Cour constitutionnelle
Arrêt n° 46/2024
du 25 avril 2024
Numéros du rôle : 7942, 8030, 8036 et 8040
En cause : les recours en annulation de la loi du 16 décembre 2022 « instaurant une contribution de solidarité temporaire à charge du secteur pétrolier », introduits par la SA « Varo Energy Belgium », par la SRL « EG Retail (Belgium) », par la SA « Gilops Group » et la SA « Van Raak Trading » et par la SA « Kuwait Petroleum (Belgium) ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 1er mars 2023 et parvenue au greffe le 2 mars 2023, la SA « Varo Energy Belgium », assistée et représentée par Me Mark Delanote, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation de la loi du 16 décembre 2022 « instaurant une contribution de solidarité temporaire à charge du secteur pétrolier » (publiée au Moniteur belge du 22 décembre 2022).
Par la même requête, la partie requérante demandait également la suspension de la même loi. Par l’arrêt n° 97/2023 du 15 juin 2023 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.097), publié au Moniteur belge du 10 octobre 2023, la Cour a rejeté la demande de suspension.
b. Par requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste les 20, 21 et 22 juin 2023 et parvenues au greffe les 21, 22 et 23 juin 2023, des recours en annulation de la même loi ont été introduits par la SRL « EG Retail (Belgium) », assistée et représentée par Me Frederik Vandendriessche, Me Pauline Van Bogaert et Me Lieselotte Schellekens, avocats au barreau de Bruxelles, par la SA « Gilops Group » et la SA « Van Raak Trading », assistées et représentées par Me François Tulkens et Me Mathilde Victor, avocats au barreau de
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Bruxelles, et par la SA « Kuwait Petroleum (Belgium) », assistée et représentée par Me Bob Martens, Me Philippe Hinnekens, Me Alec Van Vaerenbergh et Me Cédric Martens, avocats au barreau de Bruxelles.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7942, 8030, 8036 et 8040 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- la SA « Varo Energy Belgium », assistée et représentée par Me Mark Delanote (partie intervenante dans les affaires nos 8030, 8036 et 8040);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Bart Martel, Me Korneel Decroix et Me Kristof Caluwaert, avocats au barreau de Bruxelles.
Les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse.
Par ordonnance du 31 janvier 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Sabine de Bethune et Thierry Giet, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et les affaires seraient mises en délibéré.
À la suite de la demande du Conseil des ministres à être entendu, la Cour, par ordonnance du 14 février 2024, a fixé l’audience au 13 mars 2024.
À l’audience publique du 13 mars 2024 :
- ont comparu :
. Me Mark Delanote, pour la partie requérante dans l’affaire n° 7942 (partie intervenante dans les affaires nos 8030, 8036 et 8040);
. Me Lieselotte Schellekens, également loco Me Frederik Vandendriessche et Me Pauline Van Bogaert, pour la partie requérante dans l’affaire n° 8030;
. Me Damien Verhoeven, avocat au barreau de Bruxelles, également loco Me François Tulkens, et Me Mathilde Victor, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 8036;
. Me Alec Van Vaerenbergh et Me Cédric Martens, pour la partie requérante dans l’affaire n° 8040;
. Me Bart Martel et Me Kristof Caluwaert, également loco Me Korneel Decroix, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Sabine de Bethune et Thierry Giet ont fait rapport;
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- les avocats précités ont été entendus;
- les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
A.1. Le Conseil des ministres estime que les recours dans les affaires nos 7942, 8030, 8036 et 8040 sont à tout le moins partiellement irrecevables.
Les parties requérantes, qui sont soumises à l’impôt attaqué car elles ont été désignées en 2022 comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences, n’ont intérêt à l’annulation de la loi, attaquée, du 16 décembre 2022 « instaurant une contribution de solidarité temporaire à charge du secteur pétrolier » (ci-
après : la loi du 16 décembre 2022) qu’en ce que celle-ci instaure une contribution de solidarité temporaire pour les participants primaires. Les parties requérantes n’ont par contre pas intérêt à l’annulation de la loi du 16 décembre 2022 en ce que celle-ci instaure une contribution de solidarité temporaire pour les raffineries, dès lors que ces dispositions ne sont pas applicables aux parties requérantes. Il n’apparaît par ailleurs pas que les parties requérantes invoquent des griefs contre la loi du 16 décembre 2022 en ce que celle-ci instaure une contribution de solidarité temporaire pour les raffineries. Les recours sont donc aussi partiellement irrecevables à défaut de griefs.
