Vu la procédure suivante :
M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser une somme de 4 900 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de son incarcération au sein de la maison d'arrêt de Rouen. Par un jugement n° 1301400 du 27 janvier 2015, le tribunal administratif a rejeté la demande de M.B....
Par un pourvoi, enregistré le 26 mars 2015 au greffe de la cour d'appel de Douai, et un mémoire complémentaire, enregistré le 15 avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande d'indemnisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Pauline Jolivet, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. A...B...;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...a été incarcéré au sein de la maison d'arrêt de Rouen du 14 juillet 2011 au 14 septembre 2012. Après avoir vainement présenté au garde des sceaux, ministre de la justice une demande d'indemnisation, il a saisi le tribunal administratif de Rouen d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 4 900 euros en réparation du préjudice moral subi en raison de conditions de détention portant atteinte à la dignité humaine. Il se pourvoit en cassation à l'encontre du jugement du 27 janvier 2015 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Il résulte de l'article D. 189 du code de procédure pénale qu'" à l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale ". Aux termes de l'article D. 349 du même code : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ". Aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, d'une part, " les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et, d'autre part, " dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus ".
3. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires ainsi que la prévention de la récidive. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime.
4. En premier lieu, il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif s'est fondé, pour apprécier si les conditions de détention de M. B...caractérisaient ou non une atteinte à la dignité humaine, sur plusieurs éléments relatifs à la surface des cellules occupées par le détenu, au nombre de personnes partageant cet espace et à la configuration des locaux. Ce faisant, il n'a entaché son jugement d'aucune erreur de droit.
5. En deuxième lieu, le tribunal administratif a relevé, au terme d'une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, d'une part, qu'en dépit de la sur-occupation des cellules successivement occupées par le requérant, celui-ci n'avait jamais bénéficié d'un espace individuel inférieur à trois mètres carrés et, d'autre part, que dix-sept des dix-huit cellules qu'il a occupées avaient fait l'objet de travaux récents de rénovation, qui ont notamment permis de réaliser un cloisonnement partiel des toilettes. En déduisant de ces constatations que les conditions de détention de M. B...à la maison d'arrêt de Rouen n'avaient pas porté atteinte à la dignité humaine pendant la période correspondant à l'occupation de ces dix-sept cellules, le tribunal administratif de Rouen n'a pas entaché son jugement d'une inexacte qualification juridique des faits.
6. En revanche, et en troisième lieu, en relevant que M. B...avait été placé dans des conditions de détention ne respectant pas les règles prévues par les textes rappelés au point 2 lorsqu'il occupait la cellule 210 de la division 2 de la maison d'arrêt de Rouen mais en excluant tout préjudice subi du fait de la seule durée d'incarcération dans cette cellule limitée à quinze jours, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. En effet, ainsi qu'il est dit au point 3, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les conditions de détention caractérisent une atteinte à la dignité humaine, une telle atteinte est de nature à engendrer, par elle-même, pour la personne qui en est la victime, un préjudice moral qu'il incombe à l'Etat de réparer.
7. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque en tant seulement qu'il rejette sa demande d'indemnisation du préjudice moral subi du fait de l'occupation, pendant quinze jours, de la cellule 210 de la division 2 de la maison d'arrêt de Rouen.
8. Il n'y pas a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par M.B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 27 janvier 2015 du tribunal administratif de Rouen est annulé en tant qu'il rejette la demande d'indemnisation du préjudice moral subi par M. B...du fait de l'occupation, pendant quinze jours, de la cellule 210 de la division 2 de la maison d'arrêt de Rouen.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, au tribunal administratif de Rouen.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. B...est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au garde des sceaux, ministre de la justice.