Cour constitutionnelle
Arrêt n° 26/2024
du 22 février 2024
Numéro du rôle : 7966
En cause : le recours en annulation partielle de l’article 103, 7°, du décret de la Région wallonne du 5 mai 2022 « modifiant diverses dispositions en matière d’énergie dans le cadre de la transposition partielle des directives 2019/944/UE du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et 2018/2001/UE du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et en vue d’adapter les principes relatifs à la méthodologie tarifaire », introduit par la Commission wallonne pour l’Énergie.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt, K. Jadin et M. Plovie, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 4 avril 2023 et parvenue au greffe le 5 avril 2023, la Commission wallonne pour l’Énergie, assistée et représentée par Me P. de Bandt, Me J. Dewispelaere et Me V. Heinen, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation partielle de l’article 103, 7°, du décret de la Région wallonne du 5 mai 2022 « modifiant diverses dispositions en matière d’énergie dans le cadre de la transposition partielle des directives 2019/944/UE du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et 2018/2001/UE du 11 décembre 2018
relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et en vue d’adapter les principes relatifs à la méthodologie tarifaire » (publié au Moniteur belge du 5 octobre 2022).
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Le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me I.-S. Brouhns et Me G. Possoz, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, la partie requérante a introduit un mémoire en réponse et le Gouvernement wallon a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 6 décembre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs K. Jadin et D. Pieters, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
À la suite de la demande de la partie requérante à être entendue, la Cour, par ordonnance du 20 décembre 2023, a fixé l’audience au 17 janvier 2024.
À l’audience publique du 17 janvier 2024 :
- ont comparu :
. Me P. de Bandt et Me T. Ghysels, avocate au barreau de Bruxelles, pour la partie requérante;
. Me I.-S. Brouhns, pour le Gouvernement wallon;
- les juges-rapporteurs K. Jadin et D. Pieters ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’intérêt à demander l’annulation de l’article 4, § 2, 26° et 27°, du décret du 19 janvier 2017 « relatif à la méthodologie tarifaire applicable aux gestionnaires de réseaux de distribution de gaz et d’électricité », tel qu’ajouté par l’article 103, 7°, du décret du 5 mai 2022
A.1. Pour démontrer son intérêt à demander l’annulation de l’article 4, § 2, 26° et 27°, du décret de la Région wallonne du 19 janvier 2017 « relatif à la méthodologie tarifaire applicable aux gestionnaires de réseaux de distribution de gaz et d’électricité » (ci-après : le décret du 19 janvier 2017), tel qu’il a été ajouté par l’article 103, 7°, du décret du 5 mai 2022 « modifiant diverses dispositions en matière d’énergie dans le cadre de la transposition partielle des directives 2019/944/UE du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et 2018/2001/UE du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et en vue d’adapter les principes relatifs à la méthodologie tarifaire » (ci-après : le
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décret du 5 mai 2022), la Commission wallonne de régulation pour l’énergie (CWaPE) se prévaut d’abord de sa qualité d’autorité wallonne de régulation des marchés de l’électricité et du gaz.
Elle ajoute que son recours en annulation tend à faire dire par la Cour que l’article 4, § 2, 26° et 27°, du décret du 19 janvier 2017, tel qu’ajouté par l’article 103, 7°, du décret du 5 mai 2022, ne transpose pas correctement la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 « concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (refonte) » (ci-après : la directive (UE) 2019/944). La CWaPE soutient aussi que son intérêt à demander l’annulation des 26° et 27° de l’article 4, § 2, du décret du 19 janvier 2017 découle du fait que, selon elle, ces dispositions législatives portent atteinte à ses pouvoirs et à ses missions, ainsi qu’à son indépendance, qui sont protégés par le droit européen. Elle déduit, enfin, de l’arrêt de la Cour n° 117/2013 du 7 août 2013 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.117) ainsi que de l’arrêt de la Cour n° 71/2016 du 25 mai 2016 (ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.071) que les régulateurs du marché de l’énergie justifient de l’intérêt requis pour demander l’annulation des lois qui ne transposent pas correctement le cadre réglementaire européen en la matière.
Quant aux moyens
A.2. La CWaPE expose que l’article 4, § 2, 26° et 27°, du décret du 19 janvier 2017, en ce qu’il la contraint à suivre de nouveaux « principes » lors de l’élaboration de sa « méthodologie tarifaire », viole les articles 10 et 11
de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 57, paragraphe 4, b), ii), et paragraphe 5, a), et 59, paragraphe 1, a), et paragraphe 7, a), de la directive 2019/944.
