TROISIÈME SECTION
AFFAIRE K.A. c. SUISSE
(Requête no 62130/15)
ARRÊT
Art 8 • Respect de la vie familiale • Renvoi et interdiction de séjour d’un étranger pour une durée de sept ans à la suite d’une condamnation pénale (26 mois d’emprisonnement) • Requérant vivant en Suisse et marié depuis plus de quinze ans au moment du rejet de son dernier recours contre la décision de séjour, avec épouse et enfant malades, mais absence de prise en charge quotidienne et contacts raréfiés pendant l’emprisonnement • Gravité de l’infraction (trafic d’héroïne) • Caractère temporaire de l’interdiction • Possibilité de suspension temporaire de l’interdiction pour visite aux proches • Mise en balance suffisante de motifs pertinents
STRASBOURG
7 juillet 2020
DÉFINITIF
07/10/2020
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire K.A. c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :
Paul Lemmens, président,
Georgios A. Serghides,
Helen Keller,
Alena Poláčková,
Gilberto Felici,
Lorraine Schembri Orland,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,
Vu :
la requête susmentionnée (no. 62130/15) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant kosovar[1], M. K.A. (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 14 décembre 2015,
la décision du président de la section de ne pas dévoiler l’identité du requérant,
les observations des parties,
Notant que le 4 décembre 2018, le grief concernant la violation alléguée de l’article 8 de la Convention a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 juin 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
La requête concerne le rejet de la demande du requérant tendant à la prolongation de son autorisation de séjour et l’interdiction d’entrée sur le territoire suisse prononcée à son encontre à la suite de sa condamnation pénale pour une infraction à la loi sur les stupéfiants. Le requérant a par conséquent été renvoyé de la Suisse où résident son épouse et son fils, tous les deux malades.
EN FAIT
1. Le requérant est né en 1976 et résidait auparavant à Lützelflüh ; son adresse actuelle n’est pas connue de la Cour. Il est représenté par Me B. Schneider, avocat.
2. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. A. Chablais, de l’Office fédéral de la justice.
3. Le requérant vécut et effectua sa scolarité au Kosovo, avant d’émigrer en Suisse et d’y demander l’asile en septembre 1996. Cette demande fut rejetée le 20 décembre 1996. Après que le recours du requérant ne fut pas examiné, faute pour celui-ci d’avoir versé l’avance de frais y relative, un délai échéant au 31 mai 1998 fut imparti au requérant pour quitter le territoire suisse.
4. À la suite d’une période de séjour illégal, le requérant épousa le 30 avril 1999 une ressortissante du Bangladesh titulaire d’une autorisation d’établissement en Suisse. Il bénéficie à ce titre d’une autorisation de séjour par regroupement familial délivrée le 19 novembre 1999.
5. En 2002, un fils naquit de cette union. Souffrant de troubles du spectre autistique de type Asperger, il fut placé, le 10 avril 2010, dans une famille d’accueil socio-pédagogique, où il se trouve depuis. Le requérant ainsi que son épouse, qui est atteinte de schizophrénie et bénéficie d’une rente de l’assurance-invalidité partielle, se virent accorder un droit de visite. Selon les autorités cantonales, le requérant consacrait beaucoup de temps libre à son fils et jouait un rôle de « personne de référence » dans le développement de ce dernier. Le requérant affirme avoir eu un contact régulier avec son fils, à raison d’une à deux fois par semaine. Il maintient également avoir vécu avec son épouse à chaque fois que la maladie de celle‑ci et leur situation financière le permettait ; il ressort du dossier que ces occasions furent plutôt rares.
6. Entre juin et décembre 2007, le requérant se livra, pour des motifs financiers, à un trafic de drogues, ayant notamment transporté, en août 2007, 4,5 kilos d’héroïne. Le 19 novembre 2010, il fut dès lors condamné pour infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants à vingt-six mois de prison, dont six mois ferme et vingt mois soumis à un délai d’épreuve de deux ans ; un pronostic favorable fut formulé quant à son comportement à l’avenir.
7. En sus, le requérant fit l’objet de dix-huit ordonnances pénales entre 1999 et 2012 et cumula des dettes privées, qui selon lui résultaient de ses difficultés financières dues à la maladie de son épouse et à l’impossibilité de trouver du travail sans un titre de séjour. En raison de ces faits, le requérant vécut séparément de son épouse pendant de longues périodes, et ce jusqu’au 1er avril 2014.
8. Le 6 octobre 2008, le requérant déposa une demande de prolongation de son autorisation de séjour. Considérant que le titre de séjour du requérant était périmé depuis le 14 septembre 2008, l’autorité cantonale considéra la demande comme une requête de nouvelle autorisation de séjour. Elle la refusa le 31 octobre 2012, invoquant à l’appui de sa décision la peine d’emprisonnement, d’autres infractions mineures commises par le requérant depuis sa libération, ses dettes personnelles et sa dépendance temporaire à l’aide sociale. Elle ordonna en conséquence le renvoi du requérant.
9. Le requérant introduisit un recours devant le département cantonal, qui fut rejeté le 15 janvier 2014. Le recours du requérant déposé devant le Tribunal cantonal de Lucerne fut rejeté en date du 30 mai 2014.
10. Par le jugement du 22 juin 2015 (2C_631/2014) le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant après avoir pris en compte l’article 8 de la Convention. Tout en admettant que le requérant constituait une personne de référence importante pour son épouse et son fils, tous les deux malades, et que sa présence auprès d’eux était donc importante, il nota que ce n’était pas le requérant qui leur prodiguaient des soins nécessaires. Par conséquent, l’éloignement du territoire suisse n’aurait en pratique pas d’effet sur la vie familiale du requérant, son épouse et son fils. Le tribunal estima notamment que la relation entre le requérant et son fils, du fait de la garde de ce dernier par une famille d’accueil, pourrait se prolonger par le biais de visites du requérant depuis le Kosovo dans le cadre d’une procédure standard d’obtention de visa, ou à l’aide de moyens de communications modernes. Selon le tribunal, le requérant s’était livré à des actes criminels mettant en danger la vie de nombreuses personnes et cela par pure considération pécuniaire, lui-même n’étant pas dépendant à la drogue. La peine privative de liberté de longue durée à laquelle il avait été condamné lui fit perdre son droit à un titre de séjour.
11. Le 22 juin 2015, l’autorité cantonale indiqua au requérant que, étant donné la décision du 31 octobre 2012 et le rejet de ses recours, il disposait d’un délai allant jusqu’au 22 juillet 2015 pour quitter le territoire suisse. Le requérant fut invité à se prononcer sur l’interdiction d’entrée que cette autorité entendait prononcer à son égard.
12. Le 8 juillet 2015, le requérant se vit interdire l’entrée sur le territoire suisse pour une durée de sept ans, avec effet au 22 juillet 2015. La décision se référa essentiellement à la menace que représentait le requérant du fait des infractions commises.
13. Le 24 juillet 2015, l’autorité cantonale refusa de reconsidérer sa décision de refus d’octroyer au requérant une autorisation de séjour.
14. Le 29 juillet 2015, le requérant saisit le Tribunal administratif fédéral d’un recours contre l’interdiction d’entrée. Il fit valoir que dans son arrêt concernant sa demande d’autorisation de séjour, le Tribunal fédéral avait reconnu l’importance de son rôle de père et pris en compte la possibilité qu’il vienne rendre visite à son fils en Suisse depuis le Kosovo. Ainsi, l’interdiction d’entrée d’une durée de sept ans serait, en plus de se trouver en contradiction manifeste avec l’analyse du Tribunal fédéral, disproportionnée au regard de l’article 8 de la Convention, compte tenu de l’absence d’intérêt public à son maintien à l’écart.
15. Dans sa décision incidente du 11 août 2015, le Tribunal administratif fédéral estima que le requérant présentait toujours un risque pour l’ordre public, devant lequel ses intérêts personnels devaient céder. Dans la mesure où un premier examen du recours laissait croire qu’il était dénué de chances de succès, il n’y avait pas lieu de restituer l’effet suspensif, ni de pourvoir à une assistance judiciaire ou de renoncer à percevoir l’avance des frais judiciaires.
16. Le 31 août 2015, le requérant saisit le Tribunal fédéral. Celui-ci refusa d’entrer en matière sur la décision incidente du Tribunal administratif fédéral puisque sa décision finale n’aurait pas été sujette à recours devant lui.
17. Le 13 octobre 2015, le Tribunal administratif fédéral refusa définitivement d’entrer en matière sur le recours du 29 juillet 2015, faute pour le requérant d’avoir avancé les frais requis par la décision incidente du 11 août 2015.
18. Il ressort des observations présentées par le requérant qu’après son expulsion de la Suisse il avait rejoint son frère dans un autre pays que le Kosovo, sans spécifier lequel. La Cour n’a pas non plus été informée de la situation actuelle en ce qui concerne les contacts entre le requérant et son fils.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. lE DROIT INTERNE PERTINENT
19. Les dispositions pertinentes de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers (révisée et renommée loi fédérale sur les étrangers et l’intégration depuis le 1er janvier 2019 ; RS 142.20), étaient libellées comme suit au moment des faits :
Article 43
Conjoint et enfants étrangers du titulaire d’une autorisation d’établissement
« 1. Le conjoint étranger du titulaire d’une autorisation d’établissement ainsi que ses enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans ont droit à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité aux conditions suivantes :
a. ils vivent en ménage commun avec lui ;
b. ils disposent d’un logement approprié ;
c. ils ne dépendent pas de l’aide sociale ;
d. ils sont aptes à communiquer dans la langue nationale parlée au lieu de domicile ;
e. la personne à l’origine de la demande de regroupement familial ne perçoit pas de prestations complémentaires annuelles au sens de la loi du 6 octobre 2006 sur les prestations complémentaires ni ne pourrait en percevoir grâce au regroupement familial.
