COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 11 MAI 2017
RG : 16/ 01628- NH/ VA
Fatima X...
C/ Sarl AGENCE MENDES
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire-d'ANNEMASSE en date du 29 Juin 2016, RG : F 15/ 00225
DEMANDERESSE AU CONTREDIT :
Madame Fatima X...
93 allée ...
...
Représentée à l'audience par Me François Philippe GARNIER, avocat au barreau de BONNEVILLE
DEFENDERESSE AU CONTREDIT :
Sarl AGENCE MENDES
Route de Saint Julien 277
Case Postale 78
1258 PERLY-GENEVE (SUISSE)
Représentée à l'audience par Me Arnaud BASTID (SELARL BASTID ARNAUD, avocats au barreau de BONNEVILLE)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Mars 2017 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Claudine FOURCADE, Présidente,
Madame Nathalie HACQUARD, Conseiller, qui s'est chargée du rapport
Madame Anne DE REGO, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Nelly CHAILLEY,
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 30 juin 2011, la société suisse AGENCE MENDES, sise à PERLY GENEVE et Fatima X... ont régularisé un contrat de travail au terme duquel madame X... était embauchée en qualité de courtier ; elle a perçu à ce titre des avances sur commissions ;
Le 31 octobre 2011, la société AGENCE MENDES a procédé au licenciement de madame X... à laquelle elle a réclamé le remboursement de partie des avances sur commissions reçues qu'elle considère comme trop perçues ;
En l'absence de règlement, l'AGENCE MENDES a saisi le Tribunal des Prud'hommes du canton de Genève le 7 avril 2014 et a été autorisée à poursuivre au fond à défaut de conciliation ;
Le 10 juin 2015, la société AGENCE MENDES a saisi le conseil de prud'hommes d'Annemasse aux fins d'obtenir le remboursement réclamé ;
Par jugement en date du 29 juin 2016, le conseil de prud'hommes s'est déclaré territorialement compétent, a dit que le droit suisse s'appliquait au contrat de travail et dit qu'en l'absence de recours, l'affaire serait examinée au fond le 18 mai 2017 ;
La décision a été notifiée aux parties par lettres recommandées avec demande d'accusé de réception le 6 juillet 2016 ;
Par déclaration en date du 6 juillet 2016, madame X... a formé contredit ;
Le 5 octobre 2016, la société AGENCE MENDES a présenté sa demande en paiement devant le Tribunal des Prud'hommes du canton de Genève mais a sollicité la suspension de cette instance compte tenu de la procédure pendante devant les juridictions prud'homales françaises et il a été fait droit à cette demande de suspension le 15 décembre 2016 ;
Madame X... demande à la cour de :
- réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
- dire et juger recevable et bien fondé le contredit et y faire droit,
- se déclarer incompétent et renvoyer la société AGENCE MENDES à mieux se pourvoir devant le Tribunal des Prud'hommes du canton de Genève,
- subsidiairement, rejeter la demande d'évocation de la société AGENCE MENDES,
- plus subsidiairement, dire et juger mal fondée l'intégralité des demandes de la société AGENCE MENDES et plus subsidiairement encore, la condamner à lui payer un montant égal à toute somme à laquelle elle serait condamnée et ordonner la compensation à due concurrence,
- condamner la société AGENCE MENDES à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Sur la compétence, elle fait valoir :
- qu'en application de l'article 23 de la convention de Lugano, le contrat de travail comporte une clause attributive de juridiction valable et qui déroge aux dispositions de l'article 20 de la convention, par application de l'article 21 ;
- que l'employeur a lui-même considéré que le tribunal des prud'hommes genevois était compétent puisqu'il l'a initialement saisi et qu'elle-même n'a alors élevé aucune exception d'incompétence et que de même, la société AGENCE MENDES a de nouveau saisi la juridiction suisse en octobre 2016 de la même demande ;
Subsidiairement, elle indique :
- qu'il ne pourrait en tout état de cause être fait droit à la demande d'évocation qui la priverait d'un double degré de juridiction et ce alors que l'affaire est d'ores et déjà audiencée devant le conseil de prud'hommes d'Annemasse et qu'il n'est pas justifié d'un quelconque motif qui permettrait de retenir qu'une bonne administration de la justice devrait conduire à évoquer ;
- que l'affaire pourrait également être poursuivie devant la juridiction suisse, seule la société AGENCE MENDES ayant demandé la suspension à laquelle elle s'est elle-même opposée, et n'est donc manifestement pas pressée d'obtenir une décision ;
- qu'au fond, le décompte de la société AGENCE MENDES est incontrôlable et non contradictoire, qu'elle ne peut en effet se voir reprocher une éventuelle non réalisation des contrats après la fin des rapports de travail en application du droit suisse ;
- que s'il devait être fait droit à la demande, elle n'aurait alors disposé que d'une rémunération mensuelle égale à 1 219, 56 CHF ce qui ne constitue pas une rémunération convenable au sens retenu par la jurisprudence helvétique ;
- qu'il ne peut lui être reproché un manque de travail ;
- que le comportement de l'employeur est fautif puisqu'il lui a alloué des avances dépassant un mois de salaire en contradiction avec le contrat ;
La société AGENCE MENDES demande à la cour de :
- rejeter le contredit,
- évoquer le fond du litige,
