Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 novembre 2007 et 8 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Pierre A, domicilié ...; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 6 septembre 2007 du garde des sceaux, ministre de la justice, prononçant à son encontre la sanction de révocation sans suspension des droits à pension prévue par l'article 45-7° de l'ordonnance du 22 décembre 1958 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 27 septembre 2007 par lequel le Président de la République l'a rayé des cadres de la magistrature à compter du 7 septembre 2007 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 ;
Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Aurélie Bretonneau, Auditeur,
- les observations de Me Spinosi, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Spinosi, avocat de M. A ;
Considérant que M. A, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bayonne, demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 6 septembre 2007 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre la sanction de révocation sans suspension des droits à pension prévue par l'article 45-7° de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, ainsi que de la décision du 7 septembre 2007 par laquelle le Président de la République l'a rayé des cadres de la magistrature ;
Sur la légalité de la décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 6 septembre 2007 :
Considérant, en premier lieu, que lorsque le Conseil supérieur de la magistrature, dans sa formation compétente à l'égard des magistrats du parquet, est appelé à connaître, en vertu de l'avant-dernier alinéa de l'article 65 de la Constitution, de l'éventualité d'infliger une sanction disciplinaire, il ne dispose d'aucun pouvoir de décision et se borne à émettre un avis à l'autorité compétente sur le principe du prononcé d'une sanction disciplinaire et, s'il y a lieu, sur son quantum ; que, dès lors qu'un tel avis n'a pas le caractère d'une sanction, le moyen tiré de ce qu'il aurait été rendu en méconnaissance des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ne peut être utilement invoqué à l'appui d'un recours formé à son encontre ; que toutefois, sont opérants les moyens tirés de ce que le Conseil supérieur de la magistrature aurait statué dans des conditions qui ne respecteraient pas les principes d'impartialité et des droits de la défense ;
Considérant que si le Conseil supérieur ayant eu à émettre son avis sur le cas de M. A était, conformément à l'article 65 de la Constitution, présidé par le procureur général près la Cour de cassation, la seule circonstance que son avis ait été rendu alors qu'était pendant devant la Cour de cassation le pourvoi de M. A contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar rendu dans le cadre de la procédure pénale ayant trait aux mêmes faits que ceux pour lesquels l'intéressé était poursuivi disciplinairement n'est pas, par elle-même, de nature à établir que le Conseil supérieur de la magistrature aurait statué en méconnaissance du principe d'impartialité ; que si M. A n'a été informé que le 10 juin 2007 du fait qu'il serait entendu par le Conseil supérieur de la magistrature lors de sa séance du 10 juillet 2007, son conseil avait reçu communication du rapport du rapporteur de la formation disciplinaire le 24 mai 2007, et lui-même en avait reçu communication le 30 mai ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas bénéficié d'un délai suffisant pour préparer sa défense ou convoquer ses témoins ne peut qu'être écarté ; que si le requérant soutient que les éléments de preuve sur lesquels s'est fondé le Conseil supérieur de la magistrature ne lui ont pas été communiqués, il n'apporte aucune précision permettant d'apprécier le bien-fondé de cette allégation ;
Considérant, en deuxième lieu, que la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale ; que, par suite, y compris dans l'hypothèse où c'est à raison des mêmes faits que sont engagées parallèlement les deux procédures, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire ne méconnaît pas le principe de la présomption d'innocence en prononçant une sanction sans attendre que les juridictions répressives aient définitivement statué ;
Considérant, en troisième lieu, que la décision du 6 septembre 2007 comporte une motivation en droit et en fait révélant un examen complet des circonstances de l'espèce et une qualification juridique de ces faits ; que le garde des sceaux, ministre de la justice n'a pas renoncé à exercer le pouvoir d'appréciation qu'en application de la Constitution et de l'ordonnance du 22 décembre 1958 citée ci-dessus il lui appartient de mettre en oeuvre ; qu'il suit de là que M. A n'est pas fondé à soutenir que le garde des sceaux, ministre de la justice aurait méconnu l'étendue de sa compétence et entaché sa décision d'erreur de droit ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 43 de l'ordonnance citée ci-dessus du 22 décembre 1958 : Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire ; qu'aux termes de l'article 45 de la même ordonnance : Les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats sont : (...) 7°/ la révocation avec ou sans suspension des droits à pension et qu'aux termes de l'article 48 tel qu'il résulte de la loi organique du 18 janvier 1979 : Le pouvoir disciplinaire est exercé (...) à l'égard des magistrats du parquet (...) par le garde des sceaux, ministre de la justice ; qu'à ce titre, un magistrat se doit de respecter ses obligations professionnelles, mais aussi de s'abstenir de comportements qui, incompatibles avec l'exercice de ses fonctions, peuvent jeter sur elles le discrédit ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les faits constituant le fondement de l'action disciplinaire entreprise à l'encontre de M. A ont été, d'une part, que celui-ci, à l'occasion d'un déplacement professionnel pour participer à une conférence des procureurs généraux d'Europe en Allemagne, ayant trait à l'éthique, a dérobé à un fonctionnaire international présent une carte bancaire et l'a utilisée à deux reprises comme moyen de paiement dans un bar de nuit, d'autre part, au vu des résultats d'une enquête de l'Inspection générale des services judiciaires, que l'intéressé a fait preuve de nombreuses insuffisances professionnelles s'étant traduites par l'accumulation d'un retard considérable dans le traitement des affaires lui incombant, par l'abstention du traitement des plaintes relatives à des officiers ministériels, par l'absence de signalement de la disparition de sommes placées sous scellés dans le cadre d'une procédure pénale, ainsi par que de plusieurs vols commis dans les locaux du parquet, et par l'usage abusif des véhicules et du téléphone portable de service ; qu'eu égard à la gravité de ces faits, qui sont avérés, le garde des sceaux, ministre de la justice, n'a pas, en lui infligeant la révocation sans suspension des droits à pension, prononcé à son encontre une sanction disproportionnée ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 6 septembre 2007 ;
Sur les conclusions dirigées contre le décret du Président de la République :
Considérant que M. A se borne à soutenir que le décret du Président de la République le rayant des cadres doit être annulé par voie de conséquence de l'annulation de la décision du garde de sceaux, ministre de la justice, prononçant à son encontre la sanction de révocation sans suspension des droits à pension ; qu'il résulte de ce qui précède que ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. A d'une somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre A et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Une copie pour information en sera adressée au Premier ministre.