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24/03/2020 | CEDH | N°001-201867

CEDH | CEDH, AFFAIRE MARIUS ALEXANDRU ET MARINELA ȘTEFAN c. ROUMANIE, 2020, 001-201867


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE MARIUS ALEXANDRU ET MARINELA ȘTEFAN c. ROUMANIE

(Requête no 78643/11)

ARRÊT

Art 2 (procédural) • Enquête effective • Défaut d’établir les causes du déracinement de l’arbre à l’origine d’un accident de la route mortel et l’existence d’une éventuelle négligence des autorités • Absence de saisie et de conservation des preuves essentielles • Durée de huit ans et six mois déraisonnable et imputable aux autorités • Action en responsabilité civile délictuelle sans réelles chances d’aboutissement

Ar

t 2 (matériel) • Obligations positives • Absence de manquement de l’État de protéger la vie des passagers de la voiture ...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE MARIUS ALEXANDRU ET MARINELA ȘTEFAN c. ROUMANIE

(Requête no 78643/11)

ARRÊT

Art 2 (procédural) • Enquête effective • Défaut d’établir les causes du déracinement de l’arbre à l’origine d’un accident de la route mortel et l’existence d’une éventuelle négligence des autorités • Absence de saisie et de conservation des preuves essentielles • Durée de huit ans et six mois déraisonnable et imputable aux autorités • Action en responsabilité civile délictuelle sans réelles chances d’aboutissement

Art 2 (matériel) • Obligations positives • Absence de manquement de l’État de protéger la vie des passagers de la voiture • Existence d’un cadre réglementaire visant à prévenir les accidents causés par les plantations routières

STRASBOURG

24 mars 2020

DÉFINITIF

24/07/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Marius Alexandru et Marinela Ștefan c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Jon Fridrik Kjølbro, président,
Faris Vehabović,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Iulia Antoanella Motoc,
Carlo Ranzoni,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Jolien Schukking, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 novembre 2019 et 11 février 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 78643/11) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet État, M. Marius Alexandru Ștefan (« le requérant ») et Mme Marinela Ștefan (« la requérante »), ont saisi la Cour le 12 décembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me S.R. Mihai, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, en dernier lieu Mme S.-M. Teodoroiu, du ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérants allèguent que l’État a manqué à son obligation de protéger leur vie et celle de leurs proches décédés le 6 août 2007, lors de la chute d’un arbre sur la voiture dans laquelle ils se trouvaient. Ils se plaignent en outre d’une absence d’effectivité de l’enquête menée pour identifier et punir les personnes responsables de l’accident, ainsi que de la durée de celle-ci. Ils invoquent les articles 2 § 1 et 6 § 1 de la Convention.

4. Le 13 septembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement. Le 14 avril 2015, une communication supplémentaire au Gouvernement a été effectuée.

EN FAIT

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés respectivement en 1983 et en 1985. Ils sont mari et femme et résident à Bucarest. La requérante est la fille et respectivement la sœur des trois personnes décédées lors des tragiques événements qui ont eu lieu le 6 août 2007.

1. Les événements du 6 août 2007

6. Le 6 août 2007, les requérants se trouvaient dans une voiture conduite par le père de la requérante. Dans le véhicule se trouvaient également la mère et le frère de la requérante, âgé de cinq ans. Alors qu’ils se dirigeaient vers la commune de Murfatlar (dans le département de Constanţa), entre 9 h 30 et 10 heures, un arbre bordant la route nationale fut déraciné et heurta la voiture. Les parents et le frère de la requérante décédèrent au moment de l’impact. La requérante subit des lésions multiples, dont un traumatisme thoracique-abdominal avec une fracture complexe du bassin, une fracture cotylienne bilatérale et une fracture du fémur ; le requérant subit aussi plusieurs lésions, dont une contusion thoracique-abdominale et une fracture du fémur. Les requérants furent transportés aux urgences où y furent chacun soumis à une intervention chirurgicale.

7. Le service médicolégal de Constanţa établit des certificats médicolégaux pour les parents et le frère de la requérante les 20 août 2007 et 28 janvier 2008. Les 29 décembre 2008 et 11 mars 2009, l’Institut national de médecine légale (« l’INML ») établit des expertises médicolégales pour les requérants. Ces rapports mettaient en évidence que le requérant avait eu besoin de quatre-vingts à quatre-vingt-dix jours de soins médicaux et la requérante de quatre-vingt-dix à cent jours. Selon ces rapports, les lésions n’avaient pas mis en danger la vie des requérants et n’avaient entraîné aucune infirmité.

2. L’enquête pénale menée par les autorités internes et le premier non-lieu prononcé en l’espèce

8. Plusieurs équipes de policiers et de pompiers se déplacèrent sur le lieu de l’accident. Un croquis fut réalisé et des photographies furent prises. La police dressa également un procès-verbal, dans lequel il fut mentionné que, « sur place, des échantillons [avaient été] prélevés sur le tronc et les racines de l’arbre». L’arbre déraciné fut déplacé au bord de la route. Il fut ultérieurement volé par des personnes non identifiées (paragraphe 26 ci‑dessous).

9. Une enquête pénale fut ouverte par la police routière le jour de l’accident des chefs d’homicide involontaire et d’atteinte involontaire à l’intégrité corporelle. D’après la feuille de suivi de l’affaire établie par le procureur, l’enquête était dirigée contre le conducteur de la voiture.

10. Le 15 janvier 2008, le directeur du centre forestier de Murfatlar versa une note au dossier de l’enquête. Il déclarait s’être déplacé deux ou trois jours après le 6 août 2007 sur le lieu de l’accident. Il exprimait l’avis que le déracinement de l’arbre s’était produit sous l’action de différents facteurs parmi lesquels, d’une part, la disparition d’une partie du système racinaire de l’arbre due à la présence d’un fossé creusé à proximité en vue de l’évacuation des eaux pluviales et, d’autre part, le pourrissement d’une autre partie du système racinaire et l’altération du sol causés par les infiltrations des eaux provenant d’un système d’assainissement avoisinant défectueux.

11. Le 6 février 2008, sur demande de la police routière, l’Administration nationale de météorologie (« l’ANM ») précisa que le jour de l’accident, entre 9 heures et 10 heures, une intensification du vent avait été enregistrée.

12. Le 18 mars 2008, sur demande de la police, l’administration départementale des ponts et chaussées (Direcţia regională de drumuri şi poduri – « la DRDP ») signala que le tronçon de route sur lequel avait eu lieu l’accident relevait de l’arrondissement surveillé par I.S. et que cet arrondissement relevait quant à lui de la section des routes nationales de Constanţa, dirigée par C.N.

13. Le 19 juillet 2008, les requérants furent entendus par la police. Ils se constituèrent parties civiles dans la procédure pour les dommages qu’ils avaient subis. La requérante précisa qu’elle demandait des dommages et intérêts également pour le décès de ses proches.

14. Le même jour, l’oncle, la tante et le deuxième frère de la requérante, qui, le jour de l’accident, se trouvaient dans une voiture qui roulait derrière celle sur laquelle l’arbre était tombé, furent également entendus. Ils déclarèrent tous que le vent ne soufflait pas fort ce jour-là. L’oncle et le deuxième frère de la requérante déclarèrent en outre que les racines de l’arbre en cause étaient coupées et que cela était vraisemblablement dû à la présence du fossé creusé à proximité. L’oncle de la requérante mentionna que, après l’accident, plusieurs personnes rassemblées sur les lieux afin de couper l’arbre et dégager les victimes avaient observé que l’arbre présentait une couronne verte et s’étaient alors étonnées de son déracinement.

15. Le 5 septembre 2008, I.S., le chef d’arrondissement de Murfatlar de la DRDP, fut entendu par la police. Il déclara qu’au cours des années 2006‑2007 des travaux de décolmatage et de réparation des joints du fossé creusé à proximité de l’arbre en cause en vue de l’évacuation des eaux pluviales avaient été réalisés. Il précisa en outre que, avant l’accident, l’arbre en question avait été vérifié chaque jour, soit par lui-même, soit par d’autres employés, qu’il ne présentait pas de branches cassées, sèches ou obstruant la circulation routière et que, par conséquent, aucune mesure d’élagage ou d’abattage ne s’était imposée. Il ajouta que l’arbre en cause était un arbre vertical et que, en outre, il ne présentait pas de foyers de pourriture ou de gonflements de terre autour – lesquels auraient pu, selon lui, indiquer un éventuel problème au niveau des racines. I.S. mentionna également que, depuis sa nomination au poste de chef d’arrondissement, en octobre 2005, plusieurs arbres cassés à la suite d’accidents de la route ou à cause du vent ou bien secs à 50 % avaient été abattus. Il ajouta que des opérations d’élagage étaient réalisées chaque année d’octobre à février et que ces opérations permettaient non seulement de tailler les branches, mais également de vérifier l’état de santé des arbres. Il mentionna enfin que, après l’accident du 6 août 2007, des instructions écrites visant à la vérification des arbres avaient été reçues et qu’elles avaient été mises à exécution en collaboration avec les centres forestiers locaux. À cet égard, il précisa que l’application de ces instructions avait entraîné le marquage de 250 à 400 arbres, principalement des peupliers, et que 80 % d’entre eux avaient été finalement abattus.

16. Le 13 janvier 2009, la police routière invita le centre départemental de la Régie nationale des forêts (Romsilva – « la Romsilva ») à l’informer sur ses attributions en matière de vérification des arbres bordant le tronçon de route de Murfatlar et sur les opérations menées avec la DRDP avant l’accident.

17. Par une lettre du 15 janvier 2009, la Romsilva indiqua à la police routière que les arbres plantés près des routes nationales relevaient de la compétence de la DRDP. Elle précisa que ses agents étaient uniquement chargés du marquage des arbres présentant un danger pour la sécurité routière et identifiés comme tels par la DRDP, ainsi que de l’évaluation de la masse de bois résultant de l’abattage. Elle mentionna en outre que, le 22 février 2007, la DRDP l’avait informée avoir obtenu l’autorisation pour l’abattage d’arbres ainsi identifiés dans le département de Constanţa et lui avait demandé de désigner un agent pour le marquage des arbres en question. La Romsilva ajouta qu’elle avait désigné l’agent D.B., ce dont elle aurait informé la DRDP, mais qu’elle n’avait reçu aucune demande concrète de déplacement en ce sens, à l’exception d’une seule pour une route autre que celle sur laquelle se trouvait l’arbre à l’origine de l’accident. Par la même lettre, la Romsilva renvoya en outre à la note versée au dossier de l’enquête par le directeur du centre forestier de Murfatlar le 15 janvier 2008 (paragraphe 10 ci-dessus) et informa la police routière que, à la suite d’un accord conclu le 3 septembre 2007 entre elle-même et la DRDP, une ample opération d’identification, de marquage, d’élagage et d’abattage de 2 300 arbres présentant un danger pour la sécurité routière avait été menée dans le département de Constanţa jusqu’à la fin 2008.

18. Le 29 janvier 2009, l’ANM informa la police judiciaire que, le jour de l’accident, vers 9 h 30, la station météorologique la plus proche avait enregistré un vent modéré, d’environ 36 km/h, susceptible de faire bouger les grandes branches des arbres, et que vers 10 h 30 elle avait enregistré un vent assez fort, d’environ 50 km/h, susceptible de faire bouger les grandes branches des arbres ou les arbres plus petits. Ultérieurement, l’ANM ajouta que les arbres commençaient à être déracinés lors des orages, lorsque les vents atteignaient 89 ‑ 102 km/h.

19. Le 8 avril 2009, la police invita la DRDP à lui communiquer la date de la dernière vérification des arbres réalisée sur la route en question avant l’accident.

20. Le 24 avril 2009, la DRDP informa la police routière des attributions du chef d’arrondissement et du chef de la section des routes nationales quant à l’identification des arbres constituant un danger pour la sécurité routière et du type de vérifications exigées par la réglementation en la matière (articles 9 h) et 22 f) des Normes no 504 relatives aux inspections effectuées sur les routes publiques, adoptées par décision du directeur de la Compagnie nationale des autoroutes et des routes nationales de Roumanie (« la CNADNR ») le 24 avril 2007 – « les Normes no 504/2007 »). Elle mentionna qu’aucun arbre présentant un danger pour la sécurité routière n’avait été identifié sur la section avant l’accident. Elle précisa également que ses agents ne disposaient ni des moyens techniques ni de la formation spécialisée leur permettant d’identifier les vices cachés des arbres. Elle ajouta que, selon la dernière lettre que la Romsilva lui avait envoyée en 2006, le marquage s’imposait uniquement pour les arbres ayant une couronne sèche à hauteur de 65 %.

21. Le 15 juin 2009, le requérant saisit le parquet d’une plainte dénonçant une absence de célérité de l’enquête. Par une décision du 8 juillet 2009, le parquet rejeta la plainte du requérant, mentionnant que la police routière avait pris les mesures d’instruction qui s’imposaient et que la durée de l’enquête s’expliquait par le fait que les expertises médicolégales demandées n’avaient été déposées au dossier qu’en avril 2009.

22. Le 2 juillet 2009, la police routière entendit D.B., l’agent désigné par la Romsilva pour marquer les arbres préalablement identifiés par la DRDP comme constituant un danger pour la sécurité routière (paragraphe 17 ci‑dessus). Celui-ci déclara qu’il n’avait pas participé au marquage des arbres sur le tronçon de route où se trouvait l’arbre en cause avant l’accident et qu’il n’avait même pas été informé de sa désignation à cet effet.

23. Les 3 et 9 juillet 2009, la police routière entendit C.N., le directeur de la section des routes nationales de Constanţa. Celui-ci présenta l’échange de lettres entre l’entité qu’il dirigeait et la Romsilva jusqu’en avril 2007. Il précisa que, après l’accident, des agents de la Romsilva avaient marqué les arbres qui constituaient un risque pour la sécurité routière et qui allaient être abattus par une société tierce. À son avis, l’arbre à l’origine de l’accident n’avait pas une couronne sèche à 65 % et ne faisait donc pas partie de ceux qui devaient être marqués selon la lettre de la Romsilva envoyée en 2006 (paragraphe 20 ci-dessus).

24. Le 10 juillet 2009, la police routière proposa au parquet de rendre un non-lieu des chefs d’homicide involontaire et d’atteinte involontaire à l’intégrité corporelle à l’égard du conducteur de la voiture.

25. Le 27 octobre 2009, au cours d’une communication téléphonique avec le parquet, un expert forestier précisa qu’il était désormais impossible, dans la présente espèce, d’effectuer une expertise forestière uniquement sur la base des photographies et des documents, sans des échantillons matériels ou l’arbre déraciné.

26. Le 15 novembre 2009, à l’occasion d’une recherche sur les lieux, le procureur chargé de l’enquête trouva les troncs de quatre arbres. Il interrogea plusieurs personnes qui habitaient à proximité du lieu de l’accident. Ces personnes déclarèrent que ces troncs avaient été abattus le lendemain de l’accident. S’agissant de l’arbre déraciné, elles affirmèrent qu’il avait été laissé au bord de la route puis volé par des personnes non identifiées ; elles précisèrent que sa couronne était verte au moment de l’accident et qu’il ne présentait pas de signes indiquant qu’il pouvait tomber.

27. Le 18 novembre 2009, le procureur demanda aux autorités des renseignements au sujet des arbres abattus dans l’arrondissement de Murfatlar.

28. Par une lettre du 2 décembre 2009, la DRDP informa le parquet que, le jour de l’accident, elle avait ordonné l’abattage dans la zone de l’accident de six autres arbres qui auraient pu représenter un danger pour la sécurité routière en raison de vices cachés et que l’abattage avait eu lieu le lendemain. Le 7 décembre 2009, la Romsilva confirma ces informations.

29. Par une lettre du 15 janvier 2010, l’expert forestier nommé dans l’affaire indiqua, à la demande du parquet, que la détermination de la variété, du diamètre, de la hauteur, du volume, de l’âge et de l’état d’un arbre se faisait impérativement sur place et que cela n’était plus possible en l’occurrence. Il ajouta que seule la variété de l’arbre en cause dans l’accident pouvait être établie en l’espèce à partir des photographies produites au dossier, mais que ce seul élément n’était pas pertinent pour l’affaire.

30. Par une décision du 19 janvier 2010, le parquet près le tribunal de première instance de Constanţa prononça un non-lieu des chefs d’homicide involontaire et d’atteinte involontaire à l’intégrité corporelle à l’égard du conducteur de la voiture et des représentants de la DRDP et de la Romsilva. Pour ce faire, le parquet nota qu’il ressortait des pièces du dossier que l’arbre à l’origine de l’accident n’avait pas présenté de défauts permettant de prévoir son déracinement ultérieur. Le parquet écarta la thèse, présentée par les requérants, d’une négligence dans l’exercice de leurs attributions par les agents des autorités nationales, au motif que seule une expertise technique forestière aurait pu établir les causes du déracinement de l’arbre. Sur ce point, il releva qu’une telle expertise n’était plus réalisable en l’espèce. Dans ces conditions, le parquet conclut à un déracinement fortuit, qui n’aurait pas pu être prévu, sur le fondement de l’article 10 e) de l’ancien code de procédure pénale (« le CPP ») combiné avec l’article 47 de l’ancien code pénal.

31. Les requérants contestèrent cette décision. Ils reprochaient principalement aux autorités judiciaires de n’avoir ni saisi l’arbre déraciné ni ordonné une expertise forestière immédiatement après l’accident et de ne pas avoir déterminé quelles étaient les personnes responsables de l’identification et de l’entretien des arbres constituant un danger pour la sécurité routière, auxquelles ils reprochaient une négligence dans l’exercice de leurs attributions. Ils produisirent à l’appui de leurs arguments une expertise forestière extrajudiciaire réalisée le 25 février 2010 par un expert indépendant. Celui-ci mettait en évidence des irrégularités dans l’activité d’entretien des arbres constituant un danger pour la sécurité publique dans la zone de l’accident, soulignant que la DRDP avait obtenu une autorisation pour l’abattage de ces arbres en février 2007 (paragraphe 17 ci-dessus), mais qu’elle n’avait demandé leur marquage que pour une seule route du département avant l’accident. L’expert mentionnait également que les arbres susceptibles d’être déracinés par le vent ou d’avoir des branches cassées pouvaient être identifiés si l’on décelait sur eux des éléments secs ou cassés, des cavités pourries ou un commencement de déracinement et, s’agissant des gros vieux arbres, si l’on effectuait des prélèvements de bois à l’aide d’un outil spécial. Il concluait enfin que le déracinement de l’arbre aurait pu être causé par le vent eu égard à la présence du fossé pour l’évacuation des eaux pluviales et au mauvais état de l’arbre, précisant que celui-ci présentait une cavité dans le tronc et un foyer de pourriture à ses racines.

32. La décision du 19 janvier 2010 fut confirmée par une décision du 2 mars 2010 du procureur en chef du parquet et par une décision du 23 juin 2010 du tribunal de première instance de Constanţa.

33. Par une décision définitive du 17 février 2011, le tribunal départemental de Constanţa annula la décision du parquet et ordonna un complément d’enquête. Le tribunal constatait que le parquet n’avait pas mené une enquête prompte et effective au sens de l’article 2 de la Convention. Il jugeait que la thèse de l’impossibilité de prévoir la chute de l’arbre n’était pas corroborée par les pièces du dossier, celles-ci montrant que, avant l’accident, aucune vérification ni mesure d’abattage n’avaient été prises depuis plusieurs mois, et cela malgré les démarches initiées par la DRDP (paragraphe 17 ci-dessus). Il relevait de plus que, d’après les témoignages, les racines de l’arbre étaient coupées au niveau du sol et que le vent n’avait pas soufflé fort au matin de l’accident. Il soulignait que ces conclusions étaient en outre corroborées par les résultats de l’ample opération d’identification et d’abattage des arbres menée tout de suite après l’accident. Le tribunal ordonna plusieurs mesures d’enquête : l’identification des agents de la DRDP et de la Romsilva chargés de la zone dans laquelle l’accident avait eu lieu et leur audition ; la réalisation d’une expertise technique forestière sur la base des échantillons prélevés sur le tronc et les racines de l’arbre déraciné le jour de l’accident, des photographies prises le même jour ainsi que de tout autre élément pertinent ; la détermination de la date de la dernière vérification des arbres représentant un danger pour la sécurité routière.

3. La première réouverture de la procédure

34. Par une décision du 11 avril 2011, la police décida l’ouverture des poursuites pénales in rem. Cette décision fut confirmée le même jour par le procureur chargé de surveiller l’enquête.

35. Le 9 mai 2011, la Romsilva, sur demande de la police routière, transmit à cette dernière des renseignements sur les normes techniques applicables à la végétation forestière qui ne faisait pas partie du fonds forestier national (le code forestier et les Normes techniques forestières relatives à l’exploitation des terrains ne relevant pas du fonds forestier national, adoptées le 26 mars 1999 par le ministère des Eaux, des Forêts et de l’Environnement (« les Normes no 264/1999 »)), tel l’arbre déraciné en l’espèce. Selon ces normes, les centres forestiers étaient responsables du marquage des arbres identifiés par leurs propriétaires. La Romsilva indiqua que, en l’espèce, la DRDP n’avait pas demandé, avant l’accident, le marquage des arbres sur le tronçon de route en cause.

36. Le 10 mai 2011, la DRDP, sur demande de la police routière, envoya à cette dernière une lettre reprenant pour l’essentiel les informations déjà transmises le 24 avril 2009 (paragraphe 20 ci-dessus). Elle précisa que, malgré le fait que les plantations routières étaient gérées par la DRDP, l’identification, la vérification et, le cas échéant, le marquage en vue de l’abattage étaient effectués par les centres forestiers. Ultérieurement, elle transmit à la police routière des informations supplémentaires ainsi que les normes techniques décrivant la périodicité, la nature et les personnes chargées des inspections de la sécurité des routes nationales.

37. Entre juin et novembre 2011, la police entendit I.S. et C.N., les requérants, ainsi que l’oncle, la tante et le deuxième frère de la requérante. Le directeur du centre forestier de Murfatlar, qui avait produit au dossier de l’enquête la note du 15 janvier 2008 (paragraphe 10 ci-dessus), fut en outre entendu pour la première fois. La police entendit également deux employées de la DRDP qui avaient effectué des inspections les 11 avril et 14 et 19 juin 2007 sur le tronçon de route où se trouvait l’arbre à l’origine de l’accident. Ces employées déclarèrent que parmi leurs attributions figurait celle de vérifier visuellement l’état des arbres. L’une d’entre elles indiqua qu’il ne leur appartenait pas d’établir l’âge des arbres ou de constater si ceux-ci constituaient un risque pour la sécurité routière et que ces tâches étaient confiées au chef d’arrondissement.

38. Dans l’intervalle, le 9 juin 2011, la police routière avait ordonné la réalisation d’une expertise technique. Les pièces du dossier avaient alors été mises à la disposition de l’expert forestier désigné, à l’exception des échantillons prélevés sur le tronc et les racines de l’arbre, qui étaient introuvables.

39. Par ailleurs, en octobre 2011, la police avait recueilli des informations sur les systèmes d’évacuation des eaux pluviales et d’assainissement existant à proximité de l’arbre déraciné.

40. À une date non précisée, en 2011, le requérant dénonça auprès du Conseil supérieur de la magistrature l’enquête, en ce qu’elle aurait été lente, et la disparition des échantillons prélevés sur le tronc et les racines de l’arbre. Par une lettre du 5 mars 2012, le Conseil supérieur de la magistrature confirma la disparition des échantillons, qui n’avaient pas été transmis au procureur avec le dossier de l’enquête en juillet 2009. Il indiqua aussi que la police routière n’avait pas été en mesure de déterminer si les échantillons avaient été effectivement prélevés, comme indiqué dans le procès-verbal du 6 août 2007, et, dans l’affirmative, quelles avaient été les modalités de leur conservation.

41. Entre-temps, en février 2012, les agents ayant participé à la recherche sur les lieux le jour de l’accident avaient été entendus au sujet des échantillons en question. En particulier, l’expert en criminalistique avait déclaré qu’en réalité aucun échantillon n’avait été prélevé et précisé que seules des photographies judiciaires avaient été prises. Par ailleurs, dans le registre des recherches sur les lieux tenu par la police routière, seules ces photographies figuraient comme éléments saisis le jour de l’accident.

42. L’expertise fut finalisée en mars 2012 et versée au dossier de l’enquête le 2 avril 2012, accompagnée du point de vue exprimé par l’expert indépendant nommé par les requérants. Elle notait que les plantations routières relevaient de la compétence de la DRDP et qu’il ne ressortait pas des documents que cette dernière avait sollicité le marquage des arbres. Elle mettait en évidence que l’arbre déraciné était un peuplier de plus de quarante ans et qu’il avait donc été conservé au-delà de la durée maximale de vingt-cinq ans prévue pour cette espèce, connue pour présenter des risques de développement de foyers de pourriture, par les normes techniques. Elle soulignait aussi la possibilité que le déracinement ait été causé par le vent étant donné la faible adhérence au sol des racines affectées par le pourrissement. Elle relevait néanmoins qu’une conclusion formelle en ce sens aurait pu être tirée uniquement après mesure de la force de résistance des racines, précisant que cela n’était plus possible en l’espèce.

43. Le 26 avril 2012, les requérants déposèrent leurs commentaires au sujet du rapport d’expertise, demandant des éclaircissements.

44. En juillet 2012, l’expert réalisa un complément d’expertise, dans lequel il précisait que l’âge du peuplier à l’origine de l’accident ne pouvait être établi avec certitude à partir des données disponibles, mais que plusieurs éléments permettaient de conclure qu’il dépassait celui recommandé pour la conservation de ce type d’arbres. Il fut en outre relevé ce qui suit : une photographie prise le jour de l’accident montrait que plusieurs branches avaient été coupées d’un même côté de l’arbre, moins d’un an auparavant ; cela avait entraîné une dissymétrie de la couronne impliquant le déplacement du centre de gravité de l’arbre vers le sud ; il n’avait pas pu être remédié à cette dissymétrie par un développement des racines en raison du court laps de temps écoulé et de la présence d’un foyer de pourriture ; dans ces conditions, l’arbre aurait pu être déraciné par un vent soufflant du nord.

45. Par une décision du 7 juillet 2012, le parquet décida l’ouverture de poursuites pénales contre C.N. et I.S.

46. Le 13 juillet 2012, ces derniers furent entendus à nouveau en la présence de l’avocate des requérants.

47. Le même jour, les requérants demandèrent la mise en cause de la DRDP, en tant que partie civilement responsable.

48. Le 19 juillet 2012, la police entendit un employé de la DRDP qui était arrivé sur les lieux après l’accident, en tant que témoin.

49. Par une lettre du 17 avril 2013, la DRDP informa la police routière que, selon les Normes no 264/1999, il appartenait aux directions forestières territoriales de vérifier la manière dont étaient gérées les plantations forestières et de dresser des procès‑verbaux comportant leurs constats et les mesures à prendre. La DRDP indiquait que ces vérifications devaient être effectuées deux fois par an et à chaque suspicion d’infraction au code forestier. S’agissant de l’annexe aux normes susmentionnées selon laquelle les peupliers devaient être abattus trente ans après leur plantation, la DRDP soulignait qu’elle n’avait pas disposé d’informations quant à la date de plantation du peuplier en cause, de sorte qu’elle n’aurait pas eu connaissance de l’âge de cet arbre avant son déracinement. La DRDP ajoutait que, bien qu’elle fût la gestionnaire des plantations routières, il appartenait au personnel de la Romsilva de mener les opérations d’identification, de vérification et de marquage en vue de l’abattage des arbres. La DRDP précisait qu’avant l’accident trois inspections visuelles avaient été faites sur le tronçon de route où s’était produit le déracinement, les 11 avril et 14 et 19 juin 2007.

50. Par une décision du 17 avril 2013, le parquet près le tribunal de première instance de Constanţa ordonna la clôture de l’instruction. Pour ce faire, il relevait qu’il ressortait des pièces du dossier que l’arbre déraciné ne présentait pas de défauts au niveau du tronc et de la couronne permettant de prévoir un éventuel déracinement. S’agissant de ses racines, il notait que les agents de la DRDP n’étaient pas habilités à connaître des vices cachés des arbres. Le parquet écartait la thèse de négligence dans l’exercice de leurs attributions par les agents des autorités nationales, avancée par les requérants, au motif que seule une expertise technique forestière aurait pu établir les causes du déracinement de l’arbre et qu’une telle expertise n’était plus réalisable en l’espèce. Il notait en outre qu’aucun signe visible sur l’arbre n’était disponible pour juger de l’incidence du fossé creusé à proximité sur le déracinement. Dans ces conditions, le parquet concluait à un déracinement fortuit, qui n’aurait pas pu être prévu, sur le fondement de l’article 10 e) de l’ancien CPP.

51. Le 28 mai 2013, les requérants contestèrent la décision du parquet devant le tribunal de première instance de Constanţa, alléguant une absence d’enquête effective.

52. Par une décision définitive du 15 octobre 2013, le tribunal de première instance de Constanţa annula la décision du parquet et ordonna la poursuite de l’enquête. Il estimait que les autorités de poursuite n’avaient pas fait preuve d’un rôle actif, n’ayant pas instruit toutes les preuves utiles pour la recherche de la vérité : en particulier, selon lui, elles n’avaient pas établi les différentes responsabilités des autorités publiques et les attributions du personnel de ces autorités dans l’identification, autre que visuelle, des arbres constituant un danger pour la sécurité routière. Ainsi, le tribunal notait que l’enquête n’avait pas permis de clarifier par exemple quelles mesures de vérification, autres que le simple contrôle visuel, avaient justifié les démarches effectuées par la DRDP auprès de la Romsilva en vue de l’abattage de plusieurs arbres en février 2007 (paragraphe 17 ci-dessus) ainsi que de l’abattage, le lendemain de l’accident, d’arbres plantés sur le tronçon de route en cause (paragraphe 28 ci-dessus). Il relevait que cette défaillance avait d’ailleurs permis aux autorités de conclure à l’existence d’un cas fortuit.

4. La deuxième réouverture de la procédure

53. Le 23 décembre 2013, le parquet près le tribunal de première instance de Constanţa rouvrit les poursuites pénales contre C.N. et I.S. et renvoya le dossier à la police routière. Il précisait que les points suivants devaient être clarifiés :

. si, en vue de l’abattage des six arbres avoisinant celui tombé (paragraphe 28 ci-dessus), des vérifications préalables avaient été menées ; dans l’affirmative, qui les avait effectuées et quels documents les mentionnaient, et si les autorités forestières avaient marqué les arbres en question ;

. quels éléments avaient justifié les démarches effectuées par la DRDP, en février 2007, pour l’obtention de l’autorisation de l’abattage des arbres présentant un danger pour la sécurité routière dans le département ;

. si les autorités forestières locales tenaient des registres répertoriant les arbres, y compris leur variété, âge et état, sur le tronçon sur lequel l’accident avait eu lieu ;

. si les autorités forestières avaient réalisé des contrôles des plantations sur le tronçon en cause, en conformité avec les dispositions des Normes no 264/1999, avant l’accident ; dans l’affirmative, avec quels outils ces contrôles avaient été effectués et quels documents avaient été dressés à cette occasion.

54. En février et avril 2014, sur demande de la police routière, la DRDP versa au dossier plusieurs documents internes relatifs aux démarches effectuées en février 2007 pour l’obtention de l’autorisation de l’abattage des arbres présentant un danger pour la sécurité routière.

55. En avril 2014, la police entendit à nouveau C.N., I.S. et le directeur du centre forestier de Murfatlar, et elle auditionna également deux inspecteurs techniques de la DRDP chargés, entre autres, de contrôler l’état des routes par des inspections périodiques. Il ressort notamment des déclarations ainsi recueillies :

. que I.S., en sa qualité de chef d’arrondissement, était chargé d’effectuer des inspections journalières du tronçon qui lui était attribué ;

. que, s’agissant des arbres bordant la route, en conformité avec les dispositions légales en la matière (article 6 § 1 des Normes no 504/2007), les vérifications visuelles portaient uniquement sur leur état général ;

. que, en l’absence d’une obligation expresse prévue en ce sens, les inspections journalières n’aboutissaient pas à la rédaction de notes écrites dans les cas où rien n’était à signaler ;

. que des inspections périodiques étaient menées par des inspecteurs techniques et aboutissaient à la rédaction de notes de vérifications périodiques ;

. que, dans le cadre de l’administration des ponts et chaussées, il n’y avait pas de normes établissant la durée après laquelle un arbre devait être abattu ni de registres mentionnant l’âge des arbres plantés ;

. que la DRDP tenait un « registre des plantations » comprenant la variété et la position des arbres bordant les routes ;

. et que, d’après le directeur du centre forestier de Murfatlar, il n’appartenait pas aux autorités forestières de vérifier la manière dont étaient gérées les plantations forestières bordant les routes.

56. Le 7 avril 2014, sur demande de la police routière, l’ANM précisa qu’aucun phénomène météorologique extrême n’avait été enregistré dans la région la veille de l’accident.

57. Le 5 mai 2014, après avoir consulté le dossier, l’avocate des requérants demanda notamment que la DRDP fût invitée à produire au dossier le « registre des plantations », le cahier des inspections de la route pour la période ayant précédé l’accident, ainsi que l’original de la documentation versée en février 2014 (paragraphe 54 ci-dessus), et à expliquer pour quelles raisons cette documentation avait été versée avec retard. Il ne ressort pas du dossier que les autorités judiciaires ont fait droit à cette demande.

58. Les 13 mai et 11 novembre 2014, le procureur chargé des poursuites rejeta les plaintes de l’avocate des requérants par lesquelles celle-ci dénonçait une lenteur de l’enquête.

59. Par une décision du 8 avril 2015, le parquet près le tribunal de première instance de Constanţa ordonna la clôture de l’instruction. Il notait d’abord qu’au moment de l’accident, C.N. et I.S., compte tenu de leurs fonctions, étaient responsables du segment de route en cause. Il exposait ensuite que le complément d’enquête n’avait pas permis d’identifier d’éléments factuels nouveaux et qu’il ne ressortait pas du dossier que les normes de sécurité routière avaient été méconnues en l’espèce. Dans ces conditions, le parquet concluait à un déracinement fortuit, qui n’aurait pas pu être prévu. Le parquet décida également l’ouverture d’une information judiciaire du chef de faux au sujet de plusieurs documents versés au dossier pour la première fois par la DRDP en février 2014 (paragraphe 54 ci‑dessus).

60. Par une décision définitive du 16 février 2016, le tribunal de première instance de Constanţa confirma la décision du 8 avril 2015. Le tribunal de première instance nota que lors de l’accident, les suspects avaient démontré que des inspections avaient été réalisées les 11 avril et 14 juin 2007 et que celles-ci n’avaient pas relevé des défaillances de la végétation bordant la route en cause. Il prit également en compte qu’il ressortait d’un document versé au dossier que le 13 février 2007, à la suite d’une inspection, une défaillance au système d’assainissement avoisinant avait été constatée, que des infiltrations d’eau avaient eu lieu tout au long de ce système et que la réalisation d’une étude de spécialité avait été recommandée pour une partie de la zone. Se référant ensuite aux constats du rapport d’expertise judiciaire (paragraphe 42 ci-dessus), le tribunal nota que la DRDP n’avait sollicité explicitement à aucun des centres de Romsilva le marquage des arbres et que le déracinement de l’arbre pouvait se réaliser dans certaines conditions météorologiques en raison de ses racines affectées de pourriture. Le tribunal conclut qu’il y avait en l’occurrence cas fortuit étant donné que « l’inaction des personnes [mises en cause] avait été accompagnée d’un phénomène extérieur, imprévisible et étranger à leur conscience et à leur volonté ».

2. LE DROIT INTERNE PERTINENT

61. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code forestier, en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées :

Article 6

« Les plantations forestières se trouvant sur des terrains ne relevant pas du fonds forestier national, soumises aux dispositions du code forestier, comprennent :

(...)

e) les rideaux forestiers de protection et les arbres bordant les voies de communication situées extra-muros ; »

Titre V

Les plantations forestières ne relevant pas du fonds forestier

Article 87

« Les plantations forestières ne relevant pas du fonds forestier national, énumérées à l’article 6, sont gérées par leurs propriétaires ; elles sont exploitées en conformité avec leur destination et sont soumises aux normes techniques forestières et de surveillance ainsi qu’aux normes de circulation et de transport des coupes adoptées par l’autorité publique centrale forestière qui est chargée de contrôler leurs application et respect. »

Article 92

« La coupe du bois des terrains ne relevant pas du fonds forestier national, énumérés à l’article 6, est autorisée uniquement après le marquage préalable des arbres concernés par [les représentants] des centres forestiers. (...) »

Article 93

« L’autorité publique centrale forestière organise le contrôle de l’application des normes forestières et de surveillance ainsi que de celles relatives à la circulation des coupes de bois effectuées sur des terrains ne relevant pas du fonds forestier national. »

62. Les dispositions pertinentes en l’espèce des Normes no 264/1999 sont ainsi libellées :

Article 9 § 1

« Les propriétaires et les utilisateurs des terrains boisés ne relevant pas du fonds forestier national ont l’obligation de maintenir [les plantations] dans un état sanitaire normal et de réaliser les travaux d’hygiène ainsi que ceux de prévention et de lutte contre les maladies et les dégâts provoqués par les insectes nuisibles, établis par des normes adoptées par les directions forestières territoriales ; ces travaux sont effectués par leurs propres moyens ou par des unités spécialisées, contre rémunération. »

Article 11

« La coupe des plantations forestières des terrains ne relevant pas du fonds forestier national se fait sur demande des propriétaires et des utilisateurs légaux, uniquement après le marquage préalable effectué par les unités forestières habilitées par une lettre de délégation délivrée lors de la remise du marteau de marquage (...) »

Article 12

« Les propriétaires et les utilisateurs des terrains boisés doivent effectuer les coupes d’entretien nécessaires pour le maintien d’un état phytosanitaire adéquat. En particulier sont réalisées des coupes d’hygiène par abattage des arbres atteints de maladies ou présentant des dégâts provoqués par les insectes nuisibles, ou qui sont secs ou en train de sécher. L’extraction est effectuée après le marquage préalable par les unités forestières territoriales. »

Article 21 §§ 1 et 2

« Les directions forestières locales doivent contrôler la manière dont sont gérées les plantations forestières situées sur des terrains ne relevant pas du fonds forestier national et dresser des procès-verbaux dans lesquels sont consignées les mesures qui doivent être prises par les propriétaires ou les utilisateurs [de ces terrains] afin de respecter les normes d’exploitation en vigueur.

Les contrôles sont réalisés par les directions forestières locales, à l’aide, le cas échéant, du personnel technique des centres forestiers, deux fois par an, en début et à la fin de la période de végétation, ainsi qu’après [leur saisine pour des] infractions au code forestier. »

63. Selon le tableau intitulé « Âge pour la coupe » prévu à l’annexe no 2 de ces normes, l’âge maximal d’exploitation prévu pour les peupliers indigènes est de trente ans.

64. Les Normes relatives aux plantations routières no 561/2001, adoptées par décision du directeur de l’Administration nationale des routes le 26 janvier 2001, se réfèrent notamment aux catégories de plantations routières, aux méthodes de plantation, d’entretien et de coupe, ainsi qu’à diverses formalités à remplir. Les dispositions pertinentes pour la présente affaire sont ainsi rédigées :

Article 11 La coupe des plantations

« 11.1 La coupe des arbres (...) et des arbustes faisant partie des plantations routières est réalisée lorsqu’il s’agit de :

1. la coupe des spécimens en bon état (en pleine végétation) (...) ;

2. la coupe d’hygiène des spécimens atteints par la maladie ou présentant des dégâts provoqués par les insectes nuisibles, se trouvant dans différents états de sécheresse ;

3. la coupe des spécimens secs, cassés ou déformés par le vent, à la suite d’accidents de la route ou par des désastres naturels (vent, chutes importantes de neige, givre, etc.) ;

4. la coupe des plantations routières ayant atteint l’âge maximal d’exploitation. »

Article 14 § 1 L’inventaire, la surveillance et la coupe des plantations routières

« Les plantations routières sont enregistrées dans l’inventaire technico-opérationnel [intitulé] « Le registre des plantations » dressé tous les quatre ans et regroupant chaque pièce de plantation, le nombre de pièces par kilomètre, le nombre de pièces par objectif ou le nombre de pièces et la superficie concernée. Le chef d’arrondissement doit répertorier dans le registre des plantations toute modification survenue à la suite des coupes programmées ou abusives, ainsi que les ajouts, [et informer la section des routes nationales concernée] de la situation mise à jour. »

65. Les Normes no 504/2007 contiennent notamment des dispositions sur les différentes inspections à effectuer, leur périodicité, le personnel désigné à cet effet et les méthodes à suivre. Les dispositions pertinentes pour la présente affaire sont ainsi rédigées :

Article 5

« Les inspections routières sont les suivantes :

a) l’inspection de surveillance ;

b) l’inspection courante ;

c) l’inspection périodique ;

d) l’inspection spéciale ;

e) l’inspection de vérification générale du réseau routier. »

Article 6 § 1

« La surveillance des routes, ponts, passages et viaducs relevant de l’arrondissement consiste dans la visite intégrale du tronçon de la route géré et la réalisation des observations visuelles portant sur l’intégrité de la route. Au cours de l’inspection, des mesures sont prises en vue de remédier à la signalisation routière, pour l’enlèvement d’obstacles ainsi que toute autre mesure exigée par la sécurité routière. »

Article 7

« Les organes de surveillance de la route sont :

a) les formations mobiles d’entretien constituées au sein des arrondissements ;

b) le chef de l’arrondissement, dans le cas des tronçons de route instables, lors de la fonte des neiges ou par temps de forte pluie, [en cas] d’inondation ou en cas d’accident de la route ;

c) des équipes spéciales constituées pour l’inspection hivernale, conformément au plan de déneigement. »

Article 8

L’inspection de surveillance est effectuée : (...)

b) tous les deux jours sur les routes nationales ; (...)

d) à tout moment en cas de besoin sur les routes visées au point b) (...) »

Article 9 § 2

« Les [points à vérifier] au cours de l’inspection de surveillance sont les suivants : (...)

h) pour les plantations : l’état général, l’aspect, [l’existence] d’arbres abîmés par les orages ou la circulation, les effets des insectes nuisibles ;

(...) »

Article 14

Les inspections courantes comportent des mesures plus amples que celles relevant des inspections de surveillance et sont effectuées par :

a) le chef d’arrondissement ;

b) le personnel technique de la section des routes [concernée]. »

Article 15

« Le chef d’arrondissement effectue l’inspection [courante] : (...)

a) une fois par semaine pour les routes européennes ;

b) deux fois par mois pour les autres routes (...) »

Article 17

« 1. Le personnel technique de la section des routes [concernée] effectue l’inspection courante dans les arrondissements qu’il coordonne.

Cette inspection est réalisée avec le chef de l’arrondissement sur la base d’un programme établi et approuvé par le chef de section. En outre, le personnel technique peut réaliser des inspections sur demande du chef d’arrondissement si les problèmes qui surgissent dépassent ses compétences. »

Article 18

Le personnel technique ayant des attributions d’inspection effectue l’inspection :

a) deux fois par mois pour les routes européennes ;

b) mensuellement pour les autres routes (...). »

Article 22

« 1. Les inspections courantes consistent à parcourir la route et à effectuer des vérifications différentes de celles réalisées lors des inspections de surveillance : (...)

f) pour les plantations : l’état général, les travaux nécessaires afin d’assurer le passage et la visibilité des panneaux de signalisation routière ; (...) »

66. Les Normes no 504/2007 prévoient en outre la réalisation d’inspections périodiques des routes nationales aux différents niveaux de la CNADNR par des équipes spécialisées : deux fois par trimestre au niveau de la section des routes, une fois par semestre au niveau de la DRDP et tous les deux ans au niveau de la CNADNR (articles 25-32). Selon ces normes, des inspections spéciales sont effectuées par exemple après des désastres naturels, au printemps, à l’automne ou après le réaménagement des infrastructures routières (articles 33-39).

67. Toujours d’après ces normes, les résultats des inspections sont notés dans le registre d’activité journalière ou celui des inspections tenus au niveau de l’arrondissement.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

68. Les requérants allèguent que l’État a manqué à son obligation de protéger leur vie. La requérante estime de surcroît que l’État a manqué à son obligation de protéger la vie de ses proches – ses parents et son frère – décédés le 6 août 2007. Les requérants se plaignent en outre d’une absence d’effectivité de l’enquête menée pour identifier et punir les personnes responsables de l’accident survenu à la date susmentionnée, ainsi que de la durée de celle-ci. À l’appui de leurs griefs, les requérants invoquent l’article 2 de la Convention.

1. Sur la disposition de la Convention applicable

69. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause et ne s’estimant pas liée par celle attribuée par les requérants, la Cour a communiqué la présente requête au Gouvernement sous l’angle des articles 2, 3 et 8 de la Convention.

70. Dans ses observations écrites, le Gouvernement n’a pas contesté l’applicabilité de l’article 2 de la Convention en ce qui concerne les proches de la requérante, mais a en revanche estimé que les griefs tirés par les requérants de leur propre situation devaient être examinés uniquement sur le terrain de l’article 3 de la Convention. Il indique que, même si l’accident survenu le 6 août 2007 était susceptible de mettre en danger la vie des requérants, il ressort des pièces du dossier que cela n’a pas été le cas en l’espèce, et il précise de plus que les requérants n’ont pas été atteints d’infirmités permanentes.

71. La Cour note que l’applicabilité de l’article 2 de la Convention à la partie du grief concernant les parents et le frère de la requérante n’est pas sujette à controverse entre les parties. Elle convient qu’en effet, eu égard au fait que les événements du 6 août 2007 se sont soldés par le décès des proches de la requérante, l’article 2 de la Convention est applicable à leur endroit.

72. Une question se pose quant à la qualification juridique du grief en sa partie relative aux requérants, étant donné que ceux-ci ont survécu aux événements du 6 août 2007.

73. À cet égard, concernant l’argument du Gouvernement selon lequel cette partie du grief doit être examinée sous l’angle de l’article 3 de la Convention, la Cour rappelle que des lésions corporelles et des souffrances physiques ou mentales subies par une personne à la suite d’un accident qui est le simple fruit du hasard ou d’un comportement négligent – comme c’est le cas en l’espèce – ne peuvent être considérées comme la conséquence d’un « traitement » auquel cette personne aurait été « soumise » au sens de l’article 3 (Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 123, 25 juin 2019). En ce qui concerne par ailleurs l’article 8 de la Convention, la Cour estime qu’il n’est pas applicable à la situation des requérants (voir, en ce sens, Nicolae Virgiliu Tănase, précité, §§ 130 et 131).

74. Il reste à savoir si les faits de la cause concernant les requérants relèvent de l’article 2 de la Convention. La Cour rappelle que, récemment, elle a dressé un catalogue très détaillé, bien que non exhaustif, des activités, publiques ou non, susceptibles de mettre en jeu le droit à la vie et d’engendrer l’applicabilité de l’article 2 de la Convention (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 141). Il convient aussi de rappeler que la Cour a déjà jugé que les États doivent prendre des mesures afin d’assurer la sécurité des personnes se trouvant dans les espaces publics (voir, en ce sens, Ciechońska c. Pologne, no 19776/04, § 69, 14 juin 2011). De même, la Cour a jugé que l’article 2 de la Convention trouvait à s’appliquer alors même que la victime d’un grave incident avait survécu, dès lors que ledit incident avait été potentiellement meurtrier et que c’était pur hasard si la victime avait eu la vie sauve (voir, par exemple, Boudaïeva et autres c. Russie, nos 15339/02 et 4 autres, § 146, CEDH 2008 (extraits), où les requérants avaient survécu, sans être blessés, à une coulée de boue alors que le mari de la première requérante avait perdu la vie lors de cet événement).

75. En l’espèce, il y a lieu de rappeler que les requérants circulaient en voiture sur la voie publique lorsqu’un arbre bordant la route nationale a été déraciné et a heurté leur voiture (paragraphe 6 ci-dessus). La Cour note que les parties conviennent que l’accident du 6 août 2007 a été en l’occurrence potentiellement dangereux pour la vie des requérants (paragraphe 70 ci‑dessus). Elle observe aussi que l’État a adopté une réglementation qui devait être mise en place par ses institutions afin d’assurer la sécurité des personnes se trouvant sur la voie publique (paragraphes 17 et 61 à 67 ci‑dessus ; voir, pour une situation différente, Nicolae Virgiliu Tănase, précité, où le requérant dénonçait le non-respect de normes routières par un particulier et où le respect par l’État de ses obligations positives n’a pas été remis en cause ; comparer avec Ciechońska, précité, § 67, où la chute d’un arbre dans un espace public avait causé le décès de l’époux de la requérante). Lors du déracinement de l’arbre à l’origine de l’accident du 6 août 2007, les requérants, qui ont été gravement blessés et dont l’état a nécessité de nombreux jours de soins médicaux, se trouvaient sur la voie publique dans la même voiture que leurs proches, qui, eux, sont décédés. Le fait que les requérants ont échappé à la mort était purement fortuit (comparer avec Makaratzis c. Grèce [GC], no 50385/99, § 54, CEDH 2004‑XI).

76. Compte tenu de ce qui précède, et rappelant que son appréciation dépend des circonstances de l’affaire, la Cour considère que l’article 2 de la Convention est en l’espèce applicable au grief des requérants. Elle examinera donc la présente requête sur le terrain de l’article 2 de la Convention tant à l’égard des requérants que des parents et du jeune frère de la requérante. L’article 2 de la Convention se lit ainsi en sa partie pertinente en l’espèce :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...)

(...) »

2. Sur la recevabilité

77. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

3. Sur le fond
1. Arguments des parties

(a) Les requérants

78. Les requérants se plaignent d’une incapacité des autorités publiques compétentes en la matière – à savoir la Romsilva et la DRDP – à assurer la sécurité des routes nationales, reprochant à ces instances de ne pas avoir pris les mesures adéquates avant l’accident. Ils indiquent que tant les travaux d’aménagement du fossé bordant la route – et qui, à leur avis, fondé sur les rapports d’expertise, avaient affaibli les racines de l’arbre – que la surveillance des arbres qui s’y trouvaient relevaient de la compétence de la DRDP. Dans leurs observations, les requérants dénoncent le fait que lesdites autorités ont réagi uniquement après l’accident, puisqu’elles auraient essayé de pallier la « législation déficitaire » en la matière en signant un accord le 3 septembre 2007 afin de prendre les mesures s’imposant pour la prévention d’accidents similaires (paragraphe 17 ci-dessus).

79. Les requérants soutiennent en outre que l’enquête menée en l’espèce n’a pas été effective ou susceptible de conduire à l’identification des autorités et des personnes responsables. En ce sens, ils dénoncent en particulier une absence de mesures prises au cours de la phase initiale de l’enquête. Ils reprochent ainsi aux autorités de poursuite de ne pas avoir saisi l’arbre déraciné, d’avoir ultérieurement perdu les échantillons qui avaient été prélevés sur le tronc et les racines de cet arbre et d’avoir par conséquent rendu impossible la réalisation d’une expertise forestière complète. Ils affirment également que pendant environ deux ans, jusqu’en juillet 2009, l’enquête a été dirigée contre le père de la requérante, conducteur de la voiture accidentée, et que pendant ce temps très peu de mesures d’instruction ont été prises. Ils mettent en exergue également le fait que le rapport de l’expertise judiciaire ordonnée en juin 2011 n’a été finalisé que plusieurs mois après, en mars 2012, et cela en raison, à leurs dires, d’un retard des autorités de poursuite dans le versement des frais afférents à la réalisation de l’expertise.

(b) Le Gouvernement

80. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas mis en cause la législation en matière de sécurité routière – dont ils auraient fait une énumération rapide – ou son application par les autorités publiques, mais uniquement le non-respect de leurs attributions par les personnes responsables de la gestion des routes. Dans ses observations écrites initiales du 15 janvier 2013, il a estimé que, compte tenu du stade de l’enquête pénale à ce moment-là, aucune spéculation ne pouvait être faite quant à une inobservation par les autorités nationales de leurs obligations positives avant la finalisation de l’enquête.

81. En tout état de cause, le Gouvernement affirme que les autorités n’étaient au courant d’aucun risque réel et imminent menaçant la vie ou l’intégrité physique des personnes. Par ailleurs, selon lui, l’obligation positive pour l’État de prendre des mesures préventives ne peut être interprétée de manière à imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif. Le Gouvernement soutient en particulier que l’absence d’inventaire des plantations routières est antérieure à la ratification de la Convention par la Roumanie. Dans ces conditions, il considère que le défaut de prise de mesures préventives aux fins d’empêchement de la concrétisation d’un risque de déracinement ne peut être assimilé à une faute lourde ou à un manquement délibéré à l’obligation de protéger la vie, et il cite à cet égard l’affaire Berü c. Turquie (no 47304/07, 11 janvier 2011).

82. Renvoyant aux mesures d’instruction prises par les autorités de poursuite, le Gouvernement considère que l’enquête menée en l’espèce a été effective et apte à établir les faits et les responsabilités. De surcroît, il indique que les requérants ont été informés du déroulement de l’enquête, ainsi que des mesures prises par le parquet et par la police routière, et que leur avocate a été informée de l’audition de plusieurs témoins. Il ajoute que les requérants ont reçu des réponses à leurs demandes de la part des autorités, que leur point de vue a été pris en compte dans le cadre de l’enquête et qu’ils ont eu la possibilité de se constituer parties civiles dans la procédure.

83. Il conteste la thèse des requérants selon laquelle l’enquête a été dirigée dans l’intervalle 2007-2009 contre le conducteur du véhicule, au motif que la police routière a insisté pour obtenir des éclaircissements de la part des autorités impliquées à l’égard des personnes responsables. Il ajoute que, après l’annulation des décisions de clôture de l’enquête prises par le parquet, les autorités de poursuite ont pris les mesures d’instruction ordonnées par les tribunaux.

84. Enfin, le Gouvernement estime que la durée de la procédure s’explique par la complexité de l’affaire et la nécessité de prendre en considération de nombreux éléments de preuve. Il allègue que l’enquête n’a pas connu des périodes d’inactivité significatives et que sa durée n’a pas été déraisonnable, même s’il admet que la réalisation des expertises médicolégales et de l’expertise forestière a exigé de longs délais.

2. Appréciation de la Cour

(a) Quant à la réaction judiciaire requise au regard de l’article 2 de la Convention : le volet procédural de cette disposition

(i) Principes généraux

85. La Cour rappelle qu’au titre de son obligation positive de protéger le droit à la vie l’État doit aussi s’assurer qu’il dispose, dans les cas de décès ou de blessure physiques potentiellement mortelles, d’un système juridique effectif et indépendant qui permette à bref délai d’établir les faits, de contraindre les responsables à rendre des comptes et de fournir aux victimes une réparation adéquate (Ciechońska précité, § 71, et Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 157 ).

86. La Cour rappelle ensuite que, en cas d’homicide involontaire ou de mise en danger involontaire de la vie d’une personne, on peut juger satisfaite l’obligation relative à l’existence d’un système judiciaire effectif si le système juridique offre aux victimes (ou à leurs proches) un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, susceptible d’aboutir à l’établissement des responsabilités éventuelles et à l’octroi d’une réparation civile adéquate. Lorsque des agents de l’État ou des membres de certaines professions sont impliqués, des mesures disciplinaires peuvent également être envisagées (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 159). La Cour a récemment décrit, dans l’affaire Nicolae Virgiliu Tănase (précitée, §§ 165 à 171), les aspects à prendre en considération pour qualifier une enquête d’« effective » au sens de l’article 2 de la Convention.

(ii) Application de ces principes au cas d’espèce

87. La Cour note qu’une enquête pénale a été ouverte le jour de l’accident par la police routière (paragraphe 9 ci-dessus). Il reste à examiner son caractère effectif.

88. À cet égard, la Cour relève que ladite enquête a été entachée d’irrégularités dès le début. En effet, il ressort des pièces du dossier que les autorités ont failli à leur obligation de saisir des preuves essentielles – s’agissant de l’arbre déraciné – ou de les conserver – s’agissant des échantillons prélevés sur le tronc et des racines de l’arbre (voir, pour une situation similaire, Ciechońska précité, § 75 ; voir aussi Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 162, pour l’obligation des autorités de déployer des efforts raisonnables pour rassembler des preuves dès qu’elles sont informées d’un accident de la route).

89. La Cour observe que cela a eu des conséquences importantes sur l’effectivité de l’enquête étant donné qu’un premier expert forestier a estimé qu’il n’était plus possible de réaliser une expertise technique en l’espèce (paragraphes 25 et 29 ci-dessus) et qu’un deuxième expert n’a pas été en mesure de tirer des conclusions formelles quant au déracinement de l’arbre (paragraphes 38 et 42 ci-dessus). Cette carence dans le recueil et la conservation des preuves essentielles a du reste empêché le parquet d’établir les causes du déracinement de l’arbre et l’existence d’une éventuelle négligence des autorités dans l’exercice de leurs activités (paragraphe 50 ci‑dessus).

90. Par ailleurs, la Cour remarque que, jusqu’au renvoi du dossier d’enquête au procureur, en juillet 2009, avec la proposition de non-lieu formulée par la police routière – soit pendant deux ans –, très peu de mesures ont été prises par cette dernière. Il ressort ainsi de la proposition susmentionnée que, pendant ce laps de temps, aucun responsable n’a été identifié, si ce n’est le conducteur de la voiture accidentée (paragraphe 24 ci-dessus).

91. Force est de constater également que de nombreuses lacunes de l’enquête ont été constatées par les autorités judiciaires nationales elles‑mêmes, plus particulièrement à raison des défaillances dans l’instruction des preuves importantes ou dans l’identification des agents responsables (paragraphes 33 et 52 ci‑dessus ; voir aussi Larie et autres c. Roumanie, no 54153/08, § 99, 25 mars 2014). La Cour est d’avis que les motifs qui ont justifié les annulations successives des non-lieux rendus au cours de l’enquête sont imputables aux autorités nationales (voir, mutatis mutandis, Cârstea et Grecu c. Roumanie, no 56326/00, § 42, 15 juin 2006, et Dâmbean c. Roumanie, no 42009/04, § 45, 23 juillet 2013) et qu’ils ont provoqué en outre l’allongement de la durée de la procédure. Aux yeux de la Cour, le prononcé d’une deuxième décision de justice estimant que les lacunes de l’enquête déjà constatées auparavant par un tribunal n’avaient pas été comblées jette de forts doutes sur le sérieux de la démarche des enquêteurs (paragraphe 52 ci-dessus).

92. La Cour note également que, au cours de l’enquête pénale, les autorités judiciaires n’ont pas cherché à établir avec précision le rôle joué par les différentes autorités publiques et par les employés relevant de chacune de ces autorités dans la sécurité routière, laissant ainsi persister des zones d’ombre. Par la suite, les autorités judiciaires ont établi que le complément d’enquête n’avait pas permis d’identifier d’éléments factuels nouveaux et qu’il ne ressortait pas du dossier que les normes de sécurité routière avaient été méconnues en l’espèce. Dès lors, elles ont conclu à un déracinement fortuit, qui n’aurait pas pu être prévu (paragraphes 59 et 60 ci‑dessus).

93. Enfin, la Cour constate que l’enquête n’a été finalisée que huit ans et demi après le tragique accident survenu en l’espèce, et ce alors que l’affaire ne présentait pas une complexité particulière. Elle estime que la durée en cause est déraisonnable (voir, pour une durée totale de sept ans et deux mois dans le contexte d’un accident de la route, Dâmbean, précité, § 49) et que cette durée est imputable aux autorités qui n’ont pas pris les mesures nécessaires ni au début de l’enquête (paragraphe 88 ci-dessus) ni au cours de celle-ci (paragraphe 91 ci-dessus). Elle observe de surcroît que les requérants ont attiré l’attention des autorités, à plusieurs reprises, mais en vain, sur la durée de cette procédure (paragraphes 21, 40 et 58 ci-dessus).

94. Quant à la possibilité pour les requérants d’exercer des voies de droit civiles pour voir la responsabilité de la DRDP ou de la Romsilva ou de leurs employés dans l’accident du 6 août 2007 être examinée et obtenir leur condamnation au versement de dommages et intérêts, la Cour estime que, eu égard au principe selon lequel le pénal tient le civil en l’état et à l’autorité de la chose jugée dont jouit le jugement pénal devant le tribunal civil, une action en responsabilité civile délictuelle à l’encontre des organismes et personnes susmentionnés n’avait pas en l’occurrence de réelles chances d’être examinée avant l’issue définitive de l’action pénale (Gina Ionescu c. Roumanie, no 15318/09, § 44, 11 décembre 2012). Par ailleurs, compte tenu du délai de huit ans et six mois qui s’est écoulé entre l’ouverture de l’enquête et sa clôture définitive et compte tenu du fait que des preuves essentielles pour l’établissement des responsabilités n’ont pas été recueillies et conservées par les autorités (paragraphe 88 ci-dessus), la Cour considère que, dans les circonstances très particulières de l’affaire, il serait excessif de demander aux requérants d’intenter un nouveau recours pour obtenir l’établissement de l’éventuelle responsabilité des organismes publics en cause et de leurs employés dans l’accident (voir, en ce sens, Elena Cojocaru c. Roumanie, no 74114/12, § 122, 22 mars 2016, et Mircea Pop c. Roumanie, no 43885/13, §§ 59-60, 19 juillet 2016).

95. À la lumière de ce qui précède, on ne saurait estimer que le système judiciaire roumain, tel que mis en œuvre en l’espèce, a permis d’établir le rôle et la pleine responsabilité des agents ou des autorités de l’État dans l’accident en question (Ciechońska, précité, § 78).

96. Partant, il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural.

(b) Quant aux mesures positives visant à la protection de la vie au sens de l’article 2 de la Convention : le volet substantiel de cette disposition

(i) Principes généraux

97. La Cour rappelle que la première phrase de l’article 2, qui se place parmi les dispositions primordiales de la Convention et qui consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe, astreint l’État non seulement à s’abstenir d’infliger la mort « intentionnellement » mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 48, CEDH 2002‑I, et Fernandes de Oliveira c. Portugal [GC], no 78103/14, § 104, 31 janvier 2019).

98. Cette obligation positive matérielle implique pour l’État un devoir primordial d’assurer le droit à la vie en mettant en place un cadre législatif et administratif dissuadant de mettre en péril ledit droit. Elle vaut dans le contexte de toute activité, publique ou non, susceptible de mettre en jeu le droit à la vie (Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, § 71, CEDH 2004‑XII, et Ciechońska, précité, § 63). Elle implique aussi la mise en place par l’État d’un cadre réglementaire imposant aux institutions, qu’elles soient privées ou publiques, l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie des personnes (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 135, et la jurisprudence qui y est citée).

99. La Cour a déjà jugé que les obligations positives susmentionnées imposent aux États d’adopter des règles visant à protéger la sécurité des personnes dans les espaces publics et à assurer le fonctionnement efficace de ce cadre règlementaire (Ciechońska, précité, § 69).

100. Certes, pour la Cour, on ne saurait exclure que les actes et omissions des autorités dans le cadre des politiques de sécurité dans l’espace public puissent, dans certaines circonstances, engager leur responsabilité sous l’angle du volet matériel de l’article 2 de la Convention. Toutefois, dès lors qu’un État contractant a adopté, afin de protéger les personnes qui s’y trouvent, un cadre légal général et une législation adaptée aux différents contextes qu’offre l’espace public, la Cour ne peut admettre que des questions telles qu’une erreur de jugement de la part d’un intervenant ou une mauvaise coordination entre différents professionnels, qu’ils soient publics ou privés, suffisent en elles-mêmes à obliger cet État à rendre des comptes en vertu de l’obligation positive de protéger le droit à la vie qui lui incombait aux termes de l’article 2 de la Convention.

101. En outre, il faut interpréter ces obligations positives de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau excessif, en tenant compte, en particulier, de l’imprévisibilité du comportement humain et des choix opérationnels qui doivent être faits en matière de priorités et de ressources (Ciechońska, précité, § 64).

102. Pour ce qui est du choix de mesures concrètes particulières, la Cour a dit à maintes reprises que, dans les cas où l’État est tenu de prendre des mesures positives, le choix de celles-ci relève en principe de la marge d’appréciation de ce dernier (Öneryıldız, précité, § 107). Elle rappelle que, eu égard à la diversité des moyens propres à garantir les droits protégés par la Convention, le défaut pour l’État concerné d’implémenter une mesure déterminée prévue par le droit interne n’empêche pas celui-ci de remplir son obligation positive d’une autre manière (Ciechońska, précité, § 65).

103. Aux fins de l’examen auquel la Cour se livre dans une affaire donnée, la question de savoir si l’État a failli à son obligation de réglementer appelle de sa part une appréciation concrète, et non abstraite, des défaillances alléguées (Ciechońska, précité, § 70).

(ii) Application de ces principes au cas d’espèce

104. La Cour observe à titre liminaire que les requérants ne dénoncent pas devant elle l’absence d’un cadre réglementaire en matière de sécurité sur la voie publique ou une défaillance systémique dans la protection des personnes se trouvant sur la voie publique en raison du défaut d’entretien des arbres : ils se bornent à reprocher aux autorités nationales compétentes de ne pas avoir pris les mesures adéquates afin de prévenir l’accident (paragraphe 78 ci-dessus).

105. Or, si les requérants critiquent le caractère adéquat des mesures prises par les autorités publiques compétentes pour assurer la sécurité sur la voie publique, la Cour rappelle néanmoins qu’il ne lui appartient pas de remettre en question les mesures prises par les autorités internes, le choix de celles-ci relevant en principe de la marge d’appréciation des États (Öneryıldız, précité, § 107, et Fatih Çakır et Merve Nisa Çakır c. Turquie, no 54558/11, §§ 45 et 47, 5 juin 2018). La Cour estime en effet qu’il appartenait en l’espèce aux autorités nationales de déterminer les mesures appropriées à prendre et les inspections des arbres bordant la route nécessaires, afin d’assurer la sécurité des personnes sur la voie publique.

106. La Cour note qu’il ressort des pièces du dossier que, à l’époque de l’accident, il existait au niveau national une législation concernant la sécurité des routes nationales et, en particulier, l’entretien et la surveillance des arbres les bordant. L’État roumain a adopté plusieurs normes, y compris de droit forestier, en vue de la prévention des accidents causés par les plantations routières. Ces normes portent sur l’inventaire, la surveillance ou la coupe de ces plantations, ainsi que sur les différents types d’inspections, leur fréquence ou les personnes chargées de les effectuer (paragraphes 61 à 67 ci-dessus).

107. Lorsque, comme en l’espèce, la nécessité des mesures de sécurité pour prévenir les risques potentiels pour la vie a été établie par les autorités nationales, toute omission dans le maintien de l’efficacité de ces mesures devrait faire l’objet d’une surveillance étroite par les tribunaux nationaux, en particulier lorsqu’il est allégué que de telles omissions ont entraîné des blessures graves ou la mort. Dans cette hypothèse, la Cour doit rechercher si les mécanismes existants permettaient de faire la lumière sur les circonstances et les causes de l’accident (voir, en ce sens, Fatih Çakır et Merve Nisa Çakır, précité, §§ 42 et 48). Cette question relève néanmoins de l’obligation procédurale de l’État exposée aux paragraphes 87 à 96 ci‑dessus (voir, mutatis mutandis, Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, § 199, 19 décembre 2017).

108. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’aucun manquement de la part de l’État à remplir l’obligation qui lui incombait de protéger le droit à la vie des requérants n’a été décelé en l’espèce.

109. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

110. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants dénoncent la durée de l’enquête pénale, qu’ils qualifient de déraisonnable. L’article 6 § 1 de la Convention est ainsi libellé en sa partie pertinente en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) soit des contestations sur des droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »

111. La Cour remarque que, tel qu’il est formulé par les requérants, ce grief vise à dénoncer la durée de l’enquête pénale tendant à condamner pénalement les responsables des blessures des requérants et du décès de leurs proches. Or, la Convention ne garantit pas en tant que tel un droit à faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers (Perez c. France [GC], no 47287/99, § 70, CEDH 2004‑I, et Gorou c. Grèce (no 2) [GC], no 12686/03, § 24, 20 mars 2009). Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

112. À supposer même que les requérants entendent dénoncer la durée de l’action civile associée à l’enquête pénale (paragraphes 13 et 47 ci‑dessus), la Cour rappelle que, dans l’affaire Brudan c. Roumanie (no 75717/14, §§ 88 et 89, 10 avril 2018), elle a constaté qu’à partir du 22 mars 2015 l’action en responsabilité civile délictuelle constituait un recours effectif pour dénoncer au niveau interne la durée d’une procédure. En l’espèce, la procédure interne a pris fin le 16 février 2016 (paragraphe 60 ci-dessus), date à laquelle l’action en responsabilité civile délictuelle constituait un recours effectif que les requérants auraient dû épuiser. Il s’ensuit le grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

113. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

114. La requérante réclame 1 000 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral subi en raison du décès de ses proches survenu lors de l’accident du 6 août 2007, qui, selon elle, l’a en outre privée du soutien financier apporté par ses parents. De plus, les deux requérants réclament chacun 500 000 EUR au titre du préjudice moral qu’ils disent avoir subi en raison de leurs blessures et de la situation, angoissante à leurs yeux, vécue par eux depuis le début de l’enquête pénale.

115. Le Gouvernement est d’avis qu’en l’espèce le préjudice moral serait suffisamment compensé par un constat de violation et qu’en tout état de cause, eu égard à la jurisprudence de la Cour en la matière, les montants demandés sont excessifs.

116. La Cour rappelle que le seul constat de violation porte en l’espèce sur le volet procédural de l’article 2 de la Convention. Statuant en équité et tenant compte de ce que la requérante a été elle-même victime d’une violation de l’article 2 de la Convention et qu’elle a agi dans la présente procédure au nom de ses parents et de son frère décédés, la Cour considère qu’il y a lieu de lui d’octroyer 20 000 EUR au titre du préjudice moral. En outre, toujours statuant en équité, la Cour considère qu’il convient d’octroyer au requérant 5 000 EUR, au titre du préjudice moral.

2. Frais et dépens

117. Les requérants demandent également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Ils envoient des justificatifs – pour un montant de 7 647,41 lei roumains (RON), soit 1 734 EUR – représentant des honoraires d’avocat et d’expert, des frais de justice, des frais postaux et de déplacement, ainsi que des frais de photocopies.

118. Le Gouvernement estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les violations alléguées et les frais demandés pour la procédure devant les juridictions internes, seuls les frais de correspondance avec la Cour pouvant selon lui être remboursés. Il indique en outre que les requérants n’ont envoyé ni leur contrat d’assistance judiciaire, établissant les honoraires de leur avocate, ni un récapitulatif des heures réellement effectuées par celle‑ci. Dans ces conditions, le Gouvernement considère qu’il est impossible d’établir un lien de causalité entre ces dépens et les prétendues violations de la Convention. Enfin, il soutient que les frais de déplacement n’étaient pas tous nécessaires : à ses dires, la présence des requérants à tous les stades de l’enquête n’était pas requise et les reçus produits devant la Cour n’attestent pas que lesdits déplacements ont été effectués dans l’intérêt de l’enquête.

119. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 734 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure nationale et pour la procédure devant elle, et elle l’accorde conjointement aux requérants.

3. Intérêts moratoires

120. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable pour ce qui est du grief tiré de l’article 2 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention en ce que les autorités de l’État défendeur n’ont pas mené d’enquête effective sur les circonstances de l’accident du 6 août 2007 ;
3. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel ;
4. Dit, par six voix contre une, que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

a) 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à la requérante,

b) 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, au requérant ;

5. Dit, à l’unanimité, que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 734 EUR (mille sept cent trente-quatre euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;
6. Dit, à l’unanimité, qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette, par six voix contre une, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 mars 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Andrea TamiettiJon Fridrik Kjølbro
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque.

J.F.K.
A.N.T.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

Introduction

Dans la présente affaire, la majorité conclut à la non-violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel. Pour ce faire, elle invoque la marge d’appréciation des États dans le choix des mesures prises par les autorités publiques compétentes pour assurer la sécurité sur la voie publique et l’existence d’une législation concernant l’entretien et la surveillance des arbres bordant les routes nationales. La question de la mise en place d’un cadre législatif est cependant restée hors de tout propos.

Je me suis déjà prononcé à plusieurs reprises contre cette tendance qu’a la Cour à banaliser les violations du droit à la vie, surtout quand elles sont issues d’une erreur de jugement ou d’une mauvaise coordination entre différents professionnels, qu’ils soient publics ou privés. Le souci manifesté par la Cour de ne pas imposer aux autorités un fardeau excessif en tenant compte, en particulier, des choix opérationnels qui doivent être faits en matière de priorités et de ressources risque de vider de sa substance le droit à la vie, protégé par la Convention, comme c’est le cas dans la présente affaire.

Les faits

Les requérants ont été victimes d’un grave accident causé par le déracinement et la chute d’un arbre qui bordait la voie publique : les parents de la requérante sont décédés et les requérants ont subi des lésions qui ont nécessité de nombreux jours de soins médicaux.

Il a été établi au cours de l’enquête que les autorités mises en cause par les requérants étaient responsables de l’entretien des zones bordant les routes nationales. Les pièces recueillies au cours de l’enquête pénale révélaient l’existence d’un fossé et d’infiltrations d’eau tout le long de la route et faisaient ressortir que la DRDP n’avait sollicité explicitement le marquage des arbres auprès d’aucun des centres de la Romsilva (paragraphe 60 ci-dessus). Cependant, malgré ces éléments et bien qu’elles aient noté l’existence « d’inactivités » de la part des autorités en cause (paragraphe 60 ci-dessus), les juridictions internes ont jugé que, en l’absence d’une expertise du tronc de l’arbre qui aurait permis de déterminer la cause du déracinement, le rôle de chacune des autorités dans l’accident, et donc l’existence d’une éventuelle négligence, ne pouvaient pas être établis (paragraphes 30 et 50 ci-dessus).

Or, à mon avis, dans les circonstances particulières de l’espèce, la mise en œuvre des normes de sécurité appelle un examen plus rigoureux.

À cet égard, j’observe en premier lieu que, d’après la DRDP, bien que la gestion des plantations routières relevât de sa compétence, il incombait au personnel de la Romsilva de mener les opérations d’identification, de vérification et de marquage en vue de l’abattage des arbres. Toujours selon la DRDP, il appartenait aux directions forestières territoriales de contrôler la gestion de la végétation forestière et de dresser des procès‑verbaux exposant leurs constats et les mesures à prendre (paragraphes 36 et 49 ci‑dessus). En revanche, pour leur part, les autorités forestières estimaient être uniquement tenues de procéder au marquage des arbres en vue de leur coupe, à la demande des autorités routières (paragraphes 17 et 35 ci-dessus), et niaient toute obligation de contrôle du mode de gestion des plantations forestières bordant les routes (paragraphe 55 in fine ci-dessus).

En deuxième lieu, je note qu’il ressort des pièces du dossier que les employés des autorités routières, bien qu’ils eussent connaissance de l’existence des normes établissant l’âge au-delà duquel un arbre devait être abattu, avaient indiqué ne pas disposer d’informations quant à la date de plantation des arbres (paragraphe 49 ci-dessus). Ensuite, selon les déclarations faites par ces employés au cours de l’enquête, il n’y avait aucune norme établissant l’âge au-delà duquel un arbre devait être abattu ni aucun registre tenu à cet effet (paragraphe 55 ci‑dessus) et, en tout état de cause, la vérification de l’âge d’un arbre n’entrait pas dans leurs attributions (paragraphes 37 et 55 ci‑dessus).

À mon avis, ces affirmations révèlent non seulement que la mise en œuvre du cadre réglementaire existant était manifestement défaillante, mais aussi que ce cadre n’était pas suffisamment clair pour permettre une protection effective du droit à la vie des intéressés. À cet égard, le silence des autorités d’enquête sur la question de la répartition de la responsabilité des différentes autorités mises en cause dans la présente affaire est éloquent.

L’obligation positive pour l’État d’entretenir les arbres sur la voie publique

La présente affaire donnait l’occasion de préciser si le maintien de la sécurité des personnes sur la voie publique, plus particulièrement par l’entretien des arbres bordant la voie publique, était assimilable à une activité à caractère dangereux similaire à celles revêtant un caractère industriel ou environnemental.

La circulation sur la voie publique présente un degré de dangerosité qui la rapproche des activités dangereuses à caractère industriel ou environnemental compte tenu du risque élevé qui pèse sur les personnes se trouvant sur la voie publique. Ainsi, l’État, par les différentes autorités qui le composent, a l’obligation positive d’intervenir dans l’entretien des voies publiques, et plus particulièrement dans l’entretien des arbres les bordant, afin d’assurer la protection des personnes se trouvant sur la voie publique.

Dès lors, sous l’angle de l’article 2 de la Convention, les autorités nationales ont l’obligation matérielle positive de veiller à ce que soit mis en place un ensemble approprié de mesures préventives d’abatage des arbres en danger, afin de réduire autant que possible le risque pour la vie des personnes se trouvant sur la voie publique (voir, en ce sens, Nicolae Virgiliu Tanase c. Roumanie (GC), no 41720/13, § 123, 25 juin 2019, et Ciechonska c. Pologne, no 19776/04, § 69, 14 juin 2011).

La violation de l’obligation positive dans la présente affaire

À la lumière des obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention, j’estime qu’un contrôle rigoureux des arbres bordant les routes s’avérait nécessaire afin d’assurer la sécurité routière.

En l’espèce, il peut être constaté d’emblée que, si le droit interne prévoyait des normes qui faisaient obligation de dresser un inventaire des arbres plantés au bord des routes et des périodes précises pour la durée de l’exploitation des différents types d’arbres, ces normes manquaient en revanche de précision quant aux objectifs des inspections à effectuer. Il apparaît que, à l’exception de la référence au contrôle visuel de l’état général de ces plantations par les employés des autorités routières (articles 6 § 1, 9 § 2 h) et 22 § 1 f) des normes no 504/2007), les normes ne comportaient aucune instruction quant aux modalités de détection des vices cachés des arbres.

S’agissant ensuite de la mise en œuvre de ces normes de sécurité routière, il apparaît, au vu des pièces du dossier, que, malgré leur caractère juridiquement obligatoire, elles n’étaient pas connues et appliquées de manière rigoureuse par les autorités (voir, a contrario, Bône c. France (déc.), no 69869/01, 1er mars 2005).

En effet, il ressort de ces mêmes pièces que, dans la réalisation de leurs tâches, les employés susmentionnés se contentaient d’un contrôle visuel de l’état général des arbres et ne vérifiaient pas l’existence de vices cachés ni l’incidence de ceux-ci sur la sécurité routière. Non seulement ces employés considéraient qu’il ne leur incombait pas de vérifier cet élément, mais ils soutenaient que, de toute manière, ils ne disposaient ni des moyens techniques ni de la formation spécialisée qui leur auraient permis de détecter les vices cachés des arbres (paragraphe 20 ci-dessus).

Tous ces éléments revêtent d’autant plus d’importance dans la présente affaire que, d’après l’expertise forestière réalisée en l’espèce, l’arbre tombé présentait un foyer de pourriture et dépassait l’âge recommandé pour la conservation de ce type d’arbres (paragraphe 44 ci‑dessus). À tout cela s’ajoutent les conclusions de l’expertise forestière extrajudiciaire du 25 février 2010 réalisée par un expert indépendant à la demande des requérants. Ces conclusions mettaient en évidence des irrégularités dans l’activité d’entretien des arbres qui constituaient un danger pour la sécurité publique dans la zone de l’accident, soulignant que la DRDP avait obtenu une autorisation pour l’abatage de ces arbres en février 2007 (paragraphe 17 ci-dessus) mais qu’elle n’avait pas demandé leur marquage.

Enfin, les réponses des employés de la DRDP et de la Romsilva recueillies au cours de l’enquête laissent supposer qu’ils n’étaient pas au fait des tâches qui leur incombaient et encore moins des fonctions que chacune des deux autorités appelées par la loi à intervenir était censée accomplir afin d’assurer l’application des normes de sécurité routière. Il s’agit ici d’une défaillance importante dans la coordination de l’activité de ces deux autorités. En l’occurrence, cette défaillance a fait échec à l’application des normes de sécurité routière, de sorte que la vie des requérants et de leurs proches a été mise en danger (Nicolae Virgiliu Tanase, précité, § 135). Par ailleurs, en l’espèce, le comportement des victimes n’a pas joué le moindre rôle dans l’accident (voir, en comparaison, Cavit Tınarlıoğlu c. Turquie, no 3648/04, § 108, 2 février 2016, et les affaires qui y sont citées).

Conclusion

À la lumière de ce qui précède, il est évident que l’État n’a pas veillé à la mise en place d’un cadre législatif apte à assurer la protection de la vie des requérants et de leurs proches.

Partant, il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel.


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