DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ORUK c. TURQUIE
(Requête no 33647/04)
ARRÊT
STRASBOURG
4 février 2014
DÉFINITIF
02/06/2014
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Oruk c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Egidijus Kūris, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 janvier 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33647/04) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Fatma Oruk (« la requérante »), a saisi la Cour le 17 août 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Devant la Cour, la requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représentée par Mes A. Yılmaz et M.A. Kahraman, avocats à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Invoquant l’article 2 de la Convention, la requérante soutenait en particulier que l’Etat était responsable du décès de son fils. Elle se plaignait en outre d’une violation des articles 3, 6, 8 et 13 de la Convention.
4. Le 16 avril 2007, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante est née en 1961 et réside à Bâle (Suisse).
6. Le 29 octobre 1993, l’explosion d’un obus de mortier dans le village de Denizli (département de Pazarcık, région de Kahramanmaraş), situé à proximité de la zone d’exercice de tir militaire de Bölükçam, provoqua la mort de six enfants âgés de 5 à 14 ans. Deniz, le fils de la requérante, né en 1983, figurait au nombre des victimes de l’explosion.
7. Un croquis sommaire du lieu où l’explosion était survenue fut réalisé par un sous-officier de la gendarmerie d’Emiroğlu.
8. Le 8 novembre 1993, le grand-père maternel de Deniz déposa en tant que témoin. Il déclara que l’armée procédait à des tirs d’entraînement à proximité du village. Il ajouta que, par le passé, lorsqu’il restait des munitions non explosées après ce type d’exercice, ils en informaient le village, prévenaient qu’il ne fallait pas pénétrer dans la zone de tirs et menaient des recherches afin de retrouver ces munitions et les faire exploser. Il affirma que, cette année, les militaires, après avoir effectué leur exercice de tir, n’avaient pas mené des recherches suffisantes ni informé les villageois quant à la présence ou à l’absence de munitions non explosées. Il soutint que l’incident trouvait son origine dans ces manquements et qu’il y avait donc eu négligence de la part de l’armée. Pour étayer ses dires, il affirma que, le lendemain du drame, des militaires s’étaient rendus dans la zone de tir et qu’ils y avaient retrouvé deux munitions non explosées, l’une de 90 kg et l’autre de 93 kg, qu’ils auraient alors fait exploser. Selon ce témoin, cela montrait bien que les militaires n’avaient pas inspecté correctement cette zone à l’issue de l’exercice de tir. Enfin, toujours aux dires du témoin, les militaires n’avaient installé qu’après l’incident un panneau interdisant l’accès à la zone, laquelle n’aurait été entourée d’aucun grillage.
9. Au cours de la même journée, le témoin H.U., une villageoise vivant à proximité du lieu de l’explosion, déclara être passée peu de temps avant l’explosion devant des enfants en train de jouer avec un objet métallique. Elle dit leur avoir demandé ce qu’ils faisaient et s’être entendu répondre qu’ils jouaient. Elle ajouta que, avant d’être arrivée chez elle, elle avait entendu une explosion, qu’elle était revenue sur ses pas et qu’elle avait découvert ces mêmes enfants morts.
10. Toujours le même jour, dans leur témoignage, les parents des cinq autres enfants appartenant à la même famille et tués par l’explosion, déclarèrent ne pas avoir été présents à leur domicile au moment du drame. Ils ajoutèrent que, d’après les informations dont ils disposaient, leur fils Mesut et le fils de la requérante s’étaient rendus dans la montagne, y avaient trouvé un obus de mortier qu’ils auraient rapporté avec eux et qui aurait explosé pendant qu’ils jouaient avec. Ils affirmèrent que, en laissant des munitions non explosées dans la montagne, comme cela semblait, selon eux, être le cas, les militaires avaient omis de prendre des mesures préventives suffisantes. La mère des cinq enfants soutint en outre que, si l’armée avait pris des mesures préventives et mis en place des barbelés ou une signalétique, ils n’auraient pas laissé leurs enfants aller dans cette zone.
11. Le 17 décembre 1993, le procureur de la République de Pazarcık rendit une décision d’incompétence. Il y indiquait que les enfants avaient trouvé un engin explosif dans une zone d’entraînement militaire, qu’ils l’avaient rapporté au village, que, le prenant pour un simple objet métallique, ils avaient joué avec, et que celui-ci avait explosé entre leurs mains. Estimant que l’incident était survenu à la suite d’une négligence des militaires, il conclut que les faits n’entraient pas dans son champ de compétence et décida en conséquence de transmettre le dossier de l’affaire au parquet militaire d’Adana.
12. A une date non mentionnée, G.T., chef de bataillon, établit un document d’information en réponse à une demande du 10 février 1994 émanant du 6e commandement de corps d’armée. Il ressort de ce document que la zone de tir de Bölükçam était une zone de tir d’armes lourdes ; que, vingt-quatre années auparavant, elle avait été louée par le ministère de la Défense à la direction de l’exploitation forestière pour une période de quarante-neuf ans ; que, jusqu’au 1er juin 1992, elle avait été placée sous la responsabilité du 39e commandement de la brigade d’infanterie mécanisée ; que, à compter du 30 novembre 1992, le 6e commandement de corps d’armée en avait confié l’entretien et le contrôle au commandement de la 172e brigade de blindés ; qu’elle avait été utilisée et était toujours utilisée à ce jour par les unités du 6e commandement de corps d’armée et les unités de gendarmerie de Kahramanmaraş et d’Antakya. G.T. fournit également la liste des opérations de tir menées dans cette zone entre le mois d’août 1992 et le 29 octobre 1993, mentionnant le nom des unités concernées et précisant, pour celles de Kahramanmaraş, le nombre de tirs effectués et le type de munitions utilisées. Il répertoria en outre les unités non basées à Kahramanmaraş qui auraient effectué des tirs, renvoyant à celles-ci pour l’obtention des informations recherchées. Il indiqua joindre en annexe les procès-verbaux de destruction d’engins explosifs et le rapport d’enquête administrative concernant la 172e brigade de blindés ainsi que les annonces faites par cette brigade avant et après ses tirs d’entraînement, renvoyant aux autres unités pour l’obtention des informations les concernant. Il mentionna en outre que le poids des munitions utilisées variait entre 21 et 43 kg, qu’il était donc difficile d’envisager que des enfants, âgés à ses dires de 4 à 11 ans, eussent pu pénétrer dans la zone militaire et transporter ces munitions jusqu’au village. Aussi estimait-il qu’elles avaient été transportées au village par le père des enfants ou des proches et qu’elles avaient explosé du fait d’avoir été manipulées par les enfants. Enfin, il indiqua qu’il joignait copie de la notification qui aurait été faite aux villageois le 14 octobre pour leur signaler la présence de munitions non explosées et les prévenir de ne pas pénétrer dans la zone en question.
