Cour constitutionnelle
Arrêt n° 174/2023
du 14 décembre 2023
Numéro du rôle : 7948
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 17 de la loi du 11 février 2013
« organisant la profession d’agent immobilier », posées par la chambre d’appel de l’Institut professionnel des agents immobiliers.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J. Moerman, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par décision n° 1716 du 16 février 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 mars 2023, la chambre d’appel de l’Institut professionnel des agents immobiliers a posé les questions préjudicielles suivantes :
« 1. L’article 17 de la loi du 11 février 2013 organisant la profession d’agent immobilier viole-t-il le principe d’égalité, consacré par les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que cette disposition prévoit que toute condamnation pénale pour abus de confiance au sens de l’article 491 du Code pénal entraîne la radiation d’office de l’agent immobilier, alors que cette sanction d’office n’est pas prévue pour les agents immobiliers qui commettraient d’autres infractions, sanctionnées plus lourdement ou non par la loi, de sorte que les agents immobiliers qui sont condamnés pour d’autres infractions ne peuvent être sanctionnés qu’après une procédure disciplinaire, au cours de laquelle ils ont la possibilité de présenter une défense au fond ?
2. L’article 17 de la loi du 11 février 2013 organisant la profession d’agent immobilier viole-
t-il le principe d’égalité, consacré par les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le droit à un procès équitable, avec le principe de l’indépendance du juge (garanti par l’article 151 de la Constitution, par l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils
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et politiques), en ce que cette disposition prévoit que toute condamnation pénale pour abus de confiance au sens de l’article 491 du Code pénal entraîne la radiation d’office de l’agent immobilier, de sorte qu’elle prive le juge saisi aux fins de l’application de l’article 17 de la loi, précitée, du 11 février 2013 de tout pouvoir de fixer lui-même une sanction, à tout le moins de contrôler ou d’atténuer la sanction prescrite par la loi ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- S.T., assisté et représenté par Me L. Arnou, avocat au barreau de Flandre occidentale;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me E. Jacubowitz et Me P. De Maeyer, avocats au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 18 octobre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures J. Moerman et E. Bribosia, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 8 novembre 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 8 novembre 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Par une décision du 17 avril 2020 de la chambre exécutive de l’Institut professionnel des agents immobiliers, S.T. est, en application de l’article 17 de la loi du 11 février 2013 « organisant la profession d’agent immobilier »
(ci-après : la loi du 11 février 2013), radié d’office de la colonne « agents immobiliers-intermédiaires » du tableau des titulaires de l’Institut professionnel des agents immobiliers. Par une décision du 11 décembre 2020 de la chambre d’appel de cet Institut professionnel, le recours introduit contre la décision précitée de la chambre exécutive est déclaré non fondé. Par un arrêt du 14 octobre 2022 de la Cour de cassation (ECLI:BE:CASS:2022:ARR.20221014.1N.9), la décision de la chambre d’appel est annulée et la cause est renvoyée devant la chambre d’appel de l’Institut professionnel des agents immobiliers, autrement composée. Cette chambre d’appel estime que la Cour de cassation considère à tort que la procédure relative à la radiation d’office d’un agent immobilier constitue une procédure disciplinaire et estime dès lors qu’il convient de poser à la Cour les questions préjudicielles reproduites plus haut.
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III. En droit
-A-
A.1.1. Le Conseil des ministres expose que l’agent immobilier qui est condamné pour abus de confiance au sens de l’article 491 du Code pénal est, conformément à la disposition en cause, radié d’office du tableau des titulaires de l’Institut professionnel des agents immobiliers, alors que l’agent immobilier qui est condamné pour une autre infraction ne peut être sanctionné qu’à l’issue d’une procédure disciplinaire. Il estime que la différence de traitement visée dans la première question préjudicielle repose sur un critère objectif, plus précisément sur la nature de la condamnation pénale d’un agent immobilier.
A.1.2. Le Conseil des ministres estime que, par la disposition en cause, le législateur a voulu protéger les consommateurs et l’image de la profession d’agent immobilier. Il déduit des travaux préparatoires que le législateur a voulu mettre fin aux abus de confiance commis par des agents immobiliers-syndics dans le cadre de la gestion des fonds des copropriétés. Dès lors que l’abus de confiance constitue le principal risque pour la profession d’agent immobilier, le législateur a choisi, selon le Conseil des ministres, de ne soumettre que cette infraction à la radiation d’office. Il en ressort, selon lui, que le législateur n’est pas allé au-delà de ce qui était nécessaire et que la disposition en cause est ainsi proportionnée aux objectifs poursuivis. Il considère enfin que les chambres de l’Institut professionnel des agents immobiliers doivent systématiquement vérifier si les sanctions prévues par la loi sont compatibles avec les normes impératives des traités internationaux et avec le droit interne, en ce compris les principes généraux du droit.
A.1.3. En ce que S.T. fait valoir que la disposition en cause crée une différence de traitement non justifiée entre les agents immobiliers, selon qu’ils ont été condamnés pénalement pour abus de confiance ou non, le Conseil des ministres estime que cette différence de traitement excède les limites des questions préjudicielles posées à la Cour. En tout état de cause, cette différence de traitement est, selon lui, raisonnablement justifiée, dès lors que les agents immobiliers de la première catégorie ont déjà pu se défendre durant la procédure pénale, alors que les agents immobiliers de la seconde catégorie n’ont pas encore pu le faire.
A.1.4. En ce que, dans le cadre de la première question préjudicielle, S.T. critique la disposition en cause au motif qu’elle ne fait pas de distinction selon que l’abus de confiance a été commis dans la sphère privée ou dans l’exercice de la profession, le Conseil des ministres estime que cette critique excède également les limites de la question préjudicielle.
A.2.1. Selon le Conseil des ministres, la différence de traitement visée dans la seconde question préjudicielle repose sur le même critère objectif que la différence de traitement visée dans la première question préjudicielle et est, selon lui, raisonnablement justifiée, pour les mêmes raisons que celles qui justifient la différence de traitement visée dans la première question préjudicielle.
A.2.2. Le Conseil des ministres souligne que l’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 11 février 2013 soumet l’exercice de la profession d’agent immobilier à des conditions, qui impliquent notamment que nul ne peut exercer la profession d’agent immobilier si certaines peines ont été encourues. Il estime dès lors que la radiation d’office est cohérente avec la ratio legis de la loi du 11 février 2013, qui impose des limitations à la possibilité d’exercer la profession d’agent immobilier. Il considère en outre qu’eu égard à la lutte contre l’abus de confiance commis par des agents immobiliers, il est raisonnablement justifié qu’aucune distinction ne soit opérée selon que les faits ont eu lieu dans la sphère privée ou dans l’exercice de la profession.
A.2.3. Le Conseil des ministres estime que la juridiction a quo considère à juste titre que la radiation du tableau des titulaires de l’Institut professionnel des agents immobiliers s’effectue d’office et n’est ainsi pas la conséquence d’une enquête disciplinaire. Selon lui, la juridiction a quo n’est compétente que pour vérifier si la condamnation pénale a été prononcée sur la base de l’article 491 du Code pénal et si la décision du juge compétent a été prise conformément à l’article 159 de la Constitution et à l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. Il estime qu’il n’y a pas violation du droit à un procès équitable.
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A.3.1. En ce qui concerne la première question préjudicielle, S.T. fait valoir qu’il ressort des travaux préparatoires que le législateur a voulu s’assurer que des mesures rapides et efficaces puissent être prises contre les manquements les plus graves des agents immobiliers. Il déduit de la circonstance que la disposition en cause vise exclusivement l’abus de confiance au sens de l’article 491 du Code pénal que d’autres infractions, notamment le vol avec violence, l’escroquerie, l’extorsion, le faux en écriture et le blanchiment d’argent, sont apparemment considérées par le législateur comme étant des infractions moins graves, alors que certaines de ces infractions sont des crimes et que l’abus de confiance est un délit. Il estime que l’objectif poursuivi par le législateur de protéger les consommateurs ne saurait justifier raisonnablement la différence de traitement en cause.
A.3.2. S.T. souligne que la règle de radiation d’office en raison d’une condamnation pour abus de confiance a de graves conséquences sur les droits de la défense et sur le droit à un procès équitable de la personne poursuivie.
Il fait valoir que la personne qui est condamnée pour abus de confiance ne peut plus se défendre, dès lors que la sanction est établie a priori, et qu’il s’agit plus précisément de la sanction la plus grave. En revanche, les personnes qui ont commis une autre infraction peuvent encore, selon lui, se défendre sur le plan de la sanction à imposer, dans le cadre de la procédure disciplinaire. Il considère que la disposition en cause est ainsi contraire au principe d’égalité et de non-discrimination, puisque rien ne justifie la différence de traitement précitée. Selon lui, l’argumentation du Conseil des ministres ne saurait justifier la différence de traitement, dès lors que la disposition en cause est applicable non seulement à l’agent immobilier-syndic mais à tous les agents immobiliers et qu’elle l’est également si l’agent immobilier est condamné pour abus de confiance dans la sphère privée sans avoir porté atteinte aux intérêts des consommateurs.
A.3.3. S.T. estime que la disposition en cause n’est pas compatible avec le principe général des droits de la défense ni avec l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Selon lui, cette dernière disposition est applicable en l’espèce, puisque le droit d’exercer ou non une profession constitue un droit civil et qu’une interdiction absolue à cet égard constitue une sanction pénale.
A.3.4. S.T. est d’avis que la disposition en cause crée également une différence de traitement injustifiée entre, d’une part, les agents immobiliers qui ont commis un abus de confiance et qui ont été condamnés pénalement de ce chef et, d’autre part, les agents immobiliers qui ont commis un abus de confiance et qui n’ont pas été condamnés pénalement de ce chef mais qui sont poursuivis disciplinairement par les instances disciplinaires de l’Institut professionnel des agents immobiliers. Il souligne que les agents immobiliers qui ont été condamnés pénalement pour abus de confiance ne peuvent plus se défendre en ce qui concerne le taux de la peine devant les instances compétentes de l’Institut professionnel précité, alors que les agents immobiliers qui n’ont pas été condamnés pénalement peuvent encore se défendre à cet égard. Selon lui, cette différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée.
A.3.5. S.T. considère que la violation des normes de référence mentionnées dans la première question préjudicielle est d’autant plus flagrante que la disposition en cause ne fait aucune distinction selon que l’abus de confiance est commis dans l’exercice de la profession ou dans la sphère privée.
A.4.1. En ce qui concerne la seconde question préjudicielle, S.T. estime que la disposition en cause n’est pas compatible avec les normes de référence mentionnées dans cette question, parce que l’instance qui doit appliquer cette disposition ne peut pas prendre une décision autre que la radiation de l’agent immobilier concerné du tableau des titulaires de l’Institut professionnel des agents immobiliers. À son estime, les instances qui doivent décider d’imposer ou non des sanctions au sens des articles 14 et suivants de la loi du 11 février 2013 doivent être des instances judiciaires indépendantes qui, librement et en toute indépendance, doivent pouvoir choisir la sanction adaptée en fonction de l’infraction soumise à leur examen. Alors que, pour toutes les autres infractions disciplinaires, les instances compétentes disposent de la plénitude de juridiction, tel n’est pas le cas, selon lui, lorsqu’il est fait application de la disposition en cause. Il estime que la différence de traitement concernée n’est pas raisonnablement justifiée.
A.4.2. S.T. conteste l’argumentation du Conseil des ministres relative à l’article 5 de la loi du 11 février 2013 et estime qu’il existe une différence entre les conditions déterminant l’accès à la profession et les conditions auxquelles doivent répondre les personnes qui exercent déjà la profession. Selon lui, les personnes qui exercent déjà la profession ont le droit d’être jugées par une instance judiciaire indépendante lorsqu’une interdiction professionnelle leur est imposée.
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-B-
B.1. Les questions préjudicielles portent sur l’article 17 de la loi du 11 février 2013
« organisant la profession d’agent immobilier » (ci-après : la loi du 11 février 2013).
Cette disposition fait partie de la section 2 (« Sanctions disciplinaires ») du chapitre 4
(« Disciplinaire ») de la loi du 11 février 2013 :
« Toute condamnation pour abus de confiance au sens de l’article 491 du Code pénal entraîne la radiation d’office de l’agent immobilier par la Chambre.
Toute condamnation préalable sur la base de l’article 491 du Code pénal empêche l’exercice de l’activité d’agent immobilier.
En cas de constatation de détournement, la Chambre peut suspendre ou radier de la liste l’agent immobilier ».
B.2.1. Selon l’article 7, § 3, de la loi-cadre relative aux professions intellectuelles prestataires de services, codifiée par l’arrêté royal du 3 août 2017 « codifiant les lois-cadres relatives aux professions intellectuelles prestataires de services », un institut professionnel qui est créé conformément aux dispositions de cette loi-cadre comprend un conseil national composé d’un nombre égal de membres néerlandophones et francophones, ainsi que deux chambres exécutives et deux chambres d’appel, qui ont respectivement le français ou le néerlandais comme langue véhiculaire.
B.2.2. Selon l’article 9, § 1er, de la loi-cadre précitée, les chambres ont pour mission notamment de dresser et de tenir à jour le tableau des titulaires (article 9, § 1er, 1°), ainsi que de veiller à l’application des règles de la déontologie et de statuer en matière disciplinaire à l’égard des titulaires, des stagiaires et des personnes autorisées à exercer la profession à titre occasionnel (article 9, § 1er, 3°).
Les chambres d’appel se prononcent sur les recours introduits contre les décisions prises par les chambres exécutives (article 9, § 6).
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Les décisions rendues en dernier ressort par les chambres exécutives ou par les chambres exécutives réunies et les décisions définitives des chambres d’appel ou des chambres d’appel réunies peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation conformément aux dispositions de la quatrième partie, livre III, titre IVbis, du Code judiciaire (article 9, § 7). En cas de cassation, la cause est renvoyée devant la ou les chambres, autrement composées, qui doivent se conformer à la décision de la Cour de cassation sur le point de droit jugé par elle (article 1121/5, alinéa 1er, 5°, du Code judiciaire).
B.3. Deux questions préjudicielles sont posées à la Cour.
Par la première question préjudicielle, la juridiction a quo demande à la Cour si l’article 17, alinéa 1er, de la loi du 11 février 2013 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que cette disposition crée une différence de traitement entre les agents immobiliers, selon qu’ils ont été condamnés pénalement pour abus de confiance au sens de l’article 491 du Code pénal ou pour avoir commis une autre infraction : lorsqu’un agent immobilier est condamné pénalement pour abus de confiance au sens de l’article 491 du Code pénal, il est radié d’office par la chambre compétente, alors que l’agent immobilier qui est condamné pénalement pour une autre infraction ne peut être sanctionné par la chambre compétente qu’après une procédure disciplinaire, au cours de laquelle il peut se défendre.
Par la seconde question préjudicielle, il est demandé à la Cour si l’article 17, alinéa 1er, de la loi du 11 février 2013 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le droit à un procès équitable et avec le principe de l’indépendance du juge, garanti par l’article 151 de la Constitution, par l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que cette disposition prescrit qu’un agent immobilier qui est condamné pénalement pour abus de confiance au sens de l’article 491 du Code pénal est radié d’office, de sorte que le juge saisi dans le cadre de l’application de la disposition en cause est privé de tout pouvoir de déterminer lui-même une sanction et de contrôler et d’atténuer la sanction prescrite par la loi.
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B.4.1. Il ressort de la décision de renvoi que la Cour de cassation, par un arrêt du 14 octobre 2022 (ECLI:BE:CASS:2022:ARR.20221014.1N.9), après avoir annulé une décision de la chambre d’appel de l’Institut professionnel des agents immobiliers du 11 décembre 2020, a renvoyé la cause concernée devant la juridiction a quo.
B.4.2. Comme il est dit en B.2.2, la chambre d’appel devant laquelle la Cour de cassation renvoie la cause après cassation doit se conformer à la décision de la Cour de cassation sur les points de droit jugés par elle.
B.4.3. Un arrêt par lequel la Cour de cassation, après avoir cassé une décision judiciaire, renvoie une affaire devant une autre juridiction revêt, en ce qui concerne le point de droit tranché, une autorité particulière pour cette juridiction. L’autorité attachée à un tel arrêt implique que le point de droit concerné doit être réputé avoir été définitivement tranché et que la décision prise en la matière par la Cour de cassation ne peut donc en principe plus être remise en cause dans l’affaire en question.
B.4.4. Par son arrêt du 14 octobre 2022, la Cour de cassation a jugé :
« 3. Il résulte de l’ensemble des dispositions précitées que la chambre qui procède à la radiation de l’agent immobilier sur la base d’une condamnation préalable pour abus de confiance au sens de l’article 491 du Code pénal impose une mesure qui équivaut à une sanction disciplinaire.
4. Le juge disciplinaire doit, en vertu de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, pouvoir vérifier si l’imposition de la sanction prévue par la loi est compatible avec les normes impératives des traités internationaux et du droit interne, en ce compris les principes généraux du droit.
Ce droit de contrôle doit, en particulier, permettre au juge de vérifier si la sanction disciplinaire n’est pas disproportionnée à l’infraction.
5. La chambre d’appel qui juge que, dans le cadre du contrôle de la radiation du demandeur, ‘ elle ne peut effectuer qu’un contrôle marginal qui consiste à vérifier si la condamnation pénale du demandeur a été prononcée sur la base de l’article 491 du Code pénal ’ et qu’elle doit ‘ uniquement vérifier, en vertu de l’article 159 du Code judiciaire et de l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, si la décision a été prise par la juridiction compétente ’ et qu’elle ne dispose ainsi pas d’un pouvoir d’appréciation dans le cas d’une condamnation pénale de l’agent immobilier pour abus de confiance au sens de l’article 491 du Code pénal, viole l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme » (traduction libre).
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B.4.5. Il en résulte que, dans l’affaire pendante devant la juridiction a quo, il a été jugé définitivement que cette juridiction, lorsqu’elle applique l’article 17, alinéa 1er, de la loi du 11 février 2013, agit en tant que juge disciplinaire et que la radiation d’un agent immobilier en vertu de cette disposition doit être qualifiée de mesure équivalant à une sanction disciplinaire.
Il en résulte également que, dans l’affaire pendante devant la juridiction a quo, il a été jugé définitivement que cette juridiction, lorsqu’elle applique l’article 17, alinéa 1er, de la loi du 11 février 2013, dispose d’un pouvoir d’appréciation qui lui permet notamment de vérifier si la sanction disciplinaire consistant à radier un agent immobilier est proportionnée à l’infraction concernée.
B.5.1. Il ressort de la motivation de la décision de renvoi et de la formulation des questions préjudicielles posées à la Cour que la juridiction a quo remet en cause les points de droit que la Cour de cassation a tranchés définitivement. Dans la décision de renvoi, cette juridiction juge en effet que « la Cour de cassation part de la prémisse erronée selon laquelle la procédure actuelle constitue une procédure disciplinaire ». En outre, les questions posées à la Cour postulent que la juridiction a quo n’agit pas en tant que juge disciplinaire ni ne dispose d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’elle applique l’article 17, alinéa 1er, de la loi du 11 février 2013.
B.5.2. Dès lors que les points de droit concernés dans l’affaire pendante devant la juridiction a quo ont été tranchés définitivement et que ceux-ci portent sur l’interprétation de la disposition en cause, il n’appartient pas à cette juridiction de remettre en cause ces points de droit en posant des questions préjudicielles à la Cour.
B.6. Dès lors que les questions préjudicielles posées par la juridiction a quo se fondent sur une interprétation de la disposition en cause qui n’est pas conforme aux points de droit tranchés définitivement dans l’affaire pendante devant cette juridiction, la réponse à ces questions n’est pas utile à la solution du litige pendant devant cette juridiction et ces questions n’appellent pas de réponse.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
Les questions préjudicielles n’appellent pas de réponse.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 décembre 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen