TROISIÈME SECTION
AFFAIRE MAKDOUDI c. BELGIQUE
(Requête no 12848/15)
ARRÊT
Art 5 § 4 • Contrôle à bref délai • Absence de décision finale avant la libération du requérant sur la légalité de sa détention de près de quatre mois en vue de son éloignement •
Art 8 • Respect de la vie privée et familiale • Mesure de renvoi d’un ressortissant étranger en raison de sa condamnation pénale sans prise en compte de sa paternité envers une enfant belge • Absence de motivation circonstanciée et de mise en balance des intérêts en présence par les juridictions administratives
Cette version a été rectifiée le 10 juillet 2020 conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.
STRASBOURG
18 février 2020
DÉFINITIF
18/06/2020
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Makdoudi c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :
Georgios A. Serghides, président,
Paul Lemmens,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller,
Alena Poláčková,
Erik Wennerström,
Lorraine Schembri Orland, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 janvier 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 12848/15) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de l’État tunisien, M. Montassar Makdoudi (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 mars 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me N. Cohen, avocat à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.
3. Le requérant allègue en particulier de ne pas avoir bénéficié d’un contrôle de la légalité de sa détention à bref délai au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Il se plaint également que son renvoi avec interdiction d’entrée a constitué une ingérence dans sa vie familiale non conforme à l’article 8 et qu’il n’a pas disposé d’un recours effectif pour faire valoir ce grief (article 13).
4. Le 29 mai 2017, ces griefs ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1989 et réside à Monastir (Tunisie).
6. En 2009, le requérant fut arrêté à plusieurs reprises pour diverses infractions. Aux autorités, il déclara être arrivé en Belgique en 2008 et ne pas avoir de famille en Belgique. Il se vit notifier plusieurs ordres de quitter le territoire (« OQT ») auxquels il ne donna pas suite.
7. Le 19 juillet 2009, le requérant fut placé sous mandat d’arrêt et écroué pour des faits commis la veille à l’occasion d’une bagarre. Par un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 4 mars 2010, il fut condamné à une peine de quarante-deux mois d’emprisonnement pour des faits de tentative de meurtre, de tentatives de vols avec violences aggravées, de coups volontaires, et de séjour illégal. Le requérant purgea sa peine jusqu’à son expiration le 30 décembre 2012.
1. Identification du requérant et établissement de sa paternité
8. Le requérant déclina aux autorités belges une identité et une nationalité différentes à chaque interpellation.
9. Le 19 mai 2010, le requérant, ayant manifesté son souhait d’être rapatrié en Tunisie, fut entendu par l’Office des étrangers (« OE ») en vue de son identification. Il fit part de son intention de se marier avec son amie en Tunisie. Les données d’identification furent transmises au consulat général de Tunisie le 7 juin 2010.
10. Le 1er octobre 2010, le conseil du requérant contacta également les services du consulat par courrier dans lequel il sollicitait un passeport et indiquait être le père d’un enfant de nationalité belge, mis au monde le 15 mars 2010 par L.M., qu’il souhaitait pouvoir reconnaître.
11. Le 5 avril 2011, les services du consulat confirmèrent l’identité du requérant et sa nationalité. Le 18 avril 2011, un passeport lui fut délivré, dont copie fut transmise à l’OE le 23 mai 2011.
12. Le 13 juillet 2011, le requérant reconnut officiellement sa fille. Mère et fille vinrent régulièrement lui rendre visite en prison.
2. Arrêté ministériel de renvoi et procédures y afférentes
13. Entre-temps, le 18 février 2011, un arrêté ministériel de renvoi (« AMR ») motivé par sa condamnation pénale et le risque grave et actuel d’une nouvelle atteinte à l’ordre public fut pris à l’encontre du requérant sur pied de l’article 20 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers ») (paragraphe 58 ci-dessous). L’AMR, dont l’entrée en vigueur était fixée à la date de libération de l’intéressé, lui enjoignait de quitter le territoire avec interdiction d’y rentrer pendant dix ans. Il fut notifié au requérant le 8 mars 2011.
14. Le requérant introduisit un recours en annulation de l’AMR demandant au Conseil du contentieux des étrangers (« CCE ») d’évaluer, conformément à l’article 8 de la Convention, la proportionnalité de la mesure au regard de l’évolution de sa vie personnelle et familiale. À l’appui de cette demande, il produisit une attestation sur l’honneur de sa partenaire qu’elle était en couple ainsi que l’acte de naissance de l’enfant. Par un arrêt du 29 juillet 2011, le CCE rejeta le recours. Quant au moyen tiré du risque de violation de l’article 8, considérant qu’il devait se placer au moment où l’acte attaqué avait été pris, le CCE jugea que le requérant n’avait apporté aucun commencement de preuve du lien de parenté à l’égard de l’enfant présenté comme étant le sien. La juridiction releva que le requérant avait, à différentes reprises avant son incarcération, déclaré ne pas avoir de famille en Belgique, n’avait fait état de sa compagne qu’après son incarcération, n’établissait pas avoir effectué des démarches en vue d’obtenir des documents d’identité pour permettre la reconnaissance avant son emprisonnement et n’invoquait à cet égard pas valablement la force majeure l’empêchant de bénéficier de la dérogation prévue par l’article 21, § 2, 2o de la loi sur les étrangers (paragraphes 59-60 ci-dessous). Le CCE en déduisit que l’argumentation du requérant suivant laquelle la décision attaquée serait une atteinte disproportionnée à sa vie familiale n’était pas fondée.
15. Par une ordonnance du 13 septembre 2011, le Conseil d’État déclara le recours du requérant inadmissible, jugeant notamment que l’existence d’une vie familiale relevait de l’appréciation souveraine du CCE qui échappait à son contrôle et que le requérant n’était pas fondé à faire valoir pour la première fois en cassation, l’effet rétroactif d’un fait survenu dans le courant du délibéré, à savoir l’établissement de la filiation le 13 juillet 2011[1].
16. Le 17 août 2012, le requérant introduisit une demande de levée de l’AMR. Il la réitéra le 19 décembre 2012. Par décision du 17 mars 2014, l’OE refusa de prendre en considération la demande au motif que la loi n’autorisait une telle demande qu’après l’écoulement d’une période de deux ans suivant l’exécution de l’arrêté.
17. Le 26 mai 2014, le CCE déclara la demande en suspension d’extrême urgence introduite le 23 mai 2014 contre cette décision irrecevable constatant que l’imminence du péril invoqué résultait non pas de la décision de refus de levée mais de l’OQT du 15 mai 2014 qui avait été notifié au requérant entre‑temps et dont la demande de suspension en extrême urgence avait été déclarée irrecevable (paragraphe 30 ci-dessous). Une ordonnance du Conseil d’État du 14 juillet 2014 rejeta le recours en cassation administrative contre cette décision.
18. Par un arrêt du 20 janvier 2015 (no 136.713), le CCE rejeta le recours en suspension et en annulation de la décision du 17 mars 2014 de refus de prise en considération de levée de l’AMR, estimant que l’intérêt du requérant n’était pas légitime car celui-ci tentait d’obtenir un titre de séjour en se soustrayant à une décision de renvoi à laquelle il n’avait à l’évidence jamais entendu obtempérer.
19. Le Conseil d’État déclara le recours du requérant inadmissible par une ordonnance du 19 mars 2015.
3. Procédures en régularisation du séjour
20. Le 1er août 2011, invoquant notamment le respect de sa vie familiale, le requérant introduisit une demande d’autorisation de séjour pour circonstances exceptionnelles fondée sur l’article 9bis de la loi sur les étrangers.
21. Cette demande fut déclarée sans objet par l’OE le 5 octobre 2011 au motif que le requérant faisait l’objet d’un AMR antérieur, devenu définitif et exécutoire, et qu’il n’avait dès lors pas le droit de se trouver sur le territoire.
22. Suite à une demande faite le 27 mai 2013, le requérant obtint de la commune d’Ixelles, le 28 novembre 2013, une carte de séjour de type « F » en qualité de membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne.
23. Le 9 décembre 2013, le requérant fut engagé sous contrat de travail à durée déterminée. Ce contrat se transforma en contrat à durée indéterminée le 1er février 2014.
24. Le requérant se vit retirer sa carte de séjour par décision de l’OE le 15 mai 2014 (paragraphe 37 ci-dessous).
4. Mesures d’éloignement et de détention, et procédures y afférentes
1. Première série de mesures
25. Le 5 décembre 2012, sur la base des dispositions applicables de la loi sur les étrangers (paragraphe 62 ci-dessus), l’OE prit à l’encontre du requérant un OQT notamment fondé sur le risque de nouvelle atteinte à l’ordre public, avec maintien en détention à partir du 21 décembre 2012, en vue de son éloignement. Cette décision lui fut notifiée le lendemain, alors qu’il était encore incarcéré suite à sa condamnation par jugement du 4 mars 2010 (paragraphe 7 ci-dessus).
26. Le requérant introduisit une demande en suspension d’extrême urgence de l’exécution de cet OQT auquel le CCE fit droit par un arrêt du 17 décembre 2012. Le CCE estima que le grief du requérant tiré de l’article 8 de la Convention était prima facie sérieux et jugea qu’en cas d’exécution de la mesure litigieuse, le requérant serait séparé de sa fille et de sa mère, ce qui constituait un risque de préjudice grave et difficilement réparable. À la suite de cet arrêt, le rapatriement, qui avait été fixé par l’OE au 21 décembre 2012, fut annulé.
27. Le 30 décembre 2012, le requérant arriva à fond de peine et fut libéré.
28. Par un arrêt du 16 janvier 2013, le Conseil d’État déclara le recours de l’État belge contre l’arrêt du CCE irrecevable.
29. Statuant au fond, le 27 février 2014, le CCE déclara le recours en annulation de l’OQT du 5 décembre 2012 irrecevable car celui-ci n’était qu’une mesure d’exécution de l’AMR du 18 février 2011. À titre surabondant, il soulignait qu’il appartenait au requérant de faire valoir ses arguments tirés de l’article 8 de la Convention dans le cadre d’une demande de levée de l’AMR.
2. Deuxième série de mesures
a) Ordre de quitter le territoire
30. Suite au rejet de la demande du requérant de levée de l’AMR (paragraphe 16 ci-dessus), le 15 mai 2014, l’OE lui notifia un nouvel OQT avec maintien en détention en vue de son éloignement valable pour deux mois. Le requérant fut arrêté et placé dans un centre fermé pour étrangers illégaux.
31. Sur la base des dispositions applicables de la loi sur les étrangers (paragraphe 62 ci-dessus), l’OQT se fondait notamment sur le comportement du requérant, qui pouvait être considéré comme troublant l’ordre public ou la sécurité nationale, et précisait que le fait qu’il soit le père d’un enfant belge ne lui donnait pas automatiquement un droit de séjour en Belgique, l’intéressé ayant troublé l’ordre public. L’OQT constatait par ailleurs que l’AMR étant une mesure de sûreté interdisant pour l’avenir l’entrée, le séjour et l’établissement, que cette mesure était devenue définitive et exécutoire, et qu’elle était assortie d’une interdiction d’entrée de dix ans, l’administration communale n’aurait pas dû acter la demande de regroupement familial du requérant. Par conséquent, l’octroi du titre de séjour dans ce cadre devait être considéré comme inexistant, avec pour conséquence que la carte de séjour de type « F » lui était retirée.
32. Le 20 mai 2014, le requérant introduisit une demande en suspension d’extrême urgence de l’OQT que le CCE déclara irrecevable le 23 mai 2014, considérant que l’OQT n’était qu’une mesure d’exécution de l’AMR.
33. Par une ordonnance du 8 juillet 2014, le Conseil d’État déclara le recours en cassation de cette décision inadmissible. Il soulignait que l’OQT ne refusait pas un séjour ni ne mettait fin à un séjour acquis mais constituait une mesure de police reposant sur la simple constatation de l’illégalité du séjour. Partant, l’administration ne disposait d’aucun pouvoir d’appréciation quant à sa délivrance. Dans un tel contexte, le CCE décidait nécessairement et régulièrement que dès lors que le requérant faisait l’objet d’un AMR devenu définitif et exécutoire, l’OQT subséquent n’était pas un acte susceptible d’un recours en annulation ou d’une demande de suspension. Les éléments nouveaux ne pouvaient être invoqués qu’à l’appui d’une demande de levée et non à l’appui d’une demande de régularisation de séjour ou, comme en l’espèce, à l’appui d’un recours dirigé contre un OQT délivré alors que subsistaient les effets du renvoi.
34. Par un arrêt du 20 janvier 2015 (no 136.714), le CCE rejeta le recours en annulation dirigé contre l’OQT du 15 mai 2014. Il réitéra notamment qu’en tant que mesure d’exécution d’un AMR devenu définitif, l’acte attaqué n’était pas susceptible d’un recours en annulation. En outre, même à supposer que l’OQT contesté ne constituait pas une mesure d’exécution, le CCE n’aperçut pas l’intérêt du requérant à diligenter un recours contre un OQT pris pendant la période de validité de l’AMR, lequel emportait des effets plus importants qu’un OQT.
35. Le Conseil d’État rejeta le recours du requérant contre l’arrêt du 20 janvier 2015 par un arrêt du 12 mars 2015 (no 11.142) jugeant notamment que l’ingérence dans la vie privée et familiale dont se plaignait le requérant ne découlait pas directement de l’OQT mais de l’AMR du 18 février 2011 et devait être invoquée dans le cadre d’une mesure de levée de l’AMR.
b) Mesure initiale de détention en vue de l’éloignement du requérant
36. L’OQT du 15 mai 2014 était assorti d’un maintien en détention en vue de son éloignement motivée par l’AMR devenu définitif, l’existence de différents OQT antérieurs n’ayant pas été volontairement exécutés et le danger représenté par le requérant pour la sécurité publique. Le requérant fut arrêté et placé dans un centre fermé pour étrangers illégaux (paragraphe 30 ci-dessus).
37. Le 23 mai 2014, le requérant introduisit devant la chambre du conseil du tribunal de première instance francophone de Bruxelles une requête de mise en liberté contre la mesure de détention contenue dans l’OQT du 15 mai 2014.
38. Le 2 juin 2014, la chambre du conseil ordonna la libération du requérant en raison du droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale, et de l’intérêt supérieur de l’enfant, jugeant que le fait que le requérant n’ait reconnu sa fille que postérieurement à l’AMR était sans incidence par rapport à la protection qui devait être accordée à cette dernière, notamment celle de ne pas être discriminée en raison de la situation juridique ou des activités de ses parents.
39. Par un arrêt du 25 juin 2014, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles déclara l’appel de l’État belge fondé et ordonna le maintien de la détention. La chambre des mises en accusation jugea notamment que la mesure de privation de liberté n’était pas disproportionnée par rapport au but poursuivi, à savoir garantir l’effectivité de l’éloignement du territoire de l’intéressé. Son parcours administratif et son souhait sans cesse réitéré de ne pas quitter le territoire démontraient que le requérant n’obtempèrerait pas volontairement à l’OQT qui lui avait été notifié et qu’aucune mesure moins contraignante qu’une détention ne pouvait efficacement être appliquée. La chambre des mises en accusation considéra ensuite que la mesure d’éloignement n’était pas incompatible avec l’article 8 de la Convention. L’existence d’attaches familiales en Belgique ne dispensait pas l’intéressé de résider régulièrement dans le Royaume et n’avait pas pour vocation de constituer une sorte de titre de séjour subsidiaire. La mesure d’éloignement n’impliquait pas, en l’espèce, une rupture des liens familiaux allégués mais imposait seulement une séparation d’une durée limitée en vue de régulariser la situation. En outre, la bonne foi de l’étranger au moment de sa demande de séjour constituait un élément essentiel d’appréciation. Or, le requérant avait introduit sa demande en Belgique en occultant le fait qu’il avait fait l’objet d’un AMR et avait omis de mentionner l’existence de sa vie familiale avant sa détention.
40. Par un arrêt du 10 septembre 2014 (no P.14.1387.F), la Cour de cassation cassa l’arrêt de la chambre des mises en accusation au motif que le dossier de la procédure ne comportait pas les pièces relatives à la procédure s’étant déroulée devant la chambre des mises en accusation et ne permettait donc pas d’en vérifier la légalité. La Cour de cassation renvoya par conséquent la cause à la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, autrement composée.
c) Prolongation de la détention
41. Entre-temps, le 14 juillet 2014, la mesure de détention initiale arrivant à échéance et eu égard aux démarches d’éloignement en cours, l’OE prit une décision de prolongation de la détention du requérant, valable pour deux mois, contre laquelle celui-ci introduisit une seconde requête de mise en liberté.
42. Le 28 juillet 2014, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles déclara la requête irrecevable au motif qu’elle était en réalité dirigée contre la mesure de détention initiale, que la chambre des mises en accusation s’était prononcée sur la légalité de cette mesure, et qu’un pourvoi en cassation contre cet arrêt était pendant.
43. Par un arrêt du 13 août 2014, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, après avoir relevé que le requérant exerçait l’autorité parentale à l’égard d’une enfant belge, jugea que l’AMR était contraire à une disposition légale supérieure, à savoir l’article 21, § 2, 2o de la loi sur les étrangers. La juridiction constata que cet AMR était le fondement de l’OQT du 15 mai 2014 et de la décision de prolongation de la détention du 14 juillet 2014. Elle en déduisit que cette dernière reposait sur un arrêté de renvoi illégal et devait par conséquent elle-même être tenue pour illégale à défaut de fondement licite. Elle ordonna par conséquent la remise en liberté immédiate du requérant.
44. Le 10 septembre 2014 (arrêt no P.14.1374.F), la Cour de cassation estima que dès lors que la chambre des mises en accusation avait déjà jugé par son arrêt du 25 juin 2014 que l’OQT du 15 mai 2014 avait été pris conformément à la loi, elle avait commis un excès de pouvoir et méconnu le caractère définitif de son arrêt antérieur en examinant à nouveau la légalité de l’OQT du 15 mai 2014 dans le cadre du recours dirigé contre la prolongation de la mesure de privation de liberté. Elle cassa par conséquent l’arrêt du 13 août 2014 et renvoya la cause à la chambre des mises en accusation de Bruxelles autrement composée.
45. La décision de prolongation de la détention arrivant à expiration, le 11 septembre 2014, le requérant fut libéré, et invité à donner suite à l’OQT du 15 mai 2014.
46. Le 22 septembre 2014, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, autrement composée, déclara les deux requêtes de mise en liberté (paragraphes 37 et 41 ci-dessus) sans objet.
3. Troisième série de mesures
47. Entre-temps, le requérant fut poursuivi pour un vol commis le 16 mars 2009 et pour séjour illégal. Il fut déclaré coupable par arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 1er avril 2014. Après avoir constaté que les délits constituaient un délit collectif avec ceux pour lesquels le requérant avait été condamné par le jugement du 4 mars 2010 (paragraphe 7 ci‑dessus), la cour d’appel condamna le requérant à une peine de prison d’un an complémentaire.
48. Le 14 octobre 2014, le parquet de la cour d’appel fit rapport de cette condamnation à l’OE, en recommandant de prendre à l’égard du requérant une mesure d’éloignement. Le 24 janvier 2015, le requérant fut arrêté et écroué en prison.
49. Par un arrêt du 11 février 2015, la cour d’appel de Bruxelles déclara irrecevable l’opposition du requérant contre l’arrêt du 1er avril 2014 (paragraphe 47 ci-dessus).
50. Le 4 mars 2015, le requérant, alors écroué, fit l’objet d’un nouvel OQT avec maintien en détention fondé sur la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales. Sur la base des dispositions applicables de la loi sur les étrangers (paragraphe 62 ci-dessus), l’OQT constatait l’existence d’un AMR qui n’avait pas été exécuté et que le fait d’être père n’avait pas empêché le requérant de se rendre coupable d’une tentative de vol aggravé pour laquelle il avait été condamné par la cour d’appel de Bruxelles le 11 février 2015 à une peine d’un an d’emprisonnement, devenue définitive suite à l’arrêt de cette cour. Le 6 mars 2015, le requérant fut transféré dans un centre fermé pour étrangers en séjour illégal.
51. Le 11 mars 2015, le recours en suspension en extrême urgence introduit par le requérant contre l’OQT fut déclaré irrecevable par le CCE à défaut d’intérêt légitime, la décision du 4 mars 2015 ne faisant que le constat de l’illégalité du séjour du requérant. L’ingérence dans la vie privée et familiale du requérant ne découlait pas de l’OQT attaqué, qui comportait de surcroît une motivation à cet égard, mais de la persistance des effets de la mesure de renvoi antérieure, et il appartenait au requérant de les faire valoir dans le cadre d’une demande de levée de l’AMR. En outre, à supposer même que l’OQT ne soit pas une mesure d’exécution, le requérant n’avait pas d’intérêt à diligenter un recours contre un OQT pris pendant la période de validité d’un AMR, celui-ci emportant des effets plus importants. Par un arrêt du 26 novembre 2015, le CCE rejeta ensuite le recours en annulation contre l’OQT du 4 mars 2015.
52. Le 11 mars 2015, le requérant déposa également une requête de mise en liberté contre la détention contenue dans l’OQT du 4 mars 2015. Par ordonnance du 18 mars 2015, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles considéra que l’AMR était illégal, du fait que le requérant exerçait l’autorité parentale à l’égard de son enfant, et que l’OQT, étant basé sur cet AMR, était également illégal. La chambre du conseil ordonna la remise en liberté du requérant.
53. Cette décision fut confirmée par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles le 3 avril 2015. Cette juridiction considéra que le requérant avait été condamné pour des faits anciens, commis en 2009, et qu’il ne pouvait pas raisonnablement être considéré comme constituant une menace réelle et actuelle pour la sécurité publique. Se référant au droit du requérant au respect de sa vie familiale, la chambre des mises en accusation conclut que la privation de liberté constituait une atteinte disproportionnée à la vie familiale.
54. Le requérant fut remis en liberté le jour même, avec invitation de donner suite à l’OQT du 4 mars 2015.
5. Développements ultérieurs relatifs à l’éloignement du requérant
55. Suite à une interpellation pour vol avec effraction, le requérant fut placé sous mandat d’arrêt et à nouveau écroué le 13 avril 2016. Le mandat d’arrêt fut levé le 6 mai 2016 mais le 11 juin 2016, à la suite d’un contrôle de roulage, le requérant se vit notifier un nouvel OQT avec maintien en détention, à la suite de quoi il fut arrêté et placé dans un centre fermé. Cet OQT est notamment motivé comme suit :
« L’intéressé a de la famille qui vit en Belgique. Le fait que l’intéressé désire rester ici auprès de sa fille, est acceptable. Toutefois, son arrêté ministériel de renvoi n’est ni suspendu, ni retiré. L’intéressé peut introduire une demande de regroupement familial mais cela doit se faire depuis son pays d’origine. L’intéressé doit donc d’abord retourner dans son pays d’origine. Ensuite, l’intéressé doit introduire une demande en suspension ou de retrait de l’arrêté ministériel auprès du ministre compétent (cfr. Art. 46bis de la loi [sur les étrangers]. »
56. Le requérant n’introduisit pas de recours à l’encontre de cet OQT.
57. Le requérant fut rapatrié en Tunisie le 27 juillet 2016, où il vit depuis chez son père, à Monastir.
2. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. Arrêté ministériel de renvoi
58. La loi sur les étrangers en son article 20 permettait au ministre ou à son délégué, à l’époque des faits, de renvoyer un étranger qui n’était pas établi en Belgique lorsque celui-ci avait porté atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale ou n’avait pas respecté les conditions mises à son séjour. Cette disposition précisait que les arrêtés de renvoi et d’expulsion devaient être fondés exclusivement sur le comportement personnel de l’étranger.
59. Lorsqu’il envisageait d’adopter une mesure de renvoi, le ministre compétent devait examiner si l’étranger ne se trouvait pas dans une des conditions pour bénéficier d’une des dérogations prévues par l’article 21 de ladite loi, lequel énumérait limitativement les cas dans lesquels un étranger ne pouvait pas être renvoyé quand bien même les conditions pour ce faire auraient été réunies.
60. Parmi ces hypothèses, l’article 21, § 2, 2o de la loi prévoyait que ne pouvait être renvoyé, sauf atteinte grave à la sécurité nationale, « l’étranger qui n’a pas été condamné à une peine de prison égale ou supérieure à cinq ans et qui exerce l’autorité parentale en qualité de parent ou de tuteur ou assume l’obligation d’entretien visée à l’article 203 du code civil vis-à-vis d’au moins un enfant séjournant de manière régulière en Belgique ».
61. L’article 46bis de la loi sur les étrangers permettait de solliciter la levée ou la suspension d’un arrêté de renvoi et était, à l’époque des faits, formulé comme suit :
« § 1er. Le citoyen de l’Union ou les membres de sa famille visés à l’article 40bis, § 2, peuvent, au plus tôt après un délai de deux ans suivant l’arrêté royal d’expulsion ou l’arrêté ministériel de renvoi, introduire auprès du délégué du ministre une demande de suspension ou de levée de l’arrêté concerné, en invoquant des moyens tendant à établir un changement matériel des circonstances qui avaient justifié cette décision.
§ 2. Une décision concernant cette demande est prise au plus tard dans les six mois suivant l’introduction de celle-ci.
Les étrangers concernés n’ont aucun droit d’accès ou de séjour dans le Royaume durant le traitement de cette demande. »
2. Ordre de quitter le territoire et détention en vue d’éloignement
62. La principale disposition applicable – l’article 7 de la loi sur les étrangers en ses alinéas 1, 1o, 3o et 11o, et 3 –, telle qu’elle était formulée à l’époque des faits, est énoncée dans K.G. c. Belgique (no 52548/15, § 55, 6 novembre 2018).
EN DROIT
1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
63. Le requérant se plaint que les recours qu’il a utilisés pour contester la légalité de sa détention qui a duré du 15 mai au 11 septembre 2014 n’ont pas permis aux juridictions de prendre une décision finale à cet égard. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention ainsi formulé :
« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
1. Sur la recevabilité
64. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
1. Thèses des parties
65. Le requérant se plaint de ne pas avoir pu obtenir une décision juridictionnelle finale sur la légalité de sa détention décidée par l’OE le 15 mai 2014 et prolongée le 14 juillet 2014 alors qu’il avait entamé à deux reprises une procédure en vue de sa mise en liberté. À l’instar de l’affaire Firoz Muneer c. Belgique (no 56005/10, 11 avril 2013), il y a lieu de déduire une violation de l’article 5 § 4 du constat que le requérant a été libéré avant qu’une décision finale sur la légalité de sa détention ait été prise, alors que celle-ci a duré près de quatre mois.
66. Le Gouvernement soutient que le régime de contrôle judiciaire d’une détention administrative tel qu’il est organisé par le droit belge est conforme aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. En l’espèce, le requérant a bénéficié de l’accès à deux juridictions d’instruction qui ont statué « à bref délai » sur la légalité de la mesure de détention et sa prolongation. La circonstance que la Cour de cassation ait cassé l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 25 juin 2014 (paragraphe 39 ci‑dessus) ne saurait entrer en ligne de compte étant donné que l’article 5 § 4 n’exige pas un double degré de juridiction et qu’en tout état de cause il s’agit d’un recours extraordinaire qui n’a pas d’effet suspensif de l’éloignement. À cet égard, le Gouvernement fait valoir qu’aucun manque de diligence dans le cadre de la procédure d’éloignement du requérant ne saurait non plus lui être imputé durant cette période, laquelle fut notamment mise à profit pour obtenir les documents de voyage nécessaires. Le seul retard pouvant être relevé résulte des contacts pris par le requérant avec le consulat de Tunisie en marge des démarches faites par l’OE.
67. Le Gouvernement estime enfin que la présente espèce se distingue de l’affaire Firoz Muneer précitée dans laquelle les juridictions avaient toutes ordonné la libération du requérant. Dans la présente affaire, par contre, si la chambre des mises en accusation avait ordonné la libération du requérant (arrêt du 13 août 2014, paragraphe 43 ci-dessus), cette décision était entachée d’une erreur de droit.
2. Appréciation de la Cour
68. Les principes généraux relatifs à l’application de l’article 5 § 4 en matière d’éloignement ont été énoncés par la Cour dans Khlaifia et autres c. Italie [GC] (no 16483/12, §§ 128-131, 15 décembre 2016).
69. En l’espèce, la Cour constate que la période de détention en cause a débuté le 15 mai 2014 et que le requérant a été libéré le 11 septembre 2014. La durée globale de sa détention a donc été de près de quatre mois. La Cour doit rechercher si, au cours de cette période, le requérant a pu faire examiner à bref délai la légalité de sa détention par un tribunal.
70. La Cour constate que, le 23 mai 2014, le requérant a introduit devant la chambre du conseil du tribunal de première instance francophone de Bruxelles une requête de mise en liberté contre la mesure initiale de détention du 15 mai 2014. Le 2 juin 2014, la chambre du conseil a ordonné la libération du requérant. Par un arrêt du 25 juin 2014, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles a réformé cette ordonnance. Cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation par un arrêt du 10 septembre 2014, pour un motif technique. Entre-temps, le 14 juillet 2014, la détention avait fait l’objet d’une prolongation contre laquelle le requérant a introduit une nouvelle requête de mise en liberté. Cette requête a été déclarée irrecevable par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles le 28 juillet 2014. Son ordonnance a ensuite été réformée par un arrêt du 13 août 2014 de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles qui a ordonné la libération immédiate du requérant. Le requérant fut toutefois maintenu en détention étant donné que l’État belge s’était pourvu en cassation. Le 10 septembre 2014, la Cour de cassation cassa cet arrêt pour excès de pouvoir. Finalement, les délais légaux de détention étant arrivés à expiration, le requérant a été libéré le 11 septembre 2014, et le 22 septembre 2014, la chambre des mises en accusation, autrement composée, a déclaré les deux requêtes de mise en liberté sans objet.
71. La Cour ne peut que constater que le requérant a introduit une première requête de mise en liberté le 23 mai 2014 et qu’aucune décision finale sur la légalité de sa détention n’est intervenue avant sa libération le 11 septembre 2014. La Cour prend note également du fait que la dernière décision juridictionnelle sur le bien-fondé de la requête de mise en liberté rendue par la chambre des mises en accusation le 13 août 2014 était favorable au requérant et que cette décision a été cassée par la Cour de cassation pour un motif qui ne tenait pas à la légalité de la détention au sens de la Convention (Khlaifia et autres, précité, § 128).
72. Ces éléments suffisent à la Cour pour considérer que du point de vue des exigences de l’article 5 § 4 de la Convention, la situation en l’espèce ne peut être distinguée de celle qu’elle a sanctionnée dans l’affaire Firoz Muneer précitée (§§ 82-87), à laquelle se réfèrent les parties, ainsi que dans l’affaire M.D. c. Belgique (no 56028/10, §§ 36-43, 14 novembre 2013).
73. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le requérant n’a pas pu obtenir qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si sa détention était jugée illégale.
74. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.
2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
75. Le requérant se plaint que son renvoi avec interdiction de séjour a constitué une ingérence dans sa vie familiale qui n’est pas conforme à l’article 8 de la Convention dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi formulée :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
1. Sur la recevabilité
76. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
77. Le requérant indique que l’existence d’une vie familiale affective était connue de l’OE avant l’adoption de l’AMR. Plusieurs courriers faisant état du retard dans ses démarches de reconnaissance de paternité, en raison de la procédure d’identification et de sa détention, avaient été envoyés par son conseil. De plus, le lien de reconnaissance officielle est intervenu avant la fin de la procédure de recours contre l’AMR et le requérant a ensuite établi à suffisance l’existence d’une vie familiale et d’une vie privée en Belgique dans le cadre des procédures en recours contre l’AMR. Les autorités auraient donc dû prendre en compte la paternité du requérant et faire application de l’article 21, § 2, 2o de la loi sur les étrangers interdisant le renvoi d’un étranger père d’un enfant belge condamné pénalement à une peine de moins de cinq ans d’emprisonnement. En passant outre cette disposition, elles ont privé la mesure de renvoi et les ordres d’éloignement consécutifs de toute base légale. Cette carence n’a pas été compensée par les juridictions, qui n’ont pas examiné la réalité de cette vie familiale. À cela s’ajoute que l’OQT du 15 mai 2014 a été adopté alors que le requérant était en séjour régulier, ce qui rend cette mesure illégale pour ce motif également.
78. Le requérant affirme ensuite que les juridictions n’ont pas procédé à l’évaluation des intérêts en présence qui aurait pu et dû les amener à considérer que la mesure d’éloignement était une ingérence disproportionnée dans la vie familiale du requérant. Les faits pour lesquels il a été condamné tant en 2010 qu’en 2014 remontent à 2009, se sont déroulés dans un contexte précis qui n’est pas de nature à se reproduire et ne constituaient pas une menace pour la « sécurité nationale » qui aurait permis de déroger à la disposition précitée de la loi sur les étrangers. Le requérant fait ensuite valoir qu’il a purgé l’intégralité de sa peine, ce qui fait de son éloignement une double peine, et qu’après sa libération, il a fait montre d’intégration dans la société belge, en trouvant du travail et en régularisant son séjour. S’il s’est ensuite de nouveau retrouvé dans la précarité, c’est en raison du retrait de sa carte de séjour. Enfin, le requérant souligne que sa compagne et sa fille sont de nationalité belge et n’ont aucun intérêt à le suivre en Tunisie où il ne dispose pas d’un réseau social solide, où elles n’ont aucune attache et où le niveau de vie et d’éducation est largement inférieur. Son éloignement avec interdiction d’entrée entraîne donc nécessairement une séparation de la famille pendant de longues années, ce qui est en outre contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
79. En ce qui concerne la possibilité mentionnée par l’OE et le CCE de demander la levée de l’AMR, le requérant signale que la loi n’impose aucun délai aux autorités pour répondre et qu’en pratique cela peut mettre des années avant que sa demande soit examinée.
b) Le Gouvernement
80. À titre principal le Gouvernement fait valoir que les arguments que le requérant tire de l’illégalité de l’AMR et des mesures d’exécution reposent sur un postulat erroné. Contrairement à ce qu’il prétend, au moment où l’AMR a été adopté, il n’avait pas démontré sa filiation à un enfant belge et n’exerçait aucune autorité parentale à l’égard d’un enfant séjournant de manière régulière en Belgique ou n’assumait aucune obligation d’entretien de sorte qu’il ne pouvait pas invoquer le bénéfice de l’article 21, § 2, 2o de la loi sur les étrangers.
81. De plus, au moment de délivrer l’AMR, les seuls éléments dont les autorités belges disposaient étaient que le requérant avait reçu la visite de L.M. et de sa fille en prison et qu’il entendait accepter un voyage de retour vers la Tunisie pour épouser L.M. et reconnaître sa fille. La circonstance que la paternité, finalement établie en cours de délibéré du CCE, ne put valablement être invoquée pour la première fois devant le Conseil d’État ne saurait changer la donne, le requérant étant à l’origine de sa propre carence à remédier en temps utile à l’irrégularité de son séjour. Ainsi que le lui ont rappelé les juridictions belges, la seule option qui s’offrait au requérant pour faire valoir l’article 8 de la Convention était d’exécuter l’AMR et ensuite, après une période de deux ans, de solliciter la levée ou la suspension de l’AMR sur la base de l’article 46bis ancien de la loi sur les étrangers, ce qu’il est toujours resté en défaut de faire.
82. À titre subsidiaire, le Gouvernement estime qu’il ne saurait être question d’une obligation positive tirée de l’article 8 à charge de l’État belge étant donné que le requérant n’a bénéficié d’aucune autorisation ou admission au séjour sur le territoire. Du fait de l’interdiction d’entrée dont était assorti l’AMR, il ne pouvait prétendre à aucune régularisation ce qui explique que la carte F fut retirée et sa demande de régularisation déclarée sans objet.
83. Se référant à la jurisprudence de la Cour relative aux étrangers non établis qui demandent une première admission, le Gouvernement souligne que le requérant a créé sa vie familiale à un moment où il savait que son séjour était précaire et que sa situation ne présente aucune circonstance exceptionnelle qui aurait été de nature à rendre son renvoi contraire à l’article 8. Si le développement de sa vie familiale a été rendu difficile, c’est en raison de son comportement personnel qu’il s’agisse de son incarcération pour des faits très graves ou de son refus de procéder ensuite aux démarches procédurales qui s’imposaient. De plus, rien ne s’opposait à ce que le requérant, son amie et leur fille développent leur vie familiale en Tunisie ou que L.M. profite en tant qu’enseignante des congés scolaires pour rejoindre le requérant, ne fut-ce que le temps requis pour demander la suspension ou la levée de l’AMR. Cette possibilité était d’autant plus envisageable que l’enfant était très jeune, que le requérant avait des attaches solides et durables en Tunisie, et qu’il n’avait pas développé de liens étroits avec la Belgique.
84. À titre encore plus subsidiaire, le Gouvernement estime que la mesure de renvoi était conforme à l’article 8. Fondée sur l’article 20 de la loi sur les étrangers, elle poursuivait le but légitime de protection de l’ordre public et de prévention d’une nouvelle atteinte à l’ordre public et était nécessaire dans une société démocratique au sens de l’article 8 § 2, compte tenu en particulier de la nature et de l’extrême gravité des infractions commises par le requérant et de la balance des intérêts à laquelle les autorités belges ont procédé pour adopter les mesures d’éloignement et ce jusqu’au dernier OQT auquel le requérant a fini par obtempérer.
2. Appréciation de la Cour
a) Ingérence dans le droit protégé par l’article 8
85. Il s’agit en premier lieu de déterminer si le requérant pouvait se prévaloir en Belgique d’une vie familiale au sens de l’article 8 § 1 de la Convention.
86. La Cour prend note des doutes du Gouvernement quant à l’existence d’un lien familial entre le requérant et L.M. au moment de la décision de renvoi au motif que leur vie commune semble avoir débuté après la libération du premier en décembre 2012, soit bien après l’adoption de l’AMR en février 2011.
87. Toutefois, cet élément ne permet pas de conclure à l’absence d’une vie familiale. Le requérant a en effet reconnu en juillet 2011, certes plus d’un an après sa naissance, l’enfant mis au monde par L.M. Or la notion de famille sur laquelle repose l’article 8 inclut, même en l’absence de cohabitation, le lien entre un individu et son enfant, que celui-ci soit né dans ou hors mariage (Boughanemi c. France, 24 avril 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996 II). L’enfant s’insère de plein droit dans la cellule « familiale » dès sa naissance et par le fait même de celle-ci (Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, §43, CEDH 2000 VIII). De plus, la Cour rappelle que la question de l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 doit s’apprécier à la lumière de la situation à l’époque où la mesure d’éloignement ou d’interdiction de séjour est devenue définitive (Mokrani c. France, no 52206/99, § 34, 15 juillet 2003, et Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, § 61, CEDH 2008), soit en l’espèce à la date de l’ordonnance du Conseil d’État du 13 septembre 2011. À ce moment, le requérant avait reconnu l’enfant depuis deux mois ; cet élément, acté par le Conseil d’État, n’a toutefois pas été pris en considération pour un motif procédural (paragraphe 15 ci-dessus).
88. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le requérant peut se prévaloir d’être victime d’une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 § 1 de la Convention.
b) Justification de l’ingérence
89. Pareille ingérence enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l’article 8. Il faut donc rechercher si elle était « prévue par la loi », justifiée par un ou plusieurs buts légitimes au regard dudit paragraphe, et « nécessaire, dans une société démocratique ».
1. « Prévue par la loi »
90. La Cour observe que la base légale des mesures litigieuses fait controverse entre les parties. Elle note que l’AMR a été pris sur pied de l’article 20 de la loi sur les étrangers qui autorisait les autorités belges à renvoyer un étranger qui n’était pas établi en Belgique lorsque celui-ci avait porté atteinte à l’ordre public. Elle n’a aucune difficulté à admettre la thèse du Gouvernement selon laquelle, en l’absence d’établissement formel de la filiation à l’égard de son enfant au moment de l’adoption de l’AMR, le requérant ne pouvait pas bénéficier de la dérogation à cette disposition prévue à l’article 21, § 2, 2o de la loi (paragraphe 60 ci-dessus). Les OQT qui ont ensuite été adoptés pour concrétiser l’éloignement du requérant l’ont également été sur base de dispositions légales applicables, à savoir l’article 7 de la loi sur les étrangers, notamment par référence à l’AMR et au danger que représentait le requérant pour l’ordre public. La circonstance que l’OQT du 15 mai 2014 ait été adopté alors que le requérant disposait d’une carte de séjour ne change rien à ce constat étant donné que cette même décision lui retirait ce droit de séjour.
2. But légitime
91. La Cour note qu’il n’est pas contesté que la mesure initiale de renvoi a été prise en raison de la condamnation pénale du requérant en 2010. Quant aux ordres de quitter le territoire subséquents, ils s’inscrivaient en exécution de la mesure initiale et, tenant compte du refus du requérant de quitter le territoire belge malgré les ordres en ce sens, visaient à prévenir de nouvelles atteintes à l’ordre public. Ces éléments suffisent à la Cour pour considérer que les mesures d’éloignement poursuivaient un but compatible avec l’article 8 § 2 de la Convention, à savoir « la défense de l’ordre » et la « prévention des infractions pénales ». L’argument du requérant selon lequel la condamnation pour vol en 2014 concernait des faits datant de 2009 ne change rien à ce constat.
3. Nécessité de la mesure dans une société démocratique
92. Il reste donc à examiner si la mesure était « nécessaire dans une société démocratique ». La Cour se réfère aux principes généraux énoncés à ce sujet dans sa jurisprudence et récemment rappelés dans ses arrêts Saber et Boughassal c. Espagne (nos 76550/13 et 45938/14, §§ 38-42, 18 décembre 2018) et I.M. c. Suisse (no 23887/16, §§ 68-73, 9 avril 2019).
93. En l’espèce, le renvoi du requérant a été décidé par l’AMR du 18 février 2011 en raison de sa condamnation pénale en 2010 pour des faits de tentative de meurtre, tentatives de vols avec violences aggravées et coups volontaires datant de 2009. Dans le cadre du recours en annulation qu’il a exercé devant le CCE contre cet arrêté, le requérant s’est plaint que les autorités administratives avaient fait prévaloir la protection de l’ordre public sans évaluation de sa situation personnelle et familiale contrairement aux exigences de l’article 8 de la Convention. À l’appui de cette allégation, le requérant a fourni une attestation sur l’honneur de sa partenaire qu’elle était en couple avec lui ainsi que l’acte de naissance de l’enfant. En réponse à ce moyen, le CCE s’est limité à observer que la réalité d’une vie familiale reposait sur des déclarations contradictoires dans le premier cas et n’était établie par aucun commencement de preuve dans le second, pour conclure que l’argument du requérant selon lequel l’AMR aurait été disproportionné au sens de l’article 8 n’était pas fondé. Dans son appréciation en droit, le Conseil d’État n’a pas remis en cause l’appréciation en fait du lien avec sa partenaire que le CCE avait opérée souverainement et a considéré que le requérant n’était pas recevable à faire état, pour la première fois en cassation, de l’effet rétroactif de l’établissement de sa filiation intervenue en cours de délibéré du CCE.
94. Il s’ensuit qu’à défaut de reconnaissance de l’existence d’une vie familiale en Belgique dans le chef du requérant, une mise en balance des intérêts en présence requise par l’article 8 de la Convention n’a été faite ni par le CCE ni par le Conseil d’État.
95. La Cour constate que cette carence n’a pas été redressée dans le cadre des recours en annulation des OQT subséquents puisque ceux-ci ont tous été déclarés irrecevables au motif qu’ils n’étaient que des mesures d’exécution de l’AMR. Conformément à la jurisprudence du CCE, ces OQT n’ayant pas d’existence autonome, ils n’étaient pas susceptibles de recours. S’il est vrai que, malgré les constatés répétés d’irrecevabilité des recours introduits par le requérants contre les différents OQT, le CCE a rappelé au requérant qu’il lui appartenait de faire valoir les griefs tirés de l’article 8 de la Convention dans le cadre d’une demande de levée de l’AMR, une telle demande ne pouvait utilement être introduite qu’après l’exécution de l’ordre de renvoi conformément à l’article 46bis ancien de la loi sur les étrangers. Aucune des demandes de levée de l’AMR introduites par le requérant n’a été, pour cette raison, prise en considération par l’OE. Quant à la demande faite par le requérant de régularisation de son séjour au titre du regroupement familial, elle a également échoué au motif qu’il faisait l’objet d’un AMR, et qu’il n’avait dès lors pas le droit de se trouver sur le territoire belge.
96. La Cour relève que dans le cadre de la procédure de mise en liberté contre la détention contenue dans l’OQT du 4 mars 2015 (paragraphes 52-53 ci-dessus), les juridictions d’instruction – en l’occurrence la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles et la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles – ont, contrairement aux instances et juridictions administratives, procédé à une mise en balance des intérêts en présence. Considérant que la mesure initiale de renvoi était illégale et que le requérant ne pouvait plus être considéré comme une menace pour la sécurité publique, les juridictions saisies ont conclu que la privation de liberté constituait une atteinte disproportionnée à la vie familiale et ont, pour cette raison, ordonné sa libération.
97. La Cour estime qu’il incombait aux autorités nationales compétentes de motiver leurs décisions de manière suffisamment circonstanciée, afin notamment de permettre à la Cour d’assurer le contrôle européen qui lui est confié (voir, mutatis mutandis, X c. Lettonie [GC], no 27853/09, § 107, CEDH 2013, El Ghatet c. Suisse, no 56971/10, § 47, 8 novembre 2016, et I.M. c. Suisse, précité, § 72). Un raisonnement insuffisant des autorités internes, sans véritable mise en balance des intérêts en présence, est contraire aux exigences de l’article 8 de la Convention. Dans un tel cas, ces autorités ne démontrent pas que l’ingérence dans le droit protégé par la Convention correspond à un besoin social impérieux ou, à tout le moins, qu’elle est proportionné aux buts poursuivis (voir I.M. c Suisse, précité, § 72). C’est ce qui s’est passé en l’espèce. La Cour tient à ajouter que si, comme l’ont fait les juridictions d’instruction à propos de la détention du requérant, l’OE, le CCE ou le Conseil d’État avait procédé à une mise en balance circonstanciée des intérêts en cause, prenant en compte les différents critères établis par la jurisprudence de la Cour (paragraphe 92 ci‑dessus), et si ces autorités avaient indiqué des motifs pertinents et suffisants pour justifier leurs décisions, elle aurait, en ligne avec le principe de subsidiarité, pu le cas échéant être amenée à considérer que les autorités internes n’avaient ni manqué de ménager un juste équilibre entre les intérêts du requérant et de l’État demandeur ni excédé la marge d’appréciation dont elles jouissent dans le domaine de l’immigration (voir, mutatis mutandis, El Ghatet, précité, § 52, et I.M. c. Suisse, précité, § 77).
98. Eu égard aux circonstances, il y a lieu de conclure que la mesure de renvoi du requérant a été adoptée en violation de l’article 8 de la Convention.
3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
99. Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif pour faire valoir ses griefs tirés de l’article 8 précité. Il allègue que sa paternité n’a pas été prise en compte lors de la prise de l’AMR. Ensuite, qu’il s’agisse des recours menés contre l’AMR ou contre les OQT qui ont suivi, ni le CCE ni le Conseil d’État n’ont examiné cet élément au fond, et ne se sont prononcés sur la violation de son droit au respect de sa vie familiale.
100. Eu égard à la conclusion figurant au paragraphe 98 et au fait que le grief soulève en substance les mêmes questions que sous l’article 8, la Cour n’estime pas nécessaire de l’examiner séparément.
4. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
101. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
102. Le requérant réclame, au titre du dommage matériel, la restitutio in integrum, à savoir la remise en possession d’une carte de séjour à durée limitée.
103. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci. Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 de la Convention habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Sargsyan c. Azerbaïdjan (satisfaction équitable) [GC], no 40167/06, § 35, 12 décembre 2017, et Chiragov et autres c. Arménie (satisfaction équitable) [GC], no 13216/05, § 53, 12 décembre 2017).
La Cour rappelle également que, conformément aux principes dégagés par sa jurisprudence constante, la forme et le montant de la satisfaction équitable tendant à la réparation d’un préjudice diffèrent selon les cas et dépendent directement de la nature de la violation constatée, et qu’il doit y avoir un lien de causalité entre le dommage allégué par le requérant et la violation de la Convention (Sargsyan, précité, § 36, et Chiragov et autres, précité, § 54).
104. La Cour rappelle qu’en l’espèce, le constat de violation de l’article 8 de la Convention découle de la mesure de renvoi avec interdiction d’entrée (paragraphe 98 ci-dessus). Elle estime par conséquent que si le redressement demandé par le requérant peut certes faire partie des mesures prises par l’État belge pour exécuter le présent arrêt, il ne découle pas de manière directe ni naturelle de la violation constatée que l’État soit obligé de prendre une telle mesure (voir à ce sujet : Emre c. Suisse (no 2), no 5056/10, § 75, 11 octobre 2011). Pour cette raison, la Cour rejette cette partie de la demande.
105. Le requérant réclame également, justificatifs à l’appui, 55 476 euros (« EUR ») au titre du préjudice matériel du fait de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée qu’il avait obtenu avant d’être arrêté à la suite de la décision initiale prise par l’OE en mai 2014 de le placer en détention en vue de son éloignement.
106. Le Gouvernement estime que le requérant ne peut se prévaloir d’un dommage matériel étant donné qu’il n’a jamais pu légalement travailler sur le territoire belge.
107. La Cour note que la demande du requérant se rapporte au grief relatif à sa détention, à propos de laquelle elle a constaté une violation de l’article 5 § 4 (paragraphe 74 ci-dessus). Toutefois, elle ne saurait spéculer sur ce qu’eût été l’issue d’une procédure conforme à cette disposition (voir, mutatis mutandis, Dzelili c. Allemagne, no 65745/01, § 112, 10 novembre 2005). Dès lors, rien ne justifie l’octroi de dommages‑intérêts de ce chef.
108. Le requérant réclame ensuite 40 800 EUR au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi du fait des détentions successives et de la séparation de sa famille pendant ces périodes.
109. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
110. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour octroie au requérant 10 000 EUR au titre du préjudice moral.
2. Frais et dépens
111. Le requérant demande, justificatifs à l’appui, 8 553 EUR pour les frais et dépens engagés pour sa défense devant la Cour (honoraires et frais).
112. Le Gouvernement fait valoir que le requérant était éligible à l’aide juridique, y compris pour les frais afférents à la procédure devant la Cour.
113. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Sargsyan, précité, § 61).
114. La Cour considère que les sommes réclamées sont excessives et estime raisonnable de lui accorder la somme de 3 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû par lui sur cette somme à titre d’impôt, pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
3. Intérêts moratoires
115. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 5 § 4 et 8 de la Convention ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
4. Dit qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
1. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
2. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 février 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stephen PhillipsGeorgios A. Serghides
GreffierPrésident
* * *
[1] Rectifié le 10 juillet 2020 : le texte était le suivant : « … 13 février 2011. ».