Vu 1°), sous le n° 135 815, la protestation électorale et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, les 1er et 8 avril 1992, présentés par M. Philippe B..., demeurant ..., les Avirons à La Réunion (97425) ; M. B... demande que le Conseil d'Etat, d'une part, annule les opérations électorales qui se sont déroulées le 22 mars 1992 dans le département de La Réunion pour l'élection des membres du conseil régional de La Réunion, l'élection de M. F... à la présidence du conseil régional de La Réunion, l'élection des membres du bureau du conseil régional de La Réunion, l'élection des membres de la commission permanente du conseil régional de La Réunion qui se sont déroulées le 27 mars 1992 et, d'autre part, déclare les candidats de la liste de M. F... inéligibles ;
Vu 2°), sous le n° 135 926, la protestation électorale et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, les 1er et 13 avril 1992, présentés par M. Expedit X...
D..., demeurant ... à Sainte Suzanne (97441) ; M. D... demande que le Conseil d'Etat, d'une part, annule les opérations électorales qui se sont déroulées le 22 mars 1992 dans le département de La Réunion pour l'élection des membres du conseil régional de La Réunion, d'autre part, déclare inéligibles M. Camille F... et ses colistiers de la liste Free Dom ;
Vu 3°), sous le n° 135 927, la protestation électorale et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, les 1er et 13 avril 1992, présentés par Mme Christiane A..., épouse E..., demeurant ... à Saint André (La Réunion) ; Mme A... demande que le Conseil d'Etat, d'une part, annule les opérations électorales qui se sont déroulées le 22 mars 1992 dans le département de La Réunion pour l'élection des membres du conseil régional de La Réunion, d'autre part, déclare inéligibles M. Camille F... et ses colistiers de la liste Free Dom ;
Vu 4°), sous le n° 135 928, la protestation électorale et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, les 1er et 13 avril 1992, présentés par M. Jean Y..., demeurant ..., La Cressonnière à Saint André (La Réunion) ; M. Y... demande que le Conseil d'Etat, d'une part, annule les opérations électorales qui se sont déroulées le 22 mars 1992 dans le département de La Réunion pour l'élection des membres du conseil régional de La Réunion, d'autre part, déclare inéligibles M. Camille F... et ses colistiers de la liste Free Dom ;
Vu 5°), sous le n° 135 951, la protestation électorale et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, les 1er et 6 avril 1992, présentés par M. Jean-Claude Z..., demeurant 17 lotissement Teyssèdre à Saint Benoît (La Réunion) ; M. Z... demande que le Conseil d'Etat, d'une part, annule les opérations électorales qui se sont déroulées le 22 mars 1992 dans le département de La Réunion pour l'élection des membres du conseil régional de La Réunion, d'autre part, déclare inéligibles M. Camille F... et ses colistiers de la liste Free Dom ;
Vu 6°), sous le n° 140 178, la transmission de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 5 août 1992 par laquelle le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques saisit le Conseil d'Etat, en application de l'article L. 52-15 du code électoral, afin qu'il soit statué sur les inéligibilités résultant, en application de l'article L. 118-3 du code électoral, du rejet par ladite commission du compte de campagne de M. Camille F..., candidat aux élections régionales qui se sont déroulées à La Réunion le 22 mars 1992 ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code électoral ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Laigneau, Auditeur,
- les observations de la S.C.P. Vier, Barthélemy, avocat de M. Camille F... et de M. G...,
- les conclusions de M. Daël, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les protestations enregistrées sous les numéros 135 815, 135 926, 135 927, 135 928, 135 951, et la saisine du Conseil d'Etat par la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques enregistrée sous le n° 140178, concernent les mêmes élections ; que, dès lors, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la régularité de l'ensemble des opérations électorales et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs des protestations :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 52-1 du code électoral : "Pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour du scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite" ;
Considérant que la mise à la disposition de M. F..., candidat aux élections régionales de la Réunion du 22 mars 1992, par Radio Free Dom, radio locale émettant à la Réunion et gérée par une association, d'un temps d'antenne quotidien au cours duquel ont été diffusées des émissions destinées à favoriser l'élection de la liste qu'il animait, a constitué, eu égard au contenu desdites émissions, l'utilisation d'un moyen de publicité commerciale à des fins de propagande électorale ; que les candidats figurant sur cette liste ont ainsi violé l'interdiction édictée par l'article L. 52-1 précité du code électoral ;
Considérant, en deuxième lieu, que la loi du 30 septembre 1986, modifiée notamment par la loi du 17 janvier 1989, a confié au Conseil supérieur de l'audiovisuel la mission de veiller au respect des principes définis aux articles 1 à 3 de ladite loi, au nombre desquels figurent l'égalité de traitement et l'expression du pluralisme des courants de pensée et d'opinion ; qu'aux termes de l'article l6 alinéa 2 de la même loi : "Pour la durée des campagnes électorales, le Conseil supérieur de l'audiovisuel adresse des recommandations à l'ensemble des services de radiodiffusion sonore et de télévision autorisés en vertu de la présente loi" ; que, par sa recommandation n° 91-3 du 10 décembre 1991 concernant les élections régionales et cantonales, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a précisé que, pour la période du 10 février au 29 mars 1992, "lorsqu'il est traité à l'antenne de l'une ou de l'autre des élections, quel que soit le type de l'émission, il convient de respecter, dans le souci d'une présentation et d'un accès équitables, un équilibre entre les candidats ou listes en présence, les formations politiques auxquelles ils appartiennent, les personnalités qui les soutiennent" ;
Considérant que ces dispositions législatives, ainsi que les recommandations formulées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour préciser leur application imposaient à Radio Free Dom de traiter de manière équitable dans leur accès à l'antenne les différentes listes en présence pour les élections régionales à La Réunion ; qu'en apportant, par des émissions diffusées chaque jour pendant toute la durée de la campagne électorale, un soutien massif et exclusif à la liste dirigée par M. F..., Radio Free Dom a méconnu les obligations qui s'imposaient à elle ;
Considérant, enfin, que par leur ton et leur contenu, certaines de ces émissions ont dépassé les limites de la propagande électorale ;
Considérant que les irrégularités ainsi commises ont été, compte tenu de l'audience de la Radio Free Dom à La Réunion et du faible écart de voix séparant pour l'attribution à la plus forte moyenne des derniers sièges, la liste Free Dom, arrivée en première position, des autres listes candidates, de nature à altérer la sincérité du scrutin ; qu'ainsi, les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'ensemble des opérations électorales qui se sont déroulées le 22 mars 1992 dans le département de La Réunion pour l'élection des membres du conseil régional de La Réunion, ainsi, par voie de conséquence, que l'annulation de l'élection du président du conseil régional, celle du bureau et des membres de la commission permanente du conseil régional ;
Sur le compte de campagne :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 52-15 du code électoral : "La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne (...). Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l'élection (...)" ; qu'aux termes de l'article L. 118-3 du même code : "Saisi par la commission instituée par l'article L. 52-14, le juge de l'élection constate, le cas échéant, l'inéligibilité du candidat" ;
Considérant que l'acte en date du 16 juillet 1992 par lequel la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de M. Camille F..., candidat tête de liste aux élections régionales qui se sont déroulées le 22 mars 1992 à La Réunion n'a pas le caractère d'une décision au sens de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des décisions administratives ; qu'ainsi le moyen tiré d'une prétendue méconnaissance des dispositions de ladite loi ne saurait, en tout état de cause, être accueilli ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 52-12 du code électoral : "Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4. Sont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec l'accord, même tacite, de celui-ci par les personnes physiques ou morales, les groupements et partis qui lui apportent leur soutien. Le candidat estime et inclut, en recettes et en dépenses, les avantages directs ou indirects, les prestations de service et dons en nature dont il a bénéficié" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le coût des émissions intitulées "radio doléances", diffusées quotidiennement depuis novembre 1991 par la radio locale privée dénommée Radio Free Dom, qui, comme il a été dit ci-dessus, avaient le caractère d'émissions de propagande politique en faveur de la liste de M. F..., constitue une dépense exposée directement au profit de M. F..., avec son accord et en vue de son élection ; que, par suite, les sommes correspondantes devaient être regardées comme des dépenses électorales et être intégrées dans son compte de campagne, comme l'a fait la commission nationale des comptes de campagne ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 52-17 du code électoral : "Lorsque le montant d'une dépense déclarée dans le compte de campagne ou ses annexes est inférieur aux prix habituellement pratiqués, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques évalue la différence et l'inscrit d'office dans les dépenses de campagne après avoir invité le candidat à produire toute justification utile à l'appréciation des circonstances. La somme ainsi inscrite est réputée constituer un don, au sens de l'article 52-8, effectué par la ou les personnes physiques ou morales concernées. La commission procède de même pour tous les avantages directs ou indirects, les prestations en service et dons en nature dont a bénéficié le candidat" ;
Considérant qu'après avoir invité, selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 52-15, M. F... à procéder à sa propre estimation des dépenses en cause, la commission a estimé leur coût par référence aux tarifs de la communication institutionnelle habituellement pratiqués par les radios émettant sur l'île de La Réunion ; que, ce faisant, elle ne s'est nullement arrogé un pouvoir réglementaire illégal, comme le soutient le candidat, mais a au contraire respecté la procédure prévue par le code électoral et n'a donc commis aucune erreur de droit ; qu'il résulte de l'instruction qu'elle n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en fixant à 2.500 F le coût horaire des émissions litigieuses ;
Considérant que la période retenue pour la prise en compte des dépenses de campagne est définie par l'article L. 52-4 du code électoral comme l'année qui précède le premier jour du mois d'une élection et se termine à la date du tour du scrutin où l'élection a été acquise ; qu'ainsi il n'y a pas lieu, pour évaluer le montant desdites dépenses, de retenir la seule durée de la campagne officielle ni la période de trois mois pendant laquelle la publicité commerciale à des fins de propagande électorale est interdite par voie de presse ou de radio, en vertu de l'article L. 52-1 du code électoral ; qu'ainsi c'est à bon droit que la commission a estimé à 208 heures la durée des émissions concernées ; que, dès lors, le coût total desdites émissions s'élève à 520.000 F ;
Considérant que la commission n'a pas porté une atteinte illégale à la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la convention européenne des droits de l'Homme en incluant dans un compte de campagne les dépenses faites par un poste de radiodiffusion au profit d'une liste de candidats ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 52-8 : "Les dons consentis par des personnes dûment identifiées pour le financement de la campagne d'un candidat ou de plusieurs candidats lors d'une même élection ne peuvent excéder 30.000 F s'ils émanent d'une personne physique et 10 % du plafond des dépenses électorales (...) s'ils émanent d'une personne morale autre qu'un parti ou groupement politique" ;
Considérant que Radio Free Dom, association régie par la loi du 1er juillet 1901, est une personne morale différente de la personne physique du candidat Camille F..., son président ; que l'avantage consenti par Radio Free Dom à M. F... dépasse le plafond de 10 % limitant les dons des personnes morales à un candidat, qui s'établit à 169.564 F pour les élections régionales qui se sont déroulées à la Réunion le 22 mars 1992 ; que, dès lors, c'est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne de M. F... ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 341-1 du code électoral relatif à l'élection des conseillers régionaux : "Est inéligible pendant un an, celui qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits par l'article L. 52-12 et celui dont le compte de campagne est rejeté à bon droit" ; que, dès lors, il y a lieu de déclarer M. F... inéligible pour un an aux élections régionales à compter de la date de la présente décision ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'aux termes de cet article : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office pour des raisons tirées de ces mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que MM. Z..., B..., D..., Y... et C...
A..., qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, soient condamnés à payer à M. F... la somme qu'il demande au titre des sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : Les opérations électorales qui se sont déroulées le 22 mars 1992 dans le département de la Réunion pour l'élection des conseillers régionaux de la Réunion sont annulées, ainsi que l'élection du président du conseil régional, de son bureau et de sa commission permanente.
Article 2 : M. F... est déclaré inéligible en qualité de conseiller régional pendant un an à compter de la date de la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes de MM. B..., D..., Y..., Z... et de Mme A... est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de M. F... tendant à la condamnation de MM. Z..., B..., D..., Y... et de Mme A... au versement d'une somme de 5 000 F chacun au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. F..., à MM. B..., D..., Z..., Y..., à Mme A..., à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre des départements et territoires d'outre-mer.