Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 août et 9 décembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. André A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 30 mai 2005 du ministre de la défense rejetant, après avis de la commission des recours des militaires, son recours administratif préalable contre la décision du 18 novembre 2004, par laquelle le ministre de la défense a retiré la protection juridique qu'il lui avait accordée le 26 juillet 2001 et lui a demandé le remboursement des sommes déjà versées pour assurer sa défense, et contre la décision du 17 décembre 2004, par laquelle le ministre de la défense lui a adressé pour paiement la troisième facture de frais d'avocat, ensemble lesdites décisions ;
2°) de mettre à la charge du ministre de la défense une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972, modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hubert Legal, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par une décision du 26 juillet 2001, le ministre de la défense a accordé à M. A, en application de l'article 24 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, la protection de l'Etat pour lui permettre d'assurer sa défense devant le tribunal de grande instance de Marseille à la suite de sa mise en examen dans le cadre d'une information pour prêt illégal de main d'oeuvre, escroquerie et corruption en rapport avec des marchés d'approvisionnement de la direction des constructions navales ; que cette décision était assortie d'une mention selon laquelle l'Etat serait fondé à (...) demander [à l'officier] le remboursement des sommes engagées par l'administration pour sa défense si, par une décision devenue définitive, une juridiction pénale venait à établir une faute personnelle dans les faits qui ont motivé sa mise en examen ; que, M. A ayant fait l'objet, le 8 octobre 2004, d'une condamnation par le tribunal de grande instance de Marseille pour des faits constitutifs de corruption passive, le ministre a, par une décision du 18 novembre 2004, retiré à cet officier la protection de l'Etat en raison des fautes personnelles qu'auraient révélées les attendus du jugement le condamnant et lui a demandé de supporter la charge entière des frais exposés pour sa défense ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'aux termes de l'article 24 de la loi du 13 juillet 1972 modifiée portant statut général des militaires, applicable à l'espèce : l'Etat est... tenu d'accorder sa protection au militaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle ; que, sous réserve de l'exception qu'elles comportent, ces dispositions font obligation à l'Etat de prendre en charge la défense du militaire poursuivi pour des faits survenus à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ; que la décision accordant le bénéfice de la protection à un militaire crée des droits au profit de l'intéressé ; que les termes de l'article 24 de la loi du 13 juillet 1972 font obstacle à ce que l'autorité administrative assortisse une telle décision d'une condition suspensive ou résolutoire ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, lorsqu'il est saisi d'une demande d'un militaire sollicitant le bénéfice de la protection prévue par ces dispositions statutaires, le ministre de la défense ne peut refuser d'y faire droit qu'en opposant, s'il s'y croit fondé au vu des éléments dont il dispose à la date de la décision, le caractère de faute personnelle des faits à l'origine des poursuites au titre desquelles la protection est demandée ; que, dans le cas où, à l'inverse, il a accordé la protection, il peut mettre fin à celle-ci pour l'avenir s'il constate postérieurement, sous le contrôle du juge, l'existence d'une faute personnelle ; qu'en revanche le caractère d'acte créateur de droits de la décision accordant la protection de l'Etat fait obstacle à ce qu'il puisse légalement retirer, plus de quatre mois après sa signature, une telle décision, hormis dans l'hypothèse où celle-ci aurait été obtenue par fraude ;
Considérant qu'en l'espèce, la décision du 30 mai 2005 par laquelle le ministre de la défense a retiré à M. A, à la suite du jugement du tribunal de grande instance de Marseille du 8 octobre 2004, le bénéfice de la protection qu'il lui avait accordée le 26 juillet 2001 a été prise à une date où, en l'absence de fraude, elle ne pouvait plus légalement intervenir ; que, contrairement à ce que soutient le ministre, cette décision de retrait n'a pas le caractère d'une mesure prise dans le cadre d'une action récursoire ; que, par suite, M. A est fondé à demander l'annulation de la décision du ministre confirmant, sur recours administratif préalable, le retrait de la décision du 26 juillet 2001 lui accordant le bénéfice de la protection de l'Etat et la demande de remboursement des sommes déjà exposées pour sa défense ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 30 mai 2005 du ministre de la défense est annulée.
Article 2 : L'Etat versera à M. A la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. André A et au ministre de la défense.