La partie requérante allègue qu’en tout état de cause, ces nouveaux « principes » ne peuvent être considérés comme des « orientations générales » admises par l’article 57, paragraphe 4, b), ii), de la directive (UE) 2019/944, parce qu’ils concernent la fixation de la méthode de calcul des tarifs de distribution d’électricité, c’est-à -dire une mission, qui, selon cette directive, est réservée à l’autorité de régulation et ne peut dès lors faire l’objet d’« orientations générales édictées par le gouvernement », au sens de la disposition européenne précitée. À titre subsidiaire, la CWaPE suggère à la Cour d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité de l’article 4, § 2, 26°, du décret du 19 janvier 2017 et de la dernière phrase de l’article 4, § 2, 27°, du même décret, avec les articles 57, paragraphe 4, b), ii), et paragraphe 5, a), et 59, paragraphe 1, a), et paragraphe 7, a), de la directive (UE) 2019/944, en ce que ces dispositions européennes attribuent une mission tarifaire exclusive à l’autorité de régulation et imposent la protection de l’indépendance de cette autorité.
A.3. Le Gouvernement wallon observe d’abord que l’article 33 de la Constitution commande que le pouvoir législatif définisse les objectifs et les principes de la politique de l’énergie, et interdit que cette définition soit abandonnée aux autorités administratives et aux acteurs du marché de l’énergie.
Il soutient que les dispositions législatives attaquées visent à atteindre non seulement les objectifs économiques et opérationnels de la politique de l’énergie adoptée par la Région wallonne, mais également les objectifs sociaux et environnementaux de cette politique, qui ne relèvent pas des missions de la CWaPE.
Le Gouvernement wallon allègue aussi que les 26° et 27° de l’article 4, § 2, du décret du 19 janvier 2017 ne peuvent être qualifiés d’« instruction directe » au sens de l’article 57, paragraphe 4, b), ii), de la directive (UE)
2019/944, puisqu’ils n’ont pas pour but d’aligner ou d’influencer les décisions de la CWaPE de manière inappropriée. Il considère que ces dispositions n’affectent pas l’indépendance de cette autorité de régulation et qu’elles n’ont pas pour effet de favoriser des intérêts économiques liés au Gouvernement.
En ce qui concerne l’article 4, § 2, 26°, du décret du 19 janvier 2017
A.4. La CWaPE observe que l’article 4, § 2, 26°, du décret du 19 janvier 2017 autorise le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité à tenir compte, dans son tarif de distribution, du coût d’une activité de comptage spécifique.
La partie requérante estime que cette question constitue pourtant un élément essentiel de la « méthodologie tarifaire », de sorte que, selon l’article 59 de la directive (UE) 2019/944, seule l’autorité de régulation du marché
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de l’électricité est compétente pour déterminer si la rémunération d’un gestionnaire de réseau peut tenir compte de certains coûts. La partie requérante considère aussi qu’en réduisant significativement la marge de manœuvre de cette autorité de régulation, l’article 4, § 2, 26°, du décret du 19 janvier 2017 porte atteinte à l’indépendance de celle-ci, au mépris de l’article 57 de la directive (UE) 2019/944. La CWaPE souligne que cette indépendance signifie qu’elle doit rester libre d’exclure la prise en compte, dans un tarif de distribution, du coût d’une activité de comptage spécifique.
La partie requérante remarque aussi que le principe énoncé à l’article 4, § 2, 26°, du décret du 19 janvier 2017 fait partie d’un ensemble de règles impératives.
A.5. Le Gouvernement wallon déduit des termes de l’article 4, § 2, 26°, du décret du 19 janvier 2017 que cette disposition énonce un droit pour la CWaPE, et non une obligation à charge de cette autorité de régulation, de sorte que cette disposition ne porte pas atteinte à l’indépendance ni à l’autonomie de la partie requérante. Il remarque que l’article 4, § 2, 26°, du décret du 19 janvier 2017 a pour seul but d’indiquer que la rémunération que la CWaPE autorise ne serait pas incompatible avec la politique de l’énergie de la Région wallonne, sans l’empêcher pour autant d’exclure de sa méthodologie tarifaire la rémunération visée par cette disposition. Le Gouvernement ajoute que les termes de la disposition attaquée l’apparentent plutôt à une orientation générale destinée à inciter l’autorité de régulation à tenir compte des objectifs et des intérêts énergétiques régionaux.
Le Gouvernement wallon note aussi que le coût des activités visées à l’article 4, § 2, 26°, du décret du 19 janvier 2017 ne constitue pas une part significative de l’ensemble des coûts supportés par un gestionnaire de réseau de distribution d’électricité, et que la disposition attaquée indique que l’activité de comptage qu’elle vise peut être considérée comme une obligation légale dont le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité peut financer l’exercice par une compensation, conformément au principe de la méthodologie tarifaire, énoncé à l’article 4, § 2, 2°, du décret du 19 janvier 2017.
En ce qui concerne l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017
A.6.1. La CWaPE soutient que la dernière phrase de l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017
empiète sur la compétence tarifaire exclusive de l’autorité de régulation et porte atteinte à l’indépendance de celle-
ci, en ce que cette phrase limite la marge de manœuvre dont cette autorité doit bénéficier lorsqu’elle adopte la méthodologie tarifaire.
