Vu la procédure suivante :
L'union des fédérations de transport, la fédération nationale des transports routiers, la fédération nationale des transports de voyageurs, la chambre syndicale des entreprises de déménagement et garde de meubles, la fédération des entreprises de sécurité fiduciaire et la chambre nationale des services d'ambulances ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 7 septembre 2012 par laquelle le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville a reconnu l'organisation des transports routiers européens (OTRE) représentative dans le champ d'application de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport. Par une ordonnance du 23 décembre 2014, le président du tribunal administratif a transmis cette requête à la cour administrative d'appel de Paris. Par un arrêt n° 15PA00091 du 8 décembre 2016, la cour administrative d'appel a annulé cette décision.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire rectificatif et un mémoire en réplique, enregistrés le 15 décembre 2016, les 7 mars et 15 mai 2017 et le 10 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'organisation des transports routiers européens demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de l'union des fédérations de transport et autres ;
3°) de mettre à la charge de l'union des fédérations de transport et autres la somme de 2 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ;
- la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-François de Montgolfier, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, avocat de l'organisation des transports routiers européens et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'union des fédérations de transport et autres ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 octobre 2018, présentée par l'union des fédérations de transports et autres ;
1. Considérant que, sur renvoi par le tribunal administratif de Bordeaux de la requête de l'union des fédérations de transport et de cinq autres requérants représentant des entreprises de transport routier, la cour administrative d'appel de Paris a, par l'arrêt attaqué du 8 décembre 2016, annulé la décision du 7 septembre 2012 par laquelle le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville a reconnu l'organisation des transports routiers européens (OTRE) représentative dans le champ d'application de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport ; que, pour annuler cette décision, la cour a retenu deux motifs d'illégalité tirés, d'une part, de ce que l'organisation requérante ne remplissait pas le critère de transparence financière et, d'autre part, de ce qu'elle ne remplissait pas non plus le critère d'implantation territoriale équilibrée ; que l'OTRE se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il se fonde sur le critère de transparence financière :
2. Considérant, d'une part, que jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale, la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs était appréciée selon les critères prévus par les dispositions du code du travail applicables à la représentativité des organisations syndicales de salariés ; que l'article L. 2121-1 de ce code disposait, à ce titre, que la représentativité était déterminée d'après plusieurs critères cumulatifs, au nombre desquels figurait la " transparence financière " ; que ce critère a, d'ailleurs, été ultérieurement repris par l'article L. 2151-1 du même code issu de la loi du 5 mars 2014 ;
3. Considérant, d'autre part, que l'article L. 2135-1 du code du travail, issu de la loi du 20 août 2008 sur la rénovation de la démocratie sociale et la réforme du temps de travail, dispose que ces mêmes organisations professionnelles d'employeur sont soumises aux obligations comptables définies à l'article L. 123-12 du code de commerce et tenues, à ce titre, à l'enregistrement chronologique de leurs mouvements comptables ; qu'il précise toutefois que : " Lorsque leurs ressources annuelles n'excèdent pas un seuil fixé par décret, [elles] peuvent adopter une présentation simplifiée de leurs comptes avec la possibilité de n'enregistrer leurs créances et leurs dettes qu'à la clôture de l'exercice " ; que l'article L. 1235-6 du même code dispose : " Les syndicats professionnels ou d'employeurs, leurs unions et les associations de salariés ou d'employeurs mentionnés à l'article L. 2135-1 dont les ressources dépassent un seuil fixé par décret sont tenus de nommer au moins un commissaire aux comptes et un suppléant " ; que l'article D. 2135-9 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " Les syndicats professionnels de salariés ou d'employeurs et leurs unions, et les associations de salariés ou d'employeurs mentionnés à l'article L. 2135-1 sont tenus de désigner au moins un commissaire aux comptes et un suppléant lorsque leurs ressources dépassent 230 000 euros à la clôture d'un exercice " ; qu'enfin l'article D. 2135-7 prévoit que : " Les syndicats professionnels de salariés ou d'employeurs et leurs unions, et les associations de salariés ou d'employeurs mentionnés à l'article L. 2135-1 dont les ressources au sens de l'article D. 2135-9 sont égales ou supérieures à 230 000 euros à la clôture d'un exercice assurent la publicité de leurs comptes et du rapport du commissaire aux comptes sur le site internet de la direction de l'information légale et administrative (...) " ; que, d'une part, le respect de l'obligation de publicité des comptes fixée par ces dernières dispositions doit être regardé, pour les organisations qu'elles concernaient, comme une des conditions à remplir pour répondre au critère de transparence financière requis, ainsi qu'il a été dit au point précédent, pour établir leur représentativité, sauf à ce qu'elles puissent faire état de l'accomplissement de cette obligation de publicité par des mesures équivalentes ; que, d'autre part, l'obligation de désigner au moins un commissaire aux comptes et de publier son rapport, en application des articles D. 2135-7 et D. 2135-9 cités ci-dessus, doit être regardée comme s'imposant à compter de l'exercice qui suit celui à la clôture duquel est dépassé le seuil de ressources qu'ils prévoient ;
4. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que, pour juger que l'OTRE ne satisfaisait pas au critère de transparence financière prévu par l'article L. 2121-1 du code du travail, la cour administrative d'appel de Paris s'est fondée sur la méconnaissance, par cette organisation, des dispositions de l'article D. 2135-7 du code du travail cité ci-dessus ; qu'elle a retenu que les comptes de l'organisation pour l'année 2011 avaient fait apparaître, pour la première fois, des ressources supérieures à 230 000 euros à la clôture de l'exercice, sans que ces comptes aient fait l'objet d'une certification par un commissaire aux comptes ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'elle a, ce faisant, commis une erreur de droit ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il se fonde sur le critère de représentation territoriale :
5. Considérant qu'à la date de la décision attaquée, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2014 déjà mentionnée ci-dessus, la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs dans une branche professionnelle devait être notamment appréciée selon les critères prévus, pour les organisations syndicales de salariés, par les dispositions de l'article L. 2122-5 du code du travail issu de la loi du 20 août 2008 mentionnée ci-dessus, aux termes desquelles : " Dans les branches professionnelles, sont représentatives les organisations syndicales qui / (...) 2° Disposent d'une implantation territoriale équilibrée au sein de la branche (...) " ; que ce critère a, d'ailleurs, été ultérieurement repris par l'article L. 2152-1 du même code issu de la loi du 5 mars 2014 ;
6. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que, pour juger que l'OTRE ne disposait pas d'une implantation territoriale équilibrée au sein de la branche, la cour administrative d'appel a retenu que " les éléments produits par l'OTRE font apparaître que 19,5 % de ses adhérents sont concentrés en Aquitaine qui ne représente que 5,4 % des établissements de la branche, en Nord Pas-de-Calais Picardie pour 14,66 % alors que le seul Nord ne représente que 6,1 % des établissements et que la région Rhône-Alpes qui est la deuxième région de plus forte implantation des établissements de la branche ne compte que 3,91 % de ses adhérents " ; qu'en se fondant ainsi sur une différence de répartition territoriale entre les entreprises adhérentes à l'OTRE et l'ensemble des entreprises de la branche, alors qu'il lui appartenait seulement de s'assurer que les entreprises adhérentes à l'OTRE étaient présentes de manière significative sur l'ensemble du territoire national, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'erreur de droit ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, l'OTRE est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2121-2 du code du travail : " S'il y a lieu de déterminer la représentativité d'un syndicat ou d'une organisation professionnelle autre que ceux affiliés à l'une des organisations représentatives au niveau national, l'autorité administrative diligente une enquête " ; qu'il appartient au ministre du travail d'apprécier, suivant la procédure définie par cet article et dans le respect des critères définis par la loi, la représentativité d'une organisation syndicale d'employeurs ou de salariés notamment lorsqu'en application de l'article L. 2261-20 du code du travail, il détermine la composition d'une commission mixte dont il provoque la réunion ;
10. Considérant que, d'une part, contrairement à ce que soutiennent l'union des fédérations de transport et autres, le ministre chargé du travail était compétent pour se prononcer, par la décision attaquée, sur la représentativité de l'OTRE dans le champ de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport, en vue de déterminer si elle devait être invitée à participer aux négociations en cours dans cette branche ; que, d'autre part, il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré de ce que le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville aurait, avant de prendre la décision litigieuse, omis de procéder à l'enquête prévue par ces dispositions, manque en fait ;
11. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2122-5 du code du travail, applicable, ainsi qu'il a été dit, à la mesure de la représentativité des organisations d'employeurs à la date de la décision litigieuse : " Dans les branches professionnelles, sont représentatives les organisations syndicales qui : / 1° Satisfont aux critères de l'article L. 2121-1 ; / 2° Disposent d'une implantation territoriale équilibrée au sein de la branche (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 2121-1 du code du travail, également applicable à la décision litigieuse : " La représentativité des organisations syndicales est déterminée d'après les critères cumulatifs suivants : (...) 3° La transparence financière ; / 4° Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s'apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ; / (...) 6° L'influence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience ; / 7° Les effectifs d'adhérents et les cotisations " ;
En ce qui concerne les effectifs et la répartition des adhérents :
12. Considérant, en premier lieu, que l'OTRE soutenait pouvoir faire état, au 31 mars 2012, de 2 810 entreprises adhérentes, employant 48 000 salariés, sur les 640 264 salariés des 37 043 entreprises de la branche ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que ces chiffres seraient, ainsi que le soutiennent les requérantes, altérés de manière significative en raison d'entreprises comptabilisées à tort parmi les adhérents ; que, par suite, en estimant que l'OTRE représentait 7,5 % des entreprises de la branche, le ministre chargé du travail n'a pas entaché sa décision d'inexactitude matérielle ;
13. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, l'OTRE disposait de structures régionales réparties sur l'ensemble du territoire ; que si plus de la moitié de ses adhérents était localisée dans les régions Aquitaine, Nord-Pas-de-Calais, Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Midi-Pyrénées, elle était également représentée, de manière significative, dans l'ensemble des régions métropolitaines ; qu'en outre, les quatre premières de ces régions sont au nombre des cinq régions métropolitaines où sont implantés plus de la moitié des établissements de la branche ; que, par suite, le ministre a pu légalement estimer que la représentativité de l'OTRE au sein de la branche était territorialement équilibrée ;
14. Considérant, enfin, que la circonstance que la majeure partie des adhérents de l'OTRE exercent leur activité dans le secteur du transport de marchandises, lequel représente au demeurant plus de la moitié des entreprises exerçant au sein de cette branche, est par elle-même sans incidence sur sa représentativité au sein de la branche ;
En ce qui concerne la transparence financière :
15. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit plus haut, il ressort des pièces du dossier que les ressources de l'OTRE n'ont excédé le seuil de 230 000 euros qu'à la clôture de l'exercice de l'année 2011 ; que les requérantes ne peuvent, par suite, utilement invoquer, au soutien de leur moyen tiré de ce que le critère de transparence financière ne serait pas satisfait, la circonstance que les comptes de l'année 2011 n'ont pas été certifiés par un commissaire aux comptes ;
16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'union des fédérations de transport et autres ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision du 7 septembre 2012 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ;
17. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'OTRE, qui n'est pas la partie perdante dans la présence instance, la somme que demande, à ce titre, l'union des fédérations de transport et autres ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'union des fédérations de transport, de la fédération nationale des transports routiers, de la fédération nationale des transports de voyageurs, de la chambre syndicale des entreprises de déménagement et garde de meubles, de la fédération des entreprises de sécurité fiduciaire et de la chambre nationale des services d'ambulances la somme de 800 euros à verser, chacune, à l'OTRE au titre de ces mêmes dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 8 décembre 2016 est annulé.
Article 2 : La demande de l'union des fédérations de transport et autres et rejetée.
Article 3 : L'union des fédérations de transport, la fédération nationale des transports routiers, la fédération nationale des transports de voyageurs, la chambre syndicale des entreprises de déménagement et garde de meubles, la fédération des entreprises de sécurité fiduciaire et la chambre nationale des services d'ambulances verseront, chacune, une somme de 800 euros à l'organisation des transports routiers européens au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'union des fédérations de transport et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'organisation des transports routiers européens et à l'union des fédérations de transports, premier défendeur dénommé pour l'ensemble des défendeurs.
Copie en sera adressée à la ministre du travail.