13. Le 26 octobre 1994, le parquet militaire recueillit la déposition de M.G., colonel, qui confirma que des tirs d’entraînement avaient eu lieu entre le 11 et le 15 décembre 1992 dans la zone de tir de Bölükçam, à Kahramanmaraş, notamment des tirs d’obus de mortier et de canon sans recul. Il précisa que des exercices de tir de ce type avaient lieu tous les ans, entre avril et mai, au moment des inspections, puis à nouveau en fin d’année. Il précisa que, durant cette période, toutes les unités du 6e commandement de corps d’armée avaient effectué des tirs dans cette zone. Il affirma que le commandement de la brigade de blindés situé à Kahramanmaraş et rattaché au 6e commandement de corps d’armée était chargé de la sécurité et de l’information des villages situés à proximité de la zone de tir en question. Il dit se souvenir que le lieutenant M. l’avait informé à l’issue des tirs qu’il ne restait pas de munitions non explosées sur le site. Il précisa également que, après chaque exercice de tir, des procès-verbaux destinés à être conservés dans l’unité étaient établis sur place, mentionnant le nombre de munitions tirées et, le cas échéant, le nombre de celles qui n’avaient pas explosé et le nombre de celles qui avaient ensuite été détruites.
14. Le 28 octobre 1994, le procureur militaire entendit le lieutenant M.A., qui déclara que son unité avait procédé à des tirs d’obus de mortier dans la zone de tir de Bölükçam entre le 11 et le 15 décembre 1992, en présence de M.G. Il déclara ne pas savoir s’il y avait eu ou non des munitions qui n’avaient pas explosé au cours de l’exercice, ajoutant cependant que, à sa connaissance, il n’y en avait pas puisqu’ils n’avaient pas renouvelé leurs tirs. Il dit qu’il était possible que le 4e régiment d’infanterie mécanisée basé à Akçay eût effectué des tirs après eux, mais qu’il ne pouvait l’affirmer.
15. Le parquet militaire d’Adana ordonna une expertise pour déterminer la nature des fragments métalliques retrouvés sur les lieux de l’explosion.
16. Le 21 décembre 1995, l’expert estima notamment, au vu des éclats de shrapnel qui lui avaient été présentés et des photographies des corps des victimes, qu’il s’agissait de fragments provenant d’un obus du type de ceux utilisés par les unités d’artillerie des forces armées. Il releva également la présence de deux moteurs de 89 mm provenant d’une roquette, qui n’étaient pas en soi des engins explosifs.
17. Le 22 décembre 1995, le procureur militaire attaché au 6e commandement de corps d’armée d’Adana adopta une décision de non‑lieu à poursuivre. Il estima tout d’abord établi, au vu des procès‑verbaux des faits, du croquis des lieux de l’explosion, des témoignages, des procès-verbaux d’autopsie et de l’enquête préliminaire menée par le parquet de Pazarcık :
– que l’explosion avait eu lieu à 5 ou 6 km de la zone de tir militaire, dont tous les villageois connaissaient l’existence,
– que les enfants avaient rapporté la ou les munitions au village en l’absence des adultes,
– qu’ils en avaient manipulé la partie arrière, déclenchant ainsi l’explosion.
Il précisa ensuite que des recherches avaient été faites quant aux écritures relatives à tous les exercices de tir effectués dans la zone de Bölükçam, si des munitions étaient restées non explosées lors de ces tirs et, dans l’affirmative, si celles-ci avaient ou non été détruites et quel en était le type, s’il y avait eu négligence et, dans l’affirmative, quelle était l’identité des responsables.
S’appuyant en outre sur les déclarations d’un expert ayant examiné les éclats de munitions retrouvés sur les lieux de l’explosion, le procureur militaire releva qu’il avait été établi que l’objet ayant explosé était un obus, que, parmi les morceaux retrouvés, il y avait également des moteurs de roquettes de 89 mm provenant de lance-roquettes et que ces derniers n’avaient joué aucun rôle dans l’incident. Il mentionna en outre que, d’après les documents relatifs aux tirs effectués par les commandements du 106e régiment d’artillerie, de la 39e brigade d’infanterie mécanisée et de la 172e brigade de blindés qui avaient été examinés, au cours des dernières années toutes les munitions non explosées à l’impact auraient été détruites, que tous les muhtar des villages auraient été informés avant les tirs et aussi après les tirs lorsqu’il restait des munitions non explosées sur la zone.
18. Par ailleurs, le procureur mentionnait ce qui suit dans sa décision :
« (...) selon le rapport établi à la suite de l’enquête administrative menée après l’explosion, la zone d’entraînement au tir de Bölükçam s’étend, à vol d’oiseau, sur 8 km de long et 5 km de large (...) une unité de polygone (« poligon birliği ») n’avait pu être définie (...). Par le passé, cette zone avait également servi pour des tirs à l’arme lourde. Il a été reconnu qu’il y avait dans cette zone un grand nombre de différentes munitions non explosées, qu’il était très difficile de retrouver les munitions non explosées dont on ignorait la localisation, que les munitions « parties à l’aveugle » (kör gitmiş) qui étaient restées sur le terrain ne pouvaient être découvertes que par un grand hasard ou par accident, que la zone pouvait être utilisée seulement pour des tirs de mortier à cause de la présence de villages aux alentours, que cette zone n’était pas propice aux tirs de chars et d’artillerie (...) qu’en raison de la configuration du terrain la supervision se faisait depuis le mont Karakoltepe, à Bölükçam, et que, dans la mesure où le sud et l’ouest de ce mont n’étaient pas visibles, il n’était pas possible de déterminer l’endroit exact où les munitions tombaient (...) Du fait que l’examen effectué après l’explosion a établi qu’on avait retrouvé deux capsules de lance-roquettes de 89 mm et un obus de tank de 90 mm, compte tenu de l’heure à laquelle l’explosion est survenue, et eu égard au très jeune âge des enfants et au poids de ces munitions – environ 30 kg –, la conviction est acquise (...) que ce ne sont pas les enfants qui avaient récupéré ces munitions pour les rapporter au village, mais que c’est le chef de famille qui les avait ramassées sur la zone de tir pour en vendre le cuivre et les autres éléments, et que les enfants qui ont perdu la vie avaient causé l’explosion en manipulant l’obus à un moment où le chef de famille était absent. Dès lors qu’il n’est pas possible de déterminer à quelle date et par quelle unité les munitions qui n’avaient pas explosé avaient été laissées (...) et que les villageois avaient par ailleurs été informés, et eu égard à la configuration du terrain, le personnel fautif ou négligent n’a pu être identifié (...) »
19. Le 11 juin 2003, la requérante forma opposition contre cette décision. Dans son mémoire, son avocat précisait que sa cliente n’avait pas reçu notification de la décision du procureur militaire et qu’elle n’avait eu connaissance de celle-ci que le 27 mai 2003. L’avocat soutenait par ailleurs que la décision de non-lieu était contraire au droit, à la procédure et à la loi, et qu’elle comportait de nombreuses contradictions. Il critiquait à cet égard les conclusions du procureur, contestant que tous les rapports relatifs aux tirs effectués par les différents commandements eussent bien été examinés, que toutes les munitions non explosées eussent été détruites au cours des dernières années et que le muhtar du village eût été averti lorsqu’il restait des munitions non explosées. L’avocat de la requérante affirmait à cet égard que C.U., commandant de la 3e unité d’infanterie mécanisée d’Osmaniye, avait déclaré dans une déposition du 12 octobre 1995 qu’il était en charge de la sécurité lors des tirs effectués entre le 11 et le 15 décembre 1992, et que les procès-verbaux afférents à ces tirs avaient été perdus.
L’avocat de la requérante soutenait en outre qu’il ressortait de tous les témoignages que les villageois n’avaient pas été avertis et que, le lendemain de l’incident, deux autres obus avaient été retrouvés et détruits, ce qui étayait selon lui la thèse selon laquelle non seulement les unités militaires n’avaient pas informé les villageois de l’existence de munitions non explosées, mais encore les recherches nécessaires n’avaient pas été menées, ce qui aurait causé la mort des enfants. Il mentionnait de surcroît que l’armée continuait de procéder à des tirs dans la zone d’entraînement contiguë au village et que celle-ci n’avait toujours pas été délimitée par un grillage.
Enfin, il exposait que six enfants étaient morts à cause de l’explosion d’un obus laissé dans la zone d’entraînement, que les investigations relatives aux responsabilités des unités militaires ayant effectué des tirs dans la zone en question avaient été insuffisantes, que le non-lieu avait été prononcé sans enquête effective et suffisante alors que, selon lui, les fautes imputables au commandement de la 172e brigade de blindés de Kahramanmaraş y ayant effectué des tirs et ayant été en charge de la sécurité avaient été clairement établies. Il critiquait l’absence de poursuites contre C.U., responsable de la sécurité des tirs, qui aurait affirmé que les procès-verbaux relatifs aux tirs avaient été égarés. Par conséquent, il demandait l’ouverture de poursuites pénales pour homicide par négligence et imprudence.
20. Le 12 janvier 2004, le tribunal militaire de Gaziantep près le commandement de la 5e brigade de blindés, après avoir constaté que la requérante avait introduit son recours dans les délais requis, rejeta l’opposition ainsi formée. A l’appui de sa décision, il mentionnait l’impossibilité d’établir à quelle date et par quelle unité les munitions ayant causé la mort des six enfants avaient été laissées sur place, de sorte que, selon lui, le personnel ayant commis une faute ou ayant fait preuve de négligence ne pouvait être identifié. Il concluait que les autres motifs à l’appui de la décision de non-lieu ne présentaient aucune contrariété à la loi ni aucune carence dans l’interprétation.
21. Cette décision fut notifiée à l’avocat de la requérante le 18 février 2004.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
22. Le droit interne pertinent auquel se réfère le Gouvernement concernant les voies de recours civile et administrative est décrit notamment dans les affaires İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, §§ 41, 42 et 44, CEDH 2000‑VII et Öneryıldız c. Turquie ([GC], no 48939/99, §§ 49-50, CEDH 2004-XII.
EN DROIT
I. SUR LA RECEVABILITÉ
A. Observations liminaires
23. La Cour note que, dans ses observations du 23 novembre 2007 sur le fond de l’affaire et sur la satisfaction équitable, l’avocat de la requérante a allégué que les investigations menées en l’espèce n’avaient pas été suffisantes ni conduites de manière efficace et équitable et que cela avait porté atteinte à l’article 6 combiné avec l’article 13 de la Convention.
24. La Cour constate que, bien qu’invoqué pour la première fois après communication de la requête, ce grief a néanmoins été soumis avant tout examen de la recevabilité de la requête. Cependant, elle rappelle que la décision interne définitive à prendre en compte dans la présente affaire a été notifiée à l’avocat de la requérante le 18 février 2004. Or elle n’a été saisie de ce grief que le 23 novembre 2007, soit après un délai de plus de six mois. Il s’ensuit que celui-ci est tardif et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
B. Sur l’exception préliminaire du Gouvernement
1. Arguments des parties
25. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme que la requérante n’a pas exercé les voies de recours administratives ou civiles qui étaient, selon lui, disponibles en droit interne et effectives. A cet égard, il dit se référer à l’article 13 de la loi no 2577 sur la procédure administrative et à l’article 125 de la Constitution. Il soutient que, en vertu de ces dispositions, les autorités peuvent être tenues d’indemniser quiconque a subi une perte à la suite d’actes commis par des personnes non identifiées. Il soutient en outre que, dans les cas où l’administration a outrepassé ses pouvoirs, il est possible d’intenter une action civile en indemnisation. Il renvoie à cet égard aux articles 41, 46 et 53 du code des obligations tel qu’il était applicable à l’époque des faits.
26. Pour étayer l’exception qu’il soulève, le Gouvernement soumet notamment deux arrêts du Conseil d’Etat (E.1995/1508 – K.1996/5887 du 8 octobre 1996 et E.2001/4795 – K.2003/696 du 25 février 2003) ayant confirmé les jugements de tribunaux administratifs qui avaient octroyé une indemnité aux proches de victimes d’une explosion d’armes militaires. Dans le premier cas, tant la victime que l’administration intimée avaient été jugées responsables de l’incident. Ce premier arrêt énonçait également que l’administration avait l’obligation d’assurer, après des exercices militaires, la collecte et la destruction de toutes substances explosives dangereuses pour les personnes et les biens, ainsi que le nettoyage des zones d’exercice. Dans le second arrêt, il ressort que le Conseil d’Etat confirmait le jugement d’un tribunal administratif ayant accordé, sur le fondement de la responsabilité sans faute, une indemnité aux parents d’un enfant qui avait été blessé à la suite de l’explosion d’une mine.
27. Le Gouvernement soumet également un jugement du tribunal administratif d’Erzurum du 5 juin 2001 (E.2000/989 – K.2001/836) qui fit partiellement droit à une demande d’indemnisation consécutive au décès de trois enfants et à des blessures sur leur père, ayant pour origine l’explosion de munitions qui auraient été récupérées sur un terrain d’entraînement militaire entouré d’un grillage. Il ressort de ce jugement que pour le tribunal, le fait notamment d’avoir laissé des munitions non explosées sur un terrain d’entraînement démontrait l’absence de mesures de prévention et de contrôle adéquates et constituait une faute de service.
28. Dans des observations complémentaires produites en réponse à la demande de satisfaction équitable de la requérante, le Gouvernement réitère son exception et soutient que la conclusion de la Cour dans la décision İçyer c. Turquie ((déc.), no 18888/02, CEDH 2006-I) – à savoir que le non‑épuisement des voies de recours internes visant à l’obtention d’une indemnisation conduirait à l’irrecevabilité de la requête – est pertinente en l’espèce.
29. La requérante affirme quant à elle ne pas avoir intenté d’action en indemnisation dans le délai requis d’un an en raison de l’état de dépression psychologique dans lequel l’aurait mise la mort brutale de son fils. Elle précise avoir suivi un traitement psychiatrique en Suisse sur la recommandation de son médecin et fait état d’anxiété, de troubles du sommeil, de peur du noir, de claustrophobie et de crises de panique. De son point de vue, l’absence d’action contre les responsables du décès de son fils et la non-sanction de ceux-ci la soumettent à de grandes souffrances.
30. La requérante soutient de plus que, dans le cadre d’une action civile en réparation de dommages consécutifs à des actes illicites ou à des voies de fait de la part d’agents de l’Etat – en l’espèce les militaires –, l’exercice d’un tel recours exige, outre l’établissement d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice subi par l’intéressé, l’identification de l’auteur présumé de la faute en question. Or les responsables des actes qu’elle a dénoncés demeureraient inconnus. Pour étayer ses dires, elle renvoie à l’arrêt Yaşa c. Turquie (2 septembre 1998, § 73, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI).
31. La requérante soutient en outre que la voie de recours évoquée par le Gouvernement, qui serait fondée sur l’article 125 de la Constitution, n’existe pas à un degré suffisant de certitude, en théorie comme en pratique. Elle dit se référer à cet égard à l’arrêt Yağcı et Sargın c. Turquie (8 juin 1995, § 42, série A no 319‑A). Elle affirme par ailleurs qu’aucun précédent présentant des similitudes avec sa situation personnelle ne figure parmi les éléments produits devant la Cour par le Gouvernement (elle renvoie à cet égard à l’affaire Sakık et autres c. Turquie, 26 novembre 1997, § 53, Recueil 1997‑VII).
32. La requérante soumet par ailleurs, à titre informatif, trois arrêts de la 10e chambre du Conseil d’Etat, démontrant selon elle, que l’octroi d’une indemnité dans des situations comparables à la sienne serait rare et, qu’en général, il serait plutôt statué en sens contraire. Le premier arrêt, daté du 29 mars 1995 (E.1994/7415 – K.1995/1522), confirmait le jugement d’un tribunal administratif ayant rejeté une demande d’indemnisation pour le décès d’un enfant causé par l’explosion d’un objet qu’il avait récupéré sur un terrain de tir militaires, après avoir notamment constaté que, si l’administration intimée était responsable d’y avoir laissé des munitions non explosées et de n’avoir pas entretenu le grillage autour, le terrain était grillagé, signalé par des panneaux d’avertissement et surveillé, de sorte que la victime avait dû fournir un effort particulier pour y pénétrer. Le second, daté du 13 novembre 1995 (E.1995/1804 – K.1995/5501), infirmait le jugement d’un tribunal administratif ayant accordé une indemnisation à un enfant – blessé par l’explosion d’un objet récupéré sur un terrain militaire – la victime ayant été blessée en raison des agissements d’un autre enfant qui était parvenu à pénétrer sur ce terrain, malgré les mesures visant à en empêcher l’accès. Le troisième arrêt, daté du 13 décembre 1995 (E.1994/5237 – K.1995/6446), confirmait le jugement d’un tribunal administratif ayant rejeté une demande d’indemnisation pour le décès d’une personne causé par l’explosion d’une grenade à main, au motif notamment qu’il n’avait pas été établi que celle-ci appartenait aux forces armées turques.
33. La requérante expose enfin que l’action administrative est une voie de droit fondée sur la responsabilité sans faute de l’Etat et que, en particulier, l’identification des coupables ne constitue pas une condition de l’action lorsque seraient en cause des actes illégaux d’agents de l’Etat. Renvoyant à l’arrêt Kaya c. Turquie (19 février 1998, § 105, Recueil 1998‑I), elle soutient que les investigations qu’un Etat contractant doit, selon elle, mener au regard des articles 2 et 13 de la Convention en cas de décès, doivent conduire à l’identification et à la punition des responsables. A ses yeux, cette obligation ne peut être satisfaite par le seul octroi d’une indemnité. Elle ajoute que considérer l’action en responsabilité sans faute de l’Etat comme une voie de droit à épuiser au regard des articles 2 et 13 ferait disparaître l’obligation de l’Etat de rechercher les coupables d’agressions mortelles. Elle estime donc ne pas être tenue d’exercer ces recours d’ordre civil et administratif et invite la Cour à rejeter l’exception du Gouvernement.
2. Appréciation de la Cour
34. En ce qui concerne la possibilité qu’aurait eue la requérante d’intenter au civil une action en réparation d’un dommage découlant d’actes illicites ou de comportements manifestement illégaux de la part d’agents de l’Etat, la Cour relève que le demandeur dans une telle action devait non seulement établir l’existence d’un lien de causalité entre l’acte fautif et le dommage subi, mais qu’il devait également identifier l’auteur présumé de l’acte en cause. Or elle note que, en l’espèce, le tribunal militaire a conclu à l’absence d’éléments propres à permettre l’identification du personnel militaire responsable de la présence de munitions non explosées dans la zone d’entraînement militaire. Dans ces conditions, il n’apparaît pas qu’il y eût la moindre base sur laquelle la requérante aurait pu engager une action au civil avec des chances raisonnables de succès (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 62, CEDH 2000‑VII). Partant, la Cour rejette cette branche de l’exception du Gouvernement.
35. Quant à l’exception de non-épuisement de la voie de recours administrative présentée par le Gouvernement, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, cette exception est étroitement liée à la question de savoir quelles obligations pesaient sur les autorités nationales en vertu de l’article 2 de la Convention dans le contexte d’une activité militaire dangereuse, ainsi qu’à la question relative à l’analyse du caractère adéquat de la réponse judiciaire donnée face aux allégations en cause. Partant, elle décide de joindre cette branche de l’exception au fond.
36. Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
37. La requérante soutient que le décès de son fils et des cinq autres enfants est dû au comportement des forces armées qui ont, selon elle, mis en danger la vie des personnes. Elle invoque l’article 2 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. »
A. Arguments des parties
38. Le Gouvernement ne se prononce pas sur le fond de l’affaire, se bornant à affirmer que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes dont elle aurait disposé.
39. La requérante soutient quant à elle que le Gouvernement ne conteste pas que le décès des enfants est dû à l’explosion d’un matériel de nature militaire ni que l’engin en question a été rapporté au village depuis la zone de tir militaire contiguë à celui-ci. Elle est d’avis qu’il est inutile de débattre des allégations selon lesquelles les enfants victimes n’avaient pas pu transporter un obus pesant 30 kg car cela n’a, à ses yeux, aucune incidence au regard des conséquences de l’explosion. Elle ajoute que ce qui importe est que l’engin meurtrier, qui aurait dû selon elle rester sous le contrôle de l’armée, ait été abandonné sur un terrain ouvert, qu’il se soit retrouvé entre les mains des enfants et que son explosion ait causé leur mort.
40. La requérante déduit en outre de la lecture d’un document qui aurait été établi par le commandement de gendarmerie le 23 novembre 1993 que son fils Deniz a rapporté de la zone de tir militaire un engin explosif de nature inconnue. Elle soutient que, après l’explosion, aucune action n’a été intentée contre les responsables de l’incident fatal et que ceux-ci n’ont dès lors pas été sanctionnés. Elle ajoute qu’aucune indemnisation n’a été versée au civil. A cet égard, pour l’avocat de la requérante, l’absence d’action en indemnisation peut s’expliquer par la tradition ou l’héritage culturel, au regard desquels il serait immoral de réclamer de l’argent pour le décès de son enfant sans que les responsables de ce décès aient été identifiés et punis.
41. D’après la requérante, les témoignages et les rapports versés au dossier d’enquête montrent clairement la responsabilité des autorités militaires ayant dirigé les exercices de tir dans la zone en question. Toujours d’après l’intéressée, bien que le village soit contigu au terrain utilisé par l’armée pour les exercices en cause, aucune clôture, aucun panneau ou aucune signalétique n’en interdit l’accès. Du matériel militaire aurait en outre été abandonné ou oublié sur le terrain et aucune information n’aurait été faite aux villageois quant à la présence de munitions non explosées. Pour toutes ces raisons, le droit à la vie de son fils aurait été méconnu.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
42. La Cour rappelle les principes de sa jurisprudence en matière de droit à la vie.
Tout d’abord, la première phrase de l’article 2 § 1 de la Convention non seulement astreint l’Etat à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais elle garantit également le droit à la vie en des termes généraux et, dans certaines circonstances bien définies, elle fait peser sur les Etats l’obligation de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (voir, notamment, L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, § 36, Recueil 1998‑III).
43. L’obligation positive de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie au sens de l’article 2 implique avant tout pour les Etats le devoir primordial de mettre en place un cadre législatif et administratif visant une prévention efficace et dissuadant de mettre en péril le droit à la vie (Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, § 89, CEDH 2004-XII).
44. Cette obligation doit être interprétée comme valant dans le contexte de toute activité publique ou non, susceptible de mettre en jeu le droit à la vie, et a fortiori dans le domaine spécifique des activités dangereuses (Öneryıldız, précité, §§ 69-74, Kolyadenko et autres c. Russie, nos 17423/05, 20534/05, 20678/05, 23263/05, 24283/05 et 35673/05, 28 février 2012, Paşa et Erkan Erol c. Turquie, no 51358/99, 12 décembre 2006, et Albekov et autres c. Russie, no 68216/01, 9 octobre 2008).
45. Cependant, il faut interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif, sans perdre de vue, en particulier, l’imprévisibilité du comportement humain et les choix opérationnels à faire en termes de priorités et de ressources (A. et autres c. Turquie, no 30015/96, § 45, 27 juillet 2004).
46. A cet égard, l’article 2 n’implique nullement le droit pour un requérant de faire poursuivre ou condamner au pénal des tiers (Öneryıldız, précité, § 96) ou une obligation de résultat supposant que toute poursuite doit se solder par une condamnation, voire par le prononcé d’une peine déterminée. En revanche, les juridictions nationales ne doivent en aucun cas se montrer disposées à laisser impunies des atteintes injustifiées au droit à la vie. Cela est indispensable pour maintenir la confiance du public et assurer son adhésion à l’Etat de droit, ainsi que pour prévenir toute apparence de tolérance d’actes illégaux ou de collusion dans leur perpétration (Nencheva et autres c. Bulgarie, no 48609/06, § 116, 18 juin 2013).
47. Cela étant, même si la Convention ne garantit pas en tant que tel le droit à l’ouverture de poursuites pénales contre des tiers, la Cour a maintes fois affirmé que le système judiciaire efficace exigé par l’article 2 peut comporter, et dans certaines circonstances doit comporter, un mécanisme de répression pénale (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002‑I). En effet, dans les cas de pertes de vies humaines dans des circonstances de nature à engager la responsabilité de l’Etat, cette disposition impose à l’Etat de garantir, par tous les moyens à sa disposition, une réponse appropriée – judiciaire ou autre – permettant la mise en œuvre adéquate du cadre législatif et administratif conçu pour protéger le droit à la vie et assurant la répression et la sanction de toute atteinte à ce droit (Boudaïeva et autres c. Russie, nos 15339/02, 21166/02, 20058/02, 11673/02 et 15343/02, § 138, CEDH 2008).
48. Toutefois, si l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas intentionnelle, l’obligation positive découlant de l’article 2 de mettre en place « un système judiciaire efficace » n’exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale. Dans certains cas de décès provoqués par négligence, la Cour a ainsi estimé que la mise en œuvre de procédures administratives était suffisante pour remplir les obligations positives des autorités sur le terrain de l’article 2 (Murillo Saldias et autres c. Espagne (déc.), no 76973/01, 28 novembre 2006). Elle a notamment jugé que lorsqu’était en cause une négligence de la part des agents de l’Etat dans l’application de la réglementation relative à la destruction de projectiles militaires, une voie de réparation pouvait être considérée comme adéquate et suffisante, et comme répondant au critère du « système judiciaire efficace » (Hayri Aslan c. Turquie (déc.), no 18751/05, 30 novembre 2010).
49. Cela étant, la Cour souligne cependant que l’article 2 impose aux autorités une obligation d’enquête officielle dans le domaine des activités dangereuses lorsque celles-ci ont entraîné mort d’homme à la suite d’évènements survenus sous la responsabilité des pouvoirs publics. En effet, ceux-ci sont souvent les seuls à disposer des connaissances suffisantes et nécessaires permettant d’identifier et d’établir les phénomènes complexes susceptibles d’être à l’origine de tels incidents (Öneryıldız, précité, § 93). Le but essentiel de pareille enquête est d’assurer la mise en œuvre effective des dispositions de droit interne qui protègent le droit à la vie et, lorsque le comportement d’agents ou d’autorités de l’Etat pourrait être mis en cause, de veiller à ce que ceux-ci répondent des décès survenus sous leur responsabilité (Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, § 89, CEDH 2002‑VIII, et Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, no 46477/99, §§ 69 et 71, CEDH 2002‑II).
50. Dans les cas où il est établi que la faute imputable, de ce chef, aux agents ou organes de l’Etat va au-delà d’une erreur de jugement ou d’une imprudence, en ce sens qu’ils n’ont pas pris, en toute connaissance de cause et dans l’exercice des pouvoirs qui leur étaient conférés, les mesures nécessaires et suffisantes pour pallier les risques inhérents à une activité dangereuse, l’absence d’incrimination et de poursuites à l’encontre des personnes responsables d’atteintes à la vie peut entraîner une violation de l’article 2, abstraction faite de toute autre forme de recours que les justiciables pourraient exercer de leur propre initiative (Öneryıldız, précité, § 93).
51. Amenée à se prononcer dans une affaire concernant des blessures occasionnées par l’explosion de mines antipersonnel, la Cour a ainsi déclaré que, dans le contexte de telles affaires, il ne pouvait être remédié à une atteinte au droit à la vie par le seul octroi de dommages-intérêts à la famille de la victime (Alkın c. Turquie, no 75588/01, § 31, 13 octobre 2009).
52. A cet égard, la Cour souligne que, dans le domaine spécifique des activités dangereuses, il faut réserver une place singulière à une réglementation adaptée aux particularités de l’activité en jeu, notamment au niveau du risque qui pourrait en résulter pour la vie humaine. Cette réglementation doit régir l’autorisation, la mise en place, l’exploitation, la sécurité et le contrôle afférents à l’activité, et imposer à toute personne concernée par celle-ci l’adoption de mesures d’ordre pratique propres à assurer la protection effective des citoyens dont la vie risque d’être exposée aux dangers inhérents au domaine en cause (Öneryıldız, précité, §§ 89-90, et Boudaïeva et autres, précité, § 132).
53. En outre, parmi ces mesures préventives, il convient de souligner l’importance du droit du public à l’information, tel que consacré par la jurisprudence de la Cour. En effet, ce droit, qui a déjà été consacré sur le terrain de l’article 8 de la Convention, peut également en principe être revendiqué aux fins de la protection du droit à la vie (idem, §§ 132-133).
54. Les réglementations doivent par ailleurs prévoir des procédures adéquates tenant compte des aspects techniques de l’activité en question et permettant de déterminer les défaillances ainsi que les fautes qui pourraient être commises à cet égard par les responsables à différents échelons (idem, § 132).
55. En résumé, le système judiciaire exigé par l’article 2 doit comporter un mécanisme d’enquête officielle, indépendant et impartial, répondant à certains critères d’effectivité et de nature à assurer la répression pénale des atteintes à la vie du fait d’une activité dangereuse, si et dans la mesure où les résultats des investigations justifient cette répression. En pareil cas, les autorités compétentes doivent faire preuve d’une diligence et d’une promptitude exemplaires et procéder d’office à des investigations propres à, d’une part, déterminer les circonstances dans lesquelles une telle atteinte a eu lieu ainsi que les défaillances dans la mise en œuvre du cadre réglementaire et, d’autre part, identifier les agents ou les organes de l’Etat impliqués, de quelque façon que ce soit, dans l’enchaînement de ces circonstances (Öneryıldız, précité, § 94, et Iliya Petrov c. Bulgarie, no 19202/03, § 73, 24 avril 2012).
2. Application des principes précités à la présente espèce
56. La Cour souligne tout d’abord qu’il n’a été contesté ni au cours de la procédure devant les instances nationales ni lors de la procédure devant elle que le décès du fils de la requérante a eu pour cause l’explosion d’une munition ayant appartenu aux forces armées turques et provenant de la zone de tir militaire de Bölükçam.
57. Elle note ensuite que la requérante n’a aucunement argüé que l’Etat défendeur avait délibérément cherché à provoquer une atteinte à la vie en abandonnant des munitions non explosées sur la zone de tir en question. Dans le contexte de la présente affaire, sa tâche consiste donc à déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, l’Etat avait pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher que la vie du fils de la requérante fût mise en danger.
58. La Cour observe que le Gouvernement n’a fourni aucune information ni explication au sujet de la réglementation relative aux zones de tir militaires et des dispositions régissant les conditions dans lesquelles les tirs y étaient effectués, en particulier quant à des dispositifs de sécurité qui seraient mis en place pour les civils vivant à proximité de ces zones. Eu égard aux constats opérés par les instances nationales au cours de la procédure pénale et des documents y afférents versés au dossier de l’affaire, la Cour n’estime toutefois pas nécessaire d’examiner cette question pour apprécier le grief de la requérante, qui se plaint de l’absence de mesures visant à la protection de la vie de son fils contre les dangers que représentent les munitions militaires non explosées. Elle limitera donc son examen à la question de savoir quelles mesures les autorités internes ont prises en l’espèce pour éviter que des vies humaines soient mises inutilement en danger.
59. A cet égard, la Cour rappelle tout d’abord que la présente affaire concerne l’exercice d’une activité militaire relevant de l’Etat dont la dangerosité ne faisait aucun doute et était pleinement connue des autorités nationales. Bien que le Gouvernement n’ait fourni aucune information sur la zone d’exercice de tir ni aucun descriptif de celle-ci, il ressort des déclarations recueillies durant la procédure interne auprès du grand-père maternel de Deniz (paragraphe 8 ci-dessus) et de la mère des cinq autres enfants victimes de l’explosion litigieuse (paragraphe 10 ci-dessus) que cette zone n’était pas entourée d’un grillage ou de barbelés, qu’elle ne comportait aucune signalétique d’avertissement et qu’un panneau n’a été mis en place qu’après l’incident ayant coûté la vie à six enfants.
60. A la lecture de la décision du procureur militaire du 22 décembre 1995, la Cour constate ensuite que, selon un rapport d’enquête administrative dressé après l’explosion, de nombreuses et différentes munitions non explosées se trouvaient dans la zone de tir de Bölükçam, que l’on ignorait l’endroit exact où elles se trouvaient, que les munitions « parties à l’aveugle » et restées sur le terrain ne pouvaient être découvertes que « par hasard » ou « par accident », qu’en raison de la configuration du terrain il n’était pas possible de déterminer le point d’impact des tirs, qu’il n’était pas non plus possible de déterminer à quelle date et par quelles unités les munitions qui n’avaient pas explosé avaient été laissées sur place (paragraphe 18 ci-dessus).
61. A cet égard, la Cour souligne que les conclusions du procureur militaire quant aux circonstances dans lesquelles les enfants victimes de l’explosion seraient entrés en possession d’une munition (paragraphe 18 ci‑dessus) demeurent sans incidence au regard de l’obligation positive qui incombait à l’Etat quant à la protection de la vie. En effet, compte tenu du danger que représentent les munitions militaires non explosées, la Cour estime qu’il relevait de la responsabilité première des autorités militaires de veiller à la sécurisation et à la surveillance de la zone de tir de Bölükçam afin d’empêcher tout accès à celle-ci et de réduire au maximum le risque de déplacement des munitions non explosées qui s’y trouvaient.
62. A cette fin, la Cour considère que des panneaux d’avertissement et autres dispositifs susceptibles de signaler la dangerosité de la zone du fait de la présence de munitions non explosées auraient dû être mis en place afin que le périmètre du terrain à risque fût clairement délimité. En l’absence de tels dispositifs, il appartenait à l’Etat d’assurer la dépollution de la zone de tir afin d’éliminer toutes les munitions non explosées qui se seraient trouvées sur le terrain à l’issue des exercices et de garantir que cette zone et ses environs fussent exempts de tout danger pour les populations civiles.
63. La seule information des villageois par le biais du muhtar du village sur les exercices de tir et sur la présence de munitions non explosées ne saurait être considérée comme suffisante pour exonérer les instances nationales de leur responsabilité au regard des personnes résidant à proximité de la zone d’exercice. En effet, la Cour observe, au vu des pièces du dossier, que cette information ne pouvait en tout état de cause être de nature à réduire de manière significative les risques liés à la présence de munitions non explosées sur le site, puisqu’il ressort clairement de la décision du procureur militaire que les autorités militaires elles-mêmes n’étaient pas en mesure de localiser ces munitions, certaines de celles restées sur le terrain ne pouvant être découvertes que « par hasard » ou « par accident » (paragraphe 18 ci-dessus).
64. Eu égard à la gravité du danger en cause, la Cour estime que les autorités internes auraient dû veiller à ce que la population civile résidant à proximité de la zone de tir militaire soit, dans son ensemble, avertie des risques auxquels elle s’exposait lorsqu’elle se trouvait en présence de munitions non explosées. Les autorités auraient dû particulièrement veiller à ce que les enfants, plus vulnérables que les adultes, prennent la mesure du danger que représente ce type de munition qu’ils s’avèrent susceptibles de manipuler par jeu, en les croyant inoffensifs. Or rien dans le dossier ne permet de penser que les autorités nationales aient pris les mesures d’éducation et de sensibilisation que requérait l’exercice d’une activité militaire dangereuse dans une zone qui, à la lumière des témoignages susmentionnés (paragraphes 8 et 10 ci-dessus), ne faisait l’objet d’aucune délimitation physique.
65. Au vu de tout ce qui précède, la Cour estime que, dans les circonstances de la présente espèce, les défaillances en matière de sécurité ont été telles qu’elles dépassent la simple négligence de la part de militaires dans la localisation et la destruction de munitions non explosées. A cet égard, elle réaffirme que l’absence d’incrimination et de poursuites à l’encontre des personnes responsables d’atteintes à la vie peut entraîner une violation de l’article 2 de la Convention, abstraction faite de toute autre forme de recours à exercer par les justiciables de leur propre initiative (voir, mutatis mutandis, Öneryıldız, précité, § 93 in fine, et Kalender c. Turquie, no 4314/02, § 52, 15 décembre 2009). Elle estime qu’il en va de même lorsque, malgré leur connaissance précise des risques réels pour la vie qui étaient en jeu dès lors que des munitions non explosées se trouvaient sur un site qui relevait de leur contrôle, les autorités nationales n’ont pas pris des mesures promptes, concrètes et suffisantes pour sécuriser ce site et pour empêcher que pareilles munitions non neutralisées ne soient découvertes ou déplacées par des civils.
66. Compte tenu de la gravité des défaillances constatées, la Cour estime qu’il ne pouvait être remédié à l’atteinte au droit à la vie du fils de la requérante par le seul octroi de dommages-intérêts, celui-ci ne pouvant constituer une réponse suffisante au regard de l’article 2 de la Convention pour que la force de dissuasion du système judiciaire mis en place et l’importance du rôle que celui-ci se doit de jouer dans la prévention des violations du droit à la vie ne soient pas amoindries (Nencheva et autres, précité, § 125). On ne saurait dès lors reprocher à la requérante de ne pas avoir exercé les recours compensatoires dont se prévaut le Gouvernement pour exciper du non-épuisement des voies de recours internes. Il convient donc de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement à cet égard.
67. En conclusion, la Cour estime que les autorités nationales avaient l’obligation de prendre de manière urgente des mesures appropriées pour protéger la vie des personnes résidant à proximité de la zone de tir litigieuse, et ce indépendamment de toute action de la part de la requérante, et de fournir une explication quant aux causes du décès du fils de l’intéressée et quant aux éventuelles responsabilités à cet égard par le biais d’une procédure engagée d’office, ce qu’elles n’ont pas fait.
68. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 2 de la Convention.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
69. Invoquant l’article 6 de la Convention, la requérante met en cause l’équité des décisions adoptées lors de la procédure menée devant les autorités internes.
70. Dans ses observations du 23 novembre 2007 sur le fond de l’affaire et sur la satisfaction équitable, l’avocat de la requérante a en outre invoqué les articles 3 et 8 de la Convention, soutenant que sa cliente avait gravement souffert psychologiquement en raison du décès de son fils.
71. Eu égard au constat de violation auquel elle est parvenue sous l’angle de l’article 2 de la Convention (paragraphe 68 ci-dessus), la Cour estime avoir examiné la question juridique principale posée par la présente requête. Compte tenu de l’ensemble des faits de la cause, elle considère qu’il ne s’impose plus de statuer séparément ni sur la recevabilité ni sur le bien-fondé des griefs susmentionnés (paragraphes 69 et 70) tirés des articles 3, 6 et 8 de la Convention (Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 64, 10 mai 2007).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
72. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
73. La requérante réclame 40 000 EUR (euros) pour dommage matériel en compensation du traitement qu’elle dit devoir suivre en raison de son état psychologique et de l’incapacité de travailler qui découlerait de cet état. Elle affirme en particulier avoir suivi un traitement psychologique qui lui aurait coûté 65 000 francs suisses. Elle fournit à titre de justificatifs un rapport médical constatant une incapacité de travail et diverses notes d’honoraires, et allègue que la thérapie qu’elle a suivie lui a coûté, entre 2002 et 2007, 37 920 francs suisses. Elle réclame également 90 000 EUR pour préjudice moral.
74. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
75. La Cour estime que les montants réclamés par la requérante au titre du préjudice matériel doivent s’apprécier dans le cadre de l’évaluation du préjudice moral allégué. Elle rejette en conséquence la demande présentée pour dommage matériel. Statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 50 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
76. La requérante demande également 8 524 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et pour ceux engagés devant la Cour. Elle fournit à titre de justificatifs des factures relatives à des frais de traduction, des relevés de virements bancaires effectués sur le compte de son avocat, un décompte de frais engagés par son avocat lors de la procédure interne, un décompte horaire du travail de son avocat pour la procédure devant la Cour ainsi qu’une convention d’honoraires d’avocat.
77. Le Gouvernement conteste cette demande.
78. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR, tous frais confondus, moins les 850 EUR perçus au titre de l’assistance judiciaire, et l’accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
79. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. A la majorité, joint au fond l’exception préliminaire du Gouvernement tiré du non-épuisement de la voie de recours administrative et la rejette ;
2. Déclare, à la majorité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 2 de la Convention ;
3. Déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable quant au grief tiré de l’article 6 combiné avec l’article 13 de la Convention relatif à l’insuffisance et l’inefficacité des investigations ;
4. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément ni la recevabilité ni le fond des autres griefs tirés des articles 3, 6 (relatif à l’équité des décisions adoptées en droit interne) et 8 de la Convention ;
6. Dit, par cinq voix contre deux,
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :
i. 50 000 EUR (cinquante mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 5 000 EUR (cinq mille euros), moins les 850 euros perçus au titre de l’assistance judiciaire, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 février 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley NaismithGuido Raimondi
GreffierPrésident
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Sajó et Keller.
G.R.A
S.H.N
OPINION DISSIDENTE DES JUGES SAJÓ ET KELLER
1. Avec tout le respect dû à nos collègues, nous ne partageons pas la position de la majorité selon laquelle l’article 2 de la Convention a été violé. A notre avis, l’affaire est irrecevable pour les raisons suivantes :
2. Le point de départ est le principe bien établi dans la jurisprudence de la Cour selon lequel l’obligation positive de mettre en place « un système judiciaire efficace », si l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas intentionnelle, n’exige pas nécessairement, dans tous les cas, des poursuites pénales. Pareille obligation peut également être remplie si des voies de droit civiles, administratives ou même disciplinaires sont ouvertes aux intéressés (voir par exemple Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002 I).
3. La deuxième Section de la Cour a déclaré irrecevable l’affaire Hayri Aslan et autres c. Turquie (déc.), 30 novembre 2010, no 18751/05), qui est, d’un point de vue factuel, très semblable au cas d’espèce. Dans cette affaire, les requérants avaient obtenu gain de cause devant les juridictions administratives de première instance. Leurs requêtes ayant été introduites alors que le Conseil d’État était encore saisi de ces dossiers, la Cour les a jugées prématurées.
4. En l’espèce, le Gouvernement fait référence à un jugement d’un autre tribunal administratif (celui d’Erzurum) qui a fait partiellement droit à une demande d’indemnisation consécutive au décès de trois enfants ayant pour origine l’explosion de munitions (voir § 27).
5. Comme dans l’affaire Hayri Aslan, il est question ici d’une négligence de la part des agents de l’Etat dans l’application de la réglementation quant à la destruction d’un projectile non explosé, une négligence à cause de laquelle des enfants ont pu ramasser le projectile.
6. Examinant l’exception de non-épuisement des recours internes, la Cour fait référence à l’arrêt İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 62, CEDH 2000 VII. Dans cet arrêt, elle a noté qu’il n’y avait pas la moindre base sur laquelle le requérante aurait pu engager une action au civil avec des chances raisonnables de succès contre un policier inconnu. A notre avis, cette affaire n’est pas pertinente car elle concerne l’usage d’une force excessive par la police tandis qu’en l’espèce une négligence est alléguée, ce qui est une base suffisante pour un recours administratif selon la pratique des tribunaux internes.
7. Les requérants n’ayant pas saisi les tribunaux administratifs, ils n’ont pas épuisé les recours internes et la Cour aurait dû déclarer l’affaire irrecevable conformément à l’article Article 35 § 1 de la Convention.
8. Quant au fond de l’affaire, la Cour met en exergue les principes établis dans l’arrêt Öneryıldız (§ 93) applicables dans le domaine des activités dangereuses. Bien que nous puissions suivre cette approche, il faut souligner que dans l’affaire Öneryıldız, le requérant avait préalablement entamé les recours administratifs.