Le Conseil des ministres soutient en outre que les recours dans les affaires nos 7942, 8036 et 8040 sont partiellement irrecevables à défaut d’exposé des moyens. Le recours dans l’affaire n° 8036 serait ainsi irrecevable à défaut d’exposé du moyen, en ce que ce dernier invoque la violation de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE) et des principes de la primauté et de l’effectivité du droit de l’Union.
A.2. La partie requérante dans l’affaire n° 7942 affirme qu’il y a lieu, sur la base du moyen invoqué, de vérifier dans quelle mesure la prétendue violation peut conduire à l’annulation de la disposition attaquée. Le fait que la loi du 16 décembre 2022 s’applique tant à la partie requérante en sa qualité de participant primaire qu’aux raffineries ne saurait affecter la faculté pour la Cour de constater que la loi du 16 décembre 2022 viole des normes juridiques supérieures. L’annulation éventuelle de la loi du 16 décembre 2022 vaut erga omnes.
A.3. La partie requérante dans l’affaire n° 8030 fait valoir que, dans son deuxième moyen, elle a bien formulé explicitement des griefs contre la loi du 16 décembre 2022, en ce que celle-ci concerne les raffineries.
A.4. Les parties requérantes dans l’affaire n° 8036 s’en remettent à la sagesse de la Cour en ce qui concerne l’intérêt des parties requérantes à l’annulation de la loi du 16 décembre 2022 en ce que celle-ci soumet les raffineries à une contribution de solidarité.
En revanche, l’exception d’irrecevabilité pour défaut d’exposé des moyens n’est pas sérieuse. Seule la violation alléguée de l’article 288 du TFUE et des principes de la primauté et de l’effectivité du droit de l’Union n’est pas explicitement exposée, selon le Conseil des ministres. Or, il va sans dire que cette violation présente un lien avec la violation alléguée du règlement (UE) 2022/1854 du Conseil du 6 octobre 2022 « sur une intervention d’urgence pour faire face aux prix élevés de l’énergie » (ci-après : le règlement (UE) 2022/1854). En vertu de l’article 288 du TFUE, un règlement est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre. Le non-respect du règlement (UE) 2022/1854, qui est invoqué dans chaque moyen, constitue
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donc également une violation de cette disposition conventionnelle. Il est par ailleurs évident qu’en adoptant une norme qui est contraire au droit de l’Union, le législateur porte atteinte aux principes de la primauté et de l’effectivité du droit de l’Union.
A.5. La partie requérante dans l’affaire n° 8040 reconnaît qu’elle n’exerce pas d’activité de raffinage en Belgique. Elle souligne toutefois que les deux catégories d’entreprises qui sont soumises à la loi du 16 décembre 2022 sont confrontées à des régimes très similaires, qui n’ont de surcroît pas été développés dans des dispositions à dissocier. La Cour doit dès lors examiner la loi du 16 décembre 2022 dans son intégralité, sur la base des moyens d’annulation exposés par la partie requérante, et, le cas échéant, procéder à une annulation totale dans l’hypothèse où elle constaterait, à l’égard d’un ou de plusieurs éléments essentiels de l’impôt, une inconstitutionnalité affectant également des dispositions indissociablement liées.
En ce qui concerne la prétendue irrecevabilité à défaut d’exposé des moyens, la partie requérante dans l’affaire n° 8040 soutient que cela n’a pas empêché le Conseil des ministres de résumer les moyens invoqués et d’y répliquer amplement. Il en résulte que le Conseil des ministres a effectivement bien compris les moyens.
Quant au fond
Affaire n° 7942
En ce qui concerne le premier moyen
A.6. Dans le premier moyen, la partie requérante invoque la violation, par la loi du 16 décembre 2022, des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 122, paragraphe 1, du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854.
La partie requérante fait valoir que le règlement (UE) 2022/1854 constitue le fondement juridique de la loi du 16 décembre 2022. Si ce fondement disparaît, la raison d’être de la loi du 16 décembre 2022 disparaît. Or, le règlement (UE) 2022/1854 n’a pas de fondement juridique valable. Ce règlement a été adopté en vertu de l’article 122, paragraphe 1, du TFUE, qui habilite le Conseil à fixer, sur proposition de la Commission, « les mesures appropriées à la situation économique ». L’instauration d’une contribution de solidarité temporaire aurait toutefois pour objectif d’écrémer les « bénéfices excédentaires » au sein du secteur pétrolier, en vue de leur redistribution. Un tel impôt sur le bénéfice réalisé par une entreprise est considéré comme un impôt direct et ne pouvait être établi qu’en vertu de l’article 113 du TFUE. Cette disposition constitue l’unique fondement juridique en droit primaire de l’Union européenne pour édicter des mesures relatives aux impôts directs, et elle requiert l’unanimité des voix au sein du Conseil, ainsi qu’une consultation du Parlement européen et du Comité économique et social européen.
La partie requérante estime dès lors que la Cour doit poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne au sujet de la validité de la contribution de solidarité temporaire qui a été instaurée par le règlement (UE) 2022/1854.
A.7.1. Selon le Conseil des ministres, la discussion relative à la validité du règlement (UE) 2022/1854 est étrangère à l’appréciation de la constitutionnalité de la loi du 16 décembre 2022. Même s’il était constaté que le règlement (UE) 2022/1854 n’est pas valable, cela n’impliquerait toujours pas que la loi du 16 décembre 2022 n’a plus de fondement juridique dans l’ordre juridique interne. La contribution de solidarité temporaire qui a été instaurée par la loi du 16 décembre 2022 est en effet un impôt. L’instauration ou non d’une contribution à charge de certaines entreprises relève de la compétence fiscale de l’État fédéral. Une telle mesure trouve son fondement juridique dans l’article 170, § 1er, de la Constitution. Le fait que la loi du 16 décembre 2022 opère dans le même temps une mise en œuvre partielle du règlement (UE) 2022/1854 n’y change rien. Par conséquent, même s’il était fondé, le moyen ne saurait conduire à l’annulation de la loi du 16 décembre 2022. Il s’ensuit également que la question préjudicielle suggérée par la partie requérante ne doit pas être soumise à la Cour de justice de l’Union européenne.
A.7.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que le premier moyen soulevé par la partie requérante n’est pas clair, en ce que celui-ci ne mentionne pas en quoi l’article 122, paragraphe 1, du TFUE
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constituerait un fondement juridique illégal. En outre, ce n’est pas l’article 113 du TFUE, invoqué par la partie requérante, qui est pertinent pour les impôts directs, mais l’article 115 du TFUE.
En tout état de cause, il ressort de l’analyse juridique pertinente de la Cour de justice que l’article 122, paragraphe 1, du TFUE constitue indubitablement le fondement juridique valable pour le règlement (UE) 2022/1854, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Cette disposition est un fondement juridique plus spécifique que les articles 113 et 115 du TFUE, lesquels offrent un fondement général en matière d’harmonisation sur le plan des impôts directs et indirects, de sorte que le règlement devait être fondé sur l’article 122, paragraphe 1, du TFUE. Par ailleurs, même à supposer que le règlement poursuive un objectif double, l’objectif de l’article 122, paragraphe 1, du TFUE peut être désigné comme étant l’objectif principal, et le prétendu objectif d’harmonisation fiscale est accessoire. Le règlement ne saurait en tout cas avoir un double fondement, dès lors que les procédures prévues, d’une part, à l’article 122, paragraphe 1, du TFUE et, d’autre part, aux articles 113 et 115 du TFUE sont incompatibles.
A.8. La partie requérante souligne dans son mémoire en réponse que, dans la requête, il a été renvoyé erronément à l’article 113 du TFUE. L’article visé était bien l’article 115 du TFUE, qui constitue l’unique fondement dans le droit primaire de l’Union européenne pour l’élaboration de mesures en matière d’impôts directs.
En ce qui concerne le deuxième moyen
A.9.1. Dans le deuxième moyen, la partie requérante invoque la violation des articles 38, 39, 128 et 143, § 1er, de la Constitution, de l’article 5, § 1er, II, de l’article 6, § 1er, VI, VII et IX, et § 3, 2° et 3°, et de l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), lus en combinaison avec le règlement (UE) 2022/1854.
A.9.2. La partie requérante souligne que, conformément à l’article 17 du règlement (UE) 2022/1854, les États membres doivent utiliser le produit de la contribution de solidarité temporaire de manière à ce qu’elle ait une incidence suffisamment rapide à des fins déterminées. Ces fins relèvent dans une très large mesure des matières qui ont été attribuées aux régions et aux communautés. Il s’agit en effet de mesures portant sur l’aide aux personnes, sur la politique économique, sur la politique énergétique (dont les nouvelles sources d’énergie et l’utilisation rationnelle de l’énergie) et sur la politique de l’emploi. L’autorité fédérale n’a pas (correctement) mis en œuvre l’article 17 du règlement, en ce que la loi du 16 décembre 2022 dispose de manière générale que la contribution « a pour but de soutenir les ménages et les entreprises qui subissent les conséquences de la crise énergétique et doivent faire face aux prix exceptionnellement élevés », alors que le produit doit être utilisé à toutes les fins mentionnées à l’article 17, paragraphe 1, du règlement. L’intégralité du produit de la contribution de solidarité est affectée au budget de l’État, et ce, au mépris des compétences des communautés et des régions et en violation de la loyauté fédérale.
La partie requérante souligne que, pour peu qu’il puisse exister le moindre doute quant à l’interprétation de l’article 17 du règlement (UE) 2022/1854, il convient de poser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle à cet égard.
La partie requérante fait en outre valoir que, puisque le règlement (UE) 2022/1854 porte très clairement sur des compétences qui relèvent tant de l’autorité fédérale que des communautés et des régions, il existe, conformément à l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980, une nécessité impérieuse de conclure des accords de coopération. Par ailleurs, en vertu de l’article 6, § 3, 2° et 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980, une concertation doit avoir lieu « pour toute mesure au sujet de la politique de l’énergie, en dehors des compétences énumérées au § 1er, VII », ainsi que « sur les grands axes de la politique énergétique nationale ». À défaut d’un accord de coopération et d’une concertation, les communautés et les régions sont privées de la possibilité d’utiliser le produit de la contribution de solidarité pour les matières qui leur ont été attribuées. Par conséquent, les dispositions invoquées au moyen sont violées.
A.10.1. Le Conseil des ministres fait valoir que le deuxième moyen est irrecevable en ce qu’il est pris la violation du règlement (UE) 2022/1854, dès lors qu’il n’est pas exposé en quoi ce règlement serait violé.
En ce qu’elle invoque dans son mémoire en réponse la violation du principe de la loyauté fédérale, la partie requérante invoquerait en outre un moyen nouveau, qui est par conséquent irrecevable.
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A.10.2. Selon le Conseil des ministres, la loi du 16 décembre 2022 ne porte pas atteinte aux compétences des communautés et des régions. La contribution de solidarité temporaire est un impôt et elle peut dès lors être établie par le législateur fédéral en vertu de la compétence fiscale qui lui est attribuée par l’article 170, § 1er, de la Constitution. Le Conseil des ministres rappelle que la compétence fiscale est sans lien avec la répartition matérielle des compétences. Ainsi, un impôt fédéral reste un impôt fédéral, même s’il est lié à une matière qui relève des compétences des entités fédérées. Par ailleurs, la compétence fiscale réelle est intégralement concurrente, en faveur du législateur fédéral. L’article 17 du règlement (UE) 2022/1854 ne saurait être invoqué de manière décisive pour délimiter les compétences attribuées à l’État fédéral, aux communautés et aux régions par ou en vertu de la Constitution.
Le Conseil des ministres souligne ensuite que la loi du 16 décembre 2022 n’a pas affecté le produit de l’impôt instauré à chacune des finalités énumérées à l’article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) 2022/1854, ce qui n’est pas obligatoire non plus. Conformément à l’article 4, § 4, de la loi du 16 décembre 2022, la contribution « a pour but de soutenir les ménages et les entreprises qui subissent les conséquences de la crise énergétique et doivent faire face aux prix exceptionnellement élevés ». Il va sans dire que les mesures qui seront adoptées par l’autorité fédérale sur la base de cette disposition devront se situer dans le cadre des compétences de l’autorité fédérale. L’autorité fédérale devra en tout état de cause respecter le principe de proportionnalité. La partie requérante ne démontre pas que la loi du 16 décembre 2022 contreviendrait à ce principe.
Compte tenu de ce qui précède, il n’est nullement question d’une « nécessité impérieuse » de conclure un accord de coopération conformément à l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980. Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’une matière pour laquelle le législateur spécial a prévu une obligation de conclure un tel accord, et il n’est pas non plus question de compétences à ce point imbriquées qu’elles ne pourraient être exercées que dans le cadre d’une coopération.
L’obligation de concertation prévue à l’article 6, § 3, 2° et 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980 n’est pas non plus d’application. La loi du 16 décembre 2022 concerne en effet une mesure purement fiscale et non une mesure relative à la politique de l’énergie, ni une mesure qui touche aux « grands axes de la politique énergétique nationale ».
En ce qui concerne le troisième moyen
A.11.1. Dans le troisième moyen, la partie requérante invoque la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec le règlement (UE) 2022/1854, en ce que la loi du 16 décembre 2022
soumet les entreprises visées à un impôt qui est basé sur la quantité de produits pétroliers transformée ou mise à la consommation.
