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21/12/2023 | BELGIQUE | N°177/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 21 décembre 2023, 177/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 177/2023
du 21 décembre 2023
Numéro du rôle : 7933
En cause : le recours en annulation des articles 2 et 3 de la loi du 27 novembre 2022
« modifiant la loi coordonnée du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé concernant la maîtrise de l’offre » et des articles 2 et 3 de la loi du 30 juillet 2022 « modifiant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’offre des professions de santé », introduit par Sam Latet et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lav

rysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 177/2023
du 21 décembre 2023
Numéro du rôle : 7933
En cause : le recours en annulation des articles 2 et 3 de la loi du 27 novembre 2022
« modifiant la loi coordonnée du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé concernant la maîtrise de l’offre » et des articles 2 et 3 de la loi du 30 juillet 2022 « modifiant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’offre des professions de santé », introduit par Sam Latet et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 7 février 2023 et parvenue au greffe le 9 février 2023, un recours en annulation des articles 2 et 3 de la loi du 27 novembre 2022 « modifiant la loi coordonnée du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé concernant la maîtrise de l’offre » (publiée au Moniteur belge du 9 décembre 2022, deuxième édition) et des articles 2 et 3 de la loi du 30 juillet 2022 « modifiant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’offre des professions de santé » (publiée au Moniteur belge du 8 août 2022) a été introduit par Sam Latet, Sien Wauters, Louis Ide, Jan Dockx et Pierre Van Maele, assistés et représentés par Me M. E. Storme, avocat au barreau de Gand.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me E. Jacubowitz, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me E. Jacubowitz et Me P. De Maeyer, avocat au barreau de Bruxelles, a également introduit un mémoire en réplique.
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Par ordonnance du 4 octobre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures J. Moerman et E. Bribosia, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 18 octobre 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 18 octobre 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
A.1.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par les articles 2 et 3 de la loi du 27 novembre 2022 « modifiant la loi coordonnée du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé concernant la maîtrise de l’offre » (ci-après : la loi du 27 novembre 2022), des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 23, alinéa 3, 1° et 2°, de la Constitution, avec le principe de la sécurité juridique et avec le principe de proportionnalité. Elles font valoir que les dispositions attaquées remplacent une clé de répartition claire et objective par une clé de répartition moins objective et moins proportionnée. Il en résulte, selon elles, que les citoyens de la Communauté flamande qui font appel à un médecin sont traités différemment des citoyens de la Communauté française qui font appel à un médecin, et ce, sans justification raisonnable. Cela entraîne, selon elles, la violation du droit à une protection égale de la santé. La nouvelle procédure accorde une trop grande liberté au Roi, la Commission de planification de l’offre médicale ne devant formuler qu’un avis non contraignant, sans que les éléments sur lesquels cet avis se fonde soient par ailleurs clairement définis. Les médecins ne peuvent de la sorte pas non plus compter sur une protection égale de leur droit à des conditions de travail équitables. En outre, les discriminations précitées entraînent un recul significatif du degré de protection, et donc une violation de l’obligation de standstill. Bien qu’une répartition équitable soit théoriquement possible, le système a clairement pour objectif de léser la Communauté flamande dans le cadre de la répartition des quotas. Les parties requérantes renvoient dans leur mémoire en réponse à l’avis de la Commission de planification de l’offre médicale du 18 avril 2023.
A.1.2. Le Conseil des ministres allègue que le premier moyen est irrecevable, parce qu’il se fonde en réalité sur le caractère hypothétiquement arbitraire de la clé de répartition encore à définir, celle-ci n’étant pas fixée dans les dispositions attaquées. Il souligne que les parties requérantes mentionnent elles-mêmes la possibilité que la clé de répartition s’avère favorable en fin de compte. Une violation éventuelle ne saurait découler que des mesures d’exécution prises par le Roi en vertu des dispositions attaquées, mesures pour lesquelles la Cour n’est pas compétente. Enfin, le Conseil des ministres observe que l’ajustement de la procédure permet, pour fixer la clé de répartition, de ne pas tenir compte uniquement du nombre d’habitants, mais également de l’évolution démographique, de l’évolution des besoins en soins de la population, des évolutions au sein de la profession, de l’activité des professionnels des soins de santé et de l’organisation des soins elle-même.
A.2.1. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation, par l’article 2 de la loi du 30 juillet 2022 « modifiant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’offre des professions de santé » (ci-
après : la loi du 30 juillet 2022), des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 23, alinéa 3, 1° et 2°, de la Constitution, avec le principe de la sécurité juridique et avec le principe de proportionnalité.
Elles critiquent le fait que l’obligation de compenser la disproportion du nombre de médecins autorisés est remplacée par la possibilité pour le Roi de tenir compte du surnombre historique de ceux-ci en Communauté française. Leurs arguments coïncident pour l’essentiel avec ceux qui ont été développés dans le premier moyen.
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A.2.2. Selon le Conseil des ministres, le moyen est irrecevable, à défaut d’exposé permettant de comprendre en quoi les normes de référence invoquées seraient violées. Pour le surplus, il répète que le caractère éventuellement arbitraire des règles de correction des quotas ne saurait découler que des mesures d’exécution, lesquelles ne relèvent pas de la compétence de la Cour, mais peuvent faire l’objet d’une autre voie de recours.
A.3.1. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par l’article 3 de la loi du 30 juillet 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 23, alinéa 3, 1° et 2°, de la Constitution et avec le principe de proportionnalité, en ce que cette disposition prévoit que la résorption du déséquilibre ne sera pas mise en œuvre en 2028.
A.3.2. Le Conseil des ministres affirme que les parties requérantes ne précisent pas les catégories de personnes qui sont comparées, ni en quoi ces catégories seraient traitées différemment. La simple mention de catégories différentes ne suffit pas. Le moyen est irrecevable à défaut d’exposé.
A.3.3. Dans leur mémoire en réponse, les parties requérantes affirment que les deuxième et troisième moyens opèrent une comparaison claire entre, d’une part, les personnes nécessitant des soins et les médecins en Communauté flamande et, d’autre part, les personnes nécessitant des soins et les médecins en Communauté française.
-B-
Quant aux dispositions attaquées
B.1.1. Les parties requérantes demandent l’annulation des articles 2 et 3 de la loi du 27 novembre 2022 « modifiant la loi coordonnée du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé concernant la maîtrise de l’offre » (ci-après : la loi du 27 novembre 2022) ainsi que des articles 2 et 3 de la loi du 30 juillet 2022 « modifiant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’offre des professions de santé » (ci-après : la loi du 30 juillet 2022).
Ces deux lois trouvent leur origine dans le même avant-projet, qui a été scindé à la suite de la procédure d’avis devant la section de législation du Conseil d’État (Doc. parl., Chambre, 2021-
2022, DOC 55-2801/001, pp. 27-28). Il ressort de l’exposé des motifs, identique dans les deux cas, que l’objectif du législateur est de baser la planification de l’offre médicale et la répartition de cette offre au sein des communautés non pas uniquement sur le nombre d’habitants, mais également sur d’autres éléments tels que l’évolution démographique, l’évolution des besoins en soins de la population et les évolutions au sein de la profession, l’activité des professionnels des soins de santé et l’organisation des soins elle-même :
« Une planification optimale de l’offre médicale doit garantir que des soins de qualité puissent être dispensés par des professionnels des soins de santé qualifiés dont le nombre est
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approprié pour répondre aux besoins de la population. L’adéquation du nombre de médecins et de dentistes aux besoins de la population a un effet positif sur (1) la qualité de la formation;
(2) la qualité des professions médicales et (3) la qualité des soins. Une bonne adéquation entre l’offre et les besoins contribue à dispenser des soins efficaces et à maîtriser les dépenses en matière de soins de santé.
La planification de l’offre médicale doit tenir compte à la fois de l’évolution démographique, de l’évolution des besoins en soins de la population et des évolutions dans la profession, l’activité des professionnels des soins de santé et l’organisation des soins elle-
même.
Il est dans l’intérêt des patients, des étudiants et des prestataires de soins d’atteindre une bonne synergie avec les différents niveaux de pouvoir, chacun prenant ses responsabilités.
Les mesures à prendre par les autorités compétentes doivent aboutir à (1) une planification de l’offre médicale mieux adaptée aux besoins, en prêtant une attention particulière aux disciplines en pénurie et à une répartition équilibrée sur l’ensemble du territoire; (2) au respect des quotas fédéraux alignés sur les besoins précités et (3) à la sécurité juridique pour les étudiants.
À la lumière de cet objectif, un accord a été conclu par lequel la Communauté française transforme l’examen d’admission (numerus clausus) aux études de médecine et de dentisterie en un concours d’entrée (numerus fixus) à partir de l’année académique 2023-2024.
Ce changement doit garantir une adéquation entre le nombre d’étudiants admis à la formation de base et les quotas fédéraux pour l’accès aux titres professionnels particuliers à partir de 2029 pour les médecins (et à partir de 2028 pour les dentistes) » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2801/001, p. 4, et DOC 55-2871/001, p. 4).
B.1.2. Les articles 2 et 3 de la loi du 27 novembre 2022 règlent la nouvelle procédure de fixation des quotas et abandonnent ce faisant la clé de répartition qui avait été établie par la Cour des comptes. Conformément à la nouvelle procédure, les futurs quotas seront fixés par communauté, après avis de la Commission de planification de l’offre médicale.
L’article 3 de la loi du 27 novembre 2022 apporte une série de modifications à l’article 92
de la loi relative à l’exercice des professions de soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015 (ci-
après : la loi du 10 mai 2015). Avant ces modifications, l’article 92 disposait que le Roi déterminait les quotas, en tenant compte d’une clé de répartition fixée par la Cour des comptes.
Cette clé de répartition était établie chaque année pour le 31 mars, sur la base du nombre d’habitants par communauté (article 92, § 1er/1, de la loi du 10 mai 2015). L’article 3 de la loi du 27 novembre 2022 supprime l’article 92, § 1er/1, de la loi du 10 mai 2015 et remplace chaque fois les mots « conformément à la procédure définie au paragraphe 1er/1 » mentionnés
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à l’article 92, § 1er, par les mots « après avis de la Commission de planification Offre médicale ». Il en résulte que, pour les années à partir de 2029, les quotas seront déterminés par le Roi, après avis (non contraignant) de la Commission de planification de l’offre médicale.
L’article 2 de la loi du 27 novembre 2022 modifie l’article 91, § 2, 1°, de la loi du 10 mai 2015, qui définit la mission de la Commission de planification de l’offre médicale précitée. Les mots « du Royaume » sont remplacés par les mots « par Communauté ». Ainsi modifié, l’article 91, § 2, 1°, dispose :
« La mission de cette Commission consiste à :
1° examiner les besoins en matière d’offre médicale en ce qui concerne les professions visées aux articles 3, § 1er, et 4. Pour déterminer ces besoins, il sera tenu compte de l’évolution des besoins relatifs aux soins médicaux, de la qualité des prestations de soins et de l’évolution démographique et sociologique des professions concernées et de la population. Les avis visés portent sur les besoins par Communauté ».
B.1.3. La loi du 30 juillet 2022 fixe les quotas de médecins et de dentistes, respectivement pour l’année 2028 et pour l’année 2027, et ajuste le mécanisme de correction.
L’article 2 de la loi du 30 juillet 2022 dispose :
« À l’article 92/1, § 1er de la loi relative à l’exercice des professions des soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015, inséré par la loi du 22 mars 2018, les phrases ‘ À partir de 2024, chaque année, ce surnombre est déduit des futurs quotas, jusqu’à ce que le surnombre soit résorbé. Le nombre, déduit chaque année, est égal à la différence entre le futur quota d’une année déterminée et un nombre fixe de 505. ’ sont remplacées par ce qui suit :
‘ Le Roi peut fixer par arrêté délibéré en Conseil des ministres, les modalités de correction des futurs quotas, compte tenu de ce surnombre. ’ ».
Les travaux préparatoires justifient cette disposition comme suit :
« L’article 92/1, § 1er, de la loi du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé, réglementant la correction des futurs quotas de médecins dans la Communauté française, est adapté.
À la suite de l’accord relatif à l’offre médicale, la résorption obligatoire des surnuméraires dans la Communauté française à une valeur de 505 est remplacée par une possibilité pour le
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Roi de fixer, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, les modalités de correction des futurs quotas, compte tenu du surnombre constaté.
La Commission de planification tient compte, dans son modèle de calcul, des excédents et de la situation actuelle sur le terrain pour émettre un avis sur les quotas » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2801/001, p. 6).
Les travaux préparatoires précisent par ailleurs que l’habilitation qui a été conférée au Roi de fixer les modalités de correction du surnombre s’applique « en attendant l’instauration effective d’un numerus fixus au niveau de la Communauté française » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2801/001, p. 5). À la suite d’une question émanant de la section de législation du Conseil d’État, le délégué du ministre a déclaré à cet égard :
« Comme première étape de l’accord de principe, la résorption obligatoire d’excédents jusqu’à la valeur de 505 est remplacée par une possibilité pour le Roi de corriger les quotas.
Une fois le décret adopté au Parlement de la Communauté française, l’intention est de proposer d’apporter une deuxième modification à la loi coordonnée du 10 mai 2015 prévoyant la suppression totale de l’excédent » (ibid., p. 29; Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-
2801/003, p. 9).
L’article 3 de la loi du 30 juillet 2022 dispose :
« À l’article 3/1 de l’arrêté royal du 12 juin 2008 relatif à la planification de l’offre médicale, modifié en dernier lieu par l’arrêté royal du 14 août 2021, les modifications suivantes sont apportées :
a) le paragraphe 1er est complété par le 5° rédigé comme suit :
‘ 5° 1104 pour l’année 2028; ’
b) le paragraphe 2 est complété par le 5° rédigé comme suit :
‘ 5° 744 pour l’année 2028 ’ ».
Cette disposition est justifiée comme suit :
« Par cette modification, les quotas de médecins pour l’année 2028 sont fixés dans l’arrêté royal du 12 juin 2008 relatif à la planification de l’offre médicale.
Pour pouvoir fixer à temps les quotas de l’année qui suit, ces derniers sont déterminés à titre exceptionnel par la loi et non par arrêté royal. Lorsque les quotas sont fixés par arrêté royal,
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ils doivent en effet être connus avant le début de l’année académique conformément à l’article 92, § 2, 1° de la loi du 10 mai 2015. La loi permet toutefois de déroger à la disposition précitée afin d’informer le plus rapidement possible les étudiants des nouveaux quotas.
Les quotas de médecins pour 2028 reposent sur l’avis de la Commission de planification du 10 mars 2022 (respectivement 1058 pour la Communauté flamande et 711 pour la Communauté française). Ces chiffres ont été calculés sur la base du scénario alternatif retenu de la Commission de planification.
Pour parvenir aux quotas proposés, la Commission de planification a déjà tenu compte de facteurs tels qu’un déplacement de la demande en soins vers les groupes d’âge les plus âgés, une baisse du niveau d’activité des médecins généralistes (et autres spécialistes) et une réserve de 2,5 % pour pouvoir répondre aux besoins de la population en cas d’épidémies éventuelles (augmentation de la demande en soins de 2,5 %). La Commission de planification se voit toutefois confier une double mission en perspective de la fixation des quotas de 2029 :
- analyser de manière approfondie et prendre en compte l’impact de la COVID-19 et de toute autre épidémie éventuelle sur l’offre de médecins généralistes;
- réaliser une analyse comparative internationale de l’offre de médecins, et plus particulièrement de médecins généralistes.
En attendant le résultat de cette analyse, il est proposé d’augmenter de 10 %
supplémentaires le sous-quota de médecins généralistes proposé pour 2028. Ceci implique que le quota global pour 2028 passe exceptionnellement de 711 à 744 pour la Communauté française et de 1058 à 1104 pour la Communauté flamande. La Commission de planification établit les quotas de 2029 (et des années suivantes) en se basant sur son évaluation objective des besoins futurs tout en tenant compte de cette augmentation exceptionnelle convenue pour l’année 2028.
La répartition des quotas entre les deux communautés a lieu sur la base de l’accord conclu, dont l’avis 2022/01 de la Commission de planification est à la base, et non sur la base de la clé de répartition de la Cour des comptes. Et ce, en attendant l’introduction d’une nouvelle procédure selon laquelle les futurs quotas seront fixés par communauté après avis de la Commission de planification. En effet, étant donné que depuis 2022, les quotas reposent sur des scénarios de base ou des scénarios alternatifs sur la base de nouvelles informations détaillées disponibles en ce qui concerne les modèles d’activité des médecins et des dentistes (couplage de données), il est possible d’estimer les besoins de manière plus précise » (Doc.
parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2801/001, pp. 6 et 7).
B.1.4. L’article 2, 1°, de la loi du 28 juin 2023 « modifiant la loi coordonnée du 10 mai 2015 relative à l'exercice des professions des soins de santé, concernant la maîtrise de l'offre »
(ci-après : la loi du 28 juin 2023) a abrogé, à partir du 24 juillet 2023, le paragraphe 1er de l’article 92/1 de la loi du 10 mai 2015.
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L’exposé général des motifs mentionne en la matière :
« Conformément aux accords, la Fédération Wallonie- Bruxelles instaure, par décret, un concours d’entrée (numerus fixus) pour les médecins et les dentistes à partir de l’année académique 2023-2024. Ce changement doit garantir une adéquation entre le nombre d’étudiants admis à la formation de base et les quotas fédéraux fixés pour l’accès aux titres professionnels particuliers à partir de 2029 pour les médecins et à partir de 2028 pour les dentistes.
[…]
Maintenant que le Parlement de la Fédération Wallonie- Bruxelles a adopté le décret relatif au concours d’entrée le 16 novembre 2022, la prochaine étape est un dernier alignement sur la législation fédérale qui se compose de deux volets :
1° la suppression du surplus cumulé des médecins étant donné que la Commission de planification tient compte, dans son modèle de calcul, des surplus et de la situation actuelle sur le terrain pour émettre un avis sur les quotas. Le modèle de projection de la force de travail de la commission de planification fournit également des scénarios alternatifs, dans lesquels de nouvelles hypothèses concernant l’évolution des paramètres peuvent être prises en compte »
(Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3389/001, pp. 4-5).
Le commentaire des articles précise encore à cet égard :
« Le présent article abroge l’article 92/1, § 1, de la loi coordonnée du 10 mai 2015 relative à l’exercice des professions des soins de santé, de sorte que le surplus historique des médecins en Fédération Wallonie-Bruxelles est supprimé.
Ceci est motivé par le fait que la Commission de planification tient compte de ces surplus dans son modèle de calcul. La Commission de planification se base, dans son modèle de calcul, sur les chiffres réels d’admission des étudiants et sur le nombre constaté de médecins actifs sur le marché du travail.
Si, dans le passé, il y avait un surplus par rapport aux quotas, cela se traduit par un nombre plus élevé de médecins sur le marché du travail, qui est donc inclus dans le modèle de calcul et entraîne une hausse des chiffres concernant les besoins » (ibid., p. 6).
Le concours d’entrée a été instauré par le décret de la Communauté française du 17 novembre 2022 « modifiant le décret du 29 mars 2017 relatif aux études de sciences médicales et dentaires ».
B.1.5. Par ailleurs, l’article 2, 2°, de la loi du 28 juin 2023 a modifié le paragraphe 2 de l’article 92/1 de la loi du 10 mai 2015 à partir du 24 juillet 2023 également, comme suit :
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« Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, fixer les modalités de l’augmentation des futurs quotas de la Communauté flamande en vue d’une réduction accélérée du déficit en Communauté flamande tel que fixé dans l’avis 2017/03 de la Commission de planification ».
Les travaux préparatoires indiquent :
« L’article 92/1, § 2, de la loi précitée du 10 mai 2015 est remplacé par cet article afin de faire apparaître plus clairement sa ratio legis dans le texte de loi. Il est précisé qu’il s’agit d’une éventuelle augmentation des quotas en Communauté flamande, et ce, en vue de la réduction accélérée du déficit qui a été constaté pour la Communauté flamande dans l’avis 2017/03 de la Commission de planification.
Le déficit de la Communauté flamande constaté dans le passé est également inclus dans le modèle de calcul. Toutefois, les auteurs estiment qu’une réduction accélérée de celui-ci doit rester une option qui peut être activée par un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres.
C’est important compte tenu de la situation actuelle sur le terrain, tant en ce qui concerne l’offre de médecins (par exemple refus de nouveaux patients par les médecins généralistes, baisse du niveau d’activité souhaité par les médecins…) qu’en ce qui concerne les besoins de la population; dans ce cadre, il peut notamment être fait référence à l’impact de la pandémie.
La possibilité d’une réduction accélérée pour la Communauté flamande est maintenue étant donné qu’une situation asymétrique s’est produite » (ibid., pp. 6 et 7).
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.2.1. Le premier moyen est pris de la violation, par les articles 2 et 3 de la loi du 27 novembre 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 23, alinéa 3, 1° et 2°, de la Constitution, avec le principe de la sécurité juridique et avec le principe de proportionnalité. Les parties requérantes font valoir que les dispositions attaquées remplacent une clé claire et objective de répartition par une clé de répartition moins objective et moins proportionnée. Il en résulte que les citoyens de la Communauté flamande qui font appel à un médecin seraient traités différemment des citoyens de la Communauté française qui font appel à un médecin, et ce, sans justification raisonnable.
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B.2.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.2.3. En ce qui concerne la procédure de fixation des quotas, les dispositions attaquées n’instaurent aucune différence de traitement entre les communautés, ni entre leurs habitants ou leurs médecins. La différence de traitement critiquée dans le premier moyen est dès lors inexistante. En ce que les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées instaurent une clé de répartition qui est moins objective et moins proportionnée que celle qui s’appliquait auparavant, elles allèguent une différence de traitement qui repose sur la comparaison de deux législations applicables à des moments différents. Pour vérifier le respect du principe d’égalité et de non-discrimination, il n’est pas pertinent de comparer deux législations qui étaient applicables à des moments différents. Il relève du pouvoir d’appréciation du législateur de poursuivre un objectif différent de celui qu’il poursuivait antérieurement et d’adopter des dispositions de nature à le réaliser. La seule circonstance que le législateur a pris une mesure différente de celle qu’il avait adoptée antérieurement n’établit en soi aucune discrimination.
B.2.4. L’article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. À cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels et ils déterminent les conditions de leur exercice. L’article 23 de la Constitution ne précise pas ce qu’impliquent ces droits dont seul le principe est exprimé, chaque législateur étant chargé de les garantir, conformément à l’alinéa 2 de cet article, en tenant compte des obligations correspondantes.
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L’article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement, sans justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
B.2.5. Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.1.1, l’objectif est que l’on puisse tenir compte, pour la fixation de la répartition des quotas, non pas uniquement du nombre d’habitants des communautés concernées, mais également de l’évolution des besoins en soins de la population et des évolutions au sein de la profession, de l’activité des professionnels des soins de santé et de l’organisation des soins elle-même. Les parties requérantes n’exposent pas en quoi une répartition prenant aussi en compte ces éléments conduirait à un recul significatif du degré de protection du droit à la santé des citoyens des différentes communautés ou encore du droit des médecins de ces communautés à des conditions de travail équitables. Elles affirment au contraire elles-mêmes que les quotas ainsi fixés pourraient en fin de compte s’avérer favorables à la Communauté flamande. Ainsi qu’il ressort du B.1.5, l’article 92/1, § 2, de la loi du 10 mai 2015, modifié par l’article 2 de la loi du 28 juin 2023, habilite en outre le Roi à augmenter les futurs quotas de la Communauté flamande en vue d’une réduction accélérée du déficit en Communauté flamande.
En ce que les parties requérantes critiquent également dans leur premier moyen la composition de la Commission de planification de l’offre médicale, le moyen n’est pas recevable, dès lors qu’en vertu de l’article 91, § 4, alinéa 1er, de la loi du 10 mai 2015, il appartient au Roi de régler, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, la composition et le fonctionnement de la Commission de planification et que les dispositions attaquées n’ont du reste pas apporté de modifications sur ce point.
En ce qu’elles soutiennent dans le même temps que les dispositions attaquées sont dans certains cas susceptibles d’avoir des répercussions négatives sur les citoyens et les professionnels des soins de santé de la Communauté flamande, le premier moyen porte en réalité sur l’exécution de la loi. Une telle critique ne relève pas des compétences de la Cour.
Ainsi que la section de législation du Conseil d’État l’a observé dans son avis, « [lorsque] le Roi mettra en œuvre l’habilitation qui lui est conférée par l’article 92, § 1er, en projet de la loi ‘ relative à l’exercice des professions des soins de santé ’, coordonnée le 10 mai 2015, il sera attentif à garantir le respect du principe de proportionnalité qui doit encadrer la fixation des
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quotas globaux au regard, s’agissant de la population, du droit à la protection de la santé et, s’agissant des candidats‑médecins, du droit à l’exercice de leur profession et du droit au respect de leur vie privée. Il en ira de même à l’égard de la nécessaire prise en considération du principe de standstill attaché à l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution » (Doc. parl., Chambre, 2021-
2022, DOC 55-2871/001, p. 23). Le cas échéant, c’est au juge compétent qu’il appartiendra de le vérifier.
B.2.6. Pour autant qu’il soit recevable, le premier moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le deuxième moyen
B.3.1. Le deuxième moyen est pris de la violation, par l’article 2 de la loi du 30 juillet 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 23, alinéa 3, 1°
et 2°, de la Constitution, avec le principe de la sécurité juridique et avec le principe de proportionnalité. Les parties requérantes critiquent le fait que la résorption obligatoire du surnombre des médecins autorisés en Communauté française est remplacée par la possibilité pour le Roi de prendre en compte ce surnombre.
B.3.2. Le Conseil des ministres conteste la recevabilité du deuxième moyen en ce qu’il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, parce qu’il ne permet ni de déterminer les catégories de personnes qui sont traitées différemment, ni en quoi celles-ci le seraient.
B.3.3. Lorsqu’est invoquée une violation du principe d’égalité et de non-discrimination, il faut en règle générale préciser quelles sont les catégories de personnes qui sont comparées et en quoi la disposition attaquée entraîne une différence de traitement qui serait discriminatoire.
B.3.4. L’exposé du moyen permet de déduire que, selon les parties requérantes, les personnes nécessitant des soins et les médecins en Communauté flamande doivent être comparés avec les personnes nécessitant des soins et les médecins en Communauté française.
Toutefois, l’exposé des parties requérantes ne permet pas de déduire avec la précision requise en quoi la disposition attaquée instaure en soi entre ces catégories de personnes une différence
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de traitement qui serait discriminatoire. Il n’appartient pas à la Cour d’examiner la constitutionnalité d’une différence de traitement entre deux catégories de personnes dont elle devrait elle-même définir les contours, à défaut pour le moyen de procéder à cette définition.
B.3.5. Le deuxième moyen n’est pas recevable en ce qu’il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.4.1. En ce que le deuxième moyen est pris de la violation de l’obligation de standstill, les parties requérantes se bornent à critiquer le fait que le surnombre historique constaté en Communauté française, lequel est basé sur le nombre d’habitants, n’est plus résorbé automatiquement. Elles n’avancent cependant aucun argument permettant de constater que la modification attaquée entraîne en soi un recul significatif du degré de protection des personnes nécessitant des soins et des médecins en Communauté flamande.
B.4.2. Le deuxième moyen n’est pas recevable en ce qu’il est pris de la violation de l’obligation de standstill, garantie par l’article 23, alinéa 3, 1° et 2°, de la Constitution.
B.5. En ce qu’il doit être compris en ce sens qu’il est dirigé contre le simple fait que le mécanisme de correction ne figure plus dans la loi même, mais qu’une habilitation au Roi a été prévue, le deuxième moyen est sans objet, dès lors que l’habilitation au Roi prévue par l’article 92/1, § 1er, de la loi du 10 mai 2015 a été abrogée à partir du 24 juillet 2023 et que le Roi n’a pas mis cette habilitation en œuvre.
En ce qui concerne le troisième moyen
B.6.1. Le troisième moyen est pris de la violation, par l’article 3 de la loi du 30 juillet 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 23, alinéa 3, 1°
et 2°, de la Constitution et avec le principe de proportionnalité, en ce que cette disposition prévoit que la résorption du déséquilibre ne sera pas mise en œuvre en 2028.
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B.6.2. Le Conseil des ministres conteste la recevabilité du troisième moyen en ce qu’il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, parce qu’il ne permet pas de déterminer les catégories de personnes qui sont traitées différemment, ni en quoi celles-ci seraient traitées inégalement.
B.6.3. L’exposé du moyen se limite à effectuer un renvoi à l’exposé du deuxième moyen.
Par conséquent, pour les mêmes motifs que ceux qui sont mentionnés en B.3.4, le troisième moyen n’est pas recevable en ce qu’il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.6.4. En ce que le troisième moyen est pris de la violation de l’obligation de standstill, les parties requérantes n’avancent aucun élément permettant de déduire que les quotas spécifiques fixés par la disposition attaquée entraîneraient un recul significatif du degré de protection par rapport à la situation existante. Par conséquent, le troisième moyen n’est pas recevable en ce qu’il est pris de la violation de l’article 23 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 décembre 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 177/2023
Date de la décision : 21/12/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 03/01/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-12-21;177.2023 ?

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