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20/11/2018 | CEDH | N°001-187934

CEDH | CEDH, AFFAIRE GÜNANA ET AUTRES c. TURQUIE, 2018, 001-187934


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GÜNANA ET AUTRES c. TURQUIE

(Requêtes nos 70934/10, 6560/11, 23599/12, 39367/12 et 66687/12)

ARRÊT

STRASBOURG

20 novembre 2018

DÉFINITIF

20/02/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Günana et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl

Karakaş,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Ivana Jelić, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après e...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GÜNANA ET AUTRES c. TURQUIE

(Requêtes nos 70934/10, 6560/11, 23599/12, 39367/12 et 66687/12)

ARRÊT

STRASBOURG

20 novembre 2018

DÉFINITIF

20/02/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Günana et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Karakaş,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Ivana Jelić, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 octobre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent cinq requêtes (nos 70934/10, 6560/11, 23599/12, 39367/12 et 66687/12) dirigées contre la République de Turquie et dont trois ressortissants de cet État, MM. Turan Günana (requêtes nos 70934/10, 39367/12 et 66687/12), Musa Kaya (requête no 6560/11) et Halil Gündoğan (requête no 23599/12) (« les requérants »), ont saisi la Cour le 23 septembre 2010 (requête no 70934/10), le 12 octobre 2010 (requête no 6560/11), le 19 mars 2012 (requête no 23599/12), le 3 mai 2012 (requête no 39367/12) et le 1er octobre 2012 (requête no 66687/12) en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. M. Günana a été représenté par Me E. Kanar, avocat à Istanbul, et M. Gündoğan par Me A. Erdoğan, avocat à Ankara. M. Kaya a été autorisé à assurer lui-même la défense de ses intérêts, conformément à l’article 36 § 2 in fine du règlement de la Cour. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Devant la Cour, les requérants alléguaient en particulier une atteinte à leur droit à la liberté d’expression. M. Günana se plaignait en outre d’une atteinte à son droit à un procès équitable.

4. Le 7 juin 2017, les griefs concernant les atteintes aux droits des requérants à la liberté d’expression et au droit du requérant Turan Günana à son droit à un procès équitable ont été communiqués au Gouvernement, et les requêtes ont été déclarées irrecevables pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. Les requêtes introduites par M. Turan Günana

5. Le requérant Turan Günana est né en 1981. À l’époque des faits, il était détenu dans un centre pénitentiaire à Tekirdağ.

1. Requête no 70934/10

6. Lors d’une perquisition effectuée le 11 janvier 2010 dans la cellule du requérant, les agents pénitentiaires s’emparèrent d’un manuscrit d’environ 500 pages appartenant à l’intéressé.

7. Le 3 février 2010, la commission d’éducation de l’administration pénitentiaire décida de saisir le manuscrit aux motifs qu’il faisait de la propagande en faveur d’une organisation terroriste, et qu’il contenait des expressions faisant l’apologie du leader et des membres de cette organisation, des informations sur la formation des membres de l’organisation ainsi que les coordonnées de détenus de la prison condamnés pour appartenance à une organisation terroriste. Elle étaya cette décision en se référant aux articles 4 § 2, 104 et 105 du règlement relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines (« le règlement ») (paragraphes 41, 43 et 44 ci-dessous).

8. Le 8 février 2010, le requérant forma opposition contre cette décision.

9. Le 25 février 2010, le procureur de la République de Tekirdağ (« le procureur de la République ») émit un avis écrit par lequel il demandait le rejet de l’opposition du requérant. Il indiquait que la décision de saisie du manuscrit, dont le contenu aurait été considéré comme un travail ou une activité en relation avec une organisation terroriste, était conforme à la procédure et à la loi. Cet avis ne fut pas communiqué au requérant.

10. Le 10 mars 2010, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta l’opposition du requérant, considérant que la décision attaquée était conforme à la procédure et à la loi. L’avis émis par le procureur de la République le 25 février 2010 était cité par le juge de l’exécution dans sa décision.

11. Le requérant forma opposition contre la décision du juge de l’exécution. Il soutint que le manuscrit saisi était le fruit de l’exercice de son droit à la liberté d’expression.

12. Le 1er avril 2010, le procureur de la République émit un avis écrit par lequel il demandait le rejet de l’opposition du requérant. Il soutenait que la décision de saisie était conforme à la loi no 5275 (paragraphe 40 ci-dessous) dans la mesure où le manuscrit saisi aurait comporté des notes et remarques de nature à motiver les détenus liés aux organisations terroristes à commettre des actions militantes et où il leur aurait permis de communiquer entre eux. Cet avis ne fut pas communiqué au requérant.

13. Le 5 avril 2010, la cour d’assises de Tekirdağ rejeta l’opposition du requérant, considérant que la décision du juge de l’exécution était conforme à la procédure et à la loi.

2. Requête no 39367/12

14. Lors d’une perquisition effectuée le 8 mars 2011 dans la cellule du requérant, les agents pénitentiaires s’emparèrent de plusieurs centaines de pages de manuscrits appartenant à l’intéressé.

15. Le 9 mars 2011, la commission administrative et d’observation de l’administration pénitentiaire décida de saisir ces manuscrits aux motifs qu’ils contenaient des passages relatifs aux activités d’une organisation terroriste, les noms de dirigeants de ladite organisation, des instructions à l’adresse des personnes ayant été condamnées pour appartenance à cette organisation, ainsi que des expressions faisant l’apologie de l’organisation en question et de son leader. Elle fondait sa décision sur une circulaire du 24 novembre 2010 de la direction générale des établissements pénitentiaires du ministère de la Justice.

16. Le 14 mars 2011, le requérant forma opposition contre cette décision.

17. Le 7 avril 2011, le procureur de la République émit un avis écrit par lequel il demandait le rejet de l’opposition du requérant. Il indiquait que la décision de saisie était conforme à la procédure et à la loi, arguant qu’il n’y avait aucune disposition pénale autorisant l’élaboration en prison de documents liés aux activités d’une organisation terroriste et que les documents litigieux étaient constitutifs d’une infraction pénale. Cet avis ne fut pas communiqué au requérant.

18. Le 2 mai 2011, le juge de l’exécution rejeta l’opposition du requérant, considérant que la décision de l’administration était conforme à la procédure et à la loi. L’avis émis par le procureur de la République le 7 avril 2011 était cité par le juge de l’exécution dans sa décision.

19. Le requérant forma opposition contre la décision du juge de l’exécution. Il soutint notamment que les écrits saisis devaient être considérés à la lumière de son droit à la liberté d’expression.

20. Le 27 octobre 2011, le procureur de la République émit un avis écrit par lequel il demandait le rejet de l’opposition du requérant. Il estimait que la décision du juge de l’exécution était conforme à la procédure et à la loi. Cet avis ne fut pas communiqué au requérant.

21. Le 4 novembre 2011, la cour d’assises rejeta l’opposition formée par le requérant contre la décision du juge de l’exécution, estimant cette décision conforme à la procédure et à la loi.

3. Requête no 66687/12

22. Lors d’une perquisition effectuée le 5 décembre 2011 dans la cellule du requérant, les agents pénitentiaires s’emparèrent d’un manuscrit de 23 pages appartenant à l’intéressé.

23. Le 9 janvier 2012, la commission administrative et d’observation de l’administration pénitentiaire décida de saisir ce manuscrit au motif qu’il contenait des expressions gênantes. Elle invoqua à l’appui de sa décision la circulaire précitée du 24 novembre 2010.

24. Le 24 janvier 2012, le requérant forma opposition contre cette décision.

25. À une date non précisée, le procureur de la République émit un avis écrit par lequel il demandait le rejet de l’opposition du requérant. Il indiquait que la décision de saisie des documents dont le contenu aurait été en lien avec une organisation terroriste était conforme à la procédure et à la loi. Cet avis ne fut pas communiqué au requérant.

26. Le 7 février 2012, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta l’opposition du requérant, considérant que cette décision était conforme à la procédure et à la loi. L’avis émis par le procureur de la République concernant l’opposition du requérant était cité par le juge de l’exécution dans sa décision.

27. Le requérant forma opposition contre la décision du juge de l’exécution. Il soutint notamment que la saisie de l’écrit litigieux portait atteinte à son droit à la liberté d’expression.

28. Le 21 mars 2012, le procureur de la République émit un avis écrit par lequel il demandait le rejet de l’opposition du requérant. Il indiquait que la décision du juge de l’exécution était conforme à la procédure et à la loi. Cet avis ne fut pas communiqué au requérant.

29. Le 2 avril 2012, la cour d’assises de Tekirdağ rejeta l’opposition formée par le requérant contre la décision du juge de l’exécution, estimant cette décision conforme à la procédure et à la loi.

B. La requête (no 6560/11) introduite par M. Musa Kaya

30. Le requérant Musa Kaya est né en 1973. À l’époque des faits, il était détenu dans un centre pénitentiaire à Erzurum.

31. Lors d’une perquisition effectuée le 4 décembre 2009 dans la cellule du requérant, les agents pénitentiaires s’emparèrent d’un cahier manuscrit qui appartenait à l’intéressé et sur la couverture duquel étaient collés le drapeau d’une organisation terroriste ainsi que la photo du leader de cette organisation.

32. Le 24 décembre 2009, la commission d’éducation de l’administration pénitentiaire décida de saisir ce manuscrit au motif qu’il faisait de la propagande au profit d’une organisation terroriste. Elle n’étayait sa décision par aucun fondement légal.

33. Le 12 avril 2010, le juge de l’exécution d’Erzurum, statuant sur l’opposition formée par le requérant contre cette décision, décida de rendre le manuscrit au requérant sous réserve que ce dernier acceptât d’en enlever les éléments relatifs à l’organisation terroriste en question.

34. Le 14 avril 2010, la cour d’assises d’Erzurum, statuant à titre définitif sur l’opposition formée par le procureur de la République contre la décision du juge de l’exécution, jugea que la décision de l’administration pénitentiaire de saisir le cahier en question était conforme à la procédure et à la loi et elle annula celle du juge de l’exécution.

C. La requête (no 23599/12) introduite par M. Halil Gündoğan

35. Le requérant Halil Gündoğan est né en 1960. À l’époque des faits, il était détenu dans un centre pénitentiaire à Ankara.

36. Le 26 juillet 2011, la commission de lecture de l’administration pénitentiaire intercepta un manuscrit de 200 pages que le requérant avait tenté de remettre à une personne venue lui rendre visite.

37. Le 3 août 2011, la commission disciplinaire de l’administration pénitentiaire décida de saisir ce manuscrit, le considérant comme gênant compte tenu des expressions qu’il aurait contenues et qui auraient fait l’apologie d’une organisation terroriste et des activités des membres de cette organisation. Elle invoqua à l’appui de sa décision l’article 68 § 3 de la loi no 5275 (paragraphe 40 ci-dessous) et les articles 91 § 3 et 123 du règlement (paragraphes 42 et 46 ci-dessous).

38. Le 18 août 2011, le juge de l’exécution d’Ankara rejeta l’opposition formée par le requérant contre cette décision, estimant celle-ci conforme à la procédure et à la loi.

39. Le 3 octobre 2011, la cour d’assises d’Ankara rejeta l’opposition formée par le requérant contre la décision du juge de l’exécution, considérant que celle-ci était conforme à la procédure et à la loi.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La loi relative à l’exécution des peines et des mesures préventives

40. L’article 68 de la loi no 5275 du 13 décembre 2004 relative à l’exécution des peines et des mesures préventives (« la loi no 5275 »), qui est entrée en vigueur le 1er juin 2005, intitulé « Le droit du détenu d’envoyer et de recevoir des lettres, télécopies et télégrammes », se lit comme suit :

« 1. En dehors des limitations prévues dans cet article, le condamné a le droit de recevoir et d’envoyer, à condition d’assumer les frais [correspondants], des lettres, télécopies et télégrammes.

2. Les lettres, télécopies et télégrammes envoyés ou reçus par le condamné sont contrôlés par la commission de lecture dans les établissements dotés d’un tel organe ou, dans les établissements qui en sont dépourvus, par le plus haut responsable.

3. Ne sont pas remis au condamné les lettres, télécopies et télégrammes qui portent atteinte à la sécurité et à l’ordre dans l’établissement, qui désignent comme cibles des agents en fonction, qui permettent la communication entre des organisations terroristes ou de malfaiteurs ou d’autres organisations criminelles, qui contiennent des informations mensongères et fausses de nature à susciter la panique [parmi les] individus ou [au sein] des institutions ou [qui comportent] des menaces ou insultes.

[De même,] ne sont pas envoyés [de tels lettres, télécopies et télégrammes] écrits par le condamné.

4. Ne sont pas soumis à contrôle les lettres, télécopies et télégrammes envoyés par le condamné aux instances officielles et, en vue de sa défense, à son avocat. »

B. Le règlement relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines

41. L’article 4 du règlement du 20 mars 2006 relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines publié au Journal officiel le 6 avril 2006, intitulé « Les principes fondamentaux à observer dans l’exécution des peines », se lit comme suit :

« (...)

2. Les buts principaux à atteindre par le biais de l’exécution des peines sont (...) d’assurer la prévention générale et spéciale, de renforcer à cet effet les éléments susceptibles d’empêcher la commission d’une nouvelle infraction par le condamné, de protéger la société contre le crime, d’encourager le condamné à se resocialiser et de faciliter sa réadaptation à un mode de vie productif, respectueux des lois (...) et des règles sociales, et responsable.

(...) »

42. L’article 91 de ce règlement, intitulé « Le droit du détenu d’envoyer et de recevoir des lettres, télécopies et télégrammes », est ainsi libellé :

« 1. Le condamné a le droit [d’expédier, à condition d’assumer les frais d’envoi, des lettres, télécopies et télégrammes et de recevoir ceux qui lui sont envoyés].

2. Les lettres, télécopies et télégrammes envoyés ou reçus par le condamné sont contrôlés par la commission de lecture dans les établissements dotés d’un tel organe ou, dans les établissements qui en sont dépourvus, par le plus haut responsable.

3. Ne sont pas remis au condamné les lettres, télécopies et télégrammes qui portent atteinte à la sécurité et à l’ordre dans l’établissement, qui désignent comme cibles des agents en fonction, qui permettent la communication entre des organisations terroristes ou de malfaiteurs ou d’autres organisations criminelles, qui contiennent des informations mensongères et fausses de nature à susciter la panique [parmi les] individus ou [au sein] des institutions, ou [qui comportent] des menaces ou insultes.

(...) »

43. L’article 104 du même règlement, intitulé « La définition et le but de l’éducation et de l’enseignement », se lit comme suit :

« L’éducation et l’enseignement dans les établissements [pénitentiaires] consistent en l’ensemble des activités visant à inculquer aux condamnés des comportements nouveaux et positifs, à les former pour qu’ils deviennent des individus développés d’une manière équilibrée en ce qui concerne le corps, l’esprit, la morale et les émotions, porteurs d’une pensée libre et scientifique et d’une vision du monde large, respectueux des droits et de la dignité humains, constructifs, créatifs et productifs, progressant dans leurs connaissances, leurs talents, leurs compétences et leurs comportements, et visant à les préparer à la vie en leur donnant l’habitude (...) de travailler ensemble et d’effectuer des activités de nature à assurer leur subsistance et leur bonheur. »

44. L’article 105 du règlement, intitulé « Les programmes d’éducation », est rédigé comme suit :

« 1. Le condamné suit des programmes d’éducation qui, durant le laps de temps pendant lequel il se trouve dans l’établissement, développent sa personnalité, renforcent sa formation, lui permettent d’acquérir de nouvelles compétences, font disparaître sa tendance à commettre des infractions et le préparent à l’après-libération.

2. Les programmes d’éducation comprennent l’éducation fondamentale, les enseignements des niveaux intermédiaire et supérieur, la formation professionnelle, l’éducation religieuse, l’éducation physique, [l’utilisation de] la bibliothèque et [l’accès au] service psycho-social.

3. Les programmes d’éducation sont élaborés en fonction de l’âge, du sexe, du niveau d’éducation, de la durée de la peine, des compétences et de la situation culturelle du condamné. »

45. L’article 122 du règlement, intitulé « L’envoi des lettres [des détenus] et la remise [aux détenus] des lettres reçues », énonce ce qui suit :

« 1. Dans le cadre de l’exercice du droit de recevoir et d’envoyer du courrier en vertu de l’article 91, les lettres, télécopies et télégrammes écrits par les condamnés sont remis, enveloppes ouvertes, au personnel chargé de la surveillance et de la sécurité, qui les transmet à la commission de lecture de la correspondance (...) Le cachet « vu » est apposé sur les lettres dont, après examen, l’expédition n’apparaît pas comme gênante. [Les lettres] sont placées dans une enveloppe et remises aux services postaux (...)

2. En ce qui concerne [les lettres, télécopies et télégrammes] envoyés aux instances officielles et, en vue de la défense, à l’avocat, le paragraphe 4 de l’article 91 s’applique.

3. Les lettres, télécopies et télégrammes qui sont envoyés aux condamnés et qui, après examen, n’apparaissent pas comme gênants sont remis avec leurs enveloppes aux condamnés. »

46. L’article 123 du règlement, intitulé « Les lettres considérées comme gênantes », se lit comme suit :

« 1. Les lettres dont l’envoi au destinataire ou la remise au condamné sont considérés comme gênants par la commission de lecture sont transmises à la commission disciplinaire dans le délai de vingt-quatre heures. Si une lettre est considérée comme gênante en tout ou en partie par la commission disciplinaire, elle est conservée jusqu’à la fin du délai de plainte et d’opposition, sans que l’original soit raturé ou détruit. Si la lettre est considérée comme gênante en partie, l’original est conservé par l’administration, et une photocopie de celui-ci est notifiée [à l’intéressé] – les passages estimés gênants étant biffés de façon à être illisibles – avec la décision de la commission. Si la lettre est considérée comme gênante dans son intégralité, seule la décision de la commission disciplinaire est notifiée. La décision de la commission disciplinaire devient exécutoire une fois expiré le délai qui est prévu pour la saisine du juge de l’exécution et qui court à compter de la date de la notification. Si le juge de l’exécution est saisi, sa décision devient exécutoire une fois expiré le délai qui est prévu pour le recours en opposition et qui court à compter de la date de la décision du juge de l’exécution. S’il a été formé opposition à la décision du juge de l’exécution, [c’est] la décision du tribunal [saisi] qui est appliquée.

2. Par la notification qui lui est adressée, l’intéressé doit être informé que, en l’absence de plainte devant le juge de l’exécution dans un délai de quinze jours à compter de la notification ou en l’absence d’opposition devant la cour d’assises à la décision du juge de l’exécution dans un délai d’une semaine à compter de sa notification, la décision de la commission disciplinaire deviendra définitive, et que la lettre lui sera transmise après que les passages estimés gênants auront été biffés de façon à être illisibles, ou que la lettre estimée gênante dans son intégralité ne lui sera pas remise.

3. Les lettres considérées comme gênantes en tout ou en partie sont conservées par l’administration afin d’être utilisées au cas où un recours serait formé au niveau national ou international. »

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

47. Les requêtes étant similaires en fait et en droit, la Cour décide de les joindre, comme le lui permet l’article 42 § 1 de son règlement.

II. EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT CONCERNANT LA REQUÊTE No 6560/11

48. Faisant référence aux articles 36 §§ 2 et 4 a) du règlement de la Cour, le Gouvernement invite la Cour à rayer la requête no 6560/11 du rôle au motif que le requérant n’a pas désigné d’avocat pour le représenter devant la Cour après la communication de la requête.

49. La Cour rappelle que, selon l’article 36 § 2 de son règlement, une fois la requête notifiée à la Partie contractante défenderesse, le requérant doit être représenté conformément au paragraphe 4 du même article, sauf décision contraire du président de la chambre. Elle note qu’en l’espèce le président de la section, ayant considéré les observations du requérant du 18 janvier 2018 comme une demande implicite d’assumer lui-même la défense de ses intérêts conformément à l’article 36 § 2 in fine du règlement de la Cour, a décidé le 9 avril 2018 de l’autoriser à assumer lui-même la défense de ses intérêts dans la procédure devant la Cour.

50. Par conséquent, il convient de rejeter l’exception du Gouvernement.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

51. Les requérants allèguent que la saisie de leurs manuscrits par les administrations pénitentiaires a porté atteinte à leur droit à la liberté d’expression, tel que prévu par l’article 10 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...)

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre (...) »

A. Sur la recevabilité

52. Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il indique à cet égard qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie par la loi no 6384 et que la compétence de la commission d’indemnisation établie par cette loi a été étendue par un décret du 9 mars 2016 pour permettre à ladite commission d’examiner, entre autres, les griefs des personnes détenues ou condamnées relatifs à un refus de l’administration pénitentiaire de recevoir ou d’envoyer des lettres et toute autre correspondance similaire rédigées en turc.

53. Le Gouvernement soutient que le grief des requérants rentre pour l’essentiel dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention et non dans celui de l’article 10. Il estime à cet égard que les circonstances des présentes affaires se distinguent de celles de l’affaire Sarıgül c. Turquie (no 28691/05, 23 mai 2017), où il s’agissait d’après lui de l’ébauche d’un livre confiée à l’administration pénitentiaire pour être envoyée à l’avocat du requérant en vue de sa publication. Le Gouvernement reproche donc aux requérants de ne pas avoir exercé le recours prévu par la loi no 6384 relativement à leur grief portant sur la saisie de leurs manuscrits par l’administration pénitentiaire.

54. Les requérants Turan Günana et Musa Kaya indiquent que leur grief concerne la saisie par l’administration pénitentiaire de leurs documents personnels lors des perquisitions effectuées dans leurs cellules et ils soutiennent que la commission d’indemnisation n’est pas compétente pour connaître de ce grief. Ils arguent par ailleurs que, eu égard aux décisions rendues par cette commission, celle-ci ne constitue pas une voie de recours effective. Le requérant Halil Gündoğan ne se prononce pas sur l’exception du Gouvernement.

55. La Cour rappelle que la commission d’indemnisation établie dans le cadre de l’instauration du nouveau recours précité est compétente pour examiner les griefs des détenus relatifs à l’ingérence de l’administration pénitentiaire dans l’exercice de leur droit à la correspondance en raison d’un refus de recevoir ou d’envoyer des lettres et toute autre correspondance similaire rédigées en turc (Sayan c. Turquie (déc.), no 49460/11, § 19, 14 juin 2016). Or, en l’espèce, les griefs des requérants se prêtent à un examen sous l’angle du droit à la liberté d’expression protégé par l’article 10 de la Convention dans la mesure où ils concernent non pas le refus d’envoyer ou de recevoir de simples lettres, mais la saisie de manuscrits d’un volume important à la suite des perquisitions effectuées dans les cellules des requérants (requêtes nos 70934/10, 6560/11, 39367/12 et 66687/12, paragraphes 6, 14, 22 et 31 ci-dessus) ou à l’occasion d’une tentative de l’intéressé de remettre son manuscrit à une personne venue lui rendre visite (requête no 23599/12, paragraphe 36 ci-dessus). Dès lors, la commission d’indemnisation ne peut être considérée comme compétente pour examiner le grief des requérants (voir, mutatis mutandis, Sarıgül, précité, § 36).

56. Eu égard à ce qui précède, la Cour rejette l’exception du Gouvernement.

57. Constatant par ailleurs que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Sur l’existence d’une ingérence

58. Le requérant Turan Günana soutient que la saisie de ses documents personnels par l’administration pénitentiaire constitue une atteinte à ses droits garantis par l’article 10 de la Convention. Le requérant Musa Kaya conteste l’allégation du Gouvernement selon laquelle le contenu de son cahier manuscrit constituait une propagande en faveur d’une organisation terroriste. Le requérant Halil Gündoğan ne se prononce pas sur ce point.

59. Le Gouvernement estime que les documents saisis, dont les contenus étaient, selon lui, en lien avec une organisation terroriste, n’entrent pas dans le champ du droit à la liberté d’expression. Il considère donc qu’il n’y a pas eu ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit à la liberté d’expression.

60. La Cour note que les documents saisis par les administrations pénitentiaires sont des manuscrits créés par les requérants. Elle estime que ces documents sont incontestablement le fruit de l’exercice par les intéressés de leur droit à la liberté d’expression.

61. Dès lors, elle juge que la saisie des manuscrits des requérants constitue une ingérence dans l’exercice de leur droit à la liberté d’expression.

2. Sur la justification de l’ingérence

62. Pareille ingérence méconnaît l’article 10 de la Convention sauf si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de cette disposition et peut passer pour « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.

63. Les requérants ne se prononcent pas sur la question de savoir si l’ingérence litigieuse était prévue par la loi.

64. Le Gouvernement soutient que l’ingérence litigieuse avait pour base légale l’article 68 §§ 2 et 3 de la loi no 5275 et l’article 122 du règlement, et que ces dispositions répondent aux critères de clarté, d’accessibilité et de prévisibilité posés par la jurisprudence de la Cour.

65. La Cour note d’emblée que l’article 68 §§ 2 et 3 de la loi no 5275 et l’article 122 du règlement, indiqués par le Gouvernement comme les bases légales de la mesure litigieuse, concernent l’envoi et la réception des lettres, télécopies et télégrammes par les détenus (paragraphes 40 et 45 ci-dessus) et non pas la saisie des manuscrits des détenus lors des fouilles effectuées dans leurs cellules ou lors de la remise d’un manuscrit à un visiteur, comme c’est le cas en l’espèce.

66. Examinant ensuite les décisions des administrations pénitentiaires relatives à la saisie des manuscrits des requérants, la Cour constate que les administrations ont invoqué différents fondements légaux à l’appui de leurs décisions, à l’exception de la décision de saisie rendue dans le cadre de la requête no 6560/11, où l’administration pénitentiaire n’a invoqué aucun fondement juridique (paragraphe 32 ci-dessus). Ainsi, la base légale invoquée dans le cadre de la requête no 70934/10 consiste en les articles 4 § 2, 104 et 105 du règlement (paragraphe 7 ci-dessus) qui concernent les principes fondamentaux à observer dans l’exécution des peines et l’éducation des détenus (paragraphes 41, 43 et 44 ci-dessus). La base légale invoquée dans le cadre des requêtes nos 39367/12 et 66687/12 est une circulaire de la direction générale des établissements pénitentiaires du ministère de la Justice du 24 novembre 2010 (paragraphes 15 et 23 ci-dessus), dont le contenu n’est explicité ni dans les décisions concernées ni dans les observations du Gouvernement. La base légale invoquée dans le cadre de la requête no 23599/12 est constituée par l’article 68 § 3 de la loi no 5275 et par les articles 91 § 3 et 123 du règlement (paragraphe 37 ci-dessus), qui portent sur l’envoi et la réception des lettres par les détenus (paragraphes 40, 42 et 46 ci-dessus) et non pas sur la remise d’un manuscrit par un détenu à un visiteur.

67. Eu égard à ce qui précède, la Cour ne peut que constater qu’aucune des dispositions légales indiquées en l’espèce par le Gouvernement et par les administrations pénitentiaires à l’appui des mesures litigieuses ne prévoyait le cas de la saisie d’un manuscrit d’un détenu en quelque circonstance que ce fût. Elle relève en outre que les instances pénitentiaires ont invoqué des fondements légaux différents pour saisir les manuscrits des requérants, et ce même lorsque les cas étaient analogues. Elle estime dès lors que le Gouvernement n’a pas démontré l’existence en droit interne d’une base légale pertinente sur laquelle reposerait une mesure de saisie concernant un écrit appartenant à un détenu et n’ayant pas le caractère d’une simple correspondance.

68. Par conséquent, la Cour juge que l’ingérence litigieuse n’était pas « prévue par la loi » au sens du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention. Eu égard à cette conclusion, elle considère qu’il n’y a pas lieu de vérifier si les autres conditions requises par le paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention – à savoir l’existence d’un but légitime et la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique – ont été respectées en l’espèce.

69. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 10 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

70. Le requérant Turan Günana allègue dans le cadre des requêtes nos 70934/10, 39367/12 et 66687/12 que l’absence de communication des avis du procureur de la République lors des procédures devant le juge de l’exécution et devant la cour d’assises porte atteinte au principe de l’égalité des armes. Il invoque à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention, qui se lit comme suit en ses passages pertinents en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

71. Le Gouvernement soulève deux exceptions d’irrecevabilité, l’une tirée du non-épuisement des voies de recours internes, l’autre relative à la condition de préjudice important prévue à l’article 35 § 3 b) de la Convention.

1. Exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes

72. Le Gouvernement considère que, le requérant n’ayant pas soulevé devant la cour d’assises son grief relatif à l’absence de communication des avis du procureur de la République émis avant les décisions du juge de l’exécution, le grief doit être déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

73. Le requérant ne se prononce pas sur cette exception.

74. La Cour note que le requérant a pris connaissance des avis du procureur de la République émis avant les décisions du juge de l’exécution lors de la communication de ces décisions. Elle note ensuite que le requérant avait, comme le souligne le Gouvernement, la possibilité de soulever devant la cour d’assises son grief tenant à l’absence de communication de ces avis. Or l’intéressé n’a pas présenté un tel grief lorsqu’il a formé opposition contre les décisions du juge de l’exécution devant la cour d’assises (paragraphes 11, 19 et 27 ci-dessus).

75. Il s’ensuit que la partie du grief qui concerne l’absence de communication des avis du procureur de la République émis avant les décisions du juge de l’exécution doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

2. Exception relative à la condition de préjudice important

76. Le Gouvernement soutient que les avis du procureur de la République émis lors des procédures d’opposition demandaient simplement le rejet des oppositions du requérant sans comporter aucun nouvel argument. Partant, considérant que le requérant n’a subi aucun préjudice important en raison de la non-communication de ces avis, il invite la Cour à déclarer le grief irrecevable.

77. Le requérant conteste l’argument du Gouvernement.

78. En ce qui concerne les avis du procureur de la République émis le 27 octobre 2011 et le 21 mars 2012 dans le cadre des requêtes no 39367/12 et no 66687/12, la Cour constate qu’aucune question nouvelle pouvant appeler des commentaires de la partie requérante n’était soulevée par ces avis. En effet, le procureur de la République se bornait à y indiquer que la décision du juge de l’exécution était conforme à la procédure et à la loi (paragraphes 20 et 28 ci-dessus). La Cour relève également que le requérant, quant à lui, n’a pas démontré qu’il aurait pu apporter, en réplique auxdits avis du procureur de la République, des éléments nouveaux et pertinents pour l’examen de son opposition devant la cour d’assises.

79. La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné et déclaré irrecevable un grief similaire dans l’affaire Kılıç et autres c. Turquie au motif que les requérants n’avaient pas subi un « préjudice important » du fait de l’absence de communication des avis du ministère public près le Conseil d’État (Kılıç et autres c. Turquie (déc.), no 33162/10, § 32, 3 décembre 2013 ; voir aussi, mutatis mutandis, Tamer c. Turquie (déc.), no 60108/10, § 54, 28 août 2014). En l’absence d’argument ou de fait pouvant la conduire à une conclusion différente dans la présente espèce, la Cour déclare ce grief irrecevable en ce qui concerne les avis émis par le procureur de la République le 27 octobre 2011 et le 21 mars 2012 dans le cadre des requêtes no 39367/12 et no 66687/12, en application de l’article 35 §§ 3 b) et 4 de la Convention.

80. Quant à l’avis du procureur de la République émis le 1er avril 2010 dans le cadre de la requête no 70934/10, la Cour constate que, dans cet avis, le procureur de la République soutenait que le manuscrit saisi comportait des notes et remarques de nature à motiver les détenus liés aux organisations terroristes à commettre des actions militantes et qu’il leur permettait de communiquer entre eux (paragraphe 12 ci-dessus).

Elle constate que cet avis, eu égard à son contenu, comportait des arguments nouveaux pouvant appeler des commentaires de la partie requérante. Elle estime dès lors qu’on ne peut considérer que le requérant n’a subi aucun préjudice important du fait de la non-communication de cet avis. Partant, elle rejette l’exception du Gouvernement s’agissant de l’avis émis par le procureur de la République le 1er avril 2010 dans le cadre de la requête no 70934/10.

81. Constatant que le grief relatif à l’absence de communication de l’avis du procureur de la République émis le 1er avril 2010 n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

82. Le requérant soutient que, en vertu du principe de l’égalité des armes, lui-même et son avocat devaient pouvoir obtenir tous les documents contenus dans le dossier aux fins de préparer sa défense.

83. Le Gouvernement soutient que le contenu de l’avis en question ne plaçait pas le requérant dans une situation de désavantage. Il considère dès lors que la non-communication de cet avis n’a pas porté atteinte au principe de l’égalité des armes.

84. La Cour rappelle avoir souvent examiné de tels griefs et conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la non-communication de l’avis d’un procureur près une juridiction, compte tenu de la nature des observations de celui-ci et de l’impossibilité pour le justiciable d’y répondre par écrit (voir, parmi beaucoup d’autres, Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, §§ 55-58, CEDH 2002-V, et Gözel et Özer c. Turquie, nos 43453/04 et 31098/05, §§ 65-66, 6 juillet 2010). Elle considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument convaincant susceptible de mener en l’espèce à une conclusion différente de celle prononcée pour des griefs identiques.

85. Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

87. Le requérant Halil Gündoğan n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable dans le délai imparti. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

A. Dommage

88. Le requérant Turan Günana réclame 10 000 livres turques (TRY) pour préjudice matériel et 20 000 TRY pour préjudice moral dans le cadre de chacune des requêtes nos 70934/10, 39367/12 et 66687/12. Le requérant Musa Kaya réclame 10 000 euros (EUR) pour préjudices matériel et moral.

89. Le Gouvernement indique que le requérant Turan Günana n’a présenté aucun document à l’appui de sa demande relative au préjudice matériel. Il considère en outre que les sommes demandées par les requérants sont excessives et qu’elles ne correspondent pas à celles accordées par la Cour dans sa jurisprudence en la matière.

90. En ce qui concerne le dommage matériel allégué, la Cour considère que les éléments de preuve présentés ne permettent pas de quantifier la perte résultant pour les requérants de la violation de l’article 10 de la Convention. Partant, elle rejette la demande y afférente. Quant au dommage moral, la Cour estime que les intéressés peuvent passer pour avoir éprouvé un certain désarroi en raison des circonstances de l’espèce. Statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, elle alloue au requérant Turan Günana 2 000 EUR et au requérant Musa Kaya 1 500 EUR à ce titre (Sarıgül, précité, § 62).

B. Frais et dépens

91. Le requérant Turan Günana demande également 2 000 TRY pour les frais de traduction, de fournitures, de téléphone et d’envois postaux, et 14 000 TRY pour les frais d’avocat dans le cadre de chacune des requêtes nos 70934/10, 39367/12 et 66687/12. Il fournit à l’appui de ses demandes un barème d’honoraires établi par le barreau d’Istanbul et un décompte de frais pour chacune des requêtes.

92. Le Gouvernement expose que le requérant n’a soumis aucun document officiel démontrant la réalité des frais allégués, qu’il considère de plus comme élevés par rapport aux frais engagés dans des procédures similaires. Il estime en outre que les sommes demandées pour frais et dépens et pour les frais d’avocat sont excessives et qu’elles ne correspondent pas à celles accordées par la Cour dans sa jurisprudence en la matière.

93. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour rejette les demandes relatives aux frais et dépens en l’absence de justificatif présenté par le requérant à cet égard.

C. Intérêts moratoires

94. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare les requêtes nos 70934/10, 6560/11 et 23599/12 recevables et les requêtes nos 39367/12 et 66687/12 recevables quant au grief tiré de l’article 10 de la Convention et irrecevables pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la requête no 70934/10 ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) et 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur ces sommes, pour dommage moral, aux requérants Turan Günana et Musa Kaya respectivement, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 novembre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident


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