A.11.2. Dans une première branche, la partie requérante affirme que les entreprises visées sont ainsi privées de la garantie que la contribution de solidarité sera calculée sur les bénéfices imposables, conformément au règlement. Du fait de la loi du 16 décembre 2022, certaines entreprises, comme celles qui sont actives dans le secteur du raffinage et les « participants primaires », sont irréfragablement présumées avoir réalisé des bénéfices excédentaires. Cette thèse est erronée et contredite dans les faits. L’application de la loi du 16 décembre 2022 fait naître une disproportion manifeste entre les « bénéfices excédentaires » réalisés par la partie requérante (néant) et le montant de la contribution de solidarité (19 600 000 euros). La justification invoquée par le législateur selon laquelle les bilans ne sont connus qu’ultérieurement ne saurait être admise. En effet, rien n’empêche les entreprises de communiquer leurs bénéfices, au besoin sur la base de chiffres provisoires. Par ailleurs, le législateur pouvait prévoir un mécanisme de régularisation ou de compensation sur la base des comptes annuels définitifs, ce qu’il a d’ailleurs fait, mais uniquement pour augmenter la contribution due. Il ne peut pas non plus être admis qu’un mode de calcul forfaitaire, sans régularisation négative, était nécessaire parce que, dans les entreprises qui font partie d’un groupe international, les bénéfices pourraient aisément être transférés. Les entreprises sont en effet légalement tenues d’appliquer des prix de transfert corrects dans leurs relations avec des entreprises associées. En tout état de cause, il est disproportionné que l’entreprise concernée ne soit pas autorisée à prouver le montant réel des bénéfices excédentaires.
Dans son mémoire en réponse, la partie requérante souligne que la contribution de solidarité temporaire attaquée ne saurait être considérée comme une « mesure nationale équivalente » au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement (UE) 2022/1854, dès lors qu’il est requis pour cela que l’assiette de la contribution
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corresponde aux bénéfices excédentaires effectivement réalisés. Tel n’est pas le cas en l’espèce, puisque la loi du 16 décembre 2022 impose un bénéfice qui n’a pas été effectivement réalisé. Dans l’hypothèse où l’interprétation précitée de l’article 14, paragraphe 2, du règlement (UE) 2022/1854 susciterait le moindre doute, il conviendrait de poser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle à cet égard.
A.11.3. Dans une deuxième branche, la partie requérante fait valoir qu’en assimilant les bénéfices excédentaires à un montant déterminé par volume transformé ou mis à la consommation, sans prendre en compte la nature des activités de l’entreprise visée, la loi du 16 décembre 2022 frappe des prétendus bénéfices excédentaires qui ont été réalisés ailleurs dans la chaîne. En imputant des prétendus bénéfices excédentaires à des entreprises qui – eu égard à la nature de leurs activités et/ou compte tenu des fonctions qu’elles exercent – ne peuvent réaliser ces bénéfices excédentaires, alors que ces bénéfices ont en réalité été réalisés par d’autres membres du groupe, l’État belge s’approprie une compétence fiscale qui n’est pas la sienne, mais qui, en vertu du règlement (UE) 2022/1854 ou en vertu de conventions préventives de la double imposition conclues par la Belgique, pourrait relever d’autres États. La loi du 16 décembre 2022 est en tout cas disproportionnée à cet égard aussi : si le législateur craignait des transferts de bénéfices, il conviendrait de prendre à cet effet des mesures ciblées.
A.12.1. Le Conseil des ministres fait valoir que le troisième moyen est irrecevable, parce que les catégories de personnes à comparer ne sont pas clairement identifiées. N’est pas non plus alléguée la violation d’une garantie fondamentale qui découlerait d’une disposition constitutionnelle, d’une règle de droit international ou d’un principe général de bonne administration. En tout état de cause, la partie requérante n’identifie pas les garanties fondamentales qui découlent du règlement (UE) 2022/1854, et elle démontre encore moins qu’il y serait porté une atteinte discriminatoire. Il n’existe pour la partie requérante aucune « garantie » qu’elle sera « imposée exclusivement sur les bénéfices qui lui sont attribuables ».
En ce que la partie requérante conteste dans son mémoire en réponse que la contribution de solidarité attaquée constitue une mesure nationale équivalente et en ce qu’elle prétend donc, de manière implicite mais certaine, qu’il y a violation de l’article 14 du règlement (UE) 2022/1854, force est, selon le Conseil des ministres, de constater qu’il s’agit d’un moyen nouveau qui, dès lors qu’il n’a pas été soulevé à temps, doit être déclaré irrecevable.
A.12.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres affirme que le troisième moyen n’est pas fondé.
Dès lors que le moyen est fondé sur la prémisse selon laquelle la contribution de solidarité doit être calculée conformément au règlement (UE) 2022/1854, ce qui impliquerait un calcul sur la base des bénéfices imposables, le moyen manque en fait. Le règlement permet en effet l’élaboration de régimes nationaux équivalents qui définissent « une base » et qui peuvent donc avoir une base autre que les bénéfices imposables. La partie requérante s’efforce, à tort, d’assimiler l’objectif et la base imposable de la contribution de solidarité temporaire. Or, ce n’est pas parce que la contribution de solidarité temporaire tend à redistribuer les bénéfices exceptionnels réalisés dans le secteur pétrolier que le législateur doit nécessairement établir la contribution de solidarité sur la base des « bénéfices excédentaires ». En juger autrement porterait atteinte à la liberté politique que le législateur a indéniablement laissée aux États membres d’instaurer un régime national propre. Puisqu’il est clair que la contribution de solidarité attaquée remplit les conditions qui découlent du règlement (UE) 2022/1854 en ce qui concerne l’adoption de « mesures nationales équivalentes », il n’y a pas lieu d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne à ce sujet.
En tout état de cause, la méthode de calcul appliquée par la loi du 16 décembre 2022 n’est pas contraire au principe d’égalité en matière fiscale. L’objectif poursuivi, à savoir le financement de mesures (socio-économiques)
liées au caractère abordable de l’énergie, est légitime. Le choix politique de fixer le montant de la contribution de solidarité sur la base de la quantité de pétrole brut transformé en Belgique ou sur la base de la quantité de produits pétroliers mise à la consommation en Belgique est un choix parfaitement légitime du législateur, qui dispose d’un très large pouvoir d’appréciation en la matière. Le législateur a ainsi utilisé un critère de distinction objectif et pertinent, qui permet d’atteindre les objectifs financiers qui sont poursuivis. Le régime attaqué n’est par ailleurs pas disproportionné. L’idée sous-jacente du législateur était de redistribuer les bénéfices exceptionnels réalisés dans le secteur pétrolier. Cette redistribution peut se faire à l’aide de différents instruments. La partie requérante ne démontre pas que le système mis en place par le législateur est manifestement déraisonnable. Le principe de légalité en matière fiscale n’exige pas du législateur qu’il établisse la contribution de solidarité sur la base des bénéfices imposables et qu’il prévoie donc un mécanisme de compensation lorsque le montant de la contribution de solidarité temporaire calculé selon la loi du 16 décembre 2022 est supérieur au montant obtenu selon la méthode de calcul du règlement (UE) 2022/1854.
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Il ressort de la jurisprudence antérieure de la Cour en matière de mesures de solidarité temporaires qu’il n’est pas manifestement déraisonnable que le législateur impose une contribution de solidarité générale au secteur concerné, pour autant que le montant de cette contribution ne soit pas arbitraire. Cette condition est remplie, puisque la contribution de solidarité attaquée est proportionnée aux objectifs financiers concrets que l’on entend poursuivre par son biais. Le coût total des mesures financées au moyen de la contribution de solidarité s’élève à 5 milliards d’euros, ce qui dépasse très nettement le produit de cette contribution. La partie requérante ne démontre pas non plus qu’il y aurait une disproportion entre la contribution de solidarité attaquée et les bénéfices exceptionnels réalisés dans le secteur pétrolier. Lors de la fixation du taux de la contribution, il a été tenu compte de la gravité de la crise, de la contribution demandée et du prix des produits. Au cours de la période qui s’est écoulée entre janvier 2022 et janvier 2023, la contribution demandée s’élevait à minimum 0,70 % et à maximum 1,39 % du prix des produits, ce qui peut difficilement être considéré comme déraisonnable. Il s’avère qu’à la fin 2022, et donc même dans un contexte de marchés en forte hausse avec des prix très volatils, les négociants étaient encore en mesure d’accorder un multiple de ce montant sous la forme d’une ristourne sur les prix maximum.
Cela prouve que le montant de la contribution de solidarité est équitable et proportionné à la capacité de l’entreprise.
Enfin, en ce qui concerne la situation spécifique de la partie requérante, il ne peut être reproché au législateur d’avoir utilisé, lors de l’élaboration d’une norme législative, une base de calcul pour la contribution de solidarité temporaire qui s’applique à des catégories générales de personnes. Le fait que la partie requérante ait engrangé un bénéfice net limité au cours des dernières années, en dépit du très gros chiffre d’affaires qu’elle réalise et de la très grande quantité de produits pétroliers qu’elle commercialise, n’est que la conséquence de la façon dont elle a constitué sa relation commerciale avec les sociétés liées au sein du groupe, et donc des choix que la partie requérante et ces sociétés liées ont faits. Ce point est étranger à la constitutionnalité du régime attaqué.
