Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 1er décembre 1997 et le 25 mars 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Yves X..., demeurant à la ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 30 septembre 1997 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement du 15 février 1995 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser diverses indemnités en réparation du préjudice subi du fait du non renouvellement de son contrat de coopérant en Algérie ;
2°) de faire droit à ses demandes devant le juge d'appel en condamnant l'Etat à lui verser les sommes de 3 481 813,34 F, 479 836,53 F, 250 000 F, 60 000 F et 20 000 F à titre d'indemnités ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 15 670 F en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, et notamment son article 11 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mochon, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Yves X...,
- les conclusions de M. Le Chatelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que pour rejeter, par l'arrêt attaqué, les conclusions de M. X... tendant à obtenir l'indemnisation, pour la période du 1er octobre 1983 au 31 décembre 1987, du préjudice né de son licenciement illégal prononcé par une décision du 13 juillet 1983 du ministre des affaires étrangères, la cour administrative d'appel de Paris, faisant droit à l'exception de prescription quadriennale soulevée par le ministre, s'est fondée sur ce que la créance dont se prévalait M. X... se rattachait à l'année 1983 au cours de laquelle la décision illégale avait été prise et qu'elle était prescrite quand il en a demandé le remboursement ;
Considérant que lorsqu'est demandée l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité d'une décision administrative, la créance correspondant à la réparation de ce préjudice se rattache non à l'exercice au cours duquel la décision a été prise mais à celui au cours duquel elle a été régulièrement notifiée ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la date de la notification de la décision prononçant le licenciement de M. X... n'est pas établie ; que celui-ci est, dès lors, fondé à soutenir que l'arrêt attaqué est entaché d'erreur de droit et à en demander l'annulation ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur la fin de non recevoir soulevée par le ministre des affaires étrangères :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le jugement du tribunal administratif de Paris a été notifié à M. X... le 22 mai 1995 ; que son appel contre ce jugement a été enregistré au greffe de la cour administrative d'appel de Paris le 30 juin 1995 ; qu'ainsi ce recours, présenté dans le délai de deux mois prévu par l'article R. 229 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, est recevable ;
Au fond :
Considérant qu'ainsi qu'il a été ci-dessus, la date de notification à M. X... de la décision de licenciement dont l'illégalité a été reconnue par jugement du tribunal administratif de Paris en date du 15 février 1995, devenu définitif sur ce point, n'est pas établie ; que le ministre des affaires étrangères n'est, par suite, pas fondé à opposer l'exception de prescription quadriennale aux créances dont se prévaut M. X... et qui trouvent leur cause dans cette illégalité ; qu'il suit de là que M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a accueilli l'exception deprescription quadriennale soulevée par le ministre des affaires étrangères et décidé que les créances relatives à la période du 1er octobre 1983 au 31 décembre 1987 dont il se prévalait étaient prescrites ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Paris ;
Considérant que, par son jugement du 15 février 1995 devenu définitif sur ce point, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du ministre des affaires étrangères en date du 18 juillet 1983 portant radiation des cadres de M. X... ; que l'illégalité de cette décision a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que cette responsabilité ne saurait, en l'espèce, être atténuée ou supprimée par les circonstances, à les supposer établies, que l'Etat étranger auprès duquel M. X... accomplissait sa mission n'aurait pas souhaité que le contrat de l'intéressé soit reconduit et qu'aucun autre emploi correspondant à ses capacités professionnelles n'aurait été vacant dans les diverses administrations de l'Etat ou en coopération ;
Sur le préjudice né de la perte de rémunération :
Considérant que M. X... a droit à une indemnité correspondant à la différence entre, d'une part, le traitement net calculé en fonction de l'indice prévu à son contrat et les indemnités qui en constituent l'accessoire (indemnité de résidence de première zone et supplément familial de traitement), à l'exclusion des indemnités représentatives de frais et des éléments de rémunération liés à l'exercice effectif des fonctions et à l'affectation à l'étranger, et, d'autre part, les allocations pour perte d'emploi et les rémunérations provenant des activités qu'il a exercées au cours de la période d'éviction ; qu'il résulte de l'instruction que les revenus perçus par M. X... pendant la période où il a été illégalement évincé du service ont été supérieurs à la créance détenue par lui sur l'Etat telle qu'elle vient d'être définie ; que, par suite, il ne justifie pas d'un préjudice indemnisable de ce chef ;
Sur les troubles dans les conditions d'existence :
Considérant que M. X... a dû engager après son éviction une reconversion professionnelle qui a comporté une période pendant laquelle il est resté sans emploi et qui l'a contraint à acquérir une nouvelle formation professionnelle et à déménager à plusieurs reprises ; qu'il a éprouvé de ce fait des troubles dans ses conditions d'existence constitutifs d'un préjudice distinct de celui résultant de la privation de sa rémunération ; que, dans les circonstances de l'espèce, ce préjudice ne peut être regardé comme ayant été entièrement compensé par la différence entre les rémunérations qu'il a perçues au cours de la période de son éviction illégale et la rémunération dont il aurait bénéficié s'il était demeuré en fonctions ; qu'eu égard à la nature et à l'importance de ces troubles, il sera fait une juste appréciation de la réparation qui lui est due de ce chef en lui allouant une indemnité de 30 000 F ;
Sur les autres préjudices :
Considérant que les cotisations sociales versées par M. X... ne résultent pas de contributions volontaires auxquelles il aurait dû avoir recours pour bénéficier d'une protection sociale en l'absence de toute activité rémunérée mais de cotisations légalement exigibles du fait de ses activités ; que, par suite, le préjudice dont il se prévaut de ce chef est sans lien avec l'illégalité de la décision de licenciement ; que les sommes de 60 000 F et de 20 000 F réclamées par M. X... au titre de remboursement de frais ne sont assorties d'aucune justification ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X... est fondé à demander la réformation du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté en totalité ses conclusions indemnitaires et la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 30 000 F ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstance de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à M. X... la somme de 15 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt du 30 septembre 1997 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. X... la somme de 30 000 F.
Article 3 : Le jugement du 15 février 1995 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : L'Etat est condamné à verser à M. X... une somme de 15 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X... devant le Conseil d'Etat, de sa requête devant la cour administrative d'appel de Paris et de sa demande devant le tribunal administratif de Paris est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Yves X... et au ministre des affaires étrangères.