- condamner madame X... à lui verser la somme de 9 248, 10 CHF ou sa contre-valeur en euros au jour de la décision à intervenir en remboursement du trop perçu, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure restée infructueuse,
- condamner madame X... à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel ;
Sur la compétence, elle fait valoir :
- l'article 20 de la convention de Lugano donne compétence aux tribunaux de l'Etat sur le territoire duquel le travailleur a son domicile et que madame X... est en l'espèce domiciliée en France ;
- que la prorogation de for n'est valable que si elle a été conclue après la naissance du litige et que tel n'est pas le cas en l'espèce, l'article 23 de la convention ne permettant pas de dérogation sur ce point ;
- que le juge français est bien compétent et doit appliquer la loi suisse en application du règlement Rome I ;
Sur l'évocation et le fond, elle indique :
- qu'il est d'une bonne administration de la justice d'évoquer et de donner à l'affaire une solution définitive ;
- que le contrat de travail prévoit le remboursement des commissions trop-perçues et qu'il en est de même des dispositions du code des obligations suisse en ses articles 322 et 339 ;
- qu'une rémunération convenable est bien prévue au contrat mais que madame X... n'a pas développé d'activité et obtenu la régularisation d'affaires ouvrant droit à commissions ;
- que les décomptes sont attestés par un expert comptable ;
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats ;
SUR QUOI
La détermination de la compétence des juridictions suisse ou française pour connaître de la demande de la société AGENCE MENDES relève de la convention de Lugano qui lie tant la Confédération Helvétique que la France ;
Le titre 2 de cette convention traite de la compétence ; sa section 5 est consacrée à la compétence en matière de contrats individuels de travail et fixe en son article 20 le principe selon lequel l'action de l'employeur ne peut être portée que devant les tribunaux de l'Etat lié par la convention sur le territoire duquel le travailleur a son domicile ;
L'article 21 prévoit qu'il peut être dérogé à ce principe par des conventions attributives de juridiction :
" 1/ postérieures à la naissance du différend, ou,
2/ qui permettent au travailleur de saisir d'autres tribunaux que ceux indiqués dans la présente section " ;
L'application de l'article 20 donne compétence au conseil de prud'hommes français d'Annemasse, à raison du domicile de la salariée ;
L'article 21 ne trouve pas à s'appliquer dans la mesure où, si le contrat de travail comporte une clause de for attribuant compétence aux juridictions genevoises, cette clause n'a pas été conclue postérieurement à la naissance du différend et l'espèce ne vise pas une action du travailleur mais a été initiée par l'employeur de sorte que ni les conditions du 1/ ni celles du 2/ de l'article 21 ne sont remplies ;
L'article 23 de la convention, invoqué par la salariée, prévoit la possibilité pour les parties de convenir de la compétence d'une juridiction :
" a/ par écrit ou verbalement, avec confirmation écrite, ou
b/ sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou
c/ (...) " ;
Le 5/ de cet article prévoit cependant que " les conventions attributives de juridiction (...) sont sans effet si elles sont contraires aux dispositions des articles 13, 17 et 21 (...) " ; tel serait bien le cas en l'espèce, la clause étant contraire aux dispositions de l'article 21 ;
Par ailleurs, l'article 23 figure cependant non pas à la section 5 traitant des relations individuelles de travail mais à la section 7 du titre 2 de la convention de Lugano traitant de la " prorogation de compétence " ;
Cette section qui a vocation à étendre de manière générale la compétence des tribunaux des Etats liés par la convention, ne peut cependant déroger aux dispositions spéciales fixées par la section 5 (à l'instar des sections 4, 3 et 6), qui vise des contrats particuliers, et qui prévoit en son article 18 qu'" en matière de contrat individuel de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l'article 4 et de l'article 5 paragraphe 5. " ; ce texte n'évoque pas l'article 23 au nombre des dérogations possibles aux principes qu'il fixe et ce dernier ne peut en conséquence être invoqué par madame X... pour conférer compétence aux juridictions genevoises ;
C'est dès lors à bon droit que le conseil de prud'hommes d'Annemasse a retenu sa compétence pour traiter du litige et le contredit doit être rejeté ;
Il n'y a pas lieu de déroger au double degré de juridiction en évoquant le fond de l'affaire, le conseil de prud'hommes ayant d'ores et déjà audiencé pour juger au fond à une date proche de sorte que l'issue du litige n'en est pas retardée ;
Les dépens éventuels du contredit seront supportés par madame X... et les parties seront déboutées de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Rejette le contredit formé par Fatima X... ;
Dit n'y avoir lieu d'évoquer le fond du litige ;
Dit que l'instance se poursuit devant le conseil de prud'hommes d'Annemasse ;
Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Fatima X... aux dépens du contredit.
Ainsi prononcé le 11 Mai 2017 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Claudine FOURCADE, Présidente, et Madame Nelly CHAILLEY, Greffier.