Vu le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, enregistré le 13 avril 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 10 février 2005 en tant qu'il a rejeté son recours demandant l'annulation de l'article 2 du jugement du 19 novembre 1998 par lequel le tribunal administratif de Besançon a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Weil Besançon a été assujettie au titre de l'exercice clos en 1992 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Egerszegi, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Weil Besançon,
- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une notification de redressement en date du 15 décembre 1993, l'administration fiscale a informé la société Weil Besançon, en sa qualité de société mère d'un groupe fiscal intégré, des conséquences sur les résultats d'ensemble du groupe, pour l'exercice clos en 1992, des redressements effectués sur les résultats des sociétés Weil Besançon, TID et SIL, membres du groupe intégré, au titre des exercices 1989 à 1991; que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 février 2005 de la cour administrative d'appel de Nancy confirmant le jugement du 19 novembre 1998 par lequel le tribunal administratif de Besançon a déchargé la société Weil Besançon du supplément d'impôt sur les sociétés impliqué par ce redressement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du recours ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts qu'alors même que la société mère d'un groupe fiscal intégré s'est constituée seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur le résultat d'ensemble déterminé par la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, celles-ci restent soumises à l'obligation de déclarer leurs résultats, et que c'est avec ces dernières que l'administration fiscale mène la procédure de vérification de comptabilité et de redressement, dans les conditions prévues aux articles L. 13, L. 47 et L. 57 du livre des procédures fiscales ; que les redressements ainsi apportés aux résultats déclarés par les sociétés membres du groupe constituent cependant les éléments d'une procédure unique conduisant d'abord à la correction du résultat d'ensemble déclaré par la société mère du groupe, puis à la mise en recouvrement des rappels d'impôt établis à son nom sur les rehaussements de ce résultat d'ensemble ; que l'information qui doit être donnée à la société mère avant cette mise en recouvrement peut être réduite à une référence aux procédures de redressement qui ont été menées avec les sociétés membres du groupe et à un tableau chiffré qui en récapitule les conséquences sur le résultat d'ensemble, sans qu'il soit nécessaire de reprendre l'exposé de la nature, des motifs et des conséquences de chacun des chefs de redressement concernés ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis à la cour que la notification de redressement adressée le 15 décembre 1993 à la société Weil Besançon, en sa qualité de société mère du groupe intégré, lui rappelait qu'elle avait déduit de son résultat d'ensemble pour l'année 1992, comme le permettaient les dispositions alors applicables du second alinéa de l'article 223 C du code général des impôts, des déficits d'ensemble reportables pour 16 825 614 F, dont 16 393 835 F correspondaient à des amortissements réputés différés (ARD) en période déficitaire ; que compte tenu des redressements effectués sur les résultats des trois sociétés membres du groupe (la société Weil elle-même et les sociétés SID et TIL) au titre des années 1989 à 1991, les sommes susceptibles d'être imputées par voie de report sur le résultat d'ensemble au titre de 1992 se trouvaient réduites à 10 519 270 F d'ARD, ce qui impliquait un rehaussement de 6 306 344 F de ce résultat d'ensemble ; que cette information était suivie d'un tableau récapitulant pour chacun des exercices 1989, 1990 et 1991 soumis à vérification et pour chacune des trois sociétés vérifiées, les corrections apportées à leur résultat fiscal déclaré et l'incidence de ces corrections sur le résultat d'ensemble de chacune de ces trois années, et, en outre, sur celui de l'année 1992, par l'effet mécanique de la diminution des ARD susceptibles d'être reportés sur 1992, après les corrections apportées aux résultats des trois exercices précédents ; qu'il résulte des principes énoncés ci-dessus qu'en jugeant que cette notification de redressement était irrégulière pour n'avoir pas exposé les motifs des redressements opérés sur les résultats de chacune des sociétés membres du groupe intégré, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit ; que dès lors le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives à l'exercice clos en 1992 ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application de l'article L.821-2 du code de justice administrative;
Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions des articles 223 C et 223 E du code général des impôts que les déficits retenus pour la détermination du résultat d'ensemble ne sont pas déductibles des résultats ultérieurs de la société qui les a subis, et que l'imputation des reports déficitaires ne peut être faite, au sein d'un groupe intégré, que sur le résultat d'ensemble et dans la mesure d'un déficit d'ensemble ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la notification de redressement adressée le 15 avril 1993 à la société Weil Besançon, en sa qualité de société membre du groupe fiscal intégré, portait sur les exercices clos en 1989, 1990 et 1991 ; que les redressements effectués au titre de l'exercice clos en 1991 ont eu notamment pour conséquence la réduction du montant du déficit d'ensemble reportable sur les exercices ultérieurs, dans les conditions prévues pour les ARD ; que la société, parce qu'elle contestait ces redressements, a néanmoins, dans la déclaration de ses résultats propres au titre de l'exercice 1992, imputé sur ceux-ci la totalité du montant des ARD dont elle estimait pouvoir disposer à son niveau, en attirant d'ailleurs l'attention de l'administration sur ce point par une indication expresse ; que la circonstance que l'administration a rehaussé l'impôt sur les sociétés dû sur le résultat d'ensemble du groupe au titre de 1992 en se bornant à adresser à la société Weil, en sa qualité de société mère du groupe, la notification sus-décrite du 15 décembre 1993, mais sans lui adresser, en sa qualité de société intégrée, une notification de redressement au titre de 1992 l'informant de la rectification de ses résultats propres, déclarés pour cette année dans les conditions sus-rappelées, ne constitue pas une irrégularité de nature à vicier la procédure d'imposition dès lors que, d'une part, les corrections apportées au résultat d'ensemble de l'année 1992 sont seulement la conséquence des corrections apportées, par des redressements régulièrement notifiés à chaque société membre du groupe intégré, et en particulier à la société Weil Besançon, au montant des déficits ou ARD reportables qui résultaient de leurs déclarations propres des années 1989 à 1991 et que, d'autre part, ainsi qu'il a été dit, l'administration a, par lettre du 15 décembre 1993, donné à la société Weil Besançon, en sa qualité de société mère du groupe intégré, les informations nécessaires pour lui permettre de comprendre que les corrections apportées à son résultat d'ensemble pour 1992 provenaient de la réduction des droits à report de déficits d'ensemble antérieurs ; que dès lors, c'est à tort que, par jugement du 19 novembre 1998, le tribunal administratif de Besançon a déchargé la société Weil des suppléments d'impôt sur les sociétés restant en litige au titre de l'exercice clos en 1992 ;
Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Weil Besançon ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant que la circonstance que la notification de redressement adressée le 15 décembre 1993 à la société Weil Besançon, en sa qualité de société mère du groupe intégré, ne mentionne pas la possibilité de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ne constitue pas une irrégularité dès lors que, d'une part, seules les sociétés membres du groupe intégré ont vocation à demander la saisine de cette commission à l'occasion de la procédure de vérification et de redressement menée à leur égard, et que, d'autre part, cette possibilité leur a été offerte en l'espèce ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant, en premier lieu, qu'à la suite de la mise en règlement judiciaire de la société Daniel Bis en mars 1990, la société Weil Besançon a constitué, à la clôture de l'exercice 1990, une provision de 80% de la créance qu'elle détenait sur cette société ; que pour justifier la dépréciation totale de cette créance à la clôture de l'exercice 1991, la société se borne à relever qu'elle n'avait reçu aucune nouvelle de la part de l'administrateur au règlement judiciaire ; qu'à défaut d'éléments plus précis, cette seule circonstance n'est pas de nature à justifier cette provision complémentaire, alors que l'administration fait valoir que l'administrateur n'avait pas encore achevé l'état du passif et de l'actif et qu'une procédure en comblement de passif à l'encontre de la banque de la société Daniel Bis était en cours ;
Considérant, en deuxième lieu, que la société soutient que les frais d'intermédiaires financiers exposés pour la vente des titres SICM 24 constituent des frais généraux déductibles de son résultat imposable au taux normal, et non une charge venant réduire la plus-value à long terme réalisée à l'occasion de cette vente, imposable à un taux réduit ; qu'il résulte de l'instruction que les honoraires versés aux sociétés Bankers Trust et Dauphine Investissements rémunéraient une prestation d'intermédiation pour la conclusion de ladite vente ; qu'ils constituent par conséquent des frais inhérents à cette vente, venant en déduction de la plus-value réalisée sur les titres vendus ;
Considérant, en troisième lieu, que l'administration fiscale a estimé que la cession le 9 décembre 1991, par la société Weil Besançon, de 12 488 titres SICM 24, au prix unitaire de 308 F, dissimulait une libéralité consentie sans contrepartie à l'acquéreur, M. Patrick A et en a réintégré le montant dans le résultat imposable ; que l'administration a successivement ramené son évaluation de la valeur unitaire normale des titres de 775 F à 620 F puis, devant le tribunal, à 500 F et prononcé le dégrèvement correspondant ; que la société Weil Besançon conteste cette dernière évaluation en exposant d'abord que la cession litigieuse, si elle a été concomitante de la restructuration de l'actionnariat familial du groupe, marquée par la sortie des héritiers de la branche Albert A, dont faisait partie M. Patrick A, est néanmoins le résultat d'une transaction normalement discutée entre parties dont les intérêts n'étaient pas liés, dès lors que, d'une part, la vente a été faite au profit non pas de M. Patrick A lui-même, mais de la société Financière SICM, dont l'actionnariat était également partagé entre M. Patrick A et M. Marcel B, que la société cédante n'avait aucune raison d'avantager, et que, d'autre part, les autres membres de la branche Albert Weil A n'auraient pas toléré, dans la négociation d'ensemble qui a préludé au départ de cette branche, que l'un des leurs reçoive un avantage discriminatoire par rapport aux conditions de leur propre sortie ; que la société Weil Besançon fait ensuite valoir que le prix de 308 F implique lui-même une plus-value de 200 % par rapport au prix de 100 F auquel elle a acquis les actions SICM 24 en 1986 et que la mise en règlement judiciaire de la SICM 24, survenue dès 1996, confirme encore que la vente de 1991 a constitué pour elle une bonne opération ; qu'elle fournit enfin une note technique établie en juin 1993 par un conseil extérieur explorant les diverses méthodes d'évaluation susceptibles d'être appliquées et privilégiant la valeur de productivité, appliquant un taux de capitalisation de 14.17 % (retenu par l'administration elle-même) à la moyenne des trois derniers résultats de la société, tels que retraités par l'administration, et qui fait ressortir un prix de l'action de 272 F ; que dans ces conditions l'administration n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, du caractère anormalement bas du prix de 308 F susmentionné ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre est seulement fondé à demander la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a déchargé la société Weil Besançon des suppléments d'impôts consécutifs à la réintégration dans ses résultats imposables au titre de l'exercice 1992 de la somme de 1 009 130 F (153 841 euros) correspondant aux redressements portant sur le complément de la provision pour dépréciation de la créance détenue sur la société Daniel Bis à hauteur de 261 084 F (39 802 euros), et des frais d'intermédiaires financiers exposés lors de la vente des titres SICM, à hauteur de 748 046 F (114 039 euros) ; qu'il y a lieu en conséquence, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la société Weil Besançon, représentée par son mandataire judiciaire, et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L‘arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 10 février 2005 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie relatives à l'exercice clos en 1992.
Article 2 : La société Weil Besançon est rétablie au rôle de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 1992, à raison de la réintégration dans ses résultats imposables de la somme de 153 841 euros.
Article 3 : L'article 2 du jugement du 19 novembre 1998 du tribunal administratif de Besançon est réformé en ce qu'il est contraire à la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera à la société Weil Besançon une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la société Weil Besançon est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la société Weil Besançon, représentée par son mandataire judiciaire, M. Jeannerot.