Vu la requête, enregistrée le 18 novembre 2002 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Madani X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 18 décembre 2001 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 20 octobre 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 janvier 1996 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer (ANIFOM) a refusé de lui attribuer le bénéfice de l'allocation forfaitaire complémentaire prévue à l'article 2 de la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie ;
2°) faisant application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris et la décision du directeur général de l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 55 ;
Vu le Pacte international de New York relatif aux droits civils et politiques, en date du 19 décembre 1966 ;
Vu le Pacte international de New York relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu la loi n° 66-945 du 20 décembre 1966 modifiant l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité française ;
Vu la loi n° 67-1181 du 28 décembre 1967 tendant à permettre la réintégration dans la nationalité française ;
Vu la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973 complétant et modifiant le code de la nationalité et relative à certaines dispositions concernant la nationalité française ;
Vu la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 modifiée, relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés ;
Vu la loi n° 94-488 du 11 juin 1994, relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie ;
Vu l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 modifiée relative à certaines dispositions concernant la nationalité française ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume Larrivé, Auditeur,
- les observations de la SCP Boutet, avocat de M. X,
- les conclusions de Mme Marie-Hélène Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie : La République française témoigne sa reconnaissance envers les rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilées ou victimes de la captivité en Algérie pour les sacrifices qu'ils ont consentis./ Elle leur ouvre, en outre, droit au bénéfice des mesures prévues par la présente loi. ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi : Une allocation forfaitaire complémentaire de 110 000 F est versée à chacun des bénéficiaires des dispositions du premier alinéa de l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés s'il répond, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, aux conditions posées par cet alinéa. (…) ; qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 : Une allocation (…) est versée (…) aux anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives ayant servi en Algérie, qui ont conservé la nationalité française en application de l'article 2 de l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité française, (…) et qui ont fixé leur domicile en France. ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. X, qui est né en Algérie en 1935, a combattu en qualité de membre des formations supplétives de l'armée française en Algérie ; qu'il n'a pas demandé à bénéficier des dispositions de l'ordonnance du 21 juillet 1962 modifiée par l'article 1er de la loi du 20 décembre 1966 ; qu'après avoir établi son domicile en France, il a été réintégré dans la nationalité française par un décret en date du 12 mars 1981 ; que, par une décision du 26 janvier 1989, le directeur général de l'Agence nationale d'indemnisation des Français d'outre-mer a refusé de lui accorder le bénéfice de l'allocation définie par les dispositions précitées de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987, au motif qu'il n'avait pas conservé la nationalité française en application des dispositions de l'article 2 de l'ordonnance du 21 juillet 1962 ; que, par une décision du 26 janvier 1996, fondée sur le même motif, le directeur général de l'Agence nationale d'indemnisation des Français d'outre-mer a refusé de lui accorder le bénéfice de l'allocation définie par les dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 11 juin 1994 ; que M. X demande l'annulation de l'arrêt du 18 décembre 2001, par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 20 octobre 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande dirigée contre la décision du directeur général de l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer en date du 26 janvier 1996 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ratifiée par la France en application de la loi du 31 décembre 1973 et publiée au Journal officiel par décret du 3 mai 1974 : Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre 1 de la présente convention ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens./ Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer 1'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ;
Considérant qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
Considérant que l'allocation forfaitaire ainsi que l'allocation forfaitaire complémentaire ont le caractère d'un bien au sens des stipulations de l'article 1er du Premier protocole additionnel ; que leur institution a pour objet, ainsi qu'il ressort des débats parlementaires qui ont précédé l'adoption tant de la loi du 16 juillet 1987 que celle du 11 juin 1994 de compenser les préjudices moraux que les harkis, moghaznis et anciens membres des formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local ont subi lorsque, contraints de quitter l'Algérie après l'indépendance ils ont été victimes d'un déracinement et connu des difficultés d'insertion en France ; qu'une différence de traitement quant à l'octroi de ces allocations selon que les intéressés ont opté en faveur de l'adoption de la nationalité française ou se sont abstenus d'effectuer un tel choix, ne justifie pas, eu égard à l'objet de l'une et l'autre de ces allocations, une différence de traitement ; que les dispositions législatives précitées en ce qu'elles se référent à la nationalité du demandeur sont de ce fait incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en statuant en sens contraire au motif que l'article 14 ne fait pas obstacle à ce que nationaux et ressortissants étrangers, qui ne sont pas dans des situations analogues, fassent l'objet de traitements différents, sans même rechercher si, en l'espèce, la différence de traitement était ou non assortie de justifications objectives et raisonnables, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que M. X est fondé à demander pour ce motif l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821 ;2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, pour rejeter par sa décision du 26 janvier 1996 la demande de M. X tendant à bénéficier de l'allocation forfaitaire complémentaire, le directeur général de l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre ;mer s'est borné à relever que l'intéressé n'avait été réintégré dans la nationalité française que par un décret en date du 12 mars 1981, sans rechercher s'il avait quitté précipitamment l'Algérie après l'indépendance, avait alors fixé son domicile en France et devait ainsi être regardé comme ayant subi le préjudice moral que les dispositions de l'article 2 de la loi du 11 juin 1994 ont pour objet de compenser ; que, ce faisant, le directeur général de l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre ;mer a entaché sa décision d'erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 20 octobre 1998, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 janvier 1996 du directeur général de l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre ;mer ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 18 décembre 2001 de la cour administrative d'appel de Paris et le jugement du 20 octobre 1998 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La décision du 26 janvier 1996 du directeur général de l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre ;mer est annulée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Madani X, à l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer et au Premier ministre.