PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE PAPARGYRIOU c. GRÈCE
(Requête no 55846/15)
ARRÊT
Art 35 § 1 • Recours interne effectif • Absence de recours en matière de durée des procédures devant les chambres d’accusation
Art 6 § 1 (pénal) • Délai raisonnable
STRASBOURG
21 novembre 2019
DÉFINITIF
21/02/2020
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Papargyriou c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :
Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Pauliine Koskelo,
Jovan Ilievski, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobre 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 55846/15) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet État, Mme Georgia Papargyriou (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 novembre 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Me M. Daliani, avocate au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme S. Papaioannou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.
3. La requérante se plaignait en particulier d’une violation de l’article 6 de la Convention en raison de la durée de la procédure pénale dirigée contre elle.
4. Le 10 mai 2017, le grief concernant la durée de la partie de la procédure qui s’est conclue par l’ordonnance no 57/2015 de la chambre d’accusation près la cour d’appel de Nauplie a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
6. La requérante est née en 1952.
7. À une date non précisée en 2004, des poursuites pénales furent engagées contre elle pour faux et détournement de fonds commis à répétition par une personne agissant dans l’exercice de ses fonctions (υπεξαίρεση στην υπηρεσία), et une enquête judiciaire fut ouverte.
8. Le 12 novembre 2004, la requérante se présenta devant les autorités de police.
9. À une date non précisée en 2012, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Corinthe ordonna la prorogation de l’enquête judiciaire (ordonnance no 38/2012).
10. Le 18 janvier 2013, une enquête judiciaire complémentaire fut ordonnée pour les chefs suivants : fraude commise en concours et à répétition par une personne agissant dans l’exercice de ses fonctions (απάτη κατά συρροή κατ’εξακολούθηση και κατ’επάγγελμα), faits censés avoir causé un préjudice d’un montant supérieur à 15 000 euros (EUR) ; détournement d’un objet de valeur élevée commis en concours et à répétition par un mandataire et gérant du patrimoine d’un tiers (εντολοδόχο και διαχειριστή ξένης περιουσίας) ; détournement de documents (υπεξαγωγή εγγράφων) commis à répétition, et faux et usage de faux commis à répétition.
11. Le 5 août 2015, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Nauplie mit fin aux poursuites pénales relatives à certains chefs de détournement de fonds commis par une personne agissant dans l’exercice de ses fonctions et décida de ne pas inculper la requérante des chefs de fraude commise en concours et à répétition (απάτη κατά συρροή και κατ’εξακολούθηση) par une personne agissant dans l’exercice de ses fonctions, de détournement d’un objet de valeur élevée commis en concours et à répétition par un mandataire et gérant du patrimoine d’un tiers et de certains chefs de détournement de fonds commis à répétition par une personne agissant dans l’exercice de ses fonctions (ordonnance no 57/2015).
2. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
12. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans l’arrêt Xynos c. Grèce (no 30226/09, §§ 20-25, 9 octobre 2014).
13. La loi no 4239/2014, intitulée « Satisfaction équitable à raison de la durée excessive des procédures devant les juridictions civiles ou pénales et la Cour des comptes, et autres dispositions » est entrée en vigueur le 20 février 2014. Le rapport explicatif de la loi précise qu’après l’achèvement de l’instance devant chaque degré de juridiction une demande de compensation peut être introduite (Xynos, précité, § 26).
14. Les articles pertinents en l’espèce de la loi no 4239/2014 se lisent ainsi :
Article 2
Compétence au sein des juridictions
« 1. S’agissant de l’examen d’une demande de satisfaction équitable pour cause de durée excessive d’une procédure, sont compétents :
a) en ce qui concerne la Cour de cassation, un magistrat de ladite juridiction,
b) en ce qui concerne la Cour des comptes, un conseiller d’État ou un maître des requêtes,
c) en ce qui concerne les cours d’appel, un président de cour d’appel, siégeant au sein de la juridiction ayant adopté la décision en cause,
d) en ce qui concerne les tribunaux de première instance, un président de tribunal de première instance, siégeant au sein de la juridiction ayant adopté la décision en cause,
e) en ce qui concerne le tribunal de paix, le juge de paix qui dirige le tribunal de paix ayant adopté la décision en cause. Dans le cas où il n’y a qu’un juge de paix affecté au tribunal de paix, l’affaire est confiée à un autre juge de paix relevant du même tribunal de première instance et désigné par le président de cette juridiction.
2. Au début de chaque année judiciaire, le président de la Cour de cassation et le président de la Cour des comptes déterminent les jours d’audience à consacrer à l’examen des demandes de satisfaction équitable, et désignent les magistrats à la Cour de cassation ainsi que les conseillers et les maîtres des requêtes compétents à la Cour des comptes. La même obligation, s’agissant de la détermination des jours d’audience et des attributions de compétence, pèse sur les présidents des formations de trois membres ainsi que sur les juges à la tête des cours d’appel, des tribunaux de première instance ou sur les tribunaux de paix. »
Article 3
Demande de satisfaction équitable
« 1. Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le demandeur, excessive. Lorsque l’intéressé présente une demande de satisfaction équitable devant une juridiction à raison de la durée de la procédure devant cette juridiction, il ne peut pas solliciter l’obtention d’une satisfaction équitable pour le dépassement du délai raisonnable d’une procédure afférente à un degré de juridiction précédent.
2. Si la demande concerne le retard dans la publication d’un arrêt par l’assemblée plénière ou une chambre de la Cour des comptes, la demande est introduite dans le délai précité, qui commence à courir à partir de la publication de la décision définitive. Le demandeur ne peut pas solliciter une satisfaction équitable pour le dépassement du délai raisonnable d’une procédure devant une chambre à travers une demande visant la procédure devant l’assemblée plénière.
3. La demande de satisfaction équitable est dirigée contre l’État grec, représenté par le ministre des Finances.
4. La demande, comprenant les éléments cités à l’article 4 § 4 de la présente loi, est déposée au greffe de la juridiction ayant adopté la décision en cause. Elle comporte le nom et l’adresse du requérant, la date, la signature ainsi que l’adresse électronique ou le numéro de téléphone ou de télécopie du requérant ou de son représentant. Deux copies de la demande sont jointes à l’original. [La demande] est notifiée, à l’initiative de l’intéressé, au Conseil juridique de l’État. Si un autre recours a déjà été exercé contre la décision en question et si le dossier de l’affaire a été transmis à une autre juridiction, celle-ci transmet copie des actes de procédure à la juridiction appelée à connaître de la demande de satisfaction équitable.
5. La demande est signée par un avocat, dont le mandat de représentation est régi par les articles 94 et suivants du code de procédure civile lorsqu’elle concerne les juridictions civiles, ou par les articles 17 et suivants du décret présidentiel no 1225/1981 lorsqu’elle est déposée devant la Cour des comptes.
6. Le montant du timbre fiscal pour l’introduction de la demande est de 50 euros [...] devant le tribunal de paix, 100 euros [...] devant le tribunal de première instance et la cour d’appel et 150 euros [...] devant la Cour de cassation et la Cour des comptes. Cette somme peut être ajustée par décision commune du ministre de la Justice, de la Transparence et des Droits de l’homme et du ministre des Finances. La demande est considérée comme irrecevable et rejetée si le droit de timbre n’a pas été acquitté avant l’audience sur l’affaire. »
Article 7
« 1. Les dispositions précitées s’appliquent par analogie aux procédures devant les juridictions pénales (...) »
EN DROIT
1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
15. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de la durée de la procédure qui s’est terminée le 5 août 2015, date à laquelle la chambre d’accusation de la cour d’appel de Nauplie a rendu l’ordonnance no 57/2015. Cette disposition est ainsi libellée en ses parties pertinentes en l’espèce :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
1. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties
16. Le Gouvernement invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Il indique que la loi no 4239/2014 a introduit, entre autres, un recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable en cas de préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions pénales, que cette loi était déjà en vigueur le 5 août 2015, date de la fin de la procédure litigieuse, et que, dès lors, la requérante aurait dû saisir les juridictions internes d’une demande de satisfaction équitable sur ce fondement. Se référant à l’arrêt Xynos, précité, il expose que la Cour a jugé cette voie de recours effective et accessible. Il considère que le législateur, conformément à la jurisprudence de la Cour en la matière, entendait inclure dans le champ d’application de la nouvelle loi les procédures pénales qui se terminaient par l’adoption d’une ordonnance. Il invoque à cet égard l’article 7 § 1 de cette loi. Il expose également que, d’après le code de procédure pénale (CPP), l’ordonnance de la chambre d’accusation constitue une décision qui doit être motivée. Renvoyant à l’arrêt Paraponiaris c. Grèce (no 42132/06, §§ 20‑22, 25 septembre 2008), il ajoute que lors de l’adoption des ordonnances la chambre d’accusation agit comme un tribunal et doit offrir aux justiciables toutes les garanties requises. Il estime que la requérante aurait dû introduire une demande d’indemnisation auprès du juge à la tête de la cour d’appel de Nauplie, qui aurait ensuite désigné le magistrat chargé de l’examen de la demande. Quant à l’argument de la requérante selon lequel, à l’époque des faits, le président de la cour d’appel compétent n’avait pas été désigné, le Gouvernement rétorque qu’il s’agit là d’une question concernant l’organisation interne de la juridiction et non la recevabilité de la demande que la requérante aurait dû introduire. Il affirme en outre que la loi a instauré la possibilité d’introduire un recours indemnitaire en cas de prolongation d’une procédure, quel que soit le degré de juridiction concerné, y compris d’une procédure devant une chambre d’accusation ayant renvoyé un accusé en jugement.
17. La requérante rétorque que la loi no 4239/2014 ne prévoit la possibilité d’introduire une demande d’indemnisation que pour les procédures ayant donné lieu à une décision des tribunaux de première et de deuxième instance et de la Cour de cassation. Elle considère que la chambre d’accusation ne fait pas partie des degrés de juridiction visés par le CPP. Elle ajoute à cet égard que la chambre d’accusation est une chambre qui adopte des ordonnances, qu’elle n’est pas un tribunal qui rend des décisions judiciaires et qu’elle ne se réunit pas en audience publique. Elle estime que la voie de recours prévue par la loi no 4239/2014 ne concerne que les procédures conduites devant un tribunal. Elle soutient que, dans le cas d’une ordonnance de renvoi en jugement d’un accusé (παραπεμπτικό βούλευμα), une demande d’indemnisation serait déclarée irrecevable comme étant prématurée dans l’attente de la décision du tribunal compétent. Elle ajoute qu’à l’époque des faits le président de la cour d’appel de Nauplie, devant lequel elle aurait pu introduire sa demande, n’avait pas été nommé. Elle indique que la loi no 4239/2014 a instauré un recours indemnitaire similaire à celui institué par la loi no 4055/2012, que cette dernière loi concerne les procédures devant les juridictions administratives, pour lesquelles il n’existerait pas de stade préliminaire, et que cela explique que la loi no 4239/2014 n’ait pas prévu de recours concernant les procédures préliminaires devant les juridictions pénales.
2. Appréciation de la Cour
18. La Cour rappelle que la condition de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci (voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, et Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09 et 2 autres, § 221, CEDH 2014 (extraits)).
19. L’obligation d’épuiser les recours internes impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Akdivar et autres, précité, § 66).
20. Pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation incriminée et présenter des perspectives raisonnables de succès (Balogh c. Hongrie, no 47940/99, 20 juillet 2004, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II). Cependant, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non-utilisation du recours en question (Akdivar et autres, précité, § 71, et Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 70, 17 septembre 2009).
21. Dès lors qu’il existe au niveau national un recours permettant aux juridictions internes d’examiner, au moins en substance, le grief de violation d’un droit protégé par la Convention, c’est ce recours qui doit être exercé (Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 32, CEDH 2004-III). En ce qui concerne la charge de la preuve, il incombe au Gouvernement qui plaide le non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant la réparation de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 115, CEDH 2007‑IV, et Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, 25 mars 2014).
22. En l’espèce, la Cour observe que la loi no 4239/2014 a, entre autres, introduit au bénéfice des justiciables dans le cadre d’une procédure devant les juridictions pénales un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’un redressement adéquat et suffisant dans les cas de dépassement du délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. D’après l’article 3 de la loi, ce recours doit être introduit devant chaque degré de juridiction séparément, dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon l’intéressé, excessive. Dans l’arrêt Xynos précité, la Cour a conclu que le recours indemnitaire présentait l’effectivité requise, dans la mesure où il permettait de remédier a posteriori à une violation déjà consommée du droit à un délai de jugement raisonnable quant aux procédures judiciaires couvertes par ladite loi (Xynos, précité, § 54).
23. En ce qui concerne la procédure en cause, la Cour constate que la période à considérer a commencé au plus tard le 12 novembre 2004, date à laquelle la requérante s’est présentée devant les autorités de police, et qu’elle s’est terminée le 5 août 2015, date à laquelle la chambre d’accusation de la cour d’appel de Nauplie a rendu son ordonnance, soit après l’entrée en vigueur de la loi no 4239/2014. À cet égard, la Cour note la thèse du Gouvernement selon laquelle les procédures pénales qui se terminent par une ordonnance entrent dans le champ d’application de la nouvelle loi. Toutefois, le Gouvernement n’a fourni à la Cour aucune décision des juridictions internes octroyant une indemnité à raison de la durée de la procédure devant une chambre d’accusation. Il ressort d’une interprétation littérale des articles 2 et 3 de la loi no 4239/2014 que l’introduction du recours en question est possible uniquement après la publication de la « décision » définitive de la juridiction interne concernée. Or la Cour relève que, selon les dispositions du droit national, les chambres d’accusation ne rendent pas des « décisions » mais des « ordonnances », dont il n’est fait aucune mention dans le texte de ladite loi. Il apparaît que, en l’état de la jurisprudence nationale à l’époque des faits et nonobstant l’interprétation du droit national qui pourrait être donnée à l’avenir, les dispositions de la loi no 4239/2014 n’étaient pas interprétées de manière à ce que pussent être inclus dans leur champ d’application les griefs relatifs aux retards de la procédure devant les chambres d’accusation. Dès lors, en l’espèce, le Gouvernement ne peut être réputé avoir démontré au-delà de tout doute raisonnable que la requérante disposait d’une voie de recours pour se plaindre de la durée de la procédure devant la chambre d’accusation près la cour d’appel de Nauplie, qui s’est achevée par l’ordonnance no 57/2015.
24. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que, dans la présente affaire, la requérante n’était pas tenue par l’article 35 § 1 de la Convention d’utiliser le recours prévu par la loi no 4239/2014. Il s’ensuit que l’exception relative au non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ne peut être accueillie.
3. Conclusion
25. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
2. Sur le fond
1. La période à prendre en considération
26. La Cour note que la période à considérer a débuté au plus tard le 12 novembre 2004, date à laquelle la requérante s’est présentée devant les autorités de police, et qu’elle s’est terminée le 5 août 2015, date à laquelle l’ordonnance no 57/2015 de la chambre d’accusation près la cour d’appel de Nauplie a été publiée. Cette période a donc duré à tout le moins dix ans et neuf mois environ pour une instance.
2. Le caractère raisonnable de la durée de la procédure
27. La requérante estime que la durée de la procédure dirigée contre elle a été excessive.
28. Le Gouvernement indique que l’intéressée était soupçonnée d’avoir commis plusieurs actes punissables ayant fait de nombreuses victimes, dont certaines avaient déposé des plaintes séparées. Il expose que la jonction de plusieurs dossiers pertinents a été ordonnée, ce qui, affirme-t-il, a eu pour effet d’accroître le volume et la complexité du dossier. Il ajoute que la complexité de l’affaire, le nombre de victimes ainsi que la prise de mesures procédurales telles que la jonction des dossiers, la disjonction subséquente de ceux-ci et la prorogation de l’instruction principale ont conduit au prononcé de trois ordonnances du juge d’instruction. Il avance en outre que la nécessité de comprendre de façon plus approfondie les questions liées à la pratique bancaire, qui auraient présenté une difficulté particulière, ainsi que la réalisation d’une expertise graphologique ont allongé le délai d’instruction. Toutefois, d’après le Gouvernement, ce délai était absolument nécessaire pour permettre d’effectuer une enquête sérieuse et « clôturer le dossier ».
29. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes, ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Michelioudakis, précité).
30. Elle rappelle aussi avoir traité à de nombreuses reprises d’affaires soulevant comme la présente espèce la question de la durée excessive de procédures pénales en Grèce et avoir constaté une violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir l’arrêt pilote Michelioudakis, précité, et les références qui sont citées aux paragraphes 68‑70).
31. En l’occurrence, après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ni argument propre à justifier la durée de la procédure en l’espèce. Plus particulièrement, elle note que, alors que la requérante s’est présentée devant les autorités de police le 12 novembre 2004, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Nauplie n’a rendu son ordonnance que le 5 août 2015, soit plus de dix ans et neuf mois plus tard. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la procédure litigieuse a connu une durée excessive et incompatible avec l’exigence de « délai raisonnable » posée par l’article 6 § 1.
32. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
33. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
34. La requérante réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle estime avoir subi.
35. Le Gouvernement rétorque que la somme de 15 000 EUR est excessive et que la Cour a alloué des sommes nettement inférieures dans des affaires où un plus grand nombre de violations avaient été constatées.
36. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 10 000 EUR pour préjudice moral.
2. Frais et dépens
37. La requérante demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés aux fins de la procédure devant la Cour.
38. Le Gouvernement considère que la somme réclamée est excessive et non justifiée. Il ajoute que le grief communiqué ne présente aucune particularité.
39. La Cour note que la requérante n’a produit aucune facture relative aux frais engagés dans le cadre de la procédure devant elle. Il convient donc d’écarter cette demande.
3. Intérêts moratoires
40. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 novembre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Renata DegenerKsenija Turković
Greffière adjointePrésidente