affaire. Pour qu’un tel examen puisse être effectué, il est indispensable que l’autorité appelée à rendre la décision soit investie par le droit interne d’un pouvoir décisionnel lui permettant d’examiner le fond d’une affaire. Cette autorité doit alors se livrer à l’étude ou à l’évaluation des preuves versées au dossier et porter une appréciation sur la participation du requérant à l’un ou à l’ensemble des événements ayant conduit à la saisine des organes d’enquête, aux fins de déterminer si la responsabilité « pénale » a été établie (voir, mutatis mutandis, Allen c. Royaume-Uni [GC], no 25424/09, § 127, CEDH 2013, affaire concernant l’étendue de la présomption d’innocence au regard de l’article 6 § 2 de la Convention, dans laquelle le contenu de la décision, et non sa forme, a été pour la Cour le facteur déterminant).
98. Ainsi, le constat qu’il y a eu une appréciation des circonstances de l’affaire et de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé peut être conforté par l’état d’avancement d’une procédure dans une affaire donnée. Lorsqu’une instruction pénale a été ouverte avec l’incrimination de l’intéressé, que la victime a été interrogée et que des preuves ont été rassemblées et examinées par l’autorité compétente et qu’une décision motivée s’appuyant sur ces preuves a été rendue, on se trouve en présence d’éléments susceptibles de conduire au constat qu’il y a eu une appréciation du fond de l’affaire. Lorsqu’une sanction a été prononcée par l’autorité compétente comme conséquence du comportement imputé à l’intéressé on peut raisonnablement penser que l’autorité compétente avait au préalable porté une appréciation sur les circonstances de l’affaire et sur le caractère, illicite ou non, du comportement de l’intéressé.
– Considérations propres au cas d’espèce
99. En ce qui concerne les circonstances de l’espèce, la Cour observe tout d’abord que, par son ordonnance du 7 août 2008, le parquet près le tribunal de première instance de Focşani a clôturé les poursuites pénales contre le requérant tout en lui infligeant une sanction administrative pour les actes commis. Il ne s’agit donc pas d’une simple ordonnance d’abandon des poursuites, qui aurait sans doute mené à l’inapplicabilité de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention (voir, en ce sens, Marguš, précité, § 120, et Smirnova et Smirnova et Harutyunyan, décisions précitées).
100. En l’espèce, selon le droit interne, le parquet était appelé à participer à l’administration de la justice pénale. Il était compétent pour mener une enquête sur les faits reprochés au requérant : il a interrogé un témoin ainsi que le suspect. Par la suite, il a fait application des règles de fond prévues par le droit interne en la matière : il a dû apprécier si les conditions requises pour que l’on puisse qualifier d’infraction les faits reprochés au requérant étaient réunies. Se fondant sur les éléments de preuves produits, le parquet a procédé à son propre examen de l’ensemble des circonstances de l’affaire, aussi bien celles qui étaient liées à la personne du requérant que celles qui étaient factuelles et concrètes. Après avoir effectué son examen, toujours en vertu des pouvoirs que lui conférait le droit interne, le parquet a décidé de l’arrêt des poursuites pénales tout en infligeant au requérant une sanction qui avait un but répressif et punitif (paragraphes 11 à 15 ci-dessus). La sanction imposée devenait exécutoire à l’expiration du délai de recours prévu par le droit interne en faveur du requérant.
101. Eu égard à l’enquête menée par le procureur et au pouvoir que lui conférait le droit interne de trancher l’affaire portée devant lui, la Cour considère qu’en l’espèce le parquet a fait porter son appréciation tant sur les circonstances de l’affaire que sur l’établissement de la responsabilité « pénale » de l’intéressé. Compte tenu également de ce qu’une sanction à caractère dissuasif et répressif a été infligée au requérant, l’ordonnance du 7 août 2008 constitue une « condamnation », au sens matériel du terme, prononcée contre lui. Étant donné les effets de cette condamnation sur la situation de l’intéressé, le fait qu’il n’y ait pas eu en l’espèce intervention d’une juridiction ne saurait changer cette conclusion.
β. Concernant le caractère « définitif » de l’ordonnance du parquet du 7 août 2008 ayant « condamné pénalement » le requérant
– L’approche de la Cour dans des précédents comparables et son élaboration en vue de la présente affaire
102. La Cour observe que selon le libellé de l’article 4 du Protocole no 7, pour bénéficier du principe ne bis in idem l’intéressé doit avoir été « acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État ». Cette disposition comporte donc une référence expresse à la loi de l’État qui a rendu la décision en question.
103. La Cour note ensuite qu’il ressort de sa jurisprudence (voir, par exemple, Nikitine, précité, § 37, Storbråten, (déc.), no 12277/04, 1er février 2007, Horciag et Sundqvist, décisions précitées, et Sergueï Zolotoukhine, précité, § 107) que, pour déterminer dans les affaires dont elle était saisie quelle était la décision « définitive », elle s’est invariablement référée au critère énoncé dans le rapport explicatif du Protocole no 7 : elle a considéré qu’une décision était « définitive », quelle que fût sa qualification selon le droit interne, après l’épuisement des recours « ordinaires » ou après l’expiration du délai prévu par la loi interne pour exercer un tel recours. Les recours qu’elle a qualifiés d’« extraordinaires » n’ont pas été pris en compte pour déterminer quelle était la décision « définitive » aux fins de l’article 4 du Protocole no 7 (Nikitine, précité, §§ 37-39, Sergueï Zolotoukhine, précité, § 108, Sismanidis et Sitaridis c. Grèce, nos 66602/09 et 71879/12, § 42, 9 juin 2016, et Šimkus c. Lituanie, no 41788/11, § 47, 13 juin 2017). En d’autres termes, dans le cadre de son contrôle, la Cour n’a pas automatiquement tenu compte de la qualification donnée par le droit interne pour dire si une décision était ou non « définitive » : elle a effectué sa propre appréciation du caractère « définitif » d’une décision en se référant aux recours « ordinaires » qui s’offraient aux parties.
104. Il n’en reste pas moins que la lecture de certaines décisions rendues par la Cour avant les arrêts Sergueï Zolotoukhine et Marguš précités, et plus particulièrement celle des décisions Horciag, Sundqvist et Storbråten, précitées, pourrait donner à penser que la question du caractère définitif d’une décision est régie exclusivement par le droit interne de l’État en cause (pour un examen du même cadre légal roumain sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et concernant la durée d’une procédure, voir également Stoianova et Nedelcu c. Roumanie, nos 77517/01 et 77722/01, CEDH 2005‑VIII). Les références au droit national contenues dans ces décisions doivent cependant être interprétées de manière plus nuancée et être replacées dans leur contexte.
105. Dans la décision Storbråten précitée, la Cour a précisé qu’il convenait de prendre en compte le droit interne pour décider du « moment » où une décision devenait définitive. Elle a déterminé elle-même, à la lumière du critère prévu par le rapport explicatif, quelle était la décision interne « définitive », en tenant compte des procédures existantes en droit interne. Le droit interne et l’application des critères du rapport explicatif ont abouti dans cette affaire à une identité de solutions : la décision rendue par le tribunal des partages et des faillites était définitive faute pour l’intéressé d’avoir fait appel, donc après l’écoulement du délai prévu en droit interne pour l’exercice d’un recours « ordinaire ».
106. Les affaires Horciag, Sundqvist et Stoianova et Nedelcu, précitées, se distinguent de la présente espèce. Dans l’affaire Horciag, le requérant avait fait l’objet d’une décision d’abandon des poursuites assortie d’une mesure d’internement – mesure à caractère préventif –, et non d’une peine. Au cœur des affaires Sundqvist et Stoianova et Nedelcu, précitées, se trouvaient de simples abandons des poursuites et non des décisions d’« acquittement » ou de « condamnation ». Or, comme il a déjà été précisé ci-dessus (paragraphe 96 ci-dessus), l’abandon de poursuites pénales par un procureur n’équivaut ni à une condamnation ni à un acquittement.
107. En tout état de cause, même dans la décision Horciag, précitée, la Cour a recherché si le jugement confirmant l’internement psychiatrique provisoire constituait une décision définitive, en se référant aux règles de droit interne qui régissaient cette notion. Elle a dit notamment que « compte tenu du caractère provisoire de l’internement et de sa confirmation judiciaire, la reprise de la procédure par le parquet conformément à l’article 273 du code de procédure pénale n’était pas exclue, bien que les poursuites aient été auparavant abandonnées. » Dès lors, pour déterminer si le jugement confirmant l’internement du requérant était définitif, la Cour a examiné les différentes notions prévues par la loi matérielle régissant sa nature et la procédure interne suivant laquelle une mesure d’internement était ordonnée.
108. Dès lors, la Cour considère que les décisions Storbråten, Horciag et Sundqvist, précitées, ne peuvent pas être interprétées comme imposant la qualification de décision « définitive », lorsqu’on est en présence d’un acquittement ou d’une condamnation, exclusivement par référence au droit interne. Elle remarque en outre qu’un dénominateur commun se dégage de l’ensemble de sa jurisprudence en la matière : dans chaque affaire, la Cour a déterminé elle-même quelle était la décision interne « définitive » en partant du texte du rapport explicatif et en utilisant différentes notions du droit national.
109. En effet, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle elle part du texte du rapport explicatif du Protocole no 7 pour définir quelle est la décision « définitive » dans une affaire donnée (paragraphe 103 ci‑dessus). Il ressort de la lecture du texte de l’article 4 § 1 du Protocole no 7 mais également du paragraphe 27 du rapport explicatif que l’emploi successif des termes « même État » et « cet État » vise à limiter l’application de l’article au seul plan national et à éviter ainsi une application transfrontière. En ce qui concerne le terme « définitif », le rapport explicatif donne lui-même la « définition » permettant de savoir si une décision doit être considérée comme « définitive » au sens de l’article 4 du Protocole, et ce en faisant référence à une convention internationale, à savoir la Convention européenne sur la valeur internationale des jugements répressifs (points 22 et 29 du rapport explicatif, paragraphe 37 ci-dessus). Pour déterminer si la décision en question est « définitive », la Cour doit ainsi rechercher, comme l’indique le rapport explicatif, si elle était susceptible de voies de recours ordinaires ou si les parties ont laissé expirer les délais sans exercer ces recours.
110. En conséquence, lorsque le droit interne imposait l’exercice d’un certain recours pour que l’on puisse qualifier une décision de définitive, la Cour a été amenée à opérer une distinction entre les recours « ordinaires » et les recours « extraordinaires ». Tenant compte des circonstances concrètes d’une affaire donnée, la Cour, pour opérer cette distinction, s’est penchée sur des éléments tels que l’accessibilité d’un recours aux parties ou la latitude que le droit interne laissait aux fonctionnaires pour l’exercice d’un certain recours (voir, par exemple, Nikitine, précité, § 39). Réaffirmant la nécessité d’assurer le respect du principe de sécurité juridique et se référant aux difficultés que pourrait engendrer sur le terrain de l’article 4 du Protocole no 7 l’annulation d’une décision judiciaire à la suite d’un recours « extraordinaire », la Cour n’a pris en considération que les « recours ordinaires » pour établir le caractère « définitif » d’une décision aux fins de l’article 4 du Protocole no 7 (Nikitine, précité, § 39), et cela au sens autonome de la Convention (Sergueï Zolotoukhine, précité, § 109).
111. Aussi faut-il rappeler l’importance que la Cour a accordée plus récemment, dans l’affaire A et B c. Norvège (précitée), au critère de prévisibilité de l’application de la loi dans son ensemble comme condition permettant d’admettre que des procédures « mixtes » s’inscrivent dans un mécanisme intégré de sanction prévu par le droit national sans susciter une répétition de procédures (« bis ») au sens de l’article 4 du Protocole no 7 (ibidem, §§ 122, 130, 132, 146 et 152). Ce critère a également toute sa pertinence pour le caractère « définitif » d’une décision, condition enclenchant l’application de la protection prévue par cette disposition.
112. Dans ce contexte, la Cour estime qu’il y a lieu de rappeler que, selon sa jurisprudence bien établie, la condition de « légalité » contenue dans d’autres dispositions de la Convention – notamment l’expression « prévue par la loi » qui apparaît aux paragraphes 2 des articles 8 à 11 de la Convention et à l’article 1 du Protocole no 1, et l’expression « d’après le droit national (italique ajouté) ou international » contenue dans l’article 7 – concerne non seulement l’existence d’une base légale en droit interne, mais aussi une exigence qualitative inhérente à la notion autonome de légalité : cette dernière impose des conditions d’accessibilité et de prévisibilité de la « loi », de même que la nécessité d’offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention (voir, par exemple, Rohlena c. République tchèque [GC], no 59552/08, §§ 50 et 64, CEDH 2015, pour l’article 7 ; Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, §§ 52-56, CEDH 2000‑V, Bernh Larsen Holding AS et autres c. Norvège, no 24117/08, §§ 123-124 et 134, 14 mars 2013, et Roman Zakharov c. Russie [GC], no 47143/06, §§ 228-229, CEDH 2015, pour l’article 8 ; Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 143, CEDH 2012, pour l’article 10 ; Navalnyy c. Russie [GC], nos 29580/12 et 4 autres, §§ 114-115 et 118, 15 novembre 2018, pour l’article 11 ; Lekić c. Slovénie [GC], no 36480/07, § 95, 11 décembre 2018, pour l’article 1 du Protocole no 1 ; par ailleurs, en ce qui concerne l’article 5 § 1 de la Convention, voir S., V. et A. c. Danemark [GC], nos 35553/12 et 2 autres, § 74, 22 octobre 2018, et Hilda Hafsteinsdóttir c. Islande, no 40905/98, § 51, 8 juin 2004).
113. En effet, comme indiqué ci-dessus, la Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter de manière à promouvoir sa cohérence interne et l’harmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 68, série A no 28 ; voir également Maaouia c. France [GC], no 39652/98, § 36, CEDH 2000-X, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI, et Stec et autres, décision précitée, § 48).
114. À la lumière de ces considérations, la Cour estime qu’il faut dans une certaine mesure interpréter le terme « définitif » de manière autonome lorsque cela est justifié par des raisons solides, comme elle le fait d’ailleurs pour établir si la qualification juridique de l’infraction relève d’une « procédure pénale » (paragraphes 54 et suiv. ci-dessus).
115. Pour décider si une décision est « définitive » au sens de l’article 4 du Protocole no 7, il conviendrait de déterminer si celle-ci est susceptible d’un « recours ordinaire ». Pour établir quels sont les « recours ordinaires » dans une certaine affaire, la Cour partira de la loi et de la procédure internes. Elle estime que le droit interne – matériel et procédural – doit satisfaire au respect du principe de sécurité juridique qui exige, d’une part, qu’aux fins de l’article 4 du Protocole no 7, l’étendue d’un recours soit clairement délimitée dans le temps et, d’autre part, que les modalités de son exercice soient claires pour les parties autorisées à s’en prévaloir. En d’autres termes, pour que soit respecté le principe de sécurité juridique, principe inhérent au droit de ne pas être jugé ou puni deux fois pour la même infraction (Nikitin, précité, § 39), un recours doit opérer de manière à indiquer clairement quel est le moment où une décision devient définitive. En particulier, la Cour remarque dans ce contexte que la nécessité de prévoir un délai pour qu’un recours puisse être considéré comme « ordinaire » ressort implicitement du texte même du rapport explicatif, qui indique que la décision est irrévocable si les parties ont laissé passer « les délais » d’exercice d’une telle voie de droit. Une loi qui conférerait un pouvoir illimité à l’une des parties pour l’exercice d’un certain recours ou qui encadrerait un certain recours par des conditions mettant en évidence un déséquilibre important entre les pouvoirs des parties dans l’exercice dudit recours, irait à l’encontre du principe de sécurité juridique (voir, mutatis mutandis, Gacon c. France, no 1092/04, § 34 in fine, 22 mai 2008).
116. Certes, la Convention permet sans nul doute aux États, dans l’accomplissement de leur rôle d’administrateurs de la justice et de gardiens de l’intérêt public, de définir ce qui est, selon leur droit interne, une décision qui clôture définitivement des poursuites. Cela étant, si les États contractants pouvaient à leur guise définir quand une décision est « définitive » aux fins de l’article 4 du Protocole no 7, sans qu’un certain contrôle puisse être effectué par la Cour, l’application de cette disposition serait laissée à leur discrétion. Une telle latitude pourrait conduire à des résultats incompatibles avec l’objet et le but de la Convention (voir, mutatis mutandis, Engel et autres, précité, § 81, Öztürk c. Allemagne, 21 février 1984, § 49, série A no 73, et Storbråten, décision précitée), qui est de s’assurer que nul ne soit jugé ou puni deux fois pour les mêmes faits. S’il ne s’accompagnait pas de la garantie de pouvoir déterminer quelle est la décision « définitive » dans une affaire donnée, sur la base de critères objectifs, ce droit serait d’une portée bien limitée. Or les dispositions de l’article 4 du Protocole no 7 doivent être interprétées d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives, et non théoriques et illusoires (Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37, et Sergueï Zolotoukhine, précité, § 80).
– Application des principes en l’espèce
117. Concernant les faits de la présente espèce, la Cour relève tout d’abord que, au regard de la législation roumaine, l’ordonnance du parquet du 7 août 2008, qui a infligé une sanction à l’intéressé tout en arrêtant les poursuites pénales, ne pouvait pas revêtir l’autorité de la chose jugée, cette notion ne couvrant que les décisions rendues par un juge. De même, comme elle était susceptible d’être réexaminée par le parquet hiérarchiquement supérieur, elle n’était pas définitive selon le droit interne.
118. En premier lieu, à l’époque des faits, l’article 2491 du CPP prévoyait qu’une ordonnance par laquelle le parquet appliquait l’article 10 lettre b1 du CPP et infligeait ainsi une sanction pouvait faire l’objet d’un recours dans un délai de vingt jours à partir de la communication de ladite ordonnance à l’intéressé. La Cour observe que cette voie de recours avait une base légale en droit interne. Pour ce qui est de la qualité de la loi qui régissait ce recours, il convient de noter que le texte de l’article 2491 était accessible au requérant puisqu’il faisait partie du CPP, lui-même publié au Journal officiel. Cet article indiquait clairement que, lorsque l’arrêt des poursuites reposait sur l’article 10 lettre b1 du CPP, l’intéressé pouvait le contester au moyen d’un recours, qu’il devait former dans un délai établi par la loi. Lorsque ce délai arrivait à échéance, et si aucun recours n’avait été formé, l’ordonnance devenait exécutoire.
119. La Cour note également que la voie de droit prévue par l’article 2491 du CPP était directement accessible au requérant, qui pouvait contester la sanction infligée dans un délai clairement défini. Cette voie de droit aurait pu, si le requérant avait estimé nécessaire de s’en prévaloir, aboutir au réexamen du bien-fondé de l’ordonnance en question et de la sanction infligée. Dès lors, la Cour considère que cette voie de contestation de l’ordonnance du parquet s’apparente à un recours « ordinaire » au sens de sa jurisprudence et qu’elle doit en tenir compte pour déterminer quelle était en l’espèce la décision « définitive ».
120. En deuxième lieu, à la même époque le parquet hiérarchiquement supérieur avait la faculté d’ordonner la reprise de la procédure, conformément aux articles 270 et 273 du CPP alors en vigueur, lorsque les poursuites avaient été arrêtées, et cela même lorsque cet arrêt reposait sur l’article 10 lettre b1 du CPP et qu’une sanction avait été infligée. La décision de reprise des poursuites était précédée dans cette dernière hypothèse par l’annulation de la sanction qui avait été infligée. Cette voie de droit avait elle aussi une base légale en droit interne, et les articles 270 et 273 du CPP étaient accessibles au requérant, puisqu’ils étaient publiés au Journal officiel.
121. Il reste à déterminer si cette voie de droit permettant au parquet hiérarchiquement supérieur d’annuler la sanction infligée et de rouvrir les poursuites peut être considérée comme un recours « ordinaire » satisfaisant aux exigences de sécurité juridique (Nikitine, précité, § 39).
122. À cet égard, la Cour ne saurait ignorer le contexte très particulier de la présente affaire, qui correspond à une étape de la procédure pénale antérieure à la saisine d’une juridiction. Or, compte tenu des principes qui régissent l’activité des parquets et du rôle joué par ceux-ci dans les premières phases d’une procédure pénale, il n’est pas déraisonnable qu’un parquet hiérarchiquement supérieur examine d’office, dans le cadre du contrôle hiérarchique, le bien-fondé des décisions du parquet inférieur.
123. La faculté qui s’offrait au parquet hiérarchiquement supérieur tendait au réexamen d’une affaire donnée reposant sur les mêmes faits et les mêmes preuves que ceux qui avaient fondé la décision du premier procureur d’arrêter les poursuites pénales à l’issue de l’appréciation portée sur le degré de danger social associé aux faits et d’infliger une sanction qualifiée d’administrative par le droit interne.
124. En l’espèce, la voie de recours qui était ouverte aux parties intéressées et celle qui s’offrait au parquet hiérarchiquement supérieur en vertu des articles 270 et 273 du CPP visaient le même objectif, à savoir la contestation du bien-fondé de la sanction infligée à l’intéressé par le premier parquet le 7 août 2008. Pour l’exercice de voies de recours ayant le même objectif, la loi prévoyait à l’époque des faits des conditions d’exercice différentes en fonction de l’auteur du recours : si le requérant devait exercer son recours dans un délai de vingt jours, le parquet hiérarchiquement supérieur n’était tenu par aucun délai pour son réexamen du bien-fondé d’une décision. La Cour admet que le parquet, par ses compétences et son rôle dans la bonne administration de la justice pénale, pouvait bénéficier de conditions différentes pour exercer son contrôle. Il n’en reste pas moins vrai qu’en raison de cette absence de délai, le droit roumain n’encadrait pas les modalités de son exercice avec assez de clarté, ce qui a entraîné une réelle incertitude quant à la situation juridique du requérant (paragraphe 112 ci‑dessus), et que cet écart a créé entre les pouvoirs des parties dans l’exercice dudit recours un déséquilibre important de nature à mettre le requérant dans une position d’insécurité juridique (paragraphe 115 in fine ci-dessus).
125. Dès lors, la possibilité régie par les articles 270 et 273 du CPP en vigueur à l’époque des faits ne constituait pas « un recours ordinaire » dont on pourrait tenir compte pour déterminer si la condamnation du requérant fondée sur l’ordonnance du parquet inférieur en date du 7 août 2008 était « définiti[ve] conformément à la loi et à la procédure pénale de (...) [l’]État » en cause.
126. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que seule la possibilité prévue par l’article 2491 du CPP en vigueur à l’époque des faits constituait une voie de recours « ordinaire » à prendre en considération pour déterminer quelle est la décision « définitive ». En l’espèce, l’ordonnance du parquet du 7 août 2008 qui a infligé une amende au requérant était susceptible de recours dans un délai de vingt jours à partir de sa communication à l’intéressé. Or le requérant n’a pas jugé bon de faire usage de la voie de recours prévue par l’article 2491 du CPP. Bien que la date à laquelle l’ordonnance du 7 août 2008 a été communiquée au requérant ne soit pas connue, il n’en reste pas moins que ce dernier en a pris connaissance, qu’il a laissé s’écouler le délai de vingt jours prévu par l’article 2491 du CPP et a payé l’amende imposée. Le requérant ne disposait d’aucun autre recours ordinaire. Partant, l’ordonnance du 7 août 2008 ayant infligé une amende au requérant était devenue « définitive », au sens autonome de la Convention, à l’expiration du délai de vingt jours prévu par l’article 2491 du CPP, lorsque le procureur hiérarchiquement supérieur a usé de son pouvoir de rouvrir les poursuites pénales.
iii. Sur le point de savoir si la répétition des poursuites est contraire à l’article 4 du Protocole no 7
127. La Cour vient de constater que le requérant a été condamné par une décision définitive fondée sur l’ordonnance du 7 août 2008. Par son ordonnance du 7 janvier 2009, le parquet hiérarchiquement supérieur a annulé l’ordonnance du premier parquet en date du 7 août 2008 ainsi que la sanction prononcée. Bien que le requérant n’ait pas été puni deux fois pour les mêmes faits – compte tenu de l’annulation de la première sanction qui lui avait été infligée et de la possibilité d’obtenir le remboursement de l’amende –, il n’en reste pas moins que l’on se trouve en l’espèce face à deux procédures successives de caractère pénal menées contre l’intéressé pour les mêmes faits, incompatibles a priori avec le premier paragraphe de l’article 4 du Protocole no 7. Cela étant, une telle répétition des poursuites peut être compatible avec l’article 4 du Protocole no 7 si la deuxième procédure est une réouverture qui satisfait aux conditions associées à l’exception prévue à l’article 4 § 2 du Protocole no 7.
128. L’article 4 du Protocole no 7 à la Convention établit une distinction claire entre, d’un côté, le fait de poursuivre et de juger à nouveau la personne – ce que son premier paragraphe interdit – et, de l’autre, la réouverture du procès en raison de circonstances exceptionnelles, hypothèse visée au deuxième paragraphe. L’article 4 § 2 du Protocole no 7 envisage expressément l’éventualité qu’un justiciable se voie à nouveau reprocher des infractions ayant déjà donné lieu à des poursuites, selon les dispositions du droit interne, lorsque la procédure est rouverte en raison de l’apparition de faits nouveaux ou nouvellement révélés ou de la découverte d’un vice fondamental dans la procédure précédente (Nikitine, précité, § 45, et Kadušić, précité, § 84). Le Comité des Ministres a également considéré la possibilité de réexaminer ou de rouvrir une affaire comme une garantie de réparation, notamment dans le cadre de l’exécution des arrêts de la Cour. Dans sa Recommandation no R (2000) 2 sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires au niveau interne à la suite des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, il a encouragé les États membres à s’assurer qu’il existait dans leurs systèmes juridiques nationaux des procédures appropriées pour le réexamen et la réouverture des affaires (Nikitine, précité, § 56).
129. L’article 4 § 2 du Protocole no 7 représente une limite à l’application du principe de sécurité juridique en matière pénale. Comme la Cour l’a déjà indiqué à maintes reprises, l’exigence de sécurité juridique n’est pas absolue et, en matière pénale, elle doit s’apprécier à la lumière de l’article 4 § 2 du Protocole no 7, qui autorise expressément les États contractants à instituer un mécanisme de réouverture du procès en cas de survenance de faits nouveaux ou de découverte d’un vice fondamental de la procédure (ibid.).
α. Les conditions permettant la réouverture d’un procès au sens de l’exception prévue par l’article 4 § 2 du Protocole no 7
130. Comme cela a été rappelé plus haut (paragraphe 128 ci-dessus), la réouverture de poursuites est possible, mais à des conditions strictes : la décision de réouverture doit être justifiée par l’apparition de faits nouveaux ou nouvellement révélés ou par la découverte d’un vice fondamental dans la procédure précédente de nature à affecter le jugement intervenu. Ces conditions sont alternatives et non cumulatives.
131. La Cour a déjà expliqué que les circonstances propres à une affaire qui existaient lors du procès mais dont le juge n’avait pas connaissance et qui n’ont été connues qu’après le procès, sont des circonstances « nouvellement révélées ». Les circonstances propres à l’affaire qui ne surviennent qu’après le procès sont « nouvelles » (Boulgakova c. Russie, no 69524/01, § 39, 18 janvier 2007, et Vedernikova c. Russie, no 25580/02, § 30, 12 juillet 2007, concernant l’article 6). La Cour considère également, comme l’indique d’ailleurs le rapport explicatif du Protocole no 7, que l’expression « des faits nouveaux ou nouvellement révélés » englobe tous les moyens de preuve relatifs à des faits préexistants (paragraphe 31 du rapport explicatif, cité au paragraphe 37 ci-dessus).
132. Dans certaines affaires, la Cour a également retenu l’application de l’exception prévue par l’article 4 § 2 du Protocole no 7 en cas de réouverture d’une procédure en raison d’un « vice fondamental dans la procédure précédente ». Dans l’affaire Fadine c. Russie (no 58079/00, § 32, 27 juillet 2006), par exemple, elle a considéré que la réouverture d’une procédure au motif que la juridiction inférieure n’avait pas suivi les instructions qui lui avaient été données par la Cour suprême quant aux actes d’enquête à effectuer était justifiée par un vice fondamental dans la procédure précédente et donc conforme à l’article 4 § 2 du Protocole no 7 (voir également Bratyakin c. Russie (déc.), no 72776/01, 9 mars 2006, et Goncharovy c. Russie, no 77989/01, 27 novembre 2008).
133. Il ressort donc de la jurisprudence susmentionnée que la Cour apprécie au cas par cas si les circonstances invoquées par une autorité supérieure pour rouvrir une procédure constituent des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental de la procédure précédente. La notion de « vice fondamental » au sens de l’article 4 § 2 du Protocole no 7 tend à indiquer que seule une violation grave d’une règle de procédure, qui porte une atteinte considérable à l’intégrité de la procédure précédente, peut servir de base à sa réouverture au détriment de l’accusé lorsque celui-ci a été acquitté d’une infraction ou sanctionné pour une infraction moins grave que celle prévue par la loi applicable. Par conséquent, dans de tels cas, la simple réévaluation des éléments du dossier par le procureur ou le tribunal de niveau supérieur ne peut pas remplir ce critère. Toutefois, en ce qui concerne les situations dans lesquelles un accusé a été déclaré coupable et où la réouverture de la procédure pourrait lui profiter, la Cour rappelle que le paragraphe 31 du rapport explicatif du Protocole no 7 (paragraphe 37 ci-dessus) met l’accent sur le fait que « cet article n’exclut pas une réouverture de la procédure en faveur du condamné ni tout autre changement du jugement au profit du condamné ». Dans une telle situation, la nature du vice devra donc d’abord et avant tout être évaluée en fonction du point de savoir s’il y a eu violation des droits de la défense, et donc entrave à la bonne administration de la justice. Enfin, dans tous les cas, les motifs qui justifient la réouverture d’une procédure doivent, selon le libellé de l’article 4 § 2 in fine du Protocole no 7, être de nature à « affecter le jugement intervenu », soit en faveur soit au détriment de la personne concernée (voir, en ce sens, le paragraphe 30 du rapport explicatif du Protocole no 7, cité au paragraphe 37 ci-dessus).
β. Considérations propres au cas d’espèce
134. Concernant les circonstances de l’affaire, la Cour note que l’ordonnance du parquet hiérarchiquement supérieur et la procédure subséquente portaient sur les mêmes accusations que celles à l’origine des poursuites pénales ayant donné lieu à l’ordonnance du 7 août 2008 et qu’elles visaient à contrôler le bien-fondé de celle-ci. L’ordonnance du parquet hiérarchiquement supérieur en date du 7 janvier 2009 a eu pour effet d’annuler intégralement l’ordonnance précédente du 7 août 2008. Cette annulation était nécessaire pour que le dossier pût être restitué au même parquet et afin que celui-ci poursuivît l’enquête et se conformât aux ordres donnés, à savoir ouvrir des poursuites pénales contre le requérant et ordonner son renvoi en jugement. À la suite des nouvelles poursuites pénales, le requérant a fait l’objet d’un procès à l’issue duquel une nouvelle et unique décision a statué sur les accusations pénales portées contre lui. Il s’agit donc en l’espèce d’un dispositif autorisant la réouverture des poursuites, ce qui peut être considéré comme un type particulier de réouverture du procès relevant de l’article 4 § 2 du Protocole no 7 (Nikitine, précité, § 46, et Fadine, précité, § 31).
135. Il ressort du texte de l’ordonnance du 7 janvier 2009 que la réouverture visait les mêmes faits que ceux sur lesquels portait l’ordonnance du 7 août 2008. Le procureur hiérarchiquement supérieur a pris sa décision sur la base du même dossier que le premier procureur, aucun nouvel élément de preuve n’ayant été produit et versé au dossier. La réouverture de la procédure n’était donc pas justifiée par l’apparition de faits nouveaux ou nouvellement révélés, ce qui d’ailleurs ne semble pas être contesté.
136. Par contre, le Gouvernement argue que la réouverture des poursuites pénales avait été justifiée par un vice fondamental dans la procédure précédente et était imposée par la nécessité d’assurer l’uniformisation de la pratique concernant l’appréciation de la gravité de certaines infractions (paragraphe 76 ci-dessus). Or, la Cour observe que cet aspect n’est pas mentionné dans le texte de l’ordonnance du 7 janvier 2009. La note du procureur général, bien postérieure aux faits, ne contenait pas d’indications claires sur la manière d’interpréter la disposition de l’article 181 du CP dans le contexte des infractions au code de la route. En tout état de cause, la raison invoquée par le Gouvernement – la nécessité d’uniformiser la pratique en la matière – n’est pas couverte par les circonstances exceptionnelles visées à l’article 4 § 2 du Protocole no 7, à savoir l’apparition de faits nouveaux ou nouvellement révélés ou la découverte d’un vice fondamental dans la procédure précédente.
137. Cependant, d’après le même texte de l’ordonnance du 7 janvier 2009, la réouverture des poursuites était justifiée en l’espèce par l’appréciation différente que le procureur hiérarchiquement supérieur avait livrée des circonstances de l’affaire, lesquelles selon ce dernier étaient susceptibles de conduire à la mise en cause de la responsabilité pénale, et non « administrative », du requérant. Le procureur hiérarchiquement supérieur avait également invoqué le caractère inadéquat de la sanction infligée. Une nouvelle appréciation de la gravité des faits reprochés au requérant et de la sanction imposée a été effectuée ; aucune nécessité de remédier à la méconnaissance d’une règle de procédure ou à une omission grave dans la procédure ou dans l’enquête menée par le premier parquet n’a été mentionnée. Or, comme indiqué plus haut, une nouvelle appréciation des faits à la lumière du droit applicable ne peut être assimilée à un vice fondamental de la procédure précédente (voir, pour des situations factuelles contraires, Fadine, précité, § 32, Bratyakin, décision précitée, et Goncharovy, décision précitée ; voir, mutatis mutandis, Savinski c. Ukraine, no 6965/02, § 25, 28 février 2006, et Bujniţa c. Moldova, no 36492/02, § 23, 16 janvier 2007).
138. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que les raisons avancées par le parquet hiérarchiquement supérieur pour justifier la réouverture du procès fondée sur l’ordonnance du 7 janvier 2009 ne cadrent pas avec les conditions strictes imposées par l’article 4 § 2 du Protocole no 7. Dès lors, la réouverture de la procédure n’était pas justifiée en l’espèce par l’exception prévue par cette disposition.
4. Conclusion générale
139. La Cour constate que le requérant a fait l’objet d’une condamnation fondée sur l’ordonnance du 7 août 2008 qui était devenue définitive au moment du déclenchement de nouvelles poursuites par l’ordonnance du 7 janvier 2009. Étant donné qu’aucun des cas permettant la coexistence ou la réouverture de procédures n’a été constaté en l’espèce, la Cour conclut que le requérant a été poursuivi une deuxième fois pour les mêmes faits, ce qui contrevient au principe ne bis in idem.
Partant, il y a eu en l’espèce violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
140. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
141. Dans sa demande de satisfaction équitable présentée devant la chambre, le requérant réclamait 15 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi. Le Gouvernement estimait qu’un éventuel constat de violation pouvait en lui-même représenter une réparation suffisante. À titre subsidiaire, il considérait que la somme sollicitée était spéculative et excessive.
142. À la suite du dessaisissement de la chambre en faveur de la Grande Chambre, afin d’éviter des renvois compliqués aux observations précédemment soumises à la chambre, les parties ont été invitées à présenter, avant le 14 juin 2018, de nouvelles observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. En outre, le requérant a été invité à déposer à nouveau, dans le même délai, sa demande de satisfaction équitable.
143. Dans ses observations du 14 juin 2018 adressées à la Grande Chambre, le requérant n’a pas formulé de demande spécifique au titre de la satisfaction équitable. À l’audience devant la Grande Chambre, son représentant a néanmoins conclu sa plaidoirie en demandant que fût « accord[ée] au requérant la satisfaction équitable demandée auparavant. »
144. Après ces indications, le Gouvernement n’a pas formulé de commentaires sur la question de la satisfaction équitable.
145. La Cour rappelle que l’article 41 l’habilite à accorder à la partie lésée, s’il y a lieu, la satisfaction qui lui semble appropriée (Karácsony et autres c. Hongrie [GC], no 42461/13 et 44357/13, § 179, 17 mai 2016, et Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, § 245, 19 décembre 2017).
146. Elle observe à cet égard qu’il ne fait aucun doute qu’une demande de satisfaction équitable a été dûment soumise à la chambre au cours de la procédure de communication, dans le délai requis (voir, a contrario, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 167, CEDH 2015, et Nagmetov c. Russie [GC], no 35589/08, § 62, 30 mars 2017). Elle note également que, si le requérant n’a pas présenté de nouvelle demande de satisfaction équitable dans le délai imparti dans le cadre de la procédure devant la Grande Chambre, il a par la suite renvoyé à la demande qu’il avait soumise à la chambre. Le Gouvernement, qui a eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet lors de l’audience, n’a formulé aucune objection.
147. Compte tenu de ce qui précède, la Cour juge qu’elle a en l’espèce été saisie d’une « demande » de satisfaction équitable.
148. La Cour estime à cet égard que le simple constat de violation n’est pas suffisant pour réparer le sentiment d’injustice et de frustration que le requérant a dû ressentir en raison de la réouverture des poursuites (voir, en ce sens, Johannesson et autres, précité, § 61). Compte tenu de la nature de la violation constatée, la Cour, statuant en équité, alloue au requérant 5 000 EUR pour préjudice moral.
B. Frais et dépens
149. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire pour la procédure devant la Grande Chambre, avait demandé devant la chambre 570 EUR pour les frais et dépens qu’il dit avoir engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.
150. Le Gouvernement a soutenu devant la chambre que les frais exposés devant les juridictions internes ne présentaient pas de lien de causalité avec la violation de la Convention alléguée par le requérant. Pour ce qui était des frais relatifs à la procédure devant la Cour, il considérait qu’ils n’étaient pas étayés par des documents pertinents.
151. La Cour observe que le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire pour ses frais et dépens exposés dans le cadre de la procédure conduite devant la Grande Chambre. Cela étant, compte tenu de la demande formulée devant la chambre et des documents dont elle dispose, de sa jurisprudence et du fait que le requérant a été contraint de se défendre au cours d’une procédure pénale entamée et rouverte en violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention (Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10 et 4 autres, § 244, 4 mars 2014), la Cour estime raisonnable la somme de 470 EUR tous frais confondus et l’accorde à l’intéressé.
C. Intérêts moratoires
152. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 470 EUR (quatre cent soixante-dix euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 8 juillet 2019.
Søren PrebensenGuido Raimondi
Adjoint au greffierPrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion concordante commune aux juges Raimondi, Nussberger, Sicilianos, Spano, Yudkivska, Motoc et Ravarani ;
– opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque ;
– opinion concordante du juge Serghides ;
– opinion concordante du juge Bošnjak, à laquelle se rallie le juge Serghides.
G.R.
S.C.P.
OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES RAIMONDI, NUSSBERGER, SICILIANOS, SPANO, YUDKIVSKA, MOTOC ET RAVARANI
Si nous avons voté, comme l’ensemble de nos estimés collègues, en faveur d’une violation de l’article 4 du Protocole no 7, nous ne pouvons en revanche souscrire à une partie du raisonnement qui sous-tend l’arrêt, en particulier aux paragraphes 110 et suivants.
1. Nécessité d’une décision « définitive » pour que le principe « ne bis in idem » soit applicable. Les paragraphes en question figurent sous le titre «β. Concernant le caractère « définitif » de l’ordonnance du parquet du 7 août 2008 ayant « condamné pénalement » le requérant » (paragraphes 102 et s.). Pour l’application du principe « ne bis in idem », il est en effet important d’identifier, eu égard au terme « bis », si une première décision est devenue définitive ; ce n’est en effet que dans ce cas qu’il peut y avoir répétition de la condamnation ou nouvelles poursuites. Dans le cas contraire, il n’y a que continuation ou réouverture de la même procédure et le principe « ne bis in idem » n’est alors ni concerné ni violé.
Le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole no 7 prévoit dans ce sens que, pour bénéficier de la règle en question, l’intéressé doit avoir été « acquitté ou condamné » par un jugement « définitif », et le paragraphe 102 de l’arrêt le mentionne expressément. L’arrêt souligne – à bon droit, étant donné que cela ressort du texte même de l’article 4 du Protocole no 7 – la manière dont le caractère définitif d’un jugement doit être identifié. S’il y a lieu de se référer à cet égard à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, la Cour ne tient pas automatiquement compte, dans le cadre de l’exercice de son contrôle, des qualifications du droit interne, et livre au contraire sa propre appréciation du caractère définitif d’une décision (paragraphe 103 in fine).
2. Critère du caractère ordinaire ou extraordinaire d’un recours. Il ressort de la jurisprudence de la Cour, et le paragraphe 103 de l’arrêt le mentionne de manière expresse, qu’une décision est définitive, au sens de la Convention et quelle que soit la qualification donnée en droit interne, après épuisement des voies de recours « ordinaires » ou après l’expiration du délai prévu par la loi interne pour les exercer. Cela étant dit, une procédure nouvelle tendant à remettre en question une décision définitive n’est pas en soi « illégale », au sens de contraire aux exigences de la Convention, mais elle est considérée comme extraordinaire. Et effectivement, suivant le paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole no 7, une décision même définitive peut encore être remise en question, mais à des conditions très précises et restrictives (à savoir si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu).
Par conséquent, tout le but des développements contenus aux paragraphes 102 et suivants consiste à déterminer si l’ordonnance qui fait l’objet de la requête dirigée contre la Roumanie est à considérer comme définitive ou non, ce qui revient à se demander si elle était susceptible de recours ordinaires ou extraordinaires.
On ne saurait assez insister, dans le contexte de ce qui va suivre, sur ce point : le fait qu’un recours soit qualifié d’extraordinaire ne le rend pour autant nullement « illégal ».
3. Introduction du critère erroné de la prévisibilité. Conséquence. Dès le paragraphe 111, l’arrêt introduit la notion de prévisibilité de l’application de la loi, renvoyant en particulier à l’arrêt de Grande Chambre A et B c. Norvège ([GC], nos 24130/11 et 29758/11, 15 novembre 2016)[1]. Au paragraphe 112, il va jusqu’à se référer à la notion de légalité en soulignant que celle-ci « impose des conditions d’accessibilité et de prévisibilité de la « loi », de même que la nécessité d’offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention ».
Ce raisonnement général, qui se poursuit aux paragraphes suivants, prépare le terrain à la conclusion spécifique qui sera celle des paragraphes 124-125, selon laquelle le dispositif prévu par le code de procédure pénale roumain n’était pas assez clair et prévisible pour constituer un recours ordinaire.
Or, selon cette approche, tous les arguments que l’arrêt fournit devraient conduire à conclure non pas au caractère extraordinaire du recours, mais à son caractère illégal. La conclusion logique du raisonnement tenu dans l’arrêt, en tant qu’il se fonde sur un problème de prévisibilité et de clarté, serait celle d’un constat de violation de l’article 6. Si la décision du parquet supérieur doit être considérée comme illégale car non respectueuse des exigences de sécurité juridique, alors le problème du requérant n’est pas qu’il a été jugé deux fois pour les mêmes faits, mais qu’il a été victime d’un procès inéquitable. Et pourtant, l’arrêt ne parvient pas à la conclusion qui se serait imposée dans la logique de l’introduction des critères de prévisibilité et de sécurité juridique, à savoir l’illégalité du recours prévu en faveur du procureur hiérarchiquement supérieur.
En un mot, l’introduction du critère de prévisibilité crée une confusion entre les notions d’extraordinaireté et d’illégalité[2].
4. Le cas de la révision. La révision en matière pénale constitue le cas type du recours extraordinaire. Si ses conditions d’exercice peuvent varier d’un pays à l’autre, il demeure en effet constant qu’elles donnent à ce type de recours un caractère extraordinaire, mais non pas illégal : en cas de circonstances nouvelles qui sont de nature à démontrer l’innocence du condamné, la procédure pénale peut être rouverte, et ce en l’absence d’un délai qui établirait une limite à la possibilité de réouverture (ou alors dans un délai dont le point de départ est la réunion des conditions d’application, et non la date de la décision initiale). L’existence de ce recours crée bien une forme d’imprévisibilité, au sens où nul ne peut prédire si et quand la décision « définitive » fera l’objet d’une révision, celle-ci pouvant intervenir après des décennies. Il règne de ce fait une espèce d’insécurité juridique, au sens où chacun sait que la décision initiale, quoique définitive, n’est pas immuable – la survenance ou la révélation de faits nouveaux pourra justifier sa remise en cause. Aussi ce recours n’est-il pas ordinaire : ces formes d’insécurité et l’imprévisibilité qu’il engendre justifient qu’il soit considéré comme extraordinaire. Mais elles n’entraînent pas son illégalité pour autant.
5. Deux types d’« insécurité ». Il faut donc en toute hypothèse distinguer deux types d’« insécurité » :
– l’insécurité non problématique créée par la possibilité, toujours présente en matière pénale, de réviser un jugement pourtant considéré comme définitif. Cette insécurité est liée à une imprévisibilité de facto, en ce sens que l’exercice du recours dans le cas d’espèce n’est pas prévisible. De ce type d’insécurité, on ne peut déduire ni le caractère non définitif dudit jugement, ni l’illégalité du recours (au sens de l’article 6 de la Convention), mais seulement le caractère extraordinaire du recours ;
– l’insécurité problématique créée par un manque de prévisibilité en raison de la défectuosité affectant la loi. L’imprévisibilité ici en cause est une imprévisibilité de lege, en ce sens que les conditions d’exercice du recours en général ne sont pas suffisamment précises. Ce type d’insécurité entraîne le caractère illégal du recours (au sens de l’article 6) mais non son caractère extraordinaire.
6. Le seul critère opérationnel : l’existence ou non d’un délai. En réalité, et le paragraphe 113 de l’arrêt le mentionne, il n’y a qu’un seul vrai critère (ou du moins un critère essentiel et dominant) pour identifier le caractère ordinaire ou extraordinaire d’un recours : l’existence ou non d’un délai dans lequel ce recours doit ou peut être exercé. Ce qui importe, et ce à quoi tend l’article 4 § 1 du Protocole no 7, c’est de définir ce qu’est un jugement définitif (l’article 4 § 1 du Protocole no 7 en parle expressément). Or un jugement est définitif s’il est coulé en force de chose jugée. Un jugement coule en force de chose jugée si les voies de recours ordinaires ont été exercées, ou si elles ne l’ont pas été et que le délai pour les exercer a expiré. Au contraire, une voie de recours, du fait même qu’elle n’est pas enfermée dans un délai, est à qualifier d’extraordinaire.
7. Conclusion : La conclusion était prévisible : ni la prévisibilité ni la sécurité juridique, qui est un aspect de la première, ne constituent un critère du caractère ordinaire ou extraordinaire d’un recours au sens de l’article 4 du Protocole no 7. En revanche, le fait que le recours ouvert au procureur dans le cas présent ne soit pas assorti d’un délai suffit à établir son caractère extraordinaire et, partant, la nature « définitive » de la décision qui demeurait susceptible de ce recours. C’est, selon nous, sur la base de ce raisonnement que le présent arrêt aurait dû conclure, comme il le fait par d’autres voies, à la violation du principe non bis in idem – conclusion que par ailleurs nous partageons pleinement.
OPINION CONCORDANTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
(Traduction)
Introduction (paragraphes 1-2)
Première partie – Sur l’autorité de la chose jugée des décisions du parquet (paragraphes 3-34)
1. En droit roumain (paragraphes 3-8)
2. En droit comparé (paragraphes 10-19)
3. En droit de l’Union européenne (paragraphes 20-34)
Deuxième partie – Encore la logique absurde de A et B c. Norvège (paragraphes 35-39)
1. Jóhannesson et autres : confirmation des pires craintes (paragraphes 35-36)
2. L’illusion d’une répétition des poursuites dans la présente espèce (paragraphes 37-39)
Troisième partie – La dualité de Mihalache (paragraphes 40-54)
1. Un arrêt libéral (paragraphes 40-43)
a. L’interprétation large du terme « autorité compétente » pour acquitter ou condamner (paragraphes 40-41)
b. L’interprétation étroite de la possibilité de rouvrir la procédure contra reum (paragraphes 42-43)
2. Un arrêt illibéral (paragraphes 44-53)
a. La teneur limitée de l’« appréciation du fond » (paragraphes 44-51)
b. L’imprécise « finalité » de la décision (paragraphes 52-53)
Conclusion (paragraphes 54-55)
Introduction (paragraphes 1-2)
1. Je souscris au constat selon lequel il y a eu violation de l’article 4 du Protocole additionnel no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, mais non à l’essentiel du raisonnement tenu par la Grande Chambre. Je regrette que la Cour ait manqué l’occasion de définir les notions d’« acquittement » et de « condamnation » aux fins du Protocole no 7, de manière à déterminer l’étendue du principe ne bis in idem lorsqu’il est appliqué aux décisions d’abandon des poursuites et d’établir les limites du pouvoir des procureurs de rouvrir des poursuites qui ont été abandonnées. Cette omission est particulièrement grave dans le contexte des choix contemporains de politique pénale en faveur de solutions de remplacement aux poursuites (par exemple une transaction pénale, une médiation, un avertissement ou une mise en garde, ou encore l’imposition de conditions)[3], comme celle qui a donné lieu à la présente affaire. Toutefois, ce n’est pas là que réside ma principale critique sur ce curieux arrêt. C’est en effet pour une autre raison que cet arrêt sera tristement notoire.
2. Bien que l’arrêt ait été rendu à l’unanimité, la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») est profondément divisée sur le raisonnement. En fait, seule une minorité de juges (« la minorité ») a adopté le raisonnement tenu dans l’arrêt de la Grande Chambre. Il est significatif que pas moins de dix juges soient mécontents de ce raisonnement et aient rédigé des opinions séparées, critiquant des parties cruciales de l’argumentation sur laquelle repose l’arrêt. Cette curieuse situation, d’une part, amène de l’eau au moulin de ceux qui critiquent la « cuisine interne » désordonnée selon laquelle se préparent certains arrêts de Grande Chambre, et, d’autre part, mérite l’attention de l’ensemble de la Cour.
Première partie – Sur l’autorité de la chose jugée des décisions du parquet (paragraphes 3-34)
1. En droit roumain (paragraphes 3-8)
3. En droit roumain, l’autorité de la chose jugée n’est attachée qu’aux décisions judiciaires qui tranchent une affaire au fond. En effet, l’article 22 du code de procédure pénale dispose que « [la] décision définitive de la juridiction pénale bénéficie de l’autorité de la chose jugée devant la juridiction civile qui juge l’action civile, pour ce qui est de l’existence des faits, de la personne qui les a commis et de la culpabilité de celle-ci ». Par contre, une ordonnance du parquet n’a pas un tel effet et ne peut pas être invoquée à cette fin. Bien qu’aucune disposition du droit interne ne définisse expressément l’autorité de la chose jugée dans les affaires pénales, il ressort de la jurisprudence constante que seuls les jugements rendus par des tribunaux, et non les décisions prises par le parquet avant que l’affaire ne soit portée devant un tribunal – par exemple une ordonnance abandonnant les poursuites et infligeant une amende administrative – peuvent avoir l’autorité de la chose jugée[4].
4. Les articles 416, 4161 et 417 du code de procédure pénale tel qu’en vigueur à l’époque des faits énuméraient les circonstances dans lesquelles des jugements rendus en première instance, en appel ou après un pourvoi en cassation devenaient définitifs, c’est-à-dire, de manière générale, après que l’ensemble des recours ordinaires avaient été épuisés ou après l’expiration du délai prévu pour les exercer si les parties ne s’en étaient pas prévalues. L’exécution volontaire d’un jugement par la personne concernée n’était pas mentionnée parmi les circonstances rendant le jugement définitif.
5. En Roumanie, une ordonnance par laquelle le parquet décide de ne pas poursuivre une personne ou de ne pas examiner une affaire ne peut être considérée comme définitive que si un tribunal la confirme dans le cadre de la procédure régie par l’article 2781 du code de procédure pénale (article 340 du nouveau code de procédure pénale). La confirmation par un tribunal n’est pas automatique mais elle doit faire suite à une plainte de la partie lésée ou de l’accusé. Il faut toutefois souligner que la confirmation de l’ordonnance par le tribunal peut uniquement concerner les circonstances qui ont été portées à l’attention du tribunal. Si des éléments de preuve nouveaux ou jusqu’alors inconnus apparaissent, le parquet peut ordonner la réouverture de la procédure pénale sans se trouver entravé par le fait que l’ordonnance initiale a été contrôlée par un tribunal[5].
6. Selon les articles 270 et 273 du code de procédure pénale tel qu’en vigueur à l’époque des faits, la réouverture d’une procédure pénale pouvait être ordonnée si, postérieurement à une décision d’abandon des poursuites, il était établi que le motif sur lequel reposait la décision antérieure n’avait en fait pas existé, ou n’existait plus. Cette possibilité de rouvrir la procédure était offerte au parquet hiérarchiquement supérieur, agissant d’office ou à la demande des parties intéressées. La partie contre laquelle la procédure avait été engagée ou toute autre partie (par exemple la partie lésée) ne pouvaient pas former de recours ordinaire ; en revanche, elles pouvaient contester la décision du parquet au moyen d’une plainte adressée au procureur en chef, et par la suite au tribunal compétent (articles 2491, 275, 278 et 2781 du code de procédure pénale tel qu’en vigueur à l’époque des faits).
7. Selon la jurisprudence de la Cour, la décision d’un procureur d’abandonner les poursuites ne constitue pas une décision définitive, du fait que le droit interne donne au parquet hiérarchiquement supérieur la possibilité de rouvrir la procédure. Ayant examiné une affaire de durée de procédure, la Cour a déclaré ce qui suit : « l’ordonnance de non-lieu adoptée par le procureur N.O. le 11 novembre 1997 ne peut passer pour avoir mis un terme aux poursuites dirigées contre les requérants dès lors qu’elle ne constituait pas une décision interne définitive (...). Force est de constater, à cet égard, que le parquet disposait, en vertu de l’article 270 du code de procédure pénale, du pouvoir d’annuler une ordonnance de non-lieu et de rouvrir une enquête pénale sans être tenu par aucun délai ».[6]
8. Dans une autre affaire, la Cour s’est prononcée ainsi : « Quant à l’ordonnance de non-lieu du 16 août 1994, la Cour estime que le requérant ne saurait s’en prévaloir pour alléguer la clôture définitive des poursuites, car, étant susceptible d’être infirmée par le procureur hiérarchiquement supérieur, elle n’avait pas force de chose jugée »[7]. La mesure de détention imposée au requérant était une mesure de sûreté telle que celles prévues à l’article 112 du code pénal, sous le titre « Mesures de sûreté », avec pour but d’écarter un danger potentiel et de prévenir la commission d’autres actes visés par le droit pénal ; elle se distinguait des sanctions pénales, lesquelles étaient définies dans une autre partie, à l’article 53 du code pénal. Des mesures de sûreté étaient toutefois imposées à des individus qui avaient commis un acte réprimé par le droit pénal (article 111 § 2 du code pénal). Pour appliquer une telle mesure, le parquet examinait les circonstances de l’affaire, établissait que la personne concernée avait commis des actes réprimés par le droit pénal et proposait au tribunal la mesure la plus appropriée pour rétablir l’ordre dans la société.
9. Les affaires Horciag et Mihalache sont donc relativement similaires[8] : dans chacune d’entre elles, le procureur compétent pour intervenir selon le droit interne a examiné les circonstances factuelles propres à l’espèce et a exprimé un avis sur la mesure la plus appropriée qu’il convenait d’imposer au requérant. En outre, dans les deux affaires, les mêmes dispositions du droit interne – les articles 270 et 273 du code de procédure pénale – permettaient au parquet hiérarchiquement supérieur de rouvrir la procédure. Ces considérations nous amènent à deux conclusions : premièrement, le présent arrêt s’écarte discrètement de la jurisprudence de la Cour telle qu’elle ressort de l’affaire Horciag susmentionnée[9] ; deuxièmement, l’interprétation selon laquelle on peut considérer en l’espèce que toute action publique était définitivement éteinte en raison de l’ordonnance du parquet en date du 7 août 2008 n’est pas compatible avec le droit interne pris dans son ensemble[10].
Si la Cour s’était penchée sur la « finalité » d’une décision uniquement « conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État »[11] en question, cela aurait réglé l’affaire en faveur de l’État défendeur. Mais telle n’est pas l’option retenue par la Cour dans le présent arrêt, qui attribue au terme « définitif » figurant à l’article 4 § 1 du Protocole no 7 un sens autonome sur le terrain de la Convention et donne à la Cour la compétence pour statuer en conséquence sur le caractère ordinaire ou extraordinaire du recours prévu par les articles 270 et 273 du code de procédure pénale.
2. En droit comparé (paragraphes 10-19)
10. La minorité se réfère à plusieurs reprises aux « différentes notions du droit national »[12] et finalement affirme la nécessité de déterminer quelle est la décision définitive dans une affaire donnée « sur la base de critères objectifs »[13]. Pourtant, aucun effort n’est fait pour analyser le droit interne des Parties contractantes à la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »)[14]. Une telle étude de droit comparé aurait éclairé la discussion sur les pouvoirs des procureurs dans les enquêtes pénales, notamment les pouvoirs de clore et de rouvrir celles-ci, et sur l’interaction entre ces pouvoirs et la garantie du ne bis in idem. C’est ce que je propose de faire ensuite.
11. Dans 32 États européens, les codes de procédure pénale dressent la liste des motifs pour lesquels un procureur peut décider d’abandonner des poursuites pénales. Ces États membres sont les suivants : l’Albanie[15], l’Allemagne[16], l’Arménie[17], l’Autriche[18], l’Azerbaïdjan[19], la Belgique[20], la Bosnie-Herzégovine[21], la Croatie[22], l’Espagne[23], l’Estonie[24], la Fédération de Russie[25], la Finlande[26], la France[27], la Géorgie[28], la Hongrie[29], la Lettonie[30], le Liechtenstein[31], la Lituanie[32], le Luxembourg[33], la Macédoine du Nord[34], la Moldova[35], le Monténégro[36], la Norvège[37], la Pologne[38], le Portugal[39], la République tchèque[40], Saint-Marin[41], la Serbie[42], la Slovaquie[43], la Slovénie[44], la Suisse[45] et l’Ukraine[46]. Les raisons les plus fréquemment avancées par le parquet à l’appui d’une décision d’abandon des poursuites pénales relèvent de deux grandes catégories. Dans les systèmes de poursuites obligatoires, ces raisons sont les suivantes : absence d’éléments constitutifs d’une infraction (32 États), défaut de preuves (28 États), prescription (21 États), amnistie ou immunité (17 États), absence de responsabilité pénale ou âge de la responsabilité pénale non atteint (17 États), existence d’une décision judiciaire définitive ayant statué sur le même acte (13 États), décès du suspect (13 États), absence de plainte de la victime (10 États). Dans les systèmes fondés sur le principe d’opportunité des poursuites, les motifs exposés sont ceux-ci : défaut de gravité suffisante (10 États), fait que l’accusé est déjà mis en cause pour plusieurs infractions (plus graves) (7 États) et, enfin, absence d’intérêt public (6 États). Dans 5 États[47], aucun motif spécifique n’est mentionné dans les CPP mais en pratique les raisons sont similaires.
12. Concernant la décision d’arrêt des poursuites fondée sur une proposition de l’organe ayant effectué l’enquête préliminaire, dans 23 États[48] le parquet prend la décision d’arrêter les poursuites de manière indépendante mais l’organe ayant réalisé l’enquête préliminaire peut formuler des propositions. Dans 8 États[49], l’organe d’enquête pénale peut prendre la décision lui-même, avec ou sans l’approbation du parquet. Dans 3 États[50] enfin, le parquet prend la décision de manière indépendante et l’organe ayant effectué l’enquête préliminaire ne peut pas faire de propositions.
13. Dans 26 États[51], une décision d’abandon des poursuites peut être contestée au moyen d’un recours hiérarchique et d’un contrôle juridictionnel. Dans 5 États membres[52], il n’y a pas de système hiérarchique et donc pas de possibilité de recours hiérarchique en cas de décision d’abandon des poursuites. Une décision d’arrêt des poursuites rendue par un procureur peut toutefois être contestée par le biais d’un contrôle juridictionnel. Dans 4 autres États[53], bien qu’il existe un système hiérarchique, pareille décision peut uniquement être contestée au moyen d’un contrôle juridictionnel. Dans 3 États membres[54] enfin, il ne peut y avoir de contrôle juridictionnel d’une décision d’arrêt des poursuites, mais uniquement un contrôle hiérarchique.
14. Dans la plupart des États membres (28 États[55]), la victime peut contester la décision d’abandon des poursuites. Dans 14 États[56], le suspect peut lui aussi contester la décision. Dans 15 États[57], la décision d’abandon des poursuites peut être contestée par les « parties intéressées ». Dans 4 États, cette possibilité existe également pour la personne qui a rapporté l’infraction[58].
15. Quant à une annulation ultérieure de la décision d’abandon des poursuites à l’initiative du parquet hiérarchiquement supérieur, elle est impossible dans 16 États[59]. Dans 17 autres États[60], une annulation ultérieure décidée d’office par le parquet hiérarchiquement supérieur est possible, et ce sans être assortie d’un délai[61]. Enfin, dans 6 États[62], certains délais s’appliquent à une annulation ultérieure décidée d’office par le parquet hiérarchiquement supérieur (trois mois / six mois / un an).
16. Concernant les motifs d’annulation ultérieure d’une décision d’arrêt des poursuites intervenant à l’initiative du parquet hiérarchiquement supérieur, la situation est la suivante : dans 21 États[63], le principal motif est l’existence de nouvelles preuves ou circonstances, dans 13 États[64] le contrôle de la légalité/du bien-fondé, et dans 4 États [65] un avis différent sur le droit ou les faits. Enfin, dans 2 États seulement (l’Allemagne et la Suède), aucun motif n’est nécessaire mais le principe de la prééminence du droit doit être respecté.
17. Ce qui précède montre clairement l’existence d’un consensus européen favorable à la limitation du pouvoir discrétionnaire des procureurs dans la résolution des affaires pénales, y compris pour ce qui concerne les raisons qu’ils peuvent invoquer. Les systèmes reposant sur le principe d’opportunité des poursuites sont manifestement minoritaires, et l’absence d’intérêt général peut rarement justifier l’abandon d’une enquête pénale par le procureur. Dans la grande majorité des États, le procureur prend la décision d’abandonner les poursuites sur la base de propositions présentées par l’organe qui a effectué l’enquête préliminaire. Dans la plupart des États, une décision d’abandon des poursuites peut être contestée au moyen à la fois d’un recours hiérarchique et d’un contrôle juridictionnel. Si le pouvoir du parquet hiérarchiquement supérieur de contrôler d’office ces décisions est protégé dans la plupart des États, il est considérablement limité par les contraintes temporelles et matérielles.
18. Ce consensus européen est renforcé par la soft law du Conseil de l’Europe, notamment la Recommandation Rec(2000)19 sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale[66], l’Avis no 12 (2009) du Conseil consultatif de juges européens (CCJE), l’Avis no 4 (2009) du Conseil consultatif de procureurs européens (CCPE) à l’attention du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur les relations entre les juges et les procureurs dans une société démocratique[67], et l’Avis no 9 (2014) du CCPE à l’attention du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur les normes et principes européens concernant les procureurs[68].
19. Ayant ignoré ces documents de droit comparé et de soft law, la minorité n’a pas bénéficié d’une vision claire des pouvoirs du parquet dans les enquêtes pénales en Europe et de la manière dont ceux-ci s’articulent avec la garantie ne bis in idem. En revanche, la minorité ne néglige pas le droit de l’Union européenne ; toutefois, elle livre une analyse incomplète de la jurisprudence pertinente et en tire des conclusions hâtives.
3. En droit de l’Union européenne (paragraphes 20-34)
20. La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’ordonnance du parquet en date du 7 août 2008 s’analyse en une décision « définitive » ayant rendu applicable l’article 4 du Protocole no 7. Cette question n’est pas nouvelle ; elle a déjà été soulevée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La CJUE examine le principe ne bis in idem sous l’angle de l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte ») et de l’article 54 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen (« la CAAS »), lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, et compte tenu de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention[69].
21. Le principe ne bis in idem est considéré comme étant l’un des principes généraux du droit de l’Union européenne. Développé par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), devenue par la suite la CJUE, ce principe a été consacré à l’article 50 de la Charte[70]. Cependant, nombre d’affaires portées devant la CJUE concernent la CAAS. Le principe ne bis in idem est énoncé à l’article 54 de la CAAS.
22. L’analyse de la jurisprudence relative à l’article 54 de la CAAS et à l’article 50 de la Charte fait ressortir trois critères qui doivent tous être remplis pour qu’une décision puisse être considérée comme « définitive » : l’action publique doit être « définitivement éteinte » à la suite de la décision ; celle-ci doit avoir été précédée par une « instruction approfondie » ; enfin, elle doit reposer sur une appréciation du fond de l’affaire. En outre, un quatrième critère est posé dans les affaires de condamnation : la sanction doit avoir été « subie », être « en cours d’exécution » ou « [ne plus pouvoir] être exécutée ».
23. La CJUE recherche avant tout si la décision en question constitue une « (...) décision émanant d’une autorité appelée à participer à l’administration de la justice pénale dans l’ordre juridique national concerné »[71]. Cette notion recouvre non seulement les arrêts, mais également les décisions du parquet et de la police. En effet, la CJCE a déclaré que « [l]e fait qu’aucune juridiction n’intervient dans le cadre d’une telle procédure et que la décision prise à l’issue de celle-ci ne prend pas la forme d’un jugement n’est pas de nature à infirmer cette interprétation » ; autrement dit, cela n’empêche pas l’application du principe ne bis in idem[72]. L’argument décisif de la CJCE réside dans l’objet de l’article 54 de la CAAS. L’arrêt Hüseyin Gözütok et Klaus Brügge indique ce qui suit :
« (...) [L]’article 54 de la CAAS, qui a pour objectif d’éviter qu’une personne, par le fait d’exercer son droit de libre circulation, ne soit poursuivie pour les mêmes faits sur le territoire de plusieurs États membres, ne peut utilement contribuer à la réalisation complète de cet objectif que s’il est également applicable à des décisions mettant définitivement fin aux poursuites pénales dans un État membre, bien qu’elles soient adoptées sans l’intervention d’une juridiction et ne prennent pas la forme d’un jugement. » [73]
24. Les décisions que la CJUE a prises en compte dans l’examen de l’application du principe ne bis in idem sont les suivantes :
une décision du ministère public de mettre fin aux poursuites pénales après que le prévenu a satisfait à certaines obligations (dans le cadre par exemple d’une médiation ou d’autres formes de transaction pénale)[74] ;
une condamnation par contumace qui n’a jamais été imposée à la personne condamnée[75] ;
la décision prise par une autorité de police, à un stade préalable à l’incrimination de la personne concernée, de suspendre les poursuites pénales[76] ;
une décision de non-lieu fondée sur le constat qu’il n’y a pas de motif de renvoyer l’affaire à une juridiction de jugement en raison de preuves insuffisantes, rendue par la chambre d’instruction d’un tribunal[77] ;
une décision du parquet mettant fin à la procédure pénale visant l’inculpé, en l’absence de charges suffisantes[78].
25. Pour qu’une décision soit définitive, l’action publique doit être « définitivement éteinte ». L’arrêt rendu dans l’affaire Vladimir Turanský, qui concernait une décision de la police ayant suspendu la procédure pénale, a consolidé ce principe :
« Il ressort des termes mêmes de l’article 54 de la CAAS qu’aucune personne ne peut être poursuivie dans un État contractant pour les mêmes faits que ceux pour lesquels elle a déjà été « définitivement jugée » dans un premier État contractant. S’agissant de la notion de « définitivement jugée », la Cour a d’ores et déjà déclaré (...) que, lorsque, à la suite d’une procédure pénale, l’action publique est définitivement éteinte, la personne concernée doit être considérée comme ayant été « définitivement jugée », au sens de l’article 54 de la CAAS, pour les faits qui lui sont reprochés. (...) Il s’ensuit que, en principe, une décision doit, afin de pouvoir être qualifiée de jugement définitif au sens de l’article 54 de la CAAS, mettre fin aux poursuites pénales et éteindre l’action publique d’une manière définitive. Afin d’apprécier si une décision est « définitive » au sens de l’article 54 de la CAAS, il convient à titre liminaire de vérifier (...) que le droit national de l’État contractant dont les autorités ont pris la décision en cause considère celle-ci comme étant définitive et obligatoire, et de s’assurer qu’elle donne lieu, dans cet État, à la protection conférée par le principe ne bis in idem. »[79]
26. En outre, pour qu’une décision soit définitive, une « instruction approfondie » doit avoir été menée préalablement par l’autorité qui rend la décision. Pour justifier ce critère, la CJUE tient compte du but de l’article 54 de la CAAS, qui doit être lu à la lumière de l’article 3 § 2 du Traité sur l’Union européenne. Elle met donc en balance la libre circulation des personnes et la nécessité de prévenir et de combattre les infractions. Ce principe est exposé dans l’arrêt Kossowski, précité :
« Dès lors, l’interprétation du caractère définitif, au sens de l’article 54 de la CAAS, d’une décision pénale d’un État membre, doit se faire à la lumière non seulement de la nécessité de garantir la libre circulation des personnes mais aussi de celle de promouvoir la prévention de la criminalité et de lutter contre ce phénomène, au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. »[80]
27. Selon la jurisprudence de la CJUE, le défaut d’audition de la victime ou d’un éventuel témoin constitue un indice de l’absence d’une instruction approfondie[81]. La CJUE relie souvent ce critère avec celui d’un examen du fond de l’affaire, car le défaut d’instruction approfondie empêche un examen approprié du fond. La différence entre ces deux critères semble résider dans le fait que l’enquête pénale concerne la phase antérieure au procès, tandis que l’examen au fond – bien qu’il s’agisse également d’un critère procédural – concerne davantage le traitement de l’affaire postérieurement à l’enquête.
28. Dans l’arrêt Miraglia[82], la CJCE a expressément demandé un examen du fond de l’affaire :
« Or, une décision judiciaire (...) qui a été prononcée après que le ministère public a décidé de ne pas poursuivre l’action publique au seul motif que des poursuites pénales ont été engagées dans un autre État membre à l’encontre du même prévenu et pour les mêmes faits sans qu’aucune appréciation n’ait été portée sur le fond, ne saurait constituer une décision jugeant définitivement cette personne au sens de l’article 54 de la CAAS. »[83]
Pour justifier l’application de ce critère, la CJCE a souligné le but de l’article 54, qui ne doit pas avoir pour effet
« (...) de rendre plus difficile, voire de faire obstacle à toute possibilité concrète de sanctionner dans les États membres concernés le comportement illicite reproché au prévenu. »[84]
Elle a ajouté que, si ce critère n’était pas appliqué,
« l’ouverture d’une procédure pénale dans un autre État membre pour les mêmes faits serait compromise alors même que ce serait l’engagement de telles poursuites qui aurait justifié la renonciation à l’action publique par le ministère public du premier État membre. » [85]
29. De plus, dans son arrêt Van Straaten, la CJCE a décidé qu’un acquittement fondé sur l’insuffisance des preuves reposait sur l’examen du fond de l’affaire[86]. Dans l’arrêt M., la CJUE a par ailleurs déclaré ceci :
« qu’une ordonnance de non-lieu prononcée à la suite d’une instruction au cours de laquelle ont été rassemblés et examinés divers moyens de preuve doit être considérée comme ayant fait l’objet d’une appréciation portée sur le fond, au sens de l’arrêt Miraglia (EU:C:2005:156), dans la mesure où elle comporte une décision définitive sur le caractère insuffisant de ces preuves et exclut toute possibilité que l’affaire soit rouverte sur la base du même faisceau d’indices. »[87]
30. L’article 54 de la CAAS indique que, lorsque tous les critères sont remplis, le principe ne bis in idem est applicable :
« à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation. »
Dans l’arrêt Spasic[88], la CJUE a déclaré que cette condition additionnelle était compatible avec l’article 50 de la Charte. De plus, la CJUE a décidé que la notion de sanction « subie » appelait une interprétation autonome et uniforme dans le cadre du droit de l’Union européenne[89]. Elle a ainsi déclaré ce qui suit :
« (...) le seul paiement de l’amende pénale infligée à une personne condamnée par la même décision d’une juridiction d’un autre État membre à une peine privative de liberté qui n’a pas été mise à exécution ne permet pas de considérer que la sanction a été subie ou est en cours d’exécution au sens de cette disposition. »[90]
31. Cette condition additionnelle de l’exécution ne s’applique donc que lorsqu’une sanction a été infligée. L’arrêt Kossowski dit que la mention d’une sanction ne saurait être interprétée comme soumettant l’applicabilité de l’article 54 de la CAAS – en dehors de l’hypothèse d’une condamnation – à une condition additionnelle[91]. De même, dans l’arrêt Bourquain, la CJUE a constaté le caractère définitif du jugement litigieux rendu par défaut, sans aucune référence à une sanction ou à l’exécution de celle-ci. Concernant la condition additionnelle posée à l’article 54 de la CAAS, la CJUE a décidé que même si le jugement n’avait jamais été exécuté, en raison de particularités procédurales au sein de l’État contractant en question, il n’aurait plus pu être exécuté au moment du déclenchement de la deuxième procédure. Dès lors, le principe ne bis in idem était applicable.
32. D’un autre côté, la CJUE a admis qu’une peine avec sursis était « en cours d’exécution » et qu’elle devait être considérée comme « ayant été subie » une fois passée la période de mise à l’épreuve[92]. Se conformant aux termes précis de l’article 54 de la CAAS, la CJUE a décidé que cette condition n’exigeait pas que la sanction eût été exécutée directement. Dans l’arrêt Bourquain, elle a constaté que cette condition était remplie :
« (...) quand il est constaté que, au moment où la seconde procédure pénale est entamée contre la même personne pour les mêmes faits que ceux ayant abouti à une condamnation dans le premier État contractant, la sanction infligée dans ce premier État ne peut plus être exécutée selon les lois de cet État. »[93]
33. La Cour de Strasbourg a déclaré que la différence entre le droit de l’UE et la Convention réside dans le fait que celle-ci « ne fait pas obstacle à ce qu’une personne soit poursuivie ou punie pénalement par les juridictions d’un État partie à la Convention en raison d’une infraction pour laquelle elle avait été acquittée ou condamnée par un jugement définitif dans un autre État partie »[94]. Eu égard à la logique intrinsèque du droit de l’UE, on peut dire que les deux cours ont suivi des raisonnements différents par le passé. Contrairement à la Cour de Strasbourg[95], la CJUE s’est appuyée sur les objectifs que sont la libre circulation des personnes, la confiance mutuelle et les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, même si dans ses arrêts plus récents – en particulier ceux rendus sur le terrain de l’article 50 de la Charte – elle mentionne également la protection des droits fondamentaux de la personne concernée. Selon le principe de la liberté de circulation, les citoyens européens ne doivent pas avoir à craindre de poursuites pour la même infraction après une décision définitive lorsqu’ils se déplacent au sein de la zone Schengen. À cette fin, la CJUE a cherché à préserver un équilibre entre la nécessité de garantir la libre circulation des personnes et celle de promouvoir la prévention de la criminalité et de lutter contre ce phénomène, au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, c’est-à-dire la prévention de l’impunité. L’article 54 de la CAAS ne doit donc pas avoir pour effet « de rendre plus difficile, voire de faire obstacle à toute possibilité concrète de sanctionner dans les États membres concernés le comportement illicite reproché au prévenu »[96] (arrêts Miraglia et Van Straaten, précités).
34. En conclusion, il existait une importante divergence entre les deux cours s’agissant d’apprécier le caractère « définitif » d’une décision. Cette divergence tenait au rôle spécifique de la CJUE comme gardien non seulement des droits fondamentaux consacrés par la Charte mais aussi de la liberté de circulation des personnes et de la nécessité concurrente de prévenir l’impunité. Dans le présent arrêt, l’approche punitive renforcée de la Cour de Luxembourg est utilisée par la Cour de Strasbourg comme source de légitimation de sa jurisprudence inspirée de A et B c. Norvège et tournée vers l’efficacité sur le principe ne bis in idem – jurisprudence qui a abandonné sa philosophie classique pro persona au profit d’une posture strictement pro auctoritate[97].
Deuxième partie – Encore la logique absurde de A et B c. Norvège (paragraphes 35-39)
1. Jóhannesson et autres : confirmation des pires craintes (paragraphes 35-36)
35. La minorité réaffirme le critère employé dans A et B c. Norvège, à savoir un « lien matériel et temporel suffisamment étroit »[98]. J’ai exprimé mon avis sur ce critère dans d’autres circonstances[99]. Hélas, la jurisprudence plus récente n’a fait que confirmer mes pires craintes. Dans Jóhannesson et autres[100], la Cour a constaté que même si les deux procédures en cause, pénale et fiscale, visaient des buts complémentaires en ce qu’elles concernaient le non-respect par les contribuables des obligations légales en matière de déclarations fiscales, il n’y avait pas de lien suffisamment étroit entre elles, du fait qu’« elles ne [s’étaient] recoupées que pendant une durée limitée et en raison du caractère largement indépendant de la collecte et de l’appréciation des preuves »[101]. Tout en appliquant le critère prétendument décisif de la proportionnalité, la Cour a dit dans cette affaire que la Cour suprême avait condamné les requérants à des peines avec sursis de 12 mois et de 18 mois respectivement et au paiement d’amendes et que, en fixant le montant de celles-ci, la haute juridiction avait tenu compte de la durée excessive des procédures ainsi que des majorations d’impôt qui avaient déjà été infligées aux requérants, bien qu’elle n’eût pas fourni de détails sur les calculs effectués à cet égard. Pour fixer la durée de la peine d’emprisonnement, la Cour suprême n’avait pris en considération que la durée excessive de la procédure. La Cour a néanmoins conclu que, dès lors que les majorations avaient été déduites des amendes, les sanctions déjà imposées dans le cadre de la procédure fiscale avaient été suffisamment prises en compte dans la fixation de la peine lors de la procédure pénale.
36. Je ne parviens pas à comprendre que la chambre ait négligé son propre constat crucial quant au fond, selon lequel les sanctions appliquées dans le cadre des procédures pénale et fiscale étaient globalement proportionnées, et qu’elle ait accordé plus de poids à des circonstances moins importantes et strictement procédurales, à savoir le fait que les procédures « ne [s’étaient] recoupées que pendant une durée limitée et [le] caractère largement indépendant de la collecte et de l’appréciation des preuves ». À supposer même que ces circonstances procédurales aient effectivement influé sur la conduite des deux procédures – ce que la chambre aurait pu vérifier mais n’a pas vérifié –, lesdites circonstances de toute façon n’avaient pas compromis le dénouement proportionné des deux procédures, toujours selon la chambre. En conséquence, le constat que les requérants ont subi un préjudice disproportionné pour avoir été jugés et punis deux fois pour la même conduite ou pour des conduites substantiellement identiques, par des autorités distinctes, dans le cadre de deux procédures différentes insuffisamment liées entre elles, résulte plus d’un caprice des juges que d’une approche de principe[102].
2. L’illusion d’une répétition des poursuites dans la présente espèce (paragraphes 37-39)
37. La présente espèce montre une fois de plus à quel point le critère employé dans l’affaire A et B c. Norvège est artificiel. Il est vrai que la minorité reconnaît que « [l]es procédures et les deux sanctions infligées au requérant poursuivaient la même finalité générale consistant à dissuader un comportement dangereux pour la sécurité routière »[103]. Elle admet également que « [l]a « première » procédure dans son intégralité et la partie initiale de la « deuxième » procédure ont été conduites par la même autorité, (...) et [que] dans les « deux » procédures les mêmes preuves ont été produites »[104].
38. Malgré tous les « éléments »[105] susmentionnés qui indiquent l’absence de répétition des poursuites suivant le critère appliqué dans A et B c. Norvège, la minorité conclut à l’existence d’une telle répétition. Deux motifs sont avancés à l’appui de cette conclusion ; aucun des deux ne me convainc. Le premier consiste à dire qu’« [i]l n’y a pas eu en l’espèce combinaison des deux sanctions infligées au requérant »[106]. Cet argument n’est pas valable, pour la simple raison que le parquet a ordonné le remboursement de l’amende payée par le requérant en application de l’ordonnance du 7 août 2008[107] et que l’intéressé n’avait pas demandé ce remboursement[108]. En toute logique, il ne pouvait y avoir aucune combinaison puisque l’État a reconnu le caractère inapproprié de la sanction administrative et a mis le montant déjà versé à la disposition de la personne qui s’était vu infliger l’amende[109].
39. La minorité ajoute un second argument, indiquant que « [l]es « deux » procédures se sont succédé dans le temps et [qu’]à aucun moment elles n’ont été menées simultanément »[110]. Le caractère manifestement artificiel de cet argument est mis en relief par les guillemets dont la minorité elle‑même encadre le terme « deux ». Pire, la minorité n’applique même pas le critère issu de l’affaire A et B c. Norvège concernant le lien temporel étroit[111]. Si elle l’avait fait, il lui aurait fallu conclure à l’existence d’un lien temporel étroit entre l’ordonnance du parquet en date du 7 août 2008 et celle du parquet hiérarchiquement supérieur en date du 7 janvier 2009[112]. La regrettable influence de A et B c. Norvège ne s’arrête pas ici, comme nous le montrerons ci-dessous.
Troisième partie – La dualité de Mihalache (paragraphes 40-54)
1. Un arrêt libéral (paragraphes 40-43)
a. L’interprétation large du terme « autorité compétente » pour acquitter ou condamner (paragraphes 40-41)
40. La minorité prétend donner une « interprétation large »[113] des notions d’« acquittement » et de « condamnation » figurant dans la version anglaise du Protocole no 7, laquelle ne contient pas le mot « jugement » comme la version française. Partant de là, la minorité va jusqu’à constater que la seule exigence formelle de la garantie ne bis in idem est que la décision définitive (« finally acquitted or convicted » en anglais) émane d’« une autorité appelée à participer à l’administration de la justice »[114]. Ainsi, une décision d’arrêt des poursuites prise par le parquet et imposant une sanction administrative peut être assimilée à une « condamnation » aux fins de l’article 4 du Protocole no 7. Cette « application « à titre préventif » du principe non bis in idem »[115] représente la valeur ajoutée du présent arrêt, ainsi qu’un progrès en faveur de la protection de l’accusé dans une procédure pénale.
41. En somme, la minorité nuance et restreint la portée du principe énoncé par la Cour dans Marguš c. Croatie[116] selon lequel « l’abandon de poursuites pénales par un procureur n’équiva[ut] ni à une condamnation ni à un acquittement et (...) en conséquence l’article 4 du Protocole no 7 ne trouv[e] pas application dans cette situation »[117].
b. L’interprétation étroite de la possibilité de rouvrir la procédure contra reum (paragraphes 42-43)
42. La minorité interprète les conditions de réouverture d’une procédure telles qu’énoncées à l’article 4 § 2 du Protocole no 7 (l’apparition de faits nouveaux ou nouvellement révélés ou la découverte d’un vice fondamental dans la procédure précédente qui sont de nature à affecter le jugement intervenu) en s’appuyant sur le rapport explicatif[118].
43. La première condition concerne les nouveaux éléments de preuve relatifs à des faits qui existaient déjà, ou à des faits nouveaux. La seconde condition est conceptualisée de manière plus étroite : « seule une violation grave d’une règle de procédure, qui porte une atteinte considérable à l’intégrité de la procédure précédente, peut servir de base à sa réouverture au détriment de l’accusé lorsque celui-ci a été acquitté d’une infraction ou sanctionné pour une infraction moins grave que celle prévue par la loi applicable »[119]. Il est correct de conclure qu’une simple réévaluation des éléments du dossier par le parquet ou la juridiction supérieure ne remplit pas ce critère. De même, la réouverture d’une procédure ne peut pas être décidée aux fins de standardiser la pratique relative à l’appréciation de la gravité de certaines infractions.
2. Un arrêt illibéral (paragraphes 44-53)
a. La teneur limitée de l’« appréciation du fond » (paragraphes 44-51)
44. Au contraire, cet arrêt présente une base théorique fragile pour les notions d’acquittement et de condamnation contenues dans le Protocole no 7. En fait, les paragraphes 96 à 98 constituent la partie la plus décevante de l’arrêt. La minorité ne propose pas de définition de l’acquittement ou de la condamnation et ne s’étend pas non plus sur les caractéristiques de ces deux notions. Si elle conclut finalement que l’ordonnance du parquet en date du 7 août 2008 était une « condamnation » aux fins de l’article 4 du Protocole no 7[120], elle parvient à cette conclusion sur la base d’une démarche casuistique, comme si elle naviguait à vue. Autrement dit, la Cour est en pleine mer, sans compas.
45. La seule tentative de la minorité pour proposer une définition est ainsi formulée : « [les] mots « acquitté ou condamné » implique[nt] qu’il y ait eu établissement de la responsabilité « pénale » de l’accusé à l’issue d’une appréciation des circonstances de l’affaire, en d’autres termes qu’il y ait eu une appréciation du fond de l’affaire »[121]. L’« appréciation du fond de l’affaire », qui est au cœur de la façon dont la minorité conçoit l’« acquittement » et la « condamnation », est traitée de façon douteuse dans le crucial paragraphe 98 de l’arrêt.
46. Premièrement, les « éléments »[122] qui permettent cette « appréciation du fond » sont présentés comme des caractéristiques probables de la notion (« susceptibles de conduire »[123]), ce qui signifie qu’il ne s’agit pas de conditions nécessaires, sine qua non. Autrement dit, la présence de ces « éléments » ne signifie pas qu’il y a nécessairement « appréciation du fond » (et donc acquittement ou condamnation). À l’inverse, il peut y avoir « appréciation du fond » (et donc acquittement ou condamnation) même lorsque ces éléments ne sont pas présents. La minorité ne précise pas dans quelles circonstances cela peut se produire.
47. Deuxièmement, la minorité présente l’« élément » selon lequel « la victime a été interrogée » comme étant susceptible de conduire au constat qu’il y a eu « appréciation du fond »[124]. Pareille corrélation est tout simplement dénuée de fondement. Il peut y avoir « appréciation du fond » de l’affaire sans que la victime ait été interrogée. En conséquence, le principe ne bis in idem ne dépend pas de l’éventualité d’un interrogatoire de la victime. Cette corrélation « importe » la regrettable jurisprudence Kossowski[125] (citée au paragraphe 43 de l’arrêt) sans prendre en compte les particularités de la jurisprudence de la CJCE sur le principe ne bis in idem. Sur le plan du droit, la minorité ne tient pas compte du fait que la jurisprudence de la CJUE s’inscrit dans un contexte qui est déterminé par « la nécessité de garantir la libre circulation des personnes » et axé sur la nécessité « de promouvoir la prévention de la criminalité et de lutter contre ce phénomène, au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice »[126]. Ce dernier but est sans rapport, et même en contradiction, avec les buts du principe de droit international coutumier ne bis in idem, dans sa forme qu’est le principe d’épuisement de la procédure (Erledigungsprinzip)[127]. Un « cercle vicieux » constitué de précédents douteux se multipliant sous l’effet d’encouragements mutuels s’est instauré récemment lorsque l’arrêt A et B c. Norvège a influé sur Menci[128]. C’est maintenant au tour de l’arrêt Kossowski – avec d’autres – de laisser son empreinte sur le présent arrêt de la Cour.
48. Troisièmement, la minorité mentionne la circonstance que « des preuves ont été rassemblées et examinées par l’autorité compétente ». Cet élément fait écho à la jurisprudence Miraglia, en ce que cet arrêt exige une « appréciation sur le fond »[129] afin que soit satisfaite l’exigence d’un « jugement définitif » posée à l’article 54 de la CAAS. Dans l’affaire Miraglia, la décision d’abandon des poursuites ne contenait aucune « appréciation du comportement illicite reproché au prévenu »[130].
49. La minorité, cependant, ne tient pas compte des nombreux cas dans lesquels une « décision définitive » jouit de l’autorité de la chose jugée sans que des preuves aient été rassemblées et examinées au préalable, comme une décision mettant fin à une procédure en raison du décès du suspect ou de l’accusé, de la dissolution de la société soupçonnée ou accusée, de l’expiration du délai de prescription, de l’application d’une amnistie ou d’une grâce, ou encore du retrait de la plainte en cas de poursuites privées. Comme décidé dans l’affaire Gasparini[131], une décision d’acquittement rendue en raison de la prescription du délit ayant donné lieu aux poursuites n’examine pas les preuves mais mérite néanmoins la protection du principe ne bis in idem. Le problème, dans l’approche de la Grande Chambre, réside dans son postulat selon lequel « le constat qu’il y a eu une appréciation des circonstances de l’affaire et de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé peut être conforté par l’état d’avancement d’une procédure dans une affaire donnée »[132]. Ce postulat est doublement erroné lorsqu’on le met en rapport avec l’appréciation du fond de l’affaire et le ne bis in idem. S’il faut retenir quelque chose de deux cents ans d’histoire européenne, c’est que la garantie du principe ne bis in idem ne dépend pas de la quantité et de la qualité des éléments de preuve rassemblés ou examinés[133]. Une approche qui ramènerait la garantie ne bis in idem à une notion casuistique et facile à manier, tributaire du caractère approfondi ou non de l’enquête, n’offrirait aucune sécurité juridique. En outre, elle profiterait le plus souvent aux autorités de poursuite et d’enquête lorsque celles-ci, pour une raison ou pour une autre, n’ont pas effectué une enquête approfondie. Ce bénéfice serait particulièrement inacceptable dans les cas où l’absence d’enquête approfondie serait imputable à ces autorités.
50. En quatrième lieu, la minorité renvoie au facteur selon lequel « une décision motivée s’appuyant sur ces preuves a été rendue »[134]. C’est une évidence de dire que l’obligation de motiver les décisions en matière pénale n’a rien à voir avec l’interdiction du bis in idem. La confusion entre les deux principes est tout simplement inacceptable, car l’autorité de la chose jugée concerne le factuel idem et non les « raisons » à partir desquelles les éléments de preuve sont appréciés.
51. Pour finir, la minorité identifie cet autre facteur : « [l]orsqu’une sanction a été prononcée par l’autorité compétente comme conséquence du comportement imputé à l’intéressé »[135]. Elle nuance ensuite cette affirmation en ajoutant que la sanction doit être « à caractère dissuasif et répressif »[136]. Contrairement à l’article 54 de la CAAS[137], la minorité n’exige pas que la sanction ait été exécutée ou ait commencé à être exécutée pour que soit déclenchée l’applicabilité de la garantie ne bis in idem. La raison en est, là encore, que l’autorité de la chose jugée qui s’attache à une condamnation et la garantie ne bis in idem qui en résulte ne peuvent pas dépendre de la circonstance aléatoire qu’est l’exécution de la sanction ou sa non-exécution, laquelle est si souvent due à une faute de l’État et non de la personne condamnée.
b. L’imprécise « finalité » de la décision (paragraphes 52-53)
52. La minorité déclare à juste titre qu’une « décision définitive » aux fins de l’article 4 du Protocole no 7 est une notion autonome[138] et qu’elle dépend du point de savoir « si elle était susceptible de voies de recours ordinaires ou si les parties ont laissé expirer les délais sans exercer ces recours », selon la Convention européenne sur la valeur internationale des jugements répressifs et les paragraphes 22 et 29 de son rapport explicatif[139]. Cette notion claire de « finalité » suffirait pour amener à la conclusion que l’ordonnance du 7 août 2008 était devenue définitive, au sens autonome de la Convention, à l’expiration du délai indiqué à l’article 2491 du code de procédure pénale tel qu’en vigueur à l’époque pertinente.
53. Hélas, la minorité ne s’arrête pas là dans son analyse de la notion de « décision définitive ». Elle rappelle le critère qui se dégage de A et B c. Norvège, à savoir la « prévisibilité de l’application de la loi » comme « condition enclenchant l’application de la protection prévue »[140] par l’article 4 du Protocole no 7. Cette argumentation est une démonstration éclatante de l’unité symbiotique entre une pensée juridique erronée et une pratique arbitraire. La relation qui est faite entre la prévisibilité de la loi et la garantie ne bis in idem contredit la définition claire et objective de la notion de « finalité » donnée par la Convention européenne sur la valeur internationale des jugements répressifs et adoptée dans la jurisprudence de la Cour[141], qui repose sur l’expiration du délai imparti pour l’exercice des recours ordinaires. Pire, à cette contradiction s’ajoute le fait que la prévisibilité de la loi est comprise par la minorité de manière subjective, c’est-à-dire comme la prévisibilité de la loi pour le prévenu lui-même (« était accessible au requérant »[142]). Il est stupéfiant de constater qu’une atténuation de la notion de « finalité » est opérée au moyen d’une référence formulée subjectivement à la « prévisibilité de l’application de la loi », et ce, de manière assez contradictoire, alors que la minorité reconnaît la nécessité de disposer de « critères objectifs »[143] pour pouvoir déterminer quelle est la décision « définitive » dans une affaire donnée.
Conclusion (paragraphes 54-55)
54. Mihalache est un arrêt faible. Non seulement parce qu’il expose une motivation à laquelle seule une minorité des juges de la Grande Chambre a souscrit, mais aussi et surtout parce qu’il véhicule un message confus et déconcertant, qui d’un côté prétend exposer une interprétation large et libérale de la portée des décisions qui constituent une « condamnation » au sens de l’article 4 du Protocole no 7 et qui, de l’autre, met en avant une interprétation restrictive et illibérale inspirée de A et B c. Norvège, et axée sur l’efficacité, de la notion de « décision définitive » aux mêmes fins. Le critère de l’« appréciation du fond » adopté par la minorité ne vise pas à entraver toute possibilité concrète de sanctionner deux fois le comportement illicite reproché au prévenu. Au contraire, il est destiné à maximiser la répression par l’État, même lorsque le parquet est fautif pour n’avoir pas mené une enquête effective. Cette stratégie répressive est le résultat d’une absorption précipitée et acritique de la jurisprudence de Luxembourg relative à l’article 54 de la CAAS, en particulier la jurisprudence Kossowski.
55. La dualité du présent arrêt ressort de manière patente du contraste (et de la contradiction) entre la notion large d’« autorité appelée à participer à l’administration de la justice », qui inclut les procureurs[144], et la notion étroite d’« appréciation du fond »[145], qui exclut les enquêtes peu approfondies. On peut observer la même contradiction entre la notion étroite de « vice fondamental de la procédure » justifiant la réouverture[146] et la notion imprécise de « décision définitive », qui dépend du critère appliqué dans A et B c. Norvège, à savoir la « prévisibilité de l’application de la loi dans son ensemble »[147], quelle qu’en soit la signification.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE SERGHIDES
(Traduction)
« Intervention d’une juridiction » (article 4 du Protocole no 7) à la lumière du principe d’effectivité
1. J’aimerais par cette opinion concordante souligner l’extrême importance que revêt le principe d’effectivité ou de protection effective des droits de l’homme (ci-après « le principe ») lorsqu’il s’agit de déterminer si l’« intervention d’une juridiction » est nécessaire aux fins de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après « la Convention »), eu égard au décalage existant sur ce point entre les versions française et anglaise de cette disposition : la version française tient pour nécessaire l’intervention d’une juridiction, ce qui n’est pas le cas de la version anglaise.
2. L’arrêt (paragraphe 95) répond par la négative à la question évoquée ci-dessus, suivant ainsi la version anglaise de l’article 4 du Protocole no 7 : « pour que l’on se trouve en présence d’une décision, l’intervention d’une juridiction n’est pas nécessaire ». Je souscris sans réserve à ce point de vue.
3. Cependant, le principe, qui est intrinsèque à toutes les dispositions de la Convention, joue un rôle fondamental dans celle-ci ; ce n’est pas un hasard si son nom, son rôle et sa fonction sont identiques à l’objet et au but essentiels de la Convention, à savoir la protection effective des droits de l’homme. De plus, le principe est le seul qui soit identique de par sa nature au rôle et à la mission de la Cour, qui consistent à protéger de manière effective les droits de l’homme. En conséquence, la Cour ne peut souligner adéquatement l’énorme importance du principe si elle ne se réfère pas à celui-ci nommément (c’est-à-dire en le nommant) et directement en examinant la question ci-dessus, ainsi qu’elle l’a fait par exemple dans Mamatkoulov et Askarov c. Turquie[148]. Le principe ne pourrait être considéré comme jouissant d’un crédit ou d’une valeur suffisants si on ne le nommait pas, alors que l’on désigne par un nom les autres principes de la Convention.
4. Or la Cour, au paragraphe 91 de son arrêt en l’espèce, ne se réfère au principe que de manière indirecte et implicite[149], et aux paragraphes 92, 94 et 95 de l’arrêt elle renvoie à ce que je considère comme des aspects ou des exigences ou des capacités du principe.
5. Pour interpréter et appliquer les dispositions de la Convention, la Cour fait généralement les choix interprétatifs suivants – comme elle le fait d’une certaine façon en l’espèce (paragraphes 92, 94-95 de l’arrêt) –, qui à mon humble avis constituent des exigences ou des aspects ou des capacités du principe[150] : une interprétation large qui privilégie l’essence du droit et qui est favorable au justiciable, une interprétation qui réconcilie les deux différentes versions de la disposition conventionnelle en question à la lumière de son objet et de son but, et une interprétation qui prend la Convention comme un tout et aboutit à une harmonisation interne et externe des dispositions de la Convention. Toutes ces options, qui peuvent sembler être des règles d’interprétation, sont interconnectées et intégrées l’une à l’autre dans le cadre plus général du principe, qui a sur elles un effet d’harmonisation et de contrôle. Ainsi, le fonctionnement et le rôle de ces règles d’interprétation sont mieux compris et gagnent en importance si l’on peut les considérer comme des aspects ou des exigences ou des capacités du principe qui relèvent du cadre général fourni par celui-ci, donc de « la protection effective des droits de l’homme ».
6. Je suis fermement convaincu qu’un juge doit constamment et simultanément garder à l’esprit, dans l’interprétation et l’application d’une disposition de la Convention, ce que je considère comme un « tout » et les « parties » d’un tout : le « tout » désigne le principe qui est la base, le substrat sur lequel repose le système de la Convention et qui indique le but et objet essentiel de la disposition de la Convention ; les « parties » du tout sont ses différents aspects, ou exigences ou capacités, dont certains sont évoqués ci-dessus. Cette approche, que j’estime complète et holistique, contribue à éviter que l’attention du juge soit détournée d’une part de la nécessité de protéger le noyau dur du droit, et d’autre part des questions centrales qui l’entourent. Cette approche aide également le juge à offrir au justiciable une protection concrète et effective, et non théorique ou illusoire, de ses droits fondamentaux. Telle est l’approche que je propose aussi pour la présente espèce.
7. À mon humble avis, le raisonnement de la Cour en l’espèce serait plus clair, solide, cohérent et convaincant s’il était replacé dans le contexte du principe qui nous intéresse ainsi que du principe de bonne foi. Si je mentionne également le principe de bonne foi, c’est parce qu’il s’agit d’un important élément d’interprétation, selon l’article 31 § 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (CVDT), qui recoupe le principe d’effectivité[151].
8. L’approche holistique adoptée dans mon opinion et guidée par le principe se trouve aussi confortée, a fortiori, par ce qui est dit au paragraphe 91 de l’arrêt, à savoir : « les principes d’interprétation autonome et d’interprétation évolutive ainsi que celui de la marge d’appréciation (...) appellent à comprendre et appliquer les dispositions de la Convention et de ses Protocoles d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives, et non théoriques et illusoires » (c’est ce que, dans la note de bas de page no 2 de la présente opinion, je qualifiée de formulation indirecte et non nominative du principe). Ainsi, si la mise en œuvre de ces autres principes de la Convention peut être placée dans le contexte du principe qui nous intéresse et du but et objet essentiel de la Convention, cela doit s’appliquer à plus forte raison à ce que je considère dans cette opinion comme étant des aspects ou des exigences ou des capacités du principe.
9. Comme l’article 31 § 1, l’article 33 de la CVDT renvoie au but et à l’objet du traité concerné. De plus, à l’instar du premier, qui repose sur l’idée que tous les éléments d’interprétation contenus dans ce traité doivent être conciliés et considérés comme un tout[152], l’article 33 § 4 de la CVDT est basé sur l’idée que, pour l’interprétation de traités authentifiés en deux ou plusieurs langues, « on adoptera le sens qui, compte tenu de l’objet et du but du traité, concilie le mieux ces textes ». Cette disposition, qui est pertinente en l’espèce, repose aussi à mon sens sur le principe d’effectivité. Plus précisément, elle représente un aspect ou une exigence ou une capacité du principe. On peut dire que c’est cette capacité d’harmonisation du principe qui permet au choix visé à l’article 33 § 4 d’aller dans la bonne direction, ce qu’elle fait à mes yeux dans la présente affaire en montrant une préférence pour la version anglaise de l’article 4 du Protocole no 7 comme étant celle qui cadre avec l’objet et le but de cette disposition.
10. L’analyse qui précède, opérée dans le cadre plus général du principe, renforce ma conviction que la Cour était fondée en l’espèce à décider que l’intervention d’une juridiction n’est pas nécessaire aux fins de l’article 4 du Protocole no 7.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE BOŠNJAK, À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE SERGHIDES
(Traduction)
1. J’estime comme mes collègues qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention. Dans cette opinion concordante, j’aimerais soulever deux points particuliers. Le premier n’a pas été traité par la Grande Chambre, et sur le second mon avis diffère légèrement de celui de la majorité des autres juges de la formation.
2. Premièrement, j’ai perçu la présente affaire comme une occasion pour la Cour de fournir des indications relativement au modèle consensuel qui se dégage actuellement des procédures pénales, dans lequel le dénouement de l’affaire est déterminé par les parties, le cas échéant sans l’intervention d’une juridiction. Le premier acte de cette affaire au niveau interne peut être considéré comme un exemple (peut-être pas le plus représentatif) de ce modèle consensuel, dans lequel, d’un côté, le procureur a décidé d’abandonner les poursuites contre le requérant et lui a infligé à la place une sanction administrative, tandis que, de l’autre côté, le requérant a renoncé à contester cette décision d’arrêt des poursuites et a versé l’amende ainsi que les frais de justice imposés (paragraphes 13-15 de l’arrêt). De telles « résolutions alternatives des différends » existent en abondance dans les procédures pénales d’aujourd’hui. Leur fonction première consiste à clore définitivement une affaire pénale. L’effet de cette clôture doit, de par sa nature même, être assimilé à l’effet qui s’attache à la décision d’un tribunal statuant sur une accusation pénale. Il serait illogique de permettre qu’une procédure pénale précédemment clôturée sur le fondement d’une transaction/d’un règlement entre le procureur et le suspect, ou d’une médiation victime-délinquant, puisse être « rouverte » en vertu du pouvoir discrétionnaire unilatéral d’un procureur qui aurait décidé que la teneur de la résolution initiale était inadéquate pour une raison ou pour une autre.
3. Les résolutions alternatives des différends en matière pénale ont été examinées il y a longtemps par notre Cour, notamment dans le contexte de la renonciation au droit d’accès à un tribunal (Deweer c. Belgique, 27 février 1980, série A no 35). La Cour a reconnu les indéniables avantages de ces modes de résolution pour la personne concernée ainsi que pour l’administration de la justice. Elle a donc conclu qu’ils n’étaient en principe pas contraires à la Convention. S’il est estimé qu’une partie a le droit de renoncer au droit d’accès à un tribunal en choisissant le règlement ou une autre forme de résolution alternative d’un différend en matière pénale, alors il est temps à mon avis d’attribuer à ces règlements de facto l’effet « ne bis in idem ».
4. Maintes fois, la Cour a déclaré que la Convention est un instrument vivant (voir, parmi beaucoup d’autres, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, CEDH 1999‑V, et Rantsev c. Chypre et Russie, no 25965/04, CEDH 2010 (extraits)), et a donc adopté une interprétation autonome de telle ou telle disposition. En conséquence, j’estime qu’il y aurait lieu d’assimiler le dénouement d’un mode alternatif et consensuel de résolution d’un différend – comme le règlement, la transaction et le compromis dans les affaires pénales – à un acquittement ou à une condamnation par un jugement définitif, au sens de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.
5. Dans la présente espèce, la Grande Chambre n’a pas traité cette question. C’est pourquoi j’estime nécessaire de souligner que la deuxième phrase du paragraphe 99 de l’arrêt (qui dit que l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention n’est pas applicable à une simple ordonnance d’abandon des poursuites) doit être interprétée sans préjudice des modes alternatifs de résolution des différends en matière pénale. Si ces résolutions débouchent souvent sur des ordonnances d’abandon des poursuites, ces décisions relatives aux poursuites sont souvent subordonnées à un acte particulier que doit accomplir le suspect/l’accusé (par exemple effectuer un remboursement ou une indemnisation pour le dommage causé par l’infraction, accomplir des travaux d’intérêt général, opérer des versements de différentes sortes, ou encore suivre un traitement ou une formation). Pareille ordonnance d’arrêt des poursuites ne peut donc pas être qualifiée de « simple ordonnance d’abandon des poursuites », selon les termes employés au paragraphe 99 de l’arrêt. En d’autres termes, il reste à la Cour à déterminer si les résolutions alternatives des différends en matière pénale ont une incidence sur l’interprétation de la notion d’acquittement ou de condamnation par un jugement définitif et sur l’applicabilité consécutive de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.
6. L’autre question que je tiens à soulever dans cette opinion concordante est la manière dont la majorité interprète la notion de « recours ». L’arrêt assimile l’annulation de la première ordonnance par le parquet hiérarchiquement supérieur (paragraphe 16 de l’arrêt) à un recours ayant visé à contester la sanction infligée au requérant par cette première ordonnance du parquet (voir, par exemple, les paragraphes 124 et 134 de l’arrêt). Avec tout le respect que je dois à mes collègues, je ne puis souscrire à ce point de vue. En particulier, je ne pense pas que l’annulation par le parquet hiérarchiquement supérieur de la première ordonnance puisse passer pour un recours.
7. Il existe de nombreuses définitions du terme « recours » ; dans le cadre de la présente affaire ou de la procédure pénale en général, un recours en justice désigne normalement une voie de droit qui permet à une partie à une procédure de contester une décision ou un jugement qu’elle tient pour irrégulier ou injuste. Cela ne semble pas correspondre à la situation dans la présente espèce. La partie à la première procédure, à savoir le parquet, a décidé de manière unilatérale d’annuler sa propre ordonnance d’abandon des poursuites. La nature de cette annulation n’était pas celle d’une contestation de la première ordonnance devant le tribunal ou devant une quelconque autre autorité. Que le parquet ait ensuite formulé devant le tribunal des accusations contre le requérant qui reposaient sur les mêmes faits ne permet pas non plus de considérer qu’il s’agissait de contester la première ordonnance. Contrairement à ce qui est affirmé aux paragraphes 124 et 134 de l’arrêt, le procès du requérant devant le tribunal de première instance de Focşani ne visait pas à contrôler le bien-fondé de l’ordonnance initiale d’abandon des poursuites mais à trancher la question du bien-fondé des accusations portées ultérieurement contre le requérant.
8. J’ai donc tendance à penser que le seul recours qui était possible contre la première ordonnance était celui prévu à l’article 249-1 du code de procédure pénale (paragraphe 34 de l’arrêt). Lors de l’expiration du délai associé à ce recours, la décision d’abandonner les poursuites est devenue définitive. L’appréciation du point de savoir si l’annulation subséquente, par le parquet hiérarchiquement supérieur, doit être tenue pour un recours « ordinaire » ou « extraordinaire » me semble relativement superflue, tout comme la discussion relative à sa prévisibilité, aux délais et à une éventuelle inégalité entre les parties.
* * *
[1]. Il est vrai que l’arrêt introduit le critère de prévisibilité au paragraphe 111, se référant à l’arrêt de Grande Chambre A. et B. c. Norvège. L’affaire Mihalache relève cependant d’une tout autre problématique que celle, acceptée, de la combinaison entre procédure pénale et procédure administrative ou de leur cumul : à l’origine de cette affaire, il y a une procédure pénale unique, interrompue puis reprise, sans aucun cumul, mais une substitution de la sanction pénale à la sanction administrative.
[2]. On notera que le caractère déséquilibré des conditions d’exercice du recours n’est pas un critère adéquat non plus. En effet, l’arrêt mentionne encore l’écart entre les délais dont disposaient les parties (vingt jours pour le requérant, aucun délai pour le parquet), cet écart ayant « créé entre les pouvoirs des parties dans l’exercice dudit recours un déséquilibre important de nature à mettre le requérant dans une position d’insécurité juridique » (paragraphe 124 in fine). Il ne semble cependant pas pertinent d’introduire cette notion de déséquilibre, et ce pour deux raisons :
– d’une part, il est vrai que le requérant ne pouvait pas être fixé définitivement sur son sort tant que le recours pouvait être exercé par le parquet. Mais cela vaut pour tous les recours non assortis de délais et le paragraphe 124, tel qu’il est formulé, donne l’impression que le recours du ministère public était non pas extraordinaire, mais illégal ;
– d’autre part, en allant plus loin on peut se demander si le déséquilibre dans l’accessibilité d’un recours est un critère qui permet de qualifier ce recours d’extraordinaire. On peut bien imaginer que, pour un certain recours – et c’est ou c’était le cas dans un certain nombre de pays –, le condamné dispose d’un délai d’une certaine durée pour relever appel et le ministère public d’un délai plus long, voire beaucoup plus long (combiné à l’impossibilité pour le condamné d’interjeter appel incident). Cela entraîne peut-être l’illégalité de ce recours, mais certainement pas son caractère extraordinaire (voir Ben Naceur c. France, no 63879/00, §§ 34-40, 3 octobre 2006).
[3]. Voir, parmi d’autres sources, Conseil consultatif de procureurs européens (CCPE), Avis n° 2 (2008) sur les mesures alternatives aux poursuites ; Avis n° 9 (2014) sur les normes et principes européens concernant les procureurs, XVII, note explicative, §§ 28-32 ; et 21 Principles for the 21st Century Prosecutor, Brennan Center for Justice, 2018, p. 4 : « Des programmes bien conçus qui éloignent les individus de la prison, ou globalement du système de justice, permettent de préserver les ressources, de diminuer la récidive et de réduire les dommages collatéraux des poursuites pénales » [traduction du greffe].
[4]. Voir, par exemple, l’arrêt no 1898 rendu le 16 mars 2012 par la Haute Cour de cassation et de justice, et l’arrêt no 314/R rendu le 24 février 2009 par le tribunal de Vâlcea.
[5]. Depuis le 1er février 2014, toute décision de rouvrir une procédure pénale doit être contrôlée par une instance judiciaire. Le procureur doit faire approuver par un tribunal l’ordonnance de réouverture de la procédure dans le délai de trois jours à partir de l’adoption de la décision, sous peine de nullité (article 335 (4) du nouveau code de procédure pénale).
[6]. Stoianova et Nedelcu c. Roumanie (nos 77517/01 et 77722/01, § 21, CEDH 2005‑VIII).
[7]. Horciag c. Roumanie (déc.), no 70982/01, 15 mars 2005.
