Cour constitutionnelle
Arrêt n° 173/2023
du 14 décembre 2023
Numéro du rôle : 7909
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 41, § 1er, alinéa 1er, 2°, et alinéa 3, de la loi du 25 février 2018 « portant création de Sciensano », posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et W. Verrijdt, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par l’arrêt n° 255.318 du 20 décembre 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 4 janvier 2023, le Conseil d’État a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 41, § 1er, alinéa 1er, 2°, et alinéa 3, de la loi du 25 février 2018 ‘ portant création de Sciensano ’ viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33 et 108 de la Constitution, en ce que cette disposition charge le conseil d’administration de Sciensano de déterminer les règles, et donc aussi les règles ayant une portée générale, concernant l’engagement et la sélection du directeur général, sans qu’une réglementation de base en la matière doive être établie au préalable par le Roi, auquel cas l’organe précité ne pourrait fixer que des règles complémentaires portant sur des détails ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- Bert Matthijs, assisté et représenté par Me T. Eyskens, avocat au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me C. Van Olmen et Me V. Vuylsteke, avocats au barreau de Bruxelles.
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Bert Matthijs a également introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 18 octobre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 8 novembre 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 8 novembre 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
B. Matthijs, partie requérante devant la juridiction a quo, a introduit, le 20 mars 2020, auprès de la section du contentieux administratif du Conseil d’État, un recours en annulation dirigé contre la décision du conseil d’administration de Sciensano du 8 juillet 2019 portant, avec effet au 1er janvier 2020, pour un terme renouvelable de six ans, désignation de C. Léonard comme directeur général de Sciensano, et contre les décisions du ministre de la Santé publique et du ministre de l’Agriculture, respectivement des 12 et 18 décembre 2019, portant approbation de la désignation précitée.
Le 15 juin 2018, le conseil d’administration prend, en vertu de l’article 14, § 5, de la loi du 25 février 2018
« portant création de Sciensano », publiée au Moniteur belge du 21 mars 2018 (ci-après : la loi du 25 février 2018), une décision quant à la description de fonction, à la demande de pondération de la fonction et à la procédure de sélection et de désignation du directeur général. Le 15 janvier 2019, le conseil d’administration approuve le document « Procédure en vue de la sélection et de la désignation du directeur général de Sciensano (après la période de transition) ». La vacance relative à la fonction de directeur général est publiée au Moniteur belge du 25 janvier 2019; B. Matthijs et C. Léonard, entre autres, introduisent leur candidature. C. Léonard est désigné comme directeur général.
La partie requérante devant la juridiction a quo estime que la décision de désignation, attaquée, du 8 juillet 2019 doit être annulée par la section du contentieux administratif du Conseil d’État parce qu’elle a été prise sur la base d’une procédure fondée sur la description de fonction, le règlement de sélection et la composition de la commission de sélection qui ont été approuvés par le conseil d’administration, alors que l’application de cette procédure doit être écartée, en vertu de l’article 159 de la Constitution. Le Roi n’a en effet pris aucun arrêté réglementaire portant des « dispositions générales relatives à la sélection et au recrutement du directeur général »
fondé sur l’habilitation contenue dans l’article 41, § 1er, alinéa 3, de la loi du 25 février 2018 et le conseil d’administration de Sciensano ne peut fixer les règles relatives à la sélection et au recrutement du directeur général sur la base de l’article 41, § 1er, alinéa 1er, 2°, qu’en exécution d’un arrêté réglementaire à prendre par le Roi. À
défaut d’un tel arrêté réglementaire, il y a lieu d’écarter l’application des règles fixées par le conseil d’administration. Ce n’est qu’après que cet arrêté réglementaire a été adopté par le Roi et que les règles fondées sur cet arrêté réglementaire ont été adoptées par le conseil d’administration de Sciensano qu’une procédure de désignation peut être organisée.
La section du contentieux administratif du Conseil d’État juge que le mot « peut » contenu dans l’article 41, § 1er, alinéa 3, de la loi du 25 février 2018 ne peut être interprété comme étant une obligation pour le Roi car cette interprétation est contraire à l’intention du législateur. Les travaux préparatoires de la loi du 25 février 2018
précisent que l’article 41 doit être interprété en ce sens que le législateur voulait uniquement donner au Roi la possibilité d’intervenir et que le législateur confie au conseil d’administration le soin de fixer des « règles », notamment en matière de « sélection », portant sur « l’ensemble du personnel » ou sur des fonctions spécifiques comme celles de directeur général, sans que le Roi doive intervenir au préalable.
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La section du contentieux administratif du Conseil d’État considère toutefois que la question demeure de savoir si la compétence du conseil d’administration pour fixer les « règles » est un pouvoir réglementaire, que le législateur peut confier à un organisme public décentralisé tel Sciensano ou si le législateur peut confier cette matière au seul pouvoir exécutif, dans la mesure où le législateur ne la règle pas lui-même.
La section du contentieux administratif du Conseil d’État pose dès lors la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. B. Matthijs, partie requérante devant la juridiction a quo, invoque l’avis de la section de législation du Conseil d’État relatif au projet de loi portant création de Sciensano (I), dans lequel il est précisé que la délégation au conseil d’administration, contenue dans l’article 41, § 1er, alinéa 1er, 2°, de la loi du 25 février 2018, est trop large :
« Plutôt que de prévoir […] que le Roi peut imposer des conditions auxquelles les règles […] du projet doivent au moins satisfaire, il faut partir du principe qu’en l’espèce, le Roi fixe le régime de base […] et que seules les modalités de ce régime peuvent être arrêtées par le conseil d’administration » (avis n° 62.047 du 2 octobre 2017, Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2795/001, p. 124).
A.1.2. L’avis précité de la section de législation du Conseil d’État doit, selon la partie requérante devant la juridiction a quo, être lu à la lumière des articles 33 et 108 de la Constitution.
L’article 108 de la Constitution implique non seulement un droit mais également une obligation, pour le Roi, de prendre, dans le délai légal, sinon dans un délai raisonnable, les mesures nécessaires à l’exécution des lois. En vue de l’exécution de la loi, le pouvoir exécutif ne peut ni étendre ni limiter la portée de la loi.
L’article 33, alinéa 2, de la Constitution dispose que tous les pouvoirs sont exercés de la manière établie par la Constitution. Les pouvoirs sont en principe inaliénables et incessibles. L’article 108 de la Constitution attribue le pouvoir réglementaire au Roi. Le législateur doit respecter cette compétence du Roi. Le Roi peut cependant, dans certains cas, attribuer le pouvoir réglementaire à un autre niveau du pouvoir exécutif, en vertu ou non d’une habilitation légale, pourvu que la compétence du niveau concerné reste limitée à des mesures complémentaires portant sur des détails.
Selon la partie requérante devant la juridiction a quo, il s’ensuit que les règles générales en matière de sélection et de recrutement du directeur général devaient être fixées par le Roi, de sorte que la référence à la possibilité que le Roi impose des conditions minimales ne peut être considérée comme une simple faculté, mais uniquement comme une disposition qui confirme la compétence du Roi ancrée dans la Constitution. Ce n’est qu’après que le Roi a fixé les règles de base que le conseil d’administration de Sciensano peut en déterminer les modalités.
Partant, la description de fonction et le règlement de sélection ont été établis de manière illicite par le conseil d’administration et excèdent le cadre limité de l’exécution de mesures portant sur des détails.
A.1.3. Les diverses références faites par le Conseil des ministres à d’autres entreprises publiques autonomes ne sont pas pertinentes, selon la partie requérante devant la juridiction a quo, parce que ces entreprises publiques autonomes constituent une catégorie spécifique d’entreprises publiques avec laquelle Sciensano ne peut pas être comparée. L’autonomie de ces entreprises publiques autonomes est bien plus étendue que celle de Sciensano et leur orientation est par ailleurs essentiellement commerciale.
A.2.1.1. Le Conseil des ministres observe tout d’abord que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse parce qu’elle repose sur une prémisse erronée quant à l’applicabilité de l’article 108 de la Constitution. La question préjudicielle repose sur le postulat selon lequel le conseil d’administration de Sciensano a pris une décision à
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caractère réglementaire dans le cadre de l’organisation de la procédure de sélection. Le Conseil des ministres estime toutefois que l’intervention du conseil d’administration n’est pas de nature réglementaire, mais individuelle, de sorte que l’article 108 de la Constitution n’est pas applicable en l’espèce. En l’espèce, il s’agit de l’organisation matérielle d’une seule procédure de sélection, de sorte que l’intervention du conseil d’administration ne peut être considérée comme étant de nature réglementaire.
A.2.1.2. La partie requérante devant la juridiction a quo constate que ce point a déjà été tranché par l’arrêt de renvoi, dans lequel la section du contentieux administratif du Conseil d’État a jugé que l’intervention du conseil d’administration de Sciensano était de nature réglementaire.
A.2.2.1. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres estime que la disposition en cause ne confère aucun pouvoir d’exécution au conseil d’administration de Sciensano, de sorte que l’article 108 de la Constitution n’est pas en cause et que la question préjudicielle appelle une réponse négative. Dans l’affaire soumise à la juridiction a quo, il n’est pas question d’une simple exécution de la loi, mais d’une compétence que le législateur, qui jouit de pouvoirs résiduels, exercerait normalement lui-même, mais qu’il confie explicitement au Roi. Une telle attribution de compétence sort du champ d’application de l’article 108 de la Constitution. Il s’agit au contraire d’une attribution de compétence fondée sur l’article 105 de la Constitution, qui s’applique non seulement lorsque le législateur souhaite conférer au Roi des compétences réservées, mais également lorsque le législateur veut conférer une partie de sa compétence résiduelle, si ce n’est que les conditions sont dans ce cas moins strictes. Il appartient en premier lieu au législateur d’édicter, sur la base de sa compétence résiduelle, des règles relatives au personnel d’administrations fonctionnellement décentralisées, pour lequel il est lui-même le pouvoir normatif organique et est donc investi du pouvoir d’organisation. Il est donc question d’un transfert d’une compétence résiduelle fondé sur l’article 105 de la Constitution et la compétence que le Constituant attribue au Roi pour la mise en œuvre de la loi n’est pas en cause.
La disposition en cause n’attribue aucune compétence spécifique ni générale au conseil d’administration de Sciensano pour exécuter la loi plus avant, de sorte que, selon le Conseil des ministres, il ne saurait être question d’une violation de l’article 108 de la Constitution.
A.2.2.2. La partie requérante devant la juridiction a quo observe à nouveau que la section du contentieux administratif du Conseil d’État a déjà, par son arrêt de renvoi, exposé les raisons pour lesquelles c’est l’article 108
de la Constitution, et non l’article 105 de la Constitution, qui doit être visé dans la question préjudicielle.
A.2.3.1. À titre tout à fait subsidiaire, le Conseil des ministres fait valoir que le législateur peut, en vertu de la Constitution, confier un pouvoir réglementaire au conseil d’administration de Sciensano concernant son personnel, sans que le principe d’égalité soit violé. Par l’article 41 de la loi du 25 février 2018, le législateur attribue au conseil d’administration d’une personne morale de droit public sui generis une compétence qui est justifiée par son autonomie et qui ne porte pas atteinte aux compétences que le Constituant a confiées au Roi. Le législateur fait usage de sa compétence résiduelle pour créer des établissements fonctionnellement décentralisés et pour charger leurs organes d’un pouvoir de décision propre. Il n’est nullement question d’un pouvoir réservé au Roi; Il n’est compétent en ce qui concerne les pouvoirs décentralisés que lorsque le législateur Lui confie expressément cette compétence.
Selon le Conseil des ministres, la question peut être posée de savoir si le législateur, dans le cadre de la création d’une autorité fonctionnellement décentralisée, peut également confier un pouvoir de décision sous forme d’un pouvoir réglementaire aux organes de cette autorité. Tant la Cour que le Conseil d’État ont déjà jugé que des compétences réglementaires peuvent être confiées à des autorités décentralisées, mais sous certaines conditions, à savoir un contrôle administratif et budgétaire exercé par le pouvoir exécutif et une délimitation précise des compétences déléguées portant sur des matières techniques.
Le Conseil des ministres constate également que la question préjudicielle n’indique pas avec quelles autres catégories de membres du personnel ou d’organismes une comparaison devrait être opérée. En tout état de cause, il existe de nombreux exemples comparables d’organismes publics pour lesquels le législateur a également fait le choix d’attribuer lui-même des compétences réglementaires en matière de personnel aux organes d’administration de l’organisme (par exemple ENABEL, l’AFCN, des entreprises publiques autonomes, la FSMA).
A.3.2.2. La partie requérante devant la juridiction a quo répond que la thèse du Conseil des ministres ne trouve pas appui dans l’article 41 de la loi du 25 février 2018. L’octroi par le législateur d’une compétence au conseil d’administration d’une personne morale de droit public sui generis ne peut être justifié par l’autonomie de cette personne morale.
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L’attribution d’un pouvoir réglementaire à un organisme public n’est en principe pas conforme aux principes généraux de droit public en ce que cette attribution porte atteinte au principe de l’unité du pouvoir réglementaire et en ce qu’un contrôle parlementaire direct fait défaut. En outre, les garanties dont est assortie la réglementation classique, comme la publication, le contrôle préventif par la section de législation du Conseil d’État et le rang précis dans la hiérarchie des normes, sont absentes. Selon la partie requérante devant la juridiction a quo, de telles délégations ne sont justifiées que dans la mesure où elles sont très limitées et où elles revêtent un caractère non politique, du fait de leur portée secondaire ou principalement technique. Les organismes qui doivent appliquer la réglementation concernée doivent à cet égard être soumis tant à un contrôle juridictionnel qu’à un contrôle politique. La partie requérante devant la juridiction a quo démontre qu’il n’est pas satisfait à ces conditions, de sorte que la délégation ne saurait être justifiée.
-B-
B.1.1. L’article 41, § 1er, de la loi du 25 février 2018 « portant création de Sciensano »
(ci-après : la loi du 25 février 2018) dispose :
« Le conseil d’administration :
1° détermine chaque année l’enveloppe du personnel;
2° détermine, conformément à la loi, les règles concernant la sélection, l’engagement, la carrière, l’évaluation, la discipline, la rémunération et les avantages sociaux du personnel, étant entendu que le conseil d’administration peut fixer des réglementations différentes pour certaines catégories des membres du personnel, notamment :
- le directeur général et/ou les directeurs scientifiques;
- le personnel scientifique;
- le personnel administratif et technique;
- le chef de service scientifique ou de programme scientifique;
- le chef de service.
Les règles visées à l’alinéa premier peuvent en outre différer entre elles en fonction de l’origine du financement de la catégorie visée de membres du personnel.
Le Roi peut imposer des conditions auxquelles les règles visées au présent paragraphe doivent au moins satisfaire ».
B.1.2. Sciensano est une « institution publique sui generis dotée de la personnalité juridique », créée par la loi du 25 février 2018. Sciensano est née de la fusion de deux
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établissements scientifiques fédéraux, à savoir l’Institut scientifique de santé publique (ISP) et le Centre d’étude et de recherches vétérinaires et agrochimiques (CERVA) (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2795/001, p. 3).
Les missions de Sciensano sont définies à l’article 4 de la loi du 25 février 2018 et Sciensano accomplit ces missions aux niveaux fédéral, régional, communautaire, européen et international.
Les organes de Sciensano sont le conseil général, le conseil d’administration, le conseil scientifique, le directeur général, le conseil de direction et le jury (article 5 de la loi du 25 février 2018).
B.1.3. En ce qui concerne la désignation du directeur général de Sciensano, l’article 14, § 5, de la loi du 25 février 2018 dispose :
« Le directeur général est désigné par le conseil d’administration, conformément aux conditions et modalités fixées par le conseil d’administration. Sa désignation ne prend effet qu’après approbation par le ministre compétent. Le conseil d’administration assure la publication de la désignation du directeur général aux annexes du Moniteur belge.
Le Roi fixe la durée de la désignation du directeur général et règle la manière dont le directeur général est remplacé en cas d’absence ou d’empêchement ».
Selon les travaux préparatoires, l’approbation de la désignation par le ministre compétent garantit « un lien suffisant entre Sciensano et le ministre qui en est chargé » (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2795/001, p. 29).
B.2. La Cour est interrogée au sujet de la compatibilité de l’article 41, § 1er, alinéa 1er, 2°, et alinéa 3, de la loi du 25 février 2018 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33 et 108 de la Constitution, en ce que la disposition en cause charge le conseil d’administration de Sciensano de fixer les règles, « et donc aussi les règles ayant une portée générale », relatives au recrutement et à la sélection du directeur général, sans que le Roi ait au préalable fixé une réglementation de base.
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B.3.1. Le Conseil des ministres fait tout d’abord valoir que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse, étant donné que l’article 108 de la Constitution ne serait pas applicable; la description de fonction établie par le conseil d’administration de Sciensano et la « Procédure en vue de la sélection et de la désignation du directeur général de Sciensano (après la période de transition) » ne constitueraient pas des actes administratifs réglementaires, mais des actes administratifs individuels.
Le Conseil des ministres fait également valoir que l’article 41, § 1er, alinéa 1er, 2°, et alinéa 3, en cause, de la loi du 25 février 2018 ne confère aucune compétence d’exécution au conseil d’administration de Sciensano, de sorte que l’article 108 de la Constitution ne saurait être réputé applicable, tandis que l’article 105 de la Constitution l’est.
B.3.2.1. Il appartient à la juridiction a quo de déterminer les dispositions qui sont applicables au litige dont elle est saisie; les parties ne sont pas habilitées à mettre ce choix en cause devant la Cour. La Cour ne pourrait par ailleurs s’abstenir de répondre à la question qui lui est posée que si la réponse à cette question n’était manifestement pas utile à la solution de ce litige.
B.3.2.2. Une partie devant la Cour ne peut pas modifier ou faire modifier la portée de la question préjudicielle posée par la juridiction a quo. C’est à la juridiction a quo qu’il appartient de juger quelle question préjudicielle elle doit poser à la Cour et de déterminer ainsi l’étendue de la saisine.
B.3.3. Dans l’arrêt de renvoi, la section du contentieux administratif du Conseil d’État a jugé que la description de fonction établie par le conseil d’administration de Sciensano et la « Procédure en vue de la sélection et de la désignation du directeur général de Sciensano (après la période de transition) » sont des dispositions de nature réglementaire.
Dans l’arrêt de renvoi, la section du contentieux administratif du Conseil d’État a également jugé que la question préjudicielle porte sur le respect, entre autres, de l’article 108
de la Constitution et non de l’article 105 de la Constitution.
B.3.4. La Cour répond à la question telle qu’elle est posée par la juridiction a quo. Les exceptions sont rejetées.
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B.4. Comme il est dit en B.1.2, Sciensano est une « institution publique sui generis dotée de la personnalité juridique » qui a été créée par la loi du 25 février 2018; les organes de Sciensano sont le conseil général, le conseil d’administration, le conseil scientifique, le directeur général, le conseil de direction et le jury.
Le conseil d’administration gère Sciensano et dispose pour ce faire des pouvoirs de gestion les plus étendus. Il a le pouvoir d’accomplir tous les actes nécessaires ou utiles à la réalisation des missions de Sciensano, à l’exception des actes réservés expressément à un autre organe de Sciensano en vertu de la loi du 25 février 2018 (article 8 de la loi du 25 février 2018).
En vertu de l’article 14, § 5, de la loi précitée, le directeur général est désigné par le conseil d’administration, conformément aux conditions et modalités fixées par le conseil d’administration.
B.5. L’article 41, en cause, de la loi du 25 février 2018 confirme la compétence du conseil d’administration en ce qui concerne les matières de personnel, laquelle relève également des compétences générales du conseil d’administration déterminées à l’article 8, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires :
« L’article 41 confirme expressément que le conseil d’administration exerce cette compétence ‘ conformément à la loi ’. Lors de la fixation de ces règles, le conseil d’administration doit donc bien entendu respecter les dispositions de ce projet, ainsi que les autres dispositions légales et réglementaires. Ceci implique entre autres que la mesure dans laquelle et la façon dont le conseil d’administration peut exercer cette compétence, diffère selon la position juridique du membre du personnel concerné. [...]
Ce cadre légal et réglementaire forme en quelque sorte la ‘ réglementation de base ’ en matière de personnel, qui lie le conseil d’administration lors de la fixation de règles en matière de personnel.
En outre le Roi peut imposer des conditions auxquelles les règles déterminées par le conseil d’administration doivent au moins satisfaire. [...]
Il découle de tout ceci que les règles en matière de personnel que le conseil d’administration peut fixer ne sont pas la seule source de droits et obligations du personnel, ni la plus haute source.
Les réglementations fixées par le conseil d’administration peuvent avoir égard à l’ensemble du personnel, par exemple en visant à harmoniser diverses catégories de personnel, ou à des
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catégories déterminées du personnel ou encore à des fonctions spécifiques, comme par exemple le directeur général et/ou les directeurs scientifiques, le personnel scientifique, le personnel administratif et technique et (le cas échéant) les chefs de service. Les réglementations peuvent également différer en fonction de l’origine du financement des membres du personnel, notamment un financement par le patrimoine de Sciensano ou par des moyens externes (par exemple dans le cadre d’un contrat de prestation de services avec une tierce partie). Les réglementations peuvent avoir égard à la sélection, l’engagement, la carrière (dans tous ses aspects, y compris l’évaluation, la discipline, la mobilité, désignation dans une fonction et fin de fonction, fin de carrière), la rémunération et les avantages sociaux du personnel.
[...]
La reconnaissance [lire : L’attribution] légale de compétences en matière de personnel à des organes de gestion ou des directions d’institutions publiques n’est pas inusité [lire :
inhabituelle].
[...]
Auprès de Sciensano qui dispose également d’autonomie, [le] conseil d‘administration dispose des pouvoirs de gestion les plus étendus, et le ministre compétent ainsi que le ministre qui a le Budget dans ses attributions veillent, via leurs commissaires du gouvernement, au respect de la loi et du contrat de gestion. Les commissaires du gouvernement s’assurent également que la politique de Sciensano ne porte pas préjudice à la mise en œuvre de ses missions » (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2795/001, pp. 46-48).
B.6.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la question préjudicielle n’indique pas avec quelles autres catégories de membres du personnel ou d’organismes la situation du candidat directeur général devrait être comparée.
B.6.2. Il ressort des motifs de l’arrêt de renvoi que la Cour est invitée à comparer la situation d’un candidat directeur général auprès de Sciensano avec la situation d’autres candidats à une nomination auprès d’un autre établissement public.
Le constat, fait par le Conseil des ministres, qu’il existe de nombreux établissements publics pour lesquels des règles analogues à celles de Sciensano ont été élaborées n’empêche pas que les catégories de personnes précitées puissent être comparées entre elles à la lumière des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33 et 108 de la Constitution.
B.7. L’article 33 de la Constitution dispose :
« Tous les pouvoirs émanent de la Nation.
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Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution ».
L’article 108 de la Constitution dispose :
« Le Roi fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution ».
B.8.1. Sciensano est un organisme public décentralisé qui dispose d’une large autonomie et qui est soumis à une tutelle administrative. Son statut et ses missions sont fixés dans la loi du 25 février 2018. L’article 3 dispose que Sciensano est une institution publique sui generis dotée de la personnalité juridique et l’article 4 précise les missions qui lui sont confiées.
B.8.2. Le pouvoir réglementaire que la disposition en cause confie au conseil d’administration de Sciensano s’inscrit dans le prolongement de la compétence qui lui est conférée par l’article 8 de cette loi. Elle ne constitue pas une délégation à un organisme public décentralisé d’un pouvoir réglementaire général pouvant uniquement être exercé par le Roi.
Les articles 33 et 108 de la Constitution ne s’opposent pas à ce que le législateur confie des compétences exécutives spécifiques à un organisme public décentralisé qui est soumis à une tutelle administrative et à un contrôle juridictionnel.
B.8.3.1. Aux articles 28 à 34 de la loi du 25 février 2018, le législateur a prévu un contrôle administratif et budgétaire par le pouvoir exécutif. L’article 28 prévoit un système de contrôle administratif et budgétaire général, qui est exercé par le ministre compétent via l’intervention d’un commissaire du Gouvernement nommé et révoqué par le Roi sur la proposition du ministre compétent. Le commissaire du Gouvernement veille au respect de la loi et du contrat de gestion et s’assure de ce que la politique de Sciensano ne porte pas préjudice à la mise en œuvre de ses missions. Le cas échéant, le commissaire du Gouvernement peut intervenir, en rendant un avis au cours des réunions du conseil d’administration, où le commissaire du Gouvernement siège avec voix consultative (article 28, § 3), ou en introduisant un recours suspensif auprès du ministre compétent (article 28, § 4). Ce ministre est compétent pour annuler la décision
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concernée, de sorte que le ministre peut être appelé par le Parlement à se justifier quant à la manière dont il exerce le contrôle administratif et budgétaire général. L’article 28, § 6, dispose par ailleurs que, chaque année, le ministre compétent fait rapport « aux Chambres législatives de l’application de la [...] loi », si bien que le législateur a confirmé la responsabilité politique du ministre compétent, pour ce qui concerne le fonctionnement de Sciensano.
En outre, le Roi peut Lui-même déterminer les conditions auxquelles les règles établies par le conseil d’administration doivent satisfaire (article 41, § 1er, alinéa 3, de la loi du 25 février 2018). Si le Roi le souhaite, Il peut limiter la compétence du conseil d’administration de Sciensano en ce qui concerne l’établissement de règles concernant le personnel, en fixant Lui-
même des règles qui doivent être respectées en toute hypothèse, comme Il l’a fait par l’arrêté royal du 28 mars 2018 « portant exécution, en ce qui concerne la matière du personnel, de la loi du 25 février 2018 portant création de Sciensano et fixant la date d’entrée en vigueur de certaines dispositions de la même loi ».
Enfin, les règles adoptées par le conseil d’administration « concernant la sélection, l’engagement, la carrière, l’évaluation, la discipline, la rémunération et les avantages sociaux du personnel » sont soumises à un contrôle juridictionnel.
B.8.3.2. Par ailleurs, le législateur a délimité avec précision le contenu de la compétence qui a été confiée au conseil d’administration de Sciensano. Le conseil d’administration est uniquement compétent pour fixer des règles concernant « la sélection, l’engagement, la carrière, l’évaluation, la discipline, la rémunération et les avantages sociaux du personnel », ce par quoi il y a lieu d’entendre « des réglementations à portée générale qui sont applicables à une partie ou à l’ensemble du personnel occupé au sein de Sciensano, mis ou non à disposition par l’État »
(Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2795/001, p. 45).
B.8.4. Il découle de ce qui précède que la disposition en cause ne porte pas une atteinte discriminatoire à la garantie qu’un pouvoir réglementaire général ne peut être conféré à des organismes publics décentralisés.
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B.9. L’article 41, § 1er, alinéa 1er, 2°, et alinéa 3, de la loi du 25 février 2018 est dès lors compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33
et 108 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 41, § 1er, alinéa 1er, 2°, et alinéa 3, de la loi du 25 février 2018 « portant création de Sciensano » ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33 et 108 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 décembre 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen