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08/02/2024 | BELGIQUE | N°21/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 08 février 2024, 21/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n°21/2024
du 8 février 2024
Numéros du rôle : 7973 et 7980
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 275/5 du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par la Cour de cassation.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J. Moerman, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudiciel

les et procédure
a. Par arrêt du 24 mars 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la C...

Cour constitutionnelle
Arrêt n°21/2024
du 8 février 2024
Numéros du rôle : 7973 et 7980
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 275/5 du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par la Cour de cassation.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J. Moerman, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
a. Par arrêt du 24 mars 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 avril 2023, la Cour de cassation a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 275/5 du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu’il est applicable à la cause, dans l’interprétation selon laquelle, pour que la dispense de versement du précompte professionnel pour travail en équipe soit appliquée, il faut que l’ampleur du travail soit la même au niveau des équipes successives, et non au niveau des travailleurs individuels, viole-t-il le principe d’égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée, en ce qu’il est créé une différence de traitement injustifiée entre les entreprises dans lesquelles les différentes équipes effectuent, selon le principe du travail à la chaîne, un travail qui est toujours de la même ampleur, qui bénéficient de la dispense, et les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail des équipes varie en fonction des heures de pointe et des heures creuses, qui sont exclues de la dispense, compte tenu de l’objectif poursuivi par la mesure consistant à compenser les coûts supplémentaires pour l’employeur qui recourt au système de travail en équipe et de la réponse de la Commission européenne selon laquelle la mesure de dispense ne constitue pas une aide d’État prohibée, en ce qu’elle s’étend à presque tous les secteurs économiques ? ».
b. Par arrêt du 31 mars 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 20 avril 2023, la Cour de cassation a posé la question préjudicielle suivante :
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« L’article 275/5, § 2, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, dans sa version applicable à l’exercice d’imposition 2012, viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que les entreprises où le travail est effectué en au moins deux équipes comprenant deux travailleurs au moins, lesquelles font le même travail tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur et qui se succèdent dans le courant de la journée sans qu’il n’y ait d’interruption entre les équipes successives et sans que le chevauchement excède un quart de leurs tâches journalières peuvent être considérées comme des ‘ entreprises où s’effectue un travail en équipe ’ au sens de l’article précité et peuvent donc bénéficier d’une dispense partielle de versement du précompte professionnel, alors que les entreprises dont les équipes effectuent un travail dont l’ampleur est comparable et répondent pour le reste aux mêmes conditions ne peuvent pas être considérées comme des ‘ entreprises où s’effectue un travail en équipe ’ au sens de cet article et ne peuvent donc pas bénéficier d’une dispense partielle de versement du précompte professionnel ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7973 et 7980 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires ont été introduits par :
- la SA « VAB » et la SA « Autobussen De Reys », assistées et représentées par Me J. Verbist, avocat à la Cour de cassation (dans les deux affaires);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me W. van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
Par ordonnance du 6 décembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures J. Moerman et E. Bribosia, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et les affaires seraient mises en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et les procédures antérieures
Dans l’affaire n° 7973
La SA « VAB », une entreprise qui fournit des services d’assistance en cas de panne de voiture, en intervenant sur la route, au domicile ou dans le cadre d’un voyage, fait usage, pour l’exercice d’imposition 2012, de la dispense de l’obligation de versement du précompte professionnel retenu pour travail en équipe, telle qu’elle est régie par l’article 275/5 du Code des impôts sur le revenu 1992 (ci-après : le CIR 1992). L’administration fiscale considère qu’en ce qui concerne les patrouilleurs de l’entreprise, les conditions légales à remplir pour bénéficier de la dispense ne le sont pas. La SA « VAB » introduit une action devant le Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers, lequel rejette sa demande par jugement du 27 octobre 2017, au motif que la société démontre seulement que l’ampleur du travail est la même au niveau des travailleurs individuels, alors que
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l’article 275/5 du CIR 1992 exige qu’il soit démontré que l’ampleur du travail est la même au niveau des équipes.
Le jugement du Tribunal de première instance est confirmé par les arrêts de la Cour d’appel d’Anvers du 15 octobre 2019 et du 19 janvier 2021. La SA « VAB » introduit un pourvoi en cassation contre ces arrêts auprès de la Cour de cassation, qui estime qu’il s’indique de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
Dans l’affaire n° 7980
La SA « Autobussen De Reys », une entreprise qui exploite des autobus et des autocars pour des missions de transport public et de transport scolaire pour le compte de la Société flamande des transports De Lijn, fait usage, pour l’exercice d’imposition 2012, de la dispense de l’obligation de versement du précompte professionnel retenu pour travail en équipe, telle qu’elle est régie par l’article 275/5 du CIR 1992. L’administration fiscale considère que les conditions légales à remplir pour bénéficier de la dispense ne le sont pas. La SA « Autobussen De Reys »
introduit une action devant le Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers, lequel rejette sa demande par jugement du 9 juin 2017, au motif que l’alternance des chauffeurs sur certaines lignes exploitées par l’entreprise pour le compte de De Lijn ne correspond pas à la définition du travail en équipe contenue dans l’article 275/5 du CIR 1992. Par ses arrêts du 15 octobre 2019 et du 19 janvier 2021, la Cour d’appel d’Anvers déclare partiellement fondé l’appel interjeté par la SA « Autobussen De Reys » contre le jugement du Tribunal de première instance. L’État belge introduit un pourvoi en cassation contre ces arrêts auprès de la Cour de cassation, qui estime qu’il s’indique de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. Le Conseil des ministres expose que la disposition en cause trouve sa source dans l’article 301 de la loi-programme du 22 décembre 2003 et que cette disposition a été transférée dans le CIR 1992 par la loi du 23 décembre 2005 « relative au pacte de solidarité entre les générations ». Il déduit des travaux préparatoires de la loi-programme du 22 décembre 2003 que la disposition concernée a été adoptée en réponse à la demande formulée par les partenaires sociaux dans le cadre de la conférence pour l’emploi de 2003 de prendre des mesures visant à compenser les frais supplémentaires liés au travail en équipe et que ces frais supplémentaires résultent de la disponibilité moindre - voire de l’inexistence - des transports en commun ou des garderies d’enfants à des heures atypiques. Le Conseil des ministres estime que la conférence pour l’emploi de 2003 a aussi fait le choix d’un traitement fiscal avantageux du travail en équipe, par crainte d’une délocalisation d’entreprises du secteur industriel, et ce, plus particulièrement à la suite des importantes restructurations opérées chez Ford Genk dans les années 2000. La véritable finalité historique de l’adoption de la disposition en cause était donc, selon lui, la compétitivité de l’industrie belge, notamment de son secteur automobile. Pour éviter que les instances compétentes de l’Union européenne qualifient la mesure d’« aide d’État », le législateur a, selon le Conseil des ministres, choisi de formuler le champ d’application de manière telle que la mesure puisse être appliquée à tous les secteurs économiques (la chimie, l’énergie, l’industrie alimentaire, etc.). Il souligne que la mesure a été notifiée à la Commission européenne et que cette dernière a considéré qu’elle ne constituait pas, en raison de son caractère général et non sectoriel, une aide d’État prohibée par l’article 107, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
A.1.2. Le Conseil des ministres fait valoir que le législateur a strictement délimité la notion de « travail en équipe » afin que l’incidence de la mesure sur les finances publiques reste calculable et gérable. Il souligne que cette mesure a un impact budgétaire important et que l’objectif du législateur n’était pas de faire relever du champ d’application de la disposition en cause toute forme de travail à des heures irrégulières et/ou en équipe. Pour interpréter correctement cette disposition, il faut selon lui prendre en compte le contexte visé par le législateur, à savoir le travail à la chaîne effectué par des équipes successives, sachant que, puisque la production ne peut s’arrêter, les équipes successives ont une même ampleur, font le même travail en ce qui concerne son objet et son ampleur, et se succèdent sur un lieu de travail déterminé. Le travail selon un horaire de travail irrégulier ne répond pas, selon lui, à la définition de travail en équipe et n’était pas visé par le législateur. Le fait que ce sont les équipes qui doivent faire le même travail en ce qui concerne son objet et son ampleur découle, selon lui, de la version française de la disposition en cause, dans laquelle le mot « lesquelles » porte clairement sur le mot « équipes ».
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Selon lui, le fait que le changement d’équipe doit s’effectuer sur le même site ressort également du texte de la loi, puisque les équipes doivent se succéder sans interruption, et donc sur le même lieu de travail. Dans ce cadre, il souligne que l’arrêté royal du 16 juillet 2004 « relatif à certains aspects du travail de nuit et du travail posté liés au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail » définit également le travail posté sur la base du critère de la fourniture d’un travail « sur les mêmes postes de travail ».
A.2. Le Conseil des ministres estime tout d’abord que les questions préjudicielles n’appellent pas de réponse, dès lors qu’en ce qui concerne le champ d’application de la disposition en cause, il est essentiel qu’il s’agisse d’un travail qu’effectuent conjointement les travailleurs qui constituent l’équipe. Il considère que les patrouilleurs de la SA « VAB » (affaire n° 7973) et les chauffeurs de la SA « Autobussen De Reys » (affaire n° 7980) n’effectuent pas un travail conjointement, mais chacun individuellement, de sorte que, selon lui, la réponse aux questions préjudicielles posées n’est pas utile à la solution des litiges pendants devant la juridiction a quo.
A.3. À supposer que la Cour considère que les questions préjudicielles appellent effectivement une réponse, le Conseil des ministres estime que les catégories de personnes mentionnées dans les questions préjudicielles ne sont pas comparables, pour plusieurs raisons. Premièrement, il est d’avis que les travailleurs qui travaillent en équipe ne peuvent être comparés à des travailleurs qui fournissent des services d’assistance routière ou qui assurent des trajets en bus, puisque les travailleurs relevant de ces dernières catégories effectuent un travail individuel.
Selon lui, la variation de l’ampleur du travail entre les heures de pointe et les heures creuses et l’accomplissement d’un travail comparable ne permettent nullement de supposer que le travail est effectué par les membres de l’équipe conjointement. Deuxièmement, il considère que les catégories mentionnées dans les questions préjudicielles ne sont pas comparables parce que, lorsqu’une équipe travaillant à la chaîne effectue toujours un travail d’une même ampleur, il va de soi que la continuité du travail est assurée, alors que, lorsqu’une équipe effectue un travail qui varie en fonction des heures de pointe et des heures creuses, ou effectue un travail comparable en ce qui concerne son ampleur, la continuité du travail n’a en soi aucune importance. Enfin, il estime que les catégories de personnes concernées ne sont pas comparables, dès lors que la première catégorie de personnes est composée de travailleurs d’entreprises qui doivent garantir la continuité du travail par nécessité technique, alors que ce n’est pas le cas de la seconde catégorie de personnes. Il considère que le travail en équipe organisé par la SA « VAB » et par la SA « Autobussen De Reys » n’est pas dicté par une quelconque nécessité technique.
A.4.1. À supposer que la Cour considère que les catégories de personnes mentionnées dans les questions préjudicielles sont suffisamment comparables, le Conseil des ministres estime que les différences de traitement invoquées reposent sur un critère objectif et sont raisonnablement justifiées compte tenu de l’objectif et des effets de la mesure.
A.4.2. Selon le Conseil des ministres, le critère objectif sur lequel reposent les différences de traitement concernées est le travail effectué en au moins deux équipes comprenant deux travailleurs au moins, lesquelles font le même travail tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur et se succèdent dans le courant de la journée sans qu’il y ait une interruption entre les équipes successives et sans que le chevauchement excède un quart de leur tâche journalière. Ce qui est selon lui inhérent à ce critère, c’est le fait de travailler en équipe, ainsi que le travail des équipes successives sur un même lieu de travail et avec le même matériel de travail.
A.4.3. Selon le Conseil des ministres, l’objectif de la disposition en cause est de compenser les coûts salariaux supérieurs auxquels sont confrontés les employeurs qui recourent à du personnel travaillant en équipe et qui suscitent une réelle crainte de délocalisation des entreprises concernées vers l’étranger, et de préserver ainsi la position concurrentielle de ces emplois spécifiques. Il estime que, dans le cas du travail en équipe tel qu’il est visé par le législateur, les employeurs n’ont pas d’autre choix que de supporter les surcoûts liés au travail en équipe, puisque la garantie de la continuité du travail constitue pour ces employeurs une nécessité technique. Lorsque le travail est effectué en équipe non par nécessité technique mais pour des motifs purement économiques, le travail en équipe est selon lui un choix de l’employeur et les coûts salariaux qui en découlent sont évitables. Il considère que le choix du législateur de ne prévoir une mesure de faveur fiscale qu’à l’égard des entreprises où du travail en équipe est effectué au sens de la définition contenue dans la disposition en cause est une mesure pertinente qui est proportionnée à l’objectif poursuivi. Il estime à cet égard que la mesure relève du pouvoir d’appréciation du législateur, et qu’elle ne produit pas des effets disproportionnés pour les entreprises qui recourent à d’autres formes de travail en équipe.
A.5. Dans l’hypothèse où la Cour considérerait néanmoins que la disposition en cause n’est pas compatible avec les normes de référence mentionnées dans les questions préjudicielles, le Conseil des ministres demande à la Cour de maintenir les effets de cette disposition jusqu’à la fin de l’exercice d’imposition en cours et d’accorder au législateur un délai raisonnable pour remédier à l’inconstitutionnalité constatée. Il estime qu’il n’est pas possible
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de mettre fin à une éventuelle différence de traitement injustifiée simplement en faisant également bénéficier de la mesure de faveur fiscale les employeurs qui recourent à d’autres formes de travail en équipe, dès lors que les conséquences d’une telle opération seraient néfastes pour le budget. Il considère qu’en l’espèce, un éventuel constat d’inconstitutionnalité requiert une réévaluation des intérêts sociaux par le législateur. Il souligne que l’article 172 de la Constitution exige que ce soit le législateur qui instaure une mesure de faveur fiscale.
A.6.1. La SA « VAB » et la SA « Autobussen De Reys » estiment que le législateur a instauré la dispense de l’obligation de versement du précompte professionnel comme mesure pour compenser les surcoûts liés au travail en équipe, et qu’il faut tenir compte du fait qu’en instaurant cette mesure, le législateur a dû définir le travail en équipe de manière très large, afin d’éviter que la mesure soit qualifiée d’aide d’État prohibée au sens du droit de l’Union européenne. Elles se réfèrent à la réponse donnée par la Commission européenne à la notification de la mesure par l’État belge et elles estiment qu’il en ressort que la notion de « travail en équipe » doit être interprétée de manière suffisamment large pour éviter que la mesure soit qualifiée d’aide d’État prohibée.
A.6.2. La SA « VAB » et la SA « Autobussen De Reys » estiment que, pour atteindre l’objectif du législateur d’intervenir dans les surcoûts auxquels l’employeur est confronté, l’exigence selon laquelle les équipes doivent faire le même travail en ce qui concerne son ampleur, interprétée en ce sens que l’ampleur du travail doit être appréciée du point de vue de l’équipe, constitue un critère déraisonnable et non pertinent. Dans l’interprétation précitée, le critère a selon elles pour conséquence que la dispense ne s’applique en réalité qu’aux secteurs industriels où le travail s’effectue en continu par des équipes comptant le même nombre de travailleurs et fournissant le même volume de travail, alors que l’objectif était que la dispense bénéficie à tous les secteurs recourant à des systèmes de travail en équipe, et ce, pour éviter que la mesure soit contraire aux règles européennes de la concurrence. Selon elles, l’interprétation précitée a pour effet que les employeurs qui, par la nature de leur activité, sont confrontés à des heures de pointe et à des heures creuses et doivent adapter en conséquence la taille de leurs équipes sont systématiquement exclus de la dispense. Elles estiment que la question préjudicielle posée dans l’affaire n° 7973 appelle une réponse affirmative.
A.6.3. La SA « VAB » et la SA « Autobussen De Reys » estiment toutefois que la disposition en cause peut aussi recevoir une autre interprétation, conforme à la Constitution. Si le critère « font le même travail [...] en ce qui concerne son ampleur » est interprété en ce sens qu’il faut l’apprécier du point de vue des travailleurs et non du point de vue des équipes, la disposition en cause ne viole pas, selon elles, les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
A.7.1. En ce qui concerne la question préjudicielle posée dans l’affaire n° 7980, la SA « VAB » et la SA « Autobussen De Reys » estiment que cette question appelle également une réponse affirmative. Selon elles, si la disposition en cause est interprétée en ce sens qu’elle exige que l’ampleur du travail soit identique, la différence de traitement entre les catégories de personnes visées dans cette question préjudicielle n’est pas objectivement et raisonnablement justifiée. Selon elles, une interprétation aussi stricte du critère « font le même travail [...] en ce qui concerne son ampleur » ne tient pas suffisamment compte de la réalité économique et limite la mesure à des processus de travail spécifiques, rigides et routiniers, comme dans le secteur de l’assemblage automobile, ce qui, selon elles, ne saurait être justifié à la lumière de l’objectif poursuivi par le législateur.
A.7.2. La SA « VAB » et la SA « Autobussen De Reys » estiment toutefois que la disposition en cause peut aussi recevoir une autre interprétation tout aussi conforme à la Constitution. Si le critère « font le même travail [...] en ce qui concerne son ampleur » est interprété en ce sens que les équipes font un travail comparable en ce qui concerne son ampleur, la disposition en cause ne viole pas, selon elles, les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
-B-
B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur l’article 275/5 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992).
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Cette disposition prévoit pour les entreprises qui recourent au travail en équipe ou de nuit une dispense partielle du versement du précompte professionnel, c’est-à-dire de l’acompte que les employeurs retiennent sur l’impôt afférent aux revenus professionnels des travailleurs.
B.1.2. L’article 275/5 du CIR 1992, dans sa version applicable aux affaires pendantes devant la juridiction a quo, c’est-à-dire dans la version qui était en vigueur pour l’exercice d’imposition 2012, dispose :
« § 1er. Les entreprises où s’effectue un travail en équipe ou un travail de nuit, qui paient ou attribuent une prime d’équipe et qui sont redevables du précompte professionnel sur cette prime en vertu de l’article 270, 1°, sont dispensées de verser au Trésor un montant de précompte professionnel égal à 15,6 p.c. des rémunérations imposables, primes d’équipe comprises, à condition de retenir sur ces rémunérations et primes la totalité dudit précompte.
Les rémunérations imposables, primes d’équipe comprises, visées à l’alinéa précédent sont les rémunérations imposables des travailleurs déterminées conformément à l’article 31, alinéa 2, 1° et 2°, à l’exclusion du pécule de vacances, de la prime de fin d’année et des arriérés de rémunérations.
Pour bénéficier de la dispense de versement du précompte professionnel visée à l’alinéa 1er, l’employeur doit fournir, à l’occasion de sa déclaration au précompte professionnel, la preuve que les travailleurs pour lesquels la dispense est invoquée ont effectué un travail en équipe pendant la période à laquelle se rapporte la déclaration au précompte professionnel. Le Roi fixe les modalités d’administration de cette preuve.
Cette dispense de versement de précompte professionnel n’est accordée que pour les travailleurs qui, conformément au régime de travail auquel ils sont soumis, travaillent au minimum un tiers de leur temps en équipes ou de nuit durant le mois pour lequel l’avantage est demandé. Pour l’application de cette norme sont prises en considération au numérateur non seulement les prestations de travail effectives, mais également les suspensions dans l’exécution du contrat de travail avec maintien de salaire. Les périodes de suspension dans l’exécution du contrat de travail sans maintien de salaire ne sont pas prises en compte au dénominateur.
§ 2. Pour l’application du § 1er, on entend :
1° par entreprises où s’effectue un travail en équipe : les entreprises où le travail est effectué en au moins deux équipes comprenant deux travailleurs au moins, lesquelles font le même travail tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur et qui se succèdent dans le courant de la journée sans qu’il n’y ait d’interruption entre les équipes successives et sans que le chevauchement excède un quart de leurs tâches journalières :
a) soit par des travailleurs de catégorie 1 visés à l’article 330 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002;
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b) soit par des travailleurs sous statut auprès d’une des entreprises publiques autonomes suivantes : la société anonyme de droit public Belgacom, la société anonyme de droit public bpost, la société anonyme de droit public SNCB Holding, la société anonyme de droit public SNCB et la société anonyme de droit public Infrabel;
2° par entreprises où s’exerce un travail de nuit : les entreprises où des travailleurs effectuent, conformément au règlement de travail applicable dans l’entreprise, des prestations entre 20 heures et 6 heures, à l’exclusion des travailleurs qui exercent des prestations uniquement entre 6 heures et 24 heures et des travailleurs qui commencent habituellement à travailler à partir de 5 heures. Les travailleurs ci-visés sont :
a) soit les travailleurs de catégorie 1 visés à l’article 330 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002;
b) soit les travailleurs sous statut auprès d’une des entreprises publiques autonomes suivantes : la société anonyme de droit public Belgacom, la société anonyme de droit public bpost, la société anonyme de droit public SNCB Holding, la société anonyme de droit public SNCB et la société anonyme de droit public Infrabel;
3° par prime d’équipe, la prime qui est attribuée à l’occasion du travail en équipe visé au 1°, ou du travail de nuit visé au 2°;
4° les entreprises agréées pour le travail intérimaire qui mettent des intérimaires à disposition d’entreprises visées au 1° et 2° et qui emploient ces intérimaires dans un système de travail en équipe ou travail de nuit dans la fonction d’un travailleur de catégorie 1, sont, en ce qui concerne la dispense de versement du précompte professionnel sur les rémunérations imposables de ces intérimaires dans lesquelles sont incluses des primes d’équipe, assimilées à ces entreprises ».
B.2. La Cour est saisie de deux questions préjudicielles qui l’interrogent sur la définition, contenue dans la disposition en cause, de la notion d’« entreprises où s’effectue un travail en équipe » (article 275/5, § 2, 1°, du CIR 1992).
Par la première question préjudicielle (affaire n° 7973), il est demandé à la Cour si la disposition en cause, dans l’interprétation selon laquelle, pour que la dispense de versement du précompte professionnel pour travail en équipe soit appliquée, il faut que l’ampleur du travail soit la même au niveau des équipes successives, et non au niveau des travailleurs individuels, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que naît « une différence de traitement [...] entre les entreprises dans lesquelles les différentes équipes effectuent, selon le principe du travail à la chaîne, un travail qui est toujours de la même ampleur, qui bénéficient
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de la dispense, et les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail des équipes varie en fonction des heures de pointe et des heures creuses, qui sont exclues de la dispense ».
Par la seconde question préjudicielle (affaire n° 7980), il est demandé à la Cour si la disposition en cause est compatible avec les articles 10, 11 et 172, alinéa 1er, de la Constitution, « en ce que les entreprises où le travail est effectué en au moins deux équipes comprenant deux travailleurs au moins, lesquelles font le même travail tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur et qui se succèdent dans le courant de la journée sans qu’il n’y ait d’interruption entre les équipes successives et sans que le chevauchement excède un quart de leurs tâches journalières, peuvent être considérées comme des ‘ entreprises où s’effectue un travail en équipe ’ au sens de l’article précité et peuvent donc bénéficier d’une dispense partielle de versement du précompte professionnel, alors que les entreprises dont les équipes effectuent un travail dont l’ampleur est comparable et répondent pour le reste aux mêmes conditions ne peuvent pas être considérées comme des ‘ entreprises où s’effectue un travail en équipe ’ au sens de cet article et ne peuvent donc pas bénéficier d’une dispense partielle de versement du précompte professionnel ».
B.3.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.3.2. L’article 172, alinéa 1er, de la Constitution est une application particulière, en matière fiscale, du principe d’égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution.
B.4.1. En vertu de l’article 172, alinéa 2, de la Constitution, le législateur est autorisé à établir des exemptions ou modérations d’impôts.
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Il ne peut toutefois, en établissant une exemption fiscale au profit de certains redevables, méconnaître le principe d’égalité et de non-discrimination.
B.4.2. Il appartient au législateur d’établir l’exemption ou la modération de l’impôt. Il dispose en la matière d’une large marge d’appréciation. En effet, les mesures fiscales constituent un élément essentiel de la politique socio-économique. Elles assurent non seulement une part substantielle des recettes qui doivent permettre la réalisation de cette politique, mais elles permettent également au législateur d’orienter certains comportements et d’adopter des mesures correctrices afin de donner corps à la politique sociale et économique.
Les choix sociaux qui doivent être réalisés lors de la collecte et de l’affectation des ressources relèvent de la compétence du législateur. La Cour ne peut sanctionner de tels choix politiques ainsi que les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou s’ils sont déraisonnables.
B.5.1. Selon l’article 275/5, § 1er, du CIR 1992, en cause, les entreprises où s’effectue un travail en équipe, qui paient ou attribuent une prime d’équipe et qui sont redevables du précompte professionnel sur cette prime, sont dispensées de verser au Trésor un montant de précompte professionnel égal à 15,6 % des rémunérations imposables, primes d’équipe comprises, à condition de retenir sur ces rémunérations et primes la totalité dudit précompte.
Pour bénéficier de la dispense de versement du précompte professionnel, l’employeur doit fournir, à l’occasion de sa déclaration au précompte professionnel, la preuve que les travailleurs pour lesquels la dispense est invoquée ont effectué un travail en équipe pendant la période à laquelle se rapporte ladite déclaration. La dispense n’est accordée que pour les travailleurs qui, conformément au régime de travail auquel ils sont soumis, travaillent au minimum un tiers de leur temps en équipes durant le mois pour lequel l’avantage est demandé.
B.5.2. Par « entreprises où s’effectue un travail en équipe », il faut entendre, selon l’article 275/5, § 2, 1°, du CIR 1992, les entreprises où le travail est effectué en au moins deux équipes comprenant deux travailleurs au moins, lesquelles font le même travail tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur et se succèdent dans le courant de la
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journée sans qu’il y ait une interruption entre les équipes successives et sans que le chevauchement excède un quart de leur tâche journalière.
B.6. Les questions préjudicielles posées à la Cour portent sur les mots « lesquelles font le même travail [...] en ce qui concerne son ampleur » contenus dans la définition précitée de la notion d’« entreprises où s’effectue un travail en équipe ».
B.7.1. Dans la question préjudicielle posée dans l’affaire n° 7973, la disposition en cause est interprétée en ce sens que les mots « lesquelles font le même travail […] en ce qui concerne son ampleur » doivent être appréciés au niveau des équipes successives, et non au niveau des travailleurs individuels. Cette interprétation repose sur une lecture littérale de l’article 275/5, § 2, 1°, du CIR 1992 et résulte en particulier de la formulation de la version française de cette disposition, dans laquelle le mot « lesquelles » ne peut porter que sur le mot « équipes » et non sur le mot « travailleurs ».
Dans cette interprétation, il est ainsi exigé pour l’application de la dispense de versement du précompte professionnel que l’ampleur du travail effectué par les équipes successives soit la même. Lorsque l’ampleur du travail effectué par un travailleur individuel faisant partie d’une équipe est la même que l’ampleur du travail effectué par un travailleur individuel d’une autre équipe, mais que l’ampleur du travail effectué par les équipes successives n’est pas la même, l’entreprise concernée n’est pas éligible, dans l’interprétation précitée de la disposition en cause, à la dispense du versement du précompte professionnel.
B.7.2. Il résulte de la motivation de la décision de renvoi dans l’affaire n° 7980 que la disposition en cause est également interprétée par la juridiction a quo en ce sens que les mots « lesquelles font le même travail [...] en ce qui concerne son ampleur » doivent être appréciés du point de vue des équipes successives. Dans cette affaire, la disposition en cause est en outre interprétée en ce sens que l’application de la dispense exige que l’ampleur du travail des équipes soit la même, et qu’ainsi, une ampleur comparable du travail ne suffit pas.
B.7.3. Dans les interprétations précitées, la disposition en cause a pour conséquence, selon la juridiction a quo, que les entreprises où l’ampleur du travail effectué par les équipes est la
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même, comme dans le secteur industriel, bénéficient de la dispense, alors que les entreprises où
l’ampleur du travail des équipes varie en fonction des heures de pointe et des heures creuses, et les entreprises où l’ampleur du travail des équipes est comparable mais n’est pas la même, comme cela peut être le cas dans d’autres secteurs, sont exclues de la dispense.
B.8. Le Conseil des ministres fait valoir que les questions préjudicielles n’appellent pas de réponse parce qu’il serait essentiel, pour l’application de la disposition en cause, qu’il s’agisse d’un travail que les travailleurs qui composent l’équipe effectuent conjointement. Il considère que les patrouilleurs de la SA « VAB » (affaire n° 7973) et les chauffeurs de la SA « Autobussen De Reys » (affaire n° 7980) n’effectuent pas un travail conjointement, mais chacun individuellement, de sorte que la réponse aux questions préjudicielles posées n’est, selon lui, pas utile à la solution des litiges pendants devant la juridiction a quo.
B.9.1. C’est en règle à la juridiction a quo qu’il appartient d’apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige. Ce n’est que lorsque tel n’est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n’appelle pas de réponse.
Toutefois, il appartient en règle à la juridiction a quo d’interpréter les dispositions qu’elle applique, sous réserve d’une lecture manifestement erronée de la disposition en cause, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
B.9.2. Dans les décisions de renvoi, la juridiction a quo ne s’est pas prononcée sur la question de savoir s’il est requis, pour l’application de la disposition en cause, que le travail effectué par une équipe le soit par les travailleurs de l’équipe conjointement.
Dans l’hypothèse où la juridiction a quo considère qu’il ne faut pas, pour que la disposition en cause soit appliquée, que le travail effectué par une équipe le soit par les travailleurs de l’équipe conjointement, les questions préjudicielles posées ne sauraient être qualifiées de questions reposant sur une lecture manifestement erronée de la disposition en cause. Cette disposition ne contient en effet aucune prescription formelle et non sujette à interprétation par rapport au travail qu’effectuent les travailleurs de l’équipe conjointement ou non.
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Dans l’hypothèse où la juridiction a quo considère qu’il faut effectivement, pour que la disposition en cause soit appliquée, que le travail effectué par une équipe le soit par les travailleurs de l’équipe conjointement, c’est aux juridictions compétentes, et non à la Cour, qu’il appartient d’apprécier si, dans les affaires pendantes devant la juridiction a quo, il s’agit ou non d’un travail effectué par les travailleurs de l’équipe conjointement.
B.9.3. L’exception est rejetée.
B.10. Dans l’interprétation de la juridiction a quo, la disposition en cause fait naître une différence de traitement entre, d’une part, les entreprises où l’ampleur du travail des équipes est la même et, d’autre part, les entreprises où l’ampleur du travail des équipes varie en fonction des heures de pointe et des heures creuses et les entreprises où l’ampleur du travail des équipes n’est pas la même mais est comparable.
B.11.1. Le Conseil des ministres estime que les catégories d’entreprises précitées ne sont pas comparables, premièrement parce que, dans la première catégorie d’entreprises, les travailleurs d’une équipe travaillent conjointement au sein de cette équipe, alors que, dans la seconde catégorie d’entreprises, les travailleurs d’une équipe effectuent un travail individuel;
deuxièmement parce que, dans la première catégorie d’entreprises, la continuité du travail l’emporte sur l’organisation du travail en équipe, alors que tel n’est pas le cas dans la seconde catégorie d’entreprises; et troisièmement parce que, dans la première catégorie d’entreprises, la continuité du travail constitue une nécessité technique, alors que tel n’est pas le cas dans la seconde catégorie d’entreprises.
B.11.2. Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. S’il est vrai que les éléments de différence entre les deux catégories d’entreprises cités par le Conseil des ministres peuvent le cas échéant constituer des éléments pour l’appréciation du caractère raisonnable de la différence de traitement, ils ne sauraient suffire pour conclure à la non-comparabilité de ces entreprises, au risque de vider de sa substance le contrôle exercé au regard du principe d’égalité et de non-discrimination.
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B.12. La différence de traitement mentionnée en B.10 repose sur un critère objectif, à savoir le caractère identique ou non de l’ampleur du travail effectué par les équipes.
B.13.1. La disposition en cause remonte à l’article 301 de la loi-programme du 22 décembre 2003.
Les travaux préparatoires de cette loi mentionnent :
« Dans le cadre de la conférence pour l’emploi, tous les partenaires sociaux ont demandé au gouvernement de prévoir une mesure qui puisse compenser les frais supplémentaires liés au travail en équipe.
[...]
Le travail en équipe a lieu dans tous les secteurs et types d’entreprises. C’est en effet souvent la seule réponse qu’une entreprise puisse offrir à la globalisation toujours croissante de l’économie et à la flexibilité y liée.
Le travail en équipe confronte les employeurs à des frais supplémentaires à l’égard de ses travailleurs en comparaison avec d’autres travailleurs. Le fait de prévoir par exemple un transport public ou une garde d’enfant à des heures atypiques est beaucoup moins probable ou même inexistant. Cela implique pour l’employeur des frais supplémentaires.
Cette mesure essaie d’aller à l’encontre de cela. Les entreprises sont dispensées de verser au Trésor une partie évaluée à une base forfaitaire du précompte professionnel retenu sur les primes d’équipe » (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0473/001 et 51-0474/001, pp. 152-153).
B.13.2. Il en ressort que la disposition en cause a été adoptée à la suite d’une demande formulée par tous les partenaires sociaux dans le cadre d’une conférence pour l’emploi organisée en 2003 de prendre des mesures permettant de compenser les frais supplémentaires liés au travail en équipe. Ces frais prennent généralement la forme du paiement d’une prime d’équipe aux travailleurs concernés, prime qui vise à compenser les désagréments et les désavantages liés au travail en équipe, comme ceux qui découlent de la disponibilité moindre, à des heures atypiques, de transports en commun et de garderies d’enfants.
B.13.3. Il ressort toutefois des travaux préparatoires de la loi du 3 juillet 2005 « portant des dispositions diverses relatives à la concertation sociale » (ci-après : la loi du 3 juillet 2005)
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et de la loi du 23 décembre 2005 « relative au pacte de solidarité entre les générations » (ci-
après : la loi du 23 décembre 2005), qui ont modifié la version originale de la disposition en cause, notamment en augmentant le pourcentage que celle-ci fixe de la dispense du versement du précompte professionnel, que la mesure a en particulier été dictée par un objectif plus général que celui de compenser les frais supplémentaires liés au travail d’équipe.
Les travaux préparatoires de la loi du 3 juillet 2005 mentionnent :
« Le Gouvernement s’est engagé à concrétiser les accords entre les partenaires sociaux réalisés lors des discussions en matière d’accord interprofessionnel [2005-2006].
Le texte de l’accord interprofessionnel qui a obtenu l’approbation de la plupart des partenaires sociaux, contient entre autres deux volets avec des mesures fiscales spécifiques. Il s’agit en particulier de :
‘ […]
3) Travail en équipe
L’exonération du versement du précompte à concurrence de 1 % de la masse salariale passera à 2,5 %.
Eu égard à cette réduction des charges, les partenaires sociaux confirment l’engagement qu’ils ont pris lors de la conférence pour l’emploi d’octobre 2003 de consacrer les réductions des charges au renforcement durable de la compétitivité des entreprises vis-à-vis de nos partenaires commerciaux et à l’amélioration de la position de certains groupes cibles sur le marché du travail. ’.
Les textes soumis respectent cette demande » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1767/001, p. 17).
Les travaux préparatoires de la loi du 23 décembre 2005 mentionnent :
« À cause du handicap occasionné par les coûts salariaux si l’on compare la Belgique à d’autres pays, la dispense de versement du précompte professionnel sur les salaires des travailleurs en équipes sera, en même temps que son insertion dans le CIR 92, portée à 5,63 p.c.
du salaire de référence.
Dans la même philosophie, l’opportunité est créée pour que le Roi porte la dispense de versement à 10,7 p.c. maximum. Le gouvernement espère qu’un accord social sera conclu entre les partenaires sociaux et l’industrie avec un effet aussi important. Ceci est réglé par le nouvel
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alinéa dans l’article 2755, § 1er, CIR 92 » (Doc. parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2128/001, p. 60).
B.13.4. Il ressort de ce qui précède que le législateur, considérant le « handicap occasionné par les coûts salariaux si l’on compare la Belgique à d’autres pays », a voulu, en adoptant la disposition en cause, renforcer la compétitivité des entreprises qui recourent au travail en équipe et améliorer la position de certains groupes cibles sur le marché du travail en instaurant une compensation des frais supplémentaires liés au travail en équipe.
Comme le soutient le Conseil des ministres, la disposition en cause ne saurait être dissociée de son contexte, à savoir les restructurations opérées dans les années 2000 au sein de l’usine d’assemblage automobile Ford, à Genk, dont les activités ont ensuite été transférées vers des filiales non belges du fabricant automobile, et la conférence pour l’emploi de 2003, suivie ensuite par le législateur, a ainsi essentiellement plaidé pour un traitement fiscal plus favorable du travail en équipe en vue d’éviter la délocalisation d’entreprises du secteur industriel.
B.14.1. Bien qu’il s’avère que, lorsqu’il a adopté la disposition en cause, le législateur visait ainsi principalement le travail en équipe dans le secteur industriel, il a néanmoins explicitement choisi de ne pas limiter le champ d’application de la mesure à ce secteur. Ceci ressort non seulement de la nature générale des critères sur la base desquels le législateur a défini la notion « d’entreprises où s’effectue un travail en équipe », mais aussi des travaux préparatoires cités en B.13.1, qui soulignent que « le travail en équipe a lieu dans tous les secteurs et types d’entreprises ».
B.14.2. La volonté du législateur de ne pas limiter le champ d’application de la mesure au secteur industriel ressort également de la réponse de la Commission européenne du 20 avril 2004 à la notification faite par l’État belge à cette Commission sur la base des articles 87 et 88, alors en vigueur, du Traité instituant la Communauté européenne (devenus aujourd’hui les articles 107 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), de la mesure contenue dans la disposition en cause, réponse à laquelle il est aussi explicitement fait référence dans la question préjudicielle posée dans l’affaire n° 7973.
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Après avoir constaté, à propos de la dispense contenue dans la disposition en cause, qu’il s’agit « clairement d’un avantage », la Commission européenne a considéré :
« 15. Sur la question de savoir si cet avantage est sélectif, la Commission remarque un certain nombre d’éléments :
- Afin de définir les notions de ‘ travail en équipe ’ et de ‘ travail de nuit ’, les autorités belges ont eu recours à des définitions existant déjà dans le droit du travail belge. Il s’agit donc de définitions objectives, qui n’ont pas été spécialement élaborées pour que la mesure bénéficie à une entreprise ou un secteur économique particulier. Toutes les entreprises ayant recours à une forme d’organisation du travail correspondant à l’une de ces définitions objectives bénéficient de la mesure, sans qu’il y ait exercice d’un pouvoir discrétionnaire de la part des autorités belges.
[...]
- Il n’apparaît pas non plus que cette mesure a une sélectivité sectorielle. En droit, tous les secteurs peuvent en bénéficier, à l’exception du secteur non-marchand, essentiellement celui de la santé. Cette exception, justifiée par le fait que ce secteur bénéficie déjà du Maribel social, n’est toutefois pas suffisante pour conférer une sélectivité sectorielle à la mesure. De plus, les autorités belges ont démontré qu’une vaste palette de secteurs économiques a effectivement recours au travail en équipe. La Commission a déjà conclu dans le passé que le fait qu’une mesure bénéficie plus à certains secteurs économiques qu’à d’autres n’est pas nécessairement constitutif d’une sélectivité sectorielle de fait. Par exemple, dans la communication sur l’application des règles relatives aux aides d’Etat aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises, elle a déterminé que les mesures visant à alléger la fiscalité du travail avaient certes un effet plus important pour les industries à forte intensité de main d’oeuvre que pour les industries à forte intensité en capital, mais qu’elles ne constituaient nécessairement pas pour autant des aides d’Etat. Les mêmes conclusions s’appliquent au cas présent : le travail en équipe étant utilisé dans la quasi-totalité des secteurs économiques, la présente mesure n’a pas de sélectivité sectorielle de fait.
16. Pour l’ensemble de ces raisons, la Commission peut conclure que la présente mesure a le caractère d’une mesure générale et ne constitue donc pas une aide d’Etat au sens de l’article 87 (1) du traité CE » (Commission européenne, C(2004)1357fin).
B.15.1. Comme l’a observé la Commission européenne, le législateur a défini la notion d’« entreprises où s’effectue un travail en équipe » sur la base de critères objectifs qui permettent à toutes les entreprises ayant recours à une forme d’organisation du travail correspondant à ces critères de bénéficier de la mesure en cause.
Le fait que le législateur, en adoptant la disposition en cause, visait principalement le secteur industriel, ne signifie donc pas que des entreprises d’autres secteurs, qui satisfont aux critères contenus dans la définition de la notion d’« entreprises où s’effectue un travail en
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équipe », sont exclues de la dispense prévue par la disposition en cause. À cet égard, la Commission européenne a estimé que le simple fait qu’une mesure convient mieux à certains secteurs économiques qu’à d’autres n’est pas nécessairement constitutif d’une sélectivité sectorielle.
B.15.2. Puisque le champ d’application de la mesure en cause n’est pas limité aux entreprises du secteur industriel où s’effectue un travail en équipe, cette mesure ne s’applique pas exclusivement aux entreprises où les équipes successives effectuent « du travail à la chaîne », contrairement à ce que suggère la question préjudicielle dans l’affaire n° 7973.
B.15.3. Pour que la disposition en cause soit appliquée, il faut toutefois que les équipes « [fassent] le même travail [...] en ce qui concerne son ampleur », exigence qui a pour conséquence que toutes les formes d’organisation du travail en équipe ne bénéficient pas de l’application de cette disposition. Dès lors que le législateur n’a pas précisé sur la base de quels critères il convient d’évaluer « l’ampleur » du travail, il s’agit d’une question de fait que les juridictions compétentes doivent apprécier en tenant compte de la nature concrète du travail effectué par les équipes. Dès lors que le législateur avait expressément l’intention de ne pas limiter le champ d’application de la disposition en cause aux entreprises du secteur industriel où un travail à la chaîne est effectué en équipe, l’exigence selon laquelle les équipes doivent « [faire] le même travail [...] en ce qui concerne son ampleur » ne peut être réduite, dans le cadre d’une telle évaluation, à la fourniture du même travail par l’exécution de tâches rigides et routinières.
B.15.4. Il peut être admis que l’exigence selon laquelle les équipes doivent « [faire] le même travail [...] en ce qui concerne son ampleur » a notamment été dictée par la volonté d’éviter que des employeurs réorientent leur organisation du travail vers un travail en équipe dans le seul but de bénéficier de l’avantage fiscal lié à la disposition en cause.
L’on peut en outre admettre que le législateur a voulu, par cette exigence, contenir le coût lié à la mesure. Il ressort d’un rapport que la Cour des comptes a adressé le 27 mars 2019 au Parlement fédéral que la mesure de la dispense du versement du précompte professionnel pour travail en équipe et de nuit a un impact budgétaire significatif, et que cet impact a fortement
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augmenté au fil des ans. Alors que les coûts de la mesure s’élevaient à 101,15 millions d’euros en 2005, ils sont passés à 920,81 millions d’euros en 2010, à 1,0615 milliard d’euros en 2015
et à 1,4376 milliard d’euros en 2017 (Cour des comptes, « Dispenses de versement du précompte professionnel - un dispositif complexe d’aide aux employeurs », 27 mars 2019, www.ccrek.be, p. 13). En 2022, les coûts s’élevaient à 1,969 milliard d’euros pour un total de 19 278 entreprises ayant appliqué la disposition en cause (Q.R., Chambre, 2022-2023, 21 avril 2023, QRVA 55-109, pp. 176-177).
B.16. Pour apprécier si une mesure est raisonnablement justifiée, il y a lieu de tenir compte de ce que le législateur, ainsi qu’il est dit en B.4.2, dispose d’une large marge d’appréciation lorsqu’il établit des exonérations fiscales. Tel est d’autant plus le cas lorsque, comme en l’espèce, il souhaite, par ces dispenses, corriger et orienter l’évolution socio-économique et lorsque, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires cités en B.13.1, il entend répondre à une demande émanant de « tous les partenaires sociaux ».
B.17.1. Il ressort de ce qui est dit en B.13.1 à B.15.4 que le législateur a utilisé la définition d’« entreprises où s’effectue un travail en équipe » et le critère inhérent à cette définition d’équipes qui « font le même travail [...] en ce qui concerne son ampleur » pour, d’une part, décrire sans sélectivité sectorielle les entreprises qu’il visait et, d’autre part, contenir les coûts de la mesure et prévenir les recours abusifs à celle-ci. Il a également souhaité renforcer la compétitivité des entreprises qui recourent au travail en équipe et qui, en comparaison avec d’autres pays, souffrent surtout d’un handicap occasionné par les coûts salariaux. Les mesures en cause ont en outre pour objectif de renforcer la position de certains groupes cibles spécifiques sur le marché du travail.
B.17.2. Les objectifs précités sont légitimes.
Le législateur a raisonnablement pu estimer que les entreprises concernées subissent un handicap concurrentiel et que les groupes cibles subissent des difficultés particulières sur le marché de l’emploi. Il a également pu estimer que le critère de distinction choisi permet, d’une part, d’éviter de privilégier un secteur de l’économie par rapport à un autre et, d’autre part, de limiter les répercussions sur le budget. Il s’ensuit que le critère de distinction est pertinent.
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B.18. Compte tenu de la large marge d’appréciation dont dispose le législateur, des objectifs qu’il poursuit et du fait que la mesure en cause n’emporte pas une sélectivité sectorielle, le choix politique en cause en l’espèce et posé par le législateur ne repose pas sur une erreur manifeste, et il n’est pas déraisonnable que les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail des équipes est la même puissent bénéficier de la dispense prévue par la disposition en cause, alors que tel n’est pas le cas pour les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail des équipes varie en fonction des heures de pointe et des heures creuses, et pour les entreprises dans lesquelles l’ampleur du travail des équipes n’est pas la même mais est comparable. Les différences de traitement en cause ne sont pas dénuées de justification raisonnable.
B.19. L’article 275/5, § 2, 1°, du CIR 1992, en ce qu’il exige, pour l’application de la dispense partielle du versement du précompte professionnel pour travail en équipe, que les équipes fassent le même travail tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur, est compatible avec les articles 10, 11 et 172, alinéa 1er, de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 275/5, § 2, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, dans sa version applicable à l’exercice d’imposition 2012, ne viole pas les articles 10, 11 et 172, alinéa 1er, de la Constitution, en ce qu’il exige, pour l’application de la dispense partielle du versement du précompte professionnel pour travail en équipe, que les équipes fassent le même travail tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 8 février 2024.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 21/2024
Date de la décision : 08/02/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Non-violation (article 275/5, § 2, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, dans sa version applicable à l'exercice d'imposition 2012, en ce qu'il exige, pour l'application de la dispense partielle du versement du précompte professionnel pour travail en équipe, que les équipes fassent le même travail tant en ce qui concerne son objet qu'en ce qui concerne son ampleur)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles relative à l'article 275/5 du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par la Cour de cassation. Droit fiscal - Précompte professionnel - Dispense partielle du versement du précompte professionnel - Entreprises où s'effectue un travail en équipe - Définition


Origine de la décision
Date de l'import : 21/02/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-02-08;21.2024 ?

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