Cour constitutionnelle
Arrêt n° 170/2023
du 14 décembre 2023
Numéro du rôle : 7841
En cause : le recours en annulation des articles 28 et 60, alinéa 4, de la loi du 21 janvier 2022 « portant des dispositions fiscales diverses », introduit par Sylvia Abels et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters et E. Bribosia, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 23 juillet 2022 et parvenue au greffe le 26 juillet 2022, un recours en annulation des articles 28 et 60, alinéa 4, de la loi du 21 janvier 2022 « portant des dispositions fiscales diverses », (publiée au Moniteur belge du 28 janvier 2022, erratum au Moniteur belge du 7 mars 2022) a été introduit par Sylvia Abels, Claudia De Vlieger, Johannes Engels, Dick Galle, Marcel Gielis, Jozef Gorissen, Johannes Groeneveld, Ernest Groensmit, Richard Nibbrig, Andreas Hendriks, Frank Hiemstra, Gerlach Hofmann, Gijsbreght Jansen, Herman Lauwerysen, Johann Lebacq, Sioe Liem, Albert Lippens, Johan Muys, Martine Peetermans, Jozef Pelgrims, Maria Philips, Paul Put, Anton Renting, Noebar Sipaan, Jozef Sleeckx, Franciscus Sweerts, Joseph Van Dierendonck, Matheus Van Hugten, Johannes Van Laarhoven, Aart Vrijlandt, Agnes Jonkman et Dionys Willems, assistés et représentés par Me C. Hendrickx, avocat au barreau de Bruxelles.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par A. Lauwens et S. Dedeli, conseillers au SPF Finances, a introduit un mémoire, les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réplique.
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Par ordonnance du 20 septembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs D. Pieters et E. Bribosia, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 4 octobre 2023 et l’affaire mise en délibéré.
À la suite de la demande des parties requérantes à être entendues, la Cour, par ordonnance du 4 octobre 2023, a fixé l'audience au 8 novembre 2023.
À l'audience publique du 8 novembre 2023 :
- ont comparu :
. Me C. Hendrickx, pour les parties requérantes;
. la conseillère A. Lauwens, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs D. Pieters et E. Bribosia ont fait rapport;
- les parties précitées ont été entendues;
- l'affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
A.1.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par les articles 28 et 60, alinéa 4, de la loi du 21 janvier 2022 « portant des dispositions fiscales diverses » (ci-après : la loi du 21 janvier 2022), des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-rétroactivité des lois, avec le principe de la sécurité juridique et avec l’article 2 de l’ancien Code civil, en ce que l’article 60, alinéa 4, dispose que l’article 28 est applicable à partir de l’exercice d’imposition 2022, alors que la loi du 21 janvier 2022 n’a été publiée au Moniteur belge que le 28 janvier 2022.
A.1.2. Le Conseil des ministres confirme que la loi attaquée est rétroactive pour l’exercice d’imposition 2022. Cependant, cette rétroactivité est absolument nécessaire pour réaliser un objectif d’intérêt général, à savoir la mise en œuvre d’une fiscalité équitable. Les parties requérantes ne sont au demeurant pas lésées dans leurs attentes, dès lors que le point de vue de l’administration n’a jamais varié. La jurisprudence des cours et tribunaux est manifestement erronée, si bien qu’une adaptation rétroactive s’impose afin de garantir la sécurité juridique. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres demande de limiter une éventuelle annulation à l’exercice d’imposition 2022.
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En ce qui concerne le deuxième moyen
A.2.1. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation, par l’article 28 de la loi du 21 janvier 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-rétroactivité des lois, avec le principe de la sécurité juridique et avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. Elles reprochent à la disposition attaquée d’entraîner une double imposition. Les cotisations versées jusqu’à 2004 étaient jusqu’alors qualifiées d’avantages imposables de toute nature. Les parties requérantes estiment que le fait de rendre désormais également imposables les allocations de pension résultant de ces primes entraîne une double imposition. Selon elles, la disposition attaquée s’apparente à une tentative d’introduire tout de même, par une voie détournée, l’interprétation rétroactive adoptée par l’administration relativement à l’article 34, § 1er, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992, interprétation qui a été censurée par la jurisprudence à tous les échelons, Cour de cassation comprise.
A.2.2. Selon le Conseil des ministres, il n’est nullement question de double imposition, puisque le caractère imposable des primes initiales était purement théorique. En pratique, il s’agit simplement d’éviter une situation de double non-imposition. La disposition attaquée ne porte pas une atteinte injustifiée au droit des parties requérantes au respect de leurs biens.
En ce qui concerne le troisième moyen
A.3.1. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par l’article 28 de la loi du 21 janvier 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-rétroactivité des lois, avec le principe de la sécurité juridique et avec l’article 26 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969
sur le droit des traités. Elles estiment en effet qu’en matière de pensions complémentaires, la disposition attaquée a pour conséquence de mettre hors-jeu l’article 18, paragraphe 2, de la Convention du 5 juin 2001 entre le Royaume de Belgique et le Royaume des Pays-Bas tendant à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (ci-après : la Convention belgo-néerlandaise préventive de la double imposition).
A.3.2. Le Conseil des ministres répond que la disposition attaquée ne modifie en rien le contenu de l’article 18 de la Convention belgo-néerlandaise préventive de la double imposition. Le fait qu’il puisse être fait moins ou davantage application de l’article 18, paragraphe 2, de la Convention précitée n’y change rien.
En ce qui concerne le quatrième moyen
A.4.1. Les parties requérantes prennent un quatrième moyen de la violation, par l’article 28 de la loi du 21 janvier 2022, des articles 10, 11 et 172 de la Constitution. Dans une première branche, elles reprochent à la disposition attaquée de faire naître une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui bénéficient d’une pension complémentaire néerlandaise relevant du deuxième pilier, selon que cette pension a été constituée pour le compte d’au moins deux travailleurs affiliés, anciens travailleurs ou ayants droit. Dans la seconde branche, les parties requérantes critiquent le fait que les personnes qui bénéficient d’une allocation de pension sur la base d’une pension complémentaire collective néerlandaise sont toutes traitées de manière identique, bien que les pensions versées dans le cadre du « nettopensioenregeling » (régime néerlandais de retraite complémentaire financé par des primes calculées sur une partie du montant net des hauts salaires) relèvent d’une situation fiscale différente.
A.4.2. Selon le Conseil des ministres, l’objectif de la disposition attaquée est précisément de garantir aux résidents belges l’égalité de traitement entre les bénéficiaires de pensions complémentaires belges et les bénéficiaires de pensions étrangères qui sont constituées pratiquement de la même manière. C’est la raison pour laquelle le caractère collectif de l’engagement de pension a été introduit comme facteur déterminant. Le « nettopensioenregeling » est tout à fait comparable à une prime individuelle d’assurance-vie; sur ce point, il n’est nullement problématique d’opérer un traitement identique.
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-B-
Quant aux dispositions attaquées
B.1.1. Les parties requérantes sont toutes des résidents belges qui perçoivent une pension complémentaire constituée au cours de leur occupation aux Pays-Bas chez un employeur néerlandais. Le régime fiscal applicable aux pensions complémentaires qui leur sont versées est déterminé, d’une part, par le Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992) et, d’autre part, par la Convention du 5 juin 2001 entre le Royaume de Belgique et le Royaume des Pays-Bas tendant à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (ci-après : la Convention belgo-néerlandaise préventive de la double imposition).
B.1.2. L’article 39, § 2, 2°, a), du CIR 1992, avant sa modification par l’article 77 de la loi du 28 avril 2003 « relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale » (ci-après : la loi du 28 avril 2003), dispose que les pensions sont exonérées de l’impôt sur les revenus dans l’éventualité où elles résultent d’un contrat individuel d’assurance-vie et qu’aucune réduction d’impôt n’a été accordée antérieurement. Le raisonnement sous-jacent est que lorsque les cotisations qui ont donné lieu à une telle pension ont été taxées, elles ne sont pas imposées au titre de revenus au moment du versement de la prestation (CJCE, 28 janvier 1992, C-204/90, H.-M. Bachmann, ECLI:EU:C:1992:35, points 21 et 22).
B.1.3. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui se fonde à cet égard sur la circulaire Ci.RH.241/240.482 du 31 mars 1969, le régime fiscal des allocations d’une pension constituée aux Pays-Bas doit être déterminé en identifiant d’abord le traitement fiscal des cotisations, si elles avaient été imposées en Belgique. Les pensions ainsi constituées sont considérées comme « résultant d’un contrat d’assurance-vie individuel » lorsqu’au moment de leur paiement, les cotisations patronales sont versées au seul bénéfice définitif du travailleur, c’est-à-dire selon le critère des « droits définitivement acquis » (voy. entre autres Cass., 11 avril 2002, F.00.0078.N, ECLI:BE:CASS:2002:ARR.20020411.26; 12 novembre 2009, F.08.0019.N, ECLI:BE:CASS:2009:ARR.20091112.16; 14 janvier 2011, F.09.0105.N, ECLI:BE:CASS:2011:ARR.20110114.2). Concernant la situation spécifique des pensions
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complémentaires constituées aux Pays-Bas, les cotisations étaient soumises à l’époque au régime d’imposition néerlandais, de sorte que, naturellement, aucune exonération au sens de l’article 39, § 2, 2°, a), du CIR 1992 n’a été effectuée en Belgique. Par conséquent, les pensions complémentaires constituées aux Pays-Bas mais versées en Belgique qui satisfont au critère des droits définitivement acquis sont exonérées de l’impôt sur les revenus.
