Cour constitutionnelle
Arrêt n° 19/2024
du 8 février 2024
Numéro du rôle : 7960
En cause : la question préjudicielle relative à l’article L1123-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, tel qu’il a été modifié par l’article 4 du décret de la Région wallonne du 7 septembre 2017 « modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en ce qui concerne les déclarations d’apparentement et de regroupement », posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt n° 256.059 du 17 mars 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 28 mars 2023, le Conseil d’État a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article L1123-1 du Code de la démocratie locale, en ce qu’il assimile un conseiller communal exclu ou démissionnaire d’un groupe politique aux autres conseillers de ce même groupe, non démissionnaires ni exclus, alors que le même Code attache des effets déterminants à l’appartenance d’un conseiller communal à un groupe politique, traite-t-il de manière égale deux situations essentiellement différentes et, de ce fait, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- Hasan Aydin, assisté et représenté par Me P. Lejeune et Me S. Matray, avocats au barreau de Liège-Huy;
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- la ville de Verviers, représentée par son collège communal, assistée et représentée par Me J. Sohier, avocat au barreau de Bruxelles;
- le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me S. Depré et Me M. Chomé, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me B. Martel et Me K. Caluwaert, avocats au barreau de Bruxelles.
Le Gouvernement flamand a également introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 6 décembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs M. Plovie et W. Verrijdt, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le collège communal de la ville de Verviers a fait l’objet d’une motion de méfiance constructive collective.
Cette motion, qui a été approuvée par le conseil communal le 9 juillet 2021, propose Muriel Targnion comme bourgmestre, au motif que celle-ci est « le conseiller de nationalité belge qui a obtenu le plus de voix de préférence sur la liste qui a obtenu le plus de voix parmi les groupes politiques qui sont parties au pacte de majorité »
(article L1123-4, § 1er, du Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation, ci-après : le CDLD).
Hasan Aydin, qui était le président du centre public d’action sociale (CPAS) de Verviers et qui était visé par la motion de méfiance en tant que membre du collège communal, demande au Conseil d’État de suspendre et d’annuler cette délibération, ainsi que la délibération du conseil communal du 30 juillet 2021 désignant les nouveaux membres du CPAS de Verviers. Hasan Aydin soutient notamment que, dès lors que Muriel Targnion a été exclue de son groupe politique, elle ne satisfait pas aux conditions requises pour être bourgmestre.
Par son arrêt n° 252.283 du 1er décembre 2021, rejetant la demande de suspension, le Conseil d’État juge que le moyen concerné n’est pas sérieux, dès lors que, pour pouvoir participer à des élections communales et être élu, il ne faut pas nécessairement appartenir à un parti politique et que la légitimité d’un élu local réside dans le fait qu’il a été choisi par une majorité des citoyens de sa commune lors d’un scrutin respectant les règles de la démocratie, dont le suffrage universel. Les articles L1123-4, §§ 1er et 2, et L1123-1, § 1er, du CDLD confirment cette légitimité en ce que l’exclusion d’un élu de son parti politique ne peut avoir pour conséquence de l’écarter des fonctions qu’il exerce au sein des organes mêmes de la commune. Le Conseil d’État n’aperçoit dès lors pas en quoi il y aurait, en l’espèce, une discrimination entre les élus exclus d’un parti politique et les élus toujours affiliés à un parti politique, dès lors que cette appartenance à un parti politique n’est pas une condition d’éligibilité. Le Conseil d’État en déduit que, bien qu’exclue de son groupe politique, Muriel Targnion relève toujours de la liste
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qui a obtenu le plus de voix lors des dernières élections communales et qu’elle remplit bien les conditions pour occuper la fonction maïorale.
Dans le cadre de l’examen du recours en annulation et à la demande de la partie requérante, le Conseil d’État soumet à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. Hasan Aydin ne prétend pas qu’il faudrait appartenir à un groupe politique pour être élu conseiller communal. La considération émise par le Conseil d’État dans l’arrêt n° 252.283 du 1er décembre 2021, rejetant la demande de suspension, n’est dès lors pas pertinente.
Hasan Aydin allègue que la disposition en cause traite de manière identique des personnes qui se trouvent dans des situations non comparables. Muriel Targnion doit en partie son score électoral au fait qu’elle était tête de liste du Parti socialiste. Il existe donc une différence fondamentale entre le membre exclu d’un groupe politique et celui qui ne l’est pas. Le législateur décrétal n’est pas cohérent, dès lors qu’il tient compte de cette différence dans d’autres dispositions du CDLD, notamment en ce qui concerne la répartition des mandats de membre de chaque commission au sein du conseil communal. Le règlement d’ordre intérieur de chaque commune peut en outre prévoir d’autres prérogatives pour les membres de groupes politiques.
Hasan Aydin soutient qu’un élu local qui a été exclu de son groupe politique n’est plus légitime devant les citoyens. En effet, la mesure d’exclusion est un acte grave signifiant que le parti politique se désolidarise totalement du membre concerné. L’objectif de maintenir la stabilité et la transparence des groupes politiques, mentionné dans les travaux préparatoires, ne justifie pas l’identité de traitement en cause. Cet objectif ne tient pas compte des conséquences que peut avoir une mesure d’exclusion, et plus généralement des restructurations que peut subir un groupe politique au cours d’une législature. Il s’ensuit que l’article L1123-1 du CDLD viole le principe d’égalité et de non-discrimination.
A.2.1. Le Gouvernement wallon soutient que les catégories de personnes ne sont pas suffisamment identifiées dans la question préjudicielle. Il s’agit en réalité d’une seule et même catégorie de personnes pour laquelle des aménagements sont organisés par le CDLD en cas d’exclusion ou de démission du groupe politique.
La question préjudicielle est donc irrecevable.
A.2.2. Le Gouvernement wallon fait valoir que les catégories de personnes mentionnées dans la question préjudicielle ne sont pas traitées de manière identique. Les conseillers communaux non démissionnaires et non exclus d’un groupe politique conservent leurs mandats dérivés tandis que les conseillers communaux exclus ou démissionnaires d’un groupe politique perdent l’ensemble de leurs mandats dérivés (article L1123-1, § 1er, alinéa 3, du CDLD).
Le Gouvernement wallon souligne que le conseiller communal qui exerce le mandat de bourgmestre n’est pas démis de plein droit de ce mandat s’il ne fait plus partie de son groupe politique, dès lors qu’il s’agit d’un mandat originaire visé à l’article L5111-1, 1°, du CDLD.
Le Gouvernement wallon soutient que la disposition en cause poursuit un objectif de stabilité et de lisibilité pour l’électeur et qu’elle est proportionnée à cet objectif. En effet, elle vaut uniquement pour les mandats originaires. Selon le ministre des Pouvoirs locaux, le législateur décrétal a voulu conférer une certaine immuabilité à la notion de groupe politique; le groupe politique est en quelque sorte figé au moment de l’élection. L’objectif était de « limiter les transfuges » en cours de législature et de garantir une certaine stabilité au sein des groupes.
A.3.1. Le Gouvernement flamand n’aperçoit pas où la discrimination alléguée résiderait, dès lors que ni la question préjudicielle ni l’arrêt de renvoi ne précisent en quoi consistent les « effets déterminants » qui s’attachent à l’appartenance d’un conseiller communal à un groupe politique ni en quoi ces « effets déterminants » pourraient
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conduire au constat d’une discrimination imputable à la disposition en cause. Il n’est donc pas possible de répondre adéquatement à la question préjudicielle. Cette question doit être déclarée irrecevable.
A.3.2. Quant au fond, le Gouvernement flamand estime que l’affirmation de Hasan Aydin selon laquelle le score personnel de Muriel Targnion est lié à son appartenance à une liste politique, à supposer qu’elle soit exacte, ne saurait être considérée comme un « effet déterminant » que le CDLD attacherait à l’appartenance d’un conseiller communal à un groupe politique. Il s’agit d’une donnée purement factuelle qui n’induit aucune discrimination.
A.3.3. À titre subsidiaire, le Gouvernement flamand soutient que l’identité de traitement est raisonnablement justifiée. Dans le cadre de son large pouvoir discrétionnaire, le législateur décrétal wallon a fait le choix politique légitime de ne pas tenir compte de la démission ni de l’exclusion d’un conseiller communal d’un groupe politique pour le calcul des majorités requises pour l’adoption d’une motion de méfiance constructive et pour la désignation du bourgmestre. Ce choix politique est pertinent eu égard à l’objectif de limiter les transfuges en cours de législature et de garantir une certaine stabilité au sein des groupes politiques.
Le Gouvernement flamand expose que la disposition en cause s’applique uniquement en cas d’adoption d’une motion de méfiance constructive (collective ou individuelle) au sens de l’article L1123-14 du CDLD et pour l’adoption d’un pacte de majorité au sens de l’article L1123-1, §§ 2 à 5, du CDLD. Elle ne produit dès lors pas des effets disproportionnés.
Le Gouvernement flamand relève que la disposition en cause, en ce qu’elle détermine le poids des groupes politiques pour le calcul des exigences de majorité, est indispensable pour l’adoption d’une motion de méfiance constructive (collective ou individuelle) (article L1123-14 du CDLD). Cette réglementation favorise la sécurité juridique, dès lors qu’elle permet de déterminer dès le début de la législature comment les exigences concrètes de majorité devront être appliquées. Si le poids d’un groupe politique pouvait continuellement changer au cours de la législature, cela affaiblirait complètement les exigences de majorité établies par le législateur décrétal pour l’adoption d’une motion de méfiance constructive.
Selon le Gouvernement flamand, cet objectif vaut également pour la désignation du bourgmestre. Le législateur décrétal n’a pas voulu faire dépendre la désignation d’un bourgmestre d’éventuels désaccords politiques ou de l’exclusion d’un conseiller communal d’un groupe politique. Le droit d’un élu d’être désigné bourgmestre ne dépend pas du simple fait que la personne concernée a été exclue d’un groupe politique pendant la législature.
A.4. La ville de Verviers affirme éprouver des difficultés à identifier l’identité de traitement en cause, dès lors qu’il ne faut pas être membre d’un parti politique pour se présenter à une élection et être élu. La légitimité de Muriel Targnion pour exercer la fonction maïorale ne tient nullement à sa qualité de membre d’un parti politique, mais au seul fait qu’elle est le conseiller qui a obtenu le plus de voix de préférence sur la liste qui a obtenu le plus de voix lors des élections. Les dissensions internes qu’un parti politique connaît par la suite ne changent rien à ce constat, qui est le seul élément qui doit être pris en compte.
Selon la ville de Verviers, la disposition en cause vise à éviter que l’exclusion d’un conseiller de son parti politique ne prive d’effet l’article L1123-4, § 1er, du CDLD. À suivre Hasan Aydin, aucun conseiller communal ne pourrait être désigné bourgmestre pour la seule raison qu’il aurait entre-temps été exclu de son parti politique, ce qui revient à imposer une condition d’éligibilité supplémentaire, celle d’appartenir à un parti politique, et à créer une discrimination entre les candidats. La disposition en cause se justifie également par les principes de sécurité juridique et de continuité du service public, en ce qu’elle ne fait pas dépendre la nomination du bourgmestre de dissensions politiques et de l’exclusion de candidats. L’identité de traitement entre les candidats ayant obtenu le plus de voix de préférence sur la liste ayant obtenu le plus de voix selon qu’au moment de leur nomination, ils sont toujours attachés ou non à leur parti politique est dès lors raisonnablement justifiée.
A.5.1. Le Gouvernement flamand fait valoir qu’il n’est absolument pas établi en quoi l’article L1122-34, § 1er, du CDLD, relatif aux commissions au sein du conseil communal, attacherait des « effets déterminants » à
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l’appartenance à un groupe politique. Il ressort au contraire de cette disposition que les conseillers démissionnaires ou exclus de leur groupe politique sont toujours considérés comme des membres du groupe politique d’origine.
L’affirmation selon laquelle le règlement d’ordre intérieur de chaque commune peut prévoir d’autres prérogatives pour les membres de groupes politiques n’est pas davantage pertinente.
A.5.2. Le Gouvernement flamand remarque qu’il est incohérent de soutenir à la fois que garantir la stabilité des groupes politiques est un objectif légitime et qu’il faudrait tenir compte des conséquences qu’une mesure d’exclusion d’un groupe politique peut avoir.
-B-
B.1.1. L’article L1123-1, § 1er, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après : le CDLD), tel qu’il a été remplacé par l’article 4 du décret de la Région wallonne du 7 septembre 2017 « modifiant le Code de la démocratie locale et de la décentralisation en ce qui concerne les déclarations d’apparentement et de regroupement », dispose :
« Le ou les conseillers élus sur une même liste lors des élections constituent un groupe politique dont la dénomination est celle de ladite liste.
Le conseiller qui, en cours de législature, démissionne de son groupe politique est démissionnaire de plein droit de tous les mandats qu’il exerçait à titre dérivé tel que défini à l’article L5111-1. L’acte de démission, dûment signé, est communiqué au collège et porté à la connaissance des membres du conseil communal lors de la séance la plus proche. La démission prend effet à cette date et le procès-verbal de la séance du conseil communal en fait mention.
Un extrait du procès-verbal est signifié aux organismes dans lesquels le membre siège en raison de sa qualité de conseiller communal.
Le conseiller qui, en cours de législature, est exclu de son groupe politique, est démis de plein droit de tous les mandats qu’il exerçait à titre dérivé tel que défini à l’article L5111-1.
L’acte d’exclusion est valable si :
1° il est signé par la majorité des membres de son groupe;
2° il est communiqué au collège.
L’acte d’exclusion est porté à la connaissance des membres du conseil communal lors de la séance la plus proche. L’exclusion prend effet à cette date et le procès-verbal de la séance du conseil communal en fait mention. Un extrait du procès-verbal est signifié aux organismes dans lesquels le membre siège en raison de sa qualité de conseiller communal.
L’exclusion ou la démission du groupe visé à ce paragraphe entraîne de facto la nullité de la déclaration d’apparentement ou de regroupement éventuelle. Le Conseiller concerné peut
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remettre une nouvelle déclaration d’apparentement ou de regroupement, sans que celle-ci ne puisse influencer la composition des organismes para-locaux concernés.
Pour l’application du présent article et de l’article L1123-14, ce conseiller est considéré comme appartenant toujours au groupe politique quitté ».
Il résulte de l’article L1123-1, § 1er, alinéa 7, du CDLD, en cause, que le conseiller communal qui, en cours de législature, a démissionné de son groupe politique ou qui en a été exclu est considéré comme appartenant toujours au groupe politique quitté pour l’adoption d’un pacte de majorité (article L1123-1, §§ 2 à 5, du CDLD) ou d’une motion de méfiance à l’égard du collège ou de l’un ou de plusieurs de ses membres (article L1123-14 du CDLD).
B.1.2. L’article L1123-1 du CDLD doit être lu en combinaison avec les articles L1123-4
et L1123-14 du même Code.
L’article L1123-4 dispose :
« § 1er. Est élu de plein droit bourgmestre, le conseiller de nationalité belge qui a obtenu le plus de voix de préférence sur la liste qui a obtenu le plus de voix parmi les groupes politiques qui sont parties au pacte de majorité adopté en application de l’article L1123-1.
En cas de parité de voix, l’ordre de la liste prévaut.
§ 2. Si le conseiller visé au § 1er renonce à exercer cette fonction ou, sans préjudice de l’article L1123-14, s’il doit cesser définitivement d’exercer celle-ci, est élu de plein droit bourgmestre le conseiller de nationalité belge qui, après lui, a obtenu, dans le même groupe politique, le nombre le plus important de voix lors des dernières élections, et ainsi de suite.
Si tous les conseillers du groupe politique, partie à l’accord de majorité, qui a obtenu le plus de voix de préférence lors des dernières élections renoncent à exercer cette fonction, est élu bourgmestre le conseiller qui a obtenu le plus de voix de préférence dans le groupe politique, partie à l’accord de majorité, qui a obtenu le deuxième score en voix lors des dernières élections.
§ 3. Sauf dans le cas visé par l’article L1123-1, § 5, le conseiller visé au § 1er ou au § 2, qui figurait lors des élections à l’une des trois premières places de la liste des candidats visée à l’article L4112-4, § 2, et qui renonce à exercer la fonction de bourgmestre qui lui est dévolue ou qui, après l’avoir exercée, y renonce, ne peut pas être membre du collège communal au cours de la législature ».
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L’article L1123-14 dispose :
« § 1er. Le collège, de même que chacun de ses membres, est responsable devant le conseil.
Le conseil peut adopter une motion de méfiance à l’égard du collège ou de l’un ou de plusieurs de ses membres.
Cette motion n’est recevable que si elle présente un successeur au collège, à l’un ou à plusieurs de ses membres, selon le cas.
Lorsqu’elle concerne l’ensemble du collège, elle n’est recevable que si elle est déposée par la moitié au moins des conseillers de chaque groupe politique formant une majorité alternative.
Dans ce cas, la présentation d’un successeur au collège constitue un nouveau pacte de majorité.
Lorsqu’elle concerne un ou plusieurs membres du collège, elle n’est recevable que si elle est déposée par la moitié au moins des conseillers de chaque groupe politique participant au pacte de majorité.
Le débat et le vote sur la motion de méfiance sont inscrits à l’ordre du jour du plus prochain conseil communal qui suit son dépôt entre les mains du directeur général, pour autant que se soit écoulé au minimum un délai de sept jours francs à la suite de ce dépôt. Le texte de la motion de méfiance est adressé sans délai par le directeur général à chacun des membres du collège et du conseil. Le dépôt de la motion de méfiance est, sans délai, porté à la connaissance du public par voie d’affichage à la maison communale. En cas de dépôt d’une motion de méfiance collective ou d’une motion individuelle à l’égard du président du C.P.A.S., le directeur général adresse sans délai le texte de la motion à chacun des membres du conseil de l’action sociale, si la législation qui est applicable au président du centre public d’action sociale prévoit sa présence au sein du collège communal.
Lorsque la motion de méfiance est dirigée contre un ou plusieurs membres du collège, ceux-ci, s’ils sont présents, disposent de la faculté de faire valoir, en personne, leurs observations devant le conseil, et en tout cas, immédiatement avant que n’intervienne le vote.
Elle ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres du conseil. Le conseil communal apprécie souverainement, par son vote, les motifs qui le fondent.
La motion de méfiance est examinée par le conseil communal en séance publique. Le vote sur la motion se fait à haute voix.
L’adoption de la motion emporte la démission du collège ou du ou des membres contestés, ainsi que l’élection du nouveau collège ou du ou des nouveaux membres.
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§ 2. Lorsqu’une motion visée au § 1er est dirigée contre le bourgmestre, il est fait application, pour le remplacement de ce dernier, des règles contenues à l’article L1123-4, étant entendu que le bourgmestre contre qui une motion de méfiance vient d’être votée n’est plus pris en considération.
§ 3. Une motion de méfiance concernant l’ensemble du collège ne peut être déposée avant l’expiration d’un délai d’un an et demi suivant l’installation du collège communal.
Lorsqu’une motion de méfiance à l’encontre de l’ensemble du collège a été adoptée par le conseil, aucune nouvelle motion de méfiance collective ne peut être déposée avant l’expiration d’un délai d’un an.
Aucune motion de méfiance concernant l’ensemble du collège ne peut être déposée après le 30 juin de l’année qui précède les élections.
Au cours d’une même législature communale, il ne peut pas être voté plus de deux motions de méfiance concernant l’ensemble du collège ».
B.2. Le Conseil d’État demande à la Cour si la disposition en cause, en ce qu’elle « assimile un conseiller communal exclu ou démissionnaire d’un groupe politique aux autres conseillers de ce même groupe, non démissionnaires ni exclus, alors que le même Code attache des effets déterminants à l’appartenance d’un conseiller communal à un groupe politique », traite de manière identique deux situations essentiellement différentes et est discriminatoire.
B.3. Le Gouvernement wallon, le Gouvernement flamand et la ville de Verviers soutiennent que la question préjudicielle est irrecevable aux motifs, respectivement, que les catégories de personnes ne sont pas suffisamment identifiées dans la question préjudicielle; que la discrimination alléguée n’est pas précisément localisée; et que l’identité de traitement en cause est difficilement identifiable, dès lors qu’il ne faut nullement être membre d’un parti politique pour se présenter à une élection et être élu.
B.4. En l’espèce, la partie requérante devant le Conseil d’État demande l’annulation de la délibération du conseil communal de Verviers du 9 juillet 2021 adoptant une motion de méfiance constructive à l’égard de l’ensemble du collège communal. Cette partie allègue que l’élue qui est désignée comme bourgmestre dans le nouveau pacte de majorité ne remplit pas les conditions prévues à cet effet. Elle soutient que cette élue ne peut pas être considérée comme « le conseiller de nationalité belge qui a obtenu le plus de voix de préférence sur la liste qui a
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obtenu le plus de voix parmi les groupes politiques qui sont parties au pacte de majorité », au sens de l’article L1123-4 du CDLD, dès lors qu’elle a été exclue de son groupe politique.
La question préjudicielle invite donc la Cour à déterminer si l’article L1123-1, § 1er, alinéa 7, du CDLD, en ce qu’il implique qu’un conseiller qui a démissionné de son groupe politique ou qui en a été exclu est toujours considéré comme relevant de son groupe politique d’origine et peut dès lors être désigné bourgmestre en application de l’article L1123-4 du CDLD, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. La Cour doit vérifier si, dans un tel contexte, l’identité de traitement que la disposition en cause réserve aux membres et aux anciens membres d’un groupe politique déterminé est raisonnablement justifiée.
B.5.1. En vertu de l’article L1123-4, § 1er, du CDLD, « est élu de plein droit bourgmestre, le conseiller de nationalité belge qui a obtenu le plus de voix de préférence sur la liste qui a obtenu le plus de voix parmi les groupes politiques qui sont parties au pacte de majorité adopté en application de l’article L1123-1 ».
Cette règle, qui trouve son origine dans le décret de la Région wallonne du 8 décembre 2005 « modifiant certaines dispositions du Code de la démocratie locale et de la décentralisation », s’applique non seulement lors de l’installation du collège communal qui a lieu immédiatement à la suite des élections, mais également dans le cadre de l’adoption d’une motion de méfiance constructive à l’égard du collège communal et d’un nouveau pacte de majorité, étant entendu que, si le bourgmestre est personnellement visé par la motion de méfiance, il n’est plus pris en considération pour le choix du nouveau bourgmestre (article L1123-14, § 2, du CDLD).
B.5.2. Par ce nouveau mode de désignation du bourgmestre, le législateur décrétal entendait « renforcer le rôle de l’électeur et mettre en place un mécanisme simple, transparent et automatique », dans le cadre duquel « le conseil communal se limite […] à prendre acte du résultat issu des élections et de l’acceptation de la fonction par le candidat » (Doc. parl., Parlement wallon, 2004-2005, n° 204/64, p. 5). L’application de cette règle permet d’éviter, dans une certaine mesure, les négociations post-électorales entre les groupes politiques qui font partie du pacte de majorité en ce qui concerne le choix du bourgmestre.
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B.6.1. En cas de démission ou d’exclusion de son groupe politique, le conseiller concerné est, en vertu de l’article L1123-1, § 1er, alinéas 2 et 3, du CDLD, démis de plein droit de tous les mandats dérivés qu’il exerçait au sens de l’article L5111-1, 2°, du CDLD.
La démission du groupe politique ou l’exclusion n’a pas d’incidence sur les mandats originaires de l’élu concerné, au sens de l’article L5111-1, 1°, du CDLD. Celui-ci conserve donc son mandat de conseiller et, le cas échéant, son mandat de bourgmestre.
Par ailleurs, comme il est dit en B.1.1, le conseiller concerné est considéré comme appartenant toujours à son groupe politique d’origine pour l’adoption d’un pacte de majorité et pour l’adoption d’une motion de méfiance à l’égard du collège ou de l’un ou de plusieurs de ses membres, en vertu de l’article L1123-1, § 1er, alinéa 7, du CDLD.
B.6.2. Cette dernière règle fige la composition des groupes politiques au jour de l’élection.
Elle a pour effet de priver le conseiller qui a démissionné de son groupe politique ou qui en a été exclu de la possibilité d’apporter son soutien à la présentation d’une motion de méfiance collective par d’autres groupes politiques. L’objectif du législateur décrétal était de « limiter les transfuges » en cours de législature et de garantir une certaine stabilité au sein des groupes politiques (voy. la réponse du ministre des Pouvoirs locaux à une question parlementaire (Q. R., Parlement wallon, 2021-2022, n° 559)).
B.7. Pour déterminer s’il est raisonnablement justifié qu’un conseiller qui a démissionné de son groupe politique en cours de législature ou qui en a été exclu soit considéré comme faisant toujours partie de son groupe politique d’origine pour l’adoption d’une motion de méfiance et d’un nouveau pacte de majorité et qu’il soit donc susceptible d’être désigné bourgmestre sur la base de l’article L1123-4 du CDLD, la Cour doit également tenir compte de l’objectif poursuivi par cette dernière disposition, qui est mentionné en B.5.2.
B.8. Comme le souligne le Gouvernement flamand, le législateur décrétal n’a pas voulu faire dépendre la désignation d’un bourgmestre d’éventuels désaccords au sein d’un groupe politique ou de l’exclusion d’un conseiller communal d’un groupe politique. Aussi, eu égard à
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l’objectif du législateur décrétal de renforcer le rôle de l’électeur, il est raisonnablement justifié que la circonstance qu’un conseiller ne fasse plus partie de son groupe politique d’origine ne soit pas prise en compte en vue de la désignation du bourgmestre.
Si, comme l’observe la partie requérante devant le Conseil d’État, il se conçoit que le membre exclu d’un groupe politique doive en partie son score électoral à son appartenance à une liste déterminée, le contraire est aussi possible - à plus forte raison au niveau local - et un candidat donné peut renforcer l’attractivité de la liste dont il fait partie. En tout état de cause, le vote est secret et il n’est pas possible de déterminer les motifs du choix des électeurs.
Pour le reste, le bourgmestre qui a été exclu de son groupe politique peut faire l’objet d’une motion de méfiance individuelle. Une telle motion n’est recevable que si elle est déposée par la moitié au moins des conseillers de chaque groupe politique participant au pacte de majorité et elle ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres du conseil. En cas de vote d’une telle motion, le bourgmestre démis n’est plus pris en considération pour la désignation du nouveau bourgmestre (article L1123-14 du CDLD).
B.9. L’article L1123-1, § 1er, alinéa 7, du CDLD est compatible avec les articles 10 et 11
de la Constitution, en ce qu’il a pour effet que le conseiller qui a démissionné de son groupe politique ou qui en a été exclu est considéré comme faisant toujours partie de son groupe politique d’origine en vue de la désignation du bourgmestre.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article L1123-1, § 1er, alinéa 7, du Code de la démocratie locale et de la décentralisation ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il a pour effet que le conseiller qui a démissionné de son groupe politique ou qui en a été exclu est considéré comme faisant toujours partie de son groupe politique d’origine en vue de la désignation du bourgmestre.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 8 février 2024.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul