QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ROXANA-MIHAELA IONIȚĂ c. ROUMANIE
(Requête no 51309/20)
ARRÊT
Art 2 (procédural) • Enquête effective • Autorités pénales en défaut d’éclaircir les circonstances du décès des parents de la requérante suite à un incendie dans leur immeuble d’habitation et d’établir les responsabilités • Carences dans la conservation des éléments de preuves et non-réalisation d’une expertise concernant la cause de l’incendie • Action civile éventuelle impactée par ces déficiences
Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.
STRASBOURG
5 novembre 2024
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Roxana-Mihaela Ioniță c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, présidente,
Faris Vehabović,
Anja Seibert-Fohr,
Ana Maria Guerra Martins,
Anne Louise Bormann,
Sebastian Răduleţu,
Mateja Đurović, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier de section,
Vu :
la requête (no 51309/20) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Roxana-Mihaela Ioniță (« la requérante »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 19 novembre 2020,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement ») le grief concernant le manque prétendu d’efficacité de l’enquête relative au décès des parents de la requérante et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 octobre 2024,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La présente requête concerne, sous l’angle de l’article 2 de la Convention, l’effectivité de l’enquête pénale relative au décès des parents de la requérante, survenu après qu’un incendie se fut déclaré dans l’immeuble où ils résidaient.
EN FAIT
2. La requérante est née en 1976 et réside à Constanţa. Elle a été représentée par Me M.L. Ivănescu, avocat à Bragadiru.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme O.F. Ezer, représentante permanente de la Roumanie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.
1. LE CONTEXTE DE L’AFFAIRE
4. Dans la nuit du 26 au 27 janvier 2016, un incendie se déclara dans l’immeuble d’appartements où résidaient les parents de la requérante. L’appartement de ces derniers fut touché par le sinistre. Par la suite, les parents de la requérante décédèrent : sa mère mourut le 27 janvier et son père le 18 février 2016.
5. Il ressort des éléments fournis par les parties que les sapeurs-pompiers sont intervenus le 27 janvier 2016 vers 2 ou 3 heures et qu’ils ont constaté que l’incendie s’était déclenché dans l’appartement de J.N., un voisin des parents de la requérante. Selon le procès-verbal dressé à cette occasion, la « cause probable » de l’incendie était une bougie que J.N. aurait gardée allumée pendant la nuit en mémoire de son épouse récemment décédée.
6. La requérante précise que le 29 janvier 2016, deux policiers ont levé les scellés posés sur l’appartement de J.N. et ont mis le logement, avec tous les biens qui s’y trouvaient, à la disposition de la fille de J.N. La requérante a fourni une copie du procès-verbal rédigé par les deux policiers à cette occasion.
7. Il ressort également des éléments fournis par les parties que J.N., qui a survécu l’incendie, a vendu son appartement à des tiers en septembre 2016 et que le bien a ensuite été rénové.
2. L’ENQUÊTE PÉNALE
8. Le 27 janvier 2016, la police engagea des poursuites pénales pour homicide involontaire sur la personne de la mère de la requérante et destruction de biens. L’enquête fut ultérieurement élargie à l’égard du père de la requérante, à la suite de son décès (paragraphe 4 ci-dessus).
9. Toujours le 27 janvier 2016, plusieurs habitants de l’immeuble en question furent entendus comme témoins. Le même jour, des recherches furent réalisées dans l’appartement des parents de la requérante et dans celui de J.N., avec l’appui d’un expert criminaliste ; des photos furent prises à cette occasion, et l’opération fut consignée dans un procès-verbal. Il ressort de ce document que les meubles situés dans le séjour de l’appartement de J.N. avaient été détruits à 95 %.
10. Le 3 février 2016, la requérante forma une plainte pénale en vue de faire établir d’éventuelles responsabilités dans le décès de sa mère et les blessures subies par son père. Le même jour, des recherches furent réalisées, en présence de la requérante, dans l’appartement de ses parents. Elles firent l’objet d’un procès-verbal qui ne souleva pas d’objection de la part de l’intéressée.
11. Par la suite, la requérante se constitua partie civile dans la procédure.
12. Il ressort du dossier que, sur instruction des autorités de poursuite, le service départemental de médecine légale de Constanţa procéda à l’examen médicolégal des corps de la mère et du père de la requérante les 28 janvier et 19 février 2016 respectivement. Selon le rapport de nécropsie du 9 août 2017, le décès de la mère de la requérante avait été provoqué par une insuffisance cardiorespiratoire survenue, sur fond de pathologies préexistantes, à la suite d’une intoxication par inhalation de monoxyde de carbone et d’acide cyanhydrique. Selon le rapport de nécropsie du 10 août 2017, le décès du père de la requérante était dû à une insuffisance cardiorespiratoire survenue sur fond de pathologies préexistantes aggravées par une intoxication par inhalation des fumées lors de l’incendie du 27 janvier 2016. Selon ce dernier rapport, il y avait un lien de causalité indirecte entre l’intoxication par les fumées et le décès.
13. Entretemps, le 18 février 2016, après le décès de son père (paragraphe 4 ci-dessus), la requérante avait été entendue comme témoin.
14. Par ailleurs, le 21 mars 2016, la police entendit la fille de J.N. Celle‑ci déclara que son père avait été hospitalisé, mais qu’il pouvait enfin se rendre disponible afin d’être entendu.
15. Les 9 mai et 30 septembre 2016, la police entendit J.N. Celui-ci déclara avoir laissé une bougie allumée mais donna aussi des informations qui suggéraient que l’incendie n’avait pas pu être causé par cette bougie.
16. Fut aussi entendu, les 15 mai et 30 septembre 2016, le commandant de l’équipage des sapeurs-pompiers, C.B. Il déclara, entre autres, qu’il n’avait pas vu la bougie en question et que s’il avait indiqué dans le procès-verbal qu’une bougie était la cause probable de l’incendie, c’était parce qu’un tiers non identifié (o persoană prezentă în apropierea locului, a cărei identitate nu o cunosc) le lui avait suggéré. Il insista sur le fait que les conclusions consignées dans le procès‑verbal avaient un haut degré de probabilité.
17. Le 30 septembre 2016, une reconstitution fut réalisée dans l’appartement de J.N. en présence de ce dernier. Il ressort des éléments fournis par les parties que l’appartement avait alors été rénové. J.N. donna des explications quant à l’emplacement des meubles et rappela l’enchaînement des événements advenus la nuit de l’incendie. Il expliqua qu’à son avis la bougie n’avait pas pu causer l’incendie, parce qu’il avait vu les flammes à quelque distance de la table où il l’avait placée.
18. Le 4 août 2017, la requérante demanda au parquet près le tribunal départemental de Constanţa (« le parquet ») de procéder à une expertise en vue de déterminer dans quelle pièce de l’appartement de J.N. l’incendie s’était déclenché. Elle demanda que l’expertise fût réalisée par un institut national sis à Petroşani. Par une ordonnance du procureur du 14 février 2018, sa demande fut rejetée au motif que l’appartement de J.N. avait fait l’objet de ventes successives les 13 septembre 2016 (paragraphe 7 ci-dessus) et 1er février 2017 et qu’il avait été entretemps entièrement rénové. Observant que la demande d’expertise intervenait « après une période de temps considérable », le procureur expliqua que dans ces conditions, une éventuelle expertise n’aurait plus pu établir la cause de l’incendie, le lieu où il s’était déclenché ni la façon dont il s’était propagé ; par voie de conséquence, elle n’aurait pu permettre d’identifier le responsable du sinistre. Le procureur s’exprima notamment comme suit :
« Au vu des documents versés au dossier de l’affaire, parmi lesquels la déclaration de C.B., le commandant de l’équipage de sapeurs-pompiers (...) – d’où il ressort que la conclusion relative à la cause de l’incendie, telle qu’il l’avait consignée dans le procès‑verbal dressé à cette date-là, tout en laissant place à des interprétations, était probable –, et [au vu] du fait que, dans l’affaire, ne peuvent plus être examinées d’autres preuves aptes à démontrer la responsabilité [vinovăţia] de J.N., je constate le fait qu’il existe un doute quant à la commission des infractions reprochées [constat faptul că există un dubiu cu privire la săvârşirea infracţiunilor sesizate]. »
19. Par une ordonnance du 15 juillet 2019, le parquet classa l’affaire au motif qu’il n’y avait pas de preuves que J.N. eût commis les faits reprochés. Cette ordonnance fut ensuite confirmée le 31 octobre 2019 par le procureur en chef du parquet.
3. LA PROCÉDURE DEVANT LE JUGE DE CHAMBRE PRÉLIMINAIRE
20. La requérante contesta l’ordonnance de classement devant le juge de chambre préliminaire du tribunal de première instance de Constanţa (« le juge de chambre préliminaire »). Elle critiquait la manière dont l’enquête avait été réalisée : elle soutenait que la détermination des causes de l’incendie avait été compromise par la restitution, deux jours à peine après l’incident, de l’appartement de J.N. à la fille de celui-ci (paragraphe 6 ci-dessus), et elle se plaignait que les recherches sur place avaient eu lieu huit mois après l’événement, à un moment où l’appartement avait été déjà vendu et rénové.
21. Par une décision avant dire droit du 21 février 2020, le juge de chambre préliminaire rejeta son action au motif que la responsabilité de J.N. n’avait pas été établie au-delà de tout doute raisonnable. Tout en reconnaissant que l’incendie s’était déclenché dans le séjour de l’appartement de J.N., le juge estima qu’on ne pouvait établir que la cause de l’incendie avait été la négligence dont J.N. avait fait preuve en laissant une bougie allumée pendant la nuit. Il rappela que l’explication selon laquelle l’incendie aurait été causé par cette bougie n’était qu’une supposition et qu’il était justifié qu’en l’absence de toute autre preuve, une telle supposition, même plausible, eût conduit au classement de l’affaire.
22. Le juge de chambre préliminaire observa ensuite que si le procès‑verbal dressé par les sapeurs‑pompiers après l’incident mentionnait comme cause probable de l’incendie la flamme de la bougie (paragraphe 5 ci‑dessus), C.B. avait toutefois déclaré en tant que témoin qu’il n’y avait pas de traces de bougie sur place et que c’était après avoir parlé aux habitants de l’immeuble qu’il avait porté une telle mention au procès-verbal (paragraphe 16 ci-dessus). Le juge exprima l’avis suivant :
« Ainsi, les mentions que comporte le procès-verbal d’intervention relativement à la cause de l’incendie n’ont pas de valeur probante (valoare probatorie) étant donné qu’elles ont été insérées à la suite de discussions avec des habitants de l’immeuble où s’est déclaré l’incendie, lesquels, de surcroît, tenaient l’information de l’intimé. »
23. Le juge de chambre préliminaire prit également en compte la déclaration de J.N. selon laquelle il avait vu une flamme à une distance de 1 mètre à 1,5 mètre de la table où il avait laissé la bougie (paragraphe 17 ci‑dessus). De l’avis du juge, les circonstances rapportées par J.N. augmentaient le doute qui pouvait exister relativement à la cause de l’incendie.
24. Enfin, quant à l’expertise demandée par la requérante (paragraphe 18 ci-dessus), le juge de chambre préliminaire se prononça en ces termes :
« En accord avec les arguments des parties demanderesses, le tribunal constate qu’il était nécessaire d’effectuer une expertise apte à déterminer la cause (sursa) de l’incendie. Le procureur de l’affaire a cependant rejeté cette [demande de] preuve de manière fondée, [parce qu’elle avait été] faite environ un an et demi après les événements, alors que [l’appartement] avait été vendu et rénové, [ce qui a rendu impossible] la réalisation de l’expertise. »
25. Le juge de chambre préliminaire conclut en ces termes :
« Ainsi, même si l’enquête relative aux infractions pour lesquelles ont été déclenchées les poursuites pénales a présenté des déficiences, une preuve telle que l’expertise demandée par les parties requérantes ne peut plus conduire au résultat recherché, la scène d’infraction – l’endroit où s’est déclaré l’incendie – étant détruite. Pour ces raisons et en l’absence d’autres éléments de preuve qui puissent conduire à établir la vérité en l’affaire, le juge de chambre préliminaire constate que la décision de classement est légale et fondée [puisqu’il n’existe pas] de preuves qui démontrent au‑delà de tout doute raisonnable que l’intimé a provoqué l’incendie survenu dans la nuit du 26 au 27 janvier 2016. »
26. La décision du 21 février 2020 fut communiquée à la requérante le 29 mai 2020.
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
27. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (« le CPP ») sont ainsi rédigées :
Article 172
Décision sur la réalisation d’une expertise ou d’une constatation
« 1. La réalisation d’une expertise est décidée lorsque l’opinion d’un expert est nécessaire pour la constatation, la clarification ou l’évaluation des faits ou des circonstances qui présentent de l’importance pour la découverte de la vérité.
2. L’expertise est décidée, dans les conditions de l’article 100 [lequel régit de manière générale l’administration des preuves], sur demande ou d’office, par l’autorité de poursuite (organul de urmărire penală) par la voie d’une ordonnance motivée ou, pendant le procès, par le tribunal, par la voie d’une décision avant dire droit motivée.
(...)
9. Lorsqu’il y a un risque de disparition des moyens de preuve ou de modification de la situation de fait ou lorsqu’il est nécessaire de clarifier de manière urgente des faits ou des circonstances de l’affaire, l’autorité de poursuite peut décider, par ordonnance, la réalisation d’une constatation.
10. La constatation est réalisée par un spécialiste employé par les autorités judiciaires ou par un spécialiste externe.
(...)
12. Après la finalisation du rapport de constatation, lorsque l’autorité judiciaire estime nécessaire de recueillir l’opinion d’un expert ou lorsque les conclusions du rapport de constatation sont contestées, elle décide la réalisation d’une expertise. »
Article 1811
Objet de la constatation et rapport de constatation
« 1. L’autorité de poursuite établit par ordonnance l’objet de la constatation, les questions auxquelles doit répondre le spécialiste et le délai [à respecter].
2. Le rapport de constatation comprend la description des opérations effectuées par le spécialiste et des méthodes, programmes et équipements utilisés ainsi que les conclusions de la constatation. »
Article 192
Recherches sur place (cercetarea la faţa locului)
« 1. L’autorité de poursuite ou, au cours du procès, le tribunal, décident [la réalisation] de recherches sur place lorsque la constatation directe est nécessaire pour déterminer ou clarifier des circonstances de fait qui présentent de l’importance pour établir la vérité et chaque fois qu’il y des suspicions quant au décès d’une personne.
(...) »
Article 193
Reconstitution
« 1. L’autorité de poursuite ou le tribunal, s’ils l’estiment nécessaire pour la vérification et la confirmation des données ou des preuves administrées ou pour établir les circonstances de fait qui présentent de l’importance pour l’examen de l’affaire, peuvent procéder à la reconstitution, intégrale ou partielle, des modalités selon lesquelles les faits ont été commis et des conditions dans lesquelles ils l’ont été.
2. Les autorités judiciaires procèdent à la reconstitution des actions ou des situations, compte tenu des circonstances dans lesquelles les faits se sont produits, sur la base des preuves administrées. Lorsque les déclarations des témoins, des parties ou des sujets processuels principaux quant aux actions ou aux situations à reconstituer divergent, la reconstitution doit être réalisée de manière séparée pour chaque version du déroulement des faits décrits par ceux-ci.
3. Lorsque le suspect ou l’inculpé se retrouve dans l’une des situations prévues à l’article 90 [c’est-à-dire notamment lorsqu’il a droit à l’assistance judiciaire obligatoire], la reconstitution se fait en sa présence et avec l’assistance du représentant. Lorsque le suspect ou l’inculpé ne peut participer à la reconstitution ou refuse de le faire, celle-ci est réalisée avec la participation d’un tiers (cu participarea alte persoane).
(...) »
Article 195
Procès-verbal de recherches sur place ou de reconstitution
« 1. La réalisation de recherches sur place ou d’une reconstitution est consignée dans un procès-verbal qui doit comprendre, en plus des mentions prévues à l’article 199 [régissant de manière générale le procès-verbal dans la procédure pénale], les précisions suivantes :
a) l’indication de l’ordonnance ou de la décision avant dire droit par laquelle la mesure a été décidée ;
b) les noms, les prénoms des personnes présentes et la qualité en laquelle elles participent ;
c) le nom et le prénom du suspect ou de l’inculpé, le cas échéant ;
d) la description détaillée de la situation du lieu, des traces trouvées, des objets examinés et de ceux relevés, de la position et de l’état des autres moyens matériels de preuve, de sorte qu’ils soient consignés avec précision et, dans la mesure du possible, avec leurs dimensions respectives (...)
2. Dans tous les cas, peuvent être réalisés des esquisses, des dessins, des photographies ou d’autres travaux similaires, qui sont à joindre en annexe au procès‑verbal.
3. L’activité réalisée et les constatations de l’expert sont consignées dans le procès‑verbal.
(...) »
28. Par ailleurs, les dispositions du CPP relatives à la procédure devant le juge de chambre préliminaire sont résumées dans l’arrêt Mihail Mihăilescu c. Roumanie (no 3795/15, § 22, 12 janvier 2021).
EN DROIT
1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
29. La requérante allègue que les autorités nationales n’ont pas clarifié les circonstances du décès de ses parents et qu’elles ont notamment omis d’examiner des éléments de preuve importants. Elle invoque les articles 6, 8 et 13 de la Convention.
Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 114 et 126, 20 mars 2018), la Cour estime que la nature du grief ainsi que sa formulation appellent un examen sous le seul angle de l’article 2 de la Convention, dont le passage pertinent en l’espèce se lit ainsi :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...) »
1. Sur la recevabilité
1. Sur l’épuisement des voies de recours internes
30. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il estime en effet que la requérante pouvait, après le classement de l’affaire pénale, saisir les tribunaux d’une action en responsabilité civile délictuelle contre J.N. Selon lui, il n’est pas excessif, au vu des circonstances particulières de l’espèce où l’atteinte à la vie était involontaire, d’attendre de la requérante qu’elle ait engagé une telle démarche. Il fournit à l’appui de cet argument les copies de deux décisions par lesquelles les tribunaux roumains ont accueilli des actions en responsabilité civile délictuelle et ont alloué des dommages et intérêts en réparation de dégâts matériels causés par un incendie.
31. La requérante, de son côté, estime avoir épuisé les voies de recours internes : elle explique qu’elle a exercé tous les recours disponibles dans la procédure pénale et soutient que l’introduction d’une action civile séparée n’était pas été possible dans son cas.
32. La Cour observe que le Gouvernement allègue que la requérante pouvait engager une action civile séparée contre un particulier, J.N. en l’occurrence. Toutefois, il n’a pas expliqué comment cette action contre J.N. aurait pu éclaircir l’effectivité de l’enquête pénale relative au décès des parents de la requérante. La Cour observe par ailleurs que la jurisprudence sur laquelle s’appuie le Gouvernement est relative à la réparation des dégâts matériels causés par des incendies (paragraphe 30 ci-dessus). Partant, la Cour rejette l’exception soulevée par le Gouvernement.
2. Sur l’abus du droit de recours
33. Dans ses observations supplémentaires, le Gouvernement relève que la requérante a exprimé à deux reprises, dans ses observations devant la Cour, l’avis que le Gouvernement avait formulé ses arguments « de mauvaise foi ». Selon lui, il s’agit là de la part de la requérante d’un langage abusif qu’il convient de sanctionner. Par ailleurs, à propos de la phrase suivante figurant dans la demande de satisfaction équitable formée par la requérante : « L’Agent du Gouvernement a compris révoquer une offre de dommages‑intérêts, qui une fois acceptée est devenue obligatoire conformément aux lois internes », le Gouvernement indique qu’il ne comprend pas à quoi la requérante entend faire référence au juste, mais que s’il s’agit d’une allusion à la procédure de règlement amiable, laquelle est confidentielle, la phrase en question est susceptible de constituer un langage abusif.
34. La requérante n’a pas soumis d’observation en réponse à ces arguments.
35. La Cour rappelle qu’une requête peut être considérée comme abusive lorsque le requérant utilise dans ses communications des expressions particulièrement vexatoires, outrageantes, menaçantes ou provocatrices – que ce soit à l’encontre du gouvernement défendeur, de son agent, des autorités de l’État défendeur, de la Cour elle-même, de ses juges, de son greffe ou des agents de ce dernier. Il ne suffit pas, toutefois, que le langage du requérant soit simplement vif, polémique ou sarcastique ; il doit excéder « les limites d’une critique normale, civique et légitime » pour être qualifié d’abusif (X et autres c. Bulgarie [GC], no 22457/16, § 146, 2 février 2021).
36. En outre, aux termes de l’article 39 de la Convention et de l’article 62 § 2 du règlement de la Cour (« le règlement »), les négociations menées en vue de parvenir à un règlement amiable sont confidentielles. Cette règle, telle qu’elle est comprise par la Convention et le règlement de la Cour, doit être interprétée à la lumière de l’objectif général qui consiste à faciliter le règlement amiable en protégeant les parties et la Cour contre d’éventuelles pressions (Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, § 68, 15 septembre 2009).
37. En l’espèce, la Cour estime qu’en évoquant la « mauvaise foi » avec laquelle le Gouvernement aurait formulé ses observations devant la Cour, la requérante n’a pas employé un langage atteignant un degré de frivolité, de vexation ou d’abus apte à justifier que sa requête soit considérée comme abusive. Elle rappelle qu’il serait contraire à l’esprit de l’égalité des parties de considérer comme gratuite une allégation selon laquelle l’agent de l’État commet un abus de procédure, dès lors que les États peuvent, sans restriction aucune, soutenir qu’un requérant a abusé du droit de recours individuel et que sa requête est donc irrecevable (Gherardi Martiri c. Saint-Marin, no 35511/20, § 84 in fine, 15 décembre 2022).
38. La Cour note en outre que le Gouvernement admet que la phrase utilisée par la requérante dans sa demande de satisfaction équitable est vague et prête à interprétation (paragraphe 33 ci-dessus). Même à considérer, comme le suggère le Gouvernement, que cette phrase renvoie à une procédure confidentielle, la Cour note qu’elle ne dévoile pas de détails concrets de la négociation menée en vue de la conclusion éventuelle d’un accord de règlement amiable, tel que, par exemple, le montant du dédommagement proposé (voir, a contrario, Eskerkhanov et autres c. Russie, nos [18496/16](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2218496/16%22%5D%7D) et 2 autres, §§ 24-28, 25 juillet 2017, avec les références qui y sont citées). Qui plus est, la phrase en question a été incluse dans une communication adressée par la requérante à la Cour et dont le Gouvernement a aussi été informé. Ce document, qui n’a pas fait l’objet d’une divulgation à la presse ou au public de manière plus large, doit donc être envisagé dans les limites de la procédure judiciaire en cause (voir, mutatis mutandis, Čapský et Jeschkeová c République tchèque (satisfaction équitable), nos 25784/09 et 36002/09, § 23, 9 février 2017).
39. La Cour estime donc que le langage utilisé par la requérante dans ses observations ne saurait pas passer pour abusif. Elle rejette en conséquence l’exception soulevée par le Gouvernement.
3. Autres motifs d’irrecevabilité
40. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) La requérante
41. La requérante soutient que l’enquête n’a pas été effective. Elle se plaint de ce que l’appartement de J.N. a été restitué à la fille de celui-ci deux jours à peine après l’incendie, ce qui a permis ensuite la vente de l’appartement et sa rénovation (paragraphes 6 et 7 ci-dessus). À son avis, cette circonstance a entraîné des conséquences négatives sur le déroulement de l’enquête et a notamment rendu impossible l’administration des preuves. Elle ajoute que puisque la restitution de l’appartement avait été réalisée sur procès-verbal, elle n’a pas été en mesure de contester cette mesure et de faire vérifier la légalité de cet acte. En outre, elle dénonce l’absence d’une expertise technique et estime que les autorités d’enquête auraient dû ordonner d’office une telle expertise. Elle allègue enfin que les autorités nationales n’ont pas déployé les mesures nécessaires pour clarifier les circonstances dans lesquelles s’est produit le décès de ses parents.
b) Le Gouvernement
42. Le Gouvernement estime que les autorités nationales ont pris toutes les mesures raisonnables dont elles disposaient pour établir les circonstances dans lesquelles était survenu l’incendie. Il explique que la police a mené avec célérité toutes les opérations nécessaires (recherches sur place, audition de témoins, y compris de J.N., demandes de documents). Il fait observer que les autorités étaient confrontées au besoin de ménager deux intérêts divergents : d’un côté, l’intérêt de la requérante d’obtenir la réparation du préjudice causé par le décès de ses parents ; de l’autre côté, l’intérêt de J.N. de voir sa responsabilité pénale établie au-delà de tout doute raisonnable. Or puisque le seuil fixé pour que soit retenue la responsabilité pénale était très élevé et que ce seuil n’était pas atteint dans le cas de J.N., la requérante avait à sa disposition l’action civile, dont les exigences pour établir la responsabilité délictuelle étaient moindres.
43. De l’avis du Gouvernement, l’enquête menée en l’espèce a été effective et la requérante y a été associée. Les autorités nationales ont déployé des efforts considérables pour vérifier les pistes d’enquête proposées par l’intéressée et pour éclaircir les circonstances dans lesquelles l’incendie s’était déclenché. Quant à la demande d’expertise, elle avait été formée longtemps après les événements et, compte tenu des modifications subies par l’immeuble, une telle expertise était impossible à réaliser.
2. Appréciation de la Cour
44. La Cour observe que le décès des parents de la requérante est survenu après qu’un incendie se fut déclaré dans leur immeuble d’habitations privées (paragraphe 4 ci-dessus). La Cour estime que, compte tenu de la façon dont la requérante a formulé son grief, il convient de limiter son examen à la manière dont les autorités nationales ont approché leur obligation positive de mener une enquête apte à établir les faits, à contraindre les responsables à rendre des comptes et à fournir aux victimes une réparation adéquate, obligation qui s’applique également dans des cas où l’incident violent n’a pas impliqué les autorités de l’État (voir, en ce sens, Dimovi c. Bulgarie, no 52744/07, § 48 in fine, 6 novembre 2012, avec les références y citées).
45. Les principes généraux applicables ont récemment été rappelés dans l’arrêt Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie ([GC] no 41720/13, §§ 157-171, 25 juin 2019). Les critères que la Cour examine pour déterminer si une enquête relative à un décès a été conforme aux exigences procédurales de l’article 2 de la Convention sont les suivants : l’adéquation des mesures d’investigation, la promptitude de l’enquête, la participation des proches du défunt à celle-ci et l’indépendance de l’enquête (Mikhno c. Ukraine, no 32514/12, § 132, 1er septembre 2016, et Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie [GC], no 24014/05, § 225, 14 avril 2015). Ces paramètres sont liés entre eux mais, contrairement aux exigences en matière de procès équitable définies à l’article 6, ils ne constituent pas, pris isolément, une finalité en soi. Ils sont autant de critères qui, pris conjointement, permettent d’apprécier le degré d’effectivité de l’enquête. C’est à l’aune de cet objectif d’effectivité de l’enquête que toute question en la matière, dont celle de célérité et de diligence raisonnable, doit être appréciée (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 171, et Huci c. Roumanie, no 55009/20, § 53, 16 avril 2024).
46. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que les autorités roumaines ont ouvert une enquête pénale à la suite du décès de la mère de la requérante et que cette enquête a ensuite été élargie après le décès du père de la requérante (paragraphe 8 ci-dessus). Dans le cadre de cette enquête, les autorités ont déployé un certain nombre de mesures d’investigation, dont en particulier l’audition des parties et des témoins, la réalisation de recherches sur place et d’une reconstitution ainsi que l’expertise médicolégale des cadavres (paragraphes 9, 12 et 14-17 ci-dessus). Cette expertise a notamment permis de déterminer que le décès des parents de la requérante était en lien avec l’incendie qui s’était déclaré dans leur immeuble d’habitations (paragraphe 12 ci‑dessus). La Cour doit néanmoins examiner si l’enquête a permis de clarifier les circonstances dans lesquelles les parents de la requérante ont trouvé la mort et notamment si elle a été apte à déterminer les causes et à identifier les personnes éventuellement responsables de l’incendie.
47. À cet égard, la Cour observe que, selon le procès-verbal dressé par les sapeurs‑pompiers à l’occasion de leur intervention sur place, l’incendie s’était déclaré dans l’appartement de J.N. et que sa cause probable, telle qu’indiquée dans ce document, était la flamme d’une bougie restée allumée pendant la nuit (paragraphe 5 ci-dessus). Telle est la piste de recherches que l’enquête a ensuite privilégiée (paragraphes 15-17 ci-dessus). Or cette piste reposait sur des indices assez vagues, puisqu’il ressort des déclarations faites par C.B. lors de l’enquête du parquet qu’il n’avait pas vu lui-même de bougie sur place et que s’il avait mentionné une telle circonstance comme cause probable de l’incendie dans le procès-verbal, c’était parce qu’un tiers non identifié le lui avait suggéré (paragraphe 16 ci-dessus). La Cour note que, pendant la procédure, aucune autre cause possible de l’incendie n’a été avancée ni examinée.
48. Plusieurs éléments appellent un examen de la part de la Cour. Elle observe tout d’abord que l’appartement de J.N. a fait l’objet d’une rénovation après sa vente (paragraphe 7 ci-dessus) et que, lorsque les autorités ont procédé à la reconstitution des faits, ledit appartement était déjà rénové (paragraphe 17 ci‑dessus). À cet égard, la Cour prend note de l’argument de la requérante selon lequel la levée des scellés et la restitution de l’appartement de J.N. à la fille de celui-ci deux jours à peine après l’incendie étaient prématurées (paragraphes 6 et 41 ci-dessus). Sans ignorer le fait que les autorités nationales étaient également tenues de ménager les intérêts patrimoniaux de J.N., la Cour considère néanmoins qu’en l’absence de mesures de conservation des preuves, la restitution rapide de l’appartement où s’était déclenché l’incendie a rendu possible la disparition des éléments de preuve (voir, en ce sens, Ciechońska c. Pologne, no 19776/04, § 75, 14 juin 2011 où l’arbre ayant provoqué l’accident qui avait causé la mort de l’époux de la requérante avait immédiatement été coupé et enlevé).
49. La Cour observe que la loi interne régit la situation du risque de disparition des preuves et qu’en pareil cas les autorités de l’enquête peuvent demander à un spécialiste de dresser un rapport de constatation (voir l’article 172 §§ 9 et 10 du CPP, cité au paragraphe 27 ci-dessus). Or il ne ressort pas des éléments versés au dossier devant la Cour que cette possibilité ait été envisagée pendant l’enquête. Certes, des recherches sur place ont été réalisées dans l’appartement de J.N. le 27 janvier 2016 avec la participation d’un expert criminaliste, mais l’opération n’a donné lieu qu’à un procès‑verbal (paragraphe 9 ci-dessus), et deux jours plus tard, le 29 janvier 2016, l’appartement de J.N. était restitué à la fille de celui-ci (paragraphe 6 ci‑dessus). Ce sont là des faits que le Gouvernement ne conteste pas.
50. La Cour note ensuite que la requérante a demandé la réalisation d’une expertise et que le juge de chambre préliminaire a considéré qu’une expertise aurait été nécessaire pour déterminer la cause de l’incendie (paragraphe 24 ci-dessus). Il ressort par ailleurs des décisions du parquet et du juge de chambre préliminaire que l’expertise ne pouvait plus être réalisée parce que l’appartement où s’était déclaré l’incendie avait été rénové (paragraphes 18 et 24 ci-dessus). À cet égard, la Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel la requérante a sollicité trop tard la réalisation d’une expertise (paragraphe 43 ci-dessus). Elle observe toutefois que la loi interne permettait aux autorités de demander d’office la réalisation d’une expertise (voir l’article 172 § 2 du CPP, cité au paragraphe 27 ci-dessus), une possibilité qui ne semble pas avoir été envisagée lors de l’enquête du parquet. Cette attitude des autorités d’enquête est sujette à caution puisqu’elles n’ont décidé ni de la réalisation d’une expertise ni de la prise des mesures de conservation des preuves qui auraient pu permettre de déterminer la cause de l’incendie (paragraphe 48 ci-dessus ; voir également, mutatis mutandis, Ciechońska, précité, §§ 72 et 75, et Marius Alexandru et Marinela Ștefan c. Roumanie, no 78643/11, §§ 88-90, 24 mars 2020).
51. L’enquête pénale semble ainsi avoir été concentrée sur la piste selon laquelle l’incendie aurait été déclenché par une bougie restée allumée pendant la nuit, et les autorités ont écarté la responsabilité de J.N. à cet égard parce que les preuves recueillies ne permettaient pas de l’établir au-delà de tout doute raisonnable (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour estime que l’enquête a été limitée à cette seule hypothèse et que les mesures d’investigation adoptées par les autorités n’ont pas permis de clarifier les zones d’ombre qui subsistaient dans le dossier (voir, mutatis mutandis, Pereira Henriques c. Luxembourg, no 60255/00, § 62, 9 mai 2006, et Mircea Pop c. Roumanie, no 43885/13, §§ 83-84, 19 juillet 2016). Tout en tenant compte du fait que l’obligation qui pèse sur les autorités n’est pas une de résultat (voir, mutatis mutandis, Erdal Muhammet Arslan et autres c. Türkiye, no 42749/19, § 138, 21 novembre 2023), la Cour observe que les causes de l’incendie demeurent incertaines.
52. La Cour note par ailleurs que seule la procédure pénale a été suivie en l’espèce. Elle rappelle qu’elle a déjà dit que lorsqu’il a été établi par l’enquête initiale que le décès ou les blessures potentiellement mortelles n’ont pas été infligés volontairement, le recours civil peut être suffisant, que la personne responsable des faits soit un particulier ou un agent de l’État (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 163). Or la Cour a déjà conclu que l’enquête pénale n’avait pas éclairci les zones d’ombre et qu’elle avait notamment laissé planer une incertitude sur les causes de l’incendie (paragraphe 51 ci‑dessus). Dans ces circonstances, elle doute qu’une action civile aurait pu clarifier de manière efficace les circonstances dans lesquelles les parents de la requérante avaient trouvé la mort et identifier les éventuels responsables. La défaillance plus importante relevée dans le cadre de l’enquête pénale, à savoir l’absence de mesures de conservation des preuves et la restitution rapide de l’appartement où s’était déclenché l’incendie (paragraphe 48 ci-dessus), auraient rendu futile toute tentative d’établir les causes de l’incendie aussi dans le cadre d’une éventuelle procédure civile. La Cour en déduit que, prises dans leur ensemble et telles qu’elles étaient appliquées dans le cas de la requérante, les voies de recours prévues par droit interne ne présentaient pas l’efficacité requise par sa jurisprudence pour conclure que les autorités nationales ont satisfait à leurs obligations découlant de la Convention (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, §§ 169-170).
53. La Cour conclut que l’enquête pénale a présenté des déficiences, ce qu’au demeurant le juge de la chambre préliminaire a aussi remarqué (paragraphe 25 ci‑dessus). Elle estime que les carences des autorités dans la conservation des éléments de preuve, combinées avec la non-réalisation d’une expertise, ont empêché l’éclaircissement des circonstances du décès des parents de la requérante et l’établissement des responsabilités en cause (voir, mutatis mutandis, Marius Alexandru et Marinela Ștefan, précité, §§ 88‑90).
54. Partant, il y a eu violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention.
2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
55. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
56. La requérante demande 25 000 euros (EUR) au titre du dommage matériel qu’elle estime avoir subi. Elle indique que cette somme correspond au montant des dommages matériels causés par l’incendie dans l’appartement de ses défunts parents et des dépenses funéraires. Elle réclame en outre 100 000 EUR au titre du dommage moral qu’elle dit avoir subi.
57. Le Gouvernement estime que la requérante aurait pu obtenir en interne la réparation du dommage matériel qu’elle dit avoir subi, soit par le biais du système d’assurances d’habitation, soit en application de la législation sur la sécurité sociale. Quant à la somme réclamée au titre du dommage moral, le Gouvernement avance qu’elle est excessive et déraisonnable par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière.
58. Aux yeux de la Cour, la requérante n’a pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande formulée à ce titre. Quant au dommage moral, elle octroie 20 000 EUR à ce titre à la requérante, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
2. Frais et dépens
59. La requérante ne demande pas le remboursement de frais et dépens.
60. Partant, la Cour n’est pas appelée à octroyer des sommes à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 20 000 EUR (vingt mille euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 novembre 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Andrea Tamietti Gabriele Kucsko-Stadlmayer
Greffier Présidente