Cour constitutionnelle
Arrêt n° 39/2024
du 27 mars 2024
Numéro du rôle : 8055
En cause : la question préjudicielle relative aux articles 76, § 2, alinéa 2, 78, alinéas 4 et 5, 101, § 1er, alinéa 2, 101, § 2, alinéa 3, et 109bis, §§ 1er et 3, du Code judiciaire, posée par la Cour d’appel d’Anvers.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Yasmine Kherbache, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 27 juin 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 5 juillet 2023, la Cour d’appel d’Anvers a posé la question préjudicielle suivante :
« Les articles 76, § 2, alinéa 2, 78, alinéas 4 et 5, 101, § 1er, alinéa 2, 101, § 2, alinéa 3, et 109bis, §§ 1er et 3, du Code judiciaire, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution s’ils sont interprétés en ce sens qu’un conseiller d’une chambre à conseiller unique de la cour d’appel qui, en appel d’un jugement rendu par le tribunal correctionnel, connaît d’une infraction aux lois et règlements relatifs à une des matières qui relèvent de la compétence des juridictions du travail et, en cas de concours ou de connexité, connaît des infractions précitées avec une ou plusieurs infractions qui ne sont pas de la compétence des juridictions du travail, ne doit pas recevoir la formation spécialisée visée à l’article 78, alinéa 4, du Code judiciaire, alors que la chambre correctionnelle à trois conseillers de la cour d’appel, qui connaît des mêmes matières, est composée notamment d’un conseiller à la cour du travail ? ».
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Jürgen Vanpraet, avocat au barreau de Flandre occidentale, a introduit un mémoire.
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Par ordonnance du 31 janvier 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Willem Verrijdt et Magali Plovie, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le litige devant la juridiction a quo porte sur l’effondrement d’un échafaudage sur un chantier de construction à Anvers, le 24 octobre 2018. Un ouvrier est décédé et un autre a été blessé, avec pour conséquence une incapacité temporaire de travail.
Par jugement du 1er décembre 2022, le Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers, a condamné au paiement d’une amende l’entreprise qui avait été chargée de l’installation de l’échafaudage ainsi que deux personnes qui travaillaient pour cette entreprise. Le Tribunal a jugé les prévenus coupables d’infractions à l’article IV.5-8, alinéas 3 et 4, du Code du bien-être au travail du 28 avril 2017 (ci-après : le Code du bien-être au travail), telles que punies par l’article 127 du Code pénal social. Il a conclu à l’acquittement pour les autres préventions, qui concernaient des infractions à l’article 50 et à l’annexe III de l’arrêté royal du 25 janvier 2001
« concernant les chantiers temporaires ou mobiles », à l’article IV.5-11, § 2, alinéa 2, du Code du bien-être au travail et aux articles 418 à 420 du Code pénal. Le Tribunal a en outre jugé que les actions des parties civiles étaient recevables, mais non fondées. Le jugement a été prononcé par une chambre composée de deux juges du tribunal de première instance et d’un juge du tribunal du travail, conformément aux articles 76, § 2, alinéa 2, et 78, alinéa 5, du Code judiciaire.
Plusieurs parties civiles ont interjeté appel du jugement du 1er décembre 2022 devant la Cour d’appel d’Anvers, qui est la juridiction a quo. Ni le ministère public ni les prévenus n’ont interjeté appel, de sorte que cet appel porte exclusivement sur les actions civiles. Selon la juridiction a quo, c’est pour ce motif que l’affaire a été attribuée à une chambre composée d’un conseiller à la cour d’appel, conformément à l’article 109bis, §§ 1er et 3, du Code judiciaire. Si le ministère public aussi avait interjeté appel, l’affaire aurait été attribuée à une chambre spécialisée composée de deux conseillers à la cour d’appel et d’un conseiller à la cour du travail, conformément à l’article 101, § 1er, alinéa 2, et § 2, alinéa 3, du Code judiciaire. Par ailleurs, le juge unique de la chambre correctionnelle du tribunal de première instance qui connaît des infractions aux lois et règlements relatifs à l’une des matières relevant de la compétence des juridictions du travail reçoit une formation spécialisée, conformément à l’article 78, alinéa 4, du Code judiciaire, contrairement au conseiller unique à la cour d’appel. C’est pour ce motif que la juridiction a quo pose la question préjudicielle reproduite plus haut.
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III. En droit
-A-
A.1.1. À titre principal, le Conseil des ministres fait valoir que la question préjudicielle repose sur une lecture erronée des dispositions en cause. Ces dernières sont à tout le moins susceptibles d’une interprétation conforme à la Constitution.
A.1.2. En vertu de l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire, une chambre correctionnelle du tribunal de première instance au moins connaît des infractions aux lois et règlements relatifs à une des matières qui relèvent de la compétence des juridictions du travail. En vertu de l’article 101, § 1er, alinéa 2, et § 2, alinéa 3, du Code judiciaire, la chambre correctionnelle spécialisée de la cour d’appel qui connaît des appels formés contre les jugements rendus dans les matières visées à l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire est toujours composée de deux conseillers à la cour d’appel et d’un conseiller à la cour du travail. Il s’ensuit que, dès que le jugement en première instance est rendu par une chambre correctionnelle spécialisée, l’affaire doit, en degré d’appel également, être attribuée à une chambre correctionnelle spécialisée, que l’appel porte exclusivement ou non sur les actions civiles. Selon le Conseil de ministres, ce n’est pas la nature de l’action en degré d’appel qui est déterminante, mais la question de savoir si le jugement en première instance porte sur une matière visée à l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire.
Le Conseil des ministres souligne que l’objectif du législateur a toujours été que, tant en première instance qu’en degré d’appel, un magistrat spécialisé connaisse des affaires relatives aux matières relevant de la compétence des juridictions du travail. Cela ressort également des travaux préparatoires de la loi du 3 décembre 2006
« modifiant diverses dispositions légales en matière de droit pénal social », dans laquelle les articles 76, § 2, alinéa 2, et 101, § 1er, alinéa 2, et § 2, alinéa 3, du Code judiciaire trouvent leur origine. La loi du 5 mai 2019
« portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002
relative à l’euthanasie et le Code pénal social », adoptée à la suite de l’arrêt de la Cour n° 162/2018 du 22 novembre 2018 (ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.162), a confirmé ce point de vue pour ce qui concerne l’appel formé contre un jugement du tribunal de police.
A.1.3. Selon le Conseil des ministres, l’article 109bis, §§ 1er et 3, du Code judiciaire ne conduit pas à une autre conclusion. Cette disposition a été instaurée par la loi du 19 octobre 2015 « modifiant le droit de la procédure civile et portant des dispositions diverses en matière de justice » (ci-après : la loi du 19 octobre 2015). Elle ancre, en ce qui concerne les affaires civiles, le principe du conseiller unique à la cour d’appel. Cependant, la loi du 19 octobre 2015 n’a pas modifié l’article 101, § 1er, alinéa 2, et § 2, alinéa 3, du Code judiciaire. Cette disposition doit être considérée comme une lex specialis et constitue, par conséquent, une exception au principe du conseiller unique, ainsi qu’il ressort également de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 11 septembre 2018, P.17.1311.N, ECLI:BE:CASS:2018:ARR.20180911.2).
A.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres souligne que, contrairement à ce qui est le cas pour le juge unique de la chambre correctionnelle spécialisée du tribunal de première instance, l’intention du législateur n’était pas que le conseiller unique à la cour d’appel reçoive une formation spécialisée. Au niveau de la cour d’appel, le législateur n’a voulu garantir la spécialisation dans les matières relatives au droit du travail qu’en prévoyant une chambre correctionnelle spécialisée composée de deux conseillers à la cour d’appel et d’un conseiller à la cour du travail. À supposer que la Cour considère que la juridiction a quo interprète correctement les dispositions en cause, le Conseil des ministres demande, pour ce motif, de dire pour droit que le premier président de la cour d’appel doit attribuer les appels formés par les parties civiles contre les jugements rendus dans des matières visées à l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire à une chambre correctionnelle spécialisée composée de deux conseillers à la cour d’appel et d’un conseiller à la cour du travail. L’article 109bis, § 3, du Code judiciaire offre au premier président la possibilité d’attribuer d’autorité les affaires à une chambre à trois conseillers « lorsque la complexité ou l’intérêt de l’affaire ou des circonstances spécifiques et objectives le requièrent ».
A.3. Enfin, le Conseil des ministres demande que la Cour maintienne, conformément à l’article 28, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les effets des dispositions en cause pour tous les arrêts qui ont été rendus, avant la publication du présent arrêt au Moniteur belge, dans les mêmes circonstances
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que celles du litige devant la juridiction a quo. La demande de maintien des effets vaut également si la Cour suit les arguments soulevés à titre principal par le Conseil des ministres. Il n’est en effet pas exclu que, par le passé, d’autres conseillers uniques à la cour d’appel aient aussi statué à tort sur des appels formés contre des jugements rendus dans des matières visées à l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire. Un maintien des effets permet d’éviter toute insécurité juridique quant à de tels arrêts.
-B-
B.1. La question préjudicielle porte sur la composition de la cour d’appel, lorsque celle-ci connaît d’un appel formé contre un jugement portant sur une infraction aux lois et aux règlements relatifs à une matière qui relève de la compétence des juridictions du travail.
B.2.1. L’article 101, § 1er, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire dispose :
« Il y a à la cour d’appel des chambres civiles, des chambres correctionnelles, des chambres de la jeunesse et des chambres de la famille et parmi ces dernières des chambres de règlement à l’amiable.
Une chambre correctionnelle au moins connaît des appels formés contre les jugements rendus dans les matières visées à l’article 76, § 2, alinéa 2 ».
L’article 101, § 2, alinéas 2 et 3, du Code judiciaire dispose :
« Les chambres de la cour d’appel siègent soit au nombre de trois conseillers à la cour, y compris le président, soit au nombre d’un seul membre, président de chambre ou conseiller à la cour.
La chambre correctionnelle spécialisée, visée au § 1er, alinéa 2, est composée de deux conseillers à la cour d’appel, y compris le président, et d’un conseiller à la cour du travail ».
B.2.2. En vertu de l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire, une chambre correctionnelle du tribunal de première instance au moins connaît en particulier des infractions aux lois et règlements relatifs à une des matières qui relèvent de la compétence des juridictions du travail et, en cas de concours ou de connexité, des infractions citées avec une ou plusieurs infractions qui ne sont pas de la compétence des juridictions du travail.
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L’article 78, alinéas 4 et 5, du Code judiciaire dispose :
« Le juge unique de la chambre correctionnelle spécialisée visée à l’article 76, § 2, alinéa 2, reçoit une formation spécialisée organisée par l’Institut de formation judiciaire.
Lorsque la chambre correctionnelle spécialisée visée à l’article 76, § 2, alinéa 2, se compose de trois juges comme prévu à l’article 92, § 1er, alinéa 1er et § 1er/1, elle est composée de deux juges du tribunal de première instance et d’un juge du tribunal du travail ».
B.3. Le régime relatif aux chambres correctionnelles spécialisées pour les matières qui relèvent de la compétence des juridictions du travail trouve son origine dans la loi du 3 décembre 2006 « modifiant diverses dispositions légales en matière de droit pénal social »
(ci-après : la loi du 3 décembre 2006).
L’exposé des motifs de cette loi mentionne ce qui suit :
« La spécialisation des chambres correctionnelles s’opère aux deux degrés de juridiction.
Au niveau des chambres correctionnelles du tribunal de première instance, elle diffère selon qu’il s’agit d’une chambre à juge unique ou d’une chambre à trois juges.
[...]
Dans la chambre à trois juges, la spécialisation s’opère par la constitution particulière de celle-ci.
En effet, il est adjoint aux juges issus du tribunal correctionnel, un juge du tribunal du travail.
[...]
Au second degré de juridiction, cette composition tripartite est également respectée. La continuité de l’examen de l’affaire par des spécialistes est ainsi assurée. Vu que la composition ‘ ordinaire ’ des chambres correctionnelles de la cour d’appel est de trois conseillers, la spécialisation de la chambre est assurée par la présence d’un conseiller à la cour du travail »
(Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1610/001, pp. 5-6).
Et :
« En effet, la même spécialisation doit être instaurée aux deux degrés de la juridiction pour assurer une continuité et une égalité dans le traitement des dossiers. Il serait inimaginable
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qu’une chambre connaissant peu ou pas des matières de droit pénal social [ait] à se prononcer sur le bien-fondé d’une décision rendue par des spécialistes » (ibid., pp. 13-14).
B.4. La question préjudicielle porte également sur l’article 109bis, §§ 1er et 3, du Code judiciaire, qui dispose :
« § 1er. Sauf s’il porte exclusivement sur des actions civiles ou s’il ne porte plus que sur pareilles actions, l’appel des décisions en matière pénale est attribué à une chambre à trois conseillers, le cas échéant, à la chambre spécifique visée à l’article 101, § 1er, alinéa 3.
[...]
§ 3. Les autres causes sont attribuées à des chambres à un conseiller à la cour. Lorsque la complexité ou l’intérêt de l’affaire ou des circonstances spécifiques et objectives le requièrent, le premier président peut attribuer, d’autorité, au cas par cas, les affaires à une chambre à trois conseillers ».
Ces paragraphes ont été insérés par la loi du 19 octobre 2015 « modifiant le droit de la procédure civile et portant des dispositions diverses en matière de justice » (ci-après : la loi du 19 octobre 2015). Selon l’exposé de motifs de cette loi, « dorénavant, le principe selon lequel les affaires sont attribuées à des chambres comprenant un conseiller unique s’applique également aux cours d’appel, sauf disposition contraire dans la loi » (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1219/001, p. 46).
B.5.1. Le litige devant la juridiction a quo concerne un appel formé contre un jugement rendu dans des matières visées à l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire. Dès lors que seules les parties civiles ont interjeté appel, cet appel porte uniquement sur les actions civiles.
En vertu de l’article 202 du Code d’instruction criminelle, la faculté d’interjeter appel des jugements rendus par les tribunaux correctionnels appartient en effet, entre autres, à la partie civile, « quant à ses intérêts civils seulement ». Il s’ensuit que, « en l’absence d’appel du ministère public, l’appel de la partie civile, fût-elle partie citant directement, contre une décision d’acquittement du prévenu, ne saisit pas le juge d’appel de l’action publique » (Cass., 11 février 2009, Pas., 2009, n° 113, ECLI:BE:CASS:2009:ARR.20090211.6).
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B.5.2. La juridiction a quo estime que les articles 101, § 1er, alinéa 2, et § 2, alinéa 3, et 109bis, §§ 1er et 3, du Code judiciaire doivent être interprétés en ce sens que, dans une telle situation, l’affaire est attribuée à une chambre composée d’un conseiller à la cour d’appel. De ce fait, les parties à un appel qui porte uniquement sur les actions civiles ne bénéficieraient pas, contrairement aux parties à un appel qui porte également sur l’action publique, de la garantie que l’appel soit traité par une chambre correctionnelle spécialisée composée de deux conseillers à la cour d’appel et d’un conseiller à la cour du travail. Le conseiller unique n’a pas non plus, par analogie avec l’article 78, alinéa 4, du Code judiciaire, suivi une formation spécialisée dans les matières qui relèvent de la compétence des juridictions du travail.
B.6. Le Conseil des ministres fait valoir que la question préjudicielle repose sur une lecture erronée des dispositions en cause. Selon lui, même lorsque l’appel formé contre un jugement rendu dans les matières visées à l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire ne porte que sur les actions civiles, cet appel doit être attribué à une chambre correctionnelle spécialisée.
B.7. Il appartient en règle à la juridiction a quo d’interpréter les dispositions qu’elle estime applicables, sous réserve d’une lecture manifestement erronée des dispositions en cause.
B.8. En vertu de l’article 101, § 1er, alinéa 2, et § 2, alinéa 3, du Code judiciaire, une chambre correctionnelle spécialisée de la cour d’appel connaît des appels formés contre les jugements rendus dans des matières visées à l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire, et cette chambre est composée de deux conseillers à la cour d’appel et d’un conseiller à la cour du travail.
Ainsi que le souligne le Conseil des ministres, cette disposition n’opère pas une distinction selon que l’appel porte uniquement sur les actions civiles ou également sur l’action publique.
Le seul critère permettant de déterminer s’il y a lieu d’attribuer l’affaire à la chambre correctionnelle spécialisée tient dans la question de savoir si le jugement en première instance portait sur les matières visées à l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire, à savoir les infractions aux lois et règlements relatifs à l’une des matières relevant de la compétence des
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juridictions du travail. Du reste, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 3 décembre 2006 mentionnés en B.3 qu’en ce qui concerne la spécialisation des magistrats quant aux matières du droit du travail, l’intention du législateur était d’assurer une continuité entre la première instance et le degré d’appel.
B.9.1. Selon la juridiction a quo, il ressort toutefois de l’article 109bis, §§ 1er et 3, du Code judiciaire qu’un appel portant uniquement sur les actions civiles doit être attribué à une chambre composée d’un seul conseiller à la cour d’appel, même si cet appel a été introduit contre un jugement rendu dans des matières visées à l’article 76, § 2, alinéa 2, du Code judiciaire.
B.9.2. L’article 109bis, §§ 1er et 3, du Code judiciaire, tel qu’il est reproduit en B.4, a été inséré par la loi du 19 octobre 2015. Avant l’entrée en vigueur de cette loi, l’article 109bis, § 2, alinéa 1er, 3°, du Code judiciaire, tel qu’il a été inséré par la loi du 25 avril 2014 « portant des dispositions diverses en matière de Justice » (ci-après : la loi du 25 avril 2014), disposait déjà que « les appels des décisions concernant des actions civiles qui ont été poursuivies en même temps et devant les mêmes juges que l’action publique, pour autant que ces appels ne soient pas traités simultanément avec les appels au plan pénal », étaient attribués à une chambre composée d’un conseiller unique. En vertu de l’ancien article 109bis, § 2, alinéa 2, ces appels étaient toutefois attribués « à une chambre composée de trois conseillers à la cour lorsque la demande en [avait] été faite par le prévenu, la partie civilement responsable ou la partie civile ».
Ni la loi du 25 avril 2014 ni la loi du 19 octobre 2015 n’ont modifié l’article 101, § 1er, alinéa 2, et § 2, alinéa 3, du Code judiciaire. Par ailleurs, les travaux préparatoires de la loi du 19 octobre 2015 mentionnés en B.4 confirment que, dans les cours d’appel aussi, les affaires sont en principe attribuées à un conseiller unique, « sauf disposition contraire dans la loi ».
B.10. Il ressort de ce qui précède que l’article 101, § 1er, alinéa 2, et § 2, alinéa 3, du Code judiciaire doit être considéré comme une lex specialis par rapport à la règle, contenue dans l’article 109bis, §§ 1er et 3, du Code judiciaire selon laquelle l’appel qui porte uniquement sur les actions civiles est attribué en principe à une chambre composée d’un seul conseiller à la
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cour d’appel. Par conséquent, la chambre correctionnelle spécialisée visée à l’article 101, § 1er, alinéa 2, et § 2, alinéa 3, du Code judiciaire doit connaître de l’appel formé contre un jugement rendu dans des matières visées à l’article 76, § 2, alinéa 2, du même Code, même lorsque cet appel ne porte que sur les actions civiles.
B.11. Dès lors qu’elle repose sur une lecture manifestement erronée des dispositions en cause, la question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
B.12. Le Conseil des ministres demande le maintien des effets des dispositions en cause, même si la Cour devait juger que la question préjudicielle repose sur une lecture erronée de ces dispositions. Par ce maintien, le Conseil des ministres souhaite éviter toute insécurité juridique en ce qui concerne les éventuels arrêts qui auraient déjà été prononcés dans d’autres affaires par une chambre de la cour d’appel composée de manière irrégulière.
L’article 28, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle dispose :
« Si la Cour l’estime nécessaire, elle indique, par voie de disposition générale, ceux des effets des dispositions ayant fait l’objet d’un constat d’inconstitutionnalité qui doivent être considérés comme définitifs ou maintenus provisoirement pour le délai qu’elle détermine ».
Dès lors que la Cour n’a pas jugé que les dispositions en cause étaient inconstitutionnelles, il n’y a pas lieu d’accéder à la demande du Conseil des ministres. Contrairement à ce que le Conseil des ministres semble craindre, le présent arrêt n’ouvre du reste pas la possibilité de demander, conformément aux articles 10 et suivants de la loi spéciale du 6 janvier 1989
précitée, la rétractation de décisions judiciaires déjà passées en force de chose jugée. Une telle possibilité n’existe que dans le cas d’un arrêt en annulation.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
La question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 27 mars 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Luc Lavrysen