[8]. Contrairement à ce que présupposent les paragraphes 96 et 107 de l’arrêt.
[9]. Contrairement à l’avis exprimé au paragraphe 106 de l’arrêt.
[10]. C’est pourquoi la minorité déploie tant d’efforts pour affirmer que le caractère définitif d’une décision dans une affaire donnée ne dépend pas exclusivement du droit interne (paragraphes 104-108 et 126 de l’arrêt).
[11]. Article 4 § 1 du Protocole no 7.
[12]. Paragraphe 108 de l’arrêt.
[13]. Paragraphe 116 de l’arrêt.
[14]. Notons que dans A et B c. Norvège ([GC], nos 24130/11 et 29758/11, 15 novembre 2016) la Cour a également négligé les informations de droit comparé et que, dans Sergueï Zolotoukhine c. Russie ([GC], no 14939/03, CEDH 2009), elle ne s’est référée qu’à la règle relative à la double incrimination découlant du cinquième amendement à la Constitution des États-Unis d’Amérique. Certes, l’article 4 du Protocole no 7 est une disposition non susceptible de dérogation et il n’y a donc pas pour les Parties contractantes à la Convention de marge d’appréciation fondée sur le défaut de consensus européen sur les questions relatives au principe ne bis in idem (voir mon opinion dans A et B c. Norvège, précité, § 22) ; mais cela ne signifie pas qu’il faille totalement faire fi, comme dans la présente espèce, des données de droit comparé sur la situation juridique existant au sein des Parties contractantes.
[15]. Article 290 du CPP.
[16]. Articles 153-154f et 170(2) du CPP.
[17]. Article 35 du CPP.
[18]. Articles 190-192 du CPP.
[19]. Article 39 du CPP.
[20]. Article 28 quater (1) combiné avec l’annexe 1 de la circulaire no COL 12/98.
[21]. Article 224(1) du CPP.
[22]. Article 206(1) du CPP.
[23]. Articles 637 et 641 du CPP.
[24]. Article 199 du CPP.
[25]. Articles 25-28 du CPP.
[26]. Article 6 du CPP.
[27]. Article 40 du CPP.
[28]. Article 105 du CPP.
[29]. Article 398 du CPP.
[30]. Articles 377 et 379 du CPP.
[31]. Article 158(2) du CPP.
[32]. Article 212 du CPP.
[33]. Il n’y a pas d’article présentant les raisons ; c’est le principe d’« opportunité des poursuites » qui guide le parquet dans l’adoption de sa décision.
[34]. Article 304 du CPP.
[35]. Article 275 du CPP.
[36]. Article 294 du CPP.
[37]. Article 224 du CPP notamment.
[38]. Article 17(1) du CPP.
[39]. Article 277 du CPP.
[40]. Articles 171-173 du CPP.
[41]. Article 135 du CPP.
[42]. Article 284 du CPP.
[43]. Articles 215, 216 et 218 du CPP.
[44]. Article 161 du CPP.
[45]. Articles 310 et 319 du CPP.
[46]. Article 284 du CPP.
[47]. Irlande, Monaco, Pays-Bas, Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles) et Suède.
[48]. Il s’agit des États suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Croatie, Espagne, Fédération de Russie, Finlande, France, Géorgie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Monaco, Monténégro, Norvège, Pays-Bas, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles), Saint-Marin, Slovaquie, Slovénie et Suisse.
[49]. Arménie, Azerbaïdjan, Estonie, Hongrie, Irlande, Moldova, Pologne et Suède.
[50]. Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord et Serbie.
[51]. Allemagne, Albanie, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Moldova, Monténégro, Pologne, Portugal, République tchèque, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse et Ukraine.
[52]. Irlande, Liechtenstein, Monaco, Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles) et Saint-Marin.
[53]. Espagne, Fédération de Russie, Pays-Bas et Turquie.
[54]. Belgique, Macédoine du Nord et Norvège.
[55]. Allemagne, Autriche, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Hongrie, Irlande, Lituanie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Moldova, Monténégro, Norvège, Pologne, Portugal, Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles), Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Turquie et Ukraine.
[56]. Finlande, Géorgie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Moldova, Monténégro, Norvège, Pologne, République tchèque, Saint-Marin, Slovaquie, Suède et Ukraine.
[57]. Albanie, Arménie, Bosnie-Herzégovine, Fédération de Russie, Finlande, France, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Moldova, Monaco, Norvège, Pays-Bas (la partie directement intéressée), Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles) et Suisse.
[58]. Bosnie-Herzégovine, France, Lituanie (dans certains cas) et Pologne.
[59]. Albanie, Autriche, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Espagne, France, Irlande, Liechtenstein, Lituanie, Macédoine du Nord, Monaco, Monténégro, Pays-Bas, Saint-Marin et Serbie.
[60]. Allemagne, Arménie, Belgique (uniquement s’il y a de nouveaux éléments de preuve), Estonie, Finlande, Géorgie, Hongrie, Lettonie, Luxembourg, Moldova, Norvège (si personne n’a été inculpé auparavant), Pologne (uniquement s’il y a de nouveaux éléments de preuve), Portugal, Slovénie (uniquement de manière très exceptionnelle), Suède, Turquie et Ukraine.
[61]. Le seul obstacle étant la prescription de la responsabilité pénale pour l’acte en cause.
[62]. Fédération de Russie, Norvège, Pologne, République tchèque, Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles) et Slovaquie.
[63]. Arménie, Belgique, Croatie (pour la réouverture de la procédure par le tribunal), Espagne (pour la réouverture de la procédure par le même juge d’instruction), Estonie, Géorgie, Hongrie, Lettonie, Luxembourg, Moldova, Monténégro (pour la réouverture de la procédure par le tribunal), Norvège, Pays-Bas (pour la réouverture de la procédure par le tribunal), Pologne, Portugal, Saint-Marin (pour la réouverture de la procédure par le même juge d’instruction), Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse et Turquie.
[64]. Arménie, Croatie, Estonie, Fédération de Russie, Géorgie, Hongrie, Lettonie, Moldova, Portugal, République tchèque, Slovaquie, Slovénie et Royaume-Uni.
[65]. Hongrie, Luxembourg, Pologne et Portugal.
[66]. Paragraphes 13 f) et 34.
[67]. Paragraphes 9, 52-54.
[68]. Paragraphes 13 et 18.
[69]. L’arrêt Piotr Kossowski c. Generalstaatsanwaltschaft Hamburg [GC], affaire C‑486/14, 29 juin 2016, indique que la CJUE s’appuie sur l’article 54 de la CAAS « lu à la lumière de l’article 50 de la Charte ». Il n’y a donc pas lieu d’examiner ces dispositions séparément.
[70]. En outre, il découle de l’article 52 de la Charte et de la jurisprudence de la CJUE que l’article 50 de la Charte doit être interprété en conformité avec l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, adopté le 22 novembre 1984.
[71]. CJCE, 11 février 2003, Hüseyin Gözütok et Klaus Brügge, affaires jointes C-187/01 et C‑385/01, § 28.
[72]. Ibidem, § 31.
[73]. Ibidem, § 38.
[74]. Ibidem, §§ 27 et s.
[75]. CJUE, 11 décembre 2008, Bourquain, C-297/07, § 34.
[76]. CJCE, 22 décembre 2008, Vladimir Turanský, C-491/07, § 30.
[77]. CJUE, 5 juin 2014, M., C-398/12, § 17.
[78]. Piotr Kossowski c. Generalstaatsanwaltschaft Hamburg, précité, § 15.
[79]. Vladimir Turanský, précité, §§ 31-32 et 34-35, Hüseyin Gözütok et Klaus Brügge, précité, § 30, et CJCE, 28 septembre 2006, Van Straaten, C-150/05, § 61.
[80]. Piotr Kossowski c. Generalstaatsanwaltschaft Hamburg, précité, § 47.
[81]. Ibidem, § 54.
[82]. CJCE, 10 mars 2005, Miraglia, affaire C-469/03.
[83]. Ibidem, § 30.
[84]. Ibidem, § 33.
[85]. Ibidem, § 34.
[86]. Van Straaten, précité, § 60.
[87]. M., précité, § 30.
[88]. CJUE, 27 mai 2014, Spasic, C-129/14, § 74.
[89]. Ibidem, § 79.
[90]. Ibidem, § 85.
[91]. Piotr Kossowski c. Generalstaatsanwaltschaft Hamburg, précité, § 41.
[92]. CJUE, 18 juillet 2007, Kretzinger, C-288-05, § 42.
[93]. Bourquain, précité, § 48.
[94]. Krombach c. France (déc.), no 67521/14, § 40, 20 février 2018.
[95]. La position traditionnelle de la Cour est exposée au paragraphe 110 du présent arrêt.
[96]. Miraglia, précité, §§ 32-33.
[97]. Voir mon opinion dans A et B c. Norvège, précité, § 79.
[98]. Paragraphe 83 de l’arrêt.
[99]. Voir mon opinion dans A et B c. Norvège.
[100]. Jóhannesson et autres c. Islande, no 22007/11, 18 mai 2017.
[101]. Ibidem, § 55.
[102]. Comme dans A et B c. Norvège, précité, §§ 126 et 142, la chambre compétente dans l’affaire islandaise n’a pas jugé nécessaire de déterminer si et, dans l’affirmative, à quel moment la première procédure – la procédure fiscale – était devenue « définitive », au motif que cette circonstance n’avait pas d’incidence sur l’analyse de la relation entre la procédure fiscale et la procédure pénale. Voir la critique de cette approche erronée dans mon opinion séparée annexée à l’arrêt A et B c. Norvège, précité.
[103]. Paragraphe 84 de l’arrêt.
[104]. Ibidem.
[105]. Paragraphe 85 de l’arrêt.
[106]. Paragraphe 84 de l’arrêt.
[107]. Paragraphe 28 de l’arrêt.
[108]. Paragraphe 30 de l’arrêt.
[109]. La minorité admet ce point au paragraphe 127 de l’arrêt.
[110]. Paragraphe 84 de l’arrêt.
[111]. Voir A et B c. Norvège, précité, § 134 : « même lorsque le lien matériel est suffisamment solide, la condition du lien temporel demeure et doit être satisfaite. Il ne faut pas en conclure pour autant que les deux procédures doivent être menées simultanément du début à la fin. L’État doit avoir la faculté d’opter pour la conduite des procédures progressivement si ce procédé se justifie par un souci d’efficacité et de bonne administration de la justice, poursuit des finalités sociales différentes et ne cause pas un préjudice disproportionné à l’intéressé. »
[112]. Dans de précédentes affaires, la Cour a estimé qu’il y avait un lien temporel suffisant, des périodes plus longues étant en cause. Comme je l’ai déjà montré, le critère du « lien temporel suffisant » est arbitraire (voir mon opinion dans A et B c. Norvège, précité, §§ 40‑46).
[113]. Paragraphe 95 de l’arrêt.
[114]. Ibidem.
[115]. Pour reprendre l’expression employée par la CJUE dans Miraglia, précité, § 23.
[116]. Marguš c. Croatie [GC], no 4455/10, CEDH 2014 (extraits).
[117]. Paragraphes 96 et 99 de l’arrêt.
[118]. Paragraphe 131 de l’arrêt.
[119]. Paragraphe 133 de l’arrêt.
[120]. Paragraphe 101 de l’arrêt.
[121]. Paragraphe 97 de l’arrêt.
[122]. Ibidem.
[123]. Ibidem.
[124]. Ibidem.
[125]. Piotr Kossowski c. Generalstaatsanwaltschaft Hamburg, précité, et Vladimir Turanský, précité.
[126]. Piotr Kossowski c. Generalstaatsanwaltschaft Hamburg, précité, § 47, cité au paragraphe 43 du présent arrêt.
[127]. Voir mon opinion dans A et B c. Norvège, précité, § 15.
[128]. CJUE, 20 mars 2018, Luca Menci [GC], affaire C-524/15. Sur ce type d’« interaction négative », voir mon article coécrit avec Hyun-Soo Lim, “The Cross-fertilisation between the Court of Justice of the European Union and the European Court of Human Rights: Reframing the Discussion on Brexit”, European Human Rights Law Review, 2018, no 6, p. 575.
[129]. Miraglia, précité, § 35.
[130]. Ibidem, § 34.
[131]. CJUE, 28 septembre 2006, Gasparini, affaire C-467/04.
[132]. Paragraphe 98 de l’arrêt.
[133]. Voir mon opinion séparée dans A et B c. Norvège, précité.
[134]. Paragraphe 98 de l’arrêt.
[135]. Ibidem.
[136]. Paragraphe 101 de l’arrêt.
[137]. On peut en déduire que, pour la Grande Chambre, en exigeant que la sanction ait été exécutée ou ait commencé à être exécutée, l’article 54 de la CAAS contredit l’article 4 du Protocole no 7.
[138]. Paragraphes 110 et 126 de l’arrêt.
[139]. Paragraphes 109-110 de l’arrêt, qui renvoient notamment à Sergueï Zolotoukhine, précité. Je trouve étrange que la minorité consacre six longs paragraphes (§§ 104-109) au caractère autonome de la notion de décision définitive figurant dans le Protocole no 7 alors que l’arrêt Sergueï Zolotoukhine a déjà traité cette question. Dès lors, il n’était pas nécessaire d’examiner la jurisprudence antérieure à l’arrêt rendu par la Grande Chambre dans Sergueï Zolotoukhine.
[140]. Paragraphe 111 de l’arrêt.
[141]. Jurisprudence à laquelle la minorité renvoie aussi au paragraphe 103 de l’arrêt.
[142]. Paragraphe 118 de l’arrêt.
[143]. Paragraphe 116 de l’arrêt.
[144]. Paragraphe 95 de l’arrêt.
[145]. Paragraphe 98 de l’arrêt.
[146]. Paragraphe 133 de l’arrêt.
[147]. Paragraphe 111 de l’arrêt.
[148]. [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 123, CEDH 2005-I.
[149]. L’exigence selon laquelle les dispositions de la Convention doivent être interprétées et appliquées d’une manière qui en rende les garanties concrètes et effectives et non pas théoriques et illusoires constitue à mon sens une formulation indirecte et non nominative du principe.
[150]. Pour un article portant sur les différentes « dimensions » du principe d’effectivité, voir Rietiker, Daniel, « The principle of “effectiveness” in the recent jurisprudence of the European Court of Human Rights: its different dimensions and its consistency with public international law – no need for the concept of treaty sui generis », Nordic Journal of International Law, 79 (2010), pp. 245 et s.
[151]. La Commission du droit international (CDI), qui a rédigé la CVDT, a formulé cet avis : « 8) (...) dans la mesure où la maxime ut res magis valeat quam pereat est l’expression d’une règle générale d’interprétation, elle est incorporée dans le paragraphe 1 de l’article 69 [actuel article 31 § 1 de la CVDT], qui stipule qu’un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire qui doit être donné à chaque disposition dans le contexte du traité et en fonction de son objet et de son but. Lorsqu’un traité est susceptible de deux interprétations dont l’une permet et l’autre ne permet pas qu’il produise les effets voulus, aussi bien la bonne foi que la nécessité de réaliser le but et l’objet du traité exigent que la première de ces deux interprétations soit adoptée (...) » (Annuaire de la Commission du droit international 1964, Vol. II, p 212, § 8).
[152]. Voir Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 30, série A no 18, affaire dans laquelle la Cour, se penchant sur l’article 31 § 1 de la CVDT, a dit « le processus d’interprétation d’un traité forme un tout, une seule opération complexe ». Cela avait toutefois été dit en premier lieu par la Commission du droit international, qui a rédigé la CVDT : « En mettant le titre de l’article (Règle générale d’interprétation) au singulier, et en soulignant la relation, d’une part, entre les paragraphes 1 et 2 et, d’autre part, entre le paragraphe 3 et les deux paragraphes qui le précèdent, la Commission a voulu indiquer que l’application des moyens d’interprétation prévus dans l’article constituait une seule opération complexe. Tous les différents éléments, tels qu’ils se trouvent présents dans une situation donnée, seraient jetés dans le creuset et la résultante de leur interaction constituerait l’interprétation juridiquement pertinente. » (Annuaire de la Commission du droit international 1966, Vol. II p. 239, § 8).