GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE CATAN ET AUTRES c. MOLDOVA ET RUSSIE
(Requêtes nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06)
ARRÊT
STRASBOURG
19 octobre 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Catan et autres c. Moldova et Russie,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,
Françoise Tulkens,
Josep Casadevall,
Nina Vajić,
Dean Spielmann,
Lech Garlicki,
Karel Jungwiert,
Anatoly Kovler,
Egbert Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Ján Šikuta,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Ledi Bianku,
Mihai Poalelungi,
Helen Keller, juges,
et de Michael O’Boyle, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 janvier et le 5 septembre 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouvent trois requêtes (nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06) dirigées contre la République de Moldova et la Fédération de Russie et dont un certain nombre de ressortissants moldaves (« les requérants ») ont saisi la Cour le 25 octobre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants, dont l’un a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, ont été représentés par Mes Alexandru Postică et Ion Manole, avocats à Chişinǎu, ainsi que par M. Padraig Hughes et Mme Helen Duffy, juristes à Interights, organisation de défense des droits de l’homme ayant son siège à Londres. Le gouvernement de la République de Moldova a été représenté par ses agents, MM. Vladimir Grosu et Lilian Apostol, et le gouvernement de la Fédération de Russie par M. Georgy Matyushkin, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.
3. Les requérants, des Moldaves résidant en Transnistrie, étaient au moment de l’introduction de leurs requêtes élèves ou parents d’élèves (voir liste en annexe) de trois écoles de langue moldave. Dans leurs requêtes, ils se plaignaient sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention et de l’article 8 de la Convention, pris isolément ou combinés avec l’article 14, de la fermeture de leurs écoles et d’actes de harcèlement de la part des autorités transnistriennes séparatistes.
4. Les requêtes ont été attribuées à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 15 juin 2010, à la suite d’une audience sur la recevabilité et le fond (article 54 § 3 du règlement), une chambre de ladite section composée de N. Bratza, L. Garlicki, A. Kovler, L. Mijović, D. Björgvinsson, J. Šikuta, M. Poalelungi, juges, ainsi que de T.L. Early, greffier de section, les a jointes et les a déclarées partiellement recevables. Le 14 décembre 2010, la chambre s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).
5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.
6. Les requérants et chacun des gouvernements défendeurs ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement) sur le fond.
7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 25 janvier 2012 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le gouvernement de la République de Moldova
MM.V. Grosu, agent,
L. Apostol,conseiller ;
– pour le gouvernement de la Fédération de Russie
M.G. Matyushkin, agent,
MmesO. Sirotkina,
I. Korieva,
A. Dzutseva,
M.N. Fomin,
MmesM. Molodtsova,
V. Utkina,
M.A. Makhnev,conseillers ;
– pour les requérants
M.P. Hughes,
MmeH. Duffy, conseils,
MM.A. Postica,
I. Manole,
P. Postica,conseillers.
La Cour a entendu en leurs déclarations MM. Hughes, A. Postica, Grosu et Matyushkin.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Le contexte historique
8. Le pays qui allait plus tard devenir la République de Moldova fut créé le 2 août 1940 sous le nom de République socialiste soviétique moldave sur une partie de la Bessarabie et une bande de terre située sur la rive orientale du Dniestr (pour plus de détails, voir Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, §§ 11-17, CEDH 2010). Cette région orientale, aujourd’hui connue sous le nom de Transnistrie, faisait partie depuis 1924 – à l’instar d’un certain nombre de territoires appartenant actuellement à l’Ukraine – de la République autonome socialiste soviétique moldave. A l’origine, la population de la Transnistrie était composée essentiellement d’Ukrainiens et de Moldaves/Roumains, mais à compter des années 1920 il se produisit une importante immigration de travailleurs de l’industrie venus d’autres parties de l’Union soviétique, notamment des Russes et des Ukrainiens. D’après un recensement effectué par l’Union soviétique en 1989, la Transnistrie avait alors une population de 679 000 habitants, dont la composition ethnique et linguistique était la suivante : Moldaves 40 %, Ukrainiens 28 %, Russes 24 % et divers 8 %.
9. Dans la Constitution de la République socialiste soviétique moldave de 1978, deux langues officielles étaient reconnues : le russe et le « moldavien » (moldave/roumain écrit avec l’alphabet cyrillique).
10. En août-septembre 1989, la Moldova réintroduisit l’alphabet latin pour le moldave/roumain écrit, qui devint la première langue officielle.
11. Le 23 juin 1990, la Moldova proclama sa souveraineté. Le 23 mai 1991, elle devint la République de Moldova. Le 27 août 1991, le Parlement moldave adopta la déclaration d’indépendance de la République de Moldova, dont le territoire englobait la Transnistrie.
B. Le conflit transnistrien
12. Les faits relatifs au conflit armé de 1991-1992 et à la période allant jusqu’à fin 2003 se trouvent exposés en détail dans l’arrêt Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie ([GC], no 48787/99, §§ 28-183, CEDH 2004‑VII) ; par commodité, seul un résumé des principaux événements est présenté ci‑après. La Cour relève que le gouvernement russe soutient dans ses observations que les faits liés au conflit armé sont étrangers aux questions soulevées en l’espèce.
13. A partir de 1989, un mouvement de résistance à l’indépendance moldave commença à émerger en Transnistrie. Le 2 septembre 1990, des séparatistes transnistriens annoncèrent la création de la « République moldave de Transnistrie » (la « RMT »). Le 25 août 1991, le « Soviet suprême de la RMT » adopta la « déclaration d’indépendance » de la « RMT ». Le 1er décembre 1991, une « élection présidentielle », déclarée illégale par les autorités moldaves, fut organisée dans les départements de Transnistrie, et M. Igor Smirnov se proclama élu « président de la RMT ». La communauté internationale n’a pas, à ce jour, reconnu la « RMT ».
14. A l’époque de sa déclaration d’indépendance, la Moldova ne possédait pas d’armée propre. La 14e armée de l’URSS, dont le quartier général se trouvait à Chişinǎu depuis 1956, resta sur le territoire moldave, bien que l’on eût commencé à assister au retrait de matériel et d’effectifs à partir de 1990. En 1991, la 14e armée en Moldova se composait de plusieurs milliers de soldats, d’unités d’infanterie, d’artillerie (avec notamment un système de missiles antiaériens), de blindés et d’aviation (y compris des avions et des hélicoptères de combat). Elle était dotée de plusieurs dépôts de munitions, dont un des plus grands d’Europe situé à Colbaşna, en Transnistrie.
15. Par le décret no 234 du 14 novembre 1991, le président de la Moldova déclara propriété de la République de Moldova les munitions, armements, moyens de transport militaires, bases militaires et autres biens appartenant aux unités militaires des forces armées soviétiques stationnées sur le territoire moldave. Ce décret ne fut pas appliqué en Transnistrie.
16. Par un décret du 5 décembre 1991, M. Smirnov décida de placer les unités militaires de la 14e armée déployées en Transnistrie sous le commandement de la « Direction nationale de la défense et de la sécurité » de la « RMT ». M. Smirnov désigna comme chef de cette direction le lieutenant général Iakovlev. En décembre 1991, celui-ci fut arrêté par les autorités moldaves, qui l’accusaient d’avoir aidé les séparatistes transnistriens à s’armer au moyen de l’arsenal de la 14e armée. Il fut toutefois relâché à la suite de l’intervention du gouvernement de la Fédération de Russie.
17. Fin 1991 et début 1992, de violents affrontements éclatèrent entre les forces séparatistes transnistriennes et les forces de l’ordre moldaves, qui se soldèrent par la mort de plusieurs centaines de personnes.
18. Dans un appel lancé le 6 décembre 1991 à la communauté internationale et au Conseil de sécurité de l’ONU, le gouvernement moldave protesta contre l’occupation, le 3 décembre 1991, des villes moldaves de Grigoriopol, Dubăsari, Slobozia, Tiraspol et Rîbniţa, situées sur la rive gauche du Dniestr, par la 14e armée placée sous le commandement du lieutenant général Iakovlev. Le gouvernement moldave reprochait aux autorités soviétiques, en particulier le ministère de la Défense, d’être à l’origine de ces actes. Les militaires de la 14e armée étaient accusés d’avoir distribué du matériel militaire aux séparatistes de Transnistrie et d’avoir organisé ceux-ci en détachements militaires terrorisant la population civile.
19. En 1991-1992, plusieurs unités militaires de la 14e armée rejoignirent les rangs des séparatistes transnistriens. Dans l’arrêt Ilaşcu, la Cour a jugé établi au-delà de tout doute raisonnable que des séparatistes transnistriens avaient pu s’armer, grâce à l’aide de militaires de la 14e armée, en puisant dans l’arsenal de cette armée stationnée en Transnistrie. De plus, de nombreux ressortissants russes venus d’ailleurs, en particulier des Cosaques, affluèrent en Transnistrie pour se battre aux côtés des séparatistes contre les forces moldaves. Compte tenu du soutien apporté par les troupes de la 14e armée aux forces séparatistes et du transfert massif d’armes et de munitions de l’arsenal de la 14e armée aux séparatistes, l’armée moldave se trouva dans une situation d’infériorité qui l’empêcha de reprendre le contrôle de la Transnistrie. Le 1er avril 1992, M. Boris Eltsine, président de la Fédération de Russie, plaça officiellement sous commandement russe la 14e armée, qui devint ainsi le « Groupement opérationnel des forces russes dans la région transnistrienne de la Moldova » (ou « GOR »). Le 2 avril 1992, le général Netkatchev, nouveau commandant du GOR, ordonna aux forces moldaves qui avaient encerclé la ville de Tighina (Bender), tenue par les séparatistes, de se retirer immédiatement, faute de quoi l’armée russe riposterait. En mai de la même année, le GOR lança des attaques contre les forces moldaves, qu’il chassa de certains villages de la rive gauche du Dniestr. En juin, intervenant officiellement en faveur des séparatistes qui perdaient la ville de Tighina, le GOR en délogea les forces moldaves.
C. L’accord de cessez-le-feu, le mémorandum de 1997 et les engagements d’Istanbul
20. Le 21 juillet 1992, M. Mircea Snegur, président de la République de Moldova, et M. Eltsine signèrent un accord sur les principes du règlement amiable du conflit armé dans la région transnistrienne de la République de Moldova (l’« accord de cessez-le-feu »).
21. Cet accord posait le principe d’une zone de sécurité, qui devait résulter du retrait des armées des « parties au conflit » (article 1 § 2). Il prévoyait en son article 2 la création d’une Commission de contrôle unifiée (la « CCU »), composée de représentants de la Moldova, de la Fédération de Russie et de la Transnistrie et siégeant à Tighina. Il prévoyait également la mise en place de forces de maintien de la paix chargées de veiller au respect du cessez-le-feu et à la sécurité. Ces forces consistaient en cinq bataillons russes, trois bataillons moldaves et deux bataillons transnistriens, subordonnés à un commandement militaire unifié, lui-même placé sous l’autorité de la CCU. En vertu de l’article 3 de l’accord, la ville de Tighina était déclarée région placée sous régime de sécurité, et son administration était confiée aux « organes de l’auto-administration locale [agissant], le cas échéant de concert avec la Commission de contrôle ». La CCU était chargée d’assurer, conjointement avec la police, le maintien de l’ordre public à Tighina. L’article 4 prévoyait que les troupes russes stationnées sur le territoire de la République de Moldova observeraient rigoureusement la neutralité, tandis que l’article 5 interdisait l’application de toute sanction ou de tout blocus et fixait comme objectif la suppression de tous les obstacles à la libre circulation des marchandises, des services et des personnes. Les mesures prévues dans cet accord étaient définies comme « une partie très importante du règlement du conflit par des moyens politiques » (article 7).
22. Le 29 juillet 1994, la Moldova se dota d’une nouvelle Constitution. Celle-ci prévoyait en particulier la neutralité du pays, l’interdiction pour les troupes appartenant à d’autres Etats de stationner sur son territoire et la possibilité d’octroyer une forme d’autonomie, notamment, aux localités se situant sur la rive gauche du Dniestr. L’article 13 de la Constitution dispose que la langue nationale est le moldave, écrit avec l’alphabet latin.
23. A plusieurs reprises à partir de 1995, les autorités moldaves se plaignirent que le personnel du GOR et le contingent russe des forces de maintien de la paix de la CCU eussent enfreint le principe de neutralité posé par l’accord de cessez-le-feu et que, notamment, les Transnistriens eussent pu obtenir du matériel militaire supplémentaire et une assistance auprès du GOR. Ces accusations furent fermement démenties par les autorités russes. En outre, la délégation moldave auprès de la CCU allégua que les Transnistriens avaient créé au sein de la zone de sécurité de nouveaux postes militaires et postes de contrôle douanier, en violation de l’accord de cessez-le-feu. Dans l’arrêt Ilaşcu et autres, la Cour a jugé établi, sur la base des éléments contenus dans les documents officiels de la CCU, que dans différentes zones de Transnistrie placées sous le contrôle des forces de maintien de la paix de la Fédération de Russie, par exemple Tighina, les forces séparatistes transnistriennes avaient agi en violation de l’accord de cessez-le-feu.
24. Le 8 mai 1997, M. Petru Lucinschi, président de la Moldova, et M. Smirnov, « président de la RMT », signèrent à Moscou un mémorandum posant les bases de la normalisation des relations entre la République de Moldova et la Transnistrie (« le mémorandum de 1997 »). Il prévoyait que les décisions concernant la Transnistrie devaient être prises d’un commun accord, les compétences partagées et déléguées et les garanties assurées réciproquement. La Transnistrie devait pouvoir participer à la conduite de la politique extérieure de la République de Moldova pour les questions touchant à ses intérêts propres, la définition de ces questions devant être établie d’un commun accord. La Transnistrie aurait le droit d’instaurer et d’entretenir unilatéralement des contacts internationaux dans les domaines économique, scientifique, technique, culturel et autres à déterminer d’un commun accord. Les parties s’engageaient à régler les conflits par la négociation, avec l’assistance le cas échéant de la Fédération de Russie et de l’Ukraine, Etats garants du respect des accords conclus, ainsi qu’avec l’appui de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de la Communauté des Etats indépendants (CEI). Le mémorandum de 1997 fut contresigné par les représentants des Etats garants, à savoir M. Eltsine pour la Fédération de Russie et M. Leonid Koutchma pour l’Ukraine, ainsi que par M. Helveg Petersen, président de l’OSCE.
25. En novembre 1999, l’OSCE tint son sixième sommet à Istanbul. A cette occasion, cinquante-quatre Etats membres de l’Organisation signèrent la Charte pour la sécurité en Europe et la Déclaration du sommet d’Istanbul, et trente Etats membres, dont la Moldova et la Russie, signèrent l’Accord d’adaptation du Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (« Traité FCE adapté »). Le Traité FCE adapté pose notamment le principe selon lequel aucune troupe étrangère ne peut stationner sur le territoire de la Moldova sans l’accord de cet Etat. Le consentement de la Fédération de Russie à se retirer de la Transnistrie (l’un des « engagements d’Istanbul ») se trouve consigné dans une annexe à l’Acte final du Traité FCE adapté. Par ailleurs, au paragraphe 19 de la Déclaration du sommet d’Istanbul, il est pris acte, entre autres, de l’engagement de la Fédération de Russie de retirer ses troupes de Transnistrie pour la fin de 2002 :
« 19. Rappelant les décisions des sommets de Budapest et de Lisbonne et de la réunion ministérielle d’Oslo, nous réitérons que nous nous attendons à un retrait rapide, en bon ordre et complet des troupes russes de la Moldavie. A ce propos, nous accueillons avec satisfaction le progrès récemment fait en ce qui concerne le retrait et la destruction des équipements militaires russes entreposés dans la région transnistrienne de Moldavie et l’achèvement de la destruction des munitions non transportables.
Nous nous félicitons de l’engagement de la Fédération de Russie d’achever d’ici la fin de 2002 le retrait des forces russes du territoire de la Moldavie. Nous nous réjouissons également de la volonté de la République de Moldavie et de l’OSCE de faciliter ce processus, dans les limites de leurs capacités respectives, d’ici la date limite convenue.
Nous rappelons qu’une mission internationale d’évaluation est prête à partir sans délai pour examiner le retrait et la destruction des munitions et armements russes. Dans le but d’assurer le bon déroulement du processus de retrait et de destruction, nous chargerons le Conseil permanent d’étudier la possibilité d’élargir le mandat de la mission de l’OSCE en Moldavie afin d’assurer la transparence du processus et la coordination de l’assistance financière et technique proposée pour faciliter le retrait et la destruction. De plus, nous convenons d’étudier la possibilité de créer, pour cette assistance financière internationale volontaire, un fonds administré par l’OSCE. »
En 2002, lors d’une conférence ministérielle de l’OSCE à Lisbonne, la Russie se vit accorder une prolongation d’une année pour le retrait de ses troupes, qui devait désormais se faire avant la fin de 2003.
26. La Russie manqua à l’engagement pris par elle au sommet de l’OSCE à Istanbul et au Conseil ministériel de Lisbonne de retirer ses troupes de Transnistrie avant la fin de 2003. Lors du Conseil ministériel de l’OSCE tenu en décembre 2003, il s’avéra impossible de parvenir à une position commune sur la Transnistrie. La déclaration publiée à cette occasion énonce :
« Les ministres ont, pour la plupart d’entre eux, pris note des efforts faits par la Fédération de Russie pour s’acquitter des engagements qu’elle a pris au Sommet de l’OSCE à Istanbul en 1999 d’achever le retrait de ses troupes du territoire de la Moldavie. Ils ont noté que des progrès concrets avaient été accomplis en 2003 en ce qui concerne le retrait/l’élimination d’une certaine quantité de munitions et d’autres équipements militaires appartenant à la Fédération de Russie. Ils ont accueilli avec satisfaction les efforts consentis par tous les Etats participants de l’OSCE qui ont contribué au Fonds volontaire établi à cet effet. Ils se sont toutefois déclarés vivement préoccupés par le fait que le retrait des forces russes ne sera pas achevé d’ici au 31 décembre 2003. Ils ont souligné qu’il était indispensable que cet engagement soit exécuté sans plus tarder. »
Les Etats membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) refusèrent de ratifier le Traité FCE adapté tant que la Russie n’aurait pas rempli les engagements d’Istanbul.
D. Le « mémorandum de Kosak »
27. En 2001, le Parti communiste remporta les élections législatives et devint le parti dirigeant de la Moldova. M. Vladimir Voronine, le nouveau président de la Moldova, entama des négociations directes avec la Russie au sujet de l’avenir de la Transnistrie. En novembre 2003, la Fédération de Russie présenta une proposition de règlement, « le mémorandum sur les principes fondamentaux de la structure de l’Etat uni » (appelé « mémorandum de Kosak », du nom de l’homme politique russe Dimitry Kosak, cheville ouvrière de ce plan). Le mémorandum de Kosak proposait de doter la Moldova d’une nouvelle structure fédérale qui permettrait aux autorités de la « RMT » de jouir d’une autonomie importante et garantirait leur représentation au sein du nouveau « parlement fédéral ». Il comportait des dispositions transitoires prévoyant que, jusqu’en 2015, les lois organiques fédérales devraient être confirmées par une majorité des trois quarts des membres d’une seconde chambre législative nouvellement créée, composée de quatre représentants de la Gagaouzie, neuf de la Transnistrie et treize de la première chambre du nouveau parlement fédéral. Ce dispositif aurait donné aux représentants de la « RMT » au sein de la seconde chambre un droit de veto sur toute législation touchant l’ensemble de la Moldova, ce jusqu’en 2015. Le 25 novembre 2003, bien qu’il se fût auparavant déclaré disposé à accepter ces propositions, M. Voronine décida de ne pas signer le mémorandum de Kosak.
E. Le renforcement des contrôles frontaliers et douaniers
28. En décembre 2005 fut établie à la frontière entre l’Ukraine et la Moldova une Mission d’assistance de l’Union européenne, chargée de lutter contre le commerce illicite entre ces deux pays. En mars 2006, ceux-ci commencèrent à mettre en œuvre un accord douanier de 2003 en vertu duquel les sociétés transnistriennes se livrant au commerce transfrontalier devaient se faire enregistrer à Chişinǎu pour obtenir des documents indiquant le pays d’origine des marchandises, conformément aux protocoles de l’Organisation mondiale du commerce. L’Ukraine s’engagea à exclure l’entrée sur son territoire des marchandises dépourvues d’un tel titre d’exportation.
29. Dans ce qui fut perçu comme une réaction à ces nouvelles mesures douanières, les représentants de la Transnistrie refusèrent de poursuivre les négociations à « 5+2 ». De plus, en février et mars 2005, « en réponse à la conduite adoptée par le gouvernement moldave dans le but d’aggraver la situation concernant la Transnistrie », la Douma russe adopta des résolutions invitant le gouvernement russe à interdire l’importation d’alcool et de tabac de Moldova, à appliquer les tarifs internationaux aux exportations énergétiques destinées à la Moldova (sauf pour la Transnistrie) et à exiger des visas de la part des ressortissants moldaves (excepté ceux résidant en Transnistrie) se rendant en Russie.
30. En avril 2005, les autorités russes interdirent les importations de viande, fruits et légumes de Moldova au motif que les normes d’hygiène n’étaient pas respectées dans la production de ces denrées. De mars 2006 à novembre 2007, une interdiction frappa les importations de vin moldave. Selon le Fonds monétaire international, ces mesures eurent sur la croissance de l’économie moldave un effet négatif combiné de 2 à 3 points de pourcentage annuel en 2006-2007.
31. En janvier 2005, M. Viktor Iouchtchenko fut élu président de l’Ukraine. En mai 2005, le gouvernement ukrainien présenta une nouvelle proposition en vue de la résolution du conflit transnistrien : « Vers un règlement par le biais de la démocratisation » (résumée dans le rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – paragraphe 64 ci‑dessous). En juillet 2005, se référant au plan ukrainien, le Parlement moldave adopta une loi « sur les principes fondamentaux d’un statut juridique spécial pour la Transnistrie ». Des négociations officielles reprirent en octobre 2005, avec la participation de l’Union européenne et des Etats-Unis d’Amérique en qualité d’observateurs (« les négociations à 5+2 »).
F. L’équipement et le personnel militaires russes en Transnistrie
32. Le 20 mars 1998, un protocole d’accord relatif aux biens militaires du GOR fut signé à Odessa par M. Viktor Tchernomyrdine, Premier ministre de la Fédération de Russie, et M. Smirnov, « président de la RMT ». Selon le calendrier annexé au protocole, le retrait et la mise au rebut de certains éléments, à éliminer par explosion ou autre procédé mécanique, devaient être achevés pour le 31 décembre 2001. Le retrait (mise au rebut ou transfert) des surplus de munitions et autres matériels et effectifs russes n’appartenant pas aux forces de maintien de la paix devait avoir lieu le 31 décembre 2002 au plus tard. Un certain nombre de trains chargés d’équipements militaires russes quittèrent la Transnistrie entre 1999 et 2002.
33. En octobre 2001, la Fédération de Russie et la « RMT » signèrent un nouvel accord relatif au retrait des forces russes. Celui-ci accordait à la « RMT », en compensation du retrait d’une partie de l’équipement militaire russe stationné en Transnistrie, une réduction de cent millions de dollars américains (USD) sur la dette contractée pour le gaz importé de la Fédération de Russie ainsi que la cession par l’armée russe d’une partie de son équipement se prêtant à un usage civil.
34. Ainsi qu’il ressort d’un communiqué de presse de l’OSCE, le 24 décembre 2002 les autorités russes évacuèrent de Colbaşna 29 wagons transportant du matériel de construction de ponts et des cuisines de campagne. Le même communiqué de presse reprenait aussi la déclaration du commandant du GOR, le général Boris Sergueïev, selon laquelle les derniers retraits avaient été possibles grâce à un accord, conclu avec les Transnistriens, prévoyant que la « RMT » recevrait la moitié de l’équipement et des fournitures non militaires retirés. Le général Sergueïev donna pour exemple le retrait le 16 décembre 2002 de 77 camions, qui avait été suivi par le transfert de 77 autres camions militaires russes au profit des Transnistriens.
35. Selon les témoignages recueillis par la Cour dans l’affaire Ilaşcu et autres, il demeurait encore en Transnistrie en 2003 au moins 200 000 tonnes d’armes et de munitions russes, principalement au dépôt de Colbaşna, ainsi que 106 chars de combat, 42 véhicules blindés de combat, 109 véhicules blindés de transport de troupes, 54 véhicules blindés de reconnaissance, 123 canons et mortiers, 206 armes antichars, 226 armes antiaériennes, 9 hélicoptères et 1 648 véhicules divers (Ilaşcu et autres, précité, § 131). En 2003, l’OSCE observa et contrôla le retrait de Transnistrie de 11 trains d’équipements militaires russes et de 31 trains chargés de plus de 15 000 tonnes de munitions. L’année suivante, l’OSCE signala en revanche qu’un seul train, contenant environ 1 000 tonnes de munitions, avait quitté la Transnistrie.
36. Depuis 2004, il n’y a pas eu de retraits contrôlés d’armes ou d’équipements russes hors de Transnistrie. Dans l’arrêt Ilaşcu et autres, la Cour a constaté que fin 2004 il restait approximativement 21 000 tonnes de munitions, plus de 40 000 armes légères et de petit calibre, et environ dix trains chargés d’équipements militaires divers. En novembre 2006, une délégation de l’OSCE, qui avait été autorisée à voir les dépôts de munitions, rapporta que plus de 21 000 tonnes de munitions restaient entreposées dans la région (paragraphe 68 ci-dessous). En mai 2005, le commandant du GOR signala que des stocks excédentaires de 40 000 armes légères et de petit calibre avaient été détruits, mais aucun observateur indépendant ne fut autorisé à se rendre sur place pour vérifier ces dires. Dans ses observations livrées en l’espèce, le gouvernement russe soutient que la plupart des armes, munitions et biens militaires ont été retirés entre 1991 et 2003 et que seuls demeurent dans les entrepôts des obus, des grenades à main, des mortiers et des munitions de petit calibre.
37. Les parties à la présente cause s’accordent à dire qu’environ un millier de militaires russes sont basés en Transnistrie, avec pour mission de surveiller le dépôt d’armes, et que quelque 1 125 soldats russes appartenant à la force de maintien de la paix négociée au plan international sont stationnés dans la zone de sécurité, qui s’étend sur 225 km de long et 12 à 20 km de large.
G. L’allégation relative au soutien économique et politique apporté à la « RMT » par la Fédération de Russie
38. Il convient là encore de relever que selon le gouvernement russe les faits survenus en Transnistrie avant la crise des écoles sont étrangers aux questions soulevées par la présente affaire.
39. Dans l’arrêt Ilaşcu et autres, la Cour a estimé qu’il n’était pas contesté que l’industrie de l’armement, qui représentait l’un des piliers de l’économie transnistrienne, était directement soutenue par des entreprises russes, notamment Rosvooroujenïe (Росвооружение) et Elektrommash. Elle a relevé que l’entreprise russe Iterra avait acheté l’usine de métallurgie de Râbniţa, la plus grande entreprise de Transnistrie, malgré l’opposition des autorités moldaves à cette opération. De plus, l’armée russe était en Transnistrie un important pourvoyeur d’emplois et acheteur de fournitures.
40. Selon les requérants en l’espèce, 18 % des exportations de la « RMT » sont destinées à la Russie, et 43,7 % de ses importations, principalement les ressources énergétiques, proviennent de ce pays. La « RMT » aurait payé moins de 5 % du gaz consommé par elle. En 2011, par exemple, la Transnistrie aurait consommé pour 505 millions d’USD de gaz, mais n’aurait payé que 4 % de ce montant (soit 20 millions d’USD). Le gouvernement russe soutient que la « RMT » ne peut avoir de dettes souveraines parce qu’elle n’est pas reconnue comme une entité distincte en droit international, et que la Russie ne livre pas de gaz séparément à la Moldova et à la Transnistrie. La facture pour le gaz fourni à la Transnistrie serait donc à la charge de la Moldova. L’approvisionnement de la région en gaz serait organisé par l’intermédiaire de l’entreprise publique russe Gazprom et de la société par actions Moldovagaz, qui appartiendrait conjointement à la Moldova et à la « RMT ». La dette de Moldovagaz à l’égard de la Russie dépasserait 1,8 milliard d’USD, dont 1,5 milliard pour le gaz consommé en Transnistrie. Gazprom ne pourrait pas simplement refuser de fournir du gaz à la région, car elle aurait besoin des pipelines traversant la Moldova pour approvisionner les Etats des Balkans.
41. Selon les requérants, la Russie apporte en outre une aide humanitaire directe à la Transnistrie, principalement sous forme de contributions aux pensions de retraite. Ils ajoutent que, selon des sources russes officielles, l’aide financière totale fournie à la Transnistrie s’est élevée à 55 millions d’USD pour la période 2007-2010. Le gouvernement moldave soutient qu’en 2011 la « RMT » a reçu de la Russie une aide financière d’un montant total de 20,64 millions d’USD. D’après le gouvernement russe, le montant de l’aide fournie à des fins humanitaires (versement de pensions et soutien à la restauration en milieu scolaire, carcéral ou hospitalier) aux ressortissants russes vivant dans la région est parfaitement transparent et comparable à l’aide humanitaire dispensée par l’Union européenne. La Russie fournirait une assistance non seulement à la population de Transnistrie, mais également aux habitants d’autres régions de la Moldova.
42. Les requérants affirment par ailleurs que quelque 120 000 personnes résidant en Transnistrie ont obtenu la nationalité russe, notamment de nombreux dirigeants de la « RMT ». Pour la Cour, cette information est à mettre en rapport avec les résultats d’un recensement effectué en 2004 par le « gouvernement de la RMT », selon lesquels la zone contrôlée par celui-ci comptait 555 347 habitants, dont environ 32 % appartenaient à la communauté moldave, 30 % étaient russes, 29 % ukrainiens, et de faibles pourcentages faisaient partie d’autres groupes nationaux ou ethniques.
H. La crise des écoles et les faits relatifs aux causes des requérants
43. L’article 12 de la « Constitution » de la « RMT » dispose que les langues officielles de la « RMT » sont le « moldavien », le russe et l’ukrainien. Selon l’article 6 de la « loi de la RMT sur les langues » (adoptée le 8 septembre 1992), le « moldavien » doit dans tous les cas s’écrire avec l’alphabet cyrillique. Cette « loi » indique également que l’utilisation de l’alphabet latin peut constituer une infraction, et l’article 200-3 du « code des infractions administratives de la RMT » (adopté le 19 juillet 2002) énonce :
« Tout manquement à la législation de la RMT relative à l’utilisation des langues sur le territoire de la RMT par une personne occupant un poste dans la fonction publique ou travaillant pour l’exécutif ou l’administration publique, une association publique ou une autre organisation, indépendamment de son statut juridique et de la détention de son capital, ou une autre entité, se trouvant sur le territoire de la RMT (...) est passible d’une amende pouvant atteindre l’équivalent de 50 (cinquante) fois le salaire minimum. »
44. Le 18 août 1994, les autorités de la « RMT » interdirent l’utilisation de l’alphabet latin à l’école. Le 21 mai 1999, la « RMT » décida que tout établissement scolaire appartenant à un « Etat étranger » et fonctionnant sur « son » territoire devait se faire enregistrer auprès des autorités de la « RMT », faute de quoi il ne serait pas reconnu et serait déchu de ses droits.
45. Le 14 juillet 2004, les autorités de la « RMT » commencèrent à prendre des mesures en vue de la fermeture de toute école employant l’alphabet latin. A la date de l’adoption de la décision sur la recevabilité dans la présente affaire, seules six écoles de Transnistrie utilisaient encore la langue moldave/roumaine et l’alphabet latin.
1. Catan et autres (requête no 43370/04)
46. Les requérants sont dix-huit enfants qui fréquentaient l’établissement scolaire Evrica à Rîbniţa pendant la période considérée, et treize parents d’élèves (voir l’annexe au présent arrêt).
47. Depuis 1997, l’école Evrica était abritée dans des locaux situés rue Gagarine, qui avaient été construits à l’aide de fonds publics moldaves. Elle était enregistrée auprès du ministère moldave de l’Education, utilisait l’alphabet latin et suivait un programme approuvé par ce ministère.
48. A la suite de la « décision de la RMT » du 21 mai 1999 (paragraphe 44 ci-dessus), l’école Evrica refusa de se faire enregistrer au motif que cela l’aurait ensuite contrainte à employer l’alphabet cyrillique et à suivre le programme conçu par le régime de la « RMT ». Le 26 février 2004, les autorités de la « RMT » attribuèrent le bâtiment occupé par l’école à la « Direction de l’éducation de Rîbniţa ». En juillet 2004, après la fermeture d’un certain nombre d’écoles de la « RMT » qui utilisaient l’alphabet latin, les élèves, parents d’élèves et enseignants de l’école Evrica prirent l’initiative de garder l’établissement jour et nuit. Le 29 juillet 2004, la police transnistrienne prit d’assaut l’école et expulsa les femmes et les enfants qui s’y trouvaient. Au cours des jours suivants, la police locale ainsi que des responsables de la « Direction de l’éducation de Rîbniţa » rendirent visite aux parents des élèves inscrits à l’école, leur demandant de retirer leurs enfants de cet établissement et de les inscrire dans une école enregistrée auprès des autorités de la « RMT ». Les parents se seraient entendu dire que s’ils n’obtempéraient pas ils seraient renvoyés de leur travail et même déchus de leurs droits parentaux. Consécutivement à ces pressions, de nombreux parents retirèrent leurs enfants de l’école en question pour les inscrire ailleurs.
49. Le 29 septembre 2004, à la suite de l’intervention de la mission de l’OSCE en Moldova, l’école put se faire enregistrer auprès de la « chambre d’enregistrement de Tiraspol » en tant qu’établissement scolaire privé étranger ; elle ne put cependant reprendre ses activités, faute de locaux. Le 2 octobre 2004, le régime de la « RMT » autorisa la réouverture de l’école dans un bâtiment qui avait auparavant abrité une maternelle. Ce bâtiment est loué auprès de la « RMT » et sa rénovation a été financée par l’Etat moldave. Les demandes répétées que l’établissement forma en vue de sa réintégration dans les locaux plus vastes et mieux adaptés de la rue Gagarine furent rejetées au motif qu’ils étaient désormais utilisés par une autre école. Selon les requérants, le bâtiment loué est inadéquat pour un établissement d’enseignement secondaire, en ce que l’éclairage, les couloirs et les salles de classe ne sont pas tout à fait adaptés et qu’il n’y a ni laboratoires ni installations sportives. L’école est gérée par le ministère moldave de l’Education, qui paye les salaires des enseignants et fournit le matériel scolaire. Il utilise l’alphabet latin et suit un programme moldave.
50. Les requérants déposèrent un certain nombre de demandes et de plaintes auprès des autorités de la Fédération de Russie. Le ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie répondit par des déclarations publiques de portée générale sur l’escalade du conflit relatif aux écoles de langue moldave/roumaine en Transnistrie. Affirmant que le problème fondamental était le conflit en cours entre la Moldova et la « RMT », le ministère en question attirait l’attention de la Moldova et de la « RMT » sur le fait que le recours à la force pour résoudre le différend risquait de mettre en péril la sécurité dans la région, et les engageait à recourir à divers types de négociations pour parvenir à un règlement. Les requérants se plaignirent aussi de leur situation auprès des autorités moldaves.
51. L’établissement scolaire devint la cible d’une campagne systématique de vandalisme, notamment de bris de fenêtres. Celle-ci débuta en 2004 selon les requérants, à l’automne 2007 d’après le gouvernement moldave. Le 10 avril 2008, le ministère moldave de la Réintégration pria le représentant spécial du Secrétaire général du Conseil de l’Europe d’intervenir pour tenter de faire cesser les attaques. Les requérants allèguent par ailleurs que les enfants étaient la cible d’actes d’intimidation de la part de la population russophone locale et avaient peur de parler moldave en dehors de l’école.
52. Le 16 juillet 2008, le ministère moldave de la Réintégration sollicita l’aide de la mission de l’OSCE en Moldova pour le transport et le passage de la « frontière » avec la « RMT » de matériel scolaire, de matériaux de construction et des fonds destinés au paiement des salaires des enseignants.
53. Pendant l’année scolaire 2002-2003, l’établissement comptait 683 élèves ; en 2008-2009, les effectifs étaient tombés à 345.
2. Caldare et autres (requête no 8252/05)
54. Les requérants sont vingt-six enfants qui fréquentaient l’établissement scolaire Alexandru cel Bun à Tighina (Bender) pendant la période considérée, et dix‑sept parents d’élèves (voir l’annexe). L’école était abritée dans des locaux situés rue Kosmodemianskaia, qui avaient été construits à l’aide de fonds publics moldaves et qui étaient loués auprès des autorités moldaves. Elle était enregistrée auprès du ministère moldave de l’Education, utilisait l’alphabet latin et suivait un programme approuvé par ce ministère.
55. Le 4 juin 2004, le « ministère de l’Education de la RMT » avertit l’école qu’elle serait fermée si elle ne se faisait pas enregistrer auprès de ses services, et que le chef d’établissement ferait l’objet de mesures disciplinaires. Le 18 juillet 2004, le raccordement de l’école à l’eau et à l’électricité fut coupé et, le 19 juillet 2004, l’administration scolaire fut informée qu’elle ne pourrait plus utiliser les locaux de la rue Kosmodemianskaia. Enseignants, élèves et parents d’élèves occupèrent cependant le bâtiment et refusèrent de le quitter. La police transnistrienne essaya en vain de reprendre possession des locaux ; elle finit par y renoncer et se retira le 28 juillet 2004. Le 20 septembre 2004, à l’issue de diverses négociations avec des observateurs internationaux, notamment des représentants du Conseil de l’Europe, le raccordement à l’eau et à l’électricité fut rétabli.
56. Le régime de la « RMT » autorisa la réouverture de l’école en septembre 2004, mais dans d’autres locaux, loués auprès des autorités de la « RMT ». A l’heure actuelle, l’établissement utilise trois bâtiments, situés dans des quartiers distincts de la ville. Le bâtiment principal ne comporte ni cantine ni salles de sciences ou aménagements sportifs, et il n’est pas desservi par les transports publics. Le gouvernement moldave a fourni à l’école un bus et des ordinateurs ; par ailleurs, il a financé la rénovation des installations sanitaires de l’un des bâtiments.
57. Les requérants ont déposé un certain nombre de demandes et de plaintes auprès des autorités russes et moldaves.
58. En 2002-2003, l’établissement comptait 1 751 élèves ; en 2008‑2009, ils étaient au nombre de 901.
3. Cercavschi et autres (requête no 18454/06)
59. Les requérants sont quarante-six enfants qui fréquentaient l’établissement scolaire Ştefan cel Mare à Grigoriopol pendant la période considérée, et cinquante parents d’élèves (voir l’annexe).
60. En 1996, à la demande des parents et de leurs enfants, l’école, qui suivait un programme utilisant l’alphabet cyrillique, effectua un certain nombre de démarches auprès des autorités de la « RMT » afin d’être autorisée à employer l’alphabet latin. A la suite de cela, la « RMT » orchestra entre 1996 et 2002 une campagne faite d’articles de presse hostiles, d’intimidations et de menaces proférées par les forces de l’ordre. Ces mesures atteignirent leur paroxysme le 22 août 2002, lorsque la police transnistrienne prit d’assaut l’école et expulsa les enseignants, les élèves et les parents d’élèves qui s’y trouvaient. Le 28 août 2002, le président du comité des élèves fut arrêté ; il fut condamné à une peine de quinze jours de détention administrative. Après ces incidents, 300 élèves quittèrent l’école.
61. En réaction à l’occupation du bâtiment par le régime de la « RMT », le ministère moldave de l’Education décida de transférer provisoirement l’école dans un bâtiment de Doroţcaia, village situé à environ vingt kilomètres de Grigoriopol et contrôlé par la Moldova. Tous les jours, les élèves et les enseignants étaient conduits à Doroţcaia dans des autocars fournis par le gouvernement moldave. Ils étaient soumis à la fouille des sacs et à des contrôles d’identité par des fonctionnaires de la « RMT » ; à leurs dires, ils subissaient en outre des actes de harcèlement tels que des crachats et des injures.
62. Les représentants de l’école ont accompli un certain nombre de démarches et ont dénoncé la situation auprès de l’OSCE, de l’Organisation des Nations unies et des autorités russes et moldaves. En réponse, les autorités russes ont engagé tant la Moldova que la « RMT » à recourir à divers types de négociations pour résoudre le conflit. Quant aux autorités moldaves, elles ont déclaré aux requérants qu’elles ne pouvaient rien faire d’autre pour les aider.
63. En 2000-2001, l’école comptait 709 élèves ; en 2008-2009, ils étaient au nombre de 169.
II. RAPPORTS D’ORGANISATIONS INTERGOUVERNEMENTALES ET NON GOUVERNEMENTALES
A. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
64. Le 16 septembre 2005, la Commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (Commission de suivi) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) rendit un rapport sur le « fonctionnement des institutions démocratiques en Moldova ». La partie consacrée à la Transnistrie se lit ainsi :
« 31. Pendant les derniers mois se sont produits de nouveaux développements très importants que l’Assemblée devrait suivre de très près et accompagner du mieux possible.
32. A la suite des intenses négociations diplomatiques entre la Moldova et l’Ukraine, le président ukrainien, M. Iouchtchenko a annoncé, lors du Sommet du GUAM à Chisinau le 22 avril, une initiative en 7 points pour résoudre le conflit en Transnistrie. Ce nouveau plan cherche principalement à établir un règlement durable au moyen de la démocratisation de la Transnistrie. Ceci nécessitera en particulier :
– la création des conditions nécessaires au développement de la démocratie, de la société civile et d’un système multipartiste en Transnistrie ;
– la tenue d’élections libres et démocratiques au Soviet suprême de Transnistrie sous la supervision de l’Union européenne, de l’OSCE, du Conseil de l’Europe, de la Russie, des Etats-Unis et d’autres pays démocratiques dont l’Ukraine ;
– la transformation des modalités actuelles de l’opération de maintien de la paix en une mission internationale composée d’observateurs militaires et civils et placée sous l’égide de l’OSCE, et l’augmentation du nombre d’observateurs militaires ukrainiens dans la région ;
– l’accueil par les autorités transnistriennes d’une mission internationale de contrôle, avec la participation d’experts ukrainiens, dans les entreprises militaro‑industrielles de la zone transnistrienne ;
– l’organisation d’une mission à court terme de l’OSCE en Ukraine afin de contrôler la circulation des biens et des personnes à la frontière entre l’Ukraine et la Moldova.
33. Le texte complet du plan ukrainien a été présenté les 16 et 17 mai lors d’une réunion des représentants des médiateurs de la Moldova et de la Transnistrie, qui a eu lieu à Vinnitsa (Ukraine), après que le Secrétaire ukrainien du Conseil de sécurité, M. Pyotr Poroshenko, et le représentant du président moldove, M. Mark Tkachuk, eurent fait la « navette diplomatique » pendant près d’un mois.
34. Ce plan a suscité des réactions diverses mais prudemment positives.
35. Le 10 juin, le parlement moldove a adopté une déclaration sur l’initiative de l’Ukraine dans le problème du règlement du conflit en Transnistrie, ainsi que deux appels, l’un sur la démilitarisation et l’autre sur la promotion des critères de démocratisation de la zone transnistrienne de la République de Moldova (...).
36. La déclaration salue l’initiative du président Iouchtchenko, en espérant qu’elle devienne « un pas essentiel sur la voie de la consolidation de l’unité territoriale de notre Etat ». Le parlement, cependant, regrette que l’initiative ukrainienne ne tienne pas compte de certains principes de règlement importants, en premier lieu l’évacuation des troupes russes, mais aussi la démilitarisation, les principes et conditions de démocratisation de la région et l’institution d’un contrôle transparent et légal du segment transnistrien de la frontière moldo-ukrainienne. Il appelle la communauté internationale et l’Ukraine à engager des efforts supplémentaires à cet égard.
37. Le parlement critique aussi un certain nombre de dispositions qui risquent, à son avis, de « porter atteinte à la souveraineté de la République de Moldova », notamment l’idée de participation de la Transnistrie à la conduite de la politique étrangère de la République de Moldova et la proposition de créer un « comité de conciliation ». Le parlement insiste sur la résolution du conflit dans le cadre de la constitution moldove, au moyen d’un dialogue avec les nouveaux dirigeants démocratiquement élus de la Transnistrie. Il y a donc certaines divergences entre l’initiative ukrainienne et l’approche choisie par la Moldova pour mettre le plan en œuvre.
38. Les médiateurs du conflit transnistrien (l’OSCE, la Russie et l’Ukraine) ont déclaré que le plan représente un pas en avant concret sur la voie d’un règlement. Lors de leur dernière réunion, ils ont appelé à la reprise d’un dialogue direct et continu pour la résolution du conflit.
39. La position de la Russie, cependant, est plus complexe. Il est clair en effet que ce pays, en raison de sa présence économique et militaire et de ses liens culturels et linguistiques étroits avec la Transnistrie et sa population, souhaite conserver une forte influence sur le territoire. La presse a rapporté récemment l’existence d’un « plan d’action pour le maintien de l’influence russe en République de Moldova », dont les détails sont restés secrets. La Russie est encore fortement attachée au « Mémorandum de Kozak » de 2003, qui proposait à la Moldova d’adopter une solution fédérale. La Moldova, qui avait pratiquement accepté ce mémorandum, a refusé de le signer au dernier moment, sous l’influence des pays occidentaux.
40. Plusieurs signes de tension sont apparus au cours des derniers mois. Le 18 février, par exemple, la Douma d’Etat de la Fédération de Russie a adopté à une forte majorité une résolution demandant au gouvernement russe de mettre en place un certain nombre de sanctions économiques ou autres contre la Moldova, à l’exclusion de la Transnistrie, si les autorités moldoves maintiennent le « blocus économique de la Transnistrie ». Les sanctions en question comprenaient l’interdiction des importations d’alcool et de tabac moldoves, le relèvement au prix du marché mondial des exportations de gaz naturel russe vers la Moldova et l’imposition de visas aux nationaux moldoves entrant en Russie.
41. Les deux appels adoptés par le parlement moldove demandent l’appui du Conseil de l’Europe et, en particulier, sa participation active au processus de démocratisation de la Transnistrie. Lors de notre visite à Chisinau, nos interlocuteurs ont souligné de manière répétée l’importance qu’ils attachent à l’expertise et à l’expérience de notre Organisation à cet égard. Les documents adoptés par le parlement moldove ont été officiellement soumis par son président à la commission de suivi « pour examen dans le cadre de l’exercice de suivi concernant la Moldova » et pour « analyse, commentaires et recommandations et afin de recueillir les idées de l’Assemblée parlementaire en vue de la démocratisation de la zone transnistrienne et du règlement final du conflit ».
42. A première vue, le plan ukrainien devrait être suivi de très près par le Conseil de l’Europe, en tant qu’organisation principale dans le domaine de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit. C’est pourquoi la commission nous a demandé de nous rendre à Kiev, Moscou, Bucarest et Bruxelles afin de rencontrer les personnalités compétentes en charge du plan ukrainien et de nous informer de ses détails. Ces informations nous permettront ensuite de proposer des mesures spécifiques en vue d’une participation efficace de l’Assemblée à l’évolution de ce dossier.
43. Il y a plusieurs points d’interrogation sur les modalités de mise en œuvre du plan ukrainien et des conditions posées par le parlement moldove. Toutefois, compte tenu de l’échec de toutes les tentatives diplomatiques antérieures, ce plan présente un avantage important. Il combine en effet des efforts diplomatiques et des mesures spécifiques de démocratisation en Transnistrie mais aussi en Moldova, qui doit donner l’exemple. Cette initiative intervient aussi au bon moment car elle coïncide avec un mouvement puissant en faveur de la démocratisation et de l’intégration européenne dans l’ensemble de la région.
44. La Moldova amputée dans son intégrité territoriale et sa souveraineté – mais aussi l’Europe dans son ensemble – ne peut plus se permettre de laisser subsister ce « trou noir » sur son espace. La Transnistrie est le centre de toutes sortes de trafics illégaux, en premier lieu le trafic d’armes et de toutes activités de contrebande. La police secrète continue à exercer un contrôle dominant sur la vie politique ; les libertés et droits fondamentaux sont soumis à des restrictions.
45. L’un des problèmes les plus difficiles concerne la possibilité d’organiser des élections démocratiques en Transnistrie. Pour cela, la région a besoin de partis politiques, de médias et d’une société civile fonctionnant en toute liberté. Les élections locales du 27 mars en Transnistrie (élections des conseils de village, de localité, de ville et de district, ainsi que des présidents des conseils de village et de localité) ont montré qu’il n’existe toujours pas d’opposition forte et véritable en Transnistrie. Ces élections étaient d’ailleurs considérées comme un test en vue de l’élection des membres du Soviet suprême de Transnistrie, prévue en décembre 2005.
46. Certains développements intéressants doivent être notés cependant, en particulier ceux qui ont été initiés par un groupe de membres du Soviet suprême dirigés par le président adjoint du Soviet, M. Evgeny Shevchuk[[1]]. Le 29 avril, ce groupe a pris l’initiative de plusieurs projets ambitieux d’amendement de la « constitution » transnistrienne visant à renforcer le rôle du « parlement » à l’égard du « président » et de l’exécutif, par exemple en lui reconnaissant le droit de refuser la confiance aux « ministres » ou à d’autres officiels nommés par le « président » et le droit de contrôler le travail et les dépenses de l’exécutif. Quelques changements de portée plus modeste, ainsi que le projet de loi sur l’administration locale stipulant que les présidents des « raïons » [districts] et des conseils municipaux doivent être élus par les conseils à bulletin secret, ont été adoptés en première lecture le 18 mai. M. Shevchuk soutient aussi une initiative législative visant à transformer la chaîne officielle de télévision de la région (« TV PM. ») en un établissement public de radiodiffusion.
47. Le 22 juin, le Soviet suprême a recommandé le renvoi du « ministre » de la justice, M. Victor Balala, par le « président », M. Smirnov. M. Balala, qui est l’un des plus proches alliés du « président », a récemment décidé de transférer les fonctions d’accréditation de son « ministère » à une « chambre d’experts » présentant un caractère quasiment lucratif.
48. Le 22 juillet, le parlement moldove a approuvé en seconde lecture la loi relative aux principales dispositions du statut juridique spécial des localités situées sur la rive gauche de la Dniestr (Transnistrie). Cette loi crée une unité territoriale autonome faisant partie inséparable de la Moldova et pouvant décider des questions placées sous sa juridiction, en vertu des pouvoirs qui lui sont reconnus par la constitution et la législation moldoves. Elle stipule également que des référendums locaux seront organisés, dans le respect de la législation moldove, pour permettre aux localités situées sur la rive gauche de la Dniestr de décider si elles souhaitent faire partie ou non de l’unité autonome de Transnistrie. »
65. Sur la base de ce rapport, l’APCE adopta une résolution dans laquelle elle déclarait notamment :
« 10. L’Assemblée salue la reprise des négociations à la suite de l’initiative optimiste de l’Ukraine visant à régler le conflit transnistrien en priorité par la démocratisation. Elle souhaite que le format actuel à cinq (impliquant la Moldova, la région de Transnistrie, la Fédération de Russie, l’Ukraine et l’OSCE (...)) soit élargi également au Conseil de l’Europe. Elle insiste sur la nécessité d’un contrôle efficace de la frontière entre la Moldova et l’Ukraine, des stocks d’armes et de la production des usines d’armement. L’Assemblée souhaite que ses rapporteurs, compte tenu de leur expertise, soient associés à toutes ces démarches.
11. Le règlement du conflit transnistrien doit partir du principe intangible du plein respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de la République de Moldova. Dans un Etat de droit, toute solution passe par la volonté exprimée par le peuple à l’occasion d’élections véritablement libres et démocratiques, dont la mise en œuvre appartient aux autorités internationalement reconnues. »
B. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
66. Dans son rapport annuel de 2004, l’OSCE évoquait comme suit les événements survenus en Transnistrie :
« (...) L’événement le plus déstabilisateur a cependant été constitué par la décision prise à la mi-juillet par la Transnistrie de fermer les écoles moldaves situées sur son territoire qui enseignent en alphabet latin. En réponse, la partie moldave a suspendu sa participation aux négociations pentapartites pour un règlement politique.
Conjointement avec les comédiateurs de la Fédération de Russie et de l’Ukraine, la Mission a déployé beaucoup d’efforts depuis la mi-juillet jusque bien avant dans l’automne pour remédier à la crise scolaire et pour trouver une solution et l’appliquer. Elle s’est également efforcée de dissiper les tensions entre les parties au sujet de la liberté de mouvement, des terres agricoles et des chemins de fer (...) »
Toujours en 2004, l’OSCE observait également :
« Un seul train contenant environ 1 000 tonnes de munitions a quitté les dépôts du Groupe opérationnel des forces russes en Transnistrie en 2004. Il reste encore environ 21 000 tonnes de munitions à enlever, ainsi que plus de 40 000 armes légères et de petit calibre et environ 10 trains d’équipements militaires divers. La Mission a continué à coordonner l’assistance technique et financière fournie à la Fédération de Russie pour ces activités. »
67. Dans son rapport annuel de 2005, l’OSCE déclarait :
« La Mission a axé ses efforts sur la relance des négociations pour un règlement politique, qui étaient dans l’impasse depuis l’été 2004. Les médiateurs de la Fédération de Russie, de l’Ukraine et de l’OSCE ont tenu des consultations avec les représentants de Chisinau et de Tiraspol en janvier, en mai et en septembre. A la réunion de mai, l’Ukraine a présenté le plan de règlement du Président Viktor Youchtchenko intitulé Vers un règlement par le biais de la démocratisation. Cette initiative prévoit une démocratisation de la région transnistrienne grâce à des élections à l’organe législatif régional sous le contrôle de la communauté internationale en même temps que des mesures propres à favoriser la démilitarisation, la transparence et le renforcement de la confiance.
En juillet, le Parlement moldave, citant le plan ukrainien, a adopté une loi sur les principes fondamentaux d’un statut juridique spécial de la Transnistrie. Au cours des consultations tenues en septembre à Odessa, Chisinau et Tiraspol sont convenus d’inviter l’Union européenne et les Etats-Unis à participer aux négociations en qualité d’observateurs. Les négociations formelles ont repris dans un cadre élargi en octobre après une interruption de 15 mois. Une autre série de négociations était prévue en décembre, à la suite de la réunion du Conseil ministériel de l’OSCE à Ljubljana. Le 15 décembre, les Présidents de l’Ukraine et de la Fédération de Russie, Viktor Youchtchenko et Vladimir Poutine, ont publié une déclaration commune dans laquelle ils se sont félicités de la reprise des négociations pour un règlement du conflit transnistrien.
En septembre, les Présidents Voronine et Youchtchenko ont demandé conjointement au Président en exercice de l’OSCE d’envisager d’envoyer une mission internationale d’évaluation pour analyser les conditions démocratiques en Transnistrie et les mesures nécessaires pour tenir des élections démocratiques dans la région. Parallèlement, la mission de l’OSCE a procédé à des consultations et à des analyses techniques sur les conditions fondamentales à réunir pour des élections démocratiques dans la région transnistrienne, conformément à ce qui était proposé dans le plan Youchtchenko. Lors de la série de négociations d’octobre, il a été demandé à la présidence de l’OSCE de poursuivre les consultations au sujet de la possibilité d’envoyer une mission internationale d’évaluation dans la région transnistrienne.
De concert avec des experts militaires de la Fédération de Russie et de l’Ukraine, la mission de l’OSCE a achevé de mettre au point un ensemble de mesures de confiance et de sécurité qui a été présenté aux trois médiateurs en juillet. La Mission a ensuite engagé des consultations sur cet ensemble de mesures avec des représentants de Chisinau et de Tiraspol. Lors des négociations d’octobre, on s’est félicité de la possibilité qu’offrirait l’échange mutuel de données militaires, envisagé dans certains éléments de cet ensemble, de progresser dans le renforcement de la transparence. »
Sur la question du retrait militaire russe, l’OSCE observait :
« Il n’y a eu aucun retrait d’armements et d’équipements russes de la région transnistrienne en 2005. Environ 20 000 tonnes de munitions doivent encore être retirées. Le commandant du Groupe opérationnel des forces russes a signalé en mai que des stocks excédentaires de 40 000 armes légères et de petit calibre entreposées par les forces russes dans la région transnistrienne avaient été détruits. L’OSCE n’a pas été autorisée à vérifier ces dires. »
68. En 2006, l’OSCE rapporta ce qui suit :
« Le référendum du 17 septembre sur « l’indépendance » et les « élections présidentielles » du 10 décembre en Transnistrie – qui n’ont été ni reconnus ni observés par l’OSCE – ont déterminé le cadre politique de ces travaux (...)
Afin de stimuler les négociations en vue d’un règlement, la Mission a élaboré, au début de 2006, des documents dans lesquels elle suggérait : une délimitation possible des compétences entre autorités centrales et régionales ; un mécanisme d’observation des entreprises du complexe militaro-industriel transnistrien ; un plan pour l’échange de données militaires ; ainsi qu’une mission pour évaluer les conditions et formuler des recommandations en vue de la tenue d’élections démocratiques en Transnistrie. Toutefois, la partie transnistrienne a refusé de poursuivre les négociations après l’introduction, en mars, de nouvelles dispositions douanières pour les exportations transnistriennes et aucun progrès n’a donc pu être accompli en ce qui concerne, notamment, ces projets. Les tentatives de sortir de cette impasse par des consultations entre les médiateurs (OSCE, Fédération de Russie et Ukraine) et les observateurs (Union européenne et Etats-Unis d’Amérique) en avril, mai et novembre, ainsi que les consultations menées par les médiateurs et les observateurs avec chacune des parties séparément en octobre, sont restées vaines (...)
Le 13 novembre, un groupe de 30 chefs de délégation de l’OSCE et de membres de la Mission de l’OSCE ont pu accéder, pour la première fois depuis mars 2004, au dépôt de munitions de la Fédération de Russie situé à Colbasna, près de la frontière entre la Moldavie et l’Ukraine en Transnistrie septentrionale. Il n’y a toutefois pas eu de retraits de munitions ou d’équipements russes de Transnistrie en 2006 et plus de 21 000 tonnes de munitions restent entreposées dans la région (...) »
69. Le rapport annuel de 2007 relevait ceci :
« Les médiateurs du processus de règlement du conflit transnistrien, à savoir la Fédération de Russie, l’Ukraine et l’OSCE, ainsi que les observateurs, à savoir l’Union européenne et les Etats-Unis, se sont réunis à quatre reprises. Les médiateurs et les observateurs se sont réunis de façon informelle avec les parties moldave et transnistrienne une fois en octobre. Toutes ces réunions visaient essentiellement à trouver des moyens de relancer les négociations officielles en vue d’un règlement, qui n’ont cependant pas repris (...)
La Mission a constaté qu’il n’y a pas eu de retraits de munitions ou d’équipements russes en 2007. Le Fonds volontaire dispose de ressources suffisantes pour achever les tâches de retrait. »
70. Le rapport de 2008 comportait le passage suivant :
« Le Président moldave, Vladimir Voronine, et le dirigeant transnistrien, Igor Smirnov, se sont rencontrés en avril pour la première fois depuis sept ans, puis à nouveau le 24 décembre. Les médiateurs (OSCE, Fédération de Russie et Ukraine) et les observateurs (Union européenne et Etats-Unis) se sont rencontrés cinq fois. Les parties, les médiateurs et les observateurs ont tenu cinq réunions informelles. Malgré cette activité diplomatique menée notamment par la Mission, les négociations officielles à « 5+2 » n’ont pas repris (...)
Il n’a été effectué, en 2008, aucun retrait de munitions ou de matériels russes de Transnistrie. Le Fonds volontaire dispose de moyens suffisants pour mener à bien ce retrait. »
C. Les organisations internationales non gouvernementales
71. Dans son rapport du 17 juin 2004 intitulé « Moldavie : tensions régionales autour de la Transnistrie » (Europe rapport no 157), l’organisation non gouvernementale International Crisis Group (ICG) relevait (extrait du résumé) :
« Le soutien russe à la République Moldave de Transnistrie (RMT), autoproclamée et officiellement non reconnue, a empêché toute résolution du conflit et inhibé les avancées de la Moldavie en faveur d’une intégration plus large aux structures économiques et politiques européennes. Lors de ses récentes tentatives, largement unilatérales, l’action de la Russie en vue de résoudre le conflit avait presque des relents de « Guerre Froide ». En dépit d’un discours rassurant sur les relations Russie‑UE et la coopération américano-russe en matière de résolution de conflit et de maintien de la paix dans le cadre des Nouveaux Etats Indépendants de l’ex-Union Soviétique (NIS), les vieilles habitudes ne se perdent pas facilement. La Russie voit d’un mauvais œil un rôle actif de l’UE, des Etats-Unis ou de l’Organisation de Sécurité et de Coopération Européenne (OSCE) en matière de résolution de conflit dans la mesure où nombreux sont ceux à Moscou qui perçoivent encore la Moldavie comme appartenant à la sphère géopolitique d’influence russe.
La Russie n’a pas eu beaucoup de difficultés à exploiter l’instabilité politique et économique de la Moldavie à son profit. Bien qu’ayant accepté des dates limites concrètes pour le retrait de ses troupes, la Russie n’a pas cessé de rétropédaler tout en essayant d’imposer un règlement politique qui lui aurait permis, à travers des dispositions constitutionnelles partiales, de maintenir son influence dans l’élaboration des politiques moldaves et de prolonger sa présence militaire en guise de force de maintien de la paix. Jusqu’ici, elle a refusé d’user de son influence auprès des dirigeants de la RMT en faveur d’une approche de résolution de conflit capable de prendre en compte les intérêts légitimes de toutes les parties.
Les milieux d’affaires ukrainiens et moldaves sont devenus des adeptes d’un usage de l’économie parallèle en RMT à des fins personnelles, en prenant part régulièrement aux exportations illégales et autres pratiques illicites. Certains ont usé de leur influence politique pour empêcher, retarder et faire obstruction aux décisions susceptibles de forcer les dirigeants de la RMT à transiger en faveur d’une suppression des taxes et régulations douanières favorables aux exportations illégales, de la mise en place de frontières et de contrôles douaniers efficaces, et de la collecte de droits et taxes au niveau des « frontières » intérieures.
Fort du soutien des élites économiques russes, ukrainiennes et moldaves, les autorités de la RMT sont devenues plus péremptoires. Conscientes qu’une reconnaissance internationale n’est pas pour demain, elles se sont consacrées à préserver une indépendance de facto à travers une confédération vague avec la Moldavie. Malheureusement, les dirigeants de la RMT (profitant des contradictions existant entre les systèmes fiscaux et douaniers de la Moldavie et de la RMT) continuent de tirer profit des activités économiques légales et illégales, notamment des exportations illégales, de la contrebande et de la fabrication d’armes.
La RMT est devenue un acteur averti avec ses propres intérêts et stratégies, possédant une marge de manœuvre politique indépendante limitée mais disposant d’un important carnet de contacts sur le plan économique et d’autres liens à travers la Russie, la Moldavie et l’Ukraine. Toutefois, elle demeure largement dépendante du soutien politique et économique russe et n’aime guère se retrouver en porte-à-faux vis-à-vis de la politique russe. Les intérêts russes et [de la RMT] sont souvent imbriqués, quoique dans certaines circonstances les dirigeants de la [RMT] ont su concevoir et appliquer des stratégies afin d’éviter la pression russe, retarder des négociations, saper certaines initiatives et politiques russes en jouant sur les désaccords existant entre les co-médiateurs ainsi qu’en misant sur des sources alternatives de soutien extérieur.
La dernière tentative russe de résolution en date (le Memorandum Kozak d’octobre-novembre 2003) a montré que son influence, certes prépondérante, connaît ses limites. La Russie n’est pas en mesure d’avancer un règlement sans le soutien de la Moldavie et de la communauté internationale, notamment sans celui des acteurs clés tels que l’OSCE, l’UE et les Etats-Unis. Un règlement politique global exige une approche capable d’aplanir les divergences entre la Russie et les autres acteurs principaux, tout en prenant en compte équitablement les intérêts du gouvernement moldave et de la RMT.
Sans chercher à contrarier la Russie, l’attraction gravitationnelle qu’exerce l’intégration européenne est forte en Moldavie. Même ses dirigeants communistes ont récemment souligné la nécessité de faire davantage pour atteindre cet objectif. Le pays a généralement été absent des écrans de radar occidentaux au cours de cette dernière décennie, pourtant le soutien américain et européen devra se faire plus démonstratif pour résister aux obstructions de la Transnistrie au processus de négociations ainsi qu’au soutien politique et matériel que la Russie apporte à la RMT. Les acteurs internationaux doivent également aider la Moldavie à protéger ses propres frontières des activités économiques illicites qui maintiennent à flot la Transnistrie et affectent aussi ses voisins européens.
Le conflit ne peut être résolu que dans la mesure où la communauté internationale joue de son influence sur la Russie en bilatéral ainsi qu’au sein de l’OSCE. Seulement alors, la Moldavie pourra réaliser ses aspirations européennes à condition cependant qu’elle démontre un engagement plus substantiel en faveur d’une réforme politique, économique et administrative. L’élaboration d’une stratégie globale à l’égard de la Moldavie, de l’Ukraine et de la Russie, dans le cadre de la politique européenne de l’UE élargie serait une première étape indispensable. »
72. Dans son rapport du 17 août 2006 intitulé « L’avenir incertain de la Moldova » (Europe rapport no 175), l’ICG observait (extrait du résumé) :
[Traduction du greffe]
« Avec l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne, prévue pour 2007, l’UE aura une frontière commune avec la Moldova, Etat faible divisé par un conflit et rongé par la corruption et le crime organisé. Les dirigeants de la Moldova ont exprimé le souhait d’adhérer à l’UE, mais leur attachement aux valeurs européennes est suspect et les efforts déployés pour régler le conflit avec la région sécessionniste de Transnistrie n’ont pas permis de sortir de la dommageable impasse qui perdure depuis quinze ans. Les jeunes n’ont guère confiance en l’avenir du pays, qu’ils quittent dans une proportion alarmante. Pour que la Moldova puisse devenir un élément stable du voisinage de l’UE, il faudrait un engagement international bien plus fort non seulement pour résoudre le conflit, mais aussi pour encourager des réformes nationales aptes à rendre le pays plus attrayant pour ses citoyens.
Deux initiatives récentes de l’UE et de l’Ukraine ont fait naître l’espoir d’un changement tangible dans l’équilibre des forces en jeu dans le conflit séparatiste. Une Mission d’assistance à la frontière de l’UE (EUBAM) lancée fin 2005 a contribué à diminuer la contrebande le long du segment transnistrien de la frontière entre la Moldova et l’Ukraine, pratique qui constitue une source essentielle de recettes pour les autorités de Tiraspol, capitale de la Transnistrie. En parallèle, la mise en application par Kiev d’un régime douanier historique devant aider la Moldova à réguler ses exportations transnistriennes a affaibli la capacité des entreprises de la région sécessionniste à opérer en dehors de tout contrôle moldave, ce qui a porté un coup psychologique crucial.
Cependant, l’optimisme né de l’idée que ces mesures finiraient par contraindre la Transnistrie à faire des concessions diplomatiques était semble-t-il infondé. Bien que l’EUBAM ait obtenu des résultats non négligeables, eu égard en particulier à la modestie de ses effectifs et de son budget, la contrebande à grande échelle sévit toujours. Le régime douanier ukrainien n’a pas non plus eu un effet déterminant sur les entreprises de Transnistrie, qui demeurent capables, comme par le passé, de se livrer de façon licite à un commerce lucratif. De plus, l’incertitude politique au niveau national pose la question de savoir si Kiev continuera à faire appliquer la nouvelle réglementation.
La Russie a renforcé son soutien en faveur de la Transnistrie en fournissant à celle‑ci une aide économique et en adoptant des mesures de rétorsion contre la Moldova, notamment un embargo sur les exportations de vin, l’une des principales sources de revenus du pays. Moscou refuse de retirer ses troupes stationnées en Transnistrie depuis l’époque soviétique, dont la présence permet de maintenir le statu quo. Fort du soutien de la Russie, M. Igor Smirnov, le dirigeant de la Transnistrie, n’est guère incité au compromis dans son aspiration à l’indépendance. Les négociations entre les deux parties avec médiation internationale ne mènent à rien, malgré la présence depuis 2005 de l’UE et des Etats-Unis en tant qu’observateurs. Alors que l’on était parvenu à un certain accord quant au niveau d’autonomie à prévoir dans le cadre d’un règlement, la Moldova a durci sa position pour faire face à l’intransigeance de la Transnistrie. »
73. Dans son rapport « Freedom in the World 2009 », l’organisation Freedom House faisait notamment les commentaires suivants :
[Traduction du greffe]
« En novembre 2003, la Moldova a rejeté, après qu’il eut suscité des protestations publiques, un plan de fédéralisation soutenu par la Russie. La dernière session de discussions multilatérales officielles a échoué début 2006, et au référendum sur la Transnistrie tenu en septembre 2006 les électeurs se sont massivement prononcés en faveur d’une évolution vers l’indépendance avec pour but ultime le rattachement à la Russie, mais la légitimité du scrutin n’a pas été reconnue par la Moldova et la communauté internationale.
En l’absence de négociations actives à « 5+2 », M. Voronine a mené des discussions bilatérales avec la Russie et pris un certain nombre de mesures pour mettre la politique étrangère de la Moldova en phase avec celle du Kremlin. Pendant une grande partie de l’année 2008, il a pressé la Russie d’accepter une proposition selon laquelle la Transnistrie se verrait conférer une importante autonomie au sein de la Moldova, une présence solide et unitaire au Parlement moldave, ainsi que le droit de faire sécession si la Moldova venait à s’unir à la Roumanie ; les droits de propriété russes seraient respectés, et les troupes russes seraient remplacées par des observateurs civils. M. Voronine a défendu ses « consultations » séparées avec la Russie en déclarant que tout règlement serait parachevé à « 5+2 ».
L’urgence de la question transnistrienne est montée d’un cran en août 2008, après que la Russie eut connu un bref conflit avec la Géorgie et reconnu l’indépendance de deux régions sécessionnistes de ce pays. Des dirigeants russes ont déclaré qu’ils n’avaient pas l’intention de reconnaître la RMT, mais ont conseillé à la Moldova de ne pas adopter l’attitude agressive de la Géorgie. Pour sa part, le gouvernement moldave a écarté toute comparaison et réitéré son engagement à mener des négociations pacifiques. Certains experts se sont inquiétés de ce que la Russie pourrait imposer à la Moldova un règlement rigoureux dans le cadre des discussions bilatérales, puis reconnaître la RMT en cas de rejet du plan.
Les relations entre M. Igor Smirnov, président de la Transnistrie, et M. Voronine sont restées tendues tout au long de l’année, le dirigeant moldave ayant en fait négocié dans le dos de M. Smirnov et clairement exprimé sa frustration au sujet des autorités de la RMT. Les deux hommes se sont rencontrés en avril pour la première fois depuis 2001, puis à nouveau en décembre. Quelques jours après la rencontre d’avril, M. Traian Basescu, président de la Roumanie, a indirectement évoqué la perspective d’une partition dans le cadre de laquelle l’Ukraine absorberait la Transnistrie et la Roumanie annexerait la Moldova proprement dite, ce qui a poussé M. Voronine à l’accuser de saboter les négociations. Entre-temps, M. Dmitri Medvedev, président de la Fédération de Russie, a rencontré M. Voronine et M. Smirnov séparément au cours de l’année.
(...)
Droits politiques et libertés civiles
Les habitants de la Transnistrie ne peuvent élire leurs dirigeants démocratiquement et ne peuvent participer librement aux élections moldaves (...)
La corruption et le crime organisé sont de graves problèmes en Transnistrie (...)
Le secteur des médias n’est pas libre (...)
La liberté de religion est limitée (...)
Plusieurs milliers d’élèves étudient certes le moldave en utilisant l’alphabet latin, mais cette pratique est toutefois restreinte. La langue moldave et l’alphabet latin sont associés au soutien en faveur de l’unité de la Moldova, tandis que le russe et l’alphabet cyrillique sont assimilés à des visées séparatistes. Les parents qui envoient leurs enfants dans des établissements scolaires utilisant l’alphabet latin, ainsi que les établissements eux-mêmes, sont systématiquement confrontés à des actes de harcèlement de la part des forces de l’ordre.
Les autorités appliquent des restrictions sévères à la liberté de réunion et délivrent rarement les autorisations requises pour les manifestations publiques (...)
L’ordre judiciaire est asservi à l’exécutif et accomplit généralement la volonté des autorités (...)
Les autorités font subir une discrimination aux personnes d’origine moldave, qui constituent environ 40 % de la population. On estime que, pris ensemble, les Russes et les Ukrainiens de souche représentent une faible majorité ; par ailleurs, pas moins d’un tiers des habitants de la région seraient titulaires d’un passeport russe. »
III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT
A. Textes juridiques internationaux concernant la responsabilité de l’Etat pour fait illicite
1. Le projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite
74. En août 2001, la Commission du droit international a adopté le projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite (le « projet d’articles »). Les articles 6 et 8 du chapitre II de ce texte énoncent :
Article 6 – Comportement d’un organe mis à la disposition de l’Etat par un autre Etat
« Le comportement d’un organe mis à la disposition de l’Etat par un autre Etat, pour autant que cet organe agisse dans l’exercice de prérogatives de puissance publique de l’Etat à la disposition duquel il se trouve, est considéré comme un fait du premier Etat d’après le droit international. »
Article 8 – Comportement sous la direction ou le contrôle de l’Etat
« Le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes est considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international si cette personne ou ce groupe de personnes, en adoptant ce comportement, agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de cet Etat. »
2. Jurisprudence de la Cour internationale de justice (CIJ)
75. Dans son avis consultatif sur les « Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité », la CIJ a déclaré ce qui suit au sujet de l’obligation que le droit international fait à un Etat responsable d’une situation irrégulière d’y mettre fin :
« 117. Etant parvenue à ces conclusions, la Cour en vient maintenant aux conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de 1’Afrique du Sud en Namibie, nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité. Quand un organe compétent des Nations Unies constate d’une manière obligatoire qu’une situation est illégale, cette constatation ne peut rester sans conséquence. Placée en face d’une telle situation, la Cour ne s’acquitterait pas de ses fonctions judiciaires si elle ne déclarait pas qu’il existe une obligation, pour les Membres des Nations Unies en particulier, de mettre fin à cette situation. A propos d’une de ses décisions, par laquelle elle avait déclaré qu’une situation était contraire à une règle de droit international, la Cour a dit : « Cette décision entraîne une conséquence juridique, celle de mettre fin à une situation irrégulière » (CIJ Recueil 1951, p. 82).
118. L’Afrique du Sud, à laquelle incombe la responsabilité d’avoir créé et prolongé une situation qui, selon la Cour, a été valablement déclarée illégale, est tenue d’y mettre fin. Elle a donc l’obligation de retirer son administration du territoire de la Namibie. Tant qu’elle laisse subsister cette situation illégale et occupe le territoire sans titre, l’Afrique du Sud encourt des responsabilités internationales pour violation persistante d’une obligation internationale. Elle demeure aussi responsable de toute violation de ses obligations internationales ou des droits du peuple namibien. Le fait que l’Afrique du Sud n’a plus aucun titre juridique l’habilitant à administrer le territoire ne la libère pas des obligations et responsabilités que le droit international lui impose envers d’autres Etats et qui sont liées à l’exercice de ses pouvoirs dans ce territoire. C’est l’autorité effective sur un territoire, et non la souveraineté ou la légitimité du titre, qui constitue le fondement de la responsabilité de 1’Etat en raison d’actes concernant d’autres Etats.
76. Dans l’affaire relative à l’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26 février 2007, la CIJ s’est prononcée comme suit sur la question de la responsabilité de l’Etat :
« 391. La première question que soulève une telle argumentation est de savoir si un Etat peut, en principe, se voir attribuer les comportements de personnes – ou de groupes de personnes – qui, sans avoir le statut légal d’organes de cet Etat, agissent en fait sous un contrôle tellement étroit de ce dernier qu’ils devraient être assimilés à des organes de celui-ci aux fins de l’attribution nécessaire à l’engagement de la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite. En vérité, la Cour a déjà abordé cette question, et lui a donné une réponse de principe, dans son arrêt du 27 juin 1986 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui‑ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) (fond, arrêt, CIJ Recueil 1986, p. 62‑64). Au paragraphe 109 de cet arrêt, la Cour a indiqué qu’il lui appartenait de
« déterminer si les liens entre les contras et le Gouvernement des Etats-Unis étaient à tel point marqués par la dépendance d’une part et l’autorité de l’autre qu’il serait juridiquement fondé d’assimiler les contras à un organe du Gouvernement des Etats-Unis ou de les considérer comme agissant au nom de ce gouvernement » (p. 62).
Puis, examinant les faits à la lumière des informations dont elle disposait, la Cour a relevé qu’« il n’[était] pas clairement établi que [les Etats-Unis] exer[çai]ent en fait sur les contras dans toutes leurs activités une autorité telle qu’on [pût] considérer les contras comme agissant en leur nom » (par. 109), avant de conclure que « les éléments dont [elle] dispos[ait] (...) ne suffis[ai]ent pas à démontrer [la] totale dépendance [des contras] par rapport à l’aide des Etats-Unis », si bien qu’« il lui [était] (...) impossible d’assimiler, juridiquement parlant, la force contra aux forces des Etats-Unis » (p. 63, par. 110).
392. Il résulte des passages précités que, selon la jurisprudence de la Cour, une personne, un groupe de personnes ou une entité quelconque peuvent être assimilés – aux fins de la mise en œuvre de la responsabilité internationale – à un organe de l’Etat même si une telle qualification ne résulte pas du droit interne, lorsque cette personne, ce groupe ou cette entité agit en fait sous la « totale dépendance » de l’Etat, dont il n’est, en somme, qu’un simple instrument. En pareil cas, il convient d’aller au‑delà du seul statut juridique, pour appréhender la réalité des rapports entre la personne qui agit et l’Etat auquel elle se rattache si étroitement qu’elle en apparaît comme le simple agent : toute autre solution permettrait aux Etats d’échapper à leur responsabilité internationale en choisissant d’agir par le truchement de personnes ou d’entités dont l’autonomie à leur égard serait une pure fiction.
393. Cependant, une telle assimilation aux organes de l’Etat de personnes ou d’entités auxquelles le droit interne ne confère pas ce statut ne peut que rester exceptionnelle ; elle suppose, en effet, que soit établi un degré particulièrement élevé de contrôle de l’Etat sur les personnes ou entités en cause, que l’arrêt précité de la Cour a caractérisé précisément comme une « totale dépendance » (...) »
Tout en précisant que la Serbie n’était pas directement responsable du génocide survenu pendant la guerre de Bosnie de 1992-1995, la CIJ a néanmoins conclu que la Serbie avait manqué à son obligation positive de prévenir le génocide, en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, en ce qu’elle n’avait pas pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir pour empêcher le génocide commis à Srebrenica en juillet 1995 et n’avait pas transféré Ratko Mladić, accusé de génocide et de complicité de génocide, au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie afin qu’il fût jugé.
B. Dispositions conventionnelles concernant le droit à l’éducation
1. La Déclaration universelle des droits de l’homme (1948)
77. L’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme énonce :
« 1. Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite.
2. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. »
2. La Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement (1960)
78. Adoptée par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture lors de sa 11e session (octobre-décembre 1960), cette Convention dispose en ses articles 1, 3 et 5 :
Article premier
« 1. Aux fins de la présente Convention, le terme « discrimination » comprend toute distinction, exclusion, limitation ou préférence qui, fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la condition économique ou la naissance, a pour objet ou pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de traitement en matière d’enseignement et, notamment :
a) d’écarter une personne ou un groupe de l’accès aux divers types ou degrés d’enseignement ;
b) de limiter à un niveau inférieur l’éducation d’une personne ou d’un groupe ;
c) sous réserve de ce qui est dit à l’article 2 de la présente Convention, d’instituer ou de maintenir des systèmes ou des établissements d’enseignement séparés pour des personnes ou des groupes ; ou
d) de placer une personne ou un groupe dans une situation incompatible avec la dignité de l’homme.
2. Aux fins de la présente Convention, le mot « enseignement » vise les divers types et les différents degrés de l’enseignement et recouvre l’accès à l’enseignement, son niveau et sa qualité, de même que les conditions dans lesquelles il est dispensé. »
Article 3
« Aux fins d’éliminer et de prévenir toute discrimination au sens de la présente Convention, les Etats qui y sont parties s’engagent à :
a) abroger toutes dispositions législatives et administratives et à faire cesser toutes pratiques administratives qui comporteraient une discrimination dans le domaine de l’enseignement ;
(...) »
Article 5
« 1. Les Etats parties à la présente Convention conviennent :
a) que l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et qu’elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix ; »
3. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966)
79. L’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est ainsi libellé :
« 1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l’éducation. Ils conviennent que l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l’éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.
2. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent qu’en vue d’assurer le plein exercice de ce droit :
a) l’enseignement primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à tous ;
b) l’enseignement secondaire, sous ses différentes formes, y compris l’enseignement secondaire technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité ;
c) l’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité ;
d) l’éducation de base doit être encouragée ou intensifiée, dans toute la mesure possible, pour les personnes qui n’ont pas reçu d’instruction primaire ou qui ne l’ont pas reçue jusqu’à son terme ;
e) il faut poursuivre activement le développement d’un réseau scolaire à tous les échelons, établir un système adéquat de bourses et améliorer de façon continue les conditions matérielles du personnel enseignant.
3. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales qui peuvent être prescrites ou approuvées par l’Etat en matière d’éducation, et de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants, conformément à leurs propres convictions.
4. Aucune disposition du présent article ne doit être interprétée comme portant atteinte à la liberté des individus et des personnes morales de créer et de diriger des établissements d’enseignement, sous réserve que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient observés et que l’éducation donnée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales qui peuvent être prescrites par l’Etat. »
4. La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1966)
80. L’article 5 de cette Convention des Nations unies dispose, en ses parties pertinentes en l’espèce :
« Conformément aux obligations fondamentales énoncées à l’article 2 de la présente Convention, les Etats parties s’engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toutes ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants :
(...)
e) droits économiques, sociaux et culturels, notamment :
(...)
v. droit à l’éducation et à la formation professionnelle ; »
5. La Convention relative aux droits de l’enfant (1989)
81. Les articles 28 et 29 de cette Convention des Nations unies énoncent :
Article 28
« 1. Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances :
a) ils rendent l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ;
b) ils encouragent l’organisation de différentes formes d’enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées, telles que l’instauration de la gratuité de l’enseignement et l’offre d’une aide financière en cas de besoin ;
c) ils assurent à tous l’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés ;
d) ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l’information et l’orientation scolaires et professionnelles ;
e) ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d’abandon scolaire.
2. Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention.
3. Les Etats parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans le domaine de l’éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l’ignorance et l’analphabétisme dans le monde et de faciliter l’accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux méthodes d’enseignement modernes. A cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement. »
Article 29
« 1. Les Etats parties conviennent que l’éducation de l’enfant doit viser à :
a) favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et des ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;
b) inculquer à l’enfant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies ;
c) inculquer à l’enfant le respect de ses parents, de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne ;
d) préparer l’enfant à assumer les responsabilités de la vie dans une société libre, dans un esprit de compréhension, de paix, de tolérance, d’égalité entre les sexes et d’amitié entre tous les peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes d’origine autochtone ;
e) inculquer à l’enfant le respect du milieu naturel.
2. Aucune disposition du présent article ou de l’article 28 ne sera interprétée d’une manière qui porte atteinte à la liberté des personnes physiques ou morales de créer et de diriger des établissements d’enseignement, à condition que les principes énoncés au paragraphe 1 du présent article soient respectés et que l’éducation dispensée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales que l’Etat aura prescrites. »
EN DROIT
82. Les requérants se plaignent de la fermeture forcée de leurs écoles par les autorités de la « RMT » et des mesures de harcèlement et d’intimidation qu’ils accusent les autorités d’avoir prises contre eux parce qu’ils avaient choisi de continuer à s’instruire, ou à faire instruire leurs enfants, dans des établissements scolaires dispensant un enseignement en moldave/roumain. La Cour doit tout d’abord déterminer si, concernant les faits incriminés, les requérants relèvent de la juridiction de l’un des Etats défendeurs, ou des deux, au sens de l’article 1 de la Convention.
I. SUR LA JURIDICTION
A. Thèses des parties
1. Les requérants
a) La juridiction de la République de Moldova
83. Pour les requérants, même si la Moldova n’exerce pas un contrôle effectif sur la Transnistrie, cette région n’en demeure pas moins une partie du territoire national et la protection des droits de l’homme continue à y relever de la responsabilité de cet Etat.
84. Les obligations positives de la Moldova à leur égard se situeraient à plusieurs niveaux liés entre eux. Il lui incomberait de prendre toutes les mesures possibles pour rétablir l’état de droit ainsi que son autorité souveraine en Transnistrie. La Moldova aurait également l’obligation positive de prendre toutes les mesures réalisables pour redresser la situation des requérants et défendre leur liberté d’étudier et de faire étudier leurs enfants dans des écoles utilisant la langue nationale moldave. Bien que n’exerçant pas un contrôle global sur la Transnistrie, la Moldova disposerait, dans les domaines politique et économique, de moyens considérables propres à influer sur ses relations actuelles avec les autorités de la « RMT ».
b) La juridiction de la Fédération de Russie
85. Les requérants observent que la fermeture des écoles s’est produite en 2004, peu après le prononcé par la Cour de l’arrêt Ilaşcu et autres (précité). Selon eux, les constatations de fait ayant amené la Cour à conclure dans l’affaire Ilaşcu que la Russie exerçait une influence décisive sur la « RMT » sont également valables dans la présente affaire.
86. Depuis 2004, aucun retrait contrôlé d’armes ou d’équipements russes n’aurait eu lieu. La Russie aurait passé avec les dirigeants de la « RMT » des accords secrets concernant la gestion du dépôt d’armes. Il ressortirait des données fournies par le gouvernement russe lui-même qu’en 2003 2 200 militaires russes étaient basés dans la région ; or rien ne montrerait que ce chiffre ait connu une baisse sensible. La Russie aurait justifié cette présence comme étant nécessaire à la surveillance du dépôt d’armes. D’après les requérants, la présence des armes aussi bien que des militaires est contraire aux engagements internationaux pris par la Russie. Aucun élément n’attesterait une volonté claire de procéder au retrait des troupes et des armes ; au contraire, des déclarations officielles de source russe porteraient à croire que le retrait est subordonné à un règlement politique. Le maintien de la présence militaire russe représenterait une menace latente d’intervention militaire, qui aurait un effet intimidant sur le gouvernement moldave et les opposants au régime séparatiste de Transnistrie.
87. La Transnistrie serait dépendante des importations énergétiques de Russie ainsi que des investissements, de l’assistance et du commerce russes. Dix-huit pour cent des exportations de la « RMT » seraient destinées à la Russie, et 43,7 % de ses importations, principalement les ressources énergétiques, proviendraient de ce pays. La « RMT » aurait payé moins de 5 % du gaz consommé par elle, mais la Russie n’aurait pris aucune mesure aux fins de recouvrer sa créance. De plus, la Russie fournirait une aide humanitaire directe à la Transnistrie, essentiellement sous forme de contributions aux pensions de retraite, en violation de la législation de la Moldova. Selon des sources officielles russes, l’aide financière totale fournie à la Transnistrie se serait élevée à 55 millions d’USD pendant la période allant de 2007 à 2010.
88. Les instances politiques russes considéreraient la Transnistrie comme un avant-poste de la Russie. Les requérants fournissent des exemples de déclarations de membres de la Douma favorables à l’indépendance de la « RMT » à l’égard de la Moldova et évoquent des appels lancés par Igor Smirnov – le président de la « RMT » jusqu’en janvier 2012 – pour le rattachement de la Transnistrie à la Fédération de Russie. De plus, quelque 120 000 personnes résidant en Transnistrie auraient obtenu la nationalité russe. En février et mars 2005, « en réponse aux mesures prises par le gouvernement moldave dans le but d’aggraver la situation concernant la Transnistrie », la Douma aurait adopté des résolutions invitant le gouvernement russe à interdire l’importation d’alcool et de tabac de Moldova, à appliquer les tarifs internationaux aux exportations énergétiques destinées à la Moldova (sauf pour la Transnistrie) et à exiger des visas de la part des ressortissants moldaves (excepté ceux résidant en Transnistrie) se rendant en Russie. Les requérants citent les conclusions du Fonds monétaire international selon lesquelles ces mesures auraient eu sur la croissance de l’économie moldave un effet négatif combiné de 2 à 3 points de pourcentage annuel en 2006-2007.
2. Le gouvernement moldave
a) La juridiction de la République de Moldova
89. Le gouvernement moldave soutient que, d’après le raisonnement suivi dans l’arrêt Ilaşcu et autres (précité), les requérants relèvent de la juridiction de la Moldova dès lors que, en revendiquant le territoire et en s’efforçant de faire respecter les droits des intéressés, les autorités moldaves assument à leur égard des obligations positives. Le gouvernement moldave n’exercerait toujours pas sa juridiction – au sens de son autorité et de son contrôle – sur le territoire transnistrien, mais il continuerait néanmoins à remplir les obligations positives établies par l’arrêt Ilaşcu et autres. La principale question au sujet de la Moldova serait celle de savoir dans quelle mesure pareille obligation positive pourrait faire entrer en jeu la juridiction d’un Etat. Le gouvernement moldave renvoie à cet égard à l’opinion partiellement dissidente émise par le juge Bratza dans l’affaire Ilaşcu et à laquelle s’étaient ralliés les juges Rozakis, Hedigan, Thomassen et Panţîru (opinion annexée à l’arrêt Ilaşcu et autres, précité).
b) La juridiction de la Fédération de Russie
90. Le gouvernement moldave considère, à la lumière des principes exposés dans l’affaire Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni ([GC], no 55721/07, CEDH 2011), que les faits de l’espèce relèvent de la juridiction de la Russie en raison de la présence militaire continue de celle‑ci, qui aurait empêché le règlement du conflit.
91. Le gouvernement moldave n’aurait pas accès au dépôt d’armes de Colbaşna et ignorerait donc la quantité réelle d’armes conservée par la Fédération de Russie en Transnistrie. De plus, il serait difficile de distinguer clairement les militaires russes qui composent la force de maintien de la paix établie par l’accord de cessez-le-feu des soldats russes du Groupement opérationnel des forces russes (« GOR »), basés en Transnistrie pour garder le dépôt d’armes. Hormis les membres du haut commandement, probablement recrutés directement en Russie, nombre de soldats ordinaires au sein des deux forces seraient des ressortissants russes de Transnistrie favorables au régime séparatiste. Enfin, l’aéroport militaire de Tiraspol serait sous contrôle russe et les autorités de la « RMT » en jouiraient librement.
92. La présence de militaires et d’armes russes en Transnistrie entraverait les efforts visant à résoudre le conflit et contribuerait à maintenir le régime séparatiste au pouvoir. Le gouvernement moldave serait désavantagé et dans l’incapacité de négocier librement sans être confronté à la menace d’une suspension du retrait militaire russe, suivant le scénario qui s’est produit lors du rejet du « mémorandum de Kosak » par la Moldova (paragraphe 27 ci-dessus). L’opposition de la « RMT » au retrait des armes ne constituerait pas une excuse valable justifiant un refus de la Russie de retirer ou de détruire les armes, et le gouvernement russe serait infondé à l’accepter ou à l’invoquer. Le gouvernement moldave serait prêt à toute coopération, pourvu qu’elle n’implique pas des conditions exorbitantes comme celles prévues par le « mémorandum de Kosak ». Par ailleurs, la participation active des autres partenaires internationaux au processus de négociation devrait contribuer à alléger toute charge excessive que les modalités pratiques de la destruction du dépôt d’armes pourraient faire peser sur la Russie.
93. L’économie de la « RMT » serait orientée vers l’exportation de marchandises à destination de la Russie et de l’Ukraine, et il n’y aurait pas de véritables liens commerciaux entre la « RMT » et la Moldova proprement dite. Or, environ 20 % de la population seulement serait économiquement active, et la région survivrait grâce au soutien financier de la Russie, qui prendrait la forme d’un effacement des dettes contractées pour le gaz et de dons. C’est ainsi qu’en 2011 la « RMT » aurait reçu de la Russie une aide financière d’un montant total de 20,64 millions d’USD. En 2011, la Transnistrie aurait consommé pour 505 millions d’USD de gaz, mais n’aurait payé que 4 % de ce montant (soit 20 millions d’USD).
94. Enfin, la politique de la « RMT » serait entièrement tournée vers la Russie et éloignée de la Moldova. Il y aurait de nombreuses visites de haut niveau entre la Russie et la Transnistrie, ainsi que des déclarations de soutien émanant de personnalités politiques russes. Toutefois, la situation politique évoluant en permanence, il serait difficile de livrer un état des lieux complet.
3. Le gouvernement russe
a) La juridiction de la République de Moldova
95. Le gouvernement russe n’a pas formulé d’observations sur la juridiction de la République de Moldova en l’espèce.
b) La juridiction de la Fédération de Russie
96. Le gouvernement russe critique la façon dont la Cour a envisagé la juridiction dans les arrêts Ilaşcu et autres et Al-Skeini et autres (tous deux précités). La volonté des Etats contractants, telle qu’exprimée dans le libellé de l’article 1 de la Convention, aurait été qu’en l’absence d’une déclaration expresse fondée sur l’article 56 la juridiction de chaque Etat se limite à ses frontières territoriales. Subsidiairement, l’approche suivie par la Cour dans l’affaire Banković et autres c. Belgique et 16 autres Etats contractants ((déc.) [GC], no 52207/99, CEDH 2001‑XII) constituerait une interprétation plus correcte en ce qu’elle reconnaîtrait qu’il ne peut y avoir exercice extraterritorial de la juridiction que dans des circonstances exceptionnelles. Pour le gouvernement russe, la juridiction peut exceptionnellement s’étendre hors du territoire lorsqu’un Etat contractant exerce sur un autre territoire un contrôle effectif, équivalent au niveau de contrôle exercé sur son propre territoire en temps de paix. Cette situation pourrait englober les cas où l’Etat partie est soumis à une occupation longue et stable ou les cas où un territoire est contrôlé de manière effective par un gouvernement légitimement considéré comme un organe de l’Etat partie concerné, conformément au critère appliqué par la Cour internationale de justice dans l’affaire relative à l’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) (paragraphe 76 ci-dessus). Selon le gouvernement russe, on ne peut affirmer que la Fédération de Russie exerce sa juridiction dans le cas présent, le territoire étant contrôlé par un gouvernement de facto qui n’est ni un organe ni un instrument de la Fédération de Russie.
97. Plus subsidiairement encore, le gouvernement russe estime qu’il faut distinguer l’espèce des affaires antérieures, rien ne montrant selon lui qu’il y ait eu un quelconque acte extraterritorial des autorités russes. A l’inverse, dans l’affaire Al-Skeini et autres, par exemple, la Cour aurait jugé que les proches des requérants relevaient de la juridiction du Royaume-Uni parce qu’ils avaient été tués par des militaires britanniques. Même dans l’arrêt Ilaşcu et autres, la Cour se serait appuyée sur deux arguments pour conclure que les faits relevaient de la juridiction de la Fédération de Russie : elle aurait déclaré, premièrement, que la « RMT » se trouvait sous l’influence dominante de la Fédération de Russie et, deuxièmement, que les requérants avaient été arrêtés, puis remis à la « RMT », par des soldats russes. Dans Ilaşcu et autres, la Cour aurait fondé sa décision sur le fait que la Fédération de Russie avait été directement impliquée dans l’arrestation des intéressés et, après la ratification de la Convention, n’avait pas déployé des efforts suffisants pour assurer leur remise en liberté. En l’espèce, il n’y aurait pas de lien de causalité entre la présence des forces russes en Transnistrie et le traitement réservé aux écoles des requérants. Au contraire, le gouvernement russe aurait tenté de résoudre la crise des écoles en intervenant en qualité de médiateur. De plus, rien ne prouverait que la Fédération de Russie exerce un contrôle militaire ou politique effectif en Transnistrie. Pour le gouvernement russe, si la Cour devait conclure en l’espèce à l’exercice de sa juridiction par la Fédération de Russie, cela signifierait dans la pratique que la responsabilité de cet Etat se trouverait engagée au regard de la Convention pour toute violation qui se produirait en Transnistrie, ce malgré le caractère insignifiant de la présence militaire russe dans cette région. La Cour devrait dès lors conclure que les faits incriminés ne relèvent pas de la juridiction de la Fédération de Russie au sens de l’article 1 de la Convention.
98. Le gouvernement russe ne fournit pas de chiffres concernant la quantité d’armes toujours stockées à Colbaşna, en Transnistrie. Il soutient toutefois que la plupart des armes, munitions et équipements militaires ont été retirés de 1991 à 2003. En 2003, après le refus du gouvernement moldave de signer le mémorandum sur la création d’un Etat moldave uni (« le mémorandum de Kosak »), la « RMT » aurait bloqué tout autre retrait. Le gouvernement russe aurait également besoin de la coopération des autorités moldaves, qui auraient bloqué la ligne de chemin de fer reliant la Transnistrie au territoire contrôlé par la Moldova. A l’heure actuelle, seuls des obus, des grenades, des mortiers et des munitions de petit calibre seraient stockés dans les entrepôts. Plus de 60 % de ce matériel devrait être détruit au terme de sa période de garantie ; le gouvernement russe n’indique toutefois aucune époque précise à cet égard. De plus, la destruction ne serait possible qu’à condition que l’on parvienne à un accord sur la sécurité environnementale. Le gouvernement russe expose que d’un côté il a l’obligation de protéger le dépôt d’armes et de le défendre contre les vols, mais que de l’autre on le presse de retirer le millier de militaires stationnés en Transnistrie pour surveiller ce stock. Outre ce petit contingent, environ 1 125 soldats russes appartenant à la force de maintien de la paix négociée au plan international seraient basés dans la zone de sécurité, qui s’étendrait sur 225 km de long et 12 à 20 km de large. Pour le gouvernement russe, la présence de quelques centaines de soldats russes chargés de garder les entrepôts militaires et de veiller au maintien de la paix ne peut manifestement pas être l’instrument d’un contrôle global effectif en Transnistrie.
99. Le gouvernement russe se défend de fournir un quelconque soutien économique à la « RMT ». Concernant l’approvisionnement en gaz, il soutient que la « RMT » ne peut avoir de dettes souveraines, parce qu’elle n’est pas reconnue comme une entité distincte en droit international, et que la Russie ne livre pas du gaz séparément à la Moldova et à la Transnistrie. La facture pour le gaz fourni à la Transnistrie serait donc à la charge de la Moldova. L’approvisionnement de la région en gaz serait organisé par l’intermédiaire de l’entreprise publique russe Gazprom et de la société par actions Moldovagaz, qui appartiendrait conjointement à la Moldova et à la « RMT ». La dette de Moldovagaz à l’égard de la Russie dépasserait 1,8 milliard d’USD, dont 1,5 milliard pour le gaz consommé en Transnistrie. Gazprom ne pourrait pas simplement refuser de fournir du gaz à la région, car elle aurait besoin des pipelines traversant la Moldova pour approvisionner les Etats des Balkans. Des négociations complexes sur le remboursement de la dette se poursuivraient entre Gazprom et Moldovagaz. En 2003-2004, une solution aurait été proposée : la « RMT » permettrait à la Russie de procéder au retrait de matériel militaire d’une valeur de 100 millions d’USD, en échange de quoi la Russie effacerait le montant correspondant de la dette du gaz. Cependant, ce plan n’aurait jamais été mis en œuvre car à partir de ce moment-là les relations se seraient dégradées entre la Moldova et la « RMT » et aucune des deux parties ne se serait montrée disposée à marquer son accord. Le gouvernement russe nie l’existence de contrats distincts pour l’approvisionnement en gaz de la Moldova et de la Transnistrie et, selon lui, Gazprom n’a pas la possibilité de fixer des tarifs différents pour les consommateurs de chaque région du pays. Depuis 2008, la Moldova serait tenue de payer le gaz aux tarifs européens et ne bénéficierait plus de tarifs internes préférentiels.
100. Concernant l’aide financière, le montant alloué à des fins humanitaires (versement de pensions et soutien à la restauration en milieu scolaire, carcéral ou hospitalier) aux ressortissants russes vivant dans la région serait parfaitement transparent et comparable à l’aide humanitaire dispensée par l’Union européenne. La Russie fournirait une assistance non seulement à la population de Transnistrie, mais également aux habitants d’autres régions de la Moldova. En outre, le gouvernement russe dément avoir jamais imposé des sanctions économiques à la Moldova à raison de sa position vis-à-vis de la « RMT » et argue que ce sont le président et le gouvernement qui sont responsables de la politique économique, et non la Douma. Les restrictions à l’importation de vin de Moldova appliquées en mars 2006 auraient été décidées après la découverte d’infractions aux normes sanitaires. Les importations de vin moldave auraient repris le 1er novembre 2007, à la suite d’une expertise. Les autorités de la Fédération de Russie considéreraient la République de Moldova comme un Etat unique et elles n’auraient pas d’arrangements commerciaux et économiques séparés avec la Transnistrie.
101. Sur la question du soutien politique, le gouvernement russe plaide qu’au regard du droit international, même si l’on pouvait démontrer que la Russie a apporté un appui politique significatif aux autorités de la « RMT », cela n’établirait pas la responsabilité de la Russie pour les violations des droits de l’homme commises par lesdites autorités. Il serait absurde de dire, en présence d’une administration locale investie d’un mandat démocratique, que tout pouvoir extérieur qui la soutient est responsable des violations des droits de l’homme commises par elle.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux relatifs à la juridiction au sens de l’article 1 de la Convention
102. L’article 1 de la Convention est ainsi libellé :
« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la (...) Convention. »
103. La Cour a établi un certain nombre de principes clairs dans sa jurisprudence relative à l’article 1. Ainsi, aux termes de cette disposition, l’engagement des Etats contractants se borne à « reconnaître » (en anglais « to secure ») aux personnes relevant de leur « juridiction » les droits et libertés énumérés (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 86, série A no 161 ; Banković et autres, décision précitée, § 66). La « juridiction » au sens de l’article 1 est une condition sine qua non. Elle doit avoir été exercée pour qu’un Etat contractant puisse être tenu pour responsable des actes ou omissions à lui imputables qui sont à l’origine d’une allégation de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention (Ilaşcu et autres, précité § 311 ; Al-Skeini et autres, précité, § 130).
104. La juridiction d’un Etat, au sens de l’article 1, est principalement territoriale (Soering, précité, § 86 ; Banković et autres, décision précitée, §§ 61 et 67 ; Ilaşcu et autres, précité, § 312 ; Al-Skeini et autres, précité, § 131). Elle est présumée s’exercer normalement sur l’ensemble du territoire de l’Etat (Ilaşcu et autres, précité, § 312, et Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 139, CEDH 2004-II). A l’inverse, les actes des Etats contractants accomplis ou produisant des effets en dehors de leur territoire ne peuvent que dans des circonstances exceptionnelles s’analyser en l’exercice par eux de leur juridiction au sens de l’article 1 (Banković et autres, décision précitée, § 67, et Al-Skeini et autres, précité, § 131).
105. A ce jour, la Cour a reconnu un certain nombre de circonstances exceptionnelles susceptibles d’emporter exercice par l’Etat contractant de sa juridiction à l’extérieur de ses propres frontières. Dans chaque cas, c’est au regard des faits particuliers de la cause qu’il faut apprécier l’existence de pareilles circonstances exigeant et justifiant que la Cour conclue à un exercice extraterritorial de sa juridiction par l’Etat (Al-Skeini et autres, précité, § 132).
106. Le principe voulant que la juridiction de l’Etat contractant au sens de l’article 1 soit limitée à son propre territoire connaît une exception lorsque, par suite d’une action militaire – légale ou non –, l’Etat exerce un contrôle effectif sur une zone située en dehors de son territoire. L’obligation d’assurer dans une telle zone le respect des droits et libertés garantis par la Convention découle du fait de ce contrôle, qu’il s’exerce directement, par l’intermédiaire des forces armées de l’Etat ou par le biais d’une administration locale subordonnée (Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), 23 mars 1995, § 62, série A no 310 ; Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 76, CEDH 2001-IV ; Banković et autres, décision précitée, § 70 ; Ilaşcu et autres, précité, §§ 314-316 ; Loizidou c. Turquie (fond), 18 décembre 1996, § 52, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI, et Al‑Skeini et autres, précité, § 138). Dès lors qu’une telle mainmise sur un territoire est établie, il n’est pas nécessaire de déterminer si l’Etat contractant qui la détient exerce un contrôle précis sur les politiques et actions de l’administration locale qui lui est subordonnée. Du fait qu’il assure la survie de cette administration grâce à son soutien militaire et autre, cet Etat engage sa responsabilité à raison des politiques et actions entreprises par elle. L’article 1 lui fait obligation de reconnaître sur le territoire en question la totalité des droits matériels énoncés dans la Convention et dans les Protocoles additionnels qu’il a ratifiés, et les violations de ces droits lui sont imputables (Chypre c. Turquie, précité, §§ 76-77 ; Al-Skeini et autres, précité, § 138).
107. La question de savoir si un Etat contractant exerce ou non un contrôle effectif sur un territoire hors de ses frontières est une question de fait. Pour se prononcer, la Cour se réfère principalement au nombre de soldats déployés par l’Etat sur le territoire en cause (Loizidou (fond), précité, §§ 16 et 56, et Ilaşcu et autres, précité, § 387). D’autres éléments peuvent aussi entrer en ligne de compte, par exemple la mesure dans laquelle le soutien militaire, économique et politique apporté par l’Etat à l’administration locale subordonnée assure à celui-ci une influence et un contrôle dans la région (Ilaşcu et autres, précité, §§ 388-394 ; Al-Skeini et autres, précité, § 139).
2. Application de ces principes aux faits de la cause
108. Il convient à ce stade de rappeler les principaux faits de la cause. Les requérants sont des enfants et des parents appartenant à la communauté moldave de Transnistrie qui se plaignent des effets produits sur leur éducation et leur vie familiale par la politique linguistique des autorités séparatistes. L’essentiel de leurs griefs porte sur les mesures prises par les autorités de la « RMT » en 2002 et en 2004 aux fins de la mise en œuvre de décisions adoptées quelques années plus tôt qui interdisaient l’usage de l’alphabet latin dans les établissements scolaires et imposaient à l’ensemble de ceux-ci l’obligation de se faire enregistrer, de suivre un programme approuvé par la « RMT » et d’utiliser l’alphabet cyrillique. Ainsi, le 22 août 2002, la police de la « RMT » expulsa de force les élèves et les enseignants de l’établissement scolaire Ştefan cel Mare à Grigoriopol. L’école, qui ne fut pas autorisée à rouvrir dans le même bâtiment, fut par la suite transférée à une vingtaine de kilomètres de là, sur le territoire contrôlé par la Moldova. En juillet 2004, les élèves et le personnel de l’école Evrica à Rîbniţa furent expulsés de l’établissement. Au cours du même mois, l’école Alexandru cel Bun à Tighina fut menacée de fermeture et se vit couper ses raccordements à l’eau et à l’électricité. Au début de l’année scolaire suivante, les deux écoles durent s’installer dans des locaux moins adaptés et moins bien équipés situés dans leurs villes d’origine.
a) La République de Moldova
109. La Cour doit tout d’abord déterminer si l’affaire relève de la juridiction de la République de Moldova. Elle observe à cet égard que les trois établissements scolaires concernés ont toujours été situés sur le territoire moldave. Il est vrai – comme l’admettent l’ensemble des parties – que la Moldova n’exerce aucune autorité sur la portion de son territoire située à l’est du Dniestr, qui est contrôlée par la « RMT ». Néanmoins, dans l’arrêt Ilaşcu et autres, précité, la Cour a dit que des individus détenus en Transnistrie relevaient de la juridiction de la Moldova du fait que la Moldova était l’Etat territorial même si elle n’exerçait pas un contrôle effectif sur la région transnistrienne. L’obligation incombant à la Moldova, en vertu de l’article 1 de la Convention, de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés [garantis par la Convention] » se limitait toutefois, dans les circonstances de l’affaire, à l’obligation positive de prendre les mesures qui étaient en son pouvoir et en conformité avec le droit international, qu’elles fussent d’ordre diplomatique, économique, judiciaire ou autre (Ilaşcu et autres, précité, § 331). La Cour est parvenue à une conclusion similaire dans l’arrêt Ivanţoc et autres c. Moldova et Russie (no 23687/05, §§ 105-111, 15 novembre 2011).
110. La Cour ne voit aucune raison de distinguer la présente espèce des autres affaires. Bien que la Moldova n’exerce pas un contrôle effectif sur les actes de la « RMT » en Transnistrie, le fait qu’au regard du droit international public la région est reconnue comme faisant partie du territoire de la Moldova engendre pour celle-ci une obligation, fondée sur l’article 1 de la Convention, d’user de tous les moyens légaux et diplomatiques dont elle dispose pour continuer à garantir aux personnes qui vivent dans la région la jouissance des droits et libertés énoncés dans la Convention (Ilaşcu et autres, précité, § 333). La Cour recherchera ci-après si la Moldova a satisfait à cette obligation positive.
b) La Fédération de Russie
111. La Cour doit ensuite déterminer si les requérants relèvent également de la juridiction de la Fédération de Russie. Elle prend pour point de départ le fait que les événements clés de l’affaire, à savoir les épisodes d’expulsion forcée des écoles, se sont déroulés entre août 2002 et juillet 2004. Ces deux années entrent dans la période examinée par la Cour dans l’arrêt Ilaşcu et autres (précité), rendu en juillet 2004. Il est vrai que dans cette affaire la Cour avait jugé pertinent, pour rechercher si la juridiction de la Fédération de Russie était en cause, le fait qu’en 1992 MM. Ilaşcu, Leşco, Ivanţoc et Petrov-Popa avaient été arrêtés, détenus et soumis à des mauvais traitements par des soldats de la 14e armée, qui les avaient ensuite remis à la « RMT ». La Cour avait considéré que ces actes, bien qu’antérieurs à la date de la ratification de la Convention par la Russie (5 mai 1998), s’inscrivaient dans une chaîne continue et ininterrompue de responsabilité de la part de la Fédération de Russie quant au sort des détenus. La Cour avait ajouté que, dans le cadre de cette chaîne de responsabilité, les autorités de la Fédération de Russie avaient, lors du soulèvement survenu en Transnistrie en 1991‑1992, contribué, tant militairement que politiquement, à la création d’un régime séparatiste (Ilaşcu et autres, précité, § 382). En outre, elle avait estimé que, pendant la période comprise entre mai 1998, époque de la ratification de la Convention par la Russie, et mai 2004, époque de l’adoption de l’arrêt par la Cour, la « RMT » avait survécu grâce au soutien militaire, économique, financier et politique fourni par la Fédération de Russie, et avait continué à se trouver sous l’autorité effective, ou tout au moins sous l’influence décisive, de la Russie (ibidem, § 392). La Cour en avait conclu que les requérants relevaient de la « juridiction » de la Fédération de Russie aux fins de l’article 1 de la Convention (ibidem, §§ 393-394).
112. Dès lors qu’elle a déjà eu l’occasion de conclure que certains faits survenus en Transnistrie pendant la période en question relevaient de la juridiction de la Fédération de Russie, la Cour considère qu’il appartient à présent au gouvernement russe d’établir que la Russie n’exerçait pas sa juridiction en Transnistrie à l’époque des événements incriminés par les requérants en l’espèce.
113. Le gouvernement russe conteste que la Russie exerçât sa juridiction en Transnistrie pendant la période pertinente. Il estime tout d’abord que le cas d’espèce se distingue clairement de l’affaire Ilaşcu et autres, précitée, dans laquelle la Cour aurait conclu que c’étaient des soldats russes qui avaient procédé à l’arrestation initiale et à la mise en détention des requérants, ainsi que de l’affaire Al-Skeini et autres, également précitée, dans laquelle elle aurait jugé que la juridiction du Royaume-Uni était en cause relativement aux civils irakiens tués lors d’opérations de sécurité menées par des soldats britanniques.
114. La Cour rappelle qu’elle a déclaré qu’un Etat peut, dans certaines circonstances exceptionnelles, exercer une juridiction extraterritoriale par l’affirmation, au travers de ses agents, de son autorité et de son contrôle sur un individu ou des individus, comme cela s’est produit par exemple dans l’affaire Al-Skeini et autres (arrêt précité, § 149). Elle a toutefois également dit qu’il peut y avoir exercice extraterritorial de sa juridiction par un Etat lorsque, par suite d’une action militaire – légale ou non –, cet Etat exerce un contrôle effectif sur une zone située en dehors de son territoire (paragraphe 106 ci-dessus). La Cour admet que rien n’indique que des agents russes aient été directement impliqués dans les mesures prises contre les écoles des requérants. Dès lors toutefois que les requérants soutiennent que la Russie exerçait un contrôle effectif sur la « RMT » pendant la période pertinente, elle doit rechercher si tel était ou non le cas.
115. Le gouvernement russe soutient que la Cour ne peut conclure à l’exercice par la Russie d’un contrôle effectif que si elle estime que le « gouvernement » de la « RMT » peut passer pour un organe de l’Etat russe, suivant l’approche adoptée par la Cour internationale de justice dans l’affaire relative à l’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) (paragraphe 76 ci-dessus). La Cour rappelle que dans celle-ci la Cour internationale de justice devait déterminer à quel moment un Etat pouvait se voir attribuer le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes, de sorte qu’il pût être tenu pour responsable au regard du droit international du comportement en cause. Or en l’espèce la Cour est appelée à connaître d’une question différente, celle de savoir si des faits incriminés par un requérant relevaient de la juridiction d’un Etat défendeur au sens de l’article 1 de la Convention. Comme le montre le bref exposé de la jurisprudence de la Cour livré ci-dessus, les critères permettant d’établir l’existence de la « juridiction » au sens de l’article 1 de la Convention n’ont jamais été assimilés aux critères permettant d’établir la responsabilité d’un Etat concernant un fait internationalement illicite au regard du droit international.
116. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour doit déterminer si, en fait, la Russie exerçait un contrôle effectif sur la « RMT » pendant la période allant d’août 2002 à juillet 2004. Elle s’appuiera pour ce faire sur l’ensemble des éléments qui lui ont été fournis ou, au besoin, sur des éléments recueillis d’office (voir, mutatis mutandis, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 128, CEDH 2008).
117. Le gouvernement russe soutient que sa présence militaire en Transnistrie pendant la période pertinente était insignifiante : elle se serait limitée à quelque 1 000 soldats du GOR chargés de surveiller le dépôt d’armes de Colbaşna, plus 1 125 militaires stationnés à l’intérieur de la zone de sécurité dans le cadre de la force de maintien de la paix négociée au plan international. Dans l’arrêt Ilaşcu et autres (précité, § 131), la Cour avait constaté qu’en 2002 on comptait environ 1 500 membres du GOR chargés de garder le dépôt d’armes. Le nombre de soldats russes n’est pas contesté par les autres parties à l’affaire (paragraphe 37 ci-dessus). Quant au dépôt d’armes de Colbaşna, il est impossible de déterminer précisément quels étaient sa taille et son contenu pendant la période allant de 2002 à 2004, le gouvernement russe n’ayant pas fourni à la Cour les informations détaillées sollicitées par elle et aucun observateur indépendant n’ayant été autorisé à se rendre sur place. Cependant, dans l’arrêt précité (ibidem), la Cour s’était référée à des éléments selon lesquels le GOR disposait en 2003 d’au moins 200 000 tonnes d’équipement militaire et de munitions en Transnistrie, ainsi que de 106 chars de combat, 42 véhicules blindés de combat, 109 véhicules blindés de transport de troupes, 54 véhicules blindés de reconnaissance, 123 canons et mortiers, 206 armes antichars, 226 armes antiaériennes, 9 hélicoptères et 1 648 véhicules divers.
118. La Cour admet qu’en 2002-2004 l’effectif militaire russe basé en Transnistrie avait déjà beaucoup diminué (Ilaşcu et autres, précité, § 387) et était modeste au regard de la superficie du territoire. Cependant, ainsi qu’elle l’a constaté dans l’arrêt Ilaşcu et autres (ibidem), l’importance militaire de l’armée russe dans la région et son rôle dissuasif subsistaient, compte tenu du poids de l’arsenal de Colbaşna. De plus, concernant à la fois le dépôt d’armes et les troupes, la Cour considère qu’il existe un lien important entre le contexte historique et la situation qui prévalait pendant la période examinée en l’espèce. On ne saurait oublier que dans l’arrêt Ilaşcu et autres la Cour a dit que les séparatistes n’avaient pu arriver au pouvoir en 1992 que grâce à l’appui de l’armée russe. Le dépôt d’armes de Colbaşna appartenait au départ à la 14e armée de l’URSS, et la Cour a estimé établi au-delà de tout doute raisonnable que pendant le conflit armé les séparatistes avaient pu, avec le soutien du personnel de la 14e armée, s’équiper grâce à ce dépôt. La Cour a par ailleurs jugé que le transfert massif, en faveur des séparatistes, d’armes et de munitions de l’arsenal de la 14e armée avait joué un rôle crucial et empêché l’armée moldave de reprendre le contrôle de la Transnistrie. De plus, la Cour a constaté que depuis le début du conflit de nombreux ressortissants russes venus d’ailleurs, en particulier des Cosaques, avaient afflué en Transnistrie pour se battre aux côtés des séparatistes contre les forces moldaves. Enfin, elle a considéré qu’en avril 1992 l’armée russe basée en Transnistrie (GOR) était intervenue dans le conflit en permettant aux séparatistes de reprendre Tighina.
119. Le gouvernement russe n’a fourni à la Cour aucun élément dont il ressortirait que ces constats formulés dans l’arrêt Ilaşcu et autres ne sont pas fiables. Dès lors qu’elle a jugé que le régime séparatiste n’avait été établi à l’origine que grâce au soutien militaire russe, la Cour estime qu’en maintenant sur le territoire moldave le dépôt d’armes – ce dans le plus grand secret et en violation de ses obligations internationales – ainsi qu’un millier d’hommes chargés de le défendre, la Russie a clairement signalé qu’elle continuait à fournir son appui au régime de la « RMT ».
120. Cela a été dit ci-dessus, la Cour a également considéré dans l’arrêt Ilaşcu et autres que la « RMT » n’avait survécu pendant la période en question que grâce au soutien, économique notamment, de la Russie (paragraphe 111 ci-dessus). Elle estime que le gouvernement russe n’a pas réussi à démontrer, comme cela lui incombait, que ce constat était erroné. En particulier, il ne nie pas que l’entreprise publique russe Gazprom fournissait du gaz à la région et que la « RMT » ne payait qu’une petite partie du gaz consommé, que ce fût par chaque foyer ou par les grands complexes industriels implantés en Transnistrie, dont la Cour a constaté que beaucoup appartenaient à la Russie (paragraphes 39-40 ci-dessus). Le gouvernement russe reconnaît qu’il dépense chaque année des millions de dollars américains en aide humanitaire destinée à la population de Transnistrie, notamment par le versement de pensions de retraite et un soutien financier aux écoles, aux hôpitaux et aux prisons. L’information – fournie par le gouvernement moldave et non contestée par le gouvernement russe – selon laquelle seule une proportion de 20 % environ de la population de la « RMT » est économiquement active permet de mieux se rendre compte de l’importance des pensions russes et d’autres types d’aide pour l’économie locale. Enfin, la Cour observe que le gouvernement russe ne conteste pas l’exactitude des chiffres soumis par les requérants au sujet de la nationalité, dont il ressort que près d’un cinquième des habitants de la région contrôlée par la « RMT » ont obtenu la nationalité russe (paragraphes 41-42 ci-dessus).
121. Il s’ensuit, en résumé, que le gouvernement russe n’a pas convaincu la Cour que les conclusions auxquelles elle était parvenue en 2004 dans l’arrêt Ilaşcu et autres (précité) étaient erronées. La « RMT » avait été établie grâce au soutien militaire russe. Le maintien de la présence de militaires et d’armes russes dans la région indiquait clairement aux dirigeants de la « RMT », au gouvernement moldave et aux observateurs internationaux que la Russie continuait à fournir un soutien militaire aux séparatistes. De surcroît, la population était tributaire d’un approvisionnement gratuit ou fortement subventionné en gaz, du versement de pensions et d’autres types d’aide financière de la part de la Russie.
122. La Cour confirme donc les conclusions formulées par elle dans son arrêt Ilaşcu et autres (précité) et selon lesquelles de 2002 à 2004 la « RMT » n’avait pu continuer à exister – en résistant aux efforts déployés par la Moldova et les acteurs internationaux pour régler le conflit et rétablir la démocratie et la primauté du droit dans la région – que grâce à l’appui militaire, économique et politique de la Russie. Dès lors, le degré élevé de dépendance de la « RMT » à l’égard du soutien russe constitue un élément solide permettant de considérer que la Russie exerçait un contrôle effectif et une influence décisive sur l’administration de la « RMT » à l’époque de la crise des écoles.
123. Il s’ensuit que les requérants en l’espèce relevaient de la juridiction de la Russie au sens de l’article 1 de la Convention. La Cour doit à présent déterminer s’ils ont eu à subir une violation de leurs droits protégés par la Convention de nature à engager la responsabilité des Etats défendeurs.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
124. L’article 2 du Protocole no 1 à la Convention dispose :
« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »
A. Thèses des parties
1. Les requérants
125. Les requérants estiment que la Cour devrait saisir l’occasion qui se présente à elle pour développer sa jurisprudence relative à l’article 2 du Protocole no 1 en tenant compte des normes internationales sur le droit à l’éducation, par exemple de l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de l’article 13 § 1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de l’article 29 § l a) de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui énoncent tous que l’éducation doit viser au « plein épanouissement de la personnalité humaine ». Renvoyant à l’arrêt Timichev c. Russie (nos 55762/00 et 55974/00, § 64, CEDH 2005-XII), ils soutiennent que la Cour s’est déjà appuyée sur lesdits instruments pour reconnaître l’importance de l’éducation pour le développement de l’enfant. L’éducation aurait également pour objet de permettre à l’individu de fonctionner dans la société et d’y participer, d’abord en tant qu’enfant puis, plus tard, en tant qu’adulte. Une éducation qui n’atteindrait pas ces objectifs risquerait d’entraver l’accès de l’enfant aux possibilités existantes ainsi que sa capacité à échapper à la pauvreté et à jouir d’autres droits fondamentaux. L’usage de la langue serait intrinsèquement lié à ces priorités éducatives.
126. Les principaux incidents évoqués par les requérants auraient eu lieu entre 2002 et 2004, à une époque où les établissements scolaires auraient été contraints de fermer leurs portes puis de reprendre leurs activités dans d’autres locaux. Les requérants ont soumis des déclarations écrites sous serment exposant les répercussions qu’auraient eues sur chacun d’eux les mesures prises par la « RMT » contre les écoles. Pendant l’été 2004, les écoles auraient été fermées, occupées, puis prises d’assaut par la police de la « RMT ». Des enseignants auraient été arrêtés et détenus, le matériel pédagogique utilisant l’alphabet latin aurait été saisi et détruit. Certains parents auraient perdu leur emploi pour avoir décidé d’envoyer leurs enfants dans des écoles enseignant en langue moldave.
127. La situation des requérants n’aurait pas beaucoup évolué depuis lors. La loi interdisant l’usage de l’alphabet latin serait toujours en vigueur, et une personne enseignant en moldave/roumain s’exposerait à des actes de harcèlement et à des poursuites pénales. A la suite des incidents de 2002 et de 2004, de nombreux parents auraient abandonné la lutte menée par eux en faveur de l’instruction de leurs enfants en moldave/roumain. Les parents persévérants auraient été contraints d’accepter que la qualité de l’enseignement soit amoindrie par l’absence de locaux adéquats, la longueur des trajets scolaires, la pénurie de matériel, le défaut d’accès aux activités parascolaires, des actes persistants de harcèlement, de vandalisme contre les locaux scolaires et d’intimidation, ainsi que des injures. La solution de remplacement offerte par les autorités de la « RMT » aux élèves parlant moldave/roumain aurait été de suivre un enseignement en « moldavien » (moldave/roumain écrit avec l’alphabet cyrillique). Or, cette langue n’étant reconnue nulle part ailleurs qu’en Transnistrie et n’étant pas même employée par l’administration de la « RMT », le matériel pédagogique existant daterait de l’époque soviétique, et les possibilités de suivre des études supérieures ou de trouver un emploi en seraient diminuées.
128. Le refus des autorités de la « RMT » de maintenir un enseignement dans la langue dominante et officielle de l’Etat territorial toucherait de toute évidence à la substance même du droit à l’instruction. Par ailleurs, la « RMT » n’aurait pas cherché à tenir compte de la population de souche moldave en permettant le libre accès à des écoles privées où les enfants auraient pu recevoir un enseignement dans leur propre langue. Les requérants comparent leur situation à celle de la population grecque enclavée dont il était question dans l’affaire Chypre c. Turquie (arrêt [GC], précité, § 278). En outre, les parents requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit au respect de leurs convictions philosophiques, eu égard à la manière dont l’Etat assure l’enseignement ; ils mentionnent en particulier leur conviction que l’intérêt supérieur de leurs enfants est de recevoir une instruction dans la langue moldave.
129. Pour les requérants, la Moldova avait l’obligation positive de prendre toutes les mesures raisonnables et appropriées qui s’imposaient pour maintenir et préserver l’enseignement en langue moldave sur l’ensemble de son territoire. En ce qui concerne le respect par la Moldova de cette obligation positive, le sort des écoles utilisant l’alphabet latin n’aurait pas figuré au nombre des conditions du règlement du conflit lors des négociations multilatérales et ne semblerait pas avoir fait partie des doléances adressées aux autorités de la « RMT » et au gouvernement russe. De plus, les responsables de la « RMT » pourraient librement traverser la Moldova alors que l’UE aurait interdit son territoire aux membres haut placés du pouvoir de la « RMT », ce expressément en raison notamment du sort réservé aux écoles employant l’alphabet latin. En outre, le gouvernement moldave n’aurait pas déployé suffisamment d’efforts pour permettre aux enfants de retrouver des locaux scolaires adéquats et pour les protéger contre le harcèlement.
130. Les violations commises en l’espèce auraient un lien direct et ininterrompu avec la mise en place de l’administration de la « RMT » par la Fédération de Russie et le soutien constant que celle-ci lui apporte. Rien n’indiquerait que la Russie ait pris des mesures pour prévenir les violations ou s’élever contre elles. Au contraire, elle soutiendrait la politique éducative de la « RMT » en fournissant du matériel pédagogique aux écoles russophones de la région, en reconnaissant les diplômes délivrés par les écoles russophones de la « RMT » et en ouvrant en Transnistrie des établissements d’enseignement supérieur, sans consulter le gouvernement moldave.
2. Le gouvernement moldave
131. Le gouvernement moldave déclare ne pas disposer d’informations précises sur l’évolution de la situation des requérants. Il confirme toutefois que, même si la phase initiale de la crise semble révolue et si les choses se sont « normalisées », les effectifs de chacun des trois établissements scolaires concernés ont continué de baisser. Ainsi, le nombre d’élèves des écoles Alexandru cel Bun et Evrica aurait quasiment diminué de moitié de 2007 à 2011, tandis que les effectifs de l’établissement Ştefan cel Mare seraient demeurés relativement stables. Globalement, le nombre d’élèves étudiant en langue moldave/roumaine en Transnistrie serait passé de 2 545 en 2009 à 1 908 en 2011.
132. Le gouvernement moldave affirme avoir pris toutes les mesures raisonnables pour améliorer la situation, tant en ce qui concerne le conflit transnistrien en général qu’en ce qui concerne son appui aux établissements scolaires en particulier. La Moldova n’aurait jamais ni soutenu ni conforté le régime séparatiste transnistrien. Le seul but du gouvernement moldave serait de régler le conflit, de rétablir son contrôle sur le territoire et d’y restaurer l’état de droit et le respect des droits de l’homme.
133. En ce qui concerne les écoles elles-mêmes, le gouvernement moldave aurait payé le loyer et la rénovation des locaux, les salaires des enseignants, le matériel éducatif, les autocars et les ordinateurs. Conformément au droit moldave, les requérants en l’espèce, comme tous les diplômés d’écoles transnistriennes, bénéficieraient d’avantages particuliers lorsqu’ils demandent à intégrer une université ou un établissement d’enseignement supérieur moldave. Par ailleurs, le gouvernement moldave aurait soulevé la question des écoles transnistriennes au niveau international et aurait sollicité une aide et une médiation internationales, par exemple lors de la conférence tenue en Allemagne en 2001 sous les auspices de l’UE et de l’OSCE. Arguant qu’il n’exerce ni une autorité ni un contrôle effectifs sur le territoire en question, il estime que l’on ne peut lui demander d’en faire davantage pour remplir son obligation positive à l’égard des requérants.
134. Le gouvernement moldave admet que les initiatives prises par la Moldova pour améliorer la situation des requérants peuvent passer pour une reconnaissance implicite d’un manquement aux droits des intéressés. Il ne défend donc pas la thèse de la non-violation du droit à l’instruction en l’espèce, mais prie la Cour d’apprécier soigneusement la responsabilité de chacun des Etats défendeurs à cet égard.
3. Le gouvernement russe
135. Le gouvernement russe, qui nie toute responsabilité relativement aux actes de la « RMT », n’a soumis que des observations limitées sur le fond de l’affaire. Il estime toutefois que la Russie ne peut être tenue pour responsable des actes commis par la police de la « RMT » lors de la prise d’assaut des locaux scolaires, ou de la coupure du raccordement de l’un des établissements à l’eau et à l’électricité décidée par les autorités locales de la « RMT ». Dans la crise des écoles, la Russie n’aurait joué que le rôle de médiateur. Avec les médiateurs ukrainiens et de l’OSCE, elle aurait tenté d’aider les parties à résoudre le conflit. De plus, à partir de septembre-octobre 2004, grâce à la médiation internationale, les problèmes auraient été réglés et les élèves des trois écoles auraient pu reprendre les cours.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
136. En interprétant et en appliquant l’article 2 du Protocole no 1, la Cour doit garder à l’esprit que le contexte de cet article réside dans un traité pour la protection effective des droits individuels de l’homme et que la Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter de manière à promouvoir sa cohérence interne et l’harmonie entre ses diverses dispositions (Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 48, CEDH 2005‑X ; Austin et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 39692/09, 40713/09 et 41008/09, § 54, 15 mars 2012). Dès lors, il faut lire les deux phrases de l’article 2 du Protocole no 1 à la lumière non seulement l’une de l’autre, mais aussi, notamment, des articles 8, 9 et 10 de la Convention qui proclament le droit de toute personne, y compris les parents et les enfants, « au respect de sa vie privée et familiale », à « la liberté de pensée, de conscience et de religion » et à « la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées » (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, § 52, série A no 23 ; Folgerø et autres c. Norvège [GC], no 15472/02, § 84, CEDH 2007‑III ; Lautsi et autres c. Italie [GC], no 30814/06, § 60, CEDH 2011 ; voir également Chypre c. Turquie, précité, § 278). Dans l’interprétation et l’application de l’article en question, il faut aussi tenir compte de toute règle et de tout principe de droit international applicables aux relations entre les parties contractantes, et la Convention doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international, dont elle fait partie intégrante (Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001‑XI ; Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, § 67, CEDH 2008 ; Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 62, CEDH 2008 ; Rantsev c. Chypre et Russie, no 25965/04, §§ 273-274, CEDH 2010). Les dispositions relatives au droit à l’éducation énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Convention relative aux droits de l’enfant sont donc à prendre en considération (paragraphes 77-81 ci-dessus ; voir aussi Timichev, précité, § 64). Enfin, la Cour souligne que l’objet et le but de la Convention, instrument de protection des êtres humains, appellent à comprendre et appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (voir notamment Soering, précité, § 87, et Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37).
137. En s’engageant, par la première phrase de l’article 2 du Protocole no 1, à ne pas « refuser le droit à l’instruction », les Etats contractants garantissent à quiconque relève de leur juridiction un droit d’accès aux établissements scolaires existant à un moment donné (Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » c. Belgique (fond), 23 juillet 1968, §§ 3 et 4, série A no 6). Ce droit d’accès ne forme qu’une partie du droit à l’instruction énoncé dans la première phrase. Pour qu’il produise des effets utiles, il faut encore, notamment, que l’individu qui en est titulaire ait la possibilité de tirer un bénéfice de l’enseignement suivi, c’est-à-dire le droit d’obtenir, conformément aux règles en vigueur dans chaque Etat et sous une forme ou une autre, la reconnaissance officielle des études accomplies (ibidem, § 4). De plus, bien que les termes de l’article 2 du Protocole no 1 ne spécifient pas la langue dans laquelle l’enseignement doit être dispensé, le droit à l’instruction serait vide de sens s’il n’impliquait pas, pour ses titulaires, le droit de recevoir un enseignement dans la langue nationale ou dans une des langues nationales, selon le cas (ibidem, § 3).
138. Sur le droit fondamental à l’instruction consacré par la première phrase se greffe le droit énoncé par la seconde phrase de l’article. C’est aux parents qu’il incombe en priorité d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants ; en conséquence, les parents peuvent exiger de l’Etat le respect de leurs convictions religieuses et philosophiques (ibidem, §§ 3-5, et Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, § 52). La seconde phrase vise à sauvegarder la possibilité d’un pluralisme éducatif, essentielle à la préservation de la « société démocratique » telle que la conçoit la Convention. Cette phrase implique que l’Etat, en s’acquittant des fonctions assumées par lui en matière d’éducation et d’enseignement, veille à ce que les informations ou connaissances figurant au programme soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste. Elle lui interdit de poursuivre un but d’endoctrinement qui puisse être considéré comme ne respectant pas les convictions religieuses et philosophiques des parents (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, §§ 50 et 53 ; Folgerø et autres, précité, § 84 ; Lautsi et autres, précité, § 62).
139. Les droits énoncés à l’article 2 du Protocole no 1 s’appliquent aux établissements publics comme privés (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen, précité, § 50). De plus, la Cour a déclaré que cette disposition vaut pour les niveaux primaire, secondaire et supérieur de l’enseignement (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, §§ 134 et 136, CEDH 2005‑XI).
140. La Cour reconnaît toutefois que, pour important qu’il soit, le droit à l’instruction n’est pas absolu mais peut donner lieu à des limitations. Celles‑ci sont implicitement admises tant qu’il n’y a pas d’atteinte à la substance du droit ; en effet, le droit d’accès « appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat » (Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique », arrêt précité, § 3). Afin de s’assurer que les limitations mises en œuvre ne réduisent pas le droit dont il s’agit au point de l’atteindre dans sa substance même et de le priver de son effectivité, la Cour doit se convaincre que celles-ci sont prévisibles pour le justiciable et tendent à un but légitime. Toutefois, à la différence des articles 8 à 11 de la Convention, l’article 2 du Protocole no 1 ne lie pas la Cour par une énumération exhaustive des « buts légitimes » (voir, mutatis mutandis, Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 36, CEDH 2002-II). En outre, une limitation ne se concilie avec ladite clause que s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Leyla Şahin, précité, § 154). S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention, les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation dans le domaine de l’instruction. Cette marge s’accroît à mesure que l’on s’élève dans le niveau d’enseignement, et ce de manière inversement proportionnelle à l’importance que revêt cet enseignement pour l’individu et pour la société dans son ensemble (Ponomaryovi c. Bulgarie, no 5335/05, § 56, CEDH 2011).
2. Sur la question de savoir s’il y a eu en l’espèce violation du droit des requérants à l’instruction
141. La Cour relève que ni l’un ni l’autre des gouvernements défendeurs ne contestent les allégations des requérants relatives à la fermeture des établissements scolaires. D’ailleurs, les principaux événements survenus en 2002 et en 2004 ont été observés et attestés par un certain nombre d’organisations internationales, notamment l’OSCE (paragraphe 66 ci‑dessus). Même si les écoles ont par la suite été autorisées à rouvrir leurs portes, les requérants se plaignent aussi de ce que les autorités de la « RMT » aient réquisitionné les bâtiments des établissements en question, qui ont dû s’installer dans d’autres locaux, moins bien équipés et moins bien situés. Les requérants affirment avoir été la cible d’une campagne systématique de harcèlement et d’intimidation menée par des représentants du régime de la « RMT » et par des particuliers. Les enfants auraient été insultés sur le chemin de l’école et arrêtés et fouillés par la police de la « RMT » et les garde-frontières, qui auraient confisqué les manuels en alphabet latin trouvés par eux. De plus, les deux écoles situées sur le territoire contrôlé par la « RMT » auraient été la cible d’actes répétés de vandalisme. L’alternative, pour les parents et les enfants appartenant à la communauté moldave, aurait consisté soit à subir ce harcèlement soit à opter pour un établissement scolaire où l’enseignement était dispensé en russe, en ukrainien ou en « moldavien », c’est-à-dire en moldave/roumain écrit avec l’alphabet cyrillique. Le « moldavien » ne serait ni utilisé ni reconnu ailleurs dans le monde, bien qu’il eût été l’une des langues officielles de la Moldova à l’époque soviétique. De ce fait, le seul matériel pédagogique à la disposition des écoles de langue « moldavienne », dans la Transnistrie actuelle, daterait de l’ère soviétique. Compte tenu de l’absence d’instituts ou d’universités de langue « moldavienne », les enfants issus de telles écoles et désireux de faire des études supérieures seraient contraints d’apprendre un nouvel alphabet ou une nouvelle langue.
142. Si la Cour a du mal à établir précisément ce que les requérants ont vécu après la réouverture des écoles, elle relève toutefois ce qui suit. Premièrement, l’article 6 de la « loi de la RMT sur les langues » était en vigueur et l’usage de l’alphabet latin constituait une infraction au sein de la « RMT » (paragraphe 43 ci-dessus). Deuxièmement, il est clair que les établissements en question ont dû déménager dans de nouveaux bâtiments : ainsi, les locaux de l’école Alexandru cel Bun ont été répartis sur trois sites et les élèves de l’établissement Ştefan cel Mare se sont trouvés contraints de parcourir chaque jour quarante kilomètres. Troisièmement, selon des chiffres fournis par le gouvernement moldave, entre 2007 et 2011 les effectifs des deux écoles demeurées sur le territoire contrôlé par la « RMT » ont diminué de moitié environ et le nombre d’élèves étudiant en moldave/roumain dans l’ensemble de la Transnistrie a lui aussi considérablement chuté. Même s’il semble que la population de Transnistrie soit vieillissante et que les Moldaves, en particulier, aient tendance à émigrer (paragraphes 8 et 42 ci-dessus), la Cour estime que la baisse de fréquentation de 50 % accusée par les écoles Evrica et Alexandru cel Bun est trop forte pour s’expliquer uniquement par des facteurs démographiques. Pour la Cour, ces éléments incontestés viennent corroborer l’essentiel des allégations formulées dans les quatre-vingt-une déclarations sous serment dans lesquelles les parents et élèves requérants relatent le harcèlement constant subi par eux.
143. De tout temps, les écoles en question ont été enregistrées auprès du ministère moldave de l’Education, ont suivi un programme établi par celui‑ci et dispensé un enseignement dans la première langue officielle de la Moldova. C’est pourquoi la Cour considère que la fermeture forcée des écoles, sur le fondement de « loi de la RMT sur les langues » (paragraphes 43-44 ci-dessus), et les mesures de harcèlement consécutives ont porté atteinte au droit d’accès des élèves requérants aux établissements scolaires qui existaient à un moment donné, ainsi qu’à leur droit de recevoir un enseignement dans leur langue nationale (paragraphe 137 ci-dessus). De plus, la Cour estime que les mesures en question s’analysent en une atteinte au droit des parents requérants d’assurer à leurs enfants une éducation et un enseignement conformes à leurs convictions philosophiques. Comme indiqué ci-dessus, l’article 2 du Protocole no 1 doit être lu à la lumière de l’article 8 de la Convention, qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale, notamment. Les parents requérants en l’espèce souhaitaient que leurs enfants reçoivent un enseignement dans la langue officielle de leur pays, qui était aussi leur propre langue maternelle. Au lieu de cela, ils ont été placés dans la situation ingrate d’avoir à choisir entre, d’une part, envoyer leurs enfants dans des écoles où ils seraient désavantagés par le fait de devoir accomplir toute leur scolarité secondaire dans une combinaison langue/alphabet que les parents requérants jugent artificielle, qui n’est reconnue nulle part ailleurs dans le monde et qui implique l’utilisation d’un matériel pédagogique conçu à l’époque soviétique et, d’autre part, obliger leurs enfants à effectuer de longs trajets ou à aller dans des locaux ne répondant pas aux normes, et à subir des actes de harcèlement et d’intimidation.
144. Rien dans le dossier ne donne à penser que les mesures prises par les autorités de la « RMT » contre ces établissements scolaires poursuivaient un but légitime. Il apparaît en effet que la politique linguistique de la « RMT », telle qu’appliquée à ces écoles, avait pour but la russification de la langue et de la culture de la communauté moldave de Transnistrie, conformément aux objectifs politiques généraux poursuivis par la « RMT », à savoir le rattachement à la Russie et la sécession d’avec la Moldova. Compte tenu de l’importance fondamentale que revêt l’enseignement primaire et secondaire pour l’épanouissement personnel et la réussite future de tout enfant, il était inadmissible d’interrompre la scolarité des élèves concernés et de forcer ceux-ci et leurs parents à faire des choix si difficiles à la seule fin d’enraciner l’idéologie séparatiste.
3. La responsabilité des Etats défendeurs
a) La République de Moldova
145. La Cour doit ensuite déterminer si la République de Moldova a satisfait à son obligation de prendre des mesures appropriées et suffisantes pour garantir aux requérants les droits découlant de l’article 2 du Protocole no 1 (paragraphe 110 ci-dessus). Dans l’arrêt Ilaşcu et autres (précité, §§ 339-340), elle avait dit que les obligations positives incombant à la Moldova concernaient tant les mesures nécessaires pour rétablir son contrôle sur le territoire transnistrien, en tant qu’expression de sa juridiction, que les mesures destinées à assurer le respect des droits des requérants individuels. L’obligation relative au rétablissement du contrôle sur la Transnistrie supposait, d’une part, que la Moldova s’abstînt de soutenir le régime séparatiste et, d’autre part, qu’elle agît et prît toutes les mesures politiques, juridiques ou autres à sa disposition pour rétablir son contrôle sur ce territoire.
146. Concernant l’exécution de ces obligations positives, la Cour avait jugé dans l’arrêt Ilaşcu et autres que, du début des hostilités en 1991-1992 au prononcé de l’arrêt (juillet 2004), la Moldova avait pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir pour rétablir son contrôle sur le territoire transnistrien (ibidem, §§ 341-345). Or rien n’indique que la Cour doive conclure différemment en l’espèce.
147. La Cour avait dit par ailleurs que, dans la mesure où elle n’avait pas pris toutes les mesures qui étaient à sa disposition lors des négociations avec les autorités de la « RMT » et de la Russie pour faire cesser la violation des droits des requérants à cet égard, la Moldova n’avait pas satisfait pleinement à son obligation positive (ibidem, §§ 348-352). En l’espèce, elle estime en revanche que le gouvernement moldave a déployé des efforts considérables pour soutenir les requérants. Ainsi, après la réquisition par la « RMT » des anciens bâtiments des écoles concernées, le gouvernement moldave a payé le loyer et la rénovation de nouveaux locaux, de même que l’ensemble de l’équipement, les salaires du personnel et les frais de transport, ce qui a ainsi permis aux écoles de continuer à fonctionner et aux enfants de poursuivre leur apprentissage en langue moldave, même si les conditions étaient loin d’être idéales (paragraphes 49-53, 56 et 61-63 ci-dessus).
148. A la lumière de ce qui précède, la Cour juge que la République de Moldova a satisfait à ses obligations positives à l’égard des requérants en l’espèce. Dès lors, elle estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 1 par cet Etat.
b) La Fédération de Russie
149. La Cour observe qu’il n’y a aucune preuve d’une participation directe d’agents russes aux mesures prises contre les requérants. De même, rien n’indique que la Fédération de Russie soit intervenue dans la politique linguistique de la « RMT » en général ou qu’elle l’ait approuvée. De fait, c’est grâce aux efforts de médiateurs russes, agissant de concert avec des médiateurs ukrainiens et de l’OSCE, que les autorités de la « RMT » ont autorisé les écoles à rouvrir en tant qu’« établissements scolaires privés étrangers » (paragraphes 49, 56 et 66 ci-dessus).
150. Cela étant, la Cour a établi que la Russie exerçait un contrôle effectif sur la « RMT » pendant la période en question. Eu égard à cette conclusion, et conformément à la jurisprudence de la Cour, il n’y a pas lieu de déterminer si la Russie exerçait un contrôle précis sur les politiques et les actes de l’administration locale subordonnée (paragraphe 106 ci-dessus). Du fait de son soutien militaire, économique et politique continu à la « RMT », laquelle n’aurait pu survivre autrement, la responsabilité de la Russie se trouve engagée au regard de la Convention à raison de l’atteinte au droit des requérants à l’instruction. Dès lors, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention par la Fédération de Russie.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
151. L’article 8 de la Convention est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
152. Pour les requérants, le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 englobe un droit à la reconnaissance de la langue en tant qu’élément de l’identité ethnique ou culturelle. La langue serait un moyen essentiel d’interaction sociale et de développement de l’identité personnelle. Tel serait particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, la langue est la caractéristique qui définit et distingue un groupe ethnique ou culturel spécifique. Dans la présente affaire, le fait d’avoir empêché les élèves requérants d’étudier avec l’alphabet correspondant à leur propre langue, aspect essentiel de leur identité linguistique et culturelle, aurait constitué une atteinte directe à leurs droits résultant de l’article 8. Cette atteinte serait particulièrement grave car l’imposition de l’alphabet étranger aurait délibérément visé à anéantir le patrimoine linguistique de la population moldave sur le territoire de la « RMT » et à forcer cette population à adopter une nouvelle identité, « russophile ». De plus, les actes de harcèlement et d’intimidation subis par les élèves parce qu’ils fréquentaient les écoles de leur choix auraient engendré chez eux des sentiments d’humiliation et de peur qui auraient eu sur leur vie privée ainsi que sur leur vie familiale des répercussions importantes dues aux pressions extrêmes exercées sur eux.
153. Pour le gouvernement moldave, la langue est un aspect de l’identité ethnique et culturelle, laquelle fait partie de la vie privée au sens de l’article 8. Les autorités de la « RMT » auraient porté atteinte aux droits des requérants découlant de l’article 8, mais la Moldova aurait rempli son obligation positive à cet égard.
154. Le gouvernement russe soutient que les requérants ne relevaient pas de la juridiction de la Russie et que, dès lors, la question de savoir s’il y a eu atteinte à leurs droits résultant de l’article 8 ne concerne pas cet Etat.
155. A la lumière de ses conclusions sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 8.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION, PRIS ISOLÉMENT OU COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 1 OU AVEC L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
156. L’article 14 de la Convention énonce :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
157. Les requérants se plaignent d’avoir subi une discrimination fondée sur leur appartenance ethnique et leur langue. Ils soutiennent que l’obligation faite aux Moldaves d’étudier dans une langue artificielle, non reconnue en dehors de la Transnistrie, leur a causé dans leur scolarité et dans leur vie privée et familiale des difficultés que ne connaissent pas les membres des autres grandes communautés de Transnistrie, à savoir les Russes et les Ukrainiens.
158. Le gouvernement moldave n’a pas pris position sur le point de savoir si les requérants ont ou non subi une discrimination, réitérant simplement son avis selon lequel la Moldova a satisfait à ses obligations positives découlant de la Convention.
159. Comme pour l’article 8, le gouvernement russe s’est refusé à tout commentaire sur les questions soulevées au regard de l’article 14.
160. A la lumière de ses conclusions sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 14.
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
161. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
162. Les requérants réclament des sommes pour préjudice moral ainsi que pour frais et dépens.
A. Dommage
163. Les requérants demandent réparation pour la dépression, l’anxiété, l’humiliation et l’état de stress post-traumatique dont ils auraient souffert en conséquence directe de la violation de leurs droits découlant de la Convention. A leurs yeux, un tel préjudice moral ne peut être réparé par un simple constat de violation. Dans l’affaire Sampanis et autres c. Grèce (no 32526/05, 5 juin 2008), la Cour aurait alloué 6 000 EUR à chaque requérant ayant connu anxiété, humiliation et dépression du fait que l’inscription de son enfant à l’école avait été refusée pour des motifs d’appartenance ethnique. Sur cette base, chacun des requérants en l’espèce pourrait prétendre à une somme minimum de 6 000 EUR pour le préjudice directement résulté de l’impossibilité qui lui aurait été faite, à raison de son appartenance ethnique et de sa langue, d’accéder à une éducation appropriée. Les requérants estiment par ailleurs que pour l’examen des demandes de réparation émanant de victimes nombreuses, la Cour devrait adopter une approche semblable à celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, laquelle s’appuierait sur une estimation approximative des dommages subis fondée sur la configuration des faits spécifique à chaque type de requérant (voir, par exemple, l’affaire González et autres (« Champ de coton ») c. Mexique, arrêt du 16 novembre 2009). Ainsi, en l’espèce, chaque requérant qui était mineur à l’époque des violations aurait droit à un montant supplémentaire de 3 000 EUR pour préjudice moral. Les parents requérants qui ont fait l’objet d’une arrestation, d’actes d’intimidation ou de menaces de licenciement ou de déchéance de leurs droits parentaux sollicitent chacun une somme supplémentaire de 5 000 EUR. Tous les requérants pour lesquels a été enregistré un résultat supérieur au seuil défini par la liste de contrôle des symptômes de Hopkins (Hopkins Symptom Checklist-25) pour anxiété et dépression sévères demandent un supplément de 5 000 EUR chacun.
164. Selon le gouvernement russe, les prétentions des requérants sont infondées et non étayées. Il y aurait lieu pour la Cour de s’inspirer de sa propre jurisprudence, et non de l’approche suivie par la Cour interaméricaine. Les faits litigieux se seraient produits pour la plupart en 2002 et en 2004, et ils auraient ensuite été réglés. Quoi qu’il en soit, les requérants n’auraient fourni aucune preuve écrite à l’appui de leurs allégations selon lesquelles certains d’entre eux avaient perdu leur emploi, avaient été arrêtés et interrogés, avaient été victimes de violences physiques et avaient reçu des avertissements et des menaces. La liste de contrôle des symptômes de Hopkins, instrument de mesure des symptômes d’anxiété et de dépression, serait conçue pour être utilisée par des professionnels de la santé sous la supervision d’un psychiatre ou d’un médecin. Autoadministré comme il l’aurait été en l’espèce par les requérants, le test en question serait dépourvu de fiabilité et ne prouverait pas grand-chose. Enfin, la présente espèce ne serait pas comparable à l’affaire Sampanis, précitée, qui porterait sur une discrimination subie par des citoyens grecs qui vivaient en Grèce. La Fédération de Russie aurait constamment exprimé l’opinion que les requérants résidant en Transnistrie ne relèvent pas de sa juridiction. Dans l’hypothèse où la Cour parviendrait à une conclusion opposée, un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.
165. La Cour rappelle qu’elle n’a pas estimé nécessaire, ni même possible, en l’espèce d’examiner séparément les griefs de chacun des requérants concernant les actes de harcèlement qu’ils auraient subis de la part des autorités de la « RMT ». De plus, la chambre a déclaré irrecevables le 15 juin 2010 les griefs des intéressés tirés de l’article 3 de la Convention. Ayant observé que les requérants n’avaient « [pas soumis] d’éléments médicaux objectifs », la chambre a considéré que « les tests [de la liste de contrôle des symptômes de Hopkins] autoadministrés ne sauraient remplacer l’examen et l’appréciation d’un professionnel de la santé mentale » et a conclu que les éléments dont elle disposait ne corroboraient pas le point de vue selon lequel le seuil élevé de gravité requis pour l’appréciation de l’article 3 avait été atteint (Catan et autres c. Moldova et Russie (déc.), nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06, § 108, 15 juin 2010).
166. Il est clair cependant que les requérants – parents et enfants – ont subi, en conséquence de la politique linguistique de la « RMT », un préjudice moral auquel un constat de violation de la Convention n’apporterait pas un redressement suffisant. Les montants sollicités par les requérants sont néanmoins excessifs. Statuant en équité, la Cour évalue à 6 000 EUR le préjudice moral souffert par chacun des requérants.
B. Frais et dépens
167. Les requérants n’ont pas soumis de demande distincte pour les frais et dépens relatifs à la procédure devant la Grande Chambre. Le 20 septembre 2010, ils avaient en revanche déposé une demande de remboursement des frais et dépens liés à la procédure devant la chambre, notamment de ceux entraînés par la participation à l’audience sur la recevabilité. Dans ce document, ils soutenaient que la complexité de l’affaire justifiait leur représentation par deux avocats et un conseiller. Leurs représentants auraient consacré 879 heures de travail aux trois affaires, pour l’ensemble des 170 requérants, ce qui correspondrait à une somme totale de 105 480 EUR.
168. Le gouvernement moldave n’a pas fait de commentaires sur le montant sollicité pour frais et dépens.
169. Le gouvernement russe considère que dès lors que les requérants n’ont pas soumis de demande pour les frais et dépens exposés devant la Grande Chambre, il n’y a pas lieu de leur allouer une somme à ce titre. Concernant les prétentions en date du 20 septembre 2010, il n’y avait selon lui nul besoin de faire appel à autant de représentants et il conviendrait de revoir à la baisse les montants sollicités, de manière à prendre en considération le fait que les trois requêtes soulèvent des questions de droit identiques.
170. Compte tenu de l’ensemble des facteurs pertinents et de l’article 60 § 2 de son règlement, la Cour alloue conjointement à l’ensemble des requérants 50 000 EUR pour frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
171. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, à l’unanimité, que les faits incriminés par les requérants relèvent de la juridiction de la République de Moldova ;
2. Dit, par seize voix contre une, que les faits incriminés par les requérants relèvent de la juridiction de la Fédération de Russie, et rejette l’exception préliminaire soulevée par la Fédération de Russie ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention par la République de Moldova ;
4. Dit, par seize voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention par la Fédération de Russie ;
5. Dit, par douze voix contre cinq, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs des requérants fondés sur l’article 8 de la Convention ;
6. Dit, par onze voix contre six, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs des requérants fondés sur l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 2 du Protocole no 1 ou avec l’article 8 ;
7. Dit, par seize voix contre une,
a) que la Fédération de Russie doit verser, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i. 6 000 EUR (six mille euros) à chacun des requérants nommés dans l’annexe au présent arrêt pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme ;
ii. 50 000 EUR (cinquante mille euros) conjointement à l’ensemble des requérants pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme par les requérants ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
8. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 19 octobre 2012.
Michael O’BoyleNicolas Bratza
GreffierPrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion en partie dissidente commune aux juges Tulkens, Vajić, Berro-Lefèvre, Bianku, Poalelungi et Keller ;
– opinion en partie dissidente du juge Kovler.
N.B.
M.O.B.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES TULKENS, VAJIĆ, BERRO-LEFÈVRE, BIANKU, POALELUNGI ET KELLER
1. A la lumière des conclusions sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 1, la majorité estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 8 de la Convention ni celui tiré de l’article 14. Nous comprenons certainement que dans certaines affaires, soit lorsque l’arrêt a traité la question juridique principale, soit lorsque les griefs se confondent ou se recoupent les uns les autres, la Cour utilise cette formule que l’on pourrait qualifier d’économie procédurale. Mais, en l’espèce, elle nous semble trop réductrice, ne permettant pas d’appréhender la situation dans son ensemble, avec les conséquences qui en découlent.
Article 8
2. Il nous semble important de souligner que le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention, sous son double aspect individuel et social, contient un droit à la reconnaissance de la langue en tant qu’élément de l’identité culturelle. La langue est un vecteur essentiel à la fois de développement personnel et d’interaction sociale.
3. La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant de 1989 dispose expressément que l’éducation doit être dirigée vers le respect de l’identité, de la langue et des valeurs du pays dans lequel l’enfant vit ou dont il est originaire (article 29 § 1 c)).
4. Au regard de la vie privée et familiale, l’argument des requérants selon lequel l’imposition d’un alphabet étranger aurait visé à porter atteinte, voire à anéantir, le patrimoine linguistique de la population moldave et à la forcer en quelque sorte à adopter une nouvelle « identité » n’est certainement pas sans force et aurait mérité un examen séparé. D’autant plus que se trouve en jeu la question du développement intellectuel des enfants – qui relève évidemment de la vie privée – dans une société qui parle la même langue mais qui l’écrit dans un alphabet différent. Un risque d’appauvrissement de cette identité linguistique et culturelle n’est pas à exclure.
5. A cela s’ajoute encore une autre considération, davantage liée à la vie des familles et aux échanges au sein de celles-ci dans la langue commune. Pensons, par exemple, à une lettre, un courriel ou un SMS écrit par les parents en roumain avec des lettres latines adressées à leurs enfants qui étudient le roumain avec des lettres cyrilliques : l’obligation d’écrire dans un autre alphabet la même langue pourrait peut-être, dans certaines situations, poser un problème de communication.
6. Dans le cas d’espèce, on ne peut négliger les répercussions, tant sur la vie privée que sur la vie familiale des requérants, des actes d’intimidation et de harcèlement que les élèves et leurs parents ont subis. Le dossier établit clairement que les autorités de la « République moldave de Transnistrie » ont créé un tel climat d’intimidation qu’il a eu un « chilling effect » sur les élèves non seulement par exemple dans l’utilisation des manuels scolaires écrits en alphabet latin mais aussi plus largement dans l’utilisation de leur langue à l’intérieur et à l’extérieur de l’école.
7. Ainsi, le 29 juillet 2004, la police transnistrienne est intervenue et a envahi l’école Evrica à Rîbniţa pour faire sortir les femmes et les enfants qui s’y trouvaient. Au cours des jours suivants, la police et des responsables de la Direction de l’éducation de Rîbniţa se sont rendus chez les parents pour les menacer de la perte de leur emploi s’ils ne changeaient pas leurs enfants d’école (paragraphe 48). Ces interventions nous paraissent disproportionnées et constituent des menaces sur les familles non seulement à l’école mais aussi à la maison.
8. A cela s’ajoute un ensemble d’autres actes purement vexatoires tels que les coupures d’eau et d’électricité à l’école Alexandru cel Bun à Tighina (paragraphe 55), l’absence de protection de l’école Evrica à Rîbniţa contre une campagne systématique de vandalisme (paragraphe 51), ou encore le transfert de l’école Ştefan cel Mare (Grigoriopol) vingt kilomètres plus loin, dans un village sous contrôle moldave, et l’obligation pour les élèves de s’y rendre en autocar avec, tous les jours, des contrôles systématiques à la frontière, accompagnés parfois d’insultes.
9. En ce qui concerne de manière plus spécifique la question des contrôles et des fouilles, l’arrêt Gillan et Quinton c. Royaume-Uni (CEDH 2010) montre très clairement, quoique dans un autre contexte, le danger d’arbitraire en ce domaine et l’impérieuse nécessité de prévoir des mesures de sauvegarde (paragraphes 85 et 86 de l’arrêt en question).
10. Il est donc évident à nos yeux que cette atmosphère d’intimidation a affecté la vie quotidienne des familles vivant en permanence dans un environnement hostile.
11. Telles sont les raisons pour lesquelles nous pensons qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 8 de la Convention.
12. En outre, toutes ces mesures ont été utilisées systématiquement contre la communauté moldave qui utilise l’alphabet latin, ce qui nous amène à l’article 14 de la Convention.
Article 14
13. Les requérants se plaignent d’avoir subi une discrimination fondée sur leur langue. Plus précisément, ils soutiennent que l’obligation d’étudier dans une langue artificielle pour eux leur a causé dans leur vie privée et familiale, et notamment dans leur scolarité, des difficultés que ne connaissent pas les membres des autres communautés en Transnistrie, à savoir les Ukrainiens et les Russes. Ici aussi, cet argument méritait à notre avis un examen distinct.
14. Nous savons tous, en effet, que le langage est le support essentiel de l’éducation, celle-ci étant la voie d’accès à la socialisation. La Convention des Nations Unies de 1960 concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement le rappelle à juste titre, de même que la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965 (article 5 e) v.). Inversement, la barrière de la langue risque de placer les élèves dans une situation d’infériorité et, partant, dans certains cas, d’exclusion. Le rapport du Conseil de l’Europe de 1982 intitulé « Prévention de la délinquance juvénile : le rôle des institutions de socialisation dans une société en évolution »[2], montre de manière éclairante le rôle fondamental de l’école tout à la fois facteur d’intégration mais aussi de désintégration.
15. Dans le contexte social et politique de cette affaire, nous estimons donc que la différence de traitement à laquelle les élèves ont été soumis, avec les conséquences qui peuvent en découler, n’a pas de justification objective et raisonnable au sens de la jurisprudence de notre Cour. Ceci nous amène à conclure à la violation de l’article 14 de la Convention.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DU JUGE KOVLER
Je ne puis, à regret, partager les conclusions de la majorité sur plusieurs points, comme ce fut précédemment le cas dans les affaires Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie ([GC], no 48787/99, CEDH 2004‑VII) et Ivanţoc et autres c. Moldova et Russie (no 23687/05, 15 novembre 2011). Dans ces affaires, j’avais exprimé mon désaccord concernant la méthodologie de l’analyse (fausses ressemblances avec la situation chypriote), la présentation (assez sélective) des faits, l’analyse (contestable et contestée par plusieurs spécialistes[3]) des notions de « juridiction » et de « responsabilité », ce qui me dispense de le faire une nouvelle fois, la présente espèce s’inscrivant dans la série des affaires liées à la Transnistrie. Je me concentrerai donc sur les aspects propres à l’espèce.
Le souci de la Cour était à mon avis d’éviter à tout prix « un vide juridique » dans l’application territoriale de la Convention. La Cour devrait donc avant tout établir quelles sont les circonstances exceptionnelles susceptibles d’emporter exercice par l’Etat contractant (en l’occurrence la Russie) de sa juridiction à l’extérieur de ses propres frontières. Tel est le sens de l’appréciation des principes généraux relatifs à la juridiction, au sens de l’article 1 de la Convention, exprimé par la Cour dans les paragraphes 104 et 105 de l’arrêt, avec à l’appui une citation abondante de sa propre jurisprudence, y compris sa jurisprudence toute récente. Elle donne l’espoir d’une solution en laissant entendre au paragraphe 114 qu’il peut s’agir d’une action directe d’un Etat au travers de ses agents ou de son autorité, mais conclut tout de suite après, dans le même paragraphe : « La Cour admet que rien n’indique que des agents russes aient été directement impliqués dans les mesures prises contre les écoles des requérants ». Que reste-t-il alors comme circonstances exceptionnelles ? C’est « le contrôle effectif sur la « RMT » pendant la période pertinente » (paragraphes 114 et 116 de l’arrêt), auquel s’ajoutent les conclusions à forte empreinte politique (paragraphes 117-121). Est-ce suffisant ?
Certains observateurs évoquent « l’imprévisibilité » de la jurisprudence de la Cour dans certains domaines, notamment en matière de droit humanitaire (Kononov c. Lettonie [GC], no 36376/04, CEDH 2010)[4]. Par contraste, l’issue de la présente affaire était trop prévisible, compte tenu du fait que les arrêts Ilaşcu et autres et Ivanţoc et autres font déjà – à tort ou à raison – jurisprudence. Mais ce qui est « imprévisible » dans cet arrêt, c’est une interprétation controversée du contenu et de la portée du droit à l’instruction énoncé à l’article 2 du Protocole no 1. Dans la très classique Affaire linguistique belge, l’interprétation retenue par la Cour de la seconde phrase dudit article levait toute ambiguïté : « Cette disposition n’impose pas aux Etats le respect dans le domaine de l’éduction ou de l’enseignement, des préférences linguistiques des parents, mais uniquement celui de leurs convictions religieuses et philosophiques. Interpréter les termes « religieuses » et « philosophiques » comme couvrant les préférences linguistiques équivaudrait à en détourner le sens ordinaire et habituel et à faire dire à la Convention ce qu’elle ne dit pas » (Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » c. Belgique (fond), 23 juillet 1968, § 6, Série A no 6). Certes, le même arrêt indique que le droit à l’instruction serait vide de sens s’il n’impliquait pas, pour ses titulaires, le droit de recevoir un enseignement dans la langue nationale ou dans une des langues nationales selon le cas. La Cour aurait donc pu se concentrer sur l’exercice de ce droit « linguistique » qui, dans la présente affaire, se heurtait au problème de l’utilisation de tel ou tel alphabet.
Dans sa décision sur la recevabilité, la Cour a repris la position du gouvernement moldave à ce sujet : « Selon les informations dont dispose le gouvernement moldave, l’instruction dans les trois écoles qui sont au cœur des présentes requêtes serait actuellement assurée dans la langue officielle moldave, avec l’alphabet latin, et reposerait sur des programmes approuvés par le ministère moldave de l’Education et de la Jeunesse (MEJ). Les requérants n’auraient pas démontré que les autorités de la « RMT » soient parvenues à imposer l’alphabet cyrillique et un programme « RMT » (...) Ainsi, malgré les tentatives des autorités de la « RMT », les enfants recevraient un enseignement dispensé dans leur propre langue et de manière conforme aux convictions de leurs parents » (Catan et autres c. Moldova et Russie (déc.), nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06, § 117, 15 juin 2010).
A mon avis, le problème de l’enseignement proprement dit et de son volet linguistico-alphabétique s’arrête là. Bien sûr, il y a l’article 32 de la Convention, et il y a aussi la conception de la Convention selon laquelle celle-ci est un instrument vivant ; mais il ne faut pas oublier que la Convention est un traité international auquel s’applique la Convention de Vienne sur le droit des traités : « Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but » (article 31 « Règle générale d’interprétation »). A mes yeux, la Cour ne devait pas examiner au fond le grief tiré de l’article 2 du Protocole no 1, car ce grief dépasse largement le sens ordinaire donné au droit à l’instruction.
Mais la Cour suit une pente glissante proposée par les requérants : « l’éducation doit viser au « plein épanouissement de la personnalité humaine » (paragraphe 125 de l’arrêt). Saisie de cette demande, la Cour cherche à développer sa jurisprudence relative à l’article 2 du Protocole no 1... tout en renonçant, à la majorité, à replacer le problème dans le cadre des dispositions de l’article 8. La baguette magique de la doctrine de « l’interprétation évolutive » de la Convention ne touche que l’article 2 du Protocole no 1 en lui donnant un sens jamais vu... La tâche annoncée par la Cour au début de son analyse du contexte de cet article (paragraphe 136 de l’arrêt) entre en conflit avec le critère ratione materiae. Je crains que, par cette approche, la Cour fournisse un mauvais exemple de ce que l’on appelle « activisme judiciaire » : à mon avis, l’affaire est trop sensible pour être choisie comme champ d’essai de l’activisme judiciaire.
Cet activisme se manifeste aussi, hélas, dans l’application de l’article 41 de la Convention. Ce qui me choque avant tout, c’est l’approche « égalitariste » : les enfants de six ans au moment des faits (nés en 1997 ou en 1998) sont mis sur un pied d’égalité avec des élèves du secondaire, les parents d’élèves avec les parents qui n’ont pas inclus leurs enfants dans les requêtes. Dans l’arrêt assez récent Ponomaryovi c. Bulgarie (no 5335/05, § 56, CEDH 2011), la Cour a alloué à chacun des deux requérants 2 000 EUR en raison de la violation de l’article 14 combiné avec l’article 2 du Protocole no 1 ; dans Oršuš et autres c. Croatie ([GC], no 15766/03, CEDH 2010), qui concerne l’instruction des enfants roms, elle a octroyé pour plusieurs violations, notamment de l’article 2 du Protocole no 1, 4 500 EUR à chaque requérant, et dans Sampanis et autres c. Grèce (no 32526/05, 5 juin 2008) la somme de 6 000 EUR a été allouée à chacun des requérants compte tenu de la gravité plus grande de la violation (article 13 et article 14 combiné avec l’article 2 du Protocole no 1). Or, dans le cas d’espèce une seule violation est indemnisée beaucoup plus généreusement. Cette observation concerne aussi les frais et dépens : 10 000 EUR dans Oršuš et 50 000 EUR en l’espèce, alors qu’il s’agit de deux affaires de Grande Chambre... Le principe « ce n’est pas mon argent » ne joue pas, car il s’agit de l’argent des contribuables d’un Etat membre du Conseil de l’Europe.
Toutes ces considérations m’ont contraint à ne pas me rallier à la majorité sur certains points que j’estime être de première importance.
ANNEXE
LISTE DES REQUÉRANTS
1. Catan et autres (requête no 43370/04)
No
|
Requérant(e)
|
Date
de naissance
---|---|---
1.
|
BULGAC Elena
|
29/01/1968
2.
|
BULGAC Cristina
|
18/04/1988
3.
|
BULGAC Diana
|
29/05/1990
4.
|
CACEROVSCHI Lilia
|
14/10/1969
5.
|
CACEROVSCHI Andrei
|
07/01/1990
6.
|
CACEROVSCHI Tatiana
|
31/08/1995
7.
|
CATAN Alexei
|
02/06/1962
8.
|
CATAN Elena
|
09/10/1988
9.
|
CRIJANOVSCHI Anastasia
|
11/11/1969
10.
|
CRIJANOVSCHI Olesea
|
20/11/1994
11.
|
CRIJANOVSCHI Oxana
|
24/11/1990
12.
|
DUBCEAC Teodora
|
12/11/1957
13.
|
DUBCEAC Vladimir
|
22/07/1993
14.
|
PETELIN Tatiana
|
13/06/1969
15.
|
PETELIN Daniel
|
15/06/1994
16.
|
PRIMAC Maria
|
04/05/1961
17.
|
PRIMAC Ana
|
18/06/1991
18.
|
SAFONOVA Lidia
|
26/12/1967
19.
|
SAFONOVA Alisa
|
18/06/1995
20.
|
SAFONOVA Olesea
|
14/04/1990
21.
|
SALEBA Tatiana
|
24/05/1969
22.
|
SALEBA Iana
|
26/09/1989
23.
|
SARACUŢA Victor
|
20/08/1967
24.
|
SARACUŢA Doina
|
14/10/1990
25.
|
SARACUŢA Tatiana
|
16/05/1996
26.
|
SCRIPNIC Tatiana
|
29/08/1961
27.
|
SCRIPNIC Corneliu
|
25/04/1989
28.
|
TIHOVSCHI Andrei
|
09/12/1958
| |
2. Caldare et autres (requête no 8252/05)
No
|
Requérant(e)
|
Date
de naissance
---|---|---
29.
|
BEIU Elena
|
06/07/1970
30.
|
BEIU Vladimir
|
28/05/1991
31.
|
BURAC Tamara
|
31/08/1965
32.
|
BURAC Dorin
|
14/07/1994
33.
|
BURAC Irina
|
04/04/1986
34.
|
CALDARE Elena
|
15/08/1969
35.
|
CALDARE Ruxanda
|
02/02/1992
36.
|
CALMÎC Ecaterina
|
05/07/1971
37.
|
CALMÎC Vadim
|
10/12/1992
38.
|
CARACACI Claudia
|
05/06/1959
39.
|
CARACACI Ala
|
04/02/1987
40.
|
CARACACI Oxana
|
04/03/1988
41.
|
CÎRLAN Valentina
|
01/04/1969
42.
|
CÎRLAN Artiom
|
08/07/1991
43.
|
CÎRLAN Sergiu
|
28/05/1995
44.
|
DOCHIN Elena
|
29/09/1965
45.
|
DOCHIN Cristina
|
08/08/1989
| |
46.
|
GĂINĂ Maria
|
17/11/1967
---|---|---
47.
|
GĂINĂ Alina
|
15/12/1992
48.
|
GĂINĂ Victoria
|
02/04/1989
49.
|
LIULICA Victoria
|
28/04/1963
50.
|
LIULICA Elena
|
10/05/1990
51.
|
LIULICA Maxim
|
26/05/1987
52.
|
MUNTEANU Raisa
|
04/08/1958
53.
|
MUNTEANU Iulia
|
21/02/1994
54.
|
MUNTEANU Veronica
|
24/09/1987
55.
|
PĂDURARU Constantin
|
02/06/1967
56.
|
PĂDURARU Elena
|
08/06/1995
57.
|
RÎJALO Larisa
|
01/04/1966
58.
|
RÎJALO Rodica
|
07/10/1989
59.
|
SAVA Maria
|
18/10/1960
60.
|
SAVA Roman
|
22/12/1990
61.
|
SAVA Ştefan
|
22/12/1990
62.
|
SIMONOV Aurelia
|
18/09/1970
63.
|
GRIŢCAN Natalia
|
04/09/1994
64.
|
GRIŢCAN Olga
|
31/07/1996
65.
|
TELIPIS Olga
|
24/10/1955
66.
|
TELIPIS Alexandra
|
26/05/1990
67.
|
TELIPIS Cristina
|
26/05/1990
68.
|
ŢOPA Maria
|
30/06/1955
69.
|
ŢOPA Ana
|
30/01/1987
70.
|
ŢURCANU Tamara
|
06/10/1963
71.
|
ŢURCANU Andrei
|
29/09/1987
| |
3. Cercavschi et autres (requête no 18454/06)
No
|
Requérant(e)
|
Date
de naissance
---|---|---
72.
|
ARCAN Liuba
|
10/02/1977
73.
|
ARCAN Irina
|
08/10/1994
74.
|
BACIOI Anatoli
|
29/08/1960
75.
|
BACIOI Nina
|
18/08/1962
76.
|
BACIOI Irina
|
24/05/1989
77.
|
BACIOI Mariana
|
24/05/1989
78.
|
BALTAG Tamara
|
13/09/1961
79.
|
BALTAG Igor
|
16/12/1994
80.
|
BALTAG Liuba
|
18/11/1998
81.
|
BODAC Ion
|
02/06/1962
82.
|
BODAC Tatiana
|
24/07/1994
83.
|
BOVAR Natalia
|
15/07/1971
84.
|
BOVAR Alexandru
|
12/08/1992
85.
|
BOVAR Ana
|
14/12/1998
86.
|
BOZU Nicolae
|
11/10/1964
87.
|
BOZU Nina
|
18/07/1966
88.
|
BOZU Sergiu
|
20/11/1988
89.
|
BRIGALDA Serghei
|
08/10/1967
90.
|
BRIGALDA Svetlana
|
02/09/1971
91.
|
CALANDEA Galina
|
18/01/1974
92.
|
CALANDEA Iurie
|
30/10/1967
93.
|
CERCAVSCHI Eleonora
|
11/09/1960
94.
|
JMACOVA Nadejda
|
05/04/1989
95.
|
CHIRICOI Natalia
|
27/02/1964
96.
|
CHIRICOI Dumitru
|
06/08/1992
97.
|
CHIRICOI Liuba
|
16/04/1960
98.
|
CHIRILIUC Natalia
|
24/05/1966
99.
|
CHIRILIUC Mihail
|
08/06/1997
100.
|
CHIRILIUC Tatiana
|
26/04/1991
101.
|
CHIŞCARI Ghenadie
|
19/12/1961
102.
|
CHIŞCARI Egor
|
23/03/1989
103.
|
COJOCARU Mariana
|
16/10/1974
104.
|
COJOCARU Andrei
|
03/06/1998
105.
|
COJOCARU Corina
|
11/09/1996
106.
|
COJOCARU Doina
|
06/11/1994
107.
|
COJOCARU Elena
|
03/06/1998
108.
|
FRANŢUJAN Tatiana
|
22/03/1968
109.
|
FRANŢUJAN Elena
|
23/05/1990
110.
|
FRANŢUJAN Victoria
|
31/10/1988
111.
|
FRANŢUJAN Tatiana
|
01/02/1971
112.
|
GAVRILAŞENCO Maria
|
04/02/1964
113.
|
GAVRILAŞENCO Olga
|
08/10/1998
114.
|
GAZ Diana
|
21/05/1987
115.
|
GAZUL Svetlana
|
23/02/1967
116.
|
GAZUL Constantin
|
26/11/1992
117.
|
GAZUL Victor
|
05/08/1989
118.
|
GOGOI Svetlana
|
14/08/1977
119.
|
GOGOI Nicolae
|
20/05/1998
120.
|
GOLOVCO Irina
|
05/05/1960
121.
|
GOLOVCO Elena
|
14/06/1987
| |
122.
|
GORAŞ Angela
|
30/07/1970
---|---|---
123.
|
GORAŞ Vladimir
|
31/07/1967
124.
|
GORAŞ Valeriu
|
29/06/1994
125.
|
IVANOV Lidia
|
31/03/1967
126.
|
IVANOV Cristina
|
30/09/1989
127.
|
JITARIUC Svetlana
|
31/03/1960
128.
|
JITARIUC Laura
|
01/10/1994
129.
|
MASLENCO Boris
|
07/07/1966
130.
|
MASLENCO Valentina
|
02/02/1966
131.
|
MASLENCO Ion
|
25/05/1992
132.
|
MASLENCO Tatiana
|
20/05/1989
133.
|
MONOLATI Svetlana
|
16/08/1975
134.
|
MUNTEAN Ion
|
03/03/1958
135.
|
MUNTEAN Dumitru
|
17/09/1991
136.
|
NAZARET Natalia
|
13/11/1958
137.
|
NAZARET Gheorghe
|
04/08/1958
138.
|
NAZARET Elena
|
14/04/1989
139.
|
PALADI Natalia
|
24/05/1979
140.
|
PARVAN Elena
|
22/10/1973
141.
|
PARVAN Natalia
|
26/09/1993
142.
|
PARVAN Vitalie
|
29/06/1998
143.
|
PAVALUC Nadejda
|
08/05/1969
144.
|
PAVALUC Andrei
|
19/03/1991
145.
|
PAVALUC Ion
|
11/01/1994
146.
|
PLOTEAN Viorelia
|
25/08/1968
147.
|
PLOTEAN Cristina
|
03/07/1990
148.
|
PLOTEAN Victoria
|
13/02/1992
149.
|
POGREBAN Ludmila
|
07/07/1968
150.
|
RACILA Zinaida
|
10/04/1965
151.
|
RACILA Ecaterina
|
01/02/1991
152.
|
RACILA Ludmila
|
03/01/1989
153.
|
ROŞCA Nicolae
|
17/12/1957
154.
|
ROŞCA Victoria
|
09/04/1990
155.
|
ROTARU Emilia
|
17/08/1968
156.
|
ROTARU Ion
|
30/08/1989
157.
|
ROTARU Mihai
|
16/08/1994
158.
|
SANDUL Serghei
|
07/07/1970
159.
|
SANDUL Liubovi
|
15/08/1998
160.
|
STANILA Raisa
|
18/02/1961
161.
|
STANILA Svetlana
|
20/12/1988
162.
|
TARAN Igor
|
30/01/1969
163.
|
TARAN Olga
|
03/03/1998
164.
|
TIRON Valentina
|
01/07/1955
165.
|
TIRON Ana
|
19/06/1987
166.
|
TRANDAFIR Galina
|
26/08/1964
167.
|
TRANDAFIR Natalia
|
24/11/1987
168.
|
TULCII Igor
|
07/07/1963
169.
|
TULCII Olga
|
01/10/1987
170.
|
ZEABENŢEV Andrei
|
28/12/1997
| | | |
* * *
[1]. Note du greffe : M. Shevchuk a été élu « président » de la « RMT » en décembre 2011.
[2]. Comité européen pour les problèmes criminels, Prévention de la délinquance juvénile : le rôle des institutions de socialisation dans une société en évolution, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1982.
[3]. Evoquant la conclusion de la Cour, dans l’arrêt Ilaşcu et autres, sur « l’autorité effective » et « l’influence décisive » de la Russie dans la région, G. Cohen-Jonathan observe : « Voilà qui rappelle les termes et la solution analysée dans l’arrêt Chypre c. Turquie : ce qui compte au titre de l’article 1er est de savoir quel Etat exerce le contrôle effectif (ou l’influence « décisive ») à défaut d’un contrôle global » – G. Cohen-Jonathan. « Quelques observations sur les notions de « juridiction » et d’ « injonction » », Revue trimestrielle des droits de l’homme, no 2005/64, p. 772.
[4]. E. Decaux. « De l’imprévisibilité de la jurisprudence européenne en matière de droit humanitaire », Revue trimestrielle des droits de l’homme, no 2011/86, pp. 343-357.