B.1.4. Cependant, l’article 77 de la loi du 28 avril 2003 a complété l’article 39, § 2, 2°, du CIR 1992 par l’ajout d’un littera d), qui a pour effet que les pensions résultant d’un contrat individuel d’assurance-vie ne relèvent pas de l’exonération lorsqu’elles sont constituées en tout ou en partie au moyen de cotisations patronales ou de cotisations de l’entreprise. Cette condition supplémentaire était le pendant de l’exonération d’impôt introduite par la même loi du 28 avril 2003 dans l’article 38 du CIR 1992, en ce qui concerne les avantages résultant, pour les travailleurs qui recueillent des rémunérations visées à l’article 30, 1°, du CIR 1992, du paiement de cotisations et de primes patronales visées à l’article 52, 3°, b), du CIR 1992, à condition, lorsqu’il s’agit d’un engagement individuel, qu’il existe aussi auprès de l’employeur un engagement collectif accessible aux travailleurs ou à une catégorie spécifique de ceux-ci de manière identique et non discriminatoire.
Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, il résulte de la connexité de l’article 34, § 1er, 2°, b), du CIR 1992 avec l’article 38, § 1er, 18°, et avec l’article 39, § 2, 2°, du même Code que le versement d’une pension ou rente de pension qui est fondée sur un engagement conclu avant le 1er janvier 2004 et qui est constituée en tout ou en partie au moyen de cotisations patronales versées à partir du 1er janvier 2004 est imposable au taux progressif dans la mesure où cette pension est constituée par des cotisations patronales payées à partir du 1er janvier 2004 (voy. entre autres Cass., 21 septembre 2018, F.15.0150.N, ECLI:BE:CASS:2018:ARR.20180921.3; 27 janvier 2023, F.21.0075.N, ECLI:BE:CASS:2023:ARR.20230127.1N.9). Cela étant, l’administration fiscale est invariablement en désaccord avec cette jurisprudence et estime que les allocations basées sur des cotisations versées avant le 1er janvier 2004 doivent, elles aussi, être imposées au taux progressif (réponse du 21 avril 2021 à la question n° 275, Bulletin des questions et réponses écrites, Chambre, 2020-2021, n° 48, pp. 159 et 160).
B.1.5. La question de savoir si une pension ainsi constituée est intégralement ou partiellement imposée au taux progressif a son importance dans le cadre de l’application de la
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Convention belgo-néerlandaise préventive de la double imposition. L’article 18, paragraphe 1, a), de cette Convention prévoit une imposition dans l’État de résidence pour les pensions et autres rémunérations similaires payées à un résident d’un État contractant au titre d’un emploi antérieur ainsi que pour les rentes et allocations – périodiques ou non – provenant de l’épargne-pension, de fonds de pension et d’assurances de groupe.
Le paragraphe 2 contient une exception à cette règle et octroie également à l’État de la source, c’est-à-dire l’État d’où proviennent les éléments de revenu précités, un droit d’imposer les éléments de revenu précités si et pour autant que les conditions cumulatives suivantes soient réunies :
- la constitution des revenus en question a bénéficié, dans l’État de la source, d’« avantages fiscaux », ce qui implique que le droit à la pension dans l’État de la source a été constitué en exemption d’impôt ou que les cotisations ont fait l’objet d’avantages fiscaux dans l’État de la source;
- les revenus en question ne sont pas taxés, dans l’État de résidence du bénéficiaire, au taux d’imposition généralement applicable aux revenus de professions non-indépendantes, ou moins de 90 % du montant brut des revenus en question est soumis à l’impôt dans l’État de résidence;
- le montant brut total des revenus en question excède, au cours de l’année civile, un montant de 25 000 euros.
B.1.6. Il ressort de la requête et du mémoire des parties requérantes, et en particulier du troisième moyen, que les cotisations qui ont été versées avant 2004 dans le cadre de leur pension complémentaire aux Pays-Bas ont à l’époque bénéficié d’avantages fiscaux aux Pays-Bas.
Selon les parties requérantes, les allocations résultant de ces pensions satisfont en effet à la condition prévue à l’article 18, paragraphe 2, a), de la Convention belgo-néerlandaise préventive de la double imposition. La question de savoir si ces allocations sont imposées ou non au taux progressif en Belgique (la condition prévue à l’article 18, paragraphe 2, b)) est donc essentielle pour déterminer la compétence d’imposition. De même qu’est pertinente la question de savoir si les allocations sont imposées intégralement ou non au taux progressif, dès lors que l’administration néerlandaise, ainsi qu’une certaine jurisprudence néerlandaise, interprète l’article 18, paragraphe 2, de la Convention précitée en ce sens que, lorsque les conditions sont
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remplies, la compétence d’imposition revient à l’État de la source pour l’intégralité de la pension (Gerechtshof ‘s-Hertogenbosch, 1er février 2023, nos 21/00618, 21/00619 et 21/00621, ECLI:NL:GHSHE:2023:466).
B.1.7. Les parties requérantes demandent l’annulation des articles 28 et 60, alinéa 4, de la loi du 21 janvier 2022 « portant des dispositions fiscales diverses » (ci-après : la loi du 21 janvier 2022). L’article 28 de cette loi complète l’article 39, § 2, du CIR 1992 par un deuxième et un troisième alinéa :
« Les revenus visés à l’alinéa 1er, 2°, ne comprennent pas les revenus qui résultent de pensions, de pensions complémentaires, de capitaux, de rentes et de valeurs de rachat, qui sont constitués dans le cadre d’un régime de pension, étranger ou non, que l’affilié ait ou non accédé individuellement au régime de pension et que la constitution de la pension, des capitaux ou des rentes ait lieu ou non au profit permanent et exclusif de l’affilié.
Pour l’application du présent article, on entend par régime de pension, un engagement collectif de pension d’un employeur pour lequel des fonds sont collectés et gérés dans un organisme de pension ou un fonds de pension interne pour ou par les employeurs pour le compte d’au moins deux travailleurs affiliés, anciens travailleurs ou leurs ayants droit, en vue de la distribution d’une pension, d’un capital ou d’une rente, et qui est régi par un régime applicable de façon commune à tous les travailleurs affiliés et, le cas échéant, à leurs ayants droit, répartis ou non en différentes catégories ».
L’article 60, alinéa 4, de la loi du 21 janvier 2022 dispose :
« L’article 28 est applicable à partir de l’exercice d’imposition 2022 ».
B.1.8. Il ressort des travaux préparatoires que ces dispositions s’inscrivent dans le cadre de la question, exposée en B.1.1 à B.1.6, relative au caractère imposable des pensions complémentaires étrangères, et en particulier des pensions qui ont été constituées aux Pays-
Bas :
« Cette disposition ne fait que clarifier les incohérences entre les régimes de pension étrangers et nationaux, ce qui entraîne une perte de recettes fiscales pour l’étranger.
Il est inutile de préciser qu’il n’est pas toujours simple d’appliquer les règles fiscales belges aux régimes de pension étrangers. Dans la pratique, cela a mené à différentes interprétations et incertitudes. Le risque s’accroît que l’imposition des pensions complémentaires belges soit remise en question étant donné que les pensions étrangères, qui sont constituées pratiquement de la même manière, sont traitées différemment. La même chose vaut pour les pensions des
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organisations internationales. Il s’agit des conséquences d’une interprétation de l’article 39, § 2, 2°, CIR 92 que le législateur n’a jamais souhaitée.
L’exemple le plus connu de la problématique précitée est le traitement fiscal des pensions d’un employeur néerlandaises qui sont octroyées à des Néerlandais venus habiter en Belgique ou à des Belges qui ont travaillé aux Pays-Bas et y ont constitué une pension complémentaire.
La jurisprudence considère structurellement que les régimes de pension à caractère individuel [lire : collectif] sont des assurances-vie qui tombent sous l’exception de l’article 39, § 2, 2°, CIR 92. Cependant, ces pensions collectives sont des pensions complémentaires régulées par exemple par CCT, sont l’objet de grèves et sont soumises à des règlements qui valent pour tous les travailleurs d’une entreprise. L’idée que des pensions collectives doivent être fiscalement considérées comme ‘ individuelles ’ car la personne adhère au régime en tant qu’individu, va à l’encontre du principe selon lequel le droit fiscal respecte le droit commun, à moins qu’il n’y déroge. Et il n’est pas question ici d’une dérogation. En d’autres termes, l’intention ici n’est pas de catégoriser des pensions étrangères du deuxième pilier en tant que pensions du troisième pilier. Ces dernières n’ayant en effet pas de rapport avec l’employeur ou avec un caractère collectif. Le présent article a comme but de préciser que l’exception de l’article 39, § 2, 2°, CIR 92 ne peut causer aucune discrimination sur base de l’origine étrangère ou belge : lorsque les principes de la pension du deuxième pilier sont respectés, les règles qui valent pour ce deuxième pilier seront applicables de la même façon aux sommes en question, indépendamment de savoir si elles sont d’origine étrangère ou belge.
Les revenus des fonds de pension collectifs ont toujours été imposables en tant que pension complémentaire au sens de l’article 34, CIR 92.
D’un point de vue du droit commun, une distinction nette est faite entre les engagements de pension individuels et collectifs. Il ne convient pas de qualifier fiscalement des pensions collectives étrangères en tant qu’assurances-vie individuelles, cela supposerait une dérogation fiscale, alors que la loi ne le prescrit pas.
Entre-temps, cette problématique continue de se propager. En plus des pensions complémentaires d’autres pays, les pensions des institutions internationales avec lesquelles la Belgique a un accord de siège sont exonérées. Ces derniers fonds de pension (comme l’United Nations Joint Staff Pension Fund, pour lequel aucun impôt interne sur le revenu n’est même prélevé sur le revenu) ont eux-mêmes plus le caractère d’une pension légale (c.-à-d. du premier pilier) que du deuxième pilier, car ils remplacent la pension légale d’un pays. Cette piste n’est plus justifiable vis-à-vis des contribuables qui travaillent et/ou entreprennent ici, et qui constituent une pension ici et paient des impôts dessus. Ils sont en effet désavantagés, ce qui rend notre économie belge [moins] attractive pour les travailleurs, ce qui n’était pas du tout l’objectif.
Au moyen du présent projet, la discussion et problématique d’inégalité fiscale et d’insécurité juridique susvisée est désormais définitivement réglée. Il est explicitement prévu que les pensions provenant d’un engagement collectif de pension d’un employeur pour lequel des fonds sont collectés et gérés dans un organisme de pension ou un fonds de pension interne pour ou par les employeurs pour le compte d’au moins deux affiliés ou leurs ayants droit, en vue de la distribution d’une pension, d’un capital ou d’une rente, et qui est régi par un régime
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applicable de façon commune à tous les affiliés et, le cas échéant, à leurs ayants droit, répartis ou non en différentes catégories, ne tombent pas sous l’application de l’article 39, § 2, 2°, CIR 92 car elles ne peuvent jamais être constitutives d’une assurance-vie individuelle.
Naturellement, le présent article n’a pas pour conséquence que, par le biais de la présente disposition nationale, il soit porté d’une quelconque façon atteinte au principe repris dans les conventions préventives de la double imposition, selon lequel le pouvoir d’imposition incombe à un seul des pays contractants dans des situations transfrontalières. Conformément à la hiérarchie des normes juridiques, la présente disposition ne porte pas préjudice à l’application de ces conventions ni au principe que la double imposition éventuelle est rendue impossible en vertu de ces conventions » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2351/003, pp. 9-11).
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.2.1. Le premier moyen est pris de la violation, par les articles 28 et 60, alinéa 4, de la loi du 21 janvier 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-rétroactivité des lois, avec le principe de la sécurité juridique et avec l’article 2 de l’ancien Code civil, en ce que l’article 60, alinéa 4, dispose que l’article 28 est applicable à partir de l’exercice d’imposition 2022, alors que la loi du 21 janvier 2022 n’a été publiée au Moniteur belge que le 28 janvier 2022.
B.2.2. Une règle de droit fiscal ne peut être qualifiée de rétroactive que si elle s’applique à des faits, actes et situations qui étaient définitifs au moment où elle est entrée en vigueur.
En matière d’impôts sur les revenus, la dette d’impôt naît définitivement à la date de clôture de la période au cours de laquelle les revenus qui constituent la base d’imposition ont été acquis, c’est-à-dire la période imposable.
Par conséquent, toutes les modifications qui ont été apportées aux dispositions régissant l’impôt sur les revenus avant la fin de la période imposable peuvent être appliquées sans qu’elles puissent être réputées avoir un effet rétroactif.
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B.2.3. La loi du 21 janvier 2022 a été publiée au Moniteur belge du 28 janvier 2022.
Il s’ensuit qu’en rendant l’article 28 applicable à partir de l’exercice d’imposition 2022, soit après la fin de la période imposable relative aux revenus de 2021, l’article 60, alinéa 4, de la loi du 21 janvier 2022 règle des situations fiscales dont les conditions de taxation pouvaient être considérées comme définitivement déterminées. Le Conseil des ministres le confirme dans ses mémoires.
B.2.4. La rétroactivité de dispositions législatives, qui est de nature à créer une insécurité juridique, ne peut se justifier que par des circonstances particulières, notamment lorsqu’elle est nécessaire pour réaliser un objectif d’intérêt général.
B.2.5. La rétroactivité de l’article 28 de la loi du 21 janvier 2022 n’est pas justifiée dans les travaux préparatoires. Il semble au contraire pouvoir être déduit de ces travaux que le législateur n’envisageait expressément aucune rétroactivité :
« Le nouveau régime relatif aux pensions étrangères et aux pensions des organisations internationales, inséré par l’article 24/1, est applicable à partir de l’exercice d’imposition 2022.
Désormais, la qualification dans les faits de tels fonds de pension collectifs en tant qu’assurances-vie individuelles au sens de l’article 39, § 2, 2°, CIR 92, est illégale.
En outre, l’État belge reste lié par les clauses de taxation effective dans les conventions préventives de la double imposition. Si la pension n’est pas suffisamment imposée en droit belge, les autorités étrangères peuvent, le cas échéant, exercer leurs droits d’imposition aux conditions prévues » (ibid., p. 45).
Ainsi, l’article 60, alinéa 4, de la loi du 21 janvier 2022 porte atteinte, sans qu’il puisse exister une justification raisonnable, à la garantie de sécurité juridique.
La justification apportée dans le mémoire du Conseil des ministres, selon laquelle la rétroactivité serait absolument nécessaire pour réaliser une fiscalité équitable et pour mettre fin à une jurisprudence qui compromettrait la sécurité juridique, ne permet pas d’aboutir à une autre conclusion.
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Le premier moyen est fondé.
B.2.6. L’article 60, alinéa 4, de la loi du 21 janvier 2022 doit être annulé.
En ce qui concerne le deuxième moyen
B.3.1. Le deuxième moyen est pris de la violation, par l’article 28 de la loi du 21 janvier 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-
rétroactivité des lois, avec le principe de la sécurité juridique et avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : le Premier Protocole additionnel). Les parties requérantes reprochent à la disposition attaquée d’entraîner une double imposition.
B.3.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.3.3. L’article 1er du Premier Protocole additionnel dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
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B.3.4. L’article 1er du Premier Protocole additionnel offre une protection non seulement contre une expropriation ou une privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase) mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase). Un impôt ou une autre contribution ou amende constituent, en principe, une ingérence dans le droit au respect des biens.
B.3.5. L’article 1er, second alinéa, du Premier Protocole additionnel dispose que la protection du droit de propriété « ne [porte] pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 1er, deuxième alinéa, du Premier Protocole additionnel doit être interprété à la lumière de la première phrase du premier alinéa.
L’ingérence dans le droit au respect des biens n’est compatible avec ce droit que si elle est raisonnablement proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire si elle ne rompt pas le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et celles de la protection de ce droit (CEDH, 23 février 1995, Gasus Dosier- und Fördertechnik c. Pays-Bas, ECLI:CE:ECHR:1995:0223JUD001537589, § 62; 16 avril 2002, S.A. Dangeville c. France, ECLI:CE:ECHR:2002:0416JUD003667797).
B.4.1. En ce qu’il est fondé sur la thèse des parties requérantes selon laquelle l’article 28 revêt de facto un effet rétroactif, le deuxième moyen ne peut être accueilli. La disposition attaquée n’a pas non plus d’incidence sur les litiges pendants, en particulier à la lumière de l’annulation de l’article 60, alinéa 4, de la loi du 21 janvier 2022. Les réclamations pendantes doivent être traitées conformément aux règles qui étaient applicables au cours de l’exercice fiscal concerné.
B.4.2. En réalité, le moyen critique l’absence de dispositions transitoires pour les prestations périodiques qui sont déjà en cours, dans la mesure où celles-ci résultent de cotisations versées avant le 1er janvier 2004. Ces prestations, qui étaient soumises ces dernières années à une imposition avantageuse en Belgique, sont imposées au taux progressif à partir de l’exercice d’imposition 2023.
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B.4.3. Si l’autorité estime qu’un changement de politique s’impose d’urgence, elle peut décider de lui donner un effet immédiat et elle n’est en principe pas obligée de prévoir un régime transitoire. Tout changement de politique destiné à faire face à une nécessité urgente deviendrait impossible si l’on considérait que les articles 10 et 11 de la Constitution exigent que le régime antérieur soit maintenu pendant une période déterminée ou que les dispositions constitutionnelles précitées seraient violées par cela seul que ce changement déjouerait les calculs de ceux qui se sont fiés à la situation ancienne.
B.4.4. Ni le fait que certains contribuables aient pu espérer bénéficier pour une durée indéterminée de l’avantage que confère la qualification en tant qu’assurance-vie individuelle, ni l’existence de litiges pendants n’ont en soi pour effet que le législateur serait dans l’impossibilité de protéger les intérêts des finances publiques et de remédier à une situation d’insécurité juridique.
Il ressort des travaux préparatoires cités en B.1.8 que la disposition attaquée a pour objectif d’éviter que les pensions collectives néerlandaises soient qualifiées d’assurances-vie individuelles sur la base de l’application d’une circulaire de 1969. Lorsque le législateur constate que la qualification de certaines constructions en matière de pension, collectives en pratique, aboutit, sur la base du critère des droits définitivement acquis, à ce que ces pensions bénéficient, dans les faits, d’une double non-imposition en vertu de l’exonération prévue pour les assurances-vie individuelles, alors que l’objectif de cette exonération consiste justement à garantir que les pensions fassent l’objet d’un avantage fiscal au moment soit du versement des cotisations soit du versement des prestations, il n’est pas déraisonnable de considérer que le critère précité n’est pas adéquat pour atteindre cet objectif. Il en va tout particulièrement ainsi au regard du constat selon lequel l’utilisation du critère des droits définitivement acquis, bien qu’il fasse l’objet en soi d’une jurisprudence constante, est tout de même source d’insécurité juridique en pratique, du fait que les effets concrets de son application sur chaque système de retraite étranger pris isolément sont imprévisibles.
B.4.5. Ni les articles 10 et 11 de la Constitution, ni l’article 1er du Premier Protocole additionnel ne comportent une interdiction générale de la double imposition. Par ailleurs, comme il est dit en B.1.6, il ressort de la requête et du mémoire des parties requérantes que
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celles-ci estiment que les cotisations qui ont été payées avant 2004 aux Pays-Bas remplissent la condition prévue à l’article 18, paragraphe 2, a), de la Convention belgo-néerlandaise préventive de la double imposition, ce qui signifie que ces cotisations ont bénéficié à l’origine d’avantages fiscaux. Par conséquent, contrairement à ce que les parties requérantes soutiennent dans leur deuxième moyen, la disposition attaquée ne rompt pas la logique selon laquelle les pensions complémentaires sont imposées au moment soit du versement des cotisations, soit du versement des prestations. L’objectif du législateur est précisément de conserver cette logique.
Cela ressort également des travaux préparatoires, qui confirment explicitement que la disposition attaquée ne s’appliquera pas « si le contribuable prouve que la pension complémentaire n’a pas été facilitée sur le plan fiscal au moment de sa constitution » (Doc.
parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2351/007, p. 15). Enfin, au regard et sous réserve de cette possibilité, il ne saurait pas non plus être conclu que la disposition attaquée produit, en l’espèce, des effets disproportionnés pour les intéressés.
B.4.6. Sur la base des éléments précités, et sous réserve de ce qui est dit en B.4.5, le deuxième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le troisième moyen
B.5.1. Le troisième moyen est pris de la violation, par l’article 28 de la loi du 21 janvier 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-
rétroactivité des lois, avec le principe de la sécurité juridique et avec l’article 26 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (ci-après : la Convention de Vienne). Selon les parties requérantes, en effet, la disposition attaquée vise à neutraliser l’article 18, paragraphe 2, de la Convention belgo-néerlandaise préventive de la double imposition.
B.5.2. Pour les mêmes motifs que ceux qui sont mentionnés en B.4.1 à B.4.5, le moyen n’est pas fondé en ce qu’il se base sur les effets prétendument rétroactifs de la disposition attaquée.
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B.5.3. L’article 26 de la Convention de Vienne dispose :
« Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ».
B.5.4. Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires cités en B.1.7, l’article 28 de la loi du 21 janvier 2022 n’affecte pas l’application de l’article 18, paragraphe 2, de la Convention belgo-néerlandaise préventive de la double imposition, ni le principe selon lequel ces conventions rendent impossible toute double imposition éventuelle. Ainsi que la Cour l’a déjà constaté dans son arrêt n° 20/2004 du 4 février 2004 (ECLI:BE:GHCC:2004:ARR.020), par lequel elle a rejeté le recours en annulation de la loi d’assentiment à la Convention belgo-
néerlandaise préventive de la double imposition, il ressort de l’exposé des motifs commun de cette Convention que « l’idée directrice [de l’article 18 de la nouvelle convention belgo-
néerlandaise] est de garantir un fonctionnement transfrontalier cohérent du système applicable en matière de pensions et de rentes, qui consiste, d’une part, à permettre la constitution en exemption d’impôt – via la déduction des cotisations – des droits aux pensions ou aux rentes et, d’autre part, à imposer les prestations de retraite. À cet égard, la répartition des pouvoirs d’imposition convenue à l’article 18 permet d’obtenir un équilibre entre les avantages fiscaux accordés lors de la constitution des droits aux pensions ou rentes et l’imposition des pensions et rentes ou des capitaux et valeurs de rachat » (Doc. parl., Sénat, 2002-2003, n° 2-1293/2, p. 45). Comme cela a déjà été constaté en B.4.5, la disposition attaquée s’inscrit précisément dans l’objectif du législateur de garantir ce lien en matière d’imposition des pensions.
B.5.5. Le troisième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le quatrième moyen
B.6.1. Le quatrième moyen est pris de la violation, par l’article 28 de la loi du 21 janvier 2022, des articles 10, 11 et 172 de la Constitution. Dans la première branche, les parties requérantes reprochent à la disposition attaquée de faire naître une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui bénéficient d’une pension complémentaire néerlandaise du
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deuxième pilier, selon que cette pension a été constituée, ou non, pour le compte d’au moins deux travailleurs affiliés, anciens travailleurs ou leurs ayants droit. Dans la seconde branche, les parties requérantes critiquent le fait que les personnes qui bénéficient d’une allocation versée en vertu d’une pension complémentaire collective néerlandaise sont toutes traitées de manière identique, bien que les pensions issues du « nettopensioenregeling » (régime néerlandais de retraite complémentaire financé par des primes calculées sur une partie du montant net des hauts salaires) relèvent d’une situation fiscale différente. La Cour examine ces deux branches conjointement.
B.6.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.6.3. Il ressort des travaux préparatoires qu’à la lumière du constat selon lequel le problème d’interprétation concernait principalement les pensions complémentaires néerlandaises, le législateur s’est fondé sur la définition néerlandaise de la notion de « fonds de pension collectif » :
« À la suite de l’avis n° 70 465/3 du Conseil d’État, la définition de la notion de ‘ fonds de pension collectif ’ fait l’objet d’une discussion plus approfondie, ainsi que la question du cas où un fonds de pension retombe sur un seul travailleur[.]
Le problème réside principalement dans la distinction entre les pensions du deuxième et du troisième pilier. La catégorie d’exception de l’article 39, § 2, CIR 92 concernait les pensions du troisième pilier, c’est-à-dire celles constituées de produits bancaires individuels au moyen de capitaux personnels choisis pour la constitution d’une pension individuelle (p. ex., l’assurance-vie individuelle). Les pensions du deuxième pilier sont, elles, constituées dans le cadre des activités professionnelles exercées par un assujetti, telles que l’assurance-groupe collective d’un employeur.
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Des analyses de cas données par la jurisprudence [ont] permis de qualifier certains régimes de retraite collective étrangers (c.-à-d. pensions du deuxième pilier) d’assurance-vie individuelle et donc de pension du troisième pilier. Ce projet de loi vise à éliminer l’insécurité juridique en précisant ce qui n’est pas une assurance-vie individuelle et donc une pension du troisième pilier.
Étant donné que l’intention du législateur est principalement liée aux fonds de pension néerlandais, le projet se fonde sur la définition du fonds de pension néerlandais tirée de la loi néerlandaise sur les pensions qui stipule qu’un fonds de pension est une fondation ‘ dans laquelle des fonds d’au moins deux participants, d’anciens participants ou de leurs survivants sont ou ont été collectés et gérés afin de mettre en œuvre au moins un régime de pension de base ’. Il y a lieu donc d’entendre ici une police d’assurance qui a été négociée par un employeur (que ce soit par l’intermédiaire d’un fonds de pension sectoriel) pour ses employés (anciens, présents ou futurs) avec toutes les nuances qui peuvent y être incluses.
La définition que le législateur veut introduire ne fait pas de distinction entre les catégories de pensionnés. Dans la pratique, un fonds de pension collectif fait une distinction possible entre les différents types de salariés sur la base de barèmes et autres éléments, mais cela n’affecte pas le caractère collectif du fonds de pension.
Dans le cas où un employeur a souscrit une assurance collective et que, dans ce cas spécifique, il n’y a qu’un seul employé, une question de fait doit se poser. L’assurance collective est généralement négociée et conclue pour un groupe de personnes qui travaillent ou ont travaillé dans une entreprise (que ce soit ou non sous certains paramètres […]). Les personnes qui commencent à travailler dans cette entreprise sont intégrées dans cette assurance. Les fonds de pension sont souvent organisés par secteur ou par groupe d’employeurs pour réaliser des économies d’échelle, de sorte que ce cas spécifique ne se produira pas souvent.
Il devrait s’agir d’une assurance-groupe négociée pour les employés via un fonds de pension, dans le cadre de laquelle une assurance serait alors retirée et un seul employé, ancien employé ou partenaire survivant bénéficierait de ce régime de pension. Si une telle situation existait et peut être prouvée en droit, il peut alors parler d’une police d’assurance-vie individuelle, mais l’exception de l’article 39, § 2, 2°, d), CIR 92 s’applique pour la constitution au moyen de cotisations patronales ou de montants de l’entreprise.
La proposition parle également d’‘ anciens travailleurs ou de leurs ayants droit ’ Si un employé décède, ses ayants droit auront également droit au fonds de pension. Le caractère collectif est alors préservé.
Dans le cas très spécifique et exceptionnel où il n’y aurait que deux travailleurs, et que l’un de ceux-ci meure sans aucun descendant quel qu’il soit, on parlerait de facto d’une assurance-
vie individuelle, mais alors l’exception prévue à l’article 39, § 2, 2°, d), CIR 92 pour la constitution via des cotisations patronales ou des montants de l’entreprise jouerait aussi » (Doc.
parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2351/003, pp. 11 et 12).
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B.6.4. Il appartient au législateur de désigner les redevables de l’impôt qu’il instaure, de même que l’importance de cet impôt. Il dispose en la matière d’une marge d’appréciation étendue.
Lorsque le législateur désigne les redevables de l’impôt, il peut faire usage de catégories qui, nécessairement, n’appréhendent la diversité des situations qu’avec un certain degré d’approximation, dès lors qu’il ne peut pas prendre en compte les particularités des divers cas d’espèce et qu’il peut appréhender leur diversité de manière approximative et simplificatrice.
Cela vaut particulièrement lorsque le législateur s’efforce de prendre en compte les effets d’une réglementation étrangère sur laquelle il n’a lui-même aucune influence, que ce soit sur le contenu ou sur l’évolution. Enfin, il ressort de ce qui a déjà été dit en B.4.6 que la disposition attaquée ne produit en soi pas d’effets déraisonnables pour les intéressés qui seraient tout de même imposés. Le fait qu’en raison de l’application de la disposition attaquée en combinaison avec l’article 18, paragraphe 2, de la Convention belgo-néerlandaise préventive de la double imposition, certains intéressés sont imposés en Belgique au lieu des Pays-Bas, ne peut pas davantage être considéré comme disproportionné, même si l’on tient compte de la circonstance que la fiscalité belge relative à l’imposition des allocations de pension serait plus lourde que la fiscalité néerlandaise. Le principe d’égalité n’exige pas que, lorsqu’il tient compte de chacune des conventions que la Belgique négocie avec les États voisins pour éviter les phénomènes de double imposition, le législateur se préoccupe d’assurer, au cas par cas, aux contribuables le régime qui leur serait à tout moment le plus favorable.
B.6.5. Le quatrième moyen n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
1. annule l’article 60, alinéa 4, de la loi du 21 janvier 2022 « portant des dispositions fiscales diverses »;
2. sous réserve de ce qui est dit en B.4.5, rejette le recours pour le surplus.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 décembre 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen