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18/01/2024 | BELGIQUE | N°11/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 18 janvier 2024, 11/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 11/2024
du 18 janvier 2024
Numéro du rôle : 7979
En cause : la question préjudicielle concernant l’article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi relative à l'exercice des professions des soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015, posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et D. Pieters, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt s

uivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt n° 256.226 du 6 avril 2023...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 11/2024
du 18 janvier 2024
Numéro du rôle : 7979
En cause : la question préjudicielle concernant l’article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi relative à l'exercice des professions des soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015, posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et D. Pieters, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt n° 256.226 du 6 avril 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 20 avril 2023, le Conseil d’État a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi relative à l’exercice des professions des soins de santé viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime, en ce que le régime transitoire qu’il prévoit pour les personnes pouvant justifier d’une expérience professionnelle de minimum trois ans dans le domaine de la psychologie clinique est réservé à celles qui sont porteuses d’un diplôme d’enseignement universitaire dans le domaine de la psychologie, à l’exclusion des autres personnes autorisées à porter le titre de psychologue en application de l’article 14 de la loi du 8 novembre 1993 protégeant le titre de psychologue ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- Anouk Dohmen, assistée et représentée par Me V. Letellier, avocat au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me E. Jacubowitz et Me C. Caillet, avocats au barreau de Bruxelles.
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Anouk Dohmen a également introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 8 novembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs M. Pâques et Y. Kherbache, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Anouk Dohmen est titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur de plein exercice de type court d’assistante en psychologie, spécialité clinique, à l’Institut libre Marie Haps, obtenu en 1984. Elle travaille en tant que psychologue clinicienne depuis le 1er septembre 1985 et au sein d’un cabinet privé de consultation psychologique depuis le 1er avril 2007.
La loi du 8 novembre 1993 « protégeant le titre de psychologue » (ci-après : la loi du 8 novembre 1993)
réserve en principe l’usage du titre de psychologue aux titulaires d’un diplôme universitaire en psychologie.
Anouk Dohmen a cependant été autorisée, sur la base d’une disposition transitoire de cette loi, à porter le titre de psychologue avec tous les droits qui y sont attachés. Elle est inscrite sur la liste tenue par la commission des psychologues depuis le 1er janvier 1996.
Les articles 68/1 à 68/4 de la loi relative à l’exercice des professions des soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015 (ci-après : la loi coordonnée du 10 mai 2015), établissent les règles relatives à l’exercice de la psychologie clinique et de l’orthopédagogie clinique, dont les principales conditions d’agrément. Les praticiens d’une profession de soins de santé, dont les psychologues cliniciens et les orthopédagogues cliniciens, ne peuvent exercer leur art qu’après avoir obtenu le visa requis sur la base de leur diplôme, conformément à l’article 25 de la loi coordonnée du 10 mai 2015, et puis, à la suite de l’abrogation de cette disposition, conformément à l’article 11 de la loi du 22 avril 2019 « relative à la qualité de la pratique des soins de santé ».
Le 13 novembre 2019, Anouk Dohmen introduit une demande d’obtention du visa requis pour l’exercice de la psychologie clinique. Le 28 avril 2022, le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique décide de refuser de lui délivrer le visa, notamment au motif que son diplôme n’est pas un diplôme d’enseignement universitaire dans le domaine de la psychologie. Anouk Dohmen demande l’annulation de cette décision devant le Conseil d’État.
Dans ce contexte, le Conseil d’État pose la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. La partie requérante devant le Conseil d’État relève que l’article 14 de la loi du 8 novembre 1993 a permis aux titulaires d’un diplôme de psychologie de l’enseignement supérieur non universitaire qui avaient une
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expérience professionnelle minimale de porter le titre de psychologue, moyennant une décision en ce sens de l’autorité compétente. Le législateur a estimé que ces personnes présentaient le même degré de qualité que celui qui est attendu d’un titulaire d’un diplôme universitaire en psychologie.
La partie requérante devant le Conseil d’État considère que la loi coordonnée du 10 mai 2015 poursuit le même objectif de qualité que la loi du 8 novembre 1993 en ce qu’elle prévoit que le praticien doit être titulaire d’un diplôme universitaire en psychologie clinique. La disposition en cause est inconstitutionnelle en ce qu’elle ne permet pas aux personnes ayant bénéficié du régime transitoire prévu par la loi du 8 novembre 1993 de continuer à exercer en tant que psychologue clinicien. Il n’est pas raisonnablement justifié que ces personnes soient définitivement exclues de la pratique de la psychologie clinique, alors même qu’elles peuvent continuer à porter le titre qui est traditionnellement attaché à l’exercice de cette pratique et qu’elles justifient d’au moins 25 années d’expérience au 1er septembre 2016.
La partie requérante devant le Conseil d’État allègue que l’impossibilité pour elle de continuer à exercer sa profession après y avoir été autorisée, en 1994, par une commission chargée de vérifier que, compte tenu de sa formation et de son expérience, elle présentait des garanties comparables à celles qui résultent de l’obtention d’un diplôme universitaire porte par ailleurs atteinte à ses attentes légitimes.
A.2. Le Conseil des ministres soutient que, par la disposition en cause, le législateur entend réglementer un secteur de la santé qui n’était pas réglementé auparavant afin de lutter contre certaines dérives, d’offrir un cadre garantissant les compétences des psychologues cliniciens et, ce faisant, de protéger les patients dans un contexte où le besoin d’un service de qualité des soins dispensés croît. Selon le législateur, trop de personnes exercent la psychologie clinique sans avoir les qualifications requises. Le législateur considère à cet égard qu’il est indispensable d’être titulaire d’un diplôme universitaire pour se voir reconnaître le titre de psychologue clinicien.
Un amendement en sens contraire a été rejeté en commission. La circonstance qu’une personne a exercé pendant plusieurs années sous le titre de psychologue clinicien ne garantit pas suffisamment la qualité des soins dispensés.
Le Conseil des ministres ajoute que les objectifs de la loi du 8 novembre 1993 sont similaires à ceux de la loi du 4 avril 2014 « réglementant les professions des soins de santé mentale et modifiant l’arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l’exercice des professions des soins de santé », mais ils ne sont pas identiques. En 1994, il était nécessaire de protéger le titre de psychologue pour garantir un service de qualité aux patients.
L’article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi coordonnée du 10 mai 2015 va plus loin puisqu’il tend à lutter contre le charlatanisme et les professionnels qui exercent comme psychologue clinicien sans avoir les compétences requises.
Il y va de la sécurité du patient, laquelle constitue un motif impérieux d’intérêt général. Par ailleurs, le principe de la confiance légitime et le principe de la sécurité juridique ne font pas obstacle à ce que le législateur s’assure des compétences des professionnels exerçant comme psychologue clinicien. Enfin, l’expérience acquise par la partie requérante devant le Conseil d’État n’est pas perdue; il lui suffit de suivre un cursus universitaire pour exercer comme psychologue clinicien.
Le Conseil des ministres conclut que l’absence de régime transitoire pour les psychologues n’ayant obtenu qu’un diplôme de type non universitaire est raisonnablement justifiée.
A.3. La partie requérante devant le Conseil d’État répond que l’objectif qui consiste à lutter contre le charlatanisme et à protéger le patient contre les dérives du secteur concerne essentiellement l’exercice de la psychothérapie. Cet objectif n’est pas pertinent en ce qui concerne les psychologues, dont le titre est protégé depuis l’entrée en vigueur de la loi du 8 novembre 1993 et qui sont soumis au contrôle de la commission des psychologues.
La réglementation de l’exercice de la psychologie clinique poursuit un objectif distinct, qui est d’intégrer ces praticiens dans la réglementation des soins de santé et dans un trajet de soins préconisé par l’Organisation mondiale de la santé.
Selon la partie requérante devant le Conseil d’État, l’argumentation du Conseil des ministres repose sur une confusion entre le port du titre de psychologue et l’exercice de la profession. Le port du titre est régi par la loi du 8 novembre 1993, tandis que l’exercice de la profession est régi par l’article 62/1 de la loi coordonnée du 10 mai 2015. On ne peut pas raisonnablement soutenir qu’une personne qui porte légalement le titre de psychologue - et qui est donc titulaire d’un diplôme universitaire, sauf application du régime transitoire - ne justifie pas des qualités nécessaires pour exercer la profession de psychologue clinicien, ce qui impliquerait qu’elle devrait être titulaire
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d’un diplôme universitaire. Il se justifie par contre d’exiger que la pratique de la psychologie clinique soit réservée aux psychologues et donc que les mêmes conditions soient imposées pour l’exercice de la profession et pour l’usage du titre.
La partie requérante devant le Conseil d’État précise que sa thèse ne revient pas à imposer au législateur de prévoir le même régime transitoire que celui de la loi du 8 novembre 1993, mais tout au plus à lui imposer de reconnaître que les psychologues inscrits sur la liste tenue par la commission des psychologues à la date d’entrée en vigueur de la disposition régissant l’exercice de la profession sur la base du régime transitoire de la loi du 8 novembre 1993 doivent pouvoir continuer à exercer la profession de psychologue clinicien.
-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1.1. L’article 10 de la loi du 22 avril 2019 « relative à la qualité de la pratique des soins de santé » (ci-après : la loi du 22 avril 2019) prévoit que le professionnel des soins de santé peut uniquement dispenser des soins de santé s’il dispose d’un visa qui atteste sa compétence à exercer sa profession des soins de santé. Ce visa est délivré par la Direction générale Soins de santé du Service public fédéral (SPF) Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement sur la base du diplôme de base du professionnel des soins de santé requis pour pouvoir exercer en Belgique la profession concernée (article 11 de la même loi).
B.1.2. L’article 68/1, § 1er, alinéa 1er, de la loi relative à l’exercice des professions des soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015 (ci-après : la loi coordonnée du 10 mai 2015), prévoit qu’en dehors des médecins, nul ne peut exercer la psychologie clinique s’il n’est titulaire d’un agrément délivré par le ministre qui a la Santé publique dans ses attributions.
L’article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi coordonnée du 10 mai 2015, en cause, dans la version applicable lors de l’adoption de l’acte attaqué devant le Conseil d’État, dispose :
« L’agrément en psychologie clinique ne peut être accordé qu’au porteur d’un diplôme d’enseignement universitaire dans le domaine de la psychologie clinique, sanctionnant une formation qui, dans le cadre d’un enseignement de plein exercice, compte au moins cinq années d’études ou 300 crédits dans le système européen de transfert et d’accumulation de crédits (ECTS), en ce compris un stage dans le domaine de la psychologie clinique. Sont assimilées au porteur d’un diplôme universitaire dans le domaine de la psychologie clinique, les personnes
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porteuses d’un diplôme d’enseignement universitaire dans le domaine de la psychologie délivré avant l’entrée en vigueur du présent article et pouvant justifier d’une expérience professionnelle de minimum trois ans dans le domaine de la psychologie clinique ».
Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er septembre 2016.
Il s’ensuit que le diplôme requis pour exercer la psychologie clinique, sur la base duquel la Direction générale Soins de santé du SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement accorde ou non le visa mentionné à l’article 10 de la loi du 22 avril 2019, concerne les diplômes visés à l’article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi coordonnée du 10 mai 2015.
B.2.1. Par la loi du 4 avril 2014 « réglementant les professions des soins de santé mentale et modifiant l’arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l’exercice des professions des soins de santé » (ci-après : la loi du 4 avril 2014), qui est à l’origine de l’article 68/1 de la loi coordonnée du 10 mai 2015, le législateur réglemente le secteur de la santé mentale et instaure un cadre garantissant la compétence des psychologues cliniciens et les reconnaissant comme des professionnels des soins de santé à part entière. Il s’agit de protéger les patients dans un contexte où le besoin d’un service de qualité dans le domaine de la santé mentale s’accroît :
« [Le secteur de la santé mentale] est, d’une part, totalement illisible pour les patients.
Ainsi, il a été mis en évidence que, si les Belges sont de plus en plus nombreux à exprimer explicitement un besoin d’accompagnement psychologique, ils avouent ignorer à qui s’adresser. Ils méconnaissent les spécificités propres aux divers acteurs concernés (médecin généraliste, psychiatre, psychologue, psychothérapeute, …), nombreux sont ceux qui, tout en refusant d’aller consulter leur médecin généraliste ou un médecin psychiatre par crainte d’une prescription quasiment automatique d’un traitement médicamenteux ou pour préserver un espace intime, hésitent néanmoins à se tourner vers d’autres professionnels (psychologues, psychothérapeutes), de peur de tomber entre les mains d’un charlatan.
Et, effectivement, le risque existe. Aujourd’hui, n’importe qui peut s’improviser et se nommer psychothérapeute. Le patient n’a donc aucune garantie quant à la qualité du ‘ thérapeute ’ qu’il consulte et ceci l’expose évidemment à d’éventuelles dérives, dont un risque d’emprise mentale, d’abandon de soins conventionnels, …
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Par ailleurs, la non-reconnaissance officielle de ces praticiens comme professionnels agissant dans le domaine de la santé peut entraver cette volonté de prise en charge interdisciplinaire des patients, telle que recommandée pourtant par l’OMS.
Effectivement, l’OMS plaide explicitement en faveur d’une approche bio-psycho-sociale des problèmes d’ordre psychique et psychiatrique, et ce pour que les conséquences de facteurs individuels et sociaux sur la maladie et la santé soient mieux discernées et plus durablement appréhendées. Pour cela, de nouveaux professionnels doivent être intégrés dans l’organisation des soins de santé et doivent être officiellement reconnus dans leur exercice.
En outre, non réglementés, ces professionnels, notamment les psychologues qui sont pourtant mentionnés dans les normes de personnel de divers services ou institutions de soins, de programmes de soins (en oncologie par exemple, dans les Services de Santé Mentale…), ne bénéficient d’aucune protection.
D’un point de vue strictement réglementaire, ces pratiques pourraient même, actuellement, être considérées comme illégales.
Enfin, la psychologie et la psychothérapie sont des alternatives intéressantes à cette prise en charge médicamenteuse, aujourd’hui manifestement problématique. Ces professionnels proposent des traitements, des accompagnements, des techniques pouvant s’avérer, dans certains cas et pour certains patients, très efficaces. Et ce d’autant plus que les raisons qui poussent à consulter englobent tout aussi bien le désir de se trouver et de s’épanouir que celui de se soigner.
Il importe dès lors pour le législateur de reconnaître l’incidence primordiale et grandissante du psychique et du social en matière de santé, qui a pour conséquence une complexité des interventions en santé mentale nécessitant un travail pluridisciplinaire comme garantie d’une approche globale du patient et de ses proches.
S’il est évident que la médecine sauve des vies, il demeure indispensable de soutenir le désir de vivre pour accélérer la guérison, voire pour éviter de retomber malade.
Les auteurs de la présente proposition de loi, face au mal-être croissant de la population qui ne peut être ignoré :
A. vu les conséquences sociales et économiques de ce mal-être;
B. vu la demande manifeste émanant de la population de pouvoir bénéficier d’un suivi de qualité dans le domaine de la santé mentale;
C. considérant l’absence de reconnaissance légale de la psychologie clinique et de l’orthopédagogie clinique comme activité professionnelle relevant des soins de santé;
D. vu l’explosion du nombre de personnes prétendant pouvoir aider ces personnes via la psychothérapie,
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estiment utile :
1. de reconnaître les psychologues cliniciens et les orthopédagogues cliniciens comme des professionnels des soins de santé relevant de l’arrêté royal n° 78 relatif à l’exercice des professions des soins de santé;
2. d’encadrer le port du titre de psychothérapeute;
3. d’instituer un Conseil supérieur de la santé mentale, dont le but, en réunissant les différents acteurs impliqués dans le domaine de la santé mentale (psychiatres, psychologues cliniciens, orthopédagogues cliniciens, psychothérapeutes, …), serait :
a. d’informer le monde politique;
b. de réfléchir aux conditions de formation et d’exercice dans le champ des professions concernées;
c. d’échanger de manière interdisciplinaire sur les enjeux relatifs à la santé mentale, à savoir la santé en tant que telle mais aussi l’intégration sociale, l’économie, le budget, …
Cette réglementation devrait permettre de légitimer l’action de ces professionnels et des thérapies qu’ils proposent, de donner à ces prestataires une protection comparable à celles dont bénéficient d’autres prestataires de soins et surtout de protéger le patient par la définition des compétences nécessaires pour l’exercice de ces professions. En favorisant le recours à la psychologie clinique et à la psychothérapie et en s’inscrivant dans le champ de la prévention, cette réglementation devrait pouvoir permettre d’importantes économies budgétaires » (Doc.
parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3243/001, pp. 5-7).
Les travaux préparatoires mentionnent également :
« Le présent article complète l’arrêté royal n° 78 précité par un nouveau chapitre 1ersexies intitulé ‘ L’exercice de la psychologie clinique ’.
Si la loi du 8 novembre 1993 réglemente le port du titre de psychologue et relève de la compétence du ministre en charge des Classes moyennes, la présente proposition de loi s’attache à intégrer les psychologues cliniciens dans l’arrêté royal n° 78 précité. Cette intégration dans l’arrêté susmentionné est totalement justifiée, d’une part, en raison des besoins des patients dans ce domaine et, d’autre part, vu la pratique actuelle sur le terrain, notamment hospitalier, qui voit depuis bien longtemps ces professionnels dûment formés œuvrer au bien-
être psychologique des personnes.
Pour exercer la psychologie clinique, la personne concernée doit être en possession de l’agrément ad hoc dont les conditions d’obtention, de maintien et de retrait sont fixées par le Roi, après avis du Conseil fédéral de la psychologie clinique. Cet agrément ne pourra être accordé qu’au porteur d’un diplôme universitaire dans le domaine de la psychologie clinique, sanctionnant une formation d’au moins 5 années ou 300 crédits ECTS, en ce compris un stage
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dans le domaine de la psychologie clinique. Certains psychologues cliniciens en exercice depuis longtemps ne remplissent peut-être pas les conditions susmentionnées (durée des études et accomplissement d’un stage). Il est évident que, à ces personnes pouvant justifier d’une expérience professionnelle en ce domaine, la Commission d’agrément telle que mise en place (via l’article 21sexiesvicies) accordera cet agrément » (ibid., pp. 7-8).
B.2.2. Au cours des travaux préparatoires, un amendement a été déposé en vue de permettre aux personnes qui ne sont pas titulaires d’un diplôme dans le domaine de la psychologie mais qui peuvent justifier d’une expérience professionnelle dans le traitement et/ou l’accompagnement de patients souffrant de troubles mentaux d’introduire une demande individuelle d’agrément comme psychologue, moyennant l’obligation de suivre une formation complémentaire (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3243/002, pp. 2-3).
Cet amendement a été rejeté pour les motifs suivants :
« [Une membre] ne partage pas la vision des auteurs de cet amendement. La proposition de loi se donne pour objectif de tracer un cadre garantissant la compétence des psychologues cliniciens.
Pour tenir compte des acteurs disposant d’une expérience utile plutôt que des diplômes requis, la proposition de loi porte, en son article 21quatervicies, § 2, alinéa 2, nouveau : ‘ Sont assimilées au porteur d’un diplôme universitaire dans le domaine de la psychologie clinique, les personnes porteuses d’un diplôme d’enseignement universitaire dans le domaine de la psychologie délivré avant l’entrée en vigueur de la présente disposition et pouvant justifier d’une expérience professionnelle de minimum 3 ans dans le domaine de [la] psychologie clinique ’.
Lors des discussions préparatoires à l’introduction de la proposition de loi, les acteurs du secteur ont présenté leur exigence quant aux diplômes requis. Un diplôme universitaire reste une nécessité de base.
La ministre confirme ce point de vue » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3243/003, p. 17).
B.2.3. Postérieurement à l’adoption de la décision attaquée devant le Conseil d’État, l’article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi coordonnée du 10 mai 2015 a été modifié par l’article 44
de la loi du 18 mai 2022 « portant des dispositions diverses urgentes en matière de santé ».
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Cette modification, qui visait à clarifier les diplômes universitaires en psychologie dont le porteur peut être assimilé au porteur d’un diplôme universitaire dans le domaine de la psychologie clinique, n’a pas d’incidence sur l’examen de la question préjudicielle.
Quant à la question préjudicielle
B.3. Le Conseil d’État interroge la Cour sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime, « en ce que le régime transitoire qu’[elle] prévoit pour les personnes pouvant justifier d’une expérience professionnelle de minimum trois ans dans le domaine de la psychologie clinique est réservé à celles qui sont porteuses d’un diplôme d’enseignement universitaire dans le domaine de la psychologie, à l’exclusion des autres personnes autorisées à porter le titre de psychologue en application de l’article 14 de la loi du 8 novembre 1993 protégeant le titre de psychologue » (ci-après : la loi du 8 novembre 1993).
B.4. L’article 1er, 1°, de la loi du 8 novembre 1993 prévoit que, pour porter le titre de psychologue, il faut en principe être titulaire d’un diplôme universitaire en psychologie.
L’article 14, § 1er, de cette loi prévoit qu’à titre transitoire, les personnes qui ont obtenu un diplôme en psychologie dans un enseignement supérieur non universitaire organisé, reconnu ou subventionné par l’État ou par la Communauté, et qui ont exercé des activités professionnelles liées à la psychologie pendant au moins trois ou quatre ans, selon le diplôme qu’elles ont obtenu, sont également autorisées à porter le titre de psychologue, avec tous les droits qui y sont attachés, pour autant qu’elles aient fait l’objet d’une décision favorable de la Commission de reconnaissance instituée par l’article 15 de la loi ou du ministre des Classes moyennes. Une requête en ce sens devait être adressée au ministre des Classes moyennes dans les douze mois qui ont suivi l’entrée en vigueur de la loi (article 14, § 2, alinéa 1er, de la même loi).
La partie requérante devant le Conseil d’État a bénéficié de cette mesure transitoire.
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B.5. Il ressort de ce qui est dit en B.1 que le visa requis pour dispenser des soins de santé dans le domaine de la psychologie clinique ne peut être accordé qu’aux titulaires d’un diplôme d’enseignement universitaire dans le domaine de la psychologie clinique sanctionnant une formation qui, dans le cadre d’un enseignement de plein exercice, compte au moins cinq années d’études ou 300 crédits dans le système européen de transfert et d’accumulation de crédits (ECTS), en ce compris un stage dans le domaine de la psychologie clinique. À titre d’exception, le législateur a prévu que l’agrément peut être accordé aux titulaires d’un diplôme d’enseignement universitaire dans le domaine de la psychologie délivré avant le 1er septembre 2016 et pouvant justifier d’une expérience professionnelle de minimum trois ans dans le domaine de la psychologie clinique (article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi coordonnée du 10 mai 2015, tel qu’il était applicable lors de l’adoption de l’acte attaqué devant le Conseil d’État).
Il s’ensuit que les personnes qui ont exercé pendant plusieurs années la psychologie clinique et qui, telle la partie requérante devant le Conseil d’État, ont été autorisées à porter le titre de psychologue en application de l’article 14 de la loi du 8 novembre 1993 ne peuvent pas obtenir le visa requis pour exercer comme psychologue clinicien, dès lors qu’elles ne sont pas titulaires d’un diplôme universitaire dans le domaine de la psychologie.
La Cour doit déterminer si l’exclusion de ces personnes du régime transitoire prévu par la disposition en cause est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime.
B.6. Si le législateur estime qu’un changement de politique s’impose, il peut décider de lui donner un effet immédiat et il n’est pas tenu, en principe, de prévoir un régime transitoire.
Les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont violés que si le régime transitoire ou son absence entraîne une différence de traitement dénuée de justification raisonnable ou s’il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime. Tel est le cas lorsqu’il est porté atteinte
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aux attentes légitimes d’une catégorie déterminée de justiciables sans qu’un motif impérieux d’intérêt général puisse justifier l’absence d’un régime transitoire établi à leur profit.
Le principe de la confiance légitime est étroitement lié au principe de la sécurité juridique, qui interdit au législateur de porter atteinte, sans justification raisonnable, à l’intérêt que possèdent les justiciables d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.
B.7. En établissant que seuls peuvent exercer la psychologie clinique les titulaires d’un diplôme d’enseignement universitaire dans le domaine de la psychologie clinique, sanctionnant une formation qui, dans le cadre d’un enseignement de plein exercice, compte au moins cinq années d’études ou 300 crédits dans le système européen de transfert et d’accumulation de crédits, en ce compris un stage dans le domaine de la psychologie clinique, le législateur entend garantir la compétence des psychologues cliniciens et, ce faisant, comme il est dit en B.2.1, protéger les patients qui feraient appel à leurs services.
Le législateur a cependant tenu compte de la situation de certains psychologues cliniciens en exercice depuis longtemps et qui ne sont pas titulaires d’un diplôme universitaire dans le domaine spécifique de la psychologie clinique mais qui disposent d’une expérience professionnelle suffisante dans ce domaine. Selon le législateur, un diplôme universitaire en psychologie reste toutefois indispensable pour garantir la compétence des psychologues cliniciens (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3243/002, pp. 2-3).
B.8. Par l’article 14 de la loi du 8 novembre 1993, le législateur a considéré que les personnes qui avaient obtenu un diplôme en psychologie dans l’enseignement supérieur non universitaire avant le 10 juin 1994 présentaient un niveau de compétence équivalent à celui des personnes titulaires d’un diplôme universitaire en psychologie et il a mis en place une procédure permettant de vérifier le respect des conditions légales et de l’établir par des décisions individuelles (voy. les articles 14 et suivants de la loi du 8 novembre 1993).
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Rien dans les travaux préparatoires de la loi du 4 avril 2014 ni dans les explications du Conseil des ministres ne permet de justifier qu’aujourd’hui, les personnes qui ont été autorisées à porter le titre de psychologue en application de l’article 14 de la loi du 8 novembre 1993 et qui ont une expérience professionnelle suffisante dans le domaine de la psychologie clinique soient traitées différemment des personnes qui sont titulaires d’un diplôme universitaire en psychologie délivré avant le 1er septembre 2016. Eu égard à l’objectif de garantir la compétence des psychologues cliniciens et, ce faisant, de protéger les patients, tout en tenant compte de la situation de certains psychologues cliniciens en exercice depuis longtemps, il n’est pas raisonnablement justifié de traiter différemment ces deux catégories de personnes.
Certes, la loi du 8 novembre 1993 et la loi du 4 avril 2014 ont des portées différentes : la loi du 8 novembre 1993 a uniquement pour objet de protéger le titre de psychologue et de régler le secret professionnel, sans régler l’accès à la profession, tandis que la loi du 4 avril 2014
interdit aux personnes non agréées d’exercer la psychologie clinique et elle inclut les psychologues cliniciens parmi les professionnels de la santé. Cette différence objective n’enlève cependant rien au fait que les deux lois poursuivent un objectif commun, qui est de protéger les patients. Or, au regard de cet objectif, les deux catégories de personnes mentionnées dans la question préjudicielle présentent les garanties minimales requises.
B.9. Il découle de ce qui précède que le fait que les personnes qui ont été autorisées à porter le titre de psychologue en application de l’article 14 de la loi du 8 novembre 1993 et qui ont une expérience professionnelle d’au moins trois ans dans le domaine de la psychologie clinique soient exclues du régime transitoire prévu par l’article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi coordonnée du 10 mai 2015 ne repose pas sur un motif impérieux d’intérêt général.
B.10. En ce qu’il exclut du régime transitoire qu’il prévoit les personnes qui ont été autorisées à porter le titre de psychologue en application de l’article 14 de la loi du 8 novembre 1993 et qui ont une expérience professionnelle d’au moins trois ans dans le domaine de la psychologie clinique, l’article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi coordonnée du 10 mai 2015 n’est pas
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compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
En ce qu’il exclut du régime transitoire qu’il prévoit les personnes qui ont été autorisées à porter le titre de psychologue en application de l’article 14 de la loi du 8 novembre 1993 et qui ont une expérience professionnelle d’au moins trois ans dans le domaine de la psychologie clinique, l’article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi relative à l’exercice des professions des soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015, viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 18 janvier 2024.
Le greffier, Le président,
N. Dupont P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 11/2024
Date de la décision : 18/01/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Violation (article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi relative à l'exercice des professions des soins de santé, en ce qu'il exclut du régime transitoire qu'il prévoit les personnes qui ont été autorisées à porter le titre de psychologue en application de l'article 14 de la loi du 8 novembre 1993 et qui ont une expérience professionnelle d'au moins trois ans dans le domaine de la psychologie clinique)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle concernant l'article 68/1, § 2, alinéa 2, de la loi relative à l'exercice des professions des soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015, posée par le Conseil d'État. Professions des soins de santé - Exercice de la psychologie clinique - Conditions - Régime transitoire - Limitation - Titulaires d'un diplôme de l'enseignement universitaire


Origine de la décision
Date de l'import : 31/01/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-01-18;11.2024 ?

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