Cour constitutionnelle
Arrêt n° 14/2024
du 25 janvier 2024
Numéro du rôle : 7977
En cause : le recours en annulation des articles 2 à 5 du décret de la Région wallonne du 22 septembre 2022 « suspendant les coupures et insérant un article 66/1 dans le décret du 12 avril 2001 relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité et un article 2bis dans le décret du 19 décembre 2002 relatif à l'organisation du marché régional du gaz », introduit par l’ASBL « Fédération Belge des Entreprises Électriques et Gazières ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier N. Dupont, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 13 avril 2023 et parvenue au greffe le 14 avril 2023, l’ASBL « Fédération Belge des Entreprises Électriques et Gazières », assistée et représentée par Me D. Verhoeven, Me F. Tulkens et Me L. Malluquin, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 2 à 5 du décret de la Région wallonne du 22 septembre 2022 « suspendant les coupures et insérant un article 66/1 dans le décret du 12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional de l'électricité et un article 2bis dans le décret du 19 décembre 2002 relatif à l’organisation du marché régional du gaz » (publié au Moniteur belge du 13 octobre 2022).
Le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me S. Depré, Me P. Vernet et Me G. Haumont, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, la partie requérante a introduit un mémoire en réponse et le Gouvernement wallon a également introduit un mémoire en réplique.
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Par ordonnance du 22 novembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité du recours
A.1. L’ASBL « Fédération belge des entreprises électriques et gazières », partie requérante, fait valoir qu’elle dispose d’un intérêt à agir contre les dispositions attaquées. La partie requérante est une ASBL qui a pour but statutaire la défense des intérêts professionnels des entreprises du secteur de l’électricité et du gaz.
A.2. Le Gouvernement wallon ne conteste pas l’intérêt à agir de la partie requérante.
Quant au premier moyen
A.3. Le premier moyen est pris de la violation des règles répartitrices de compétences.
A.4.1. Dans une première branche, la partie requérante soutient qu’en établissant la catégorie des « clients protégés conjoncturels » et en prévoyant que ceux-ci sont désormais approvisionnés au tarif social, les articles 2 à 5 du décret de la Région wallonne du 22 septembre 2022 « suspendant les coupures et insérant un article 66/1 dans le décret du 12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité et un article 2bis dans le décret du 19 décembre 2002 relatif à l’organisation du marché régional du gaz » modifient le prix de la fourniture d’énergie applicable à ces clients et dérogent au régime des prix maximaux, prévu par la législation fédérale, pour la fourniture d’électricité et de gaz à des « clients protégés résidentiels ». Il s’ensuit qu’elles empiètent sur les compétences de l’autorité fédérale en matière de prix et de tarifs de l’énergie – en ce compris la politique sociale des prix de l’énergie.
Pour ce faire, la partie requérante s’appuie notamment sur un avis de la section de législation du Conseil d’État relatif à un avant-projet d’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale (CE, Avis n° 69.836/I/V du 29 septembre 2021 , Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2021-2022, A-516/1, pp. 160-161)
et sur un rapport de l’auditeur du Conseil d’État relatif à l’arrêté du Gouvernement wallon du 24 septembre 2020
« établissant une catégorie de client protégé conjoncturel en électricité et en gaz dans le cadre de la crise COVID-
19 », qui met en place le régime des clients protégés conjoncturels et dont les dispositions attaquées constituent une consolidation législative.
Elle relève aussi qu’avant l’adoption des dispositions attaquées, le ministre wallon de l’Énergie a demandé à son homologue fédéral d’étendre le bénéfice du régime des clients protégés afin de soulager la facture des ménages dans le contexte de la crise économique consécutive à la pandémie de Covid-19. Elle en infère qu’in tempore non
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suspecto, la Région wallonne se considérait comme étant incompétente pour élargir le champ d’application du tarif social.
A.4.2. En outre, la partie requérante considère que les dispositions attaquées empiètent également sur les compétences de l’autorité fédérale en matière de protection du consommateur, de droit de la concurrence, de droit des pratiques du commerce et de droit commercial.
A.4.3. De surcroît, la partie requérante estime que les dispositions attaquées violent l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), dès lors qu’elles ne sont pas conformes à la libre circulation des services ni au cadre normatif général de l’union économique et de l’unité monétaire.
A.5.1. Le Gouvernement wallon rappelle que les législations wallonnes relatives au gaz et à l’électricité définissent le tarif social en référence aux normes prises par l’autorité fédérale. Il en infère que les dispositions attaquées n’interviennent pas dans la fixation de ce tarif. Il estime qu’il faut distinguer, d’une part, la compétence exercée par l’autorité fédérale en matière de fixation de prix maximaux applicables aux clients protégés et, d’autre part, la compétence des régions permettant de définir les catégories de clients pouvant bénéficier de la fourniture d’énergie au tarif social fixé par l’autorité fédérale. Selon lui, la mission de fourniture d’énergie au tarif social est envisagée comme une obligation de service public à la charge des gestionnaires de réseaux de distribution en vertu des législations décrétales relatives au gaz et à l’électricité. Or les régions sont compétentes pour imposer aux acteurs du marché de l’énergie une obligation de service public consistant à fournir de l’énergie au tarif social à des catégories de personnes qu’elles déterminent.
Le Gouvernement wallon observe que, dès le début, la législation wallonne relative à l’électricité a habilité le gestionnaire de réseau de distribution à fournir de l’électricité aux clients protégés, au tarif social. Il relève que la section de législation du Conseil d’État ne s’est jamais opposée à la compétence régionale en la matière.
A.5.2. En outre, le Gouvernement wallon constate que la partie requérante ne développe pas les critiques qu’elle formule quant à l’empiétement sur les compétences de l’autorité fédérale en matière de protection du consommateur, de droit de la concurrence, de droit des pratiques du commerce et de droit commercial. Le Gouvernement wallon n’aperçoit pas en quoi consisterait l’empiétement dénoncé. Il rappelle également que la Région wallonne est compétente pour compléter, dans les matières qui lui appartiennent, le cadre général de protection du consommateur fixé par l’autorité fédérale.
A.6. La partie requérante répond que l’octroi du statut de client protégé a pour seule conséquence l’application de prix maximaux, appelés « tarif social ». La notion même de « client protégé » est issue du régime de prix maximaux établi par l’autorité fédérale.
Selon elle, on ne saurait prétendre qu’il n’y a pas empiétement sur la compétence de l’autorité fédérale en matière de prix au motif que la Région wallonne ne fixe pas elle-même un prix, mais rend applicable à d’autres bénéficiaires un prix fixé par l’autorité fédérale.
La partie requérante estime que rendre applicable à plusieurs catégories de personnes un prix qui ne l’aurait pas été sans cette intervention suffit à porter atteinte à la compétence de l’autorité fédérale.
Elle observe que les dispositions attaquées ont pour objet de modifier le prix payé par ses destinataires, dès lors qu’elles rendent applicable aux catégories qu’elles qualifient de « clients protégés conjoncturels » le tarif social applicable aux « clients protégés résidentiels » au sens des législations fédérales.
En outre, la partie requérante reconnaît que les régions peuvent imposer des obligations de service public et prendre des mesures complémentaires en matière de protection du consommateur. Elle fait toutefois valoir que ces obligations et ces mesures complémentaires doivent être liées aux compétences régionales. Les régions ne peuvent donc pas empiéter sur les compétences fédérales par ce biais.
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A.7. Le Gouvernement wallon réplique que la politique des prix ne ressortit aux compétences de l’autorité fédérale qu’en ce qu’elle constitue une matière dont l’indivisibilité technique et économique requiert une mise en œuvre homogène sur le plan national. Les conditions d’octroi du tarif social ne sont pas visées à l’article 6, § 1er, VII, alinéa 3, d), de la loi spéciale du 8 août 1980. Dès lors que le marché de l’énergie se structure au niveau national, il est cohérent de confier à l’autorité fédérale la compétence de déterminer les prix maximaux. En revanche, il n’en va pas de même pour la fixation des conditions auxquelles le tarif social peut être reconnu, étant donné que ces conditions peuvent être liées à des circonstances nationales ou à des circonstances régionales.
Le Gouvernement wallon estime que, dès lors que les régions sont compétentes pour régler les aspects régionaux de l’énergie et pour imposer des obligations de service public liées à leurs compétences, elles peuvent intervenir lorsque des circonstances sont propres au territoire ou à l’économie régionale.
Le Gouvernement wallon fait valoir que la section de législation du Conseil d’État a observé que la protection des clients financièrement vulnérables était un aspect régional de l’énergie (CE, Avis n° 72.294/3 du 13 octobre 2022, §§ 7.2 et 7.4).
Il considère également que la compétence de la Région wallonne en matière de protection des clients vulnérables peut être rapprochée de la compétence relative à la politique sociale.
A.8. Dans une deuxième branche, la partie requérante affirme que la Région wallonne ne peut se prévaloir de la théorie des pouvoirs implicites.
Elle estime que l’empiétement sur les compétences de l’autorité fédérale n’est pas marginal, dès lors qu’il est applicable pour une durée de quatre ans. En outre, la matière ne se prête pas à un traitement différencié, dès lors que, d’une part, certaines personnes sont susceptibles de relever du champ d’application du régime fédéral des clients protégés résidentiels et du régime régional des clients protégés conjoncturels, et que, d’autre part, ces deux régimes sont incompatibles. En effet, le régime fédéral prévoit qu’un client protégé doit être fourni par son fournisseur d’énergie, au tarif social, tandis que le régime régional prévoit que le client protégé conjoncturel doit être fourni par son gestionnaire de réseau de distribution.
Selon la partie requérante, il résulte de l’application des dispositions attaquées que l’exercice des compétences fédérales devient exagérément difficile, de sorte que le principe de proportionnalité inhérent à l’exercice de toute compétence est violé.
A.9. Le Gouvernement wallon soutient que, dès lors que les dispositions attaquées n’empiètent pas sur les compétences de l’autorité fédérale, il n’est pas nécessaire d’examiner si la Région wallonne pouvait se prévaloir de la théorie des pouvoirs implicites.
A.10. Dans une troisième branche, la partie requérante fait valoir que la matière des clients protégés conjoncturels est étroitement imbriquée avec celle des clients protégés résidentiels, de sorte qu’il s’imposait à la Région wallonne d’organiser une concertation avec l’autorité fédérale ou de conclure un accord de coopération.
Dès lors que rien n’établit que ces formalités aient été accomplies, les dispositions attaquées violent l’article 143
de la Constitution et les articles 6, § 3, 2°, et 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980.
A.11. Selon le Gouvernement wallon, la partie requérante estime que les dispositions attaquées violent les obligations de coopération prévues aux articles 6, § 3, 2°, et 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980.
Il rappelle que l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 contient une liste limitative des matières dans lesquelles un accord de coopération est obligatoire. Il constate qu’aucune de ces matières ne touche à l’objet des dispositions attaquées. De surcroît, celles-ci ne relèvent pas davantage de « l’exercice conjoint de compétences propres » ou du « développement d’initiatives en commun », entre le législateur wallon et l’autorité fédérale.
En outre, l’article 6, § 3, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980, qui prévoit une obligation de concertation pour toute mesure relative à la politique de l’énergie, exclut du champ d’application de cette obligation l’exercice par
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les régions des compétences que leur attribue l’article 6, § 1er, VII, de la même loi spéciale. Dès lors que les dispositions attaquées ont été prises dans le cadre de ces compétences, une concertation n’était pas obligatoire.
Quant au maintien des effets
A.12. Le Gouvernement wallon demande, à titre subsidiaire, le maintien des effets, dès lors qu’une éventuelle annulation impacterait de manière disproportionnée et insurmontable les ménages en situation de précarité énergétique protégés par les dispositions attaquées.
Une annulation des dispositions attaquées aurait pour effet d’obliger les clients protégés conjoncturels à rembourser à la Région wallonne la différence entre le tarif social et le tarif commercial, alors qu’ils se trouvent dans une situation de précarité. Elle occasionnerait également des difficultés administratives à la charge des fournisseurs.
La Région wallonne invite la Cour à maintenir les effets des dispositions attaquées jusqu’à la date à laquelle celles-ci cesseront de produire leurs effets, à savoir le 1er septembre 2024, afin de ne pas porter atteinte à la sécurité juridique ni aux garanties prévues à l’égard des clients protégés conjoncturels.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. La partie requérante demande l’annulation des articles 2 à 5 du décret de la Région wallonne du 22 septembre 2022 « suspendant les coupures et insérant un article 66/1 dans le décret du 12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité et un article 2bis dans le décret du 19 décembre 2002 relatif à l’organisation du marché régional du gaz » (ci-après : le décret du 22 septembre 2022).
B.2.1. L’article 2 du décret du 22 septembre 2022 insère, dans le décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 « relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité » (ci-
après : le décret « Électricité »), un article 66/1, qui crée une nouvelle catégorie de clients protégés appelée « clients protégés conjoncturels ».
B.2.2. L’article 4 du décret du 22 septembre 2022 insère, dans le décret de la Région wallonne du 19 décembre 2002 « relatif à l’organisation du marché régional du gaz » (ci-après :
le décret « Gaz »), un article 2bis, qui, pour l’application de ce décret, définit le « client protégé » en référence, notamment, à l’article 66/1 du décret « Électricité ».
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B.3. Le régime des clients protégés trouve son origine dans la législation de l’autorité fédérale, notamment dans la loi du 29 avril 1999 « relative à l’organisation du marché de l’électricité » (ci-après : la loi « Électricité ») et dans la loi du 12 avril 1965 « relative au transport de produits gazeux et autres par canalisations » (ci-après : la loi « Gaz »).
Ces lois prévoient que les « clients protégés résidentiels » bénéficient des « prix maximaux » pour la fourniture d’électricité (article 20, § 2, de la loi « Électricité ») et de gaz (article 15/10, § 2, de la loi « Gaz »). Ces prix sont également appelés le « tarif social ».
Le « client protégé résidentiel » est défini par les deux lois précitées comme étant :
« tout client résidentiel qui peut prouver que lui-même ou que toute personne vivant sous le même toit bénéficie d’une décision d’octroi :
1° par un CPAS, :
a) du revenu d’intégration accordé en vertu de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale;
b) d’une aide sociale financière dispensée et prise en charge totalement ou partiellement par l’État conformément à l’article 5 de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d’aide sociale;
c) d’une allocation d’attente soit du revenu garanti aux personnes âgées, soit de la garantie de revenus aux personnes âgées, soit d’une allocation pour personnes avec un handicap;
2° par le SPF Sécurité Sociale Direction Générale Personnes Handicapées,
a) de l’allocation de remplacement de revenus prévue à l’article 2, § 1er, de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées;
b) de l’allocation d’intégration visée à l’article 2, § 2, de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées;
c) d’une allocation telle que visée dans la loi du 27 juin 1969 relative à l’octroi d’allocations aux handicapés;
d) d’une allocation complémentaire telle que visée dans la loi du 27 juin 1969 relative à l’octroi d’allocations aux handicapés;
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e) de l’allocation d’aide aux personnes âgées visée à l’article 2, § 3, de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées;
f) au moins 4 points dans le pilier P1 visé à l’article 6, § 2, 1°, de l’arrêté royal du 28 mars 2003 portant exécution des articles 47, 56septies et 63 des lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés et de l’article 88 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002;
3° par une institution d’une région ou d’une communauté, d’une allocation d’aide aux personnes âgées que le Roi assimile à une allocation visée à l’article 2°, e);
4° une décision prise sur base d’un décret ou une ordonnance octroyant un certain nombre de points ou un score à un enfant, assimilée par le Roi à une décision visée au 2°, f);
5° par le Service Fédéral des Pensions,
a) du revenu garanti aux personnes âgées, en vertu de la loi du 1er avril 1969 instituant un revenu garanti aux personnes âgées;
b) de la garantie de revenus aux personnes âgées en vertu de la loi du 22 mars 2001, instituant la garantie de revenus aux personnes âgées;
c) d’une allocation pour l’aide d’une tierce personne, telle que visée dans la loi du 27 juin 1969 relative à l’octroi d’allocations aux handicapés;
d) d’une allocation de complément du revenu garanti aux personnes âgées, telle que visée dans la loi du 27 juin 1969 relative à l’octroi d’allocations aux handicapés;
6° pour lui-même, de l’intervention majorée de l’assurance au sens de l’article 37, § 19, des lois coordonnées du 14 juillet 1994 ‘ relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités ’ (article 15/10, § 2/2, de la loi ‘ Gaz ’; article 20, § 2/1, de la loi ‘ Électricité ’) ».
B.4. Les « clients protégés résidentiels » bénéficient du statut de « client protégé » au sens du décret « Électricité » (article 33).
L’article 33bis, alinéa 2, du décret « Électricité » prévoit que le gestionnaire de réseau de distribution est habilité à fournir l’électricité aux clients protégés résidentiels au tarif social, lorsque ceux-ci le demandent.
Des règles similaires sont prévues aux articles 31bis et 31ter du décret « Gaz ».
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B.5.1. Le Gouvernement wallon peut étendre la liste des clients protégés à d’autres clients finals que ceux qui sont visés par les deux décrets précités (article 33, § 2, du décret « Électricité » et article 31bis, § 2, du décret « Gaz »).
B.5.2. Sur la base de cette habilitation, le Gouvernement wallon a pris plusieurs arrêtés afin de créer une nouvelle catégorie de clients protégés, à savoir les « clients protégés conjoncturels » (arrêté du Gouvernement wallon du 24 septembre 2020 « établissant une catégorie de client protégé conjoncturel en électricité et en gaz dans le cadre de la crise COVID-
19 »; arrêté du Gouvernement wallon du 1er avril 2021 « modifiant l’arrêté du Gouvernement wallon du 24 septembre 2020 établissant une catégorie de client protégé conjoncturel en électricité et en gaz dans le cadre de la crise COVID-19 »; arrêté du Gouvernement wallon du 3 février 2022 « modifiant l’arrêté du Gouvernement wallon du 24 septembre 2020 établissant une catégorie de client protégé conjoncturel en électricité et en gaz dans le cadre de la crise COVID-19 »).
Ces clients bénéficient de la fourniture d’électricité et de la fourniture de gaz aux prix maximaux, lesquels sont déterminés par l’autorité fédérale. Il est également prévu que la fourniture d’énergie est assurée par le gestionnaire de réseau de distribution.
B.5.3. Ces arrêtés font l’objet de recours pendants devant le Conseil d’État.
B.6. Les dispositions attaquées ont notamment pour objectif d’apporter une validation législative au régime mis en place par ces arrêtés (Doc. parl., Parlement wallon, 2022-2023, n° 1029/1, p. 3).
B.7.1. L’article 66/1, §§ 1er et 2, du décret « Électricité », tel qu’il a été inséré par l’article 2 du décret du 22 septembre 2022, intègre la catégorie des « clients protégés conjoncturels » dans la législation wallonne.
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Il dispose :
« § 1 er. Il est créé une catégorie de client protégé appelée client protégé conjoncturel octroyée :
1° du 20 septembre 2020 au 31 août 2023, aux clients résidentiels, ou toute personne vivant sous le même toit, bénéficiant d’une attestation du C.P.A.S. ou d’un service social reconnaissant une difficulté pour faire face à ses factures d’énergie, conformément à l’annexe 1;
2° aux clients résidentiels, à l’exclusion des clients visés à l’article 33, § 1 er, en situation de défaut de paiement dans les cas suivants :
a) du 20 septembre 2020 au 31 août 2022, un client, ou toute personne vivant sous le même toit, dont le revenu professionnel est impacté par la crise de la COVID-19 au sens du paragraphe 2, 1°;
b) du 20 septembre 2020 au 31 août 2023, un client, ou toute personne vivant sous le même toit, disposant d’une allocation en tant que chômeur complet indemnisé;
c) du 20 septembre 2020 au 31 août 2023, un client, ou toute personne vivant sous le même toit, bénéficiant d’une intervention majorée versée par leur mutuelle en vertu de l’article 37 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités;
d) du 1er janvier 2022 au 31 août 2023, un client disposant d’une attestation de sinistre de l’assurance du client faisant suite aux inondations du mois de juillet 2021 ou un accusé de réception d’une demande d’aide du Fonds des calamités par suite des inondations de juillet 2021;
e) du 1er septembre 2022 au 31 août 2023 un client, ou toute personne vivant sous le même toit, dont le revenu professionnel est impacté significativement par la crise des prix de l’énergie.
§ 2. 1° le client dont le revenu professionnel est impacté par la crise de la COVID-19 au paragraphe 1er, 2°, a), est :
a) une personne ayant bénéficié d’allocations de chômage temporaire pour force majeure en raison de la COVID-19 ou pour raisons économiques conformément à l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage et à l’arrêté royal du 30 mars 2020
visant à adapter les procédures dans le cadre du chômage temporaire dû au virus de la COVID-19 et à modifier l’article 10 de l’arrêté royal du 6 mai 2019 modifiant les articles 27, 51, 52bis, 58, 58/3 et 63 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage et insérant les articles 36sexies, 63bis et 124bis dans le même arrêté lorsque ces allocations portent sur au moins quatorze jours de chômage temporaire;
b) un travailleur indépendant, un aidant ou un conjoint aidant, au sens des articles 3, 5quater, 6 et 7bis de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des
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travailleurs indépendants qui a bénéficié en 2020, 2021 et 2022 d’une prestation financière à la suite d’une interruption forcée, totale ou partielle, de son activité indépendante qui s’est produite à la suite de la COVID-19, en vertu de la loi du 23 mars 2020 modifiant la loi du 22 décembre 2016 instaurant un droit passerelle en faveur des travailleurs indépendants et introduisant les mesures temporaires dans le cadre du COVID-19 en faveur des travailleurs indépendants;
2° le client dont le revenu professionnel est impacté significativement par la crise des prix de l’énergie visé au paragraphe 1er, 2°, e), est :
a) une personne ayant bénéficié d’allocations de chômage temporaire pour force majeure en raison de la crise des prix de l’énergie au sens de la réglementation fédérale;
b) une personne ayant bénéficié du droit passerelle en raison de la crise des prix de l’énergie au sens de la réglementation fédérale ».
B.7.2. L’article 66/1, §§ 3 à 8, du décret « Électricité » et l’annexe 1 du même décret, insérée par l’article 3 du décret du 22 septembre 2022, règlent les aspects procéduraux de la fourniture d’électricité aux clients protégés. Il en ressort notamment que l’électricité est fournie par le gestionnaire de réseau de distribution et que le contrat qui lie le fournisseur et le client est suspendu.
Comme il est dit en B.2.2, pour la période du 20 septembre 2020 au 1er septembre 2024, le client protégé au sens du décret « Gaz » est défini par référence, notamment, à l’article 66/1
du décret « Électricité » (article 4 du décret du 22 septembre 2022), de sorte que la même procédure est applicable dans le cadre des deux législations.
B.8. L’article 66/1 du décret « Électricité » et l’article 2bis du décret « Gaz » cessent d’être en vigueur le 1er septembre 2024 (article 5 du décret du 22 septembre 2022).
Quant au fond
B.9. Le premier moyen est pris de la violation de l’article 143 de la Constitution et de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, alinéa 4, 2°, alinéa 5, 3° à 5°, et VII, alinéa 2, d), § 3, 2°, de l’article 10 et de l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980).
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Dans une première branche, la partie requérante soutient que les dispositions attaquées modifient le prix pour la fourniture d’énergie applicable aux clients protégés et dérogent au régime des prix maximaux, prévu par la législation fédérale, pour la fourniture d’électricité et de gaz à des clients protégés résidentiels. Il s’ensuit que ces dispositions empiéteraient sur les compétences de l’autorité fédérale en matière de prix, de tarifs de l’énergie – en ce compris la politique sociale des prix de l’énergie –, de protection du consommateur, de droit de la concurrence, de droit des pratiques du commerce et de droit commercial.
De surcroît, les dispositions attaquées violeraient l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, dès lors qu’elles ne seraient pas conformes à la libre circulation des services ni au cadre normatif général de l’union économique et monétaire.
Dans une seconde branche, la partie requérante allègue que la Région wallonne ne peut se prévaloir des pouvoirs implicites.
B.10.1. L’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose :
« L’autorité fédérale est [...] seule compétente pour
[...]
3° la politique des prix et des revenus, à l’exception de la réglementation des prix dans les matières qui relèvent de la compétence des régions et des communautés, sous réserve de l’article 6, § 1er, VII, alinéa 2, d) ».
B.10.2. L’article 6, § 1er, VII, alinéa 2, d), de la loi spéciale du 8 août 1980 prévoit que l’autorité fédérale est compétente pour les tarifs, en ce compris la politique des prix, sans préjudice de la compétence régionale en matière de tarifs de distribution d’énergie.
B.10.3. La formulation actuelle de cette disposition résulte de l’article 18 de la loi spéciale du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l’État. Les travaux préparatoires mentionnent :
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« En vertu du nouvel article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, la politique des prix en matière de fourniture d’électricité et de gaz, en ce compris la politique sociale des prix, continuera à relever de la compétence exclusive de l’autorité fédérale. Ceci ne porte préjudice ni aux compétences des régions d’imposer des obligations de service public liées à leurs compétences, ni à leur compétence en matière de tarifs de distribution » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2232, p. 103).
B.11. La compétence de l’autorité fédérale relative à la politique sociale des prix ne porte pas seulement sur le montant des prix. Elle inclut la compétence de déterminer les bénéficiaires des prix concernés. En effet, sans une identification des bénéficiaires, il est impossible de mener une politique sociale des prix.
Cette compétence relève exclusivement de l’autorité fédérale. Contrairement à ce qu’allègue le Gouvernement wallon, la loi spéciale du 8 août 1980 ne permet pas aux régions d’adopter une politique sociale des prix adaptée aux circonstances régionales, sous réserve du recours aux pouvoirs implicites.
B.12. Bien que les dispositions attaquées ne déterminent pas, en soi, les prix maximaux de l’énergie pour les clients protégés, elles élargissent considérablement les catégories de bénéficiaires de ces prix. Elles ont donc pour objet de modifier le prix payé par leurs destinataires. Ce faisant, la Région wallonne empiète sur la politique sociale des prix de l’énergie, laquelle ressortit aux compétences de l’autorité fédérale.
B.13.1. La Cour doit toutefois encore examiner si la Région wallonne peut se prévaloir des pouvoirs implicites.
Aux termes de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, les décrets peuvent porter des dispositions de droit relatives à des matières pour lesquelles les législateurs décrétaux ne sont pas compétents, pour autant que ces dispositions soient nécessaires à l’exercice de leur compétence. Il est requis, à cette fin, que la réglementation adoptée puisse être considérée comme étant nécessaire à l’exercice des compétences du législateur décrétal, que cette matière se prête à un règlement différencié et que l’incidence des dispositions en cause sur la matière en l’espèce fédérale ne soit que marginale.
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B.13.2. L’article 6, § 1er, VII, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 réserve à l’autorité fédérale les matières relatives à la politique de l’énergie « dont l’indivisibilité technique et économique requiert une mise en œuvre homogène sur le plan national », et notamment « les tarifs, en ce compris la politique des prix ». Cette disposition contribue à garantir l’union économique et monétaire.
B.14. L’article 66/1, § 1er, 2°, du décret « Électricité » étend fortement le champ d’application ratione personae du régime des prix maximaux pour la fourniture d’énergie, fût-
ce pour une durée limitée.
En effet, cette disposition vise les clients dont le revenu professionnel a été impacté par la pandémie de Covid-19 ou par la crise des prix de l’énergie, les clients qui ont le statut de chômeurs complets indemnisés, les clients bénéficiant d’une intervention majorée versée par leur mutuelle et qui ne disposent pas du statut de client protégé résidentiel, les victimes des inondations du mois de juillet 2021 et les personnes vivant sous le même toit que ces catégories de clients.
B.15. Par conséquent, les dispositions attaquées remettent fondamentalement en cause les arbitrages économiques qui ont été réalisés par l’autorité fédérale, et en particulier l’équilibre entre l’intérêt des fournisseurs d’énergie et celui des clients.
B.16. Il s’ensuit que la matière concernée ne se prête pas à un règlement différencié.
Le premier moyen est fondé.
B.17. Dès lors que les autres moyens ne peuvent donner lieu à une annulation plus étendue, ils ne doivent pas être examinés.
Quant au maintien des effets
B.18. En soutenant que l’annulation aurait des conséquences catastrophiques pour les clients protégés conjoncturels qui seraient tenus de rembourser à la Région wallonne la
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différence entre le tarif social et le tarif commercial, le Gouvernement wallon n’établit pas la nécessité de maintenir les effets des dispositions annulées, puisque l’action inconstitutionnelle de la Région est la cause de l’annulation et que la Région peut, partant, être amenée à en supporter les conséquences, notamment vis-à-vis des clients protégés qui ont bénéficié de ces dispositions.
Pour le reste, le Gouvernement wallon n’établit pas en quoi l’annulation des dispositions attaquées engendrerait des difficultés administratives insurmontables à charge des fournisseurs.
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Par ces motifs,
la Cour
annule les articles 2 à 5 du décret de la Région wallonne du 22 septembre 2022
« suspendant les coupures et insérant un article 66/1 dans le décret du 12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité et un article 2bis dans le décret du 19 décembre 2002 relatif à l’organisation du marché régional du gaz ».
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 janvier 2024.
Le greffier, le président,
N. Dupont P. Nihoul