DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE NEJDET ATALAY c. TURQUIE
(Requête no 76224/12)
ARRÊT
Art 10 • Liberté d’expression • Condamnation pénale du requérant en lien avec sa participation aux obsèques de membres d’une organisation terroriste • Manque de motifs pertinents et suffisants
STRASBOURG
19 novembre 2019
DÉFINITIF
15/04/2020
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Nejdet Atalay c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :
Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Valeriu Griţco,
Egidijus Kūris,
Ivana Jelić,
Darian Pavli,
Saadet Yüksel, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 octobre 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 76224/12) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Nejdet Atalay (« le requérant »), a saisi la Cour le 17 septembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me M. Yıldız, avocat à Batman. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le requérant alléguait en particulier une atteinte à son droit à la liberté d’expression.
4. Le 14 janvier 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1978. Il réside à Batman. À l’époque des faits, il était membre du conseil d’administration de la section locale d’un parti politique à Diyarbakır.
6. Par un acte d’accusation du 23 mai 2006, le procureur de la République de Diyarbakır (« le procureur de la République ») engagea une action publique devant la cour d’assises de Diyarbakır (« la cour d’assises ») contre le requérant en raison des actes que ce dernier aurait commis lors d’une manifestation organisée le 28 mars 2006 à Diyarbakır à l’occasion des obsèques de quatre membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, une organisation illégale armée) tués lors de conflits armés avec les forces de l’ordre. Le procureur de la République considérait que cette manifestation avait été organisée sur les instructions du PKK.
7. Le 11 mars 2008, la cour d’assises reconnut le requérant coupable de l’infraction de propagande en faveur de l’organisation terroriste PKK et le condamna à une peine d’emprisonnement de dix mois en application de l’article 7 § 2 de la loi no 3713. Elle nota d’abord que, selon les photos, les rapports de décryptage des CD et les procès-verbaux contenus dans le dossier, lors de la manifestation organisée le 28 mars 2006, le requérant se trouvait près des cercueils des membres décédés du PKK ; que la foule scandait des slogans tels que « Vive le président Apo », « Dent pour dent, sang pour sang, on est avec toi Öcalan », « Dis-nous frappe, frappons, dis-nous meurt, mourrons », « Dent pour dent, sang pour sang, vengeance vengeance », « La jeunesse à Botan, à la patrie libre », « Les martyrs sont immortels », « La jeunesse est la garde d’Apo » ; que les visages de certains manifestants étaient couverts, que des drapeaux symbolisant l’organisation illégale PKK avaient été brandis, que des photos du leader de cette organisation illégale avaient été portées et que le requérant avait participé à cette manifestation de sa propre volonté et avait accroché les photos des membres décédés du PKK au collet de sa veste. Elle considéra que, eu égard au fait que le requérant avait sciemment participé à une cérémonie organisée en l’honneur de membres décédés du PKK sans aucune raison valable, alors qu’il n’avait aucun lien de proximité, de voisinage ou autre avec eux, et au fait qu’il n’avait pas quitté ladite manifestation après avoir vu qu’elle s’était transformée en une manifestation de propagande en faveur de l’organisation illégale PKK avec des slogans, des pancartes et des drapeaux, le requérant avait adhéré à la volonté de la foule et aux actes illégaux commis lors de cette manifestation.
8. Le 2 février 2012, la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi en cassation formé par le requérant, confirma l’arrêt de la cour d’assises en indiquant que celui-ci était pertinent eu égard au contenu du dossier.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
9. L’article 7 § 2 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, entrée en vigueur le 12 avril 1991, tel que modifié par la loi no 4963 du 30 juillet 2003, énonçait que :
« Quiconque (...) fait de la propagande de manière à inciter à utiliser de la violence ou des méthodes relevant du terrorisme sera condamné à une peine allant de un à cinq ans d’emprisonnement ainsi qu’à une amende lourde allant de cinq cents millions à un milliard de livres turques (...) »
10. Après avoir été modifié par la loi no 5532, entrée en vigueur le 18 juillet 2006, l’article 7 § 2 de la loi no 3713 se lisait ainsi :
« Quiconque fait de la propagande en faveur d’une organisation terroriste sera condamné à une peine de un an à cinq ans d’emprisonnement. (...) »
11. Depuis la modification opérée par la loi no 6459, entrée en vigueur le 30 avril 2013, cette disposition est ainsi libellée:
« Quiconque fait de la propagande en faveur d’une organisation terroriste en légitimant les méthodes de contrainte, de violence ou de menace de ce type d’organisations, en faisant leur apologie ou en incitant à leur utilisation sera condamné à une peine de un an à cinq ans d’emprisonnement. (...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
12. Le requérant voit dans sa condamnation pénale une atteinte à son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention, lequel est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Sur la recevabilité
13. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
14. Le requérant soutient qu’il était tout à fait normal pour lui, qui était un homme politique à l’époque des faits, d’assister aux obsèques des habitants de sa ville et que, en portant lors de cette cérémonie la photo d’un membre du PKK décédé, il avait exercé son droit à la liberté d’expression et n’avait aucunement incité à la violence. Il considère en outre que l’ingérence dans son droit à la liberté d’expression n’était pas prévue par la loi et soutient à cet égard que le texte de l’article 7 § 2 de la loi no 3713 ne répondait pas aux exigences de prévisibilité et d’accessibilité. Il ajoute que cette ingérence ne poursuivait aucun but légitime et qu’elle n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
15. Le Gouvernement argue que l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression du requérant était prévue par la loi et qu’elle poursuivait le but légitime de la protection de la sécurité nationale, de l’intégrité territoriale et de la sûreté publique. Il indique en outre être conscient de la jurisprudence de la Cour relative à la nécessité de l’ingérence en question dans une société démocratique.
2. Appréciation de la Cour
16. La Cour note qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que la condamnation pénale du requérant constituait une ingérence dans le droit de l’intéressé à la liberté d’expression.
17. Elle observe ensuite que l’ingérence litigieuse était prévue par la loi, plus précisément par l’article 7 § 2 de la loi no 3713. Tout en ayant des doutes quant à la prévisibilité de cette disposition telle qu’elle était en vigueur à l’époque des faits (Faruk Temel c. Turquie, no 16853/05, § 49, 1er février 2011 et Yavuz et Yaylalı c. Turquie, no 12606/11, § 38, 17 décembre 2013), eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue quant à la nécessité de l’ingérence (paragraphe 22 ci-dessous) et au fait que le libellé de cette disposition a subi une modification par la suite (paragraphe 11 ci-dessus), elle juge inutile de trancher cette question. Elle peut en outre admettre que cette ingérence poursuivait un but légitime au regard de l’article 10 § 2 de la Convention, à savoir la protection de la sécurité nationale, de l’intégrité territoriale et de la sûreté publique.
18. Quant à la nécessité de l’ingérence, la Cour rappelle les principes découlant de sa jurisprudence en matière de liberté d’expression, lesquels sont résumés notamment dans les arrêts Bédat c. Suisse ([GC], no 56925/08, § 48, 29 mars 2016) et Faruk Temel c. Turquie (précité, §§ 53-57). Elle estime que, pour apprécier si la « nécessité » de l’atteinte portée au droit à la liberté d’expression du requérant est établie de manière convaincante en l’espèce, elle doit, conformément à sa jurisprudence, se déterminer essentiellement à la lumière de la motivation retenue par les juridictions turques à l’appui de leur condamnation de l’intéressé (Gözel et Özer c. Turquie, nos 43453/04 et 31098/05, § 51, 6 juillet 2010).
19. Elle note à cet égard que le requérant a été condamné au pénal du chef de propagande en faveur d’une organisation terroriste au motif qu’il avait participé aux obsèques de quatre membres du PKK tués lors d’affrontements armés avec les forces de l’ordre alors qu’il n’avait aucun lien de proximité avec ces personnes, qu’il avait accroché les photos de ces personnes au collet de sa veste et qu’il n’avait pas quitté ladite cérémonie lorsqu’elle s’était transformée, selon la cour d’assises, en une manifestation de propagande en faveur de l’organisation illégale PKK en raison des contenus des slogans scandés et des photos, pancartes et drapeaux brandis et des comportements de certains manifestants, dont certains avaient le visage couvert. Selon la cour d’assises, en agissant de la sorte, le requérant avait adhéré à la volonté de la foule et aux actes illégaux commis lors de cette manifestation (paragraphe 7 ci-dessus). La Cour de cassation, quant à elle, a confirmé l’arrêt de la cour d’assises en considérant qu’il était pertinent eu égard au contenu du dossier (paragraphe 8 ci-dessus).
20. Procédant à une analyse de l’arrêt de condamnation de la cour d’assises, la Cour observe d’emblée que, dans cet arrêt, il n’était pas reproché au requérant d’avoir chanté des slogans, brandi des photos, des pancartes et des drapeaux, d’avoir participé avec certains manifestants à la commission d’autres actes lors de la manifestation litigieuse, d’avoir encouragé ou dirigé ces actes ou d’avoir été de quelque manière que ce soit à l’origine de ces actes (Bülent Kaya c. Turquie, no 52056/08, § 42, 22 octobre 2013, et Belge c. Turquie, no 50171/09, § 35, 6 décembre 2016). Elle estime ensuite que la seule participation du requérant aux obsèques de membres décédés du PKK et le fait qu’il avait accroché les photos de ces personnes sur sa veste lors de cette cérémonie funéraire ne peuvent être considérés en soi, et c’est là l’élément essentiel à ses yeux, comme contenant un appel à l’usage de la violence, à la résistance armée ou au soulèvement, ni comme constituant un discours de haine (Sürek c. Turquie (no 4) [GC], no 24762/94, § 58, 8 juillet 1999, et Belek et Velioğlu c. Turquie, no 44227/04, § 25, 6 octobre 2015). Par ailleurs, la Cour relève que l’arrêt de la cour d’assises n’a pas apporté d’explications suffisantes sur un quelconque lien qui existerait entre les slogans, pancartes, drapeaux et photographies incriminés ainsi que d’autres actes commis par la foule lors de cette manifestation d’une part et le comportement y adopté par le requérant d’autre part de manière à démontrer l’adhésion de ce dernier à l’égard de ces actes, ni sur la question de savoir si les actes reprochés au requérant pouvaient, eu égard au contexte dans lequel ils s’inscrivaient et à leur capacité de nuire, être considérés comme renfermant une incitation à l’usage de la violence, à la résistance armée ou au soulèvement, ou comme constituant un discours de haine (Mart et autres c. Turquie, no 57031/10, § 32, 19 mars 2019).
21. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que, dans les circonstances de l’espèce, en condamnant le requérant du chef de propagande en faveur d’une organisation terroriste, les autorités nationales n’ont pas effectué une mise en balance adéquate et conforme aux critères établis par sa jurisprudence entre le droit de l’intéressé à la liberté d’expression et les buts légitimes poursuivis (Ergündoğan c. Turquie, no 48979/10, § 34, 17 avril 2018 et Fatih Taş c. Turquie (no 5), no 6810/09, § 40, 4 septembre 2018).
22. Elle estime dès lors que la mesure incriminée ne répondait pas à un besoin social impérieux, qu’en tout état de cause elle n’était pas proportionnée aux buts légitimes visés et que, de ce fait, elle n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
23. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
24. Le requérant allègue que la durée de la procédure pénale ne répondait pas à l’exigence du « délai raisonnable » prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
25. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il indique à cet égard que le requérant aurait dû saisir la commission d’indemnisation instaurée par la loi no 6384.
26. Le requérant conteste l’exception du Gouvernement. Il soutient que la commission d’indemnisation établie par la loi no 6384 n’accorde pas une indemnisation suffisante pour non-respect de l’exigence du délai raisonnable.
27. La Cour se réfère à cet égard à la décision Turgut et autres c. Turquie ((déc.), no 4860/09, §§ 58 et 60, 26 mars 2013) et ne décèle aucune raison de s’écarter de l’approche suivie dans cette affaire.
28. Par conséquent, elle accueille l’argument du Gouvernement et déclare ce grief irrecevable, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour non-épuisement des voies de recours internes.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
29. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
30. Le requérant réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.
31. Le Gouvernement considère que la demande présentée au titre du préjudice moral est excessive et qu’elle ne correspond pas aux montants accordés par la Cour dans sa jurisprudence.
32. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
33. Le requérant demande également 4 093 EUR pour les frais et dépens qu’il dit avoir engagés devant la Cour. Il présente à l’appui de cette demande une convention d’honoraires signée par son avocat et lui, une liste répertoriant les tâches accomplies par son avocat en vue de la préparation de la requête et les heures prestées par celui-ci pour chacune d’entre elles, pour une somme totale de 4 093 EUR, le barème tarifaire du barreau de Batman ainsi qu’une facture relative à des frais de poste.
34. Le Gouvernement soutient que les montants demandés au titre des frais et dépens sont trop élevés par rapport aux procédures similaires et qu’ils ne sont pas suffisamment détaillés. Il argue en outre que le requérant n’a présenté de justificatif de paiement que pour des frais postaux.
35. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
36. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 10 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement) :
i. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 novembre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Yüksel.
R.S.
S.H.N.
OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE YÜKSEL
(Traduction)
Je partage avec les autres membres de la chambre le constat de violation de l’article 10 en l’espèce. Comme l’arrêt le souligne en son paragraphe 20, le requérant en l’espèce a été condamné non pas pour avoir chanté des slogans, brandi des photographies, des affiches ou des drapeaux, ni pour avoir directement participé avec certains manifestants à la perpétration d’autres actes au cours de la cérémonie litigieuse, mais pour avoir pris part aux obsèques et pour avoir fixé sur lui des photographies du défunt au cours de la cérémonie. Dès lors, le présent arrêt n’analyse pas en substance les slogans chantés, ni les photographies, affiches et drapeaux brandis, ni même les faits reprochés au requérant et à certains des manifestants. Au lieu de cela, à bon droit selon moi, il s’attache à l’insuffisance du raisonnement de la cour d’assises sur la question de savoir si les slogans, affiches, drapeaux et photographies, ainsi que les faits reprochés au requérant en particulier, pouvaient être considérés comme présentant un lien entre eux et comme une incitation à la violence. À cet égard, je me contenterais d’ajouter que, si la Cour s’était livrée à une analyse de la substance des faits en question, je doute que la conclusion eût été la même.
Puisque l’arrêt constate une violation en se fondant sur l’insuffisance du raisonnement des juridictions nationales, j’estime que cette conclusion aurait dû être davantage axée sur l’examen du critère de nécessité tiré du principe de proportionnalité, qui a pour éléments constitutifs la rationalité, la nécessité et la mise en balance. Autrement dit, à mes yeux, une insuffisance dans les motifs avancés par les juridictions nationales doit être interprétée comme signifiant que le Gouvernement n’a pas suffisamment démontré que la condamnation était nécessaire, et qu’elle constituait donc le moyen le moins restrictif de limiter la liberté d’expression du requérant. J’estime en conséquence que, dans les circonstances de la présente espèce, en raison de l’insuffisance du raisonnement du juge interne, les autorités nationales n’ont pas satisfait au critère de nécessité tiré du principe de proportionnalité. La mesure n’était dès lors pas nécessaire dans une société démocratique.