TROISIÈME SECTION
AFFAIRE ALI RIZA c. SUISSE
(Requête no 74989/11)
ARRÊT
Art 6 (civil) • Accès à un tribunal • Décision d’irrecevabilité du Tribunal arbitral du sport (TAS) siégeant à Lausanne, entérinée par le Tribunal fédéral, pour défaut de compétence pour trancher le litige au fond opposant un joueur de football professionnel à son ancien club turc • Art 6 § 1 applicable aux droits de nature patrimoniale résultant d’une relation contractuelle entre personnes privées • Décisions ni arbitraires ni manifestement déraisonnables • Lien extrêmement tenu entre le litige et la Suisse • Spécificité de la procédure devant le TAS et le Tribunal fédéral • Proportionnalité
STRASBOURG
13 juillet 2021
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ali Riza c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :
Paul Lemmens, président,
Dmitry Dedov,
Carlo Ranzoni,
Georges Ravarani,
María Elósegui,
Darian Pavli,
Anja Seibert-Fohr, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,
Vu :
la requête (no 74989/11) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant turc et britannique, M. Ömer Kerim Ali Rıza (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 11 novembre 2011,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement suisse (« le Gouvernement ») les griefs concernant le droit d’accès à un tribunal, le droit à une audience publique et le principe d’égalité des armes, et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,
les observations des parties,
la décision des gouvernements britannique et turc de ne pas se prévaloir de leur droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention),
la décision du président, le 22 janvier 2021, de désigner le juge Carlo Ranzoni pour siéger en qualité de juge ad hoc, en l’absence d’un juge élu au titre de la Suisse (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement de la Cour).
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 juin 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne le litige opposant le requérant, un joueur de football professionnel, à son ancien club turc, Trabzonspor. Il se plaint, entre autres, de ce qu’il n’ait pas eu accès à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention à la suite de la décision d’irrecevabilité du Tribunal arbitral du sport (TAS), avec siège à Lausanne, pour défaut de compétence pour trancher ledit litige, décision confirmée par le Tribunal fédéral.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1979 et réside à Broxbourne. Il est représenté par Me L. Valloni, avocat.
3. Le Gouvernement est représenté par son agent, M. Chablais, de l’Office fédéral de la justice.
1. L’ORIGINE DE LA PRÉSENTE AFFAIRE
4. Le requérant est un ressortissant britannique. Issu d’une famille originaire de Turquie, il obtint en outre la nationalité turque le 17 août 2004.
5. À l’époque des faits ayant donné lieu à la présente requête, le requérant était joueur professionnel de football.
6. En janvier 2006, le requérant signa un contrat de travail non daté pour une durée déterminée du 17 janvier 2006 au 30 juin 2008 avec Trabzonspor Kulübü Derneği (« le Club »), un club de football professionnel de la ligue turque, membre de la Fédération de Football Turque (FFT, Türkiye Futbol Federasyonu Uyuşmazlık Çözüm Kurulu), elle-même affiliée à la Fédération Internationale de Football Association (FIFA). Le contrat fut rédigé en anglais et contenait, notamment, le montant de la rémunération du requérant ainsi qu’une clause d’arbitrage en faveur de la FIFA.
7. Le 4 janvier 2008, le requérant quitta le Club et retourna au Royaume‑Uni. Il informa le Club qu’il ne jouerait plus pour lui, se prévalant de la violation par ce dernier de ses obligations contractuelles.
8. Par décisions des 8 et 14 janvier 2008, le conseil d’administration du Club condamna le requérant à payer une amende pour avoir quitté le Club sans préavis, ne pas s’y être présenté et avoir manqué les entrainements sans autorisation. Ces décisions furent notifiées au requérant respectivement les 14 et 15 janvier 2008 par l’intermédiaire d’un notaire.
9. Le 18 janvier 2008[1], le requérant porta le litige devant la Chambre de résolution des litiges de la FIFA. Il allégua que le Club avait violé à plusieurs reprises ses obligations contractuelles, notamment en lui versant les sommes dues à titre de salaire avec parfois plus de quatre mois de retard.
10. Par un courrier du 19 février 2008, la FIFA informa le requérant qu’elle ne pouvait pas intervenir dans des litiges opposant deux parties de la même nationalité. Elle lui recommanda donc d’agir devant les organes de décision de l’Association membre de la FIFA concernée, soit en l’espèce la FFT.
11. Le 8 avril 2008, le requérant transmit au Club et à la FFT un avis de résiliation écrit du contrat de travail conclu avec le Club et ce, selon lui, à juste titre étant donné que son salaire du mois de mars ne lui avait pas été versé. L’avis contenait en outre l’information qu’à l’avenir, le requérant ne jouerait plus pour le Club.
2. PROCÉDURE DEVANT LA FÉDÉRATION DE FOOTBALL TURQUE (FFT)
12. Le 16 mai 2008, le Club porta le litige l’opposant au requérant devant le Comité de résolution des litiges de la FFT demandant une interdiction de transfert, des dommages et intérêts pour résiliation abusive du contrat et le paiement de l’amende prononcée par son conseil d’administration.
13. Le 2 décembre 2008, le Comité de résolution des litiges donna raison au Club et condamna le requérant à payer des dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat ainsi qu’une amende. Il suspendit par ailleurs pour une durée de quatre mois sa capacité à signer un contrat avec un autre club.
14. Le 22 janvier 2009, le requérant interjeta appel contre la sentence du 2 décembre 2008 du Comité de résolution des litiges auprès du Comité d’arbitrage de la FFT.
15. Par sentence du 16 avril 2009, le Comité d’arbitrage de la FFT confirma la sentence du Comité de résolution des litiges, estimant que le contrat avait été résilié abusivement. Toutefois, il réduisit le montant dont le requérant devait s’acquitter et annula la sanction sportive prononcée à son encontre.
16. La sentence du Comité d’arbitrage fut notifiée au requérant le 21 octobre 2009. Le droit en vigueur à l’époque des faits prévoyait que les sentences du Comité d’arbitrage étaient définitives et exécutoires et ne pouvaient pas être révisées par les tribunaux ordinaires (paragraphe 52 ci‑dessous).
3. PROCÉDURE CONTRE LA TURQUIE DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
17. Le 20 avril 2010, le requérant introduisit une requête contre la Turquie auprès de la Cour, alléguant une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison, entre autres, du défaut d’indépendance et d’impartialité du Comité d’arbitrage de la FFT. Sa requête fut jointe par la Cour à celles de quatre autres ressortissants turcs.
18. Dans son arrêt du 28 janvier 2020 (Ali Rıza et autres c. Turquie, nos 30226/10 et 4 autres, 28 janvier 2020), la Cour considéra tout d’abord qu’à l’époque des faits, le Comité d’arbitrage disposait d’une compétence exclusive et obligatoire sur le litige du requérant. En outre, les sentences de cet organe étaient définitives et exécutoires, donc non susceptibles d’un contrôle juridictionnel. Il s’agissait alors d’un arbitrage forcé (§ 176) et de ce fait, les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention devaient être respectées par le Comité d’arbitrage (§§ 180-181).
19. Sur le fond, la Cour estima qu’il y avait eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à l’égard du requérant. Elle considéra en effet que la composition du Comité d’arbitrage de la FFT ne remplissait pas les conditions d’indépendance et d’impartialité. Cela était dû notamment au fait que le Règlement de la FFT ne prévoyait pas de garanties propres à protéger les membres du Comité d’arbitrage contre les pressions venant de l’extérieur. Or, le conseil d’administration, organe exécutif de la FFT, était composé de membres ou de cadres de clubs de football et exerçait une influence excessive sur l’organisation et le fonctionnement du Comité d’arbitrage (§ 222).
20. Sur cette base, la Cour indiqua qu’en vertu de l’article 46 de la Convention, des mesures devaient être prises visant à assurer l’indépendance structurelle du Comité d’arbitrage (§ 242).
4. PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL ARBITRAL DU SPORT ET DEVANT LE TRIBUNAL FÉDÉRAL
21. Entretemps, le 11 novembre 2009, le requérant avait saisi le Tribunal arbitral du sport (« le TAS ») d’un recours contre la sentence du Comité d’arbitrage du 16 avril 2009.
22. Le 12 mars 2010, le TAS informa les parties, à savoir le requérant, d’un côté, le Club et la FFT, de l’autre, qu’il entendait trancher la question préalable de sa compétence. Il leur demanda si elles souhaitaient qu’une audience consacrée à cette question soit tenue, à défaut de quoi il se baserait sur leurs seules observations écrites.
23. Le 17 mars 2010, le requérant répondit par l’affirmative alors que les deux parties adverses firent savoir qu’elles considéraient toutes deux que la tenue d’une audience sur la question préalable de la compétence n’était pas nécessaire.
24. Le 18 mars 2010, le TAS donna l’occasion aux parties de lui soumettre des observations écrites concernant sa compétence, suivies d’un deuxième échange d’écriture le 23 mars 2010.
25. Le 10 juin 2010, le TAS rendit une décision d’irrecevabilité pour défaut de compétence sans avoir tenu une audience.
26. Dans sa décision de 22 pages, le TAS considéra, selon l’article 176 de la Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) (paragraphe 47 ci‑dessous), que le litige en question relevait du Chapitre 12 de cette même loi, intitulé « Arbitrage international » étant donné qu’aucune des parties n’avait son domicile ou sa résidence habituelle en Suisse au moment de la conclusion du contrat et que le siège du TAS est en Suisse.
27. Le TAS appliqua ensuite l’article 186 LDIP (paragraphe 47 ci‑dessous), lui permettant de se prononcer sur sa propre compétence. Il rappela que l’article R47 du Code de l’arbitrage en matière de sport du TAS (« le Code » ; paragraphe 48 ci-dessous) établit que sa compétence peut résulter soit d’un contrat contenant une clause arbitrale, soit d’une convention d’arbitrage ultérieure, soit encore des statuts ou règlements d’un organisme sportif prévoyant l’appel au TAS. Or, le TAS estima que rien dans le contrat de travail conclu entre le requérant et le Club n’établissait sa compétence et constata que les parties n’avaient conclu aucune convention d’arbitrage ultérieure.
28. Le TAS considéra ensuite que ni les statuts de la FIFA ni le Règlement de 2008 du Statut et du Transfert des Joueurs de la FIFA ne fondaient sa compétence. Quant au Règlement sur le Comité d’arbitrage de la FFT, son article 14 prévoyait que toute opposition aux décisions du Comité d’arbitrage pour des litiges découlant notamment de contrats de sportifs, pour autant qu’ils présentent un élément international, pouvait être soumise au TAS (paragraphe 53 ci-dessous). Ce dernier estima que l’élément international en question se référait au litige lui-même et non au contrat. À cet égard, le tribunal estima que le litige n’avait rien à voir avec le souhait du requérant d’être transféré de Trabzonspor vers un club hors de Turquie et aucun club étranger n’était impliqué dans le litige lui-même. En effet, le litige portait sur des arriérés de salaire et découlait d’un contrat entre un Club turc et le requérant, détenteur notamment de la nationalité turque.
Quant à la question de savoir si le requérant pouvait être considéré comme un étranger en Turquie, le TAS se référa à plusieurs documents et prit en compte différentes caractéristiques de l’histoire du joueur. Il rappela notamment que le requérant était arrivé en Turquie en 2003 à l’âge de 23 ans et y était enregistré comme joueur turc. Le TAS estima qu’il avait, en ce qui concerne le litige en question, certainement le lien le plus étroit avec la Turquie et que sa double nationalité était insuffisante pour justifier de conférer au litige une dimension internationale au sens de l’article 14 du Règlement sur le Comité d’arbitrage de la FFT.
Le TAS rappela, enfin, que la FIFA avait d’ores et déjà estimé que le litige ne présentait aucun élément international et avait de ce fait refusé d’entrer en la matière (paragraphe 10 ci-dessus), et que le requérant n’avait pas contesté cette décision.
29. En conclusion, selon le TAS, le litige ne présentait aucun élément international et ainsi, l’article 14 du Règlement sur le Comité d’arbitrage de la FFT ne s’appliquait pas en l’espèce (paragraphe 53 ci-dessous). De ce fait, les conditions de l’article R47 du Code n’étaient pas remplies et selon le TAS, rien ne fondait sa compétence (paragraphe 48 ci-dessous).
30. Le 9 juillet 2010, le requérant introduisit un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral contre la décision d’irrecevabilité du TAS du 10 juin 2010.
31. Sur le plan procédural, premièrement et préalablement, le requérant requit du Tribunal fédéral qu’il octroie l’effet suspensif à son recours. Deuxièmement, le requérant lui demanda d’accorder au Club et à la FFT un unique délai, non prolongeable, pour se prononcer. Troisièmement, il formula le souhait qu’une audience publique soit tenue devant le Tribunal fédéral.
32. Sur le fond, le requérant demanda à ce que cette décision d’irrecevabilité du 10 juin 2010 fût annulée sur la base de l’article 190 al. 2 let. b et d LDIP (paragraphe 47 ci-dessous), que la compétence du TAS fût reconnue et, le cas échéant, à ce que sa cause fût renvoyée au TAS.
33. À cet égard, le requérant fit valoir en premier lieu une violation des articles 29a (garantie de l’accès au juge) et 30 (garanties de procédure judiciaire) de la Constitution suisse (paragraphe 44 ci-dessous) ainsi que de l’article 13 de la Convention. Selon lui, le TAS s’était à tort déclaré incompétent, étant donné que la dimension internationale du litige ressortait du contrat, des bases juridiques du litige, du litige lui-même et de sa situation personnelle. Cela aurait eu pour conséquence que le litige n’avait pas pu être tranché par un tribunal impartial et indépendant étant donné que les instances turques ne remplissaient pas ces critères et que les sentences du Comité d’arbitrage étaient définitives et exécutoires. Sur cette base, il demanda que la décision du TAS fût annulée en vertu de l’article 190 al. 2 let. b LDIP (paragraphe 47 ci-dessous).
En deuxième lieu, le requérant invoqua dans son recours une violation de l’obligation de motivation par le TAS de sa décision.
En troisième lieu, le requérant se prévalut d’une violation de son droit d’être entendu car aucune audience n’avait été tenue devant le TAS, alors même qu’il avait répondu par l’affirmative lorsque la question lui avait été posée (paragraphe 23 ci-dessus). Selon lui, la tenue d’une audience aurait permis au TAS d’avoir une idée plus précise de l’état de fait et notamment du fait que le requérant se considérait comme étranger en Turquie. Il se plaignit d’une violation des articles 29 al. 1 de la Constitution et 6 de la Convention, fondant ainsi l’annulation de la décision sur la base de l’article 190 al. 2 let. d LDIP.
34. Le recours du requérant fut notifié au Club et à la FFT le 14 juillet 2010.
35. Le Tribunal fédéral statua d’abord sur la question de l’effet suspensif, qu’il accorda par décision du 30 septembre 2010.
36. Les parties défenderesses demandèrent ensuite que des sûretés en garantie des dépens soient fournies. Le Tribunal fédéral fit droit à cette demande le 11 novembre 2010 et fixa le montant de ces sûretés à 10 000 CHF, après avoir donné l’opportunité aux parties de se déterminer sur ce point.
37. Par ordonnance du 2 décembre 2010, le Tribunal fédéral impartit ensuite un délai au 18 janvier 2011 (étant précisé que les délais ne couraient pas du 18 décembre au 2 janvier inclus, période correspondant aux vacances judiciaires) au Club et à la FFT pour se déterminer sur le recours.
38. Le 20 janvier, le requérant obtint les réponses du Club et de la FFT à son recours et fut informé qu’il aurait l’occasion de se prononcer sur celles‑ci jusqu’au 7 février 2011.
39. Par son arrêt du 19 avril 2011, notifié au requérant le 13 mai 2011, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant.
40. En premier lieu, il débouta le requérant de sa demande de tenue d’une audience publique. Le Tribunal fédéral estima que l’organisation d’une audience publique sur la base de l’article 57 LTF (paragraphe 45 ci‑dessous) n’était pas opportune. Il ajouta qu’une audience publique pouvait exceptionnellement être imposée par le droit supérieur. Cependant, cette obligation ne s’appliquait pas dans les procédures de recours contre une sentence arbitrale au titre de l’article 77 LTF (paragraphe 45 ci‑dessous).
41. Le Tribunal fédéral rappela que seuls les motifs énumérés exhaustivement à l’article 190 al. 2 LDIP peuvent être invoqués à l’appui d’un recours contre une sentence arbitrale internationale. Il observa que les dispositions de la Constitution et de la Convention ne sont en principe pas des motifs de recours mais peuvent être mentionnées à l’appui des motifs de l’article 190 al. 2 LDIP. L’article 77 al. 3 LTF pose toutefois une exigence particulière de motivation de ces griefs. Le Tribunal fédéral n’examine alors que les griefs qui ont été invoqués et suffisamment motivés dans l’acte de recours. Or, en l’espèce, le requérant n’avait pas satisfait à cette exigence lorsqu’il invoquait, dans son recours, les articles 29a de la Constitution et 6 et 13 de la Convention concernant la compétence du TAS et la violation de son droit d’être entendu. Ainsi, le Tribunal fédéral n’entra pas en la matière sur ces griefs.
42. Le Tribunal fédéral confirma par ailleurs la décision du TAS selon laquelle le litige ne présentait pas d’élément international et ne remplissait donc pas les conditions de l’article 14 du Règlement du Comité d’arbitrage de la FFT. Ainsi, rien ne fondait la compétence du TAS (considérants 4 et suivants de l’arrêt).
43. Le Tribunal fédéral estima enfin que, selon sa jurisprudence, l’article 190 al. 2 let. d LDIP ne conférait un droit ni à une motivation particulière de la sentence arbitrale, ni à une audience devant un tribunal arbitral (considérant 5).
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTS
1. LE DROIT SUISSE PERTINENT
44. Les dispositions pertinentes de la Constitution fédérale (Recueil systématique (RS) 101) sont libellées comme suit :
Article 29 Garanties générales de procédure
« Toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable.
(...) »
Article 29a Garantie de l’accès au juge
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire. La Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l’accès au juge dans des cas exceptionnels. »
Article 30 Garanties de procédure judiciaire
« Toute personne dont la cause doit être jugée dans une procédure judiciaire a droit à ce que sa cause soit portée devant un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial. Les tribunaux d’exception sont interdits.
(...) »
45. Les dispositions pertinentes de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (« la LTF », RS 173.110) sont libellées comme suit :
Article 47 Prolongation
« Les délais fixés par la loi ne peuvent être prolongés.
Les délais fixés par le juge peuvent être prolongés pour des motifs suffisants si la demande en est faite avant leur expiration. »
Article 57 Débats
« Le président de la cour peut ordonner des débats. »
Article 58 Délibération
« Le Tribunal fédéral délibère en audience :
a. si le président de la cour l’ordonne ou si un juge le demande ;
b. s’il n’y a pas unanimité.
Dans les autres cas, le Tribunal fédéral statue par voie de circulation. »
Article 59 Publicité
« Les éventuels débats ainsi que les délibérations et votes en audience ont lieu en séance publique.
Le Tribunal fédéral peut ordonner le huis clos total ou partiel si la sécurité, l’ordre public ou les bonnes mœurs sont menacés, ou si l’intérêt d’une personne en cause le justifie.
Le Tribunal fédéral met le dispositif des arrêts qui n’ont pas été prononcés lors d’une séance publique à la disposition du public pendant 30 jours à compter de la notification. »
Article 61 Force de chose jugée
« Les arrêts du Tribunal fédéral acquièrent force de chose jugée le jour où ils sont prononcés. »
Article 77 Arbitrage
« Le recours en matière civile est recevable contre les décisions de tribunaux arbitraux :
a. pour l’arbitrage international, aux conditions prévues aux article 190 à 192 de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé ;
b. pour l’arbitrage interne, aux conditions prévues aux article 389 à 395 du code de procédure civile du 19 décembre 2008.
Sont inapplicables dans ces cas les article 48, al. 3, 90 à 98, 103, al. 2, 105, al. 2, et 106, al. 1, ainsi que l’article 107, al. 2, dans la mesure où cette dernière disposition permet au Tribunal fédéral de statuer sur le fond de l’affaire.
Le Tribunal fédéral n’examine que les griefs qui ont été invoqués et motivés par le recourant. »
Article 100 Recours contre une décision
« Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.
(...) »
Article 102 Échange d’écritures
« Si nécessaire, le Tribunal fédéral communique le recours à l’autorité précédente ainsi qu’aux éventuelles autres parties ou participants à la procédure ou aux autorités qui ont qualité pour recourir ; ce faisant, il leur impartit un délai pour se déterminer.
(...) »
46. L’article 312 du Code de procédure civile (« le CPC », RS 272) est libellé ainsi :
Article 312
« L’instance d’appel notifie l’appel à la partie adverse pour qu’elle se détermine par écrit, sauf si l’appel est manifestement irrecevable ou infondé.
La réponse doit être déposée dans un délai de 30 jours. »
47. Les dispositions pertinentes de la Loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (« la LDIP », RS 291) se lisent comme suit :
Article 23
« Lorsqu’une personne a une ou plusieurs nationalités étrangères en sus de la nationalité suisse, seule la nationalité suisse est retenue pour déterminer la compétence du for d’origine.
Lorsqu’une personne a plusieurs nationalités, celle de l’État avec lequel elle a les relations les plus étroites est seule retenue pour déterminer le droit applicable, à moins que la présente loi n’en dispose autrement.
Si la reconnaissance d’une décision étrangère en Suisse dépend de la nationalité d’une personne, la prise en considération d’une de ses nationalités suffit. »
Article 176
« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à tout arbitrage si le siège du tribunal arbitral se trouve en Suisse et si au moins l’une des parties n’avait, au moment de la conclusion de la convention d’arbitrage, ni son domicile, ni sa résidence habituelle en Suisse.
(...) »
Article 186
« Le tribunal arbitral statue sur sa propre compétence.
(...)
En général, le tribunal arbitral statue sur sa compétence par une décision incidente. »
Article 190
« La sentence est définitive dès sa communication.
Elle ne peut être attaquée que :
a. lorsque l’arbitre unique a été irrégulièrement désigné ou le tribunal arbitral irrégulièrement composé ;
b. lorsque le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent ;
c. lorsque le tribunal arbitral a statué au-delà des demandes dont il était saisi ou lorsqu’il a omis de se prononcer sur un des chefs de la demande ;
d. lorsque l’égalité des parties ou leur droit d’être entendues en procédure contradictoire n’a pas été respecté ;
e. lorsque la sentence est incompatible avec l’ordre public.
En cas de décision incidente, seul le recours pour les motifs prévus à l’al. 2, let. a et b, est ouvert ; le délai court dès la communication de la décision. »
Article 191
« Le recours n’est ouvert que devant le Tribunal fédéral. La procédure est régie par l’article 77 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral. »
48. Les dispositions pertinentes du Code de l’arbitrage en matière de sport du TAS (version de 2004 en vigueur à l’époque des faits) se lisent comme suit :
R47 Appel
« Un appel contre une décision d’une fédération, association ou autre organisme sportif peut être déposé au TAS si les statuts ou règlements dudit organisme sportif le prévoient ou si les parties ont conclu une convention d’arbitrage particulière et dans la mesure aussi où l’appelant a épuisé les voies de droit préalables à l’appel dont il dispose en vertu des statuts ou règlements dudit organisme sportif.
(...) »
R57 Instruction orale
« (...) Après avoir consulté les parties, la Formation peut, si elle s’estime suffisamment informée, ne pas tenir d’audience. Lors de l’audience, les débats ont lieu à huis clos sauf accord contraire des parties.
(...). »
2. LA JURISPRUDENCE PERTINENTE DU TRIBUNAL FÉDÉRAL
49. Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a établi que les griefs énumérés à l’article 190 al. 2 LDIP sont exhaustifs (TF 4A_370/2007 du 21 février 2008) :
« 5.3.2 La Convention européenne des droits de l’homme ne s’applique pas directement à l’arbitrage (...). En effet, la violation des dispositions de cette convention ne compte pas au nombre des griefs limitativement énumérés par l’article 190 al. 2 LDIP. Cependant, la prise en considération des principes sous-tendant ces dispositions-là lors de l’examen de ces griefs-ci ne devrait pas être exclue d’emblée (arrêt 4P.105/2006 du 4 août 2006, consid. 7.3). Dans ce sens, on peut admettre, avec le recourant, que serait contraire à la notion d’ordre public matériel, telle que la conçoit le droit suisse, une sentence qui porterait atteinte, même indirectement, à un principe aussi fondamental que celui de l’interdiction du travail forcé. »
50. Le Tribunal fédéral a, par la suite, précisé ses propos en établissant que les principes découlant de la Convention peuvent servir, dans le cadre de l’examen d’un recours contre une sentence du TAS, à concrétiser les garanties invoquées sur la base de l’article 190 al. 2 LDIP (TF 4A_238/2011 du 4 janvier 2012) :
« 3.1.2 L’intimée se prévaut encore de la jurisprudence voulant qu’il soit exclu de faire valoir directement une violation de la CEDH dans un recours dirigé contre une sentence arbitrale internationale, étant donné que semblable violation ne compte pas au nombre des motifs limitativement énumérés à l’article 190 al. 2 LDIP (arrêts 4A_404/2010 du 19 avril 2011 consid. 3.5.3 ; 4A_43/2010 du 29 juillet 2010 consid. 3.6.1 ; 4A_320/2009 du 2 juin 2010 consid. 1.5.3 ; 4A_612/2009 du 10 février 2010 consid. 2.4.1 ; 4P.105/2005 du 4 août 2006 consid. 7.3). Elle soutient en outre, dans ce contexte, que le recourant n’a de toute façon pas satisfait à l’exigence de motivation posée à l’article 77 al. 3 LTF.
Il est exact que, selon la jurisprudence citée, un recourant ne peut pas directement faire grief aux arbitres d’avoir violé la CEDH, même si les principes découlant de celle-ci peuvent servir, le cas échéant, à concrétiser les garanties invoquées par lui sur la base de l’article 190 al. 2 LDIP (arrêts cités, ibid.). Toutefois, le problème à résoudre en l’espèce est différent : il ne s’agit pas d’examiner si les arbitres ont méconnu l’une ou l’autre de ces garanties, interprétées au besoin à la lumière de l’article 6 par. 1 CEDH, mais bien de rechercher si l’article 192 LDIP, qui permet aux parties d’exclure par avance tout recours contre une sentence arbitrale (ou d’exclure l’un ou l’autre des motifs de recours), est compatible avec l’article 6 par. 1 CEDH (contrôle incident des normes). »
3. LE DROIT TURC PERTINENT
51. L’article 12/A de la loi no 5719, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, établit que le Comité de résolution des litiges de la FFT exerce une compétence exclusive pour connaître des litiges découlant de tous types de contrats entre (i) clubs, (ii) clubs et footballeurs, entraîneurs, agents de joueurs, masseurs et organisateurs de matchs et (iii) agents de joueurs et footballeurs.
52. L’article 6 paragraphe 4 de la loi no 5894 du 5 mai 2009, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, sur la création et les fonctions de la FFT, est libellé ainsi (traduction) :
« Toute sentence prise par le Comité d’arbitrage est définitive et exécutoire pour les parties et aucune action en justice ne peut être intentée contre ces sentences devant les autorités judiciaires. »
53. L’article 14 du Règlement de la FFT sur le Comité d’arbitrage se lit comme suit (traduction) :
« Toute opposition aux sentences du Comité d’arbitrage pour des différends découlant de contrats de sportifs, de managers et d’entraineurs qui revêtent un élément international peuvent être soumis au Tribunal arbitral du Sport à la lumière des règlements et directives de la FIFA et de l’UEFA. »
4. LE DROIT PERTINENT DE LA FIFA
54. L’article 63 al. 1 des Statuts de la FIFA, tels qu’en vigueur à l’époque des faits, est libellé ainsi :
« 1. Tout recours contre des décisions prises en dernière instance par la FIFA, notamment les instances juridictionnelles, ainsi que contre des décisions prises par les confédérations, les membres ou les ligues doit être déposé auprès du TAS dans un délai de vingt-et-un jours suivant la communication de la décision.
(...) »
55. L’article 22 let. b du Règlement de 2008 du Statut et du Transfert des Joueurs de la FIFA en vigueur à l’époque des faits se lit comme suit :
« Sans préjudice du droit de tout joueur ou club à demander réparation devant un tribunal civil pour des litiges liés au travail, la compétence de la FIFA s’étend :
(...)
b) aux litiges relatifs au travail entre un club et un joueur qui présentent des éléments internationaux, à moins qu’au niveau national, un tribunal arbitral indépendant garantissant une procédure équitable et respectant le principe de la représentation égale des joueurs et des clubs ait été établi dans le cadre de l’association et/ou d’un accord de convention collective ;
(...). »
EN DROIT
1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION FONDÉE SUR LE DROIT D’ACCÈS À UN TRIBUNAL
56. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant soutient qu’il n’a pu porter son litige devant un tribunal impartial et indépendant ni en Turquie, ni en Suisse et que son droit d’accès à un tribunal a de ce fait été violé.
57. L’article 6 § 1 de la Convention est rédigé en ces termes :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...), par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
1. Sur la recevabilité
1. Sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention
a) Les thèses des parties
1. Le Gouvernement
58. Le Gouvernement considère que la présente affaire devrait être déclarée incompatible ratione materiae avec l’article 6 de la Convention.
59. Il estime en effet que la procédure menée devant le TAS n’a pas été directement déterminante pour les droits et obligations de caractère civil du requérant. Selon lui, le TAS s’étant déclaré incompétent, la question de l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention aux procédures devant cette instance ne s’est jamais posée.
60. Quant au Tribunal fédéral, le Gouvernement admet qu’en sa qualité de tribunal étatique, il est tenu de veiller au respect des garanties procédurales de l’article 6 § 1 de la Convention. Toutefois, il estime que le litige porté devant le Tribunal fédéral, qui se limite à la question de la compétence du TAS, se situait en dehors du champ d’application de cette disposition. Selon lui, l’article 6 § 1 de la Convention garantit certes un droit d’accès à un tribunal étatique mais pas de droit d’accès à un tribunal arbitral privé. Or, le Gouvernement relève que le droit d’accès à un tribunal étatique n’était en discussion ni devant le TAS, ni devant le Tribunal fédéral. Ainsi, le Gouvernement considère que la procédure devant le Tribunal fédéral n’a pas été directement déterminante pour les droits et obligations « de caractère civil » du requérant.
2. Le requérant
61. Le requérant allègue, quant à lui, que l’article 6 § 1 de la Convention est applicable aussi bien à la procédure devant le TAS qu’à la procédure devant le Tribunal fédéral. Il estime que les arbitres sont assimilables à des juges et revêtent une fonction judiciaire bien que leur compétence dépende d’un accord entre les parties.
62. Il considère par ailleurs que la procédure devant le TAS et le Tribunal fédéral a été déterminante pour ses droits et obligations de caractère civil. En effet, selon lui, le Comité d’arbitrage de la FFT ne pouvait pas être considéré comme impartial et indépendant. Le TAS et le Tribunal fédéral auraient été les seules instances qui remplissaient ces deux critères pour pouvoir connaître du litige l’opposant au Club et à la FFT.
b) L’appréciation de la Cour
63. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention ne vaut que pour l’examen des « contestations sur [des] droits et obligations de caractère civil » et du « bien-fondé de toute accusation en matière pénale » (voir notamment Mutu et Pechstein c. Suisse, nos 40575/10 et 67474/10, § 56, 2 octobre 2018).
64. En l’espèce, la Cour note que le requérant se plaignait devant le TAS de la sentence du Comité d’arbitrage du 16 avril 2009, le condamnant à verser des dommages et intérêts au Club. Par conséquent, les droits que le requérant a fait valoir avec son recours devant le TAS sont ici de nature patrimoniale et ils résultent d’une relation contractuelle entre personnes privées. Ainsi, ce sont des droits « à caractère civil » au sens de l’article 6 de la Convention (voir, en ce sens, Mutu et Pechstein, précité, § 57, et Ali Rıza et autres c. Turquie, nos 30226/10 et 4 autres, § 159, 28 janvier 2020).
65. L’article 6 § 1 de la Convention est par conséquent applicable ratione materiae au litige objet de la présente affaire, auquel le requérant était partie devant le TAS et devant le Tribunal fédéral.
2. Conclusion
66. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Les thèses des parties
a) Le requérant
67. Le requérant soutient que son droit d’accès à un tribunal a été violé, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, du fait qu’il n’ait pu porter son litige devant un tribunal impartial et indépendant ni en Turquie, ni en Suisse. En effet, il estime que les instances nationales turques ne remplissaient pas ces deux critères et il rappelle que le litige n’a pas été tranché sur le fond ni par le TAS ni par le Tribunal fédéral.
68. Le requérant allègue par ailleurs que le TAS n’aurait pas correctement interprété le contrat et aurait ainsi négligé la volonté des parties. Le TAS aurait dû reconnaître que la clause d’arbitrage contenue dans le contrat s’étendait au TAS, appliquant ainsi le principe de in dubio contra stipulatorem. Une telle approche serait d’autant plus importante dans les litiges dans le domaine du sport.
69. En outre, le requérant estime que le TAS n’a pas correctement apprécié la dimension internationale du litige. Le requérant devrait, selon lui, être considéré comme un joueur britannique qui s’est rendu quelque temps en Turquie pour sa carrière.
b) Le Gouvernement
70. Le Gouvernement considère que le requérant n’a pas été privé de son droit d’accès à un tribunal. En effet, il estime que le litige opposant le requérant au Club et à la FFT est une affaire purement turque. De ce fait, le Gouvernement fait valoir que c’était aux instances turques qu’il incombait de se prononcer sur une éventuelle voie de droit contre la sentence du Comité d’arbitrage. Ainsi, le requérant n’aurait jamais été privé de son droit d’accès à un tribunal selon l’article 6 § 1 de la Convention : il lui appartenait simplement, selon le Gouvernement, de le faire valoir à l’égard des tribunaux turcs.
71. Le Gouvernement ajoute, qu’en tout état de cause, le requérant a pu saisir le Tribunal fédéral d’un recours contre la sentence arbitrale du TAS et a ainsi pu faire valoir ses griefs y relatifs. La cour suprême suisse a alors soigneusement examiné dans une motivation circonstanciée, l’ensemble des arguments avancés par le requérant. Ainsi, selon le Gouvernement, il n’y a pas eu d’atteinte au droit d’accès à un tribunal du requérant.
2. L’appréciation de la Cour
a) Principes généraux
72. Le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, doit s’interpréter à la lumière du principe de la prééminence du droit, qui exige l’existence d’une voie judiciaire effective permettant de revendiquer les droits civils (voir, parmi d’autres, Al-Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse [GC], no 5809/08, § 126, CEDH 2016, Eşim c. Turquie, no 59601/09, § 18, 17 septembre 2013, et Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 49, CEDH 2002 IX). Chaque justiciable a droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. C’est ainsi que l’article 6 § 1 de la Convention consacre le droit à un tribunal, dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, constitue un aspect particulier (voir, parmi d’autres, Howald Moor et autres c. Suisse, nos 52067/10 et 41072/11, § 70, 11 mars 2014, et Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 36, série A no 18).
73. Toutefois, le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 120, 23 juin 2016,
Al-Dulimi et Montana Management Inc., précité, § 129 ; Yabansu et autres c. Turquie, no 43903/09, § 58, 12 novembre 2013, et Howald Moor et autres, précité, § 71). Cela étant, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tel que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même (Baka, précité, § 120, Al-Dulimi et Montana Management Inc., précité, § 129, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 230, CEDH 2012, et Howald Moor et autres, précité, § 71).
74. En outre, les limitations appliquées ne se concilient avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Baka, précité, § 120, Al-Dulimi et Montana Management Inc., précité, § 129, Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, § 50, Recueil 1996-IV, Stagno c. Belgique, no 1062/07, § 25, 7 juillet 2009, et Howald Moor et autres, précité, § 71).
75. Le droit d’accès à un tribunal n’implique pas nécessairement le droit de pouvoir saisir une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires du pays ; ainsi, un organe chargé de trancher un nombre restreint de litiges déterminés peut s’analyser en un tribunal à condition d’offrir les garanties voulues (Ali Rıza, précité, § 173, Mutu et Pechstein, précité, § 94, et Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986, § 201, série A no 102). L’article 6 ne s’oppose donc pas à ce que des tribunaux arbitraux soient créés afin de juger certains différends de nature patrimoniale opposant des particuliers (Suda c. République tchèque, no [1643/06](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%221643/06%22%5D%7D), § 48, 28 octobre 2010).
76. En outre, il convient de distinguer entre arbitrage volontaire et arbitrage forcé. S’agissant d’un arbitrage forcé, en ce sens que l’arbitrage est imposé par la loi, les parties n’ont aucune possibilité de soustraire leur litige à la décision d’un tribunal arbitral. Celui-ci doit offrir les garanties prévues par l’article 6 § 1 de la Convention (Mutu et Pechstein, précité, § 95, Ali Rıza, précité, § 174, et Suda, précité, § 49).
77. La Cour rappelle, enfin, le principe fondamental selon lequel c’est aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, qu’il appartient d’interpréter et d’appliquer le droit interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 29, série A no 176 A, Kopp c. Suisse, 25 mars 1998, § 59, Recueil 1998-II, et Nusret Kaya et autres c. Turquie, nos 43750/06, 43752/06, 32054/08, 37753/08 et 60915/08, § 38, CEDH 2014 (extraits)). La Cour ne peut dès lors mettre en cause l’appréciation des autorités internes quant à des erreurs de droit prétendues que lorsque celles-ci sont arbitraires ou manifestement déraisonnables (voir, dans ce sens, Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, §§ 85-86, CEDH 2007-I).
b) Application des principes au cas d’espèce
78. La Cour estime approprié d’aborder le grief tiré du droit d’accès en répondant successivement aux questions qui suivent : (i) Quel est l’objet du litige à trancher par la Cour ? (ii) Le requérant pouvait-il se prévaloir d’un droit d’accès à un tribunal vis-à-vis de la Suisse ? (iii) Le requérant a-t-il subi une limitation du droit d’accès ? (iv) La limitation du droit était-elle justifiée ?
1. Définition de l’objet du litige pendant
79. La Cour observe qu’en l’espèce, le requérant formule un certain nombre d’arguments tendant à démontrer que l’arbitrage devant les instances nationales turques était forcé. La Cour rappelle qu’il n’est pas question d’analyser si, dans le cas d’espèce, l’arbitrage au sein de la FFT était volontaire ou forcé. En effet, cela a d’ores et déjà été tranché par elle précédemment (Ali Rıza et autres, précité, § 176). Dans cette affaire, la Cour a considéré que, du fait que le Comité d’arbitrage disposait d’une compétence exclusive et obligatoire sur le litige du requérant et que les sentences de cet organe étaient définitives et exécutoires, il s’agissait en ce qui concerne les procédures en Turquie d’un arbitrage forcé.
80. Le requérant ne pouvait dès lors pas agir devant les tribunaux ordinaires en Turquie et n’avait donc d’autre choix que de soumettre le litige aux instances arbitrales au sein de la FFT. Ayant perdu devant ces instances, il a saisi le TAS et le Tribunal fédéral suisse, saisine qui s’est révélée vaine dans la mesure où le TAS s’est déclaré incompétent pour connaître du fond du litige. La question qui se pose à la Cour dans ce contexte est de savoir si la décision d’incompétence, entérinée par la suite par le Tribunal fédéral, a privé le requérant d’un accès effectif à un tribunal au sens de l’article 6 § 1. À cette fin, la Cour estime approprié de considérer la procédure devant le TAS, suivie par celle devant le Tribunal fédéral, comme une procédure détachable de la procédure que le requérant a menée devant les instances de la FFT.
2. L’existence d’un droit d’accès vis-à-vis de la Suisse
81. La Cour exprime certains doutes concernant la question de savoir si le requérant peut se prévaloir d’un droit d’accès à un tribunal vis-à-vis de la Suisse, dans la mesure où le litige qui fait l’objet de la présente requête ne présentait qu’un lien extrêmement tenu avec l’État défendeur. Elle précise à cet égard que la procédure menée devant les instances de la FFT n’avait a priori pas de lien avec les juridictions suisses et ne revêtait pas d’élément international. Au contraire, elle concernait un litige entre le requérant, joueur de football turc (possédant certes également la nationalité britannique), d’une part, et un club de football turc et la FFT, d’autre part. Par ailleurs, le droit en vigueur à l’époque des faits prévoyait que les sentences du Comité d’arbitrage étaient définitives et exécutoires. Dès lors, il n’existait pas de droit de recours au TAS et, partant, la procédure devant celui-ci ne pouvait pas être considérée comme faisant partie de la procédure d’arbitrage forcé devant les instances de la FFT.
82. Par ailleurs, comme constaté par la Cour dans l’affaire Ali Rıza, précitée, le requérant avait droit à un tribunal indépendant et impartial en Turquie. Le fait qu’il ne pouvait pas l’exercer effectivement, ce qui a mené au constat de violation par la Cour, ne veut pas dire qu’un recours au TAS devait nécessairement être ouvert. Cela étant, on ne saurait prétendre que la Suisse, à la suite des failles dans la procédure en Turquie, était obligée de garantir une procédure devant un tribunal indépendant et impartial en Suisse. En d’autres termes, les manquements de la Turquie constatés par la Cour n’engageaient pas automatiquement la responsabilité de la Suisse.
83. Toutefois, la Cour estime pouvoir laisser en suspens la question de savoir si le requérant pouvait se prévaloir d’un droit d’accès à un tribunal vis-à-vis de la Suisse, étant donné que l’allégation de violation de ce grief s’avère infondée pour les raisons qui suivent.
3. Limitation du droit d’accès
84. La Cour est amenée à examiner si le requérant a subi une limitation de son droit d’accès à un tribunal. Elle rappelle, à cet égard, que chaque justiciable a droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. C’est ainsi que l’article 6 § 1 de la Convention consacre le droit à un tribunal, dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, constitue un aspect particulier (Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, § 113, 15 mars 2018, avec autres références). À supposer que le requérant ait pu se prévaloir d’un droit d’accès à un tribunal vis-à-vis de la Suisse, la Cour estime que le requérant a en effet subi une limitation de son droit d’accès dans la mesure où le TAS s’est déclaré incompétent pour connaître du litige l’opposant au Club et à la FFT, incompétence confirmée par le Tribunal fédéral.
4. Justification de la limitation
85. La question suivante que la Cour est amenée à trancher est celle de savoir si la restriction du droit d’accès au TAS poursuivait un but légitime. La Cour est prête à accepter que la limitation de la compétence du TAS poursuivait le but de la bonne administration de la justice et de l’effectivité des décisions judiciaires internes.
86. Quant au rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, la Cour réitère que la réglementation sur les limitations du droit d’accès aux tribunaux admises peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, l’État partie jouit d’une certaine marge d’appréciation. S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention, elle n’a pas qualité pour substituer à l’appréciation des autorités nationales une autre appréciation de ce que pourrait être la meilleure politique en la matière. Dès lors, le droit d’accès n’est pas absolu ; les limitations appliquées ne sauraient néanmoins restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même (paragraphe 73 ci-dessus et la jurisprudence y citée ; voir aussi Zubac c. Croatie [GC], no 40160/12, § 78, 5 avril 2018). En l’espèce, la Cour doit donc répondre à la question de savoir si, à la lumière de la spécificité de la présente affaire, le rejet de la compétence du TAS n’a pas enfreint le droit d’accès à un tribunal du requérant dans sa substance même.
87. La Cour réitère d’emblée que le litige à la base de la requête ne présentait qu’un lien extrêmement tenu avec l’État défendeur, que les sentences du Comité d’arbitrage turc étaient définitives et exécutoires, que la procédure devant le TAS ne faisait pas partie d’une procédure d’arbitrage forcé et que le requérant avait droit à un tribunal indépendant et impartial en Turquie (paragraphes 80 et 81 ci-dessus et Ali Rıza, précité).
88. La Cour rappelle également que c’est aux autorités nationales qu’il appartient d’interpréter et d’appliquer le droit interne ; elle ne peut dès lors mettre en cause l’appréciation des autorités internes quant à des erreurs de droit prétendues que lorsque celles-ci sont arbitraires ou manifestement déraisonnables (voir la jurisprudence citée ci-dessus, paragraphe 77). De surcroît, une décision portant incompétence d’un tribunal n’enfreint pas le droit d’accès à un tribunal si les arguments de l’intéressé en faveur de la compétence du tribunal ont fait l’objet d’un examen réel et effectif et si le tribunal a motivé de manière adéquate les raisons sur lesquelles sa décision est fondée (dans ce sens, Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, § 68, série A no 179, et Konkurrenten.no AS c. Norvège (déc.), no 47341/15, §§ 46-47, 5 novembre 2019).
89. C’est dans le cadre de ce contrôle européen limité que la Cour appréciera la sentence du TAS, entérinée par le Tribunal fédéral.
90. Dans une sentence motivée de manière extensive et détaillée, le TAS a tout d’abord rappelé que l’article R47 du Code établissait que sa compétence pouvait résulter soit d’un contrat contenant une clause arbitrale, soit d’une convention d’arbitrage ultérieure, soit encore des statuts ou règlements d’un organisme sportif prévoyant l’appel au TAS. Or, ce tribunal a estimé que rien dans le contrat de travail conclu entre le requérant et le Club n’établissait sa compétence. Il a également constaté que les parties n’avaient conclu aucune convention d’arbitrage ultérieurement (paragraphe 27 ci-dessus) et que ni les statuts de la FIFA ni le Règlement de 2008 du Statut et du Transfert des Joueurs de la FIFA ne fondaient sa compétence (paragraphe 28 ci-dessus).
91. Quant au Règlement sur le Comité d’arbitrage de la FFT, le TAS a retenu que son article 14 prévoyait que toute opposition aux décisions du Comité d’arbitrage pour des litiges découlant notamment de contrats de sportifs, pour autant qu’ils présentaient un élément international, pouvait être soumise au TAS (paragraphe 28 ci-dessus). À cette fin, le tribunal a noté que cet article régissait le litige, et non le contrat. Le litige n’avait rien à voir avec le souhait du requérant d’être transféré de Trabzonspor vers un club hors de Turquie et aucun club étranger n’a été impliqué dans le litige lui-même. Quant à la question de savoir si le requérant pouvait être considéré comme un étranger en Turquie, le TAS s’est référé à plusieurs documents et a pris en compte différentes caractéristiques de l’histoire du joueur. Il rappela notamment que le requérant était arrivé en Turquie en 2003 à l’âge de 23 ans et y était enregistré comme joueur turc. Le TAS estima qu’il avait, en ce qui concerne le litige en question, certainement le lien le plus étroit avec la Turquie et que sa double nationalité était insuffisante pour justifier de conférer au litige une dimension internationale au sens de l’article 14 du Règlement sur le Comité d’arbitrage de la FFT. Le tribunal a également rappelé que la FIFA avait déjà estimé que le litige ne présentait aucun élément international et avait de ce fait, le 19 février 2008, refusé d’entrer en matière (paragraphe 10 ci-dessus). Or, le requérant n’avait pas contesté cette décision.
92. Le TAS a conclu, compte tenu des raisons précitées, que le litige ne présentait aucun élément international et, par conséquent, que l’article 14 du Règlement sur le Comité d’arbitrage de la FFT ne s’appliquait pas en l’espèce (paragraphe 29 ci-dessus). De ce fait, l’article R47 du Code (paragraphe 48 ci-dessus) n’était pas rempli et, par conséquent, rien ne fondait la compétence du TAS.
93. Le 19 avril 2011, saisi d’un recours en matière civile du requérant, le Tribunal fédéral a entériné la décision du TAS, selon laquelle le litige ne présentait pas d’élément international et ne remplissait donc pas les conditions de l’article 14 du Règlement du Comité d’arbitrage de la FFT. Ainsi, rien ne fondait la compétence du TAS (considérants 4 et suivants).
94. À la lumière de ces considérations, la Cour estime que le TAS a, dans le cadre d’une décision motivée et détaillée, expliqué de manière convaincante pourquoi il ne pouvait pas connaître du litige et, en particulier, pourquoi le litige ne revêtait pas un élément international. Il s’ensuit que le requérant, après avoir été débouté par les instances du FFT, avait saisi un tribunal qui était incompétent pour connaître de ses griefs.
95. Les conclusions du TAS ont, par ailleurs, été confirmées par le Tribunal fédéral, dont l’arrêt est également motivé de manière détaillée, répond à tous les moyens soulevés par le requérant et contient un raisonnement clair et des conclusions convaincantes.
96. Partant, la Cour conclut, dans la limite de son contrôle restreint, que les décisions du TAS et du Tribunal fédéral ne sont ni arbitraires ni manifestement déraisonnables au sens de la jurisprudence pertinente précitée.
97. Compte tenu de ce qui précède, et étant donné le lien extrêmement tenu entre le litige du requérant et la Suisse, ainsi que la spécificité de la procédure devant le TAS et le Tribunal fédéral (voir dans ce sens, Bakker c. Suisse (déc.), no 7198/07, § 40, 3 septembre 2019), la limitation au droit d’accès à un tribunal n’était pas disproportionnée au but poursuivi, à savoir la bonne administration de la justice et l’effectivité des décisions judiciaires internes. Dès lors, ce droit n’était pas atteint dans sa substance même.
98. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant au droit d’accès à un tribunal.
2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN RAISON DE L’ABSENCE D’AUDIENCE PUBLIQUE
Sur la recevabilité
99. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint par ailleurs de n’avoir bénéficié d’une audience publique ni devant le TAS, ni devant le Tribunal fédéral.
1. Observations préalables
100. La Cour rappelle qu’une procédure interne, même si elle a lieu devant différents niveaux de juridiction, doit être considérée comme un tout. Pour cette raison, elle considère approprié d’examiner conjointement si l’absence d’audience publique devant le TAS ainsi que devant le Tribunal fédéral a violé l’article 6 de la Convention (voir, dans ce sens, Schlumpf c. Suisse, no 29002/06, § 51, 8 janvier 2009).
101. Par ailleurs, la Cour observe qu’il existe une certaine confusion quant à savoir s’il est en l’espèce question de la tenue d’une « audience » ou d’une « audience publique ». Il appert que le requérant, devant les instances internes, s’est tantôt prévalu du droit à une simple audience, tantôt du droit à une audience publique. Dans la mesure où, devant la Cour, le requérant invoque le droit à une audience publique et que le présent grief a été communiqué aux parties sous cet angle-là, la Cour estime que c’est le droit à une audience publique, ou le droit d’être entendu publiquement, qui fait l’objet d’un examen ici.
2. Les thèses des parties
a) Le Gouvernement
102. Le Gouvernement estime qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 6 § 1 en raison de l’absence d’audience publique devant le TAS.
103. En effet, selon lui, la question préalable qui se posait en l’espèce, à savoir celle de la compétence du TAS, revêtait un caractère hautement technique, ce qui justifiait qu’aucune audience publique ne fût tenue.
104. En outre, le Gouvernement rappelle que, à défaut d’audience publique, un second échange d’écritures avait été organisé par le TAS, donnant ainsi par deux fois la possibilité au requérant de se déterminer en produisant des moyens de preuve.
105. Enfin, le Gouvernement allègue que le principe de la publicité des débats judiciaires devrait s’interpréter différemment dans le cadre d’une procédure d’arbitrage. Il admet que ce principe constitue l’un des moyens de préserver la confiance dans les cours et tribunaux mais estime que dans le cadre de l’arbitrage, la confiance des parties relève non pas d’un éventuel contrôle du public mais plutôt de la possibilité de choisir leurs arbitres. Selon lui, le recours à l’arbitrage permettrait d’éviter de porter sur la place publique des litiges strictement privés, notamment d’ordre pécuniaire.
106. Quant à la procédure devant le Tribunal fédéral, le Gouvernement estime que l’article 57 LTF (paragraphe 45 ci-dessus) prévoit certes la possibilité d’organiser des débats, mais précise qu’une audience publique est prévue uniquement dans des cas exceptionnels. Le cas d’espèce n’en constituant pas, le Gouvernement considère que la cause était prête à être jugée sur la base du dossier. Le Gouvernement soutient que l’unique question que le Tribunal fédéral devait trancher était celle de la compétence du TAS et du respect des garanties procédurales applicables à celui-ci. Il s’agissait ainsi de questions juridiques hautement techniques qui ne comportaient aucun examen des faits éventuellement susceptible d’exiger la tenue d’une audience publique.
b) Le requérant
107. Le requérant estime que l’article 6 § 1 de la Convention a été violé du fait qu’une audience publique n’a été tenue ni devant le TAS, ni devant le Tribunal fédéral.
108. Concernant la procédure devant le TAS, le requérant soutient ne jamais avoir renoncé à une audience publique. D’une part, l’arbitrage étant selon lui forcé, on ne saurait considérer qu’il a renoncé aux prérogatives de l’article 6 § 1. D’autre part, il a répondu par l’affirmative à la question de la tenue d’une audience publique posée par le TAS et expressément demandé à ce qu’une audience publique soit tenue.
109. De plus, le requérant soutient que le second échange d’écritures devant le TAS n’a pas remplacé la tenue d’une audience publique. Selon lui, il serait ressorti clairement d’une audience publique que le litige l’opposant au Club et à la FFT revêtait une dimension internationale. Cela aurait également permis au TAS d’apprécier la volonté des parties de conclure une clause d’arbitrage et leur compréhension de celle-ci.
110. Pour ce qui est de la procédure devant le Tribunal fédéral, le requérant relève que celui-ci a traité de diverses questions de crédibilité ou de faits contestés, ce qui nécessitait la tenue d’une audience publique. Selon le requérant, la question de savoir s’il devait être considéré comme un étranger en Turquie aurait par exemple requis la tenue d’une audience. En effet, le requérant allègue qu’il serait ressorti clairement d’une audience publique que le présent litige revêtait une dimension internationale.
111. Par ailleurs, le requérant estime que la tenue d’une audience publique devant le Tribunal fédéral aurait réparé l’omission du TAS de le faire.
112. Enfin, selon le requérant, ne se posait ni devant le TAS, ni devant le Tribunal fédéral une question juridique ou hautement technique mais une question juridictionnelle et contractuelle entre un athlète et son club, étant donné que le Club avait réclamé une indemnisation et qu’il était question de l’accès à un tribunal impartial et indépendant.
3. L’appréciation de la Cour
a) Les principes applicables
113. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention n’exige pas nécessairement la tenue d’une audience dans toutes les procédures. Cela est notamment le cas pour les affaires ne soulevant pas de question de crédibilité ou ne suscitant pas de controverses sur les faits qui auraient requis une audience, et pour lesquelles les tribunaux peuvent se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions présentées par les parties et d’autres pièces (Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 190, 6 novembre 2018, Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002, Pursiheimo c. Finlande (déc.), no 57795/00, 25 novembre 2003, et Şahin Karakoç c. Turquie, no 19462/04, § 36, 29 avril 2008).
114. Partant, la Cour ne saurait conclure, même dans l’hypothèse d’une juridiction investie de la plénitude de juridiction, que l’article 6 implique le droit absolu à une audience publique, indépendamment de la nature des questions à trancher. D’autres considérations, dont le droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité en découlant d’un traitement rapide des affaires inscrites au rôle, entrent en ligne de compte pour déterminer si des débats publics sont nécessaires (Varela Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002). La Cour a ainsi déjà considéré qu’une audience peut ne pas être nécessaire du fait des circonstances exceptionnelles du cas d’espèce, par exemple lorsque le cas ne soulève pas de question de droit ou de fait qui ne puisse être résolue sur la base du dossier et des observations écrites des parties (Döry, précité, § 37). Tel est notamment le cas s’agissant des procédures consacrées exclusivement à des points de droit ou hautement techniques (Schlumpf, précité, § 64, Jurisic et Collegium Mehrerau c. Autriche, no 62539/00, § 65, 27 juillet 2006, et Mehmet Emin Şimşek c. Turquie, no 5488/05, §§ 30‑31, 28 février 2012).
115. La Cour rappelle que les principes relatifs à la publicité des audiences en matière civile, tels qu’énoncés ci-dessus, valent non seulement pour les tribunaux ordinaires mais également pour les juridictions ordinales statuant en matière disciplinaire ou déontologique (Mutu et Pechstein, précité, § 179, Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 43, Recueil des arrêts et décisions 1998‑III).
b) L’application des principes au cas d’espèce
116. Pour ce qui est de la procédure devant le TAS, la Cour rappelle que celle-ci s’est limitée à l’examen de la compétence du TAS et le litige n’a donc pas été examiné au fond. Ce tribunal n’a pas tenu d’audience publique en dépit d’une demande explicite du requérant.
117. La Cour admet qu’afin de se prononcer sur sa compétence, le TAS a dû examiner la question de savoir si le litige présentait un élément international. Une question de fait a donc été soulevée par le cas. Cependant, rien n’indique que cette question de fait ne pouvait être résolue sur la base du dossier et des observations écrites des parties, d’autant plus que le TAS avait ordonné un deuxième échange d’écriture afin de disposer de tous les éléments et preuves nécessaires, comme le relève à juste titre le Gouvernement. La Cour voit mal comment la tenue d’une audience aurait aidé le TAS à déterminer si le litige présentait un élément international ou non.
118. Quant au Tribunal fédéral, la Cour note que, dans son arrêt du 19 avril 2011, celui-ci a rejeté la demande d’une audience publique formulée par le requérant. Il a en effet rappelé que les audiences publiques ne sont tenues que dans des cas exceptionnels en vertu du droit supérieur ou de l’article 57 LTF. Une telle audience n’était pas opportune en l’espèce selon le Tribunal fédéral.
119. L’objet du litige devant le Tribunal fédéral portait uniquement sur la compétence et la recevabilité du recours devant le TAS. Or, la Cour partage l’avis du Gouvernement selon lequel la question de la compétence du TAS constituait une question juridique hautement technique, au sens de la jurisprudence précitée, qui pouvait être valablement résolue sans le recours à une audience.
120. Partant, ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN RAISON DU NON-RESPECT DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ DES ARMES
Sur la recevabilité
121. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant estime en outre que le principe d’égalité des armes n’a pas été respecté dans le cadre de la procédure devant le Tribunal fédéral.
1. Les thèses des parties
a) Le Gouvernement
122. Le Gouvernement ne conteste pas que le requérant ait bénéficié d’un délai plus court pour déposer son recours que celui imparti aux parties adverses pour soumettre leurs réponses. Toutefois, le Gouvernement soutient que la durée plus courte pour introduire un recours par rapport au délai imparti par le Tribunal fédéral pour y répondre s’explique par leur différence de nature, l’un étant légal et l’autre fixé par le juge, autant que par la nécessité d’assurer un déroulement ordonné de la procédure tout en veillant au respect des droits des parties.
123. Le Gouvernement allègue par ailleurs que le requérant avait soumis, dans son recours, une demande d’effet suspensif et, dès lors, le Tribunal fédéral a donc dû en premier lieu statuer sur cette demande. Pour ce faire, il était nécessaire de donner préalablement l’occasion aux parties adverses de se déterminer. Parallèlement, ces dernières ont déposé une demande de fourniture de sûretés en garantie des dépens. Le Tribunal fédéral a donné l’opportunité au requérant de se prononcer sur cette demande. Suite à cela, le Tribunal fédéral a imparti aux parties adverses un délai de 30 jours (hors vacances judiciaires) pour répondre au recours.
124. Le Gouvernement souligne en outre qu’il ne voit pas en quoi le délai légal de 30 jours serait particulièrement court, le degré de complexité n’apparaissant pas plus élevé que dans d’autres litiges soumis au Tribunal fédéral.
125. Enfin, il estime que le requérant n’a pas été placé dans une situation de net désavantage, au sens de la jurisprudence de la Cour, par rapport aux parties adverses. Il soutient en effet que le requérant a amplement eu l’occasion de se déterminer et qu’il a lui-même estimé qu’un délai plus court lui aurait suffi pour se prononcer sur les réponses au recours.
b) Le requérant
126. Le requérant estime quant à lui que le principe de l’égalité des armes a été violé du fait que le Club et la FFT auraient bénéficié, pour présenter leur réponse au recours, d’un délai cinq fois plus long que celui qu’il devait lui-même respecter pour saisir le Tribunal fédéral contre la sentence arbitrale du TAS.
127. Il rappelle avoir expressément conclu, devant le Tribunal fédéral, à ce que les parties adverses fussent invitées à répondre dans un délai unique non susceptible de prolongation. Il estime que le délai de recours de 30 jours, imposé par l’article 100 al. 1 LTF, était particulièrement court dans des affaires complexes ayant, comme en l’espèce, une dimension internationale. Il rappelle que, malgré ces demandes, son recours a été transmis au Club et à la FFT le 14 juillet 2010 mais que ceux-ci ne soumirent leurs conclusions que le 18 janvier 2011. Le requérant obtint les réponses à son recours le 20 janvier 2011 et n’a ensuite eu que jusqu’au 7 février 2011 pour se prononcer sur celles-ci. Le requérant estime donc qu’il s’agit là d’un désavantage clair étant donné qu’il n’a eu que 30 jours pour déposer son recours et ensuite 20 jours pour se déterminer alors que le Club et la FFT ont disposé de plus de 6 mois pour se prononcer sur le recours.
128. Le requérant allègue enfin que l’article 312 CPC établit que la réponse à un recours doit être déposée dans les 30 jours (paragraphe 46 ci‑dessus). Dès lors, selon lui, la même règle devrait s’appliquer devant le Tribunal fédéral.
2. L’appréciation de la Cour
129. La Cour rappelle que le principe du contradictoire et celui de l’égalité des armes, étroitement liés entre eux, sont des éléments fondamentaux de la notion de « procès équitable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Ils exigent un « juste équilibre » entre les parties : chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à la partie adverse (Avotiņš c. Lettonie [GC], no 17502/07, § 119, 23 mai 2016).
130. À cet égard, la Cour rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales et, notamment aux tribunaux, qu’il incombe d’interpréter et d’appliquer les règles de nature procédurale. Celles-ci visent à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique (Miholapa c. Lettonie, no 61655/00, § 24, 31 mai 2007).
131. Se tournant vers le cas d’espèce, la Cour ne voit pas en quoi le requérant aurait disposé d’un délai plus court pour déposer son recours que celui imparti aux parties adverses pour y répondre. Selon l’article 100 al. 1 LTF, le délai de recours est de 30 jours (paragraphe 45 ci‑dessus). Le Tribunal fédéral a par la suite imposé un délai de 30 jours au Club et à la FFT pour soumettre leurs réponses. Le délai stricto sensu n’a donc pas différé entre les parties.
132. Cependant, la Cour reconnait que le recours ayant été notifié aux parties adverses le 14 juillet 2010, celles-ci ont eu plus de temps pour préparer leur réponse qu’elles n’ont soumise que le 18 janvier 2011. Cela est dû au fait que le Tribunal fédéral a d’abord traité des questions préalables de l’effet suspensif et de la fourniture de sûretés.
133. Reste à savoir si le requérant a de ce fait été privé de la possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne le plaçaient pas dans une situation de net désavantage.
134. La Cour estime que le délai de recours de 30 jours n’a pas privé le requérant de la possibilité d’exercer utilement cette voie de recours. Compte tenu de la question limitée qui se posait devant le Tribunal fédéral, à savoir celle de la compétence du TAS, la Cour considère, tout comme le Gouvernement, que le présent cas ne présentait pas de difficulté particulière. Par ailleurs, la Cour relève à cet égard que la période écoulée entre la notification du recours et la fixation par le Tribunal fédéral d’un délai de réponse, le 2 décembre 2010, s’explique par les échanges d’écriture entre les parties sur les questions préalables de l’effet suspensif et de la fourniture de sûretés. Le requérant a eu, à maintes reprises, l’occasion de présenter sa cause, comme le relève à juste titre le Gouvernement.
135. La Cour estime de ce fait que le requérant n’a pas été placé dans une situation de net désavantage par rapport au Club et à la FFT devant le Tribunal fédéral.
136. Partant, ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à la majorité, le grief concernant le droit d’accès à un tribunal recevable ;
2. Déclare, à l’unanimité, le surplus de la requête irrecevable ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juillet 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
{signature_p_2}
Milan BlaškoPaul Lemmens
GreffierPrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion concordante du juge Pavli à laquelle se rallient les juges Dedov et Ravarani ;
– opinion partiellement dissidente et partiellement concordante du juge Lemmens.
P.L.
M.B.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE PAVLI, À LAQUELLE SE RALLIENT LES JUGES DEDOV ET RAVARANI
(Traduction)
1. J’ai voté avec la majorité en faveur d’un constat de recevabilité du grief du requérant concernant le droit d’accès à un tribunal, ainsi qu’en faveur du constat de non-violation de l’article 6 de la Convention, adopté à l’unanimité. J’ai cependant décidé de rédiger une opinion séparée car je ne partage pas la position de la majorité, exposée dans les paragraphes 81 à 83 de l’arrêt, qui laisse ouverte la question de savoir si le requérant « pouvait se prévaloir d’un droit d’accès à un tribunal vis-à-vis de la Suisse. » J’estime en effet que le requérant pouvait bien se prévaloir en vertu de l’article 6 d’un droit d’accès à un tribunal suisse.
2. Dans les paragraphes 81 à 83 de l’arrêt, la majorité semble chercher à répondre à l’allégation du requérant selon laquelle ni la Turquie, ni la Suisse ne lui ont offert la possibilité de porter son litige civil devant un tribunal impartial et indépendant (paragraphe 67 de l’arrêt). Toutefois, un tel parallélisme est déplacé compte tenu des différences significatives qui existaient entre les régimes applicables en l’espèce en Suisse et en Turquie en matière d’arbitrage, la différence la plus notable étant que contrairement au régime suisse, à l’égard duquel aucune allégation de cette nature n’a été formulée, le régime turc s’apparentait à une forme d’arbitrage forcé (Ali Riza et autres c. Turquie, no 30226/10, 28 janvier 2020, §§ 142, 174 et 181). En outre, les sentences du Comité d’arbitrage turc étaient non susceptibles d’un contrôle juridictionnel, tandis que la décision rendue par le TAS en l’espèce était susceptible d’appel devant un tribunal fédéral suisse. On peut supposer que c’est sur ce fondement que la Cour a rejeté la demande du requérant tendant à obtenir que la requête objet du présent arrêt soit examinée conjointement avec la requête qu’il avait introduite précédemment contre la Turquie (ibidem, § 142).
3. Le Gouvernement défendeur n’a pas contesté le fait que le requérant « relevait de la juridiction » de la Suisse aux fins de l’article 6 de la Convention, et la Cour est partie du principe que l’intéressé relevait effectivement de la juridiction de la Suisse. En outre, la Cour a considéré que le litige que le requérant avait porté devant le TAS et le Tribunal fédéral concernait un droit « à caractère civil » au sens de l’article 6 (paragraphe 64 de l’arrêt). Or, ces deux constats suffisent pour parvenir à la conclusion que l’article 6 trouve à s’appliquer dans sa totalité. Il est donc déroutant de voir qu’une partie de la chambre soulève aussi la question de savoir si la Suisse « était obligée de garantir une procédure devant un tribunal indépendant et impartial. » Pareille question laisse penser qu’il y avait une condition supplémentaire, muette (non énoncée), que le requérant devait remplir pour qu’il fût donné effet à son droit d’accès à un tribunal suisse.
4. Pour répondre à cette question en reprenant la formulation utilisée par la majorité, je dirais qu’en effet, l’État défendeur n’était tenu par aucune « obligation » d’offrir au requérant un accès à un tribunal suisse. Ce point est cependant dénué de pertinence puisque la Suisse, dans son ordre juridique, a choisi d’offrir aux personnes ayant saisi le TAS un droit limité de recours devant le Tribunal fédéral. Le requérant s’est tout simplement prévalu de cette possibilité, et il l’a fait de manière légitime selon moi. Il a invoqué une disposition réglementaire de la Fédération turque en vertu de laquelle une sentence rendue par le Comité d’arbitrage turc dans un différend revêtant un « élément international » pouvait être contestée devant le TAS (paragraphe 53 de l’arrêt). Il a invoqué sa double nationalité et sa carrière passée en dehors de Turquie pour étayer son allégation selon laquelle le litige revêtait un élément international. Le TAS a finalement conclu que cette allégation concernant la question de sa compétence n’était pas étayée, mais elle n’est parvenue à une telle conclusion qu’après avoir procédé à un examen attentif des faits de la cause et avoir demandé aux parties des observations détaillées (paragraphe 28 de l’arrêt). En appel, le Tribunal fédéral a fait droit à la demande d’effet suspensif dont le requérant l’avait saisi (paragraphe 35 de l’arrêt), même s’il a finalement confirmé la décision du TAS selon laquelle rien ne fondait sa compétence. On ne peut donc pas dire que la démarche du requérant visant à faire en sorte que sa cause soit entendue par le TAS puis par une juridiction suisse ait été abusive ou totalement dénuée de fondement.
5. En conclusion, il convient de rappeler, d’une part, que le TAS a en grande partie pour mission de résoudre des litiges qui découlent de contrats sportifs revêtant un élément international, et, d’autre part, que la Suisse a choisi d’offrir dans son droit interne un droit de recours contre certaines décisions du TAS, notamment dans des affaires portant sur sa compétence. Il s’agit d’un dispositif utile, qui renforce la légitimité et la crédibilité des sentences du TAS. La Cour devrait donc veiller à ne pas affaiblir cet important système d’arbitrage en faisant inutilement naître des doutes quant à l’applicabilité dans ce contexte de l’article 6 de la Convention vis-à-vis de l’État défendeur.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE ET PARTIELLEMENT CONCORDANTE DU JUGE LEMMENS
1. À mon regret, je ne peux me rallier à la conclusion de la majorité selon laquelle le grief concernant le droit d’accès à un tribunal est recevable (point 1 du dispositif).
En revanche, j’ai voté avec mes collègues pour déclarer irrecevables les griefs relatifs à l’absence d’audience publique devant le TAS et devant le Tribunal fédéral et au non-respect du principe de l’égalité des armes dans la procédure devant le Tribunal fédéral (point 2 du dispositif).
Mon désaccord porte sur la question de savoir si le requérant relevait de la juridiction de la Suisse aux fins de l’article 1 de la Convention.
Absence de lien juridictionnel avec la Suisse en ce qui concerne le droit d’accès à un tribunal
2. La majorité ne se prononce pas explicitement sur la question de savoir si le requérant relevait de la juridiction de la Suisse, le Gouvernement n’ayant pas soulevé d’exception à cet égard. Elle se demande néanmoins si le requérant peut se prévaloir d’un droit d’accès à un tribunal « vis-à-vis de la Suisse, dans la mesure où le litige qui fait l’objet de la présente requête ne présentait qu’un lien extrêmement ténu avec l’État défendeur » (paragraphe 81 de l’arrêt). Trois membres de la majorité préfèrent laisser cette question en suspens (paragraphe 83 de l’arrêt), tandis que les trois autres membres de la majorité y donnent explicitement une réponse positive (opinion concordante du Juge Pavli, à laquelle se rallient les Juges Dedov et Ravarani).
Pour ma part, je considère qu’il s’agit bel et bien d’une question relative à la juridiction de la Suisse.
3. La juridiction s’apprécie par rapport au grief (Chagos Islanders c. Royaume-Uni (déc.), no 35622/04, § 63, 11 décembre 2012). En l’espèce, en ce qui concerne le grief relatif au droit d’accès à un tribunal, et dans la mesure où ce grief est dirigé contre la Suisse, le requérant allègue qu’il n’a pas pu porter son litige devant un « tribunal » suisse. Or, un litige « préexiste en général au procès et se conçoit sans lui » (Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 32, série A no 18). Logiquement donc, le droit d’accès à un tribunal est un droit qui, lui aussi, se conçoit avant toute saisine d’un tribunal. Dès lors, la Cour doit se demander si, préalablement à la saisine du TAS, le requérant relevait de la juridiction de la Suisse. Ce n’est que si la réponse à cette question est positive qu’elle doit examiner si la Suisse a satisfait à l’obligation d’ouvrir au requérant l’accès à un « tribunal » répondant aux garanties de l’article 6 § 1 de la Convention.
Le litige que le requérant voulait soumettre devant le TAS n’avait aucun lien avec la Suisse. Il opposait, d’une part, le requérant, joueur de football britannique et turc, et, d’autre part, un club de football turc et la fédération de football turque (FFT). Il prenait la forme d’un recours contre une sentence du comité d’arbitrage de la FFT, régie par le droit turc. Or, le droit turc prévoyait que cette sentence était définitive et exécutoire et ne pouvait faire l’objet d’un recours devant les autorités judiciaires (voir, sur tous ces points, le paragraphe 81 de l’arrêt). En d’autres termes, il s’agissait d’un litige qui à tous égards avait des liens avec la Turquie, et seulement avec la Turquie. Il était donc tout à fait naturel que, dans son arrêt du 28 janvier 2020, la Cour ait examiné les griefs que le requérant avait dirigés contre la Turquie au sujet de la procédure suivie en Turquie (Ali Rıza et autres c. Turquie, nos 30226/10 et 4 autres, § 181, 28 janvier 2020).
Dans la présente espèce, le requérant ne se plaint pas de violations commises alors qu’il se trouvait sous la juridiction de la Turquie. Il demande à la Cour de reconnaître qu’il avait le droit de « frapper à la porte » des juridictions suisses pour leur soumettre son litige « turc ».
4. On sait que la compétence juridictionnelle d’un État est principalement territoriale, mais qu’il peut y avoir des circonstances exceptionnelles justifiant de conclure à un exercice territorial par l’État concerné de sa juridiction (voir, notamment, M.N. et autres c. Belgique (déc.) [GC], no 3599/18, §§ 98 et 102, 5 mai 2020).
En l’espèce, le droit suisse n’obligeait pas le requérant à soumettre son litige à l’arbitrage du TAS. Il ne lui garantissait pas non plus un accès à un « tribunal » suisse, arbitral ou judiciaire. Dans ces circonstances, on ne saurait dire que la Suisse ait exercé sur le requérant une quelconque juridiction, territoriale ou extraterritoriale, avant la saisine par celui-ci du TAS.
Le simple fait que le droit suisse contienne des règles relatives à l’arbitrage international, c’est-à-dire aux procédures d’arbitrage impliquant au moins une partie n’ayant ni son domicile, ni sa résidence habituelle en Suisse (article 176 de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé), ne suffit pas, à mon avis, pour parvenir à la conclusion que la Suisse a exercé sa juridiction sur le requérant.
5. S’il n’y a pas eu d’exercice d’une juridiction territoriale ou extraterritoriale par la Suisse, il faut se demander si, en engageant une procédure devant le TAS, le requérant a créé un « lien juridictionnel » entre lui et la Suisse (comparer M.N. et autres c. Belgique, décision précitée, § 121).
Dans l’affaire Markovic et autres, la Cour a admis qu’une action civile, même fondée sur des événements qui avaient eu lieu en dehors du territoire de l’État défendeur, portée devant les juridictions de cet État, pouvait créer un lien juridictionnel entre le demandeur et cet État (Markovic et autres c. Italie [GC], no 1398/03, § 54, CEDH 2006‑XIV). Elle a toutefois souligné que l’existence d’obligations éventuelles de l’État défendeur à l’égard du demandeur « dépend des droits que l’État en question permet de revendiquer », et en particulier de la question de savoir « si le droit interne reconnaît la possibilité d’engager une action » (ibidem, § 53).
Dans l’affaire Abdul Wahab Khan, la Cour a précisé que le simple fait pour un particulier d’initier une procédure devant un tribunal de l’État défendeur ne suffit pas pour établir un lien juridictionnel avec cet État en ce qui concerne le litige sous-jacent (Abdul Wahab Khan c. Royaume-Uni (déc.), no 11987/11, § 28, 28 janvier 2014). Cette précision confirme, à mon avis, qu’un lien juridictionnel n’est créé, en ce qui concerne le droit d’accès à un tribunal, que dans la mesure où le droit interne de l’État en cause reconnaît la possibilité d’engager une action n’ayant aucun lien avec cet État.
6. En l’espèce, le droit interne suisse ne contient lui-même aucune règle de compétence pour les tribunaux arbitraux à l’égard de litiges internationaux, mais il renvoie à ces tribunaux afin qu’ils statuent sur leur propre compétence (article 186 de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé). Sur base d’une analyse des dispositions des règlements pertinents du TAS, de la FIFA et de la FFT, le TAS a décidé qu’il était incompétent pour connaître du litige porté par le requérant devant lui. Le recours contre cette décision a été rejeté par le Tribunal fédéral. Selon la majorité, ces décisions n’étaient ni arbitraires ni manifestement déraisonnables (paragraphe 96 de l’arrêt).
Le requérant a donc saisi une instance arbitrale qui était incompétente pour connaître de litiges comme celui qui l’opposait à son ancien club et à la FFT. En d’autres termes, il a essayé de pénétrer l’ordre juridique suisse par le biais d’une action qui non seulement ne présentait aucun lien objectif avec la Suisse, mais qui en outre ne présentait pas les caractéristiques d’un litige international susceptible d’être soumis à l’arbitrage du TAS. Le résultat de la procédure menée devant le TAS, puis devant le Tribunal fédéral, est que la porte du tribunal arbitral est restée fermée pour le requérant, faute d’un lien de rattachement suffisant avec la Suisse.
7. La conclusion devrait donc être, à mon avis, que l’introduction du recours devant le TAS n’a pas créé de lien juridictionnel entre le requérant et la Suisse en ce qui concerne le droit d’accès à un tribunal suisse. En d’autres termes, le requérant n’a jamais relevé de la juridiction de la Suisse à cet égard.
C’est pour cette raison que j’estime que le grief concernant le droit d’accès à un tribunal doit être déclaré irrecevable. Avec tout le respect que je dois à mes collègues, je ne peux donc pas me rallier au point 1 du dispositif.
Estimant que ce grief est irrecevable, je suis bien sûr d’avis qu’il ne peut y avoir eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. J’ai donc rejoint la majorité sur le point 3 du dispositif.
Juridiction de la Suisse en ce qui concerne les procédures menées devant le TAS et le Tribunal fédéral
8. Du point de vue de la juridiction d’un État partie à la Convention, les droits découlant de celle-ci peuvent être « fractionnés et adaptés » (voir, en ce qui concerne la juridiction extraterritoriale, Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni [GC], no 55721/07, § 137, CEDH 2011, Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 74, CEDH 2012, Jaloud c. Pays-Bas [GC], no 47708/08, § 154, CEDH 2014, et Géorgie c. Russie (II) [GC], no 38263/08, § 114, 21 janvier 2021). Le fait que le requérant n’ait pas relevé de la juridiction de la Suisse concernant le droit de saisir un tribunal suisse qu’il revendiquait n’exclut donc pas qu’il ait relevé de sa juridiction à d’autres égards.
C’est à mon avis précisément le cas en ce qui concerne le déroulement des procédures introduites devant le TAS, tribunal arbitral régi par le droit suisse, et le Tribunal fédéral, tribunal judiciaire suisse. Dès le moment où le requérant a saisi le TAS, un lien juridictionnel avec la Suisse a été créé, emportant pour la Suisse l’obligation, en vertu de l’article 1 de la Convention, « de garantir dans le cadre de cette procédure le respect des droits protégés par l’article 6 [de la Convention] » (Markovic et autres, précité, § 54 ; voir également, en ce qui concerne la responsabilité de la Suisse pour les actes et omissions du TAS, Mutu et Pechstein c. Suisse, nos 40575/10 et 67474/10, §§ 66-67, 2 octobre 2018). Les « droits protégés par l’article 6 » sont ici les droits relatifs à l’organisation des tribunaux (tribunal indépendant et impartial, établi par la loi) et aux garanties procédurales (procès équitable, publicité et délai raisonnable), à l’exclusion du droit d’accès à un tribunal. Le lien juridictionnel a existé tout au long de la procédure, et s’est donc étendu jusqu’à la procédure de recours devant le Tribunal fédéral (voir, mutatis mutandis, Klausecker c. Allemagne (déc.), no 415/07, § 45, 6 janvier 2015).
Quant aux griefs relatifs à l’absence d’audience publique devant le TAS et devant le Tribunal fédéral et au non-respect du principe de l’égalité des armes dans la procédure devant le Tribunal fédéral, je me rallie donc à la conclusion implicite de la majorité selon laquelle le requérant relevait à ces égards de la juridiction de la Suisse.
9. En ce qui concerne le bien-fondé de ces derniers griefs, je suis en accord avec mes collègues pour considérer que ceux-ci doivent être rejetés pour défaut manifeste de fondement. J’ai donc voté avec eux pour le point 2 du dispositif.
* * *
[1] Selon le Tribunal arbitral du sport, la date exacte serait le 11 janvier 2018.