Cour constitutionnelle
Arrêt n° 41/2024
du 11 avril 2024
Numéro du rôle : 7958
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 2 de l’arrêté royal du 27 juin 1974
« fixant au 1er avril 1972 les échelles des fonctions des membres du personnel directeur et enseignant, du personnel auxiliaire d’éducation, du personnel paramédical des établissements d’enseignement de l’Etat, des membres du personnel du Service général de pilotage des Ecoles et Centres psycho-médico-sociaux, des membres du personnel du Service général de l’Inspection chargé de la surveillance de ces établissements, des membres du personnel du Service général de l’Inspection de l’enseignement par correspondance et de l’enseignement primaire subventionné et des échelles des grades du personnel des centres psycho-médico-sociaux de l’Etat », validé par l’article 3 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 « validant diverses dispositions applicables aux personnels de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française », posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée du juge Thierry Giet, faisant fonction de président, du président Luc Lavrysen, et des juges Joséphine Moerman, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le juge Thierry Giet,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 22 décembre 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 24 mars 2023, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 2 de l’arrêté royal du 27 juin 1974 fixant au 1er avril 1972 les échelles des fonctions des membres du personnel directeur et enseignant du personnel auxiliaire d’éducation, du personnel paramédical des établissements d’enseignement de l’État, des membres du personnel du Service général de Pilotage des Écoles et des Centres psychomédicosociaux, des membres du personnel du Service d’Inspection chargé de la surveillance de ces établissements, des membres du personnel du Service d’Inspection de
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l’Enseignement par correspondance et de l’Enseignement primaire subventionné et des échelles des grades du personnel des Centres psychomédicosociaux de l’État, validé par l’article 3 du décret du 13 décembre 2012 validant diverses dispositions applicables aux personnels de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française, viole-t-il les articles 10
et 11 de la Constitution en ce qu’il prévoit une échelle barémique plus élevée pour les inspecteurs nommés/désignés à des fonctions d’inspecteurs des cours généraux dans l’enseignement secondaire du degré supérieur et dans l’enseignement supérieur non universitaire porteurs d’un diplôme universitaire, par rapport aux autres catégories d’inspecteurs désignés à titre temporaire/nommés à titre définitif dans des fonctions d’inspecteur dans l’enseignement fondamental ordinaire et/ou spécialisé, titulaires d’un ‘ master en sciences de l’éducation ou d’un master en psychopédagogie ou de la licence en sciences de l’éducation ou de la licence en sciences et techniques de la formation continue ou de la licence en sciences psychopédagogiques ou de la licence en psychopédagogie ou de la licence en politiques de formation en psychopédagogie ou de la licence en politiques et pratiques de formation ’ ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- Sophie Gracz, Isabelle Procureur et Mercedes Vercouter, assistées et représentées par Me Nathalie Fortemps, avocate au barreau de Bruxelles;
- la Communauté française, représentée par son Gouvernement, assistée et représentée par Me Marc Nihoul, avocat au barreau du Brabant wallon.
Par ordonnance du 14 février 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Emmanuelle Bribosia et Joséphine Moerman, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
L’affaire soumise à la juridiction a quo concerne les barèmes de rémunération qui s’appliquent aux inspecteurs désignés par la Communauté française à titre temporaire ou nommés à titre définitif dans des fonctions d’inspecteur dans l’enseignement fondamental ordinaire et/ou spécialisé, titulaires d’un « master en sciences de l’éducation », d’un « master en psychopédagogie », d’une licence en sciences de l’éducation, d’une « licence en sciences et techniques de la formation continue », d’une « licence en sciences psychopédagogiques », d’une
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« licence en psychopédagogie », d’une « licence en politiques de formation en psychopédagogie » ou d’une « licence en politiques et pratiques de formation » (ci-après : le master en sciences de l’éducation ou équivalent).
Dix-neuf inspecteurs contestent ces barèmes devant le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles et demandent que la Communauté française soit condamnée à leur verser la différence entre la rémunération qu’ils ont perçue sur cette base et la rémunération qu’ils auraient perçue sur la base du barème 475, lequel est attribué aux inspecteurs de cours généraux dans l’enseignement secondaire du degré supérieur et dans l’enseignement supérieur non universitaire porteurs d’un diplôme universitaire, au motif que la différence de rémunération créée par ces barèmes serait discriminatoire.
Après avoir modifié la formulation de la question préjudicielle suggérée par les parties, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, à l’invitation de ces dernières, pose à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. Le Gouvernement de la Communauté française soutient que la disposition en cause ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où la situation des inspecteurs désignés par la Communauté française à titre temporaire ou nommés à titre définitif dans des fonctions d’inspecteur dans l’enseignement fondamental ordinaire et/ou spécialisé titulaires d’un master en sciences de l’éducation ou équivalent n’est pas comparable avec celle des inspecteurs de cours généraux dans l’enseignement secondaire du degré supérieur et dans l’enseignement supérieur non universitaire porteurs d’un diplôme universitaire, ni en termes de fonction, ni en termes de diplômes.
A.1.2. En ce qui concerne les fonctions exercées, le Gouvernement de la Communauté française fait valoir que le décret du 10 janvier 2019 « relatif au service général de l’Inspection » (ci-après : le décret du 10 janvier 2019) établit différentes catégories au sein du personnel du service de l’Inspection, de même qu’il prévoit que le Gouvernement fixe le profil de compétences permettant l’entrée en stage de l’inspecteur. L’annexe 1 au même décret établit différentes catégories de fonctions d’inspecteur ainsi que la formation initiale nécessaire pour accéder à ces fonctions. Ces éléments démontrent, selon le Gouvernement de la Communauté française, que les catégories d’inspecteurs visées dans la question préjudicielle se trouvent dans des situations essentiellement différentes.
A.1.3. En ce qui concerne les diplômes requis, le Gouvernement de la Communauté française expose que seuls certains diplômes spécifiques (les masters en sciences de l’éducation ou équivalents) permettent l’octroi du barème dont les parties demanderesses devant la juridiction a quo bénéficient, alors que le barème 475 est octroyé sur la base d’un diplôme universitaire, quel qu’il soit. Il en résulte que les situations visées dans la question préjudicielle ne sont pas comparables.
A.2.1. Le Gouvernement de la Communauté française estime également que, si les situations étaient jugées comme étant comparables, il y aurait lieu de conclure que la différence de traitement résultant de la disposition en cause est raisonnablement justifiée, eu égard à son caractère minime et aux différences objectives qui existent entre les situations comparées.
A.2.2. Le Gouvernement de la Communauté française souligne que, pour accéder à la fonction d’inspecteur, il faut justifier d’une expérience dans l’enseignement considéré. Dans la mesure où les barèmes ne sont pas identiques dans ledit enseignement, ils ne doivent pas l’être davantage dans les fonctions d’inspecteur. Soutenir le contraire revient à nier les spécificités des fonctions d’enseignant et d’inspecteur dans différents niveaux, ce qui rend impossible la détermination de barèmes différents en matière d’enseignement.
A.3.1. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo soutiennent que la disposition en cause fait naître une différence de traitement non raisonnablement justifiée entre les différentes catégories d’inspecteurs.
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A.3.2. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo exposent que, sauf en ce qui concerne les conditions de nomination des inspecteurs, sous l’empire du décret du 8 mars 2007 « relatif au service général de l’inspection, au service de conseil et de soutien pédagogiques de l’enseignement organisé par la Communauté française, aux cellules de conseil et de soutien pédagogiques de l’enseignement subventionné par la Communauté française et au statut des membres du personnel du service général de l’inspection et des conseillers pédagogiques »
(ci-après : le décret du 8 mars 2007), tous les inspecteurs étaient chargés de missions identiques (bien qu’exercées dans des services différents), ils devaient passer la même épreuve pour accéder à la fonction et ils disposaient d’un profil de fonction générique. Il en découle que les situations des catégories d’inspecteurs visées dans la question sont comparables sous l’empire du décret du 8 mars 2007.
A.4.1. D’après les parties demanderesses devant la juridiction a quo, l’adoption du décret du 10 janvier 2019
et l’abrogation presque intégrale du décret du 8 mars 2007 ne modifient pas ce constat. Elles soutiennent que les missions confiées aux fonctions d’inspecteur sont toutes identiques quel que soit le service dans lequel elles sont effectuées, que les profils de fonction d’inspecteur demeurent similaires quel que soit l’intitulé de la fonction, et que l’épreuve de sélection est la même pour tous les inspecteurs.
A.4.2. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo estiment que, puisqu’elles sont titulaires de diplômes du même niveau par rapport aux inspecteurs de cours généraux, dans l’enseignement secondaire du degré supérieur et dans l’enseignement supérieur non universitaire, porteurs d’un diplôme universitaire, la différence de traitement qui résulte de l’application de barèmes différents et dont elles contestent le caractère minime n’est pas raisonnablement justifiée.
-B–
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. L’article 2 de l’arrêté royal du 27 juin 1974 « fixant au 1er avril 1972 les échelles des fonctions des membres du personnel directeur et enseignant du personnel auxiliaire d’éducation, du personnel paramédical des établissements d’enseignement de l’Etat, des membres du personnel du Service général de pilotage des Ecoles et Centres psycho-médico-
sociaux, des membres du personnel du Service général de l’Inspection chargé de la surveillance de ces établissements, des membres du personnel du Service général de l’Inspection de l’enseignement par correspondance et de l’enseignement primaire subventionné et des échelles des grades du personnel des centres psycho-médico-sociaux de l’Etat » (ci-après : l’arrêté royal du 27 juin 1974), validé par l’article 3 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 « validant diverses dispositions applicables aux personnels de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française » (ci-après : le décret du 13 décembre 2012), détermine l’échelle barémique de chacune des fonctions des membres du personnel directeur et enseignant, du personnel auxiliaire d’éducation, du personnel paramédical des établissements d’enseignement de l’État, des membres du personnel du service général de pilotage des écoles
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et centres psycho-médico-sociaux, des membres du personnel du service général de l’inspection chargé de la surveillance de ces établissements, des membres du personnel du service général de l’inspection de l’enseignement par correspondance et de l’enseignement primaire subventionné et de chacun des grades du personnel des centres psycho-médico-sociaux de l’État.
Le chapitre I de l’arrêté royal du 27 juin 1974, tel qu’il a été validé par l’article 3 du décret du 13 décembre 2012, concerne le personnel du service général de l’inspection et fixe les barèmes de différentes fonctions d’inspecteur. Les inspecteurs de l’enseignement maternel, les inspecteurs de l’enseignement primaire, les inspecteurs de religion de l’enseignement primaire, les inspecteurs de morale de l’enseignement primaire, et les inspecteurs de citoyenneté et philosophie de l’enseignement primaire relèvent en principe du barème 190/1, ce qui correspond, d’après la circulaire 8137 du 11 juin 2021, transmise par les parties demanderesses devant la juridiction a quo, à une rémunération mensuelle brute indexée de minimum 3 881,06 euros et de maximum 6 006,15 euros. Cependant, s’ils sont titulaires d’un master en sciences de l’éducation ou d’un équivalent, ces mêmes inspecteurs se voient attribuer le barème 469, qui correspond à une rémunération mensuelle brute indexée de minimum 4 014,75 euros et de maximum 6 469,84 euros.
Les inspecteurs de cours généraux dans l’enseignement secondaire du degré supérieur et dans l’enseignement supérieur non universitaire porteurs d’un diplôme universitaire se voient appliquer le barème 475. Cette échelle barémique correspond, d’après la circulaire 8137
précitée, à une rémunération mensuelle brute indexée de minimum 4 392,12 euros et de maximum 6 847,20 euros.
B.2. En vertu de l’article 1er de la loi du 22 juin 1964 « relative au statut des membres du personnel de l’enseignement de l’Etat », il appartenait au Roi et il appartient aujourd’hui à la Communauté française de fixer le statut, tant administratif que pécuniaire, des membres du personnel de l’enseignement, y compris des membres du service général de l’inspection. C’est en exécution de cette disposition qu’a été adopté l’arrêté royal du 27 juin 1974.
B.3. Avant la revalorisation barémique opérée par l’article 10 de l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 14 mai 2009 « portant revalorisation de certains membres du personnel de l’enseignement porteurs d’un master en application du protocole d’accord du
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20 juin 2008 » (ci-après : l’arrêté du Gouvernement du 14 mai 2009), les inspecteurs de l’enseignement maternel et primaire relevaient tous du barème 190/1, qu’ils fussent porteurs d’un diplôme universitaire ou non. Le barème 469 évoqué en B.1 résulte donc d’une valorisation des diplômes de master en science de l’éducation ou équivalents, décidée, entre autres, en application du protocole d’accord du 20 juin 2008 conclu pour la période 2009-2010
avec les organisations syndicales représentatives du secteur de l’enseignement.
B.4. L’arrêté royal du 27 juin 1974, de même que ses modifications successives (y compris la modification apportée par l’arrêté du Gouvernement du 14 mai 2009), a été validé par l’article 3 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012, dans le but de couvrir une illégalité pour défaut de consultation de la section de législation du Conseil d’État que la Cour de cassation avait constatée dans son arrêt du 23 mars 2012 (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2012-2013, n° 430/1, p. 4).
Quant à la question préjudicielle
B.5. La Cour est interrogée sur la compatibilité de l’article 2 de l’arrêté royal du 27 juin 1974, tel qu’il a été validé par l’article 3 du décret du 13 décembre 2012, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il prévoit pour les inspecteurs nommés ou désignés à des fonctions d’inspecteur des cours généraux dans l’enseignement secondaire du degré supérieur et dans l’enseignement supérieur non universitaire porteurs d’un diplôme universitaire une échelle barémique plus élevée que pour les inspecteurs désignés à titre temporaire ou nommés à titre définitif dans des fonctions d’inspecteur dans l’enseignement fondamental ordinaire et/ou spécialisé titulaires d’un master en sciences de l’éducation ou équivalent.
La Cour limite son examen à cette situation, qui ne concerne donc pas les inspecteurs nommés à des fonctions d’inspecteur dans l’enseignement secondaire de degré inférieur porteurs d’un master en science de l’éducation ou équivalent, qui, eux, relèvent du barème 470.
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B.6.1. Le Gouvernement de la Communauté française fait valoir que les situations des inspecteurs visés dans la question préjudicielle ne sont pas comparables, ni en termes de diplôme requis, ni en termes de fonction exercée.
B.6.2. Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. S’il est exact que les diplômes requis pour que soit appliquée l’échelle barémique 475 (inspecteurs de cours généraux dans l’enseignement secondaire du degré supérieur et dans l’enseignement supérieur non universitaire) ou l’échelle barémique 469 (inspecteurs dans l’enseignement fondamental ordinaire et/ou spécialisé) diffèrent (d’une part, un diplôme universitaire quel qu’il soit et, d’autre part, un master en sciences de l’éducation ou équivalent), une différence d’intitulé de ces diplômes ne saurait suffire à rendre impossible toute comparaison entre les situations visées dans la question préjudicielle, d’autant que les différents diplômes requis correspondent tous à un même niveau, à savoir le master.
B.6.3. De même, ni le décret du 8 mars 2007 « relatif au service général de l’inspection, au service de conseil et de soutien pédagogiques de l’enseignement organisé par la Communauté française, aux cellules de conseil et de soutien pédagogiques de l’enseignement subventionné par la Communauté française et au statut des membres du personnel du service général de l’inspection et des conseillers pédagogiques » ni le décret du 10 janvier 2019 « relatif au service général de l’Inspection » (ci-après : le décret du 10 janvier 2019) ne permettent d’établir que les fonctions des inspecteurs des cours généraux dans l’enseignement secondaire supérieur et dans l’enseignement supérieur non universitaire diffèrent à ce point de celles des inspecteurs de l’enseignement maternel et primaire qu’elles ne pourraient être comparées.
B.6.4. Il résulte de ce qui précède que la situation des inspecteurs nommés ou désignés à des fonctions d’inspecteur des cours généraux dans l’enseignement secondaire du degré supérieur et dans l’enseignement supérieur non universitaire porteurs d’un diplôme universitaire et celle des inspecteurs désignés à titre temporaire ou nommés à titre définitif dans des fonctions d’inspecteur dans l’enseignement fondamental ordinaire et/ou spécialisé et titulaires d’un master en sciences de l’éducation ou équivalent ne diffèrent pas au point de ne pas pouvoir être comparées. En effet, il s’agit dans les deux cas de personnes investies de
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missions qui incombent au service général de l’inspection et détentrices d’un diplôme de niveau master.
B.7. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.8. Comme l’observent tant le Gouvernement de la Communauté française que les parties demanderesses devant la juridiction a quo, la Communauté française fixe les barèmes des membres de son personnel selon, d’une part, les diplômes ou titres dont ils sont titulaires et, d’autre part, les fonctions qu’ils exercent. La différence de traitement au sujet de laquelle s’interroge la juridiction a quo repose donc sur un double critère : d’une part, les diplômes dont sont titulaires les inspecteurs et, d’autre part, les fonctions exercées par les inspecteurs. Ces critères sont objectifs.
La Cour doit examiner si cette différence de traitement est raisonnablement justifiée.
B.9.1. Contrairement aux fonctions d’inspecteur des cours généraux dans l’enseignement secondaire supérieur et dans l’enseignement supérieur non universitaire, l’accès à la fonction d’inspecteur de l’enseignement maternel et primaire n’est pas subordonné à la possession d’un diplôme universitaire. Une telle différence quant au niveau de diplôme requis pour accéder à la fonction peut justifier une différence de traitement quant aux barèmes qui s’appliquent à ces deux catégories d’inspecteurs.
B.9.2. En adoptant l’arrêté du 14 mai 2009, après concertation avec les organisations représentatives du secteur de l’enseignement, le Gouvernement de la Communauté française a décidé de modifier les échelles barémiques applicables à différentes catégories de membres du personnel afin de valoriser la possession de certains diplômes (les masters en sciences de
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l’éducation ou équivalents). À cette occasion, il a été décidé que les inspecteurs dans l’enseignement maternel et primaire titulaires d’un master en sciences de l’éducation ou équivalent relèveraient désormais du barème 469, et non plus du barème 190/1.
B.9.3. La décision de revaloriser l’échelle barémique applicable aux inspecteurs de l’enseignement maternel et primaire titulaires d’un master en sciences de l’éducation ou équivalent n’imposait pas au Gouvernement de la Communauté française d’aligner ledit barème sur celui des inspecteurs de l’enseignement secondaire du degré supérieur et de l’enseignement supérieur non universitaire, eu égard, en particulier, à la différence quant au diplôme requis pour accéder à la fonction mentionnée en B.9.1.
B.10. Il ne peut par ailleurs pas être déduit de cette valorisation barémique de certains diplômes que les fonctions des inspecteurs de l’enseignement maternel et primaire seraient identiques à celles des inspecteurs des cours généraux dans l’enseignement secondaire supérieur et dans l’enseignement supérieur non universitaire, indépendamment de la possession d’un diplôme de niveau équivalent.
B.11.1. En outre, les conditions d’accès aux différentes fonctions d’inspecteur diffèrent selon la matière envisagée et selon le niveau d’enseignement dans lequel l’inspecteur officie.
Pour pouvoir participer à l’épreuve d’admission à la formation initiale donnant accès aux fonctions d’inspecteur, un candidat doit en effet réunir les conditions listées à l’article 13, § 1er, du décret du 10 janvier 2019. Entre autres, un candidat doit être nommé ou engagé à titre définitif pour au moins une demi-charge dans l’enseignement (article 13, § 1er, 6°, du décret du 10 janvier 2019) et être titulaire d’une (ou plusieurs) fonction(s) spécifique(s), selon la fonction d’inspecteur à conférer (article 13, § 1er, 7°, du décret du 10 janvier 2019), et compter une ancienneté de service et une ancienneté de fonction telles que visées à l’article 13, § 1er, 8°, du décret du 10 janvier 2019. Or, ces fonctions spécifiques donnant accès aux fonctions d’inspecteur font elles-mêmes l’objet d’un traitement pécuniaire différencié, selon le degré de l’enseignement dans lequel elles sont exercées.
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Il n’est pas déraisonnable de répercuter cette différence barémique au niveau des fonctions d’inspecteur.
B.11.2. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo font valoir, à cet égard, que l’article 13, § 3, du décret du 10 janvier 2019 prévoit, à partir de 2023, un assouplissement des conditions d’accès aux fonctions d’inspecteur, donnant accès à ces fonctions à une personne qui n’est pas nommée à titre définitif dans l’enseignement, pour autant « qu’elle soit porteuse du titre requis pour exercer une des fonctions indiquées en regard de la fonction d’inspecteur à conférer reprises au tableau de l’annexe Ire du présent décret ou d’un titre pédagogique de type certificat d’aptitude pédagogique, le certificat d’aptitude pédagogique approprié à l’enseignement supérieur, le titre d’agrégé de l’enseignement secondaire supérieur, le titre d’agrégé de l’enseignement secondaire inférieur, le titre d’instituteur de l’enseignement primaire, le titre d’instituteur de l’enseignement maternel ».
B.11.3. Si, à partir de 2023, un candidat-inspecteur ne doit effectivement plus être nommé à titre définitif dans l’enseignement ou être titulaire à titre définitif d’une fonction spécifique pour participer aux épreuves d’admission à la formation initiale donnant accès à une fonction d’inspecteur, cela n’énerve en rien le constat, posé en B.11.1, selon lequel l’accès à chacune des fonctions d’inspecteur est subordonné à la possession d’un titre spécifique ou d’une expérience spécifique dans l’enseignement, laquelle appelle un barème approprié, qui varie notamment selon le degré d’enseignement dans lequel elle se développe.
B.12.1. Ce constat est renforcé par le fait que, si l’épreuve d’admission à la formation initiale donnant accès à une fonction d’inspecteur est commune à toutes les fonctions d’inspecteur, l’article 27, alinéas 2 et 3, du décret du 10 janvier 2019 dispose qu’à l’issue de celle-ci, les candidats font l’objet d’un classement par fonction et des réserves de recrutement distinctes sont constituées pour chaque fonction.
B.12.2. Par ailleurs, le décret du 10 janvier 2019 impose aux candidats-inspecteurs ayant réussi l’épreuve d’admission à la formation initiale qui souhaitent accéder à la fonction d’inspecteur d’entrer en stage d’insertion professionnelle pour une durée de deux ans. Lors de ce stage, les inspecteurs stagiaires doivent suivre une formation de 160 heures, dont 40 heures sont spécifiques à chaque fonction d’inspecteur, comme le prévoit l’article 1.2 de l’annexe à
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l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 7 septembre 2023 « fixant le plan de formation d’insertion professionnelle des inspecteurs-stagiaires et les conditions et modalités de dispense de tout ou partie du programme de formation en application de l’article 54, § 2, alinéa 1er, du décret du 10 janvier 2019 relatif au Service général de l’Inspection ». Un quart du volume horaire de cette formation est donc spécifique à chaque fonction d’inspecteur.
B.12.3. Il peut être déduit de ce qui précède que, contrairement à ce que soutiennent les parties demanderesses devant la juridiction a quo, les fonctions d’inspecteur diffèrent selon le niveau d’enseignement dans lequel elles sont exercées.
B.13. Dès lors que des différences objectives existent entre les fonctions d’inspecteur visées dans la question préjudicielle, selon le niveau de diplôme requis pour exercer la fonction, l’expérience antérieure qui est exigée pour exercer la fonction ou la formation à suivre lors du stage d’insertion professionnelle, il n’est pas déraisonnable de faire reposer une différence de barème sur de telles différences, indépendamment de la possession de titres ou diplômes équivalents. Il s’ensuit que la différence de traitement est raisonnablement justifiée.
B.14. L’article 2 de l’arrêté royal du 27 juin 1974 est compatible avec les articles 10 et 11
de la Constitution en ce qu’il prévoit pour les inspecteurs nommés ou désignés à des fonctions d’inspecteur des cours généraux dans l’enseignement secondaire du degré supérieur et dans l’enseignement supérieur non universitaire porteurs d’un diplôme universitaire une échelle barémique plus élevée que pour les inspecteurs désignés à titre temporaire ou nommés à titre définitif dans des fonctions d’inspecteur dans l’enseignement fondamental ordinaire et/ou spécialisé, titulaires d’un master en sciences de l’éducation ou équivalent.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 2 de l’arrêté royal du 27 juin 1974 « fixant au 1er avril 1972 les échelles des fonctions des membres du personnel directeur et enseignant, du personnel auxiliaire d’éducation, du personnel paramédical des établissements d’enseignement de l’Etat, des membres du personnel du Service général de pilotage des Ecoles et Centres psycho-médico-
sociaux, des membres du personnel du Service général de l’Inspection chargé de la surveillance de ces établissements, des membres du personnel du Service général de l’Inspection de l’enseignement par correspondance et de l’enseignement primaire subventionné et des échelles des grades du personnel des centres psycho-médico-sociaux de l’Etat », tel qu’il a été validé par l’article 3 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 « validant diverses dispositions applicables aux personnels de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française », ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 11 avril 2024.
Le greffier, Le président f.f.,
Frank Meersschaut Thierry Giet