La partie requérante observe que, selon la dernière phrase de l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017, chaque composante tarifaire doit inciter les utilisateurs du réseau qui le souhaitent à consommer de l’électricité au moment où celle-ci est abondante sur le réseau ou à utiliser une capacité individuelle d’accès au réseau compatible avec la capacité disponible sur le réseau au même moment. Elle répète, à ce sujet, ce qu’elle avait déjà dit dans son avis du 18 juin 2021 sur l’avant-projet de décret qui est à l’origine de la disposition attaquée, à savoir que la règle précitée semble obliger la CWaPE à supprimer tout tarif fixe et l’empêcher de tenir compte de composantes tarifaires en lien avec des éléments non mesurés chez l’utilisateur du réseau.
A.6.2. La partie requérante répète ensuite que, par l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017, le pouvoir législatif wallon empiète sur le domaine d’action exclusivement attribué à l’autorité de régulation nationale par l’article 59, paragraphe 1, a), de la directive (UE) 2019/944. Elle ajoute que, comme la Cour de justice de l’Union européenne l’a déjà observé (2 septembre 2021, C-718/18, Commission c. Allemagne, ECLI:EU:C:2021:662), l’article 57, paragraphe 4, b), ii), de la même directive n’autorise pas le pouvoir législatif à édicter des « orientations générales » à ce sujet. La partie requérante observe aussi que, selon l’article 58 de la même directive et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, c’est à l’autorité de régulation qu’il revient, en toute autonomie et dans l’intérêt public, de prendre des décisions dans le domaine d’action qui lui est réservé pour garantir le respect des objectifs poursuivis par la directive 2019/944, sans qu’elle soit soumise à des instructions externes provenant d’autres organes de l’État (3 décembre 2020, C-767/19, Commission c. Belgique, ECLI:EU:C:2020:984). La partie requérante estime qu’il n’y a dès lors pas lieu de vérifier si les objectifs poursuivis par l’article 4, § 2, 27°, sont en ligne avec une autre directive européenne.
A.6.3. À titre subsidiaire, la CWaPE soutient que l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017 ne peut être considéré comme une « orientation générale » répondant aux conditions énoncées dans l’arrêt de la Cour
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n° 105/2023 du 29 juin 2023 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.105) parce que le « principe » défini par la disposition législative précitée constitue non pas une simple incitation, mais une véritable instruction, à ce point précise qu’elle empiète sur la mission exclusive de la CWaPE et porte atteinte à son indépendance.
A.6.4. À titre encore plus subsidiaire, la CWaPE soutient que, à supposer que l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017 soit étranger à la mission tarifaire exclusivement réservée à l’autorité de régulation par l’article 59, paragraphes 1 et 7, de la directive (UE) 2019/944, la disposition législative précitée ne peut être qualifiée d’« orientation générale ». La partie requérante explique que la disposition attaquée ne trace pas une direction politique générale, mais constitue une instruction technique précise qui porte atteinte à l’indépendance de l’autorité de régulation dans l’exercice de ses compétences.
A.7.1. Le Gouvernement wallon soutient que les deux objectifs que définit l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017, à savoir, d’une part, l’accès de tous à l’énergie, et, d’autre part, la transition énergétique, donnent des indications relatives à la politique énergétique suivie par la Région wallonne et constituent des « orientations générales » au sens de l’article 57, paragraphe 4, b), ii), de la directive (UE) 2019/944 qui ne concernent pas les missions de régulation réservées à la CWaPE par l’article 59 de la même directive. Le Gouvernement précise qu’aucune de ces dernières missions ne concerne l’accès à l’énergie ou le financement de la transition énergétique.
Le Gouvernement ajoute que la poursuite des deux objectifs précités inspire d’autres dispositions décrétales et que ces objectifs sont conformes à ceux que poursuit la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 « relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (refonte) ».
En outre, selon le Gouvernement wallon, la directive (UE) 2019/944 ne prévoit aucune mesure relative à l’accès à l’énergie et à la transition énergétique, de sorte que les arrêts que la Cour de justice de l’Union européenne a rendus les 3 décembre 2020 et 2 septembre 2021 à propos de la transposition incorrecte, par la Belgique et par l’Allemagne, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 « concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE » ne sont pas pertinents en l’espèce.
Le Gouvernement wallon souligne aussi qu’il n’appartient pas à une autorité de régulation comme la CWaPE
de définir ce qui relève de l’intérêt général ou de l’intérêt public, et qu’il existe d’autres objectifs d’intérêt général que ceux qui inspirent l’article 59 de la directive (UE) 2019/944.
A.7.2. Le Gouvernement wallon expose aussi que l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017 ne porte pas plus atteinte à l’indépendance ou à la compétence exclusive d’une autorité de régulation que la « ligne directrice » de la Région de Bruxelles-Capitale qui s’impose à l’autorité de régulation du marché bruxellois de l’électricité, que la Cour a jugée conforme aux dispositions précitées de la directive (UE) 2019/944 par l’arrêt n° 105/2023 du 29 juin 2023, précité.
Le Gouvernement wallon considère que l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017 n’oblige nullement la CWaPE à supprimer tout tarif fixe et ne l’empêche pas non plus de tenir compte de composantes tarifaires en lien avec des éléments non mesurés chez l’utilisateur du réseau. Il ajoute que la CWaPE elle-même a indiqué, dans son avis du 18 juin 2021 sur l’avant-projet de décret, que cette disposition législative ainsi que la manière dont sont formulés les nombreux autres principes énoncés à l’article 4, § 2, de ce décret lui laissaient une importante marge d’interprétation et la forçaient à réaliser des arbitrages entre des principes parfois contradictoires. Le Gouvernement wallon en déduit que la dernière phrase de l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017 ne peut être regardée comme une instruction technique et précise.
A.7.3. À titre subsidiaire, le Gouvernement wallon observe que, si la Cour a un doute quant à la portée de l’autorisation pour un gouvernement d’édicter des orientations générales au sens de l’article 57, paragraphe 4, b), ii), de la directive (UE) 2019/944, elle doit interroger la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité de la dernière phrase de l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017 avec l’article 57, paragraphe 4 et paragraphe 5, a), de la directive (UE) 2019/944 et avec l’article 59, paragraphe 1, a), et paragraphe 7, a), de la même directive.
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-B-
Quant aux 26° et 27° de l’article 4, § 2, du décret du 19 janvier 2017 et à leur contexte
B.1. La Commission wallonne de régulation pour l’énergie (CWaPE), qui est un organisme autonome ayant la personnalité juridique, est chargée d’approuver les tarifs de distribution de l’électricité sur la base des budgets et des tarifs qui lui sont proposés par les gestionnaires de réseau de distribution de l’électricité. Ces propositions tarifaires sont établies « dans le respect d’une méthodologie tarifaire ». Celle-ci est adoptée par la CWaPE après concertation avec les gestionnaires précités (article 2, § 2, du décret de la Région wallonne du 19 janvier 2017 « relatif à la méthodologie tarifaire applicable aux gestionnaires de réseaux de distribution de gaz et d’électricité » (ci-après : le décret du 19 janvier 2017)).
La méthodologie tarifaire précise les « catégories de charges couvert[e]s par les tarifs et leur définition », les « règles d’évolution au cours du temps des volumes et des catégories de charges [...], y compris la méthode de détermination des variables et des paramètres figurant dans les formules d’évolution », les « règles d’allocation des coûts aux catégories d’utilisateurs du réseau dans le respect, le cas échéant, des principes précisés par le Gouvernement », la « structure tarifaire générale et les composantes tarifaires dans le respect, le cas échéant, des principes précisés par le Gouvernement » et les « paramètres utiles à la détermination des tarifs et leur définition » (article 3, § 1er, du décret du 19 janvier 2017).
B.2. La méthodologie tarifaire doit respecter une série de principes, lesquels sont listés à l’article 4, § 2, du décret du 19 janvier 2017.
L’article 103, 7°, du décret de la Région wallonne du 5 mai 2022 « modifiant diverses dispositions en matière d’énergie dans le cadre de la transposition partielle des directives 2019/944/UE du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et 2018/2001/UE du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et en vue d’adapter les
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principes relatifs à la méthodologie tarifaire » (ci-après : le décret du 5 mai 2022) ajoute trois principes à cette liste.
Le recours en annulation cible deux de ces trois nouveaux principes, à savoir ceux qui sont désormais énoncés à l’article 4, § 2, 26° et 27°, du décret du 19 janvier 2017 :
« 26° la méthodologie tarifaire peut prévoir une rémunération liée à l’activité de comptage spécifique dans le cadre d’une activité de partage d’énergie ou d’échange de pair-à -pair;
27° la méthodologie tarifaire a pour objectif prioritaire de favoriser, outre l’équité et le fonctionnement efficace des gestionnaires de réseau de distribution, l’accès de tous à l’énergie et la transition énergétique au meilleur coût pour les clients, tant au niveau des réseaux que du marché de l’électricité; dans ce cadre, la transition énergétique comprend l’utilisation rationnelle de l’énergie, l’intégration d’une part croissante d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelable, et de nouveaux usages électriques permettant une utilisation plus efficace de l’énergie, tout en favorisant une utilisation rationnelle des réseaux. Ces principes garantissent l’accès de tous à des services énergétiques dans des conditions fiables, durables et modernes, à un coût abordable. Ils impliquent, d’une part, que les consommateurs qui ne souhaitent pas apporter de la flexibilité au système énergétique ou qui ont une faible consommation ne soient pas pénalisés financièrement par la nouvelle structure tarifaire et, d’autre part, que chaque composante tarifaire incite les utilisateurs du réseau qui le souhaitent à consommer au moment où l’électricité est abondante sur le réseau ou à utiliser une capacité d’accès individuelle au réseau compatible avec la capacité disponible sur le réseau au même moment ».
Les principes énoncés à l’article 4, § 2, 26° et 27°, du décret du 19 janvier 2017
s’appliquent aux périodes tarifaires postérieures au 15 octobre 2022, date d’entrée en vigueur du décret du 5 mai 2022 (article 104 du décret du 5 mai 2022).
Quant au fond
B.3. Il ressort des développements des deux moyens que la Cour est invitée à examiner si l’article 4, § 2, 26° et 27°, du décret du 19 janvier 2017, ajouté par l’article 103, 7°, du décret du 5 mai 2022, est compatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination, tel qu’il est garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 57, paragraphe 4 et paragraphe 5, a), et 59, paragraphe 1, a), et paragraphe 7, a), de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 « concernant des
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règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE
(refonte) » (ci-après : la directive (UE) 2019/944).
B.4.1. L’article 57 de la directive (UE) 2019/944 dispose :
« [...]
4. Les États membres garantissent l’indépendance de l’autorité de régulation […]. À cet effet, les États membres veillent à ce que, dans l’exécution des tâches de régulation qui lui sont conférées par la présente directive et la législation connexe, l’autorité de régulation :
[...]
b) veille à ce que son personnel et les personnes chargées de sa gestion :
[...]
ii) ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions directes d’aucun gouvernement ou autre entité publique ou privée dans l’exécution des tâches de régulation. Cette exigence est sans préjudice d’une étroite concertation, le cas échéant, avec les autres autorités nationales concernées ou d’orientations générales édictées par le gouvernement qui ne concernent pas les missions et compétences de régulation prévues à l’article 59.
5. Afin de protéger l’indépendance de l’autorité de régulation, les États membres veillent notamment à ce que :
a) l’autorité de régulation puisse prendre des décisions de manière autonome, indépendamment de tout organe politique;
[...] ».
B.4.2. L’article 59 de la même directive dispose :
« 1. L’autorité de régulation est investie des missions suivantes :
a) fixer ou approuver, selon des critères transparents, les tarifs [...] de distribution ou leurs méthodes de calcul, ou les deux.
[...]
7. Sauf dans les cas où l’ACER est compétente pour définir et approuver les conditions ou méthodes pour la mise en œuvre des codes de réseaux et des lignes directrices adoptés au titre du chapitre VII du règlement (UE) 2019/943 en vertu de l’article 5, paragraphe 2, du règlement (UE) 2019/942 en raison de leur nature coordonnée, les autorités de régulation sont
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chargées de fixer ou d’approuver, suffisamment à l’avance avant leur entrée en vigueur, au moins les méthodes nationales utilisées pour calculer ou établir :
a) les conditions de raccordement et d’accès aux réseaux nationaux, y compris les tarifs [...] de distribution ou leurs méthodes de calcul, ces tarifs ou méthodes permettent de réaliser les investissements nécessaires à la viabilité des réseaux;
[...] ».
B.4.3. Il ressort de l’article 59, paragraphe 1, a), et paragraphe 7, a), de la directive (UE) 2019/944 que la détermination des méthodes pour calculer ou établir les tarifs de distribution est une compétence « réservée » à l’autorité de régulation (CJUE, 2 septembre 2021, C-718/18, Commission c. Allemagne, ECLI:EU:C:2021:662, points 103 à 106).
Pour être indépendante au sens de l’article 57 de la directive 2019/944 précité, l’autorité de régulation doit pouvoir accomplir sa tâche « en toute liberté », « à l’abri » de toute « instruction » et de « toute influence extérieure » (CJUE, 11 juin 2020, C-378/19, Prezident Slovenskej republiky, ECLI:EU:C:2020:462, points 32, 33 et 51; 2 septembre 2021, C-718/18, Commission c. Allemagne, précité, point 108). Cette « indépendance décisionnelle » implique que, dans le cadre des missions de régulation qui lui sont attribuées par l’article 59 de la directive (UE) 2019/944, l’autorité de régulation adopte ses décisions de manière autonome, « sur le seul fondement de l’intérêt public », pour assurer le respect des objectifs mentionnés à l’article 58 de cette directive, sans être soumise à des instructions externes provenant d’autres organes publics ou privés (CJUE, 11 juin 2020, C‑378/19, Prezident Slovenskej republiky, précité, points 53-54; C-767/19, 3 décembre 2020, Commission c. Belgique, ECLI:EU:C:2020:984, point 110; C-718/18, 2 septembre 2021, Commission c. Allemagne, précité, point 109). L’indépendance exigée par l’article 57 de la directive doit être garantie, entre autres, à l’égard des pouvoirs exécutif et législatif (CJUE, C-718/18, 2 septembre 2021, Commission c. Allemagne, précité, points 112 et 130).
Les « orientations générales » édictées par le gouvernement, qui sont permises en vertu de l’article 57, paragraphe 4, b), ii), de la directive (UE) 2019/944, ne concernent pas les missions de régulation visées à l’article 59, paragraphe 1, a), et paragraphe 7, a), de la directive (UE) 2019/944 (CJUE, C‑378/19, 11 juin 2020, Prezident Slovenskej republiky, précité, point 52; C-718/18, 2 septembre 2021, Commission c. Allemagne, précité, point 110).
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B.5. La CWaPE est une « autorité de régulation » au sens des dispositions européennes précitées.
En ce qui concerne le premier moyen, relatif à l’article 4, § 2, 26°, du décret du 19 janvier 2017
B.6. L’article 4, § 2, 26°, du décret du 19 janvier 2017, ajouté par l’article 103, 7°, du décret du 5 mai 2022, ne remet pas en cause les missions de la CWaPE, rappelées en B.1, que sont, d’une part, l’adoption de la « méthodologie tarifaire » dans le respect de laquelle le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité doit établir sa proposition de tarif de distribution et, d’autre part, l’approbation de ce type de tarif.
L’article 4, § 2, 26°, du décret du 19 janvier 2017 n’énonce aucune obligation à destination de la CWaPE. Il dispose seulement que la méthodologie tarifaire - qu’il revient à la seule CWaPE d’établir - « peut » prévoir une rémunération liée à un certain type d’activité exercée par le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité.
L’article 4, § 2, 26°, du décret du 19 janvier 2017 ne contient donc pas une « instruction directe » adressée au personnel ou aux personnes chargées de la gestion de la CWaPE, au sens de l’article 57, paragraphe 4, de la directive (UE) 2019/944.
Il n’empêche dès lors pas cette autorité de régulation d’accomplir les missions qui lui sont confiées par le décret du 19 janvier 2017, en application de l’article 59, paragraphe 1, a), et paragraphe 7, a), de la directive (UE) 2019/944, de manière indépendante et autonome, conformément à l’article 57, paragraphe 4 et paragraphe 5, a), de la même directive.
B.7. Le premier moyen n’est pas fondé.
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En ce qui concerne le deuxième moyen, relatif à l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017
B.8. Il ressort des développements du moyen que la Cour est invitée à examiner si la dernière phrase de l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017 ne constitue pas un empiètement du pouvoir législatif sur le domaine d’action que l’article 59, paragraphe 1, a), et paragraphe 7, a), de la directive (UE) 2019/944 réserve à l’autorité de régulation, ou à tout le moins une atteinte à l’indépendance ou à l’autonomie reconnues à cette autorité par l’article 57, paragraphe 4 et paragraphe 5, a), de la même directive.
B.9.1. Selon la dernière phrase de l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017, la méthodologie tarifaire qu’il revient à la CWaPE d’adopter doit veiller, d’une part, à ne pas « pénaliser » « financièrement » certains consommateurs et, d’autre part, à constituer un incitant pour certains utilisateurs du réseau.
B.9.2. Cette disposition décrétale concerne la fixation de la méthode de calcul des tarifs de distribution de l’électricité, c’est-à -dire la mission que l’article 59, paragraphe 1, a), et paragraphe 7, a), de la directive (UE) 2019/944 réserve à l’autorité de régulation.
B.10.1. L’article 57, paragraphe 4, b), ii), de la directive (UE) 2019/944 prévoit qu’en dépit de l’indépendance fonctionnelle de principe de l’autorité de régulation, les autorités nationales peuvent toujours fixer des « orientations générales » qui, de manière indirecte, leur permettent d’encadrer les décisions du régulateur quant à la politique à suivre.
B.10.2. Cependant, le fait de donner des « orientations générales » à l’autorité de régulation n’est compatible avec l’exigence d’une indépendance fonctionnelle totale d’un régulateur de l’énergie, énoncée dans la directive (UE) 2019/944, qu’à certaines conditions.
Ainsi, l’autorité nationale ne peut pas toucher à des décisions de régulation telles que celle qui consiste à « fixer ou approuver, selon des critères transparents, les tarifs de transport ou de distribution ou leurs méthodes de calcul ».
B.10.3. Il découle de ce qui précède que les « orientations générales » ne sont conformes à l’objectif de la directive que si elles incitent seulement l’autorité de régulation à tenir compte, dans l’exercice de ses compétences, des objectifs poursuivis par les autorités en matière de
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politique énergétique et de leurs intérêts, tels que la viabilité, la fiabilité et la durabilité du marché de l’énergie.
B.11.1. L’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017 définit deux « objectifs prioritaires » de la méthodologie tarifaire, à savoir « favoriser l’accès de tous à l’énergie » et « favoriser la transition énergétique au meilleur coût pour les clients, tant au niveau des réseaux que du marché de l’électricité » (Doc. parl., Parlement wallon, 2021-2022, n° 871/1, p. 44).
La poursuite du premier de ces deux objectifs passe non seulement par la « recherche du meilleur coût pour le client », mais aussi par un « principe tarifaire » visant à « garantir l’accès de tous à des services énergétiques dans des conditions fiables, durables et modernes, à un coût abordable » (ibid., pp. 7, 8 et 44).
En ce qui concerne l’électricité, la « transition énergétique » exige l’« utilisation rationnelle de l’énergie » (par la recherche de l’« efficacité énergétique » et d’« une bonne correspondance entre production et consommation »), l’« intégration d’une part croissante d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelable » (via des tarifs qui « incitent les clients à déplacer leurs charges électriques vers des moments où cette production est abondante ») et l’« intégration de nouveaux usages électriques permettant une utilisation plus efficace de l’énergie » (via des tarifs qui « ne peuvent pas pénaliser ces nouveaux usages »)
(ibid., pp. 44-45).
Les deux « objectifs prioritaires » précités « doivent être poursuivis simultanément ». Pour les atteindre, les « consommateurs » ne doivent pas être pénalisés, et chaque composante tarifaire doit « incite[r] les utilisateurs du réseau à consommer au moment où l’électricité est abondante sur le réseau ou à utiliser une capacité d’accès individuelle au réseau compatible avec la capacité disponible sur le réseau au même moment ». Cette incitation « est de nature à contenir les investissements tant dans les infrastructures de production que de réseau ». Dans cette perspective, les tarifs incitatifs doivent être appliqués à l’ensemble des utilisateurs de réseau d’un même niveau de tension, mais les consommateurs peuvent choisir une facturation basée sur un relevé annuel des consommations, auquel cas « il leur est appliqué un profil de consommation standard » (ibid., p. 45).
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B.11.2. La dernière phrase de l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017 a également été commentée comme suit, lors des travaux préparatoires de la disposition attaquée :
« Pour être socialement acceptable, la transition énergétique ne peut pas être ‘exclusive’ et doit être réalisée au meilleur coût pour tous les utilisateurs, sans pénaliser les consommateurs qui, par nécessité ou par choix, ont une faible consommation d’électricité. Les tarifs doivent avoir un effet incitatif pour les utilisateurs du réseau, qui ont la possibilité ou l’envie de le faire, à avoir des comportements adaptés, en s’assurant que les bénéfices de la flexibilité soient équitablement répartis entre tous les consommateurs de façon à ne produire aucun effet négatif sur l’accès à l’énergie pour tous, même pour ceux qui n’auraient pas la possibilité de contribuer à cette flexibilité :
- efficacité énergétique : les tarifs incitent à réduire les gaspillages et favoriser l’acquisition d’appareils plus efficaces, ce qui entraîne des économies d’énergie et une diminution de la pointe de consommation;
- électricité produite à partir de renouvelables (ESER) : les tarifs incitent à la consommation au moment où l’électricité est généralement abondante et bon marché;
- nouveaux usages : les tarifs incitent à intégrer de nouveaux usages sans nécessiter un renforcement immédiat du réseau ou en le limitant au besoin constaté objectivement.
Le principe sous-jacent est simple : l’intégration de nouveaux usages électriques performants sur le réseau permet de mieux utiliser les infrastructures réseau ainsi que les infrastructures de production. En orientant ces nouveaux usages pour qu’ils soient activés prioritairement durant les périodes où l’électricité est abondante et où les réseaux sont disponibles, la durée d’utilisation des infrastructures sera améliorée et le coût moyen (exprimé tant en énergie (kWh) qu’en capacité (KW)) diminuera, toutes choses étant égales par ailleurs.
Il est de la responsabilité des gestionnaires de réseau et du régulateur de proposer et d’approuver des tarifs qui répartissent équitablement ce bénéfice entre toutes les parties, en s’appuyant sur la décision du législateur de faciliter l’accès à l’énergie pour tous et de ne pas pénaliser les consommateurs qui consomment peu d’électricité ni ceux qui ne souhaitent pas apporter de la flexibilité au système énergétique. Il n’est donc pas nécessaire que tous les clients pratiquent la ‘ flexibilité ’ pour entraîner un bénéfice sociétal » (ibid., p. 8).
B.12.1. Aux termes de son article 1er, la directive (UE) 2019/944 contient, entre autres, « des dispositions relatives à la protection des consommateurs, en vue de la création de marchés de l’électricité dans l’Union véritablement intégrés, concurrentiels, axés sur les consommateurs et souples, équitables et transparents ».
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Cette directive vise à assurer, « en tirant parti des avantages d’un marché intégré, [...] des prix et des coûts énergétiques abordables et transparents aux consommateurs, un niveau élevé de sécurité d’approvisionnement et une transition sans heurts vers un système énergétique durable à faible intensité de carbone ». Elle « définit des règles essentielles relatives à l’organisation et au fonctionnement du secteur de l’électricité de l’Union, notamment des règles sur l’autonomisation et la protection des consommateurs, sur l’accès ouvert au marché intégré ».
B.12.2. Lorsqu’elle exerce les missions que lui attribue l’article 59 de la directive (UE) 2019/944, l’autorité de régulation doit prendre toutes les « mesures raisonnables pour atteindre les objectifs » énoncés à l’article 58 de cette directive.
Parmi ces objectifs, figurent :
- la promotion d’un « marché intérieur de l’électricité concurrentiel, flexible, sûr et durable pour l’environnement au sein de l’Union, et une ouverture effective du marché pour l’ensemble des clients et des fournisseurs de l’Union » (article 58, a));
- la contribution à la « mise en place de réseaux non discriminatoires [...] sûrs, fiables, performants et axés sur les consommateurs », la promotion « conformément aux objectifs généraux de politique énergétique [de] l’efficacité énergétique ainsi que [de] l’intégration de la production d’électricité, à grande ou à petite échelle, à partir de sources renouvelables »
(article 58, d));
- la facilitation de « l’accès au réseau des nouvelles capacités de production et installations de stockage d’énergie, notamment en supprimant les obstacles qui pourraient empêcher l’arrivée de nouveaux entrants sur le marché et l’intégration de la production d’électricité à partir de sources renouvelables » (article 58, e));
- la contribution à ce que « les gestionnaires de réseau et les utilisateurs du réseau reçoivent des incitations suffisantes, tant à court terme qu’à long terme, pour améliorer les performances des réseaux, en particulier sur le plan de l’efficacité énergétique » (article 58, f));
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- la contribution à la garantie d’un niveau élevé de protection des consommateurs (article 58, g));
- la contribution à la protection d’un « service universel de grande qualité dans le secteur de la fourniture d’électricité », ainsi qu’à la « protection des clients vulnérables »
(article 58, h)).
B.13. La dernière phrase de l’article 4, § 2, 27°, du décret du 19 janvier 2017, lue à la lumière des commentaires dont elle a fait l’objet lors des travaux préparatoires du décret du 5 mai 2022, cités en B.11, fait écho à nombre d’objectifs au service desquels l’autorité de régulation est tenue, en application de l’article 58 de la directive (UE) 2019/944, de prendre des « mesures raisonnables » lorsqu’elle exerce sa mission de fixation de la méthode de calcul des tarifs de distribution de l’électricité, dont il est question à l’article 59, paragraphe 1, a), et paragraphe 7, a), de la directive (UE) 2019/944.
En donnant à la CWaPE des orientations générales afin que celle-ci élabore la méthodologie tarifaire pour la distribution d’électricité en veillant, d’une part, à ce que les consommateurs qui ne souhaitent pas apporter de la flexibilité au système énergétique ou qui ont une faible consommation ne soient pas pénalisés financièrement par la structure tarifaire et, d’autre part, à ce que chaque composante tarifaire incite les utilisateurs du réseau qui le souhaitent à consommer de l’électricité au moment où celle-ci est abondante sur le réseau ou à utiliser une capacité individuelle d’accès au réseau compatible avec la capacité disponible sur le réseau au même moment, la disposition attaquée ne restreint donc pas la faculté de choix de cette autorité de régulation quant à la méthodologie tarifaire au point qu’elle porterait atteinte à l’indépendance et à la compétence exclusive de cette autorité en matière tarifaire.
B.14. Le deuxième moyen n’est pas fondé.
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Quant à la demande de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne
B.15.1. La CWaPE demande à la Cour de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation qu’il convient de donner aux articles 57, paragraphe 4 et paragraphe 5, a), et 59, paragraphe 1, a), et paragraphe 7, a), de la directive (UE) 2019/944. À titre subsidiaire, le Gouvernement wallon formule une question préjudicielle analogue.
B.15.2. Lorsqu’une question d’interprétation du droit de l’Union européenne est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours en vertu du droit national, cette juridiction est tenue de poser la question à la Cour de justice, conformément à l’article 267, troisième alinéa, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Ce renvoi n’est toutefois pas nécessaire lorsque cette juridiction a constaté que la question soulevée n’est pas pertinente, que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (CJCE, 6 octobre 1982, C-283/81, CILFIT, ECLI:EU:C:1982:335, point 21; CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi SpA, ECLI:EU:C:2021:799, point 33). À la lumière de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ces motifs doivent ressortir à suffisance de la motivation de l’arrêt par lequel la juridiction refuse de poser la question préjudicielle (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19 précité, point 51).
L’exception du défaut de pertinence a pour effet que la juridiction nationale n’est pas tenue de poser une question lorsque « la question n’est pas pertinente, c’est-à -dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige » (CJUE, 15 mars 2017, C-3/16, Aquino, ECLI:EU:C:2017:209, point 43; grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, point 34).
L’exception selon laquelle l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec évidence implique que la juridiction nationale doit être convaincue que la même évidence
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s’imposerait également aux autres juridictions de dernier ressort des autres États membres et à la Cour de justice. Elle doit à cet égard tenir compte des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente l’interprétation de ce dernier et du risque de divergences de jurisprudence au sein de l’Union. Elle doit également tenir compte des différences entre les versions linguistiques de la disposition concernée dont elle a connaissance, notamment lorsque ces divergences sont exposées par les parties et sont avérées. Enfin, elle doit également avoir égard à la terminologie propre à l’Union et aux notions autonomes dans le droit de l’Union, ainsi qu’au contexte de la disposition applicable à la lumière de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union, de ses finalités et de l’état de son évolution à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, points 40-46).
Pour le surplus, une juridiction nationale statuant en dernier ressort peut s’abstenir de soumettre une question préjudicielle à la Cour « pour des motifs d’irrecevabilité propres à la procédure devant cette juridiction, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité » (CJCE, 14 décembre 1995, C-430/93 et C-431/93, Van Schijndel et Van Veen, ECLI:EU:C:1995:441, point 17; CJUE, 15 mars 2017, C-3/16, précité, point 56; grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, précité, point 61).
B.15.3. Eu égard à ce qui est dit en B.6, B.11, B.12 et B.13, il n’est pas nécessaire de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suggérée par la CWaPE.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 février 2024.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul