QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE VĂCEAN c. ROUMANIE
(Requête no 47695/14)
ARRÊT
Art 8 • Vie privée • Obligations positives • Manquement des autorités nationales à protéger le droit à la réputation du requérant • Pas d’examen de la contribution à une question d’intérêt général de l’interview et des articles parus sur Internet, et de la nature des propos de la personne interviewée • Absence de mise en balance des intérêts en jeu dans le respect de la jurisprudence de la Cour
STRASBOURG
16 novembre 2021
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Văcean c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :
Yonko Grozev, président,
Tim Eicke,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Jolien Schukking, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier de section,
Vu la requête (no 47695/14) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Alin-Corneliu Văcean (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 25 juin 2014,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement ») le grief concernant l’article 8 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 octobre 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête porte sur le manquement allégué des autorités nationales à protéger le droit à la réputation du requérant. Celui-ci invoque l’article 8 de la Convention.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1978 et réside à Arad. Il a été représenté par Me D. Creciun, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme O. Ezer, du ministère des Affaires étrangères.
1. LA GENÈSE DE L’AFFAIRE
4. À une date non précisée en 2011, le requérant, qui était professeur de musique, concourut pour le poste de directeur de la Philharmonie d’Arad (« la Philharmonie »), un établissement public. Pour pouvoir se porter candidat, il fallait avoir un casier judiciaire vierge. À l’issue du concours, le requérant obtint la meilleure note. Il devait être nommé au poste en question, par la mairie d’Arad.
5. Au même moment, un enregistrement vidéo circulait sur Internet. Capté en 2008 par une caméra de surveillance, il montrait un homme en train de voler le rétroviseur d’une voiture de luxe sur un parking. À partir d’une ressemblance physique entre le requérant et la personne qui apparaissait sur la vidéo, une journaliste réalisa un reportage sur la nomination de l’intéressé au poste de directeur de la Philharmonie. Dans le cadre de ce reportage, elle interrogea successivement M.D., président du Syndicat des artistes interprètes de la Philharmonie (« le syndicat »), puis deux autres personnes travaillant pour la Philharmonie et le conseil local, afin de recueillir leur avis quant à la ressemblance entre le requérant et la personne qui apparaissait sur la vidéo de 2008.
6. Le reportage comprenait l’échange suivant entre la journaliste et M.D. :
« Journaliste (J) : Qu’est-ce que vous voyez sur l’image ?
M.D. : Eh bien, un parking, des images filmées par une caméra de surveillance, où on voit quelqu’un qui essaye de voler quelque chose d’une voiture ou même qui vole quelque chose.
J. : Est-ce que vous reconnaissez cette personne ?
M.D. : Il me semble que je le connais. Oui.
J. : Qui pensez-vous que ce soit ?
M.D. : Un collègue (...) de l’école (...)
J. : Et maintenant, quelle (...) fonction [occupe-t-il] ?
M.D. : Maintenant, d’après ce que j’ai entendu, il va être nommé directeur, chez nous à la Philharmonie.
J. : Comment est-il possible qu’une telle personne soit lauréate [d’]un concours ? Ne demande-t-on pas [aux candidats] de fournir un [extrait de leur] casier judiciaire ?
M.D. : Si, d’après ce que je sais, et d’après ce que j’ai vu dans la décision du CLM [Conseil local municipal], on demande un [extrait du] casier judiciaire, et de l’expérience dans le domaine concerné (în domeniu) [notamment une] expérience (...) managériale mais (...) les concours [sont] ce qu’ils sont chez nous et tout est possible dans ce contexte, probablement.
J. : Ne lui a-t-on pas demandé son casier judiciaire ?
M.D. : (...) je ne sais pas s’il a [des antécédents judiciaires]. Je sais que parmi les obligations [imposées aux candidats] dans la décision du CLM concernant le concours, il y a [celle de fournir un extrait du casier judiciaire] mais (...) je ne sais pas si cette personne a [des antécédents judiciaires].
J. : Comment est-il [possible] qu’une telle personne dirige la Philharmonie ?
M.D. : Je ne sais pas ce qu’en pensent nos dirigeants (...) de leur point de vue c’est probablement quelque chose de normal.
J. : Comment s’appelle la personne qui apparaît sur ces images ?
M.D. : Văcean.
J. : Et plus précisément ?
M.D. : Văcean. Alin Văcean.
J. : Est-il lauréat d’un concours ?
M.D. : Oui. D’après ce que j’ai compris, oui. Il a passé avec succès l’épreuve de management ainsi que l’entretien.
J. : Mais sur ces images on le voit en train de voler (...) les rétroviseurs d’une voiture.
M.D. : Effectivement (...) Peut-être que [la condition d’absence d’antécédents judiciaires] n’a pas été appliquée pour ce concours [ou peut-être] que la commission n’en a pas tenu compte, puisque, s’il avait eu un passé pénal (...) il aurait dû être exclu du concours (...)
J. : J’ai cru comprendre qu’il y avait toutes sortes de blagues qui circulaient à la Philharmonie, les gens disent qu’ils ne viendront plus en voiture (...)
M.D. : Cela tient plutôt de l’anecdote.
J. : Qu’est-ce qui tient de l’anecdote ?
M.D. : Bien sûr que les gens font des blagues sur tout, parce que c’est tout ce qui leur reste.
J. : Que disent-ils ?
M.D. : Je préfère (...) ne pas le répéter.
J. : Qu’ils ne viennent plus en voiture ?
M.D. : Bref (...) Des choses comme celles-ci sont malheureusement déjà arrivées, même chez nous (...) et je vois qu’elles continuent d’arriver. Nous espérons qu’il y aura le moins possible d’éléments de ce type. »
7. Les deux autres personnes interrogées (paragraphe 5 ci-dessus) répondirent ainsi : la première déclarait qu’elle ne pouvait pas affirmer que la personne figurant sur l’enregistrement fût le requérant. Elle précisait que la vidéo avait déjà donné lieu par le passé à des discussions qui s’étaient ensuite calmées, et qu’elle ne savait pas comment elle était réapparue. La seconde soulignait que le requérant devait bénéficier de la présomption d’innocence.
8. À la fin du reportage, la journaliste interrogeait la sous-commissaire de police C.T. Celle-ci indiquait que le propriétaire de la voiture avait mis l’enregistrement à la disposition de la police et qu’une enquête préliminaire contre X était en cours.
9. Ce reportage fut publié le 29 août 2011 sur le site du journal Adevărul (www.adevarul.ro).
10. Le même jour, la société de médias Antena 3 publia sur sa page Internet un article intitulé « Le nouveau directeur de la Philharmonie d’Arad soupçonné de vol de rétroviseurs sur une voiture de luxe ». L’article rapportait que le requérant était soupçonné d’avoir volé des rétroviseurs. Il comprenait le passage suivant :
« On voit Alin Văcean dans cette situation sur une vidéo qui circule sur Internet. Les images ont été découvertes par un habitant d’Arad en 2008, alors qu’une enquête avait été ouverte contre Văcean. Nous avons tenté sans succès de contacter le nouveau directeur de la Philharmonie pour recueillir sa version. » L’article décrivait ensuite le contenu de la vidéo, et précisait que la police avait reconnu qu’un dossier avait été ouvert. Il indiquait enfin qu’Alin Văcean avait obtenu sur concours le poste de directeur de la Philharmonie, et que l’enquête se poursuivait. On y trouvait aussi un lien renvoyant à la vidéo.
11. Toujours le 29 août 2011, le journal régional en ligne Vestic publia sur sa page Internet une brève intitulée « Voici l’homme à qui va le soutien du PDL [Parti démocrate libéral] d’Arad : le directeur de la Philharmonie, visé par une enquête pour vol ! ». On pouvait y lire notamment ceci : « le nouveau directeur de la Philharmonie (...) fait l’objet d’une enquête de police depuis trois ans pour le vol (...) d’un rétroviseur sur une voiture de luxe ! L’information a été rendue publique par Antena 3 cet après-midi ».
12. Le 31 août 2011, le journal Adevărul publia sur sa page Internet un article intitulé « Le directeur soupçonné de vol » et sous-titré « Alin Văcean va être nommé directeur de la Philharmonie d’Arad ». L’article était illustré d’une photographie du requérant. Il rapportait que celui-ci allait devenir le nouveau directeur de la Philharmonie alors qu’il était soupçonné de vol de rétroviseurs. On pouvait y lire les passages suivants :
« (...) les images montrent le visage du voleur, mais Alin Văcean affirme qu’il ne s’agit pas de lui. (...) Alin Văcean [va devoir s’expliquer,] son nom est apparu dans un affaire de vol (...) une vidéo datant de 2008 a circulé récemment, on y voit un individu présentant une ressemblance troublante avec le nouveau directeur de l’établissement culturel voler un rétroviseur sur une voiture de luxe garée sur un parking (...) Les employés de la Philharmonie d’État ne sont pas du tout satisfaits de leur nouveau directeur et ils s’étonnent de la ressemblance troublante entre le voleur de [rétroviseurs de] luxe et leur nouveau patron. « J’ai vu le petit enregistrement », a déclaré M.D., président du Syndicat des artistes interprètes de la Philharmonie, « et je dois dire que le voleur ressemble trait pour trait à la personne qui, d’après ce que j’ai entendu, va reprendre le poste de directeur. Je n’ai pas la compétence pour faire la lumière sur cette affaire, mais si les enquêteurs prouvent que ce voleur de rétroviseur et Alin Văcean ne font qu’un, cela voudra dire que sa nomination à la tête de la Philharmonie ne pourra pas être confirmée ». « Je n’ai rien fait », affirme pour sa part Alin Văcean, « ce comportement ne me ressemble pas. Je n’ai jamais été invité à faire une déposition à la police ».
L’enquête est toujours en cours
« Le propriétaire de la voiture a mis à notre disposition l’enregistrement qui montre le vol du rétroviseur », a quant à elle déclaré la sous-commissaire C.T., porte-parole de la police d’Arad. « Une enquête pénale contre X est en cours », a-t-elle précisé. »
13. Ces articles comprenaient aussi un lien renvoyant à la vidéo de 2008.
14. Avant de confirmer la nomination du requérant au poste de directeur de la Philharmonie, la mairie d’Arad demanda à la police d’Arad des informations sur l’éventuelle implication de l’intéressé dans une enquête pénale liée à un vol. Le 6 septembre 2011, la police informa la mairie qu’aucun dossier pénal n’avait été enregistré au nom du requérant et que ce dernier n’avait fait l’objet d’aucune enquête pour vol d’objets provenant d’une voiture sur le territoire de la ville d’Arad.
15. Le requérant fut donc nommé directeur de la Philharmonie.
2. La procédure civile engagée par le requérant
1. L’action introduite devant le tribunal de première instance d’Arad
16. Le 20 juillet 2012, le requérant engagea devant le tribunal de première instance d’Arad (« le tribunal de première instance ») une action en responsabilité civile délictuelle contre M.D. et contre les sociétés de médias Adevărul, Arbitim Media et Antena 3, pour atteinte à son droit à l’image et à la réputation. Invoquant les dispositions légales régissant la responsabilité civile délictuelle (paragraphe 28 ci-dessous), l’article 30 de la Constitution (paragraphe 27 ci-dessous) et l’article 10 § 2 de la Convention, il soutenait que la déclaration de M.D. et les articles publiés sur les sites Internet par les différentes sociétés de médias contenaient des allégations diffamatoires à son égard en ce qu’ils indiquaient qu’il faisait l’objet d’une enquête pénale pour vol.
17. Il reprochait plus particulièrement à M.D. de l’avoir présenté de manière catégorique et sans réserve comme l’auteur d’une infraction pénale lorsqu’il avait été interrogé sur le contenu de la vidéo de 2008. Il affirmait qu’il n’avait jamais fait l’objet d’aucune enquête pour vol, et que les publications litigieuses avaient eu des répercussions graves sur son image et sur sa vie professionnelle et sur ses rapports professionnels avec ses subordonnés. Il priait le tribunal de condamner M.D. à lui verser l’équivalent de 10 000 euros (EUR) pour préjudice moral, et les sociétés de médias à retirer les articles litigieux de leurs sites Internet et à publier le jugement de condamnation.
18. Les sociétés de médias invoquaient pour leur défense le droit à l’information. Elles arguaient que les accusations visant le requérant avaient été formulées par M.D., et que celui-ci n’avait fait qu’exprimer ses opinions. Elles exposaient que les publications litigieuses s’inscrivaient dans le cadre d’une investigation journalistique, et que cette investigation était justifiée par le fait que le requérant devait occuper une fonction publique. De plus, elle était fondée sur une preuve concrète, à savoir l’enregistrement vidéo.
19. M.D. soutenait qu’il n’avait pas désigné avec certitude le requérant comme étant l’auteur des faits mais simplement exprimé une opinion en sa qualité de président du syndicat.
20. Par un jugement du 23 avril 2013, le tribunal de première instance fit droit à l’action du requérant. Il jugea que lors de l’interview litigieuse, M.D. avait indiqué sans équivoque, après avoir visionné la vidéo de 2008, que le requérant était l’auteur du vol. Il nota qu’à la suite de la publication de cette interview sur Internet le 29 août 2011, plusieurs articles publiés en ligne avaient présenté le requérant – qui, à l’époque des faits, était candidat au poste de directeur de la Philharmonie – comme le suspect d’un vol.
21. Tenant compte de la distinction à opérer entre déclarations de fait et jugements de valeur, le tribunal de première instance jugea que les propos de M.D. comportaient des affirmations factuelles qui n’étaient pas étayées par des preuves. Il ajouta qu’il ressortait des pièces du dossier que M.D. avait fait ces déclarations sciemment et qu’il était conscient des répercussions qu’elles pouvaient avoir.
22. Le tribunal de première instance jugea que dans le contexte de l’affaire, M.D. ne pouvait pas bénéficier de la protection de l’article 10 de la Convention, et que le requérant avait subi un préjudice moral certain du fait d’avoir été présenté publiquement comme l’auteur d’un vol. Il condamna M.D. à verser au requérant 5 000 EUR, pour dommage moral.
23. Se référant ensuite aux droits et obligations des journalistes, le tribunal de première instance jugea que les sociétés de médias mises en cause avaient porté atteinte au droit du requérant à jouir d’une bonne réputation. Sans faire au préalable un minimum de démarches et de vérifications, elles avaient publié des articles où l’intéressé était présenté comme l’auteur présumé d’un vol. Sur la question de la bonne foi des journalistes, il considéra que le seul fait que M.D. avait identifié le requérant comme l’auteur du vol n’était pas un élément suffisant pour constituer une base factuelle raisonnable et pour justifier la publication sans vérifications supplémentaires des articles en cause. En conséquence, il condamna les sociétés de médias à retirer de leurs pages Internet les articles litigieux et à publier le jugement de condamnation pendant trois jours lorsqu’il serait devenu définitif.
2. Le recours devant le tribunal départemental d’Arad
24. M.D. forma un recours devant le tribunal départemental d’Arad (« le tribunal départemental ») contre le jugement du 23 avril 2013. Il exposait qu’il avait répondu aux questions de la journaliste en sa qualité de président du syndicat et non à titre personnel, et que l’interview s’inscrivait dans une démarche journalistique qui portait sur une question d’intérêt général.
25. Par un arrêt définitif du 21 janvier 2014, le tribunal départemental fit droit au recours de M.D. Il infirma le jugement rendu en première instance et rejeta intégralement l’action du requérant. Dans son raisonnement, il nota que M.D. avait été interviewé par une journaliste en sa qualité de président du syndicat au sujet des allégations qui circulaient sur les réseaux sociaux relativement à une vidéo qui montrait supposément le requérant en train de commettre un vol. Il considéra que l’interview faisait partie d’une démarche journalistique d’investigation d’intérêt public qui visait à informer les citoyens et les autorités de ce qu’une personne apparemment identifiable avait été filmée en train de voler le rétroviseur d’une voiture. Il nota aussi que M.D. n’était pas lui-même à l’origine de l’enregistrement vidéo ni de sa publication sur Internet et que le requérant « était le directeur d’un établissement public culturel, la Philharmonie ».
26. Le tribunal départemental constata que c’était dans ce contexte que M.D. avait répondu aux questions de la journaliste en indiquant qu’il lui « sembl[ait] » connaître la personne qui apparaissait sur la vidéo et qu’il ne savait pas si elle avait des antécédents judiciaires, puis en précisant que cette personne se nommait Alin Văcean. Il considéra que par ces réponses M.D. n’avait pas désigné le requérant de manière catégorique comme étant l’auteur du vol ni entamé une campagne de presse contre l’intéressé en l’attaquant et en le dénigrant publiquement. Il jugea donc que les propos litigieux n’étaient pas des affirmations factuelles échappant à la protection du droit à la liberté d’expression. Il conclut que M.D. ne pouvait se voir reprocher aucun fait illicite à cet égard, et que la publication de l’interview litigieuse s’inscrivait dans le cadre d’une enquête journalistique d’intérêt public au sens de l’article 10 de la Convention.
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
27. L’article 30 de la Constitution roumaine est ainsi libellé en sa partie pertinente en l’espèce :
Article 30 – Liberté d’expression
« (...)
(6) L’exercice de la liberté d’expression ne peut porter atteinte au droit à la dignité, à l’honneur et au respect de la vie privée ni au droit à l’image. »
28. Les articles 998 et 999 du code civil, qui régissaient à l’époque des faits la responsabilité civile délictuelle, sont présentés dans l’affaire Boldea c. Roumanie (no 19997/02, § 19, 15 février 2007).
EN DROIT
1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
29. Le requérant soutient que les autorités nationales ont failli à leur obligation de protéger son droit à l’image et au respect de sa vie privée. Il invoque l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
1. Sur la recevabilité
1. Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention
30. La Cour rappelle que, pour que l’article 8 entre en ligne de compte, l’atteinte à la réputation personnelle doit présenter un certain niveau de gravité et avoir été effectuée de manière à causer un préjudice à la jouissance personnelle du droit au respect de la vie privée. Elle rappelle également qu’on ne saurait invoquer l’article 8 pour se plaindre d’une atteinte à sa réputation qui résulterait de manière prévisible de ses propres actions, telle une infraction pénale (Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no 39954/08, § 83, 7 février 2012, et Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 112, 25 septembre 2018).
31. En l’occurrence, tant dans l’interview publiée sur Internet que dans les articles parus dans les médias en ligne, le requérant était présenté comme un individu soupçonné d’avoir commis une infraction pénale alors qu’il devait être nommé à une fonction publique pour laquelle il fallait avoir un casier judiciaire vierge. Or il ne ressort pas du dossier qu’il fût réellement soupçonné de cette infraction ni, a fortiori, qu’il fît l’objet d’une accusation ou d’une condamnation de ce chef. La Cour estime donc que les allégations que renfermaient les articles en cause présentaient un niveau de gravité suffisant pour tomber sous le coup de l’article 8 de la Convention. Cette disposition est donc applicable en l’espèce.
2. Autres motifs d’irrecevabilité
32. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
33. Le requérant soutient que, en rejetant l’action en dommages et intérêts qu’il avait introduite au sujet des articles litigieux et de la déclaration de M.D., le tribunal départemental a manqué aux obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention.
b) Le Gouvernement
34. Le Gouvernement soutient que l’ingérence faite dans l’exercice par le requérant de son droit au respect de sa vie privée était prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir assurer la protection de la liberté d’expression de la presse et du droit du public à l’information, en l’occurrence l’information sur la direction de la Philharmonie. Il argue que les autorités nationales ont ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts en cause et que la publication des articles litigieux s’inscrivait dans une démarche journalistique qui visait à informer le public sur une question présentant un intérêt pour la population locale. Il ajoute que le requérant n’a pas prouvé que les déclarations de M.D. ou les articles litigieux lui aient réellement porté préjudice.
2. Appréciation de la Cour
a) Les principes généraux
35. La Cour renvoie aux principes découlant de sa jurisprudence en matière de protection de la vie privée et de liberté d’expression résumés notamment dans l’arrêt Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France ([GC], no 40454/07, §§ 83-93, CEDH 2015 (extraits)).
36. En particulier, les critères pertinents pour la mise en balance du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté d’expression sont les suivants : la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne visée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de l’espèce (Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, §§ 108-113, CEDH 2012, et Axel Springer AG, précité, §§ 90-95 ; voir également Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 93). Si la mise en balance s’est faite dans le respect de ces critères, il faut des raisons sérieuses pour que la Cour substitue son avis à celui des juridictions internes (Von Hannover, précité, § 107 ; Axel Springer AG, précité, § 89 ; et Kaboğlu et Oran c. Turquie, nos 1759/08 et 2 autres, § 70, 30 octobre 2018).
37. Par ailleurs, la Cour rappelle la distinction qui est faite entre déclarations de fait et jugements de valeur. La matérialité des déclarations de fait peut se prouver ; en revanche, les jugements de valeur ne se prêtant pas à une démonstration de leur exactitude, l’exigence voulant que soit établie leur vérité est irréalisable et porte atteinte à la liberté d’opinion elle‑même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10. Cependant, en cas de jugement de valeur, la proportionnalité de l’ingérence dépend de l’existence d’une « base factuelle » suffisante sur laquelle reposent les propos litigieux : à défaut, ce jugement de valeur pourrait se révéler excessif. Pour distinguer une imputation de fait d’un jugement de valeur, il faut tenir compte des circonstances de l’espèce et de la tonalité générale des propos, étant entendu que des assertions sur des questions d’intérêt public peuvent constituer à ce titre des jugements de valeur plutôt que des déclarations de fait (Morice c. France [GC], no 29369/10, § 126, CEDH 2015, et les références qui y sont citées).
b) Application de ces principes en l’espèce
1. Sur la question de la contribution à un débat d’intérêt général
38. En l’occurrence, le tribunal départemental a considéré que l’interview de M.D. s’inscrivait dans une démarche journalistique qui portait sur un problème d’intérêt public, et qui consistait à informer les citoyens et les autorités de ce qu’une personne apparemment identifiable avait été filmée en train de voler le rétroviseur d’une voiture (paragraphe 25 ci-dessus).
39. Sans remettre en cause le constat du tribunal départemental, la Cour note que ce dernier a certes considéré que les articles publiés portaient sur une question d’intérêt général, mais que concrètement ces articles portaient essentiellement sur la question de savoir si le requérant répondait aux conditions requises pour présenter sa candidature au poste de directeur de la Philharmonie alors que, selon les journalistes, il était soupçonné de vol. Ainsi, comme le soutient aussi le Gouvernement (paragraphe 34 ci-dessus), le problème d’intérêt général pour la communauté sur lequel portait la démarche journalistique était plutôt la question de savoir si le requérant pouvait occuper le poste de directeur d’un établissement public que l’infraction de vol de rétroviseur en elle-même.
40. De l’avis de la Cour, compte tenu, d’une part, de ce que les faits que montrait la vidéo s’étaient déroulés plusieurs années avant la diffusion du reportage et, d’autre part, du contenu concret de celui-ci et des articles litigieux, il aurait été souhaitable que le tribunal départemental expliquât dans son arrêt les raisons pour lesquelles il considérait que ces publications relevaient d’un débat d’intérêt général.
2. Sur la notoriété de la personne visée, l’objet des publications et le comportement antérieur de la personne visée
41. La Cour constate, comme les juridictions nationales (paragraphes 20 et 25 ci-dessus), qu’à l’époque des faits litigieux le requérant visait à exercer la fonction de directeur de la Philharmonie de la ville, un établissement public. Elle observe toutefois qu’il ne ressort pas du dossier qu’il était connu du public ni qu’il ait eu la moindre notoriété ne serait-ce qu’au niveau départemental avant d’avoir manifesté son intérêt pour ce poste. Elle note aussi que les juridictions nationales ne se sont pas prononcées sur le comportement qu’il avait pu avoir antérieurement vis‑à‑vis des médias.
42. Elle observe ensuite que, lorsqu’il a rejeté l’action en indemnisation introduite par le requérant, le tribunal départemental a seulement indiqué de façon générale que l’intéressé était « le directeur d’un établissement public culturel, la Philharmonie » (paragraphe 25 ci-dessus). En toute hypothèse, la Cour estime que, eu égard au statut et à la fonction du directeur d’un établissement public local, le requérant est inévitablement et sciemment entré dans la sphère publique lorsqu’il a passé le concours d’accès à ce poste, et que, ce faisant, il s’est exposé à un examen attentif de ses actes. Elle convient que les limites de la critique acceptable doivent par conséquent être plus larges en l’espèce que dans le cas d’un individu qui ne serait absolument pas connu du public (voir, mutatis mutandis, Egill Einarsson c. Islande, no 24703/15, § 44, 7 novembre 2017). Ces limites n’atteignent toutefois pas ici celles qui découlent du degré de tolérance dont doivent faire preuve par exemple les hommes politiques (voir, mutatis mutandis, Nilsen et Johnsen c. Norvège [GC], no 23118/93, § 52, CEDH 1999‑VIII). Or en l’espèce, les allégations portées à l’égard du requérant concernaient son implication supposée dans la commission d’un acte pénalement répréhensible. Si les faits avaient été avérés, ils auraient eu une incidence certaine sur sa carrière professionnelle. Dans ces conditions, on ne peut pas dire qu’il aurait dû faire montre d’un plus grand degré de tolérance face aux affirmations litigieuses.
3. Sur le contenu, la forme et les répercussions des allégations de M.D. et des publications
43. La Cour note que le requérant a soutenu devant les juridictions nationales que les propos tenus par M.D. lors de l’interview et les articles parus par la suite sur les pages Internet de plusieurs journaux avaient porté atteinte à sa réputation (paragraphe 16 ci-dessus).
44. En ce qui concerne les propos de M.D., elle observe que la question posée devant les juridictions internes était celle de savoir s’ils constituaient des déclarations de fait ou des jugements de valeur (voir, par exemple, Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, §§ 42-43, CEDH 2001 II, et Brosa c. Allemagne, no 5709/09, §§ 43-47, 17 avril 2014). Le tribunal de première instance a jugé que dans ses réponses aux questions posées par la journaliste, M.D. avait désigné le requérant comme étant l’auteur d’un vol, et que ces affirmations constituaient des déclarations de fait (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). Le tribunal départemental a estimé, au contraire, que dans ses réponses M.D. n’avait pas désigné de manière catégorique le requérant comme étant l’auteur du vol, et que ses propos n’étaient pas des affirmations factuelles (paragraphe 26 ci-dessus).
45. La Cour rappelle que la qualification d’une déclaration en fait ou en jugement de valeur est une question qui relève au premier chef des autorités nationales, en particulier des juridictions internes. Elle peut toutefois juger nécessaire de procéder à sa propre appréciation des déclarations litigieuses (Egill Einarsson, précité, § 48, et Brosa, précité, §§ 43-50).
46. Ayant examiné le contenu des propos litigieux tenus en l’espèce par M.D., la Cour estime qu’une analyse nuancée s’impose. Elle constate que, dans un premier temps M.D. a, à la demande de la journaliste, décrit le contenu de l’enregistrement vidéo (paragraphe 6 ci-dessus). Il s’agissait là d’une simple description objective des agissements – non contestés par les parties – de la personne figurant sur l’enregistrement. Ensuite, la journaliste a posé à M.D. d’autres questions (paragraphe 6 ci-dessus), notamment sur la condition d’absence d’antécédents judiciaires, requise pour une participation au concours, et sur la perspective que le requérant soit nommé directeur de la Philharmonie. En répondant à ces questions, M.D. a exprimé des avis personnels qui constituent des jugements de valeur. Qui plus est, il s’agissait d’assertions orales prononcées lors d’une interview, et M.D. ne pouvait donc pas les reformuler, les parfaire ou les retirer (voir, mutatis mutandis, Andreescu c. Roumanie, no 19452/02, § 95, 8 juin 2010).
47. La Cour considère que la question cruciale que pose l’affaire portée devant elle est celle de déterminer la nature des propos par lesquels M.D. a déclaré reconnaître le requérant sur l’enregistrement. Interrogé par la journaliste, M.D. a d’abord répondu qu’il lui « semblait » connaître la personne qui apparaissait sur les images (paragraphe 6 ci-dessus). Répondant aux questions répétées de la journaliste, il a finalement donné le nom du requérant. La Cour admet que, en reconnaissant la personne présentée sur l’enregistrement, M.D. a fait usage de ses capacités de mémoire et de reconnaissance visuelle. Toutefois, la Cour remarque que M.D. n’avait exprimé aucune retenue lorsqu’il avait donné le nom du requérant et qu’il avait fait une affirmation qui ne laissait pas de doute quant à la personne en cause. S’il est vrai que M.D. n’a pas affirmé expressément que le requérant était l’auteur du vol, il l’a néanmoins identifié et désigné comme étant la personne qui apparaissait sur la vidéo et qu’il avait décrite comme étant en train de commettre un vol. Or, de l’avis de la Cour, une telle succession de déclarations constitue une déclaration objective et factuelle.
48. Elle considère donc que, en ce qui concerne les propos de M.D., le tribunal départemental n’a pas réalisé un examen assez nuancé et n’a pas recherché si les allégations qu’il avait portées pouvaient, prises dans leur ensemble et dans le contexte des questions posées, avoir, au moins dans une certaine mesure, une connotation factuelle. Qui plus est, le tribunal départemental a simplement conclu qu’il ne se trouvait pas en présence d’affirmations factuelles échappant à la protection du droit à la liberté d’expression (paragraphe 26 ci-dessus), sans plus d’explications. De telles explications étaient d’autant plus nécessaires dans la présente espèce, où le tribunal de première instance était parvenu à une conclusion différente, à savoir que les propos de M.D. comportaient des affirmations factuelles (paragraphe 21 ci-dessus).
49. Pour ce qui est des articles parus sur Internet (paragraphes 10 à 12 ci-dessus), elle constate que le tribunal départemental a simplement considéré que la publication de l’interview litigieuse s’inscrivait dans le cadre d’une enquête journalistique d’intérêt général (paragraphe 26 ci‑dessus), centrant son analyse principalement sur les propos imputés à M.D. sans apporter de réponse à la question de savoir si, en l’espèce, la liberté de la presse pouvait justifier leur publication réitérée et l’atteinte que la forme et le contenu des articles litigieux pouvaient porter au droit du requérant à la protection de sa réputation (paragraphes 25 et 26 ci-dessus ; voir, a contrario, Petrie c. Italie, no 25322/12, § 52, 18 mai 2017, où la juridiction statuant en appel avait analysé de manière approfondie le contexte factuel et les différents propos en cause). Elle considère que pareille approche est incompatible avec les principes qui se dégagent de sa jurisprudence (paragraphes 36 et 37 ci-dessus).
50. En particulier, la Cour note que le tribunal départemental n’a examiné ni la nature des déclarations que renfermaient les articles litigieux ni la question de savoir si les journalistes devaient justifier la teneur de leurs écrits par une base factuelle. Or ces articles visaient à transmettre à l’opinion publique un message sans équivoque – à savoir que le requérant, futur directeur d’un établissement public, faisait ou aurait dû faire l’objet d’une enquête pénale pour vol (paragraphes 10-12 ci-dessus). Dans ces conditions, le tribunal départemental aurait dû rechercher s’ils reposaient sur une base factuelle objective et suffisante.
51. Par ailleurs, la Cour note que, outre la déclaration de M.D., l’un des articles mentionnait expressément la déclaration de la sous-commissaire de police qui exposait qu’une enquête pénale contre X était en cours (paragraphe 12 ci-dessus). Dans le même article, il était noté que le requérant niait les faits (paragraphe 12 ci-dessus). Dans un tel contexte, étant donné le choix des journalistes de présenter le requérant comme un individu « soupçonné de vol », alors qu’il ne faisait l’objet d’aucune enquête judiciaire et qu’aucun autre élément objectif que les déclarations de M.D. ne permettait de penser que tel fût le cas, le tribunal départemental aurait même pu se poser la question de savoir si les journalistes avaient agi de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique (voir, mutatis mutandis, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 54, CEDH 1999 I, et Bergens Tidende et autres c. Norvège, no 26132/95, § 53, CEDH 2000 IV).
52. Enfin, le tribunal départemental n’a à aucun moment analysé l’ampleur de la diffusion sur Internet des articles litigieux, l’accessibilité de ces articles (voir, mutatis mutandis, Savva Terentyev c. Russie, no 10692/09, § 80, 28 août 2018, et, a contrario, M.L. et W.W. c. Allemagne, nos 60798/10 et 65599/10, § 113, 28 juin 2018) ou leur impact sur la situation du requérant. La Cour rappelle à cet égard que les communications en ligne et leur contenu risquent assurément bien plus que dans la presse de porter atteinte à l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, en particulier du droit au respect de la vie privée (Delfi AS c. Estonie [GC], no 64569/09, § 133, CEDH 2015).
53. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que, pour ce qui est des articles publiés sur Internet, le tribunal départemental a omis de prendre en considération les critères qu’elle a énoncés dans sa jurisprudence et de mettre en balance le droit du requérant au respect de sa réputation et le droit des journalistes à la liberté d’expression (voir, mutatis mutandis, Gheorghe-Florin Popescu c. Roumanie, no 79671/13, § 34, 12 janvier 2021).
4. Conclusion
54. La Cour constate que le tribunal départemental n’a pas suffisamment examiné ni la question de savoir si l’interview de M.D. et les articles litigieux apportaient véritablement une contribution à une question d’intérêt général (paragraphe 40 ci-dessus) ni celle concernant la nature des propos de M.D., et qu’il n’a pas mis en balance conformément aux critères qu’elle a établis dans sa jurisprudence le droit des journalistes à la liberté d’expression et le droit du requérant au respect de sa vie privée (paragraphes 49 à 53 ci-dessus). Dans ces conditions, elle conclut que les autorités nationales ont manqué aux obligations positives qui leur incombaient en vertu de l’article 8 de la Convention (voir, a contrario, Petrie, précité, § 54).
55. Partant, il y a eu violation de cette disposition.
2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
56. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
57. Le requérant ne sollicite aucune somme pour dommage matériel. En revanche, il demande 5 000 euros (EUR) pour dommage moral.
58. Le Gouvernement considère que dans les circonstances de l’espèce, un constat de violation constituerait une réparation suffisante. Il ajoute que la somme sollicitée par le requérant est excessive et n’est pas justifiée.
59. La Cour note que le requérant ne demande pas réparation d’un préjudice matériel. Dès lors, elle ne lui alloue aucune somme à ce titre. En revanche, elle estime que le simple constat d’une violation ne constitue pas en l’espèce une réparation suffisante du préjudice moral subi par l’intéressé. Statuant en équité conformément à l’article 41 de la Convention, elle lui accorde 2 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.
2. Frais et dépens
60. Le requérant réclame 550 EUR au titre des frais et dépens qu’il allègue avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes. Il présente deux quittances attestant du paiement d’honoraires d’avocat. Il ne demande pas le remboursement des frais engagés aux fins de la procédure devant la Cour.
61. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas prouvé la réalité et la nécessité des dépens dont il demande le remboursement.
62. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant 515 EUR pour les frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure interne, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt.
3. Intérêts moratoires
63. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
1. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
2. 515 EUR (cinq cent quinze euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 novembre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
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Andrea Tamietti Yonko Grozev
Greffier Président