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12/02/2019 | CEDH | N°001-189745

CEDH | CEDH, AFFAIRE CRISTEA c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA, 2019, 001-189745


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE CRISTEA c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 35098/12)

ARRÊT

STRASBOURG

12 février 2019

DÉFINITIF

12/05/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Cristea c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Işıl Karakaş,
Julia Laffranque,
Valeriu Griţco,


Jon Fridrik Kjølbro,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du consei...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE CRISTEA c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 35098/12)

ARRÊT

STRASBOURG

12 février 2019

DÉFINITIF

12/05/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Cristea c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Işıl Karakaş,
Julia Laffranque,
Valeriu Griţco,
Jon Fridrik Kjølbro,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 janvier 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35098/12) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Valentin Cristea (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 mai 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me A. Pavalatii, avocat à Chișinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté d’abord par son agent, M. M. Gurin, ensuite par son agente ad interim, Mme R. Revencu.

3. Le requérant se plaint de la non-exécution d’une décision de justice définitive et d’une inefficacité du recours interne en la matière.

4. Le 1er septembre 2015, les griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1969 et réside à Chișinău.

6. Au moment des faits, il était employé du ministère des Affaires intérieures.

A. Décision définitive favorable au requérant

7. Le 20 septembre 2007, le requérant engagea une action contre les autorités locales de Chișinău aux fins de les obliger à lui fournir un logement. Il invoquait les dispositions de la loi sur la police.

8. Par un arrêt du 6 décembre 2007, la cour d’appel de Chișinău accueillit l’action.

9. Le 20 février 2008, la Cour suprême de justice confirma, sur recours de la partie défenderesse, l’arrêt de l’instance inférieure. Elle ordonna notamment au conseil municipal Chișinău de fournir au requérant et à la famille de celui-ci un logement en location (« spațiu locativ »).

B. Première action en réparation contre l’État

10. Le 2 novembre 2011, le requérant déclencha une action en dédommagement contre l’État, sur le fondement des dispositions de la loi no 87 (paragraphe 21 ci-dessous). Arguant de la non-exécution de la décision définitive de la Cour suprême de justice du 20 février 2008, il demandait des sommes au titre des préjudices matériel et moral.

11. Par un jugement du 26 janvier 2012, le tribunal de Râșcani, après avoir constaté que la décision du 20 février 2008 n’était toujours pas exécutée, accueillit partiellement l’action.

12. À des dates non spécifiées, le ministère des Finances et le requérant formèrent des pourvois en cassation.

13. Par une décision définitive du 11 avril 2012, la cour d’appel de Chișinău infirma le jugement attaqué. Elle mit en exergue le fait que, depuis le 31 mars 2011, le requérant n’était plus employé du ministère des Affaires intérieures et conclut que l’État n’était plus dans l’obligation, au titre des dispositions de la loi sur la police, de lui fournir un logement. En conséquence, elle jugea que le requérant ne pouvait pas prétendre à la réparation des préjudices matériel et moral qu’il disait avoir subis, et rejeta son action comme mal fondée.

C. Seconde action en réparation contre l’État

14. Le 6 mai 2014, le requérant engagea sur le fondement des dispositions de la loi no 87 une seconde action en réparation contre l’État. Il demandait le remboursement des frais de location de l’appartement qu’il disait occuper avec sa famille depuis le 1er juin 2011, ainsi que 25 000 MDL (1 333 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à la date en question) pour le préjudice moral.

15. Par un jugement du 13 octobre 2014, le tribunal de Buiucani accueillit partiellement l’action. Il alloua des sommes au requérant au titre des préjudices matériel et moral. Sur appel du requérant et du ministère de la Justice, ce jugement fut partiellement confirmé par la cour d’appel de Chișinău le 4 mars 2015.

16. À des dates différentes, le requérant et le ministère de la Justice formèrent des pourvois en cassation.

17. Par une décision du 22 juillet 2015, la Cour suprême de justice accueillit le pourvoi du requérant et rejeta comme mal fondé celui du ministère. Elle releva que la décision définitive du 20 février 2008 n’était pas exécutée et que la période de non-exécution à prendre en considération s’étalait jusqu’au 4 mars 2015, date du prononcé de l’arrêt de l’instance d’appel. Elle nota également que le droit du requérant à un logement fourni par l’État avait été sanctionné par la décision du 20 février 2008, que cette décision ne mentionnait aucunement qu’il s’agissait d’un logement de fonction et que, par conséquent, le fait que l’intéressé ait cessé ses fonctions de policier n’était pas pertinent pour le cas d’espèce. Concluant donc à la violation du droit du requérant à l’exécution d’une décision de justice dans un délai raisonnable, elle lui alloua 6 000 MDL (290 EUR selon le taux de change en vigueur à la date de l’adoption de la décision) au titre de dommage moral. Quant au préjudice matériel, elle considéra que le contrat de location signé par le requérant avait une validité de deux ans et octroya à celui-ci 72 000 MDL (3 490 EUR selon le même taux que précédemment) pour les loyers engagés du 1er juin 2011 au 31 mai 2013.

18. Selon le requérant, les autorités payèrent en mars 2016 les indemnités pour la non-exécution, accordées par la Cour suprême de justice dans sa décision du 22 juillet 2015.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

19. Le code des logements de la République soviétique socialiste moldave du 3 juin 1983, en vigueur jusqu’au 29 novembre 2015, prévoyait que les citoyens moldaves avaient le droit d’occuper, sur la base d’un contrat de location, un logement appartenant à l’État. Les logements étaient attribués pour un usage permanent (article 10). Le code prévoyait également que certaines catégories de personnes pouvaient obtenir un logement en priorité.

Le 29 novembre 2015, une nouvelle loi sur les logements entra en vigueur. Elle reconnaît aux personnes avec des revenus modestes le droit à un logement social fourni par l’État.

20. Les passages pertinents en l’espèce de l’article 35 de la loi sur la police du 18 décembre 1990, en vigueur à l’époque des faits, se lisaient comme suit :

Article 35. L’attribution d’un logement aux agents de police

« [1.] Les autorités locales fournissent aux agents de police, au plus tard trois ans après leur embauche, et pour ce qui est des officiers, au plus tard un an après leur prise de fonctions, un logement en location (...) conforme aux normes établies par la législation.

(...) »

Le 18 décembre 2009, cette disposition a été abrogée.

21. Le 1er juillet 2011, la loi no 87 est entrée en vigueur. Elle permet à toute personne physique ou morale qui se considère lésée dans son droit à l’exécution d’une décision de justice définitive dans un délai raisonnable ou à l’examen d’une affaire dans un délai raisonnable, de saisir un tribunal aux fins de constater une telle violation et d’obtenir réparation. Selon l’article 1, cette loi doit être appliquée et interprétée conformément au droit interne, à la Convention et à la jurisprudence de la Cour. L’article 5 de la loi énonce que, lorsqu’un tribunal constate la violation du droit à l’exécution d’une décision de justice définitive dans un délai raisonnable ou du droit à l’examen d’une affaire dans un délai raisonnable, il doit se prononcer sur l’octroi des dédommagements au titre des préjudices matériel et moral ainsi que sur le remboursement des frais et dépens.

D’autres détails relativement aux dispositions de la loi no 87 sont résumés dans l’affaire Balan c. la République de Moldova ((déc.), no 44746/08, § 9, 24 janvier 2012).

EN DROIT

22. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention ainsi que l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, le requérant se plaint de la non-exécution de la décision définitive du 20 février 2008. Il se plaint en outre de l’absence d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention pour faire valoir ses droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Ces dispositions dans leurs passages pertinents en l’espèce sont ainsi libellées :

Article 6

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

(...) »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

I. SUR LA RECEVABILITÉ

23. Le Gouvernement argue que le requérant a perdu sa qualité de victime. Il indique à cet égard que les tribunaux nationaux ont reconnu l’existence d’une violation dans le chef de l’intéressé et qu’ils lui ont octroyé un dédommagement qu’il estime suffisant.

24. Le requérant rétorque que les juridictions internes n’ont pas explicitement reconnu la violation de l’article 6 de la Convention à son égard et que le montant du dédommagement moral accordé par celles-ci est largement inférieur à celui que la Cour avait alloué dans des affaires similaires. Il avance également qu’une partie de ses prétentions au titre du préjudice matériel a été rejetée par les tribunaux nationaux et que la décision définitive de la Cour suprême de justice du 20 février 2008 n’est toujours pas exécutée. Par conséquent, il estime ne pas avoir perdu sa qualité de victime des violations alléguées.

25. La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit pas en principe à le priver de sa qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention sauf si les autorités nationales reconnaissent, explicitement ou en substance, puis réparent la violation de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 259, CEDH 2012 (extraits)). Elle réaffirme que la question de savoir si le requérant a obtenu pour le dommage qui lui a été causé une réparation – comparable à la satisfaction équitable prévue à l’article 41 de la Convention – revêt de l’importance (Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, §§ 70-72, CEDH 2006‑V).

A. Constat de violation

26. Dans la présente affaire, la Cour observe que les juridictions nationales ont reconnu la violation du droit du requérant à l’exécution d’une décision définitive dans un délai raisonnable. Elle estime que ce constat équivaut à une reconnaissance explicite des violations alléguées par le requérant.

B. Caractéristiques du redressement

1. Principes généraux

27. La Cour rappelle que, dans ce genre d’affaires, la possibilité pour un requérant de se prétendre victime dépendra du redressement que le recours interne lui aura fourni (voir, par exemple, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 182, CEDH 2006‑V).

28. La Cour a déjà eu l’occasion de préciser dans l’arrêt Bourdov c. Russie (no 2) (no 33509/04, § 99, CEDH 2009) les critères essentiels permettant de vérifier l’effectivité d’un recours indemnitaire en matière d’inexécution des décisions de justice. Les passages de cet arrêt, pertinents en l’espèce, se lisent comme suit :

« 99. Les États peuvent également choisir de ne créer qu’un recours indemnitaire, sans que celui-ci puisse être considéré comme manquant d’effectivité. (...). [La Cour] est néanmoins appelée à vérifier si la manière dont le droit interne est interprété et appliqué entraîne des conséquences conformes aux principes de la Convention tels qu’interprétés dans sa jurisprudence (Scordino, précité, §§ 187-191). Elle a fixé certains critères essentiels permettant de vérifier l’effectivité des recours indemnitaires en matière de durée excessive de procédures judiciaires. Ces critères, valables également dans les affaires d’inexécution (Wasserman, précité, §§ 49 et 51), sont les suivants :

– l’action en indemnisation doit être tranchée dans un délai raisonnable (Scordino, précité, § 194) ;

– l’indemnité doit être promptement versée, en principe au plus tard six mois après la date à laquelle la décision octroyant la somme est devenue exécutoire (ibidem, § 198) ;

– les règles procédurales régissant l’action en indemnisation doivent être conformes aux principes d’équité tels que garantis par l’article 6 de la Convention (ibidem, § 200) ;

– les règles en matière de frais de justice ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur les plaideurs dont l’action est fondée (ibidem, § 201) ;

– le montant des indemnités ne doit pas être insuffisant par rapport aux sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires (ibidem, §§ 202-206 et 213). »

29. À propos des indemnités accordées, la Cour redit que le juge national est manifestement mieux placé pour statuer sur l’existence et l’ampleur du dommage matériel allégué (Scordino, précité, § 194, et Bourdov, précité, § 100). Cependant, elle a, dans le contexte d’un recours indemnitaire contre l’État, déjà jugé que, lorsque les tribunaux nationaux rejettent sans fondement raisonnable les prétentions au titre de préjudice matériel, cela peut être incompatible avec sa jurisprudence en matière d’inexécution des décisions de justice (Botezatu c. République de Moldova, no 17899/08, § 28, 14 avril 2015). Quant au dommage moral, elle rappelle qu’il existe une présomption solide, quoique réfragable, selon laquelle la durée excessive dans l’exécution d’un jugement cause un préjudice moral (Bourdov, précité, § 100).

30. Lorsqu’un État a fait un pas significatif en introduisant un recours indemnitaire, la Cour se doit de lui laisser une plus grande marge d’appréciation pour qu’il puisse organiser ce recours interne de façon cohérente avec son propre système juridique et ses traditions, en conformité avec le niveau de vie du pays. Le juge national pourra notamment se référer plus facilement aux montants accordés au niveau national pour d’autres types de dommages – les dommages corporels, ceux concernant le décès d’un proche ou ceux en matière de diffamation, par exemple – et se fonder sur son intime conviction, même si cela aboutit à l’octroi de sommes inférieures à celles fixées par la Cour dans des affaires similaires (Musci c. Italie [GC], no 64699/01, § 81, CEDH 2006‑V (extraits)).

31. La Cour rappelle enfin qu’elle a déjà estimé que le recours indemnitaire introduit par la loi no 87 n’apparaissait pas comme ineffectif (Balan c. Moldova, décision précitée, § 19). En même temps, elle a jugé qu’il n’était pas opportun de se prononcer in abstracto sur la question de savoir si ce recours était encore effectif dans l’hypothèse où l’État n’exécutait pas de manière prolongée une décision de justice en dépit de sa condamnation, voire de ses condamnations répétées à verser une réparation en application de la loi no 87 (ibidem, §§ 20-21). En outre, elle a récemment dit au sujet d’un recours similaire disponible en droit russe qu’elle pourrait revoir sa position quant à l’effectivité du recours en cause en cas d’omission continue des autorités d’exécuter les décisions internes initiales pendant des périodes considérables, même après le paiement d’une indemnité en raison de la non-exécution (Shtolts et autres c. Russie (déc.), nos 77056/14 et autres, § 114, 30 janvier 2018).

2. Application au cas d’espèce

32. La Cour observe d’emblée que le requérant ne formule de griefs ni quant au déroulement de la procédure engagée sur le fondement de la loi no 87, ni quant aux règles applicables à cette procédure, ni quant au délai de paiement des indemnités allouées par les tribunaux nationaux. Elle n’examinera donc pas ces critères pour apprécier l’effectivité du recours exercé par le requérant.

33. En revanche, la Cour remarque que l’intéressé conteste les montants alloués. Pour ce qui est du dommage matériel, elle note que la Cour suprême de justice a estimé, après avoir examiné les éléments qui lui avaient été soumis, que le contrat de location signé par le requérant avait une validité de deux ans. Elle relève que la Cour suprême de justice a par conséquent alloué à l’intéressé une indemnité correspondant à cette durée (paragraphe 17 ci‑dessus). La Cour juge que les éléments dont elle dispose ne lui permettent pas de s’écarter de ces constats, lesquels n’apparaissent donc pas comme manifestement déraisonnables.

34. Quant au dommage moral, elle observe que le montant alloué au requérant à ce titre ne représente que 8% de ce qu’elle avait accordé dans des affaires moldaves similaires (voir, par exemple, Modranga et autres c. République de Moldova (déc.) [comité], nos 33328/06 et 10 autres, §§ 11 et 18, 4 juin 2013). Cet élément à lui seul aboutit à un résultat manifestement déraisonnable par rapport à sa jurisprudence (comparer avec Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 2) [GC], no 65102/01, § 104, 29 mars 2006). La Cour se propose de revenir sur la question dans le cadre de l’article 41.

35. Surtout, la Cour constate que, nonobstant les deux procédures engagées par le requérant en application des dispositions de la loi no 87 et malgré l’écoulement de plus de trois ans et demi après la condamnation de l’État à verser des indemnités en raison de la non-exécution, la décision définitive du 20 février 2008 n’est toujours pas exécutée par les autorités moldaves. Elle estime que cette nouvelle période d’inexécution de plus de trois ans et demi est considérable, car celle-ci est en soi largement suffisante pour constituer une seconde violation de la même procédure d’exécution (voir, par exemple, Cogut c. Moldova, no 31043/04, § 32, 4 décembre 2007, et Burea et autres c. Moldova [comité], nos 55349/07 et autres, § 32, 13 décembre 2011). Compte tenu donc de l’omission persistante des autorités moldaves d’exécuter la décision initiale, la Cour estime que, en tout état de cause, le recours indemnitaire exercé par le requérant ne lui a pas offert un redressement adéquat (comparer avec Gerasimov et autres c. Russie, nos 29920/05 et 10 autres, § 152, 1er juillet 2014).

36. En conclusion, la Cour considère que le redressement s’est révélé insuffisant et que, dès lors, le requérant peut toujours se prétendre en l’espèce victime des violations alléguées.

37. Partant, l’exception du Gouvernement doit être rejetée.

C. Conclusion sur la recevabilité

38. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

II. SUR LE FOND

39. Le requérant soutient que la non-exécution prolongée de la décision du 20 février 2008 rendue en sa faveur porte atteinte à ses droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention et par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Il affirme en outre que l’action en réparation mise en place par la loi no 87 n’a pas constitué dans son affaire une voie de recours effective au sens de l’article 13 de la Convention pour dénoncer l’inexécution en cause.

40. Le Gouvernement conteste ces thèses.

A. Période à considérer

41. La Cour rappelle qu’une personne qui a obtenu un jugement contre l’État n’a normalement pas à ouvrir une procédure distincte pour en obtenir l’exécution forcée (Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 19, 27 mai 2004). Elle considère que c’est au premier chef aux autorités de l’État qu’il incombe de garantir l’exécution d’une décision de justice rendue contre celui-ci, et ce dès la date à laquelle cette décision devient obligatoire et exécutoire (Bourdov, précité § 69, in fine).

42. En application de ces principes, la Cour observe qu’en l’espèce la période à prendre en considération a commencé le 20 février 2008, avec le prononcé de la décision définitive et exécutoire obligeant les autorités à fournir au requérant un logement en location. Elle note aussi que la Cour suprême de justice a évalué la durée d’inexécution jusqu’à la date du 4 mars 2015. Cette période avait alors déjà duré plus de sept ans.

43. Étant donné que la procédure d’exécution est encore pendante au niveau interne, la Cour souligne qu’un laps de temps de presque quatre ans n’a pas pu être pris en considération par les juridictions internes.

44. Elle observe également que le requérant a encore la possibilité, s’il souhaite se plaindre de la durée d’inexécution postérieure à celle déjà examinée par la Cour suprême de justice, d’introduire une nouvelle action selon la loi no 87 devant les tribunaux nationaux. Or, la Cour rappelle que cette durée, de presque quatre ans, est en soi largement suffisante pour constituer une seconde violation de la même procédure d’exécution (paragraphe 35 ci-dessus). À ce sujet, elle rappelle avoir, pour ce qui est des recours en matière de durée de procédure et relativement à des situations comparables à celles du cas d’espèce, estimé qu’elle n’était pas tenue d’examiner la procédure dans son ensemble mais pouvait se contenter de la durée ayant fait l’objet d’un examen par les juridictions internes (Musci c. Italie [GC], no 64699/01, § 116, CEDH 2006‑V (extraits), et voir, à contrario, Cocchiarella, précité, § 116).

45. Cependant, la Cour rappelle avoir estimé dans le cas présent que, en tout état de cause, le recours indemnitaire exercé par le requérant n’avait pas été en mesure de lui offrir un redressement adéquat en raison de l’omission persistante des autorités d’exécuter la décision initiale (paragraphe 35 ci‑dessus). Dans ces conditions, elle juge qu’il serait injuste de demander à l’intéressé d’introduire un nouveau recours sur le fondement de la loi no 87. Partant, la Cour considère qu’elle peut prendre en considération toute la procédure nationale d’exécution et pas seulement celle déjà examinée par la Cour suprême de justice.

B. Caractère raisonnable de la durée de la procédure d’exécution

46. La Cour note que, à ce jour, la procédure d’exécution de la décision définitive ordonnant aux autorités d’attribuer un logement au requérant et à sa famille a déjà duré environ onze ans. Elle rappelle qu’une autorité étatique ne peut invoquer l’absence de fonds et de logements de substitution pour expliquer la non-exécution d’un jugement (voir, parmi beaucoup d’autres, Prodan c. Moldova, no 49806/99, § 53, CEDH 2004‑III (extraits), et Yuriy Nikolayevich Ivanov c. Ukraine, no 40450/04, § 54, 15 octobre 2009).

47. La Cour rappelle également sa position, exprimée à maintes reprises dans des affaires ayant trait au défaut d’exécution, selon laquelle l’impossibilité, pour un créancier, de faire exécuter intégralement, et dans un délai raisonnable, une décision rendue en sa faveur constitue une violation dans son chef du « droit à un tribunal » consacré par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que du droit à la libre jouissance de ses biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Prodan, précité, §§ 56 et 62, et Yuriy Nikolayevich Ivanov, précité, §§ 56-57).

48. À la lumière des circonstances de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire. Partant, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention à raison de l’omission des autorités d’exécuter, dans un délai raisonnable, la décision définitive rendue en faveur du requérant.

49. Pour les mêmes raisons qui l’ont amené à considérer que le recours exercé par le requérant n’avait pas offert à celui-ci un redressement suffisant (paragraphes 34-36 ci-dessus), la Cour estime qu’il y a eu également violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

50. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel

51. Le requérant réclame 7 200 euros (EUR) pour préjudice matériel. Cette somme correspond à ses dires au montant des loyers qu’il aurait payés pour la location d’un logement alternatif durant la période juin 2013 – mai 2017. Il fournit copie du contrat de location du 1er juin 2011, fixant le montant du loyer à 3 000 lei moldaves (MDL) (136 EUR selon le taux de change au moment où la prétention a été formulée devant la Cour). Il présente également une copie du contrat additionnel du 1er juin 2014, ayant prolongé la durée du contrat initial jusqu’au 1er juin 2017.

52. Le Gouvernement conteste ces sommes.

53. La Cour rappelle avoir estimé que les conclusions de la Cour suprême de justice relatives à l’ampleur du dommage matériel n’étaient pas déraisonnables (paragraphe 33 ci-dessus). Dès lors, elle rejette la demande à ce titre pour ce qui est de la période prise en compte par la Cour suprême de justice, à savoir jusqu’au 4 mars 2015.

54. En revanche, elle juge qu’il y a lieu d’accueillir les prétentions du requérant qui se rapportent à la période postérieure à cette date. Elle lui alloue donc 3 400 EUR au titre du dommage matériel subi.

55. Enfin, la Cour rappelle sa position constante selon laquelle l’exécution de la décision interne demeure la forme la plus appropriée de redressement pour ce qui est des violations de la Convention similaires à celles constatées dans la présente affaire (Gerasimov et autres, précité, § 198). Par conséquent, elle juge que l’État défendeur doit sans tarder assurer l’exécution, par des moyens appropriés, de la décision initiale rendue en faveur du requérant.

B. Dommage moral

56. Le requérant demande également 2 500 EUR pour préjudice moral.

57. Le Gouvernement estime cette somme excessive.

58. La Cour rappelle qu’elle a déjà fixé les critères applicables pour déterminer les sommes allouées pour dommage moral lorsqu’un recours indemnitaire en matière de durée excessive de procédures judiciaires s’était révélé insuffisant (voir, par exemple, Scordino, précité, §§ 268-271, et Cocchiarella, précité, §§ 139-142). Elle juge que ces critères doivent être également appliqués dans les affaires d’inexécution (comparer avec Botezatu, précité, §§ 38-41). Les passages pertinents en l’espèce de l’arrêt Scordino sont ainsi libellés :

“268. [La Cour] indique (...) que le montant qu’elle accordera au titre du dommage moral pourra être inférieur à celui qu’on peut dégager de sa jurisprudence, lorsque la partie requérante a déjà obtenu au niveau national un constat de violation et une indemnité dans le cadre d’une voie de recours interne. Outre que l’existence d’une voie de recours sur le plan interne s’accorde pleinement avec le principe de subsidiarité propre à la Convention, cette voie est plus proche et accessible que le recours devant la Cour, est plus rapide et se déroule dans la langue de la partie requérante; elle présente donc des avantages qu’il convient de prendre en considération.

269. La Cour estime toutefois que lorsqu’un requérant peut encore se prétendre « victime » après avoir épuisé cette voie de recours interne, il doit se voir accorder la différence entre la somme qu’il a obtenue par la cour d’appel et une somme qui n’aurait pas été considérée comme manifestement déraisonnable par rapport à celle octroyée par la Cour si elle avait été allouée par la cour d’appel et versée rapidement.

270. Il convient également d’attribuer à l’intéressé une somme pour les phases de la procédure que la juridiction nationale n’aurait – le cas échéant – pas prises en compte dans la période de référence, lorsque le requérant n’a plus la possibilité de saisir une cour d’appel (...) ou lorsque la durée restante n’était en soi pas suffisamment longue pour pouvoir être considérée comme constitutive d’une seconde violation dans le cadre de la même procédure.

271. Enfin, il y a lieu de condamner le Gouvernement à verser une somme supplémentaire lorsque l’intéressé a dû supporter l’attente du versement de l’indemnité due par l’État, en vue de compenser la frustration qui découle du retard dans l’obtention du paiement. »

59. Dans le cas d’espèce, la Cour note que le requérant s’est vu octroyer 290 EUR par la Cour suprême de justice (paragraphes 34 et 42-45 ci‑dessus). Pour la Cour, cette circonstance, en soi, aboutit à un résultat manifestement déraisonnable au regard des critères dégagés dans sa jurisprudence.

60. Statuant en équité, la Cour considère raisonnable la somme globale de 2 500 EUR demandée par le requérant pour dommage moral et la lui accorde.

C. Intérêts moratoires

61. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 3 400 EUR (trois mille quatre cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

ii. 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 février 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident


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