Cour constitutionnelle
Arrêt n° 13/2024
du 25 janvier 2024
Numéro du rôle : 7952
En cause : les questions préjudicielles concernant l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978
« relative aux contrats de travail » et les articles 103bis à 103quinquies de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales, posées par la Cour du travail de Liège, division de Liège.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune et M. Plovie, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par arrêt du 7 mars 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 16 mars 2023, la Cour du travail de Liège, division de Liège, a posé les questions préjudicielles suivantes :
« 1. L’article 39 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail dans sa version applicable au litige et/ou les articles 103bis à 103quinquies de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales violaient-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que
- le travailleur de 55 ans ou plus qui bénéficiait d’un crédit-temps en application de la convention collective de travail n° 103 du 27 juin 2012 (conclue au sein du Conseil national du Travail, instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et d’emplois de fin de carrière telle qu’applicable au litige) et donc en dehors du cadre du congé parental, n’avait droit, à l’époque des faits, en cas de licenciement, qu’à une indemnité de préavis calculée sur la base de la rémunération pour les prestations de travail réduites
- alors que le travailleur qui bénéficiait d’une réduction des prestations de travail dans le cadre du congé parental, avait droit, en cas de licenciement, à une indemnité de préavis calculée
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sur la base de la rémunération à laquelle il aurait eu droit s’il n’avait pas réduit ses prestations de travail ? »;
« 2. L’article 39 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail dans sa version applicable au litige et/ou les articles 103bis à 103quinquies de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales violaient-ils les articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec l’article 2, 2, de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail en ce que
- le travailleur de 55 ans ou plus qui bénéficie d’un crédit-temps en application de la convention collective de travail n° 103 du 27 juin 2012 (conclue au sein du Conseil national du Travail, instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et d’emplois de fin de carrière telle qu’applicable au litige) n’avait droit, à l’époque des faits, en cas de licenciement, qu’à une indemnité de préavis calculée sur la base de la rémunération pour les prestations de travail réduites, de telle sorte que faire usage d’un crédit-temps le mettait dans une situation de vulnérabilité plus élevée en raison de l’effet d’aubaine que cela impliquait en faveur de son employeur en cas de licenciement
- alors que le travailleur en congé parental, par hypothèse jeune, avait droit, en cas de licenciement, à une indemnité de préavis calculée sur la base de la rémunération à laquelle il aurait eu droit s’il n’avait pas réduit ses prestations de travail ? »;
« 3. L’article 39 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail dans sa version applicable au litige et/ou les articles 103bis à 103quinquies de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales violaient-ils l’article 23 de la Constitution, éventuellement lu en combinaison avec l’article 2, 2, de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail en ce que le travailleur de 55 ans ou plus qui bénéficiait d’un crédit-temps en application de la convention collective de travail n° 103 du 27 juin 2012
(conclue au sein du Conseil national du Travail, instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et d’emplois de fin de carrière telle qu’applicable au litige) n’avait droit en cas de licenciement, qu’à une indemnité de préavis calculée sur la base de la rémunération pour les prestations de travail réduites, de telle sorte que faire usage d’un crédit-temps le mettait dans une situation de vulnérabilité plus élevée en raison de l’effet d’aubaine que cela impliquait en faveur de son employeur en cas de licenciement ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- Josette Poncelet, assistée et représentée par Me G.-H. Lambert, avocat au barreau de Liège-Huy;
- l’ASBL « Le Coudmain », assistée et représentée par Me M. Strongylos, avocat au barreau de Liège-Huy;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me V. Pertry, avocate au barreau de Bruxelles.
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Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me L. Vandenplas, avocate au barreau de Bruxelles, a également introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 22 novembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
J. Poncelet, partie appelante devant la Cour du travail de Liège, était employée par l’ASBL « Le Coudmain ».
À 58 ans, elle a bénéficié d’un emploi de fin de carrière, à mi-temps, pour une durée de deux ans. Quelques mois plus tard, alors qu’elle était occupée à mi-temps, elle a été licenciée. La Cour du travail a jugé, par un arrêt interlocutoire du 2 mai 2022, que ce licenciement était étranger à la réduction des prestations de travail. Devant la Cour du travail, les parties s’opposent au sujet de la base du calcul de l’indemnité de congé lorsque le travailleur licencié travaillait à temps partiel dans le cadre d’un emploi de fin de carrière. La Cour du travail renvoie à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle relative au calcul de l’indemnité de congé dans plusieurs hypothèses où
le travailleur licencié avait réduit ses prestations de travail. Bien qu’elle relève que la Cour n’a constaté que rarement une discrimination, elle estime qu’il existe trois raisons de l’interroger à nouveau. Elle considère, premièrement, qu’une partie de l’argumentaire qui fonde les arrêts de la Cour est actuellement dépassée par les faits, deuxièmement, qu’il est nécessaire, en l’espèce, d’aborder la question sous l’angle de la discrimination fondée sur l’âge et, troisièmement, qu’il importe de prendre en considération l’article 23 de la Constitution. En conséquence, la Cour du travail pose les trois questions reproduites plus haut.
III. En droit
-A-
Quant à la recevabilité des questions préjudicielles
A.1. L’ASBL « Le Coudmain », partie intimée devant la juridiction a quo, rappelle que la jurisprudence de la Cour est établie en ce sens qu’en cas de licenciement d’un travailleur ayant réduit ses prestations dans le cadre d’un crédit-temps, il faut tenir compte, pour le calcul de l’indemnité de congé, de la rémunération correspondant aux prestations de travail réduites, tandis que, dans le cadre d’un congé parental, l’indemnité de congé est calculée sur la base du salaire, sans qu’il soit tenu compte des prestations réduites. Elle en déduit que les questions préjudicielles sont irrecevables parce que la Cour a déjà répondu à des questions similaires par ses arrêts nos 11/2011 (ECLI:BE:GHCC:2011:ARR.011), 165/2011 (ECLI:BE:GHCC:2011:ARR.165), 167/2011 (ECLI:B
E:GHCC:2011:ARR.167), 90/2012 (ECLI:BE:GHCC:2012:ARR.090) et 172/2019 (ECLI:BE:GHCC:2019:ARR
.172).
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Quant à l’objet des questions préjudicielles
A.2. Le Conseil des ministres estime qu’il convient de limiter l’objet des questions préjudicielles au seul cas de l’emploi de fin de carrière pris pour une durée déterminée, tel qu’il est organisé par la convention collective de travail n° 103 du 27 juin 2012, conclue au sein du Conseil national du Travail, « instaurant un système de crédit-
temps, de diminution de carrière et d’emplois de fin de carrière » (ci-après : la CCT n° 103).
Quant à la première question préjudicielle
A.3.1. J. Poncelet, partie appelante devant la juridiction a quo, rappelle le cadre général du régime de l’interruption de carrière fixé par la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales (ci-
après : la loi du 22 janvier 1985) et en déduit que l’intention originaire était de protéger le travailleur à temps plein qui demandait à pouvoir effectuer temporairement des prestations à temps partiel, afin qu’il puisse retrouver son travail à temps plein après la période de suspension. Elle se réfère à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 22 octobre 2009 en cause de Christel Meerts c. Proost NV (CJCE, 22 octobre 2009, C-116/08, ECLI:EU:C:2009:645), qui a été suivi par l’introduction, en droit belge, dans la loi du 22 janvier 1985, de l’article 105, § 3, qui prévoit qu’en cas de licenciement d’un travailleur pendant une période de congé parental, la rémunération à prendre comme base de calcul de l’indemnité de congé est la rémunération à laquelle le travailleur aurait eu droit s’il n’avait pas réduit ses prestations. Elle estime que la motivation de l’arrêt de la Cour de justice précité est transposable à toutes les hypothèses d’interruption de carrière et, en tous cas, à la sienne.
A.3.2. J. Poncelet cite l’arrêt n° 167/2011 précité par lequel la Cour a jugé que l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978 « relative aux contrats de travail », interprété en ce sens qu’il convenait de se baser sur la rémunération en cours, correspondant aux prestations réduites, pour fixer le montant de l’indemnité de congé, ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution. Elle rappelle que l’adoption, postérieure à cet arrêt, de la loi du 7 octobre 2022 « transposant partiellement la Directive (UE) 2019/1158 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants et abrogeant la directive 2010/18/UE du Conseil, et réglementant certains autres aspects relatifs aux congés » (ci-après : la loi du 7 octobre 2022) clarifie la matière, en alignant tous les régimes d’interruption de carrière sur le congé parental, dans un souci de sécurité juridique, de transparence et d’égalité de traitement.
A.4. L’ASBL « Le Coudmain », partie intimée devant la juridiction a quo, fait valoir que le régime du crédit-
temps est purement national, à l’inverse du régime du congé parental, qui constitue la transposition d’un régime de droit européen. Elle relève par ailleurs que le régime du crédit-temps a une portée beaucoup plus grande que le congé parental et qu’il s’étend sur des périodes plus longues, en particulier dans le cas des travailleurs âgés de cinquante ans et plus. Elle reconnaît toutefois qu’il existe au niveau européen des objectifs visant à maintenir les travailleurs âgés plus longtemps au travail et à augmenter leur taux d’emploi. Elle indique que le travailleur âgé de cinquante ans et plus qui a recours au régime de l’emploi de fin de carrière bénéficie de plusieurs avantages :
dans la plupart des cas, sa perte de revenus est compensée par une indemnité versée par l’ONEM, et il jouit d’une protection renforcée contre le licenciement, puisque l’employeur est contraint de démontrer que le motif du licenciement est étranger à la réduction du temps de travail. Elle n’aperçoit pas en quoi la législation belge serait de nature à dissuader les travailleurs d’exercer ce droit. Elle ajoute que la législation n’est pas non plus de nature à inciter l’employeur à licencier plutôt les travailleurs qui se trouvent en situation d’aménagement de fin de carrière, puisque, d’une part, un tel travailleur lui coûte moins cher qu’un travailleur à temps plein et, d’autre part, il s’expose à devoir payer une indemnité de protection s’il ne peut démontrer que le motif du licenciement est étranger à l’aménagement de la fin de carrière. Elle en conclut que ce dispositif contribue incontestablement à la poursuite des objectifs européens de maintien des travailleurs âgés dans l’emploi.
A.5.1. Le Conseil des ministres soutient, à titre principal, que la situation et le statut juridique des travailleurs salariés en congé parental diffèrent totalement de ceux des travailleurs salariés qui réduisent leur temps de travail dans le cadre d’un emploi de fin de carrière. Il estime que ces catégories de travailleurs ne sont dès lors pas comparables. Il souligne que le congé parental trouve son fondement juridique dans la directive 96/34/CE du Conseil du 3 juin 1996 « relative à l’accord-cadre sur le congé parental conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES », qui impose un niveau de protection renforcé correspondant à des objectifs bien définis, alors que le droit à l’emploi de fin de carrière repose uniquement sur la CCT n° 103, qui relève du droit interne et qui n’offre pas un niveau de protection des travailleurs aussi élevé. Il rappelle que le législateur avait une double intention en introduisant le
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crédit-temps, à savoir, d’une part, offrir au travailleur la possibilité d’aménager sa carrière de manière plus souple et, d’autre part, encourager la redistribution du travail disponible. Il ajoute que le droit des travailleurs à l’auto-
détermination, dans le cadre de la CCT n° 103, est beaucoup plus large que celui des travailleurs en congé parental, puisque les premiers peuvent opter pour un crédit-temps pour quelque motif que ce soit et pour une durée variable, voire indéterminée. Enfin, il souligne que les conditions d’octroi et les règles d’organisation du congé parental sont fondamentalement différentes de celles de l’emploi de fin de carrière.
A.5.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres fait valoir que, compte tenu des différences entre les deux régimes en ce qui concerne la base juridique, la finalité et les conditions d’attribution, la différence de traitement en matière d’indemnité de congé en cas de rupture du contrat de travail par l’employeur, d’une part, pendant un congé parental et, d’autre part, pendant une période d’emploi de fin de carrière est raisonnablement justifiée. Il insiste sur le fait que la prise d’un emploi de fin de carrière résulte d’un choix individuel du travailleur. Il rappelle qu’il existe de nombreuses mesures de protection en faveur des travailleurs qui font usage de ce régime, de sorte que la mesure n’est pas disproportionnée. Il cite à cet égard l’indemnité forfaitaire de protection contre le licenciement et la garantie de retour au même poste de travail ou à un poste équivalent ou similaire. Il ajoute qu’outre ces protections spécifiques, le droit belge comprend encore de nombreuses autres mesures de protection du travailleur qui serait licencié pour un motif illégitime, parmi lesquelles l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge.
A.5.3. Le Conseil des ministres rappelle la jurisprudence de la Cour qui confirme le caractère non discriminatoire de la différence de traitement en cause. Il estime que la circonstance que le législateur a récemment modifié la législation n’énerve en rien cette position. Il précise qu’il ne peut être soutenu qu’une législation ancienne serait contraire à la Constitution par cela seul qu’une législation nouvelle contiendrait de nouvelles règles plus protectrices car cela rendrait impossibles toute modification de la loi et toute adoption de mesures plus favorables. Il rappelle que la loi du 7 octobre 2022, qui a introduit cette modification législative, avait pour objectif de garantir la sécurité juridique, en particulier au regard des nombreuses décisions de justice rendues sur le sujet.
Il ajoute que le fait que le législateur n’a pas prévu la rétroactivité de ce nouveau régime démontre qu’il n’avait nullement l’intention de corriger une éventuelle illégalité.
Quant à la deuxième question préjudicielle
A.6. J. Poncelet renvoie aux développements de l’arrêt par lequel les questions préjudicielles ont été posées.
A.7. L’ASBL « Le Coudmain » renvoie à son argumentation dans le cadre de la première question préjudicielle.
A.8.1. Le Conseil des ministres renvoie, à titre principal, à l’argumentation qu’il a développée en réponse à la première question préjudicielle quant à l’absence de comparabilité entre les travailleurs âgés de 55 ans ou plus qui bénéficient d’un emploi de fin de carrière en application de la CCT n° 103 et les travailleurs en congé parental.
A.8.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres considère que les catégories de travailleurs comparées dans la question préjudicielle ne sont pas traitées différemment. Il fait valoir que ces deux catégories de travailleurs ont la possibilité de bénéficier tant d’un emploi de fin de carrière que d’un congé parental, pour autant qu’elles relèvent du champ d’application de l’un et de l’autre régimes. Il ajoute que ces possibilités ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Il ajoute que les travailleurs de moins de 55 ans peuvent aussi bénéficier de formes de crédit-
temps autres que l’emploi de fin de carrière sous l’empire de la CCT n° 103, qui répondent aux mêmes règles en matière de calcul de l’indemnité de congé et pour lesquels l’indemnité est donc calculée sur la base de la rémunération correspondant aux prestations réduites. Il souligne en outre que l’éventuelle différence de traitement visée dans la question préjudicielle résulte d’un choix du travailleur et ne découle donc pas, en tant que telle, de la loi. Il estime avoir ainsi démontré qu’il ne saurait être question d’une différence de traitement fondée sur l’âge, et en déduit que le travailleur doit supporter les conséquences juridiques du choix auquel il n’était nullement contraint, ni par un événement de la vie, ni par son état de santé.
A.8.3. À titre plus subsidiaire, le Conseil des ministres fait valoir que, s’il fallait considérer que la disposition en cause fait naître une différence de traitement, cette dernière ne serait constitutive ni d’une discrimination directe, ni d’une discrimination indirecte. Il rappelle que le congé parental est ouvert à tout travailleur qui devient parent, quel que soit son âge, de sorte qu’un travailleur de plus de 55 ans qui devient parent a le droit de prendre un congé parental et de bénéficier de toutes les protections qui y sont liées. Il estime qu’est ainsi démontrée l’absence de
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discrimination directe fondée sur l’âge. Il rappelle qu’étant donné que la protection mise en place dans le cadre du système du congé parental répond à un objectif spécifique qui est sans pertinence pour les personnes qui ne se trouvent pas dans les conditions du congé parental, le système ne produit pas des effets disproportionnés pour les travailleurs qui ne remplissent pas les conditions pour en bénéficier.
A.8.4. Enfin, le Conseil des ministres estime qu’en tout état de cause, la différence entre le mode de détermination de la rémunération en cours applicable au régime du congé parental et le mode de détermination de la rémunération en cours applicable au régime de l’emploi de fin de carrière est justifiée par un objectif légitime et que les moyens mis en œuvre sont appropriés et nécessaires. Il considère à ce sujet qu’il était nécessaire que le congé parental offre une protection plus étendue, afin de mettre correctement en œuvre la directive européenne, alors qu’il n’était pas nécessaire d’étendre cette protection spécifique à d’autres catégories de travailleurs qui bénéficient déjà d’une protection importante.
Quant à la troisième question préjudicielle
A.9.1. Le Conseil des ministres fait valoir, à titre principal, que la troisième question préjudicielle est irrecevable, en ce qu’elle a pour objet non pas l’effet de standstill attaché à l’article 23 de la Constitution, mais uniquement un effet direct objectif de cette disposition. Il estime que l’effet direct objectif de l’article 23 de la Constitution garantit uniquement le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine et que l’article 23 n’a pas vocation à s’appliquer à toute situation dans laquelle une personne serait plus vulnérable qu’une autre en raison de ses propres choix, dès lors qu’aucune atteinte n’est portée à son droit à la dignité humaine, notamment par le biais du droit au travail, ni à son libre choix d’une activité professionnelle. Il constate qu’il ressort du libellé de la troisième question préjudicielle que celle-ci porte en réalité sur une éventuelle discrimination fondée sur l’âge, alors que tel n’est pas l’objet de l’article 23 de la Constitution.
A.9.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres fait valoir que toute personne peut choisir de travailler dans le cadre d’un régime de travail à temps partiel plutôt que dans le cadre d’un régime de travail à temps plein, et que l’application du régime de l’emploi de fin de carrière relève aussi du choix individuel du travailleur. Il insiste sur le fait que les travailleurs âgés de 55 ans et plus qui choisissent l’emploi de fin de carrière bénéficient d’un certain nombre de protections dont ne bénéficient pas les autres travailleurs à temps partiel. Il estime qu’il ne pourrait être exigé du législateur qu’il aille encore plus loin dans le système de protection en prévoyant en outre que l’indemnité de congé soit calculée sur la base de la rémunération à temps plein, alors que le droit au crédit-
temps à temps partiel peut être exercé durant une période particulièrement longue.
-B-
Quant aux dispositions en cause
B.1.1. Les trois questions préjudicielles portent sur l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978
« relative aux contrats de travail » (ci-après : la loi du 3 juillet 1978), dans sa version applicable à un licenciement survenu le 5 mars 2019, et sur les articles 103bis à 103quinquies de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales (ci-après : la loi du 22 janvier 1985).
B.1.2. Dans la version qui est applicable au litige pendant devant la juridiction a quo, l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978 disposait :
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« § 1er. Si le contrat a été conclu pour une durée indéterminée, la partie qui résilie le contrat sans motif grave ou sans respecter le délai de préavis fixé aux articles 37/2, 37/5, 37/6
et 37/11, est tenue de payer à l’autre partie une indemnité égale à la rémunération en cours correspondant soit à la durée du délai de préavis, soit à la partie de ce délai restant à courir.
L’indemnité est toutefois toujours égale au montant de la rémunération en cours correspondant à la durée du délai de préavis, lorsque le congé est donné par l’employeur et en méconnaissance des dispositions de l’article 40 de la loi sur le travail du 16 mars 1971.
L’indemnité de congé comprend non seulement la rémunération en cours, mais aussi les avantages acquis en vertu du contrat.
[...] ».
B.1.3. Les articles 103bis à 103quinquies de la loi du 22 janvier 1985 disposent :
« Art. 103bis. La présente sous-section est applicable aux employeurs et aux travailleurs visés par la convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du Travail instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et de réduction des prestations de travail à mi-temps.
Art. 103ter. Les articles 100 et 102 ne s’appliquent pas aux travailleurs visés à l’article 103bis, dans la mesure où ces dispositions ont le même objet que la convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du Travail instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et de réduction des prestations de travail à mi-temps.
Art. 103quater. Aux travailleurs visés à l’article 103bis une allocation peut être accordée lorsqu’ils demandent l’application du droit tel que prévu par ou en vertu de la convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du travail instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et de réduction des prestations de travail à mi-temps.
Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, les conditions d’octroi de cette allocation, son montant, ainsi que les conditions et les modalités particulières de l’allocation.
Art. 103quinquies. Sauf dans le cas où le Conseil national du Travail conclut, avant le 1er février 2017, une convention collective de travail dans le cadre de l’article 103bis, dans laquelle le droit au crédit-temps avec motif est élargi, au plus tard le 1er avril 2017, conformément aux dispositions des alinéas 2 et 3, les travailleurs qui tombent sous le champ d’application de la convention collective de travail précitée ont droit au crédit-temps complémentaire visé aux alinéas 2 et 3 à partir de la date fixée par le Roi et, au plus tard, le 1er avril 2017.
Le droit à un crédit-temps à temps plein, à la diminution de carrière à mi-temps ou d’1/5e temps avec motif, tel que réglé par la convention collective de travail visée à
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l’article 103bis, est augmenté de 12 mois pour les travailleurs qui suspendent complètement ou diminuent leurs prestations de travail :
- pour prendre soin de leur enfant jusqu’à l’âge de 8 ans;
- pour l’assistance ou l’octroi de soins à un membre du ménage ou de la famille gravement malade;
- pour l’octroi de soins palliatifs, tels que définis à l’article 100bis, § 2.
Outre l’augmentation visée à l’alinéa 2, le droit au crédit-temps à temps plein, à la diminution de carrière à mi-temps ou d’1/5e temps avec motif, tel que réglé par la convention collective de travail visée à l’article 103bis, est augmenté de 3 mois pour les travailleurs qui suspendent ou diminuent leurs prestations de travail :
- pour prendre soin de leur enfant jusqu’à l’âge de 8 ans;
- pour l’assistance ou l’octroi de soins à un membre du ménage ou de la famille gravement malade;
- pour l’octroi de soins palliatifs, tels que définis à l’article 100bis, § 2;
- pour prodiguer des soins à leur enfant handicapé jusque l’âge de 21 ans;
- pour l’assistance ou l’octroi de soins à leur enfant mineur gravement malade.
L’élargissement du droit au crédit-temps visé aux alinéas 2 et 3 ne porte pas préjudice aux conditions d’octroi et d’exercice qui sont fixées par la convention collective de travail visée à l’article 103bis ».
B.1.4. L’article 10 de la loi du 7 octobre 2022 « transposant partiellement la Directive (UE) 2019/1158 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants et abrogeant la directive 2010/18/UE du Conseil, et réglementant certains autres aspects relatifs aux congés »
(ci-après : la loi du 7 octobre 2022) insère, dans l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978, un paragraphe 2/1, ainsi rédigé :
« Lorsqu’il est mis fin au contrat de travail durant une période de réduction des prestations de travail dans le cadre du chapitre IV, section 5, de la loi de redressement du 22 janvier 1985
contenant des dispositions sociales et pour autant que cette modification des conditions de travail n’ait pas été conclue pour une durée indéterminée, on entend par ‘ rémunération en cours ’ au sens du paragraphe 1er, la rémunération à laquelle le travailleur aurait eu droit en vertu de son contrat de travail s’il n’avait pas réduit ses prestations de travail ».
Cette disposition n’est pas applicable au litige pendant devant la juridiction a quo.
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B.1.5. Il ressort des motifs de l’arrêt qui interroge la Cour que la travailleuse licenciée en cause dans le litige bénéficiait d’un emploi de fin de carrière à mi-temps, en application de la convention collective de travail n° 103 du 27 juin 2012, conclue au sein du Conseil national du Travail, « instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et d’emplois de fin de carrière » (ci-après : la CCT n° 103). La Cour limite dès lors l’examen des questions préjudicielles à la situation du travailleur bénéficiant d’une diminution de ses prestations de travail dans le cadre d’un emploi de fin de carrière.
Il ressort également de cet arrêt que la Cour du travail a jugé, par un arrêt antérieur rendu dans la même affaire, que le licenciement était étranger à l’exercice, par la travailleuse concernée, de son droit à occuper un emploi de fin de carrière. La Cour limite en conséquence l’examen des questions préjudicielles à la situation du travailleur licencié pour un motif étranger à la diminution des prestations de travail.
Quant aux deux premières questions préjudicielles
B.2.1. En vertu des articles 37 et 39 de la loi du 3 juillet 1978, les contrats de travail qui ont été conclus pour une durée indéterminée peuvent être résiliés unilatéralement moyennant un préavis ou, à défaut, moyennant une indemnité de congé, hormis le licenciement pour motif grave.
Par l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978, le législateur vise à tempérer les effets que peut avoir une résiliation unilatérale du contrat de travail, en subordonnant en principe la résiliation à un délai de préavis ou, à défaut, au paiement d’une indemnité de congé. En vertu de cette disposition, tous les travailleurs que l’employeur licencie sans respecter le délai de préavis ont droit à une indemnité de congé égale à la rémunération en cours correspondant soit à la durée du délai de préavis, soit à la partie de ce délai restant à courir.
B.2.2. Par les deux premières questions préjudicielles, la Cour est invitée à comparer la situation, dans le cadre d’un licenciement, des travailleurs de 55 ans ou plus bénéficiant d’un emploi de fin de carrière en application de la CCT n° 103 et la situation de travailleurs
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bénéficiant d’une réduction de leurs prestations de travail, dans le cadre d’un congé parental au sens de l’article 5 de la directive (UE) 2019/1158 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 « concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants et abrogeant la directive 2010/18/UE du Conseil » (ci-après : la directive (UE) 2019/1158) et de l’arrêté royal du 29 octobre 1997 « relatif à l’introduction d’un droit au congé parental dans le cadre d’une interruption de la carrière professionnelle » (ci-
après : l’arrêté royal du 29 octobre 1997).
B.3.1. En application de l’article 8 de la CCT n° 103, les travailleurs âgés de 55 ans ou plus ont droit à une diminution de carrière soit sous la forme d’un cinquième du temps de travail hebdomadaire, soit sous la forme d’une réduction des prestations de travail à mi-temps. Dans certaines hypothèses, les travailleurs peuvent bénéficier du même droit dès l’âge de 50 ans. Ce droit n’est pas limité dans le temps, de sorte que les travailleurs qui satisfont aux conditions pour en bénéficier peuvent l’exercer jusqu’à leur pension.
B.3.2. Dans l’interprétation de l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978 soumise à la Cour par la juridiction a quo, la « rémunération en cours » correspond, en cas de prestations de travail réduites dans le cadre d’un emploi de fin de carrière, à la rémunération réellement perçue et non à la rémunération à temps plein qui était perçue avant la réduction du temps de travail.
B.4.1. En vertu de l’arrêté royal du 29 octobre 1997, les travailleurs qui sont parents et qui satisfont aux conditions énoncées ont le droit de prendre un congé parental avant que l’enfant atteigne l’âge de douze ans. Ce congé parental peut être pris à temps plein durant quatre mois ou à temps partiel, soit à mi-temps durant huit mois, pendant un cinquième du temps de travail durant vingt mois ou pendant un dixième du temps de travail durant quarante mois. Les périodes de congé parental peuvent être fractionnées.
B.4.2. Dans sa version applicable au moment du licenciement à l’origine du litige pendant devant la juridiction a quo, l’article 105, § 3, de la loi du 22 janvier 1985 disposait :
« Lorsqu’il est mis fin au contrat de travail durant une période de réduction des prestations de travail dans le cadre d’un congé parental pris en exécution de la présente section, on entend par ‘rémunération en cours’ au sens de l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats
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de travail, la rémunération à laquelle le travailleur aurait eu droit en vertu de son contrat de travail s’il n’avait pas réduit ses prestations ».
Cette disposition avait été insérée par l’article 90, 2°, de la loi du 30 décembre 2009
« portant des dispositions diverses » afin qu’il soit tenu compte de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 22 octobre 2009 en cause de Christel Meerts c. Proost NV (CJCE, 22 octobre 2009, C-116/08, ECLI:EU:C:2009:645), par lequel cette Cour a jugé :
« La clause 2, points 6 et 7, de l’accord-cadre sur le congé parental, conclu le 14 décembre 1995, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclu par l’UNICE [Union des Confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe], le CEEP [Centre européen des entreprises à participation publique] et la CES [Confédération européenne des syndicats], telle que modifiée par la directive 97/75/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que, en cas de résiliation unilatérale par l’employeur, sans motif grave ou sans respecter le délai légal de préavis, du contrat de travail d’un travailleur engagé à durée indéterminée et à temps plein alors que ce dernier bénéficie d’un congé parental à temps partiel, l’indemnité à verser à ce travailleur soit déterminée sur la base de la rémunération réduite qu’il perçoit lorsque le licenciement intervient ».
B.4.3. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 2009 que ce régime ne concerne que le congé parental et non les autres formes de travail à temps partiel (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2299/016, p. 31). Un amendement qui était destiné à étendre ce régime à toutes les formes de réduction des prestations de travail en application des sections 3
et 3bis de la loi du 22 janvier 1985 (ibid., DOC 52-2299/003, p. 11) a été rejeté (ibid., DOC 52-
2299/016, p. 38).
B.5.1. Les dispositions en cause, telles qu’elles étaient applicables au moment du licenciement qui est à l’origine du litige pendant devant la juridiction a quo, font donc naître une différence de traitement, en ce qui concerne la base à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de congé octroyée au travailleur qui est licencié au cours de la période pendant laquelle il effectue des prestations réduites, entre le travailleur qui bénéficie d’un congé parental à temps partiel et le travailleur qui bénéficie d’un emploi de fin de carrière.
B.5.2. La première question préjudicielle présente ces dispositions comme faisant naître une différence de traitement entre les travailleurs bénéficiaires du régime du congé parental et
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les travailleurs bénéficiaires du régime de l’emploi de fin de carrière. La deuxième question préjudicielle invite la Cour à appréhender la même différence de traitement sous l’angle d’une éventuelle discrimination, directe ou indirecte, fondée sur l’âge des travailleurs concernés. La Cour examine les deux questions conjointement.
B.6.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.6.2. La directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 « portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail » (ci-après :
la directive 2000/78/CE) établit un cadre général pour lutter contre toute discrimination fondée, entre autres, sur l’âge, en ce qui concerne l’emploi et le travail. En vertu de son article 3, paragraphe 1, c) , cette directive est applicable aux conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération.
L’article 2 de cette directive dispose :
« [...]
1. Aux fins de la présente directive, on entend par ‘ principe de l’égalité de traitement ’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.
2. Aux fins du paragraphe 1 :
a) une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er;
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b) une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que :
[...]
i) cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, […] ».
L’article 6 de la même directive dispose :
« [...]
1. Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.
Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre :
a) la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;
[...] ».
B.7.1. La différence de traitement que font naître les dispositions en cause, telle qu’elle est décrite en B.5.1, ne repose pas directement sur l’âge des travailleurs concernés, mais bien sur le régime de suspension ou de réduction des prestations de travail dont ces travailleurs ont demandé à pouvoir bénéficier. Il existe par ailleurs des travailleurs qui remplissent les conditions à la fois pour bénéficier d’un congé parental et pour bénéficier d’un emploi de fin de carrière, à savoir les travailleurs qui deviennent parents à un moment où ils ont déjà accompli une partie importante de leur carrière professionnelle.
B.7.2. Il est indéniable, cependant, que le régime du congé parental est principalement destiné à des travailleurs jeunes et se trouvant dans la première partie de leur carrière professionnelle, alors que celui des emplois de fin de carrière ne concerne, par définition, que les travailleurs les plus âgés. La différence de traitement en cause pourrait donc constituer une
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discrimination indirecte fondée sur l’âge des travailleurs concernés. La Cour doit, dès lors, examiner si cette différence de traitement indirectement fondée sur le critère de l’âge peut être justifiée.
B.8.1. Le congé parental est d’une durée relativement courte par rapport à la durée d’une carrière professionnelle et il est généralement pris, comme il est dit en B.7.2, à un moment où
il reste une partie importante de la carrière à accomplir. En outre, les travailleurs exerçant leur droit au congé parental sont susceptibles, s’ils sont parents de plusieurs enfants, d’exercer à nouveau ce droit à l’avenir, ce qui les rend vulnérables sur le plan de la sécurité de l’emploi. Le législateur, se conformant en cela aux exigences découlant du droit de l’Union européenne, a dès lors pu estimer qu’il s’imposait de protéger particulièrement les travailleurs exerçant leur droit au congé parental contre le licenciement et il a pu, en conséquence, faire en sorte que l’employeur ne trouve aucun avantage à notifier le licenciement à ce moment plutôt qu’après la fin du congé parental.
En outre, le droit au congé parental peut être exercé à temps plein ou à temps partiel. En cas de licenciement d’un travailleur pendant un congé parental à temps plein, le calcul de l’indemnité de congé ne peut être effectué que sur la base de la rémunération qui était perçue avant le congé parental. Il est dès lors pertinent, en vue d’éviter de faire naître une différence de traitement entre les travailleurs exerçant leur droit au congé parental à temps plein et les travailleurs exerçant leur droit au congé parental à temps partiel, de prévoir dans tous les cas que l’indemnité de congé est calculée sur la base de la rémunération qui aurait été perçue si le travailleur n’avait pas pris de congé parental.
B.8.2. Il est exact qu’étant donné que le droit à l’emploi de fin de carrière est, par définition, exercé à un moment où le travailleur a généralement accumulé une ancienneté importante, le fait que l’indemnité de congé soit calculée sur la base de la rémunération correspondant aux prestations réduites a pour effet que le licenciement d’un travailleur ayant exercé son droit à un emploi de fin de carrière pourrait présenter pour l’employeur qui souhaite procéder au licenciement un avantage pécuniaire par rapport au licenciement d’un travailleur qui n’a pas exercé le même droit ou par rapport au licenciement du même travailleur avant qu’il exerce ce droit.
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B.9.1. Il convient cependant de tenir compte de ce qu’afin de garantir la sécurité d’emploi des travailleurs exerçant leur droit à un emploi de fin de carrière et de tempérer les effets d’un licenciement au cours de la diminution de carrière ou en raison de cette diminution, il est prévu que l’employeur doit au travailleur une indemnité de protection forfaitaire égale à six mois de rémunération en cas de licenciement sans motif grave ou pour un motif dont la nature et l’origine ne sont pas étrangères à la réduction des prestations de travail (article 21, §§ 2 et 4, de la CCT n° 103) et de ce qu’il est en outre prévu que, pour le calcul du délai de préavis ou du nombre de mois à prendre en considération pour établir le montant de l’indemnité de congé prévue à l’article 39, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978, il convient de se fonder sur la rémunération annuelle de base, comme si le travailleur n’avait pas réduit ses prestations de travail (article 103 de la loi du 22 janvier 1985).
Ces garanties ont précisément pour effet d’atténuer l’incitation que pourrait représenter l’avantage pécuniaire, précité, pour l’employeur ayant l’intention de procéder au licenciement de travailleurs proches de la fin de leur carrière.
B.9.2. En revanche, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le licenciement est étranger à la réduction des prestations de travail et qu’il est motivé par des raisons propres à la relation de travail, le travailleur n’est pas victime d’un licenciement auquel l’employeur aurait été incité par l’avantage pécuniaire précité. En outre, dès lors que le droit à un emploi de fin de carrière peut être exercé sans limite dans le temps, l’employeur ne saurait être suspecté de profiter d’une période limitée au cours de laquelle le licenciement peut intervenir à moindre coût pour lui, avant la poursuite de la carrière à temps plein par le travailleur.
B.9.3. Au surplus, dès lors qu’il n’est pas possible d’exercer un emploi de fin de carrière en suspendant les prestations de travail à temps plein, le risque de créer une différence de traitement entre les travailleurs en fin de carrière selon la modalité de réduction du temps de travail qu’ils ont choisie pour leur fin de carrière n’existe pas.
B.9.4. Il en résulte que les dispositions en cause ne produisent pas des effets disproportionnés pour les travailleurs qui exercent leur droit à la diminution des prestations de travail dans le cadre d’un emploi de fin de carrière et qui sont licenciés pour un motif étranger à l’exercice de ce droit.
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B.10. Pour le surplus, à peine de rendre impossible toute modification de la législation, on ne peut déduire de l’instauration d’un nouveau régime que l’ancien serait, ipso facto, inconstitutionnel. La circonstance que, par la loi du 7 octobre 2022, le législateur a souhaité aligner la base de calcul de l’indemnité de congé en cas de licenciement durant une période de réduction des prestations de travail dans toutes les hypothèses visées au chapitre IV, section 5, de la loi du 22 janvier 1985, à condition que la réduction des prestations ait été prévue pour une durée limitée, sur le régime prévu en cas de licenciement en période de congé parental, pour des motifs « de sécurité juridique, de transparence et d’égalité de traitement, en particulier d’égalité de traitement des femmes et des hommes » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2808/001, p. 31), ne signifie pas que la réglementation antérieure, qui ne prévoyait une règle spécifique que pour le congé parental, était dépourvue de justification.
B.11. Les dispositions en cause ne sont pas incompatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE.
Quant à la troisième question préjudicielle
B.12. Par la troisième question préjudicielle, la Cour est invitée à examiner la compatibilité des dispositions en cause avec l’article 23 de la Constitution, éventuellement lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE. La juridiction a quo considère que les dispositions en cause, telles qu’elles étaient applicables au moment du licenciement en litige, interprétées en ce sens que le travailleur qui est licencié à un moment où
il exerce son droit à un emploi de fin de carrière n’a droit qu’à une indemnité de congé calculée sur la base de la rémunération correspondant aux prestations réduites, créent un effet d’aubaine pour l’employeur et placent en conséquence le travailleur dans une situation de vulnérabilité accrue, en raison de l’augmentation du risque de licenciement pendant cette période.
La juridiction a quo précise « qu’il ne s’agit pas ici d’invoquer l’effet de standstill de l’article 23 de la Constitution mais son effet direct objectif », suivant une conception de cette
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disposition reposant sur « l’idée qu’au contentieux objectif, [point] n’est besoin que la norme confère un droit subjectif pour être invocable ».
B.13.1. L’article 23 de la Constitution dispose :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :
1° le droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle dans le cadre d’une politique générale de l’emploi, visant entre autres à assurer un niveau d’emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d’information, de consultation et de négociation collective;
[...] ».
B.13.2. L’article 2, de la directive 2000/78/CE, cité en B.6.2, interdit toute discrimination directement ou indirectement fondée, notamment, sur le critère de l’âge.
B.14.1. La Cour n’est pas compétente pour contrôler des normes législatives directement au regard de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE. Pour qu’elle puisse tenir compte d’une disposition internationale dans le cadre de son contrôle, il est requis que cette disposition soit invoquée en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution ou qu’elle ait une portée analogue à celle d’une disposition dont le contrôle relève de la Cour et dont la violation est alléguée, de sorte qu’elles forment un ensemble indissociable.
B.14.2. L’article 23 de la Constitution et l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE n’ont pas des portées analogues et ne forment donc pas un ensemble indissociable. La Cour n’est pas compétente pour examiner la troisième question préjudicielle en ce que celle-ci suggère la violation de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE.
B.15.1. Sans qu’il soit nécessaire de trancher la question de savoir si la violation de l’article 23 de la Constitution, en ce qu’il garantit le droit au travail dans le cadre d’une politique générale de l’emploi visant entre autres à assurer un niveau d’emploi aussi stable et élevé que
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possible, peut être invoquée indépendamment de l’obligation de standstill qu’il comporte, il suffit de constater qu’en tout état de cause, cette disposition constitutionnelle ne saurait être interprétée comme prémunissant les travailleurs contre tout risque de licenciement.
B.15.2. Dès lors que, pour les motifs énoncés en B.9, les dispositions en cause n’ont pas pour effet de placer les travailleurs concernés dans une situation de vulnérabilité telle qu’ils ne disposeraient plus d’une protection raisonnable contre le licenciement, elles ne sauraient être jugées incompatibles avec le droit au travail garanti par l’article 23 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
1. L’article 39 de la loi du 3 juillet 1978 « relative aux contrats de travail », dans sa version applicable à un licenciement survenu le 5 mars 2019, et les articles 103bis à 103quinquies de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 « portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ».
2. Les mêmes dispositions ne violent pas l’article 23 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 janvier 2024.
Le greffier, le président,
N. Dupont P. Nihoul