(...) »
Article 51
Extinction du droit au regroupement familial
« (...)
2. Les droits prévus aux art. 43, 48 et 50 s’éteignent :
a. lorsqu’ils sont invoqués abusivement, notamment pour éluder les dispositions de la présente loi sur l’admission et le séjour ou ses dispositions d’exécution ;
b. s’il existe des motifs de révocation au sens des art. 62 ou 63, al. 2. »
Article 62
Révocation des autorisations et d’autres décisions
« 1. L’autorité compétente peut révoquer une autorisation, à l’exception de l’autorisation d’établissement, ou une autre décision fondée sur la présente loi, dans les cas suivants :
(...)
b. l’étranger a été condamné à une peine privative de liberté de longue durée (...)
c. l’étranger attente de manière grave ou répétée à la sécurité et l’ordre publics en Suisse ou à l’étranger, les met en danger ou représente une menace pour la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse ;
d. l’étranger ne respecte pas les conditions dont la décision est assortie ;
e. l’étranger lui-même ou une personne dont il a la charge dépend de l’aide sociale ;
(...)
2. Est illicite toute révocation fondée uniquement sur des infractions pour lesquelles un juge pénal a déjà prononcé une peine ou une mesure mais a renoncé à prononcer une expulsion. »
Article 67
lnterdiction d’entrée
« 1. Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) interdit l’entrée en Suisse, sous réserve de l’al. 5, à un étranger frappé d’une décision de renvoi lorsque :
a. le renvoi est immédiatement exécutoire en vertu de l’art. 64d, al. 2, let. a à c ;
b. l’étranger n’a pas quitté la Suisse dans le délai imparti.
2. Le SEM peut interdire l’entrée en Suisse à un étranger lorsque ce dernier :
a. a attenté à la sécurité et à l’ordre publics en Suisse ou à l’étranger ou les a mis en danger ;
b. a occasionné des coûts en matière d’aide sociale ;
c. a été placé en détention en phase préparatoire, en détention en vue du renvoi ou de l’expulsion ou en détention pour insoumission (art. 75 à 78).
3. L’interdiction d’entrée est prononcée pour une durée maximale de cinq ans. Elle peut être prononcée pour une plus longue durée lorsque la personne concernée constitue une menace grave pour la sécurité et l’ordre publics.
(...)
5. Pour des raisons humanitaires ou pour d’autres motifs importants, l’autorité appelée à statuer peut exceptionnellement s’abstenir de prononcer une interdiction d’entrée ou suspendre provisoirement ou définitivement une interdiction d’entrée. A cet égard, il y a lieu de tenir compte notamment des motifs ayant conduit à l’interdiction d’entrée ainsi que de la protection de la sécurité et de l’ordre publics ou du maintien de la sécurité intérieure et extérieure de la Suisse, lesquels doivent être mis en balance avec les intérêts privés de l’intéressé dans le cadre d’une décision de levée. »
Article 96
Pouvoir d’appréciation
« 1. Les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d’appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l’étranger, ainsi que de son intégration.
(...) »
20. L’article 19 de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (RS 812.121) dans sa version en vigueur au moment des faits disposait comme suit :
Article 19 D
Dispositions pénales
« 1. (...)
Celui qui, sans droit, entrepose, expédie, transporte, importe, exporte ou passe en transit [des stupéfiants],
Celui qui, sans droit, offre, distribue, vend, fait le courtage, procure, prescrit, met dans le commerce ou cède [des stupéfiants],
Celui qui, sans droit, possède, détient, achète ou acquiert d’une autre manière [des stupéfiants],
(...)
est passible, s’il a agi intentionnellement, d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Dans les cas graves, la peine sera une peine privative de liberté d’un an au moins qui pourra être cumulée avec une peine pécuniaire.
2. Le cas est grave notamment lorsque l’auteur
a. sait ou ne peut ignorer que l’infraction porte sur une quantité de stupéfiants qui peut mettre en danger la santé de nombreuses personnes,
b. agit comme affilié à une bande formée pour se livrer au trafic illicite de stupéfiants,
c. se livre au trafic par métier et qu’il réalise ainsi un chiffre d’affaires ou un gain important.
(...) »
2. LA Pratique INTERNE pertinente
21. Dans son arrêt du 25 septembre 2009 (ATF 135 II 377), le Tribunal fédéral a estimé qu’il convenait, dans l’intérêt de la sécurité juridique et d’une application uniforme du droit fédéral, de fixer une limite à partir de laquelle une privation de liberté doit être considérée comme « de longue durée » au sens de l’article 62 § 1 b) de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration. Pour ce faire, il s’est référé à la limite à partir de laquelle, en raison d’un besoin de sanction élevé, le Code pénal suisse du 21 décembre 1937 n’offrait plus le choix entre une peine pécuniaire et ou une peine privative de liberté. Conformément à l’article 34 du Code pénal, dans sa teneur applicable à l’époque, tel était le cas lorsque la durée de la peine dépassait une année, respectivement 360 jours (depuis le 1er janvier 2018, cette durée est de 180 jours). Ainsi, l’autorisation de séjour peut être révoquée en application de l’article 62 § 1 b) de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration lorsque la personne est condamnée à une peine privative de liberté de plus d’une année. Cela étant, la révocation ou la non-prolongation de l’autorisation n’est justifiée que lorsque la pesée des intérêts dans l’affaire en question fait apparaître la mesure comme proportionnée. L’examen de la proportionnalité se fait notamment en fonction de la gravité de la faute, du degré d’intégration respectivement de la durée de la présence de la personne concernée en Suisse et des désavantages auxquels peut être exposée sa famille.
22. En outre, l’article 42 § 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 permet de prononcer un sursis à l’exécution d’une peine privative de liberté de deux ans au plus lorsqu’une peine ferme ne paraît pas nécessaire pour détourner l’auteur d’autres crimes ou délits. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêt ATF 134 IV 1 du 12 novembre 2007), en cas de peine privative de liberté d’un à deux ans, le sursis prévu à l’article 42 § 1 du Code pénal constitue la règle à laquelle on ne peut déroger qu’en présence d’un pronostic défavorable ou hautement incertain. À cet égard, le sursis partiel constitue une exception.
23. Il ressort également de la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêt ATF 138 II 229 du 22 juin 2012) que, pour considérer un couple comme étant séparé, il faut prendre en compte les circonstances concrètes de la séparation et la volonté du couple.
24. Eu égard à l’interdiction d’entrée sur le territoire suisse, il ressort notamment de la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral (arrêt du 20 septembre 2016, F-5141/2014) que les notions de sécurité et d’ordre publics auxquelles se réfère l’article 67 al. 2 a) de la loi sur les étrangers et l’intégration constituent le terme générique des biens juridiquement protégés. L’ordre public comprend l’ensemble des représentations non écrites de l’ordre, dont le respect doit être considéré comme une condition inéluctable d’une cohabitation humaine ordonnée. La sécurité publique, quant à elle, signifie l’inviolabilité de l’ordre juridique objectif, des biens juridiques des individus (notamment la vie, la santé, la liberté et la propriété), ainsi que des institutions de l’État.
25. L’article 80 al. 1 a) de l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018, précise qu’il y a notamment atteinte à la sécurité et à l’ordre publics en cas de violation de prescriptions légales ou de décisions d’autorité. Tel est le cas, en particulier, lorsqu’il y a eu violation importante ou répétée de prescriptions légales (y compris de prescriptions du droit en matière d’étrangers) ou de décisions d’autorités (arrêt du Tribunal administratif fédéral du 20 septembre 2016, F-5141/2014).
3. LES INSTRUMENTS PERTINENTS DU cONSEIL DE L’EUROPE
26. La Recommandation Rec(2000)15 du Comité des ministres sur la sécurité de résidence des immigrés de longue durée dispose notamment :
« 4. Concernant la protection contre l’expulsion
a) Toute décision d’expulsion d’un immigré de longue durée devrait prendre en compte, eu égard au principe de proportionnalité et à la lumière de la jurisprudence applicable de la Cour européenne des droits de l’homme, les critères suivants :
– le comportement personnel de l’intéressé ;
– la durée de résidence ;
– les conséquences tant pour l’immigré que pour sa famille ;
– les liens existant entre l’immigré et sa famille et le pays d’origine.
b) En application du principe de proportionnalité établi au paragraphe 4. a), les Etats membres devraient prendre dûment en considération la durée ou la nature de la résidence ainsi que la gravité du crime commis par l’immigré de longue durée. Les Etats membres peuvent notamment prévoir qu’un immigré de longue durée ne devrait pas être expulsé :
– après cinq ans de résidence, sauf s’il a été condamné pour un délit pénal à une peine dépassant deux ans de détention sans sursis ;
– après dix ans de résidence, sauf s’il a été condamné pour un délit pénal à une peine dépassant cinq ans de détention sans sursis.
Après vingt ans de résidence, un immigré de longue durée ne devrait plus être expulsable.
(...)
d) Dans tous les cas, chaque Etat membre devrait pouvoir prévoir, dans sa législation interne, la possibilité d’expulser un immigré de longue durée, si celui-ci constitue une menace grave pour la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat. »
27. Dans sa Recommandation Rec(2002)4 sur le statut juridique des personnes admises au regroupement familial, le Comité des Ministres s’est exprimé comme suit sous la rubrique « Protection efficace contre l’expulsion des membres de famille » :
« Quand une mesure telle que le retrait ou le non-renouvellement d’un titre de séjour ou une expulsion d’un membre de famille est envisagée, les Etats membres prendront dûment en considération des critères tels que son lieu de naissance, son âge lors de l’entrée dans l’Etat, sa durée de résidence, ses relations familiales, l’existence d’une famille dans l’Etat d’origine ainsi que la solidité de ses liens sociaux et culturels avec l’Etat d’origine. L’intérêt et le bien-être des enfants méritent une considération particulière. »
28. Dans la Recommandation 1504 (2001) sur la non-expulsion des immigrés de longue durée, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe recommande au Comité des Ministres d’inviter les gouvernements des Etats membres, notamment :
« 11. (...)
ii. (...)
c) à s’engager pour que les procédures et peines de droit commun, appliquées aux ressortissants nationaux, soient également valables pour les migrants de longue durée ayant commis les mêmes actes ;
(...)
g) à prendre les mesures nécessaires pour que la sanction d’expulsion soit réservée, pour les immigrés de longue durée, à des infractions particulièrement graves touchant à la sûreté de l’Etat dont ils ont été déclarés coupables ;
(...) »
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
29. Le requérant se plaint que les mesures d’éloignement et d’interdiction d’entrée dont il a fait l’objet à la suite de sa condamnation pénale portent atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il invoque l’article 8 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
30. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
1. Sur la recevabilité
31. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
32. Le requérant soutient que, dans la pratique, les autorités suisses adoptent souvent des mesures d’expulsion ou d’interdiction d’entrée en se référant seulement sur l’infraction commise et sans peser d’autres éléments pertinents, comme ce fut le cas en l’espèce. Pourtant, il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour (Boultif c. Suisse, no 54273/00, CEDH 2001‑IX ; Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, §§ 57 et suivants, CEDH 2006‑XII ; Jeunesse c. Pays-Bas [GC], no 12738/10, 3 octobre 2014) que ces mesures doivent revêtir un caractère préventif plutôt que punitif (Maaouia c. France [GC], no 39652/98, § 39, CEDH 2000‑X) et qu’il existe des circonstances dans lesquelles l’expulsion d’un étranger condamné pour une infraction pénale ne peut pas être jugée nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au sens de l’article 8 de la Convention. À cet égard, il y a selon lui lieu de prendre en compte notamment l’intérêt supérieur et le bien‑être des enfants de la personne concernée, en particulier la gravité des difficultés que ces enfants sont susceptibles de rencontrer dans le pays vers lequel l’intéressé doit être expulsé, et la solidité des liens avec le pays de destination et le pays hôte, les liens avec ce dernier étant plus forts si la personne y réside depuis longtemps.
33. En l’espèce, le requérant admet que les mesures litigieuses prises à son encontre avaient une base légale mais conteste qu’elles poursuivaient les buts légitimes avancés par le Gouvernement. Étant donné que le tribunal pénal a formulé un pronostic favorable quant à son comportement à l’avenir (paragraphe 6 ci-dessus), il n’y avait pas selon lui un risque élevé de récidive.
34. Le requérant estime également que, au vu des différents critères à prendre en compte, son éloignement de la Suisse ne satisfait pas à l’exigence de proportionnalité. À cet égard, il soutient avoir commis l’infraction, certes grave, pendant une période où il se trouvait en difficulté. Il n’est pas non plus sans importance qu’il a bénéficié d’un pronostic favorable ainsi que d’un sursis partiel à l’exécution de sa peine en vertu de l’article 42 du code pénal (paragraphe 22 ci-dessus). Puis, sauf quelques infractions mineures à la loi sur la circulation routière commises entre 2009 et 2012, il a fait preuve d’une bonne conduite depuis l’infraction à la loi sur les stupéfiants datant de 2007.
Concernant sa situation familiale, le requérant affirme qu’il s’est toujours occupé de son épouse, atteinte de schizophrénie. Bien que la maladie de son épouse les eût empêchés de vivre ensemble, ils avaient toujours la volonté de rester mariés (paragraphe 23 ci-dessus). Dans ces circonstances, il représentait également la personne la plus proche pour son fils à qui il rendait visite dans sa famille d’accueil une à deux fois par semaine et avec qui il a gardé un contact personnel même pendant qu’il était en prison, que les moyens de communication actuels ne sauraient remplacer. Leur séparation, sans possibilité de visite, constitue donc une violation grave et irréversible de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Le requérant allègue par ailleurs que sa famille, ses proches et ses amis vivent en Suisse, où il travaillait régulièrement, et que ses liens avec le Kosovo sont rares et faibles ; c’est pourquoi, après son expulsion de la Suisse, il n’est pas rentré au Kosovo mais a rejoint son frère dans un autre pays.
b) Le Gouvernement
35. Le Gouvernement soutient que le refus de renouveler l’autorisation du séjour du requérant ainsi que l’interdiction d’entrée sur le territoire suisse prononcée à son encontre se basaient respectivement sur les articles 62 et 67 de la loi sur les étrangers et l’intégration. L’ingérence en question poursuivait plusieurs buts énoncés à l’article 8 § 2 de la Convention, en particulier la protection de la sûreté publique, la défense de l’ordre, la prévention des infractions pénales, la protection de la santé et la protection des droits et libertés d’autrui. Le Gouvernement rappelle à cet égard que le requérant a été condamné à deux ans et demi de prison, dont six mois ferme, pour avoir transporté et vendu durant six mois, à des fins purement économiques, de grandes quantités d’héroïne. Ayant ainsi mis en danger la santé de nombreuses personnes ainsi que la sûreté et l’ordre publics, il y avait lieu de faire preuve d’une grande fermeté à son égard (voir Kissiwa Koffi c. Suisse, no 38005/07, § 65, 15 novembre 2012).
36. Concernant les critères définis par la Cour afin d’apprécier la question de savoir si une mesure d’expulsion est nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi (voir Boultif, précité, § 48, Üner, précité, §§ 57 et suivants, Kissiwa Koffi, précité, § 63), le Gouvernement rappelle que, lorsque l’ingérence litigieuse poursuit les buts légitimes de la défense de l’ordre et de la prévention des infractions pénales, lesdits critères doivent aider à évaluer dans quelle mesure le requérant risque de provoquer des troubles ou de se livrer à des actes criminels (Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, § 70, CEDH 2008).
37. Ainsi, le Gouvernement observe que le requérant a commis une infraction grave à la loi sur les stupéfiants et que sa culpabilité a été considérée comme lourde. Il s’est vu dès lors imposer une peine sévère qui dépasse largement la limite d’un an à partir de laquelle les autorités internes estiment qu’il s’agit d’une peine de longue durée (paragraphe 21 ci‑dessus).
Le Gouvernement note ensuite que le requérant est arrivé en Suisse en 1996 pour y demander l’asile mais qu’il n’y séjournait légalement que depuis 1999 ; la durée de son séjour en Suisse s’élevait donc à seize ans au moment de l’arrêt du Tribunal fédéral, mais une partie était due à sa peine de prison et à ses recours contre le refus de renouvellement de son autorisation de séjour prononcé le 31 octobre 2012.
S’il est vrai que ses infractions à la loi sur les stupéfiants datent de 2007 et que le requérant n’a pas poursuivi cette activité après avoir purgé sa peine de prison, il a tout de même fait l’objet de dix-huit ordonnances pénales pour des infractions mineures à la loi sur la circulation routière, dont certaines ont été prononcées après sa condamnation de 2010 (paragraphe 7 ci-dessus).
Quant à la situation familiale du requérant, le Gouvernement observe qu’il est marié depuis le 30 avril 1999 à une femme originaire du Bangladesh qui est atteinte de schizophrénie ; du fait des hospitalisations de cette dernière, le requérant n’a vécu avec elle que de façon sporadique, bien qu’il lui prodigue un soutien moral. Il est également père d’un enfant né en 2002 qui souffre de troubles du spectre autistique (syndrome d’Asperger) et qui vit dans une famille d’accueil depuis 2010 ; le requérant consacre toutefois beaucoup de son temps libre à son fils et constitue une personne de référence pour lui. Le Gouvernement estime dès lors que le départ du requérant ne représenterait pas un changement fondamental et que celui-ci peut remplir son rôle de père avec les moyens de communication actuels, d’une part, et au travers des visites de son fils au Kosovo, d’autre part. De plus, la décision d’interdiction d’entrée ne l’empêche pas de requérir, conformément à l’article 67 § 5 de la loi sur les étrangers et l’intégration, une suspension provisoire afin de rendre visite à son fils en Suisse.
Concernant les liens du requérant avec la Suisse et le Kosovo, le Gouvernement fait valoir que celui-ci a vécu au Kosovo jusqu’à l’âge de 21 ans, qu’il s’y est rendu à deux reprises en 2013 et semble entretenir de bonnes relations avec sa famille là-bas. En Suisse, il est marié avec une personne titulaire d’une autorisation d’établissement, il y a suivi deux formations professionnelles et travaillé pendant quelque temps, avant d’être soutenu à diverses reprises par l’aide sociale. Il ne ressort pas de ces éléments qu’il serait particulièrement bien intégré en Suisse.
38. Le Gouvernement en conclut que, d’une part, la condamnation pénale du requérant doit être considérée comme ayant une importance décisive en l’espèce et, d’autre part, rien n’indique que le requérant serait placé dans une situation intolérable ou particulièrement difficile en raison de son éloignement de la Suisse.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
39. La Cour rappelle que selon un principe de droit international bien établi, les États ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l’entrée des étrangers sur leur sol (voir, parmi beaucoup d’autres, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 164, CEDH 2012). La Convention ne garantit pas le droit pour un étranger d’entrer ou de résider dans un pays particulier, et, lorsqu’ils assument leur mission de maintien de l’ordre public, les États contractants ont la faculté d’expulser un étranger délinquant, entré et résidant légalement sur leur territoire. Toutefois, leurs décisions en la matière, dans la mesure où elles porteraient atteinte à un droit protégé par le paragraphe 1 de l’article 8, doivent se révéler nécessaires dans une société démocratique, c’est-à-dire être justifiées par un besoin social impérieux et, notamment, proportionnées au but légitime poursuivi (voir, par exemple, Boultif, précité, § 46, et Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 113, CEDH 2003-X).
40. Dans l’affaire Üner (précitée, §§ 54-60), la Cour a eu l’occasion de résumer les critères devant guider les instances nationales dans de telles affaires :
– la nature et la gravité de l’infraction commise par le requérant ;
– la durée du séjour de l’intéressé dans le pays dont il doit être expulsé ;
– le laps de temps qui s’est écoulé depuis l’infraction, et la conduite du requérant pendant cette période ;
– la nationalité des diverses personnes concernées ;
– la situation familiale du requérant, et notamment, le cas échéant, la durée de son mariage, et d’autres facteurs témoignant de l’effectivité d’une vie familiale au sein d’un couple ;
– la question de savoir si le conjoint avait connaissance de l’infraction à l’époque de la création de la relation familiale ;
– la question de savoir si des enfants sont issus du mariage et, dans ce cas, leur âge ;
– la gravité des difficultés que le conjoint risque de rencontrer dans le pays vers lequel le requérant doit être expulsé ;
– l’intérêt et le bien-être des enfants, en particulier la gravité des difficultés que les enfants du requérant sont susceptibles de rencontrer dans le pays vers lequel l’intéressé doit être expulsé ; et
– la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination.
41. Doivent également être prises en compte, le cas échéant, les circonstances particulières entourant le cas d’espèce, comme par exemple les éléments d’ordre médical ou la nature temporaire ou définitive de l’interdiction de territoire (voir Shala c. Suisse, no 52873/09, § 46, 15 novembre 2012, et les références citées).
42. La Cour rappelle que les autorités nationales jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour se prononcer sur la nécessité d’une ingérence dans l’exercice d’un droit protégé par l’article 8 et sur la proportionnalité de la mesure en question au but légitime poursuivi. Sa tâche consiste à déterminer si les mesures litigieuses ont respecté un juste équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, d’une part, les droits de l’intéressé protégés par la Convention et, d’autre part, les intérêts de la société (Slivenko, précité, § 113, et Boultif, précité, § 47).
43. La Cour rappelle également que les juridictions internes doivent motiver leurs décisions de manière suffisamment circonstanciée, afin notamment de permettre à la Cour d’assurer le contrôle européen qui lui est confié (voir, mutatis mutandis, X c. Lettonie [GC], no 27853/09, § 107, CEDH 2013, et El Ghatet c. Suisse, no 56971/10, § 47, 8 novembre 2016). Un raisonnement insuffisant des juridictions internes, sans véritable mise en balance des intérêts en présence, est contraire aux exigences de l’article 8 de la Convention. C’est le cas lorsque les autorités internes ne parviennent pas à démontrer de manière convaincante que l’ingérence dans un droit protégé par la Convention est proportionnée aux buts poursuivis et qu’elle correspond dès lors à un « besoin social impérieux » au sens de la jurisprudence précitée (voir El Ghatet, précité, § 47, et I.M. c. Suisse, no 23887/16, §§ 72 et 77, 9 avril 2019).
b) Application des principes susmentionnés au cas d’espèce
44. La Cour observe que le requérant a été en effet renvoyé de la Suisse et qu’il a, selon ses propres dires, rejoint son frère dans un autre pays (paragraphe 34 ci-dessus). Il a été par conséquent séparé de son épouse, titulaire d’une autorisation d’établissement en Suisse, et de son fils. Il a dès lors subi une ingérence dans le droit au respect de sa vie familiale.
45. Pareille ingérence enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du paragraphe 2 de l’article 8. Il faut donc rechercher si elle était « prévue par la loi », justifiée par un ou plusieurs buts légitimes au regard dudit paragraphe, et « nécessaire, dans une société démocratique ».
46. Il n’est pas contesté que les mesures d’éloignement et d’interdiction d’entrée imposées au requérant étaient fondées sur les dispositions pertinentes de la loi sur les étrangers et l’intégration (paragraphe 19 ci‑dessus).
47. Puis, bien que le requérant le conteste, la Cour ne doute pas que l’ingérence en cause visait des fins pleinement compatibles avec la Convention, à savoir notamment « la défense de l’ordre » et la « prévention des infractions pénales ».
48. Il reste donc à examiner si les mesures litigieuses étaient nécessaires dans une société démocratique.
49. À cet égard, la Cour observe tout d’abord que la condamnation du requérant pour l’infraction à la loi sur les stupéfiants (vingt-six mois de prison, dont six mois ferme, pour avoir transporté 4,5 kilos d’héroïne) pèse lourdement. S’agissant d’une infraction en matière de stupéfiants, eu égard aux ravages de la drogue dans la population, la Cour a toujours conçu que les autorités fassent preuve d’une grande fermeté à l’égard de ceux qui contribuent activement à la propagation de ce fléau (voir, par exemple, Baghli c. France, no 34374/97, § 48, CEDH 1999-VIII, Kissiwa Koffi, précité, § 65).
50. La Cour admet que, au moment de l’arrêt du Tribunal fédéral du 22 juin 2015, le requérant vivait en Suisse depuis presque dix-neuf ans et qu’il y était marié depuis seize ans. Il résulte cependant des observations du Gouvernement que, malgré les formations suivies, il n’avait pas réussi à s’intégrer dans le monde du travail (paragraphe 37 in fine ci-dessus) ; de plus, il n’avait vécu que par intermittence avec son épouse et ne vivait plus avec son fils depuis le placement de celui-ci dans une famille d’accueil en 2010. Il est vrai, comme l’ont concédé le Tribunal fédéral ainsi que le Gouvernement, que le requérant constituait une personne de référence importante pour son épouse, atteinte de schizophrénie, et notamment pour son fils, souffrant de troubles du spectre autistique, et que sa présence auprès d’eux était importante. Il y a néanmoins lieu de prendre en compte qu’il ne s’occupait pas d’eux au quotidien et que leurs contacts se sont certainement raréfiés pendant la période où il purgeait sa peine de prison. On ne saurait non plus négliger l’argument du Tribunal fédéral selon lequel le requérant pourrait entretenir la relation avec son fils à l’aide de moyens de communications modernes, ou par le biais de ses visites en Suisse.
51. Sur ce dernier point, la Cour note que le requérant s’est vu interdire l’entrée sur le territoire suisse pour une durée de sept ans, ce qui différencie le cas d’espèce des affaires dans lesquelles le caractère définitif de l’interdiction prononcée a été retenu par la Cour à l’appui de la conclusion que la mesure était disproportionnée (voir, par exemple, Ezzouhdi c. France, no 47160/99, § 34, 13 février 2001, Radovanovic c. Autriche, no 42703/98, § 37, 22 avril 2004, et Emre c. Suisse, no 42034/04, § 85, 22 mai 2008). En outre, l’article 67 § 5 de la loi sur les étrangers et l’intégration permet au requérant de demander une suspension provisoire de la décision d’interdiction d’entrée afin qu’il puisse rendre visite à ses proches en Suisse. À cet égard, la Cour observe que le requérant ne l’a pas informée s’il avait tiré parti de la possibilité de soumettre une telle demande.
52. La Cour est satisfaite également que les autorités internes, en particulier le Tribunal fédéral, ont procédé à un examen suffisant et convaincant des faits et considérations pertinents et à une mise en balance circonstanciée des intérêts en cause. Dès lors que leurs conclusions n’apparaissent ni arbitraires ni manifestement déraisonnables, il n’appartient pas à la Cour de se substituer à l’appréciation faite par les autorités suisses, y compris par rapport à l’examen de la proportionnalité de la mesure litigieuse (voir, dans ce sens, Hamesevic c. Danemark (déc.), no 25748/15, § 43, 16 mai 2017, Alam c. Danemark (déc.), no 33809/15, § 35, 6 juin 2017, Ndidi c. Royaume-Uni, no 41215/14, § 76, 14 septembre 2017, et Levakovic c. Danemark, no 7841/14, § 45, 23 octobre 2018).
53. Ainsi, malgré l’intensité des liens personnels du requérant avec la Suisse, la Cour estime que les autorités suisses pouvaient légitimement considérer, du fait du comportement du requérant et de la gravité des faits reprochés, qu’il était nécessaire, aux fins de la défense de l’ordre et de la prévention des infractions pénales, de ne pas prolonger son autorisation de séjour et de lui interdire l’entrée sur le territoire suisse pour une durée de sept ans. Outre le caractère temporaire de la mesure, la Cour attribue une grande importance à la gravité de l’infraction à l’origine de la peine de prison prononcée en 2010 : trafic d’héroïne motivé par des raisons financières.
54. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que les mesures litigieuses étaient, dès lors, proportionnées aux buts poursuivis (voir également Benhebba c. France, no 53441/99, 10 juillet 2003 et Üner, précité).
55. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 juillet 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Milan BlaškoPaul Lemmens
GreffierPrésident
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[1] Toute référence au Kosovo, soit à son territoire, à ses institutions ou sa population, doit être comprise comme étant en conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité et sans préjudice concernant le statut du Kosovo.