Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 septembre et 28 décembre 2001, présentés pour la PHARMACIE DU SOLEIL, dont le siège social est sis B.P. 99 à M'bour, Sénégal, représentée par son gérant ; la PHARMACIE DU SOLEIL demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision du 5 avril 2001 par laquelle la commission supérieure des soins gratuits a rejeté pour irrecevabilité sa demande tendant à l'annulation de la décision du 20 janvier 2000 de la commission contentieuse des soins gratuits de la région Bourgogne refusant la prise en charge par l'Etat d'une partie de la créance présentée au titre de l'article L. 115 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et suspendant pour deux ans son droit de délivrer des médicaments gratuits ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu le décret n° 59-328 du 20 février 1959 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Courrèges, Auditeur,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la PHARMACIE DU SOLEIL,
- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 115 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : L'Etat doit gratuitement aux titulaires d'une pension d'invalidité attribuée au titre du présent code les prestations médicales, paramédicales, chirurgicales et pharmaceutiques nécessitées par les infirmités qui donnent lieu à pension, en ce qui concerne exclusivement les accidents et complications résultant de la blessure ou de la maladie qui ouvre droit à pension ; qu'en vertu de l'article L. 118 du même code, la commission supérieure des soins gratuits statue en appel sur les décisions des commissions contentieuses des soins gratuits concernant les contestations auxquelles donnent lieu ces dispositions ; que selon les dispositions combinées des articles D. 90 et D. 91 dudit code, cette commission comprend, avec voix délibérative, trois représentants du ministre des anciens combattants et victimes de guerre, dont l'un assure la présidence, et un représentant du ministre de l'économie et des finances ; qu'y siègent en outre, avec voix délibérative, deux représentants du corps médical et deux représentants des pensionnés ; que la commission s'adjoint, avec voix consultative, le chef du service central des soins gratuits ou son représentant, un représentant des pharmaciens, un représentant des médecins stomatologistes, un représentant des infirmiers et un représentant des masseurs-kinésithérapeutes ; que le représentant des pharmaciens a voix délibérative dans les affaires concernant un pharmacien, en remplacement d'un des représentants du corps médical ;
Considérant, d'autre part, qu'en vertu des principes généraux applicables à la fonction de juger, toute personne appelée à siéger dans une juridiction doit se prononcer en toute indépendance et sans recevoir quelque instruction de la part de quelque autorité que ce soit ; que, dès lors, la présence de fonctionnaires de l'Etat parmi les membres d'une juridiction ayant à connaître de litiges auxquels celui-ci peut être partie ne peut, par elle-même, être de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l'impartialité de celle-ci ;
Considérant qu'il suit de là que, eu égard à ses attributions et aux conditions de son fonctionnement, la circonstance que la commission supérieure des soins gratuits comprenne quatre représentants de l'Etat, dont trois représentants du ministre des anciens combattants et victimes de guerre, qui peuvent être des fonctionnaires en activité ou honoraires, n'est pas, par elle-même, de nature à faire obstacle à ce que cette juridiction soit regardée comme impartiale ; qu'il en est de même de la participation au délibéré du rapporteur, qui est désigné parmi les représentants du corps médical au sein de la commission et dont les attributions ne différent pas de celles que la formation collégiale de jugement pourrait elle-même exercer et ne lui confèrent pas le pouvoir de modifier le champ de la saisine de la juridiction ;
Considérant, toutefois, qu'il peut être porté atteinte au principe d'impartialité qui s'applique à toute juridiction lorsque, sans que des garanties appropriées assurent son indépendance, les fonctions exercées par un représentant de l'Etat appelé à siéger au sein de la commission supérieure des soins gratuits le font participer à l'activité des services en charge des questions de soins gratuits soumises à la juridiction ;
Considérant qu'il suit de là que la participation du chef du service central des soins gratuits ou son représentant, même avec simple voix consultative, aux délibérations de la commission supérieure des soins gratuits est susceptible d'entacher d'irrégularité les décisions de cette dernière ; qu'il ressort toutefois des mentions de la décision attaquée qu'en l'espèce, celui-ci n'était ni présent ni représenté lorsque la commission a délibéré ;
Considérant qu'il ressort en revanche des pièces du dossier que la formation de jugement qui a statué sur l'appel de la PHARMACIE DU SOLEIL comprenait un médecin contractuel en activité au bureau des affaires médicales de la direction des statuts, des pensions et de la réinsertion sociale du ministère de la défense, laquelle est en charge de la définition et de la mise en ouvre de la politique des soins gratuits ; que, par suite, la décision attaquée doit être regardée comme ayant été rendue en méconnaissance du principe d'impartialité rappelé à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur le moyen tiré de l'erreur de droit commise par la commission supérieure des soins gratuits :
Considérant que l'appel formé par un requérant devant la commission supérieure des soins gratuits, juridiction administrative devant laquelle la procédure revêt un caractère essentiellement écrit, doit, sous peine d'irrecevabilité, être assorti d'un exposé écrit des moyens invoqués ; que la commission peut, dès lors, rejeter pour défaut de motivation un appel lorsque le requérant, invité préalablement à régulariser sa requête, s'est abstenu de le faire ; qu'en revanche, en l'absence de texte précisant les modalités de saisine de la commission supérieure des soins gratuits ou prévoyant que les dispositions du code de justice administrative lui sont applicables, cette motivation écrite peut être régulièrement exposée après l'expiration du délai de recours ; que, par suite, en jugeant que l'appel de la PHARMACIE DU SOLEIL était irrecevable faute pour celle-ci d'avoir présenté un mémoire motivé dans le délai de recours contentieux, la commission supérieure des soins gratuits a commis une erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la PHARMACIE DU SOLEIL est fondée à demander l'annulation de la décision attaquée ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de renvoyer l'affaire devant la commission supérieure des soins gratuits, siégeant sans la participation de représentants de l'Etat exerçant leur activité au sein d'un service en charge des soins gratuits ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la commission supérieure des soins gratuits en date du 5 avril 2001 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la commission supérieure des soins gratuits siégeant sans la participation de représentants de l'Etat exerçant leur activité au sein d'un service en charge des soins gratuits.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la PHARMACIE DU SOLEIL et au ministre de la défense.