Vu, enregistré le 4 avril 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 8 mars 1995 par lequel le tribunal administratif de Paris, avant de statuer sur la demande de M. X... tendant notamment à l'annulation de deux états exécutoires émis à son encontre le 15 octobre 1993 par le centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts pour le recouvrement de sommes de 28 856 F et 25 970,40 F correspondant aux frais d'hospitalisation de sa mère du 16 au 26 septembre 1991 et du 15 au 24 octobre 1991, a décidé, par application des dispositions de l'article 12 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) les dispositions du deuxième alinéa de l'article L.714-38 du code de la santé publique, qui attribuent au juge des affaires familiales le soin de connaître des recours, visés par le premier alinéa du même article, que peuvent exercer les établissements publics de santé contre les hospitalisés et leurs débiteurs, parents ou alliés en vue du recouvrement des frais d'hospitalisation, ont-elles pour objet, ou pour effet, de transférer à l'autorité judiciaire la compétence pour statuer sur l'ensemble des litiges relatifs à ce recouvrement ?
2°) dans l'éventualité où une réponse affirmative serait apportée à la question qui précède, les dispositions susmentionnées sont-elles devenues applicables aux instances portées devant les juridictions administratives dès la publication de la loi du 8 janvier 1993 dont elles sont issues, et alors même que l'article 64 de ladite loi a prévu que les dispositions relatives ... à la création du juge aux affaires familiales ... n'entreront en vigueur que le premier jour du treizième mois suivant le mois de la publication de la présente loi ?
3°) les dispositions du deuxième alinéa de l'article L.714-38 du code de la santé publique ont-elles, par ailleurs, pour objet, ou pour effet, de faire obligation aux établissements publics de santé de saisir l'autorité judiciaire de toute action en recouvrement à l'encontre des personnes désignées au premier alinéa du même article, et, ainsi, de les priver du pouvoir d'émettre des titres exécutoires en vue d'obtenir le paiement des frais d'hospitalisation auxquels ces personnes sont tenues ?
4°) lorsque l'établissement public fonde son action en recouvrement sur la seule circonstance que le redevable de sa créance a souscrit l'engagement d'acquitter les frais d'hospitalisation, prévu par les dispositions de l'article 22 du décret du 29 décembre 1959, la juridiction administrative demeure-t-elle, en tout état de cause, compétente pour connaître des contestations relatives à ce recouvrement ?
5°) dans l'éventualité où il appartiendrait à la juridiction administrative de statuer sur de telles contestations, y a-t-il lieu, pour elle, d'admettre, notamment au regard des dispositions de l'article 34 de la Constitution, que les auteurs du décret du 29 décembre 1959 ont pu légalement assujettir à l'obligation d'acquitter les frais d'hospitalisation, des personnes autres que celles visées par l'article L.714-38 du code de la santé publique ?
6°) dans la même éventualité, y-a-t-il également lieu, pour la juridiction administrative, d'admettre que l'engagement souscrit par une personne qui est, par ailleurs, tenue à l'obligation alimentaire envers le malade hospitalisé, puisse servir de fondement à l'action en recouvrement des frais d'hospitalisation et autoriser, éventuellement, l'établissement public à rechercher le paiement de sommes plus élevées que le montant de la contribution fixée par l'autorité judiciaire au titre de cette obligation ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu les lois n° 93-22 du 8 janvier 1993 et n° 93-121 du 27 janvier 1993 ;
Vu le décret n° 58-1202 du 11 décembre 1958 et le décret n° 59-1510 du 29 décembre 1959 ;
Vu le décret du 5 novembre 1870 relatif à la promulgation des lois et décrets ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 et notamment son article 12 ;
Vu les articles 57-11 à 57-13 ajoutés au décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945 et le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Roul, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Foussard, avocat de l'Assistance publique Hôpitaux de Paris,
- les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;
1° Sur l'article L. 714-38 du code de la santé publique :
Le premier alinéa de l'article L. 714-38 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi du 31 juillet 1991 dispose que : "Les établissements publics de santé peuvent toujours exercer leurs recours, s'il y a lieu, contre les hospitalisés, contre leurs débiteurs et contre les personnes désignées par les articles 205, 206, 207 et 212 du code civil". Le second alinéa du même article dispose, dans sa rédaction résultant de la loi du 27 janvier 1993, entrée en vigueur immédiatement, que "ces recours relèvent de la compétence du tribunal d'instance" et, dans sa rédaction résultant de la loi du 8 janvier 1993 entrée en vigueur ultérieurement en vertu de l'article 64 de cette loi, que "ces recours relèvent de la compétence du juge aux affaires familiales".
a) Il résulte des deux rédactions successives du second alinéa de l'article L. 714-38 du code de la santé publique, éclairées par les travaux préparatoires des lois des 8 et 27 janvier 1993 que les dispositions législatives nouvelles introduites par ces lois ont pour seul effet de transférer à la juridiction judiciaire compétence pour connaître des litiges relatifs au paiement des frais exposés en faveur des hospitalisés par les établissements publics de santé, lorsqu'ils opposent ces établissements publics et les personnes désignées par les articles 205, 206, 207 et 212 du code civil. Ces dispositions n'ont eu ni pour objet ni pour effet d'édicter de nouvelles règles de compétence relatives aux autres litiges pouvant naître de l'hospitalisation dans les établissements publics de santé.
b) La publication au Journal officiel de la République Française du 30 janvier 1993 de la loi susmentionnée du 27 janvier 1993 a, dans les conditions prévues par le décret susvisé du 5 novembre 1870, rendu immédiatement applicable aux instances en cours devant les tribunaux administratifs la règle de compétence de la juridiction judiciaire énoncée ci-dessus.
c) Lorsque les dispositions précitées du second alinéa de l'article L.714-38 du code de la santé publique sont applicables, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les litiges relatifs au paiement des frais exposés en faveur des hospitalisés par les établissements publics de santé et opposant ces établissements publics et les personnes désignées par les articles 205, 206, 207 et 212 du code civil, relèvent de la compétence du juge judiciaire. Il n'y a, dès lors, pas lieu pour le Conseil d'Etat d'émettre l'avis prévu par les dispositions de l'article 12 de la loi susvisée du 31 décembre 1987 sur la question de savoir si les établissements publics de santé peuvent, dans le cadre de ces litiges, émettre un titre exécutoire.
2° Sur l'article R.716-9-1 du code de la santé publique :
L'article R.716-9-1 du code de la santé publique résultant du décret du 31 juillet 1992, qui reprend les dispositions de l'article 22 du décret du 29 décembre 1959 dans sa rédaction résultant du décret du 8 juillet 1982, dispose que : "Dans le cas où les frais de séjour des malades ne sont pas susceptibles d'être pris en charge soit par les services de l'aide médicale, soit par un organisme quelconque de sécurité sociale, soit par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre ou par tout autre organisme public, les intéressés, ou, à défaut leur famille ou un tiers responsable, souscrivent un engagement d'acquitter les frais de toute nature afférents au régime choisi. Ils sont tenus, sauf dans les cas d'urgence, de verser au moment de leur entrée dans l'établissement une provision renouvelable égale à dix jours d'hospitalisation ; en cas de sortie avant l'expiration des dix jours, la fraction de provision dépassant le nombre de jours de présence est restituée".
Il résulte, d'une part, des dispositions du premier alinéa de l'article L.714-1 du code de la santé publique que l'hospitalisé dans un établissement public de santé est l'usager d'un service public administratif et qu'il n'est pas, dès lors, placé dans une situation contractuelle vis-à-vis de ce service et, d'autre part, des dispositions du premier alinéa de l'article L.714-38 du même code que seules les personnes désignées par ces dispositions sont légalement débitrices des frais d'hospitalisation. Les dispositions précitées de l'article R.716-9-1 du code de la santé publique, n'ont pas pour objet et ne pourraient avoir légalement pour effet de permettre à l'établissement public de santé de déroger à ces dispositions législatives en plaçant l'hospitalisé dans une situation contractuelle ou en mettant les frais d'hospitalisation à la charge d'autres personnes que celles qui sont désignées par le premier alinéa de l'article L.714-38 du même code. Il en résulte les conséquences suivantes :
a) Lorsqu'un établissement public de santé émet un ordre de recettes ou un état exécutoire à l'encontre d'une personne prise en sa seule qualité de signataire de l'engagement prévu par les dispositions précitées de l'article R.716-9-1 du code de la santé publique, le litige qui peut en résulter relève de la compétence de la juridiction administrative en raison du caractère administratif du service géré par cet établissement public. En revanche, lorsque l'établissement public poursuit le recouvrement de sa créance à l'encontre d'une personne désignée par les articles 205, 206, 207 ou 212 du code civil, la signature éventuelle par cette personne de l'engagement susmentionné est sans incidence sur la compétence de la juridiction judiciaire rappelée au a) du 1° ci-dessus relatif à l'article L.714-38 du code de la santé publique.
b) Un établissement public de santé ne peut légalement émettre un ordre de recettes ou un état exécutoire à l'encontre d'une personne qui ne serait pas au nombre des personnes pouvant être déclarées légalement débitrices sur le fondement de l'article L. 714-38 et prise en sa seule qualité de signataire de l'engagement prévu par les dispositions précitées de l'article R.716-9-1 du code de la santé publique. Il ne dispose de ce droit, ni pour recouvrer à l'encontre de cette personne la totalité des frais d'hospitalisation, ni pour recouvrer à son encontre la fraction de ces frais qui excède la somme éventuellement due sur le fondement des articles 205, 206, 207 et 212 du code civil.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Paris, à M. X..., au centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts, à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et au ministre de la santé publique et de l'assurance maladie.
Il sera publié au Journal officiel de la République Française.