Le Conseil des ministres souligne enfin que le critère utilisé par le législateur pour le calcul de la contribution de solidarité permet incontestablement de situer l’imposition sur le territoire de la Belgique. Par conséquent, l’État belge ne s’approprie pas, sur la base de la loi du 16 décembre 2022, une compétence fiscale qui appartiendrait à un autre État membre.
En ce qui concerne le quatrième moyen
A.13.1. Dans le quatrième moyen, la partie requérante invoque la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec le règlement (UE) 2022/1854. Dès lors que l’article 4, § 1er, de la loi du 16 décembre 2022 limite le champ d’application de la contribution de solidarité temporaire, d’une part, aux sociétés pétrolières enregistrées qui sont actives dans le secteur du raffinage et qui disposent d’une capacité de raffinage en Belgique, et, d’autre part, aux sociétés pétrolières enregistrées qui, en 2022, ont été définies comme « participants primaires » pour les produits diesel, gasoil et essences, le législateur aurait fait naître plusieurs discriminations.
A.13.2. Dans une première branche, la partie requérante critique la distinction faite entre les entreprises visées à l’article 4, § 1er, de la loi du 16 décembre 2022 et les autres entreprises qui sont actives dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage. La circonstance qu’un secteur serait – en termes de taille relative – moins important que le secteur pétrolier ne saurait justifier le fait que les entreprises actives dans ce secteur soient exonérées de la taxe. Dans la mesure où le législateur fait ensuite valoir que le secteur gazier n’est pas visé « vu l’absence de production de gaz naturel en Belgique », la partie requérante affirme que les sociétés pétrolières visées ne produisent pas non plus de pétrole en Belgique.
Dans son mémoire en réponse, la partie requérante insiste sur le fait que, dans la première branche du premier moyen, elle vise le champ d’application très sélectif de la loi du 16 décembre 2022. Il n’y a aucune raison de traiter différemment les sociétés qui distribuent du gaz naturel et les sociétés qui distribuent des produits pétroliers raffinés. Sans compter que les sociétés définies comme participants primaires pour les produits autres que les produits diesel, gasoil ou essences ne sont pas visées par la loi du 16 décembre 2022, de sorte qu’elles sont privilégiées. La limitation aux participants primaires qui mettent des produits à la consommation a de surcroît pour effet qu’il n’est pas tenu compte de la question de savoir pour le compte de qui ces produits sont mis à la consommation. Il est fait abstraction du fait que la partie requérante se charge des formalités d’accises pour le compte d’autres sociétés et qu’elle ne commercialise donc pas de pétrole avec une marge bénéficiaire. Ces exemples montrent que la manière dont le législateur a délimité le champ d’application n’est pas conciliable avec le principe d’égalité.
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A.13.3. Dans une deuxième branche, la partie requérante critique la différence entre les sociétés pétrolières enregistrées qui ont été définies comme participants primaires en 2022 et les sociétés pétrolières qui n’ont pas été définies comme participants primaires en 2022. Les huit entreprises qui ont été définies comme participants primaires ont en effet uniquement été désignées pour acheter, en cas de crise d’approvisionnement, les stocks gérés par APETRA, afin de pouvoir ensuite approvisionner le consommateur final via leurs réseaux de distribution et moyens logistiques traditionnels. Une telle crise d’approvisionnement n’a pas eu lieu. A fortiori, elle n’a pas non plus abouti à la réalisation des bénéfices excédentaires présumés. En tout état de cause, un « participant primaire »
n’est pas « privilégié », contrairement à ce que le législateur laisse entendre à tort. En effet, l’inscription sur la liste des participants primaires ne repose pas sur la moindre demande ni sur le moindre octroi censés procurer un avantage, mais résulte exclusivement de la sélection opérée par le SPF Économie selon la place de l’entreprise dans la chaîne de distribution. Bien souvent, les participants primaires ne sont pas les distributeurs qui vendent les produits au consommateur final, mais les intermédiaires qui reçoivent exclusivement une indemnité logistique.
A.13.4. Dans une troisième branche, la partie requérante cible l’égalité de traitement entre les sociétés pétrolières enregistrées qui commercialisent des produits du pétrole et les entreprises qui sont actives dans les « secteurs des industries extractives, du raffinage du pétrole ou de la fabrication de produits de cokerie ». Le règlement (UE) 2022/1854 vise pourtant exclusivement cette dernière catégorie. Cela peut s’expliquer par le fait que les « bénéfices excédentaires » qui résultent de l’augmentation des prix du pétrole se situent en premier lieu en début de chaîne (extraction et exploitation). Le fait que les raffineries puissent éventuellement aussi réaliser des bénéfices excédentaires peut également se comprendre, dès lors que celles-ci constituent un maillon indispensable dans la transformation du produit brut en un produit fini. Un négociant en combustibles ne bénéficiera en revanche pas de ces bénéfices excédentaires, précisément parce qu’il doit acheter les produits à un prix beaucoup plus élevé.
La volatilité importante des prix des produits du pétrole constitue par ailleurs un facteur majeur qui peut entraîner des pertes à un moment où les prix sont élevés. Dans la mesure où la loi du 16 décembre 2022 vise indistinctement toutes les sociétés pétrolières, y compris les entreprises qui commercialisent uniquement des produits pétroliers, il est créé une égalité de traitement illicite entre les entreprises précitées, qui exercent pourtant des activités tout à fait différentes. La loi du 16 décembre 2022 déroge ainsi fondamentalement au champ d’application clairement défini du règlement (UE) 2022/1854, de sorte qu’il ne s’agit pas d’une « mesure nationale équivalente ».
A.14.1. Le Conseil des ministres estime que le quatrième moyen, en sa première branche, n’est pas fondé.
En ce qui concerne le secteur du charbon, le règlement (UE) 2022/1854 vise les entreprises qui réalisent la part essentielle de leur chiffre d’affaires à partir soit de l’extraction de charbon ou de lignite, soit de la fabrication de produits de cokerie. L’exclusion du secteur du charbon dans la loi du 16 décembre 2022 se justifie par le fait qu’il n’y a plus de mines de charbon ou de lignite actives en Belgique, et qu’il n’est pas non plus question d’entreprises qui, sur le plan de leur activité économique, sont principalement tournées vers la fabrication de produits de cokerie. La seule entreprise qui fabrique de tels produits en Belgique le fait uniquement pour son propre usage.
En ce qui concerne le secteur du gaz naturel, le règlement (UE) 2022/1854 vise uniquement les entreprises qui sont actives dans l’extraction du gaz naturel. Or, il n’y a pas d’extraction de gaz naturel en Belgique. La partie requérante ne démontre pas que les entreprises qui distribuent du gaz naturel en Belgique ont pu réaliser de très gros bénéfices en raison de la crise de l’énergie et de l’augmentation concomitante des prix du gaz et de l’électricité. Il ne s’avère donc pas que le législateur aurait excédé sa liberté politique en n’imposant pas la contribution de solidarité aux entreprises qui distribuent du gaz naturel. Le législateur a du reste instauré une contribution de solidarité exceptionnelle à charge du gestionnaire du réseau de transport de gaz naturel, sur la base de sa compétence fiscale autonome.
En ce qui concerne le secteur pétrolier, le règlement (UE) 2022/1854 vise non seulement l’extraction de pétrole, mais également son raffinage. La Belgique compte effectivement des sociétés pétrolières qui sont actives dans le secteur du raffinage et qui disposent d’une capacité de raffinage sur son territoire. En ce que la partie requérante laisse entendre que les « autres entreprises » actives dans les secteurs du pétrole brut et du raffinage ne sont pas visées par la contribution de solidarité attaquée, elle omet d’identifier ces « autres entreprises ». Dans cette mesure, cette branche du moyen doit être déclarée irrecevable.
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En ce que, dans son mémoire en réponse, la partie requérante invoque, à titre d’exemples, des différences de traitement qui n’ont pas été invoquées dans la requête, il s’agit, selon le Conseil des ministres, de moyens nouveaux, qui sont irrecevables pour cette raison.
A.14.2. En ce qui concerne la deuxième branche du quatrième moyen, le Conseil des ministres soutient que le choix du législateur de ne soumettre à la contribution de solidarité temporaire que les entreprises pétrolières qui ont été définies comme participants primaires pour 2022 est raisonnablement justifié. Cette désignation comme participant primaire est une indication importante de l’ampleur des activités économiques de l’entreprise concernée, et donc également de sa capacité de contribution. Ces sociétés pétrolières désignées représentent en effet ensemble au moins 90 % du volume total des produits pétroliers mis à la consommation en Belgique. En recourant au critère de la désignation comme participant primaire, le législateur a donc veillé à ce que la charge de la contribution de solidarité imposée par la loi du 16 décembre 2022 repose uniquement sur les sociétés pétrolières qui détiennent une part de marché considérable dans le commerce des combustibles. Il n’est pas manifestement déraisonnable de soumettre ces sociétés à la contribution attaquée.
L’affirmation de la partie requérante selon laquelle les participants primaires ne sont bien souvent pas des distributeurs n’est pas étayée. Cette affirmation est en tout état de cause en contradiction avec la pratique existante selon laquelle la plupart des participants primaires effectuent des livraisons au consommateur final, soit eux-
mêmes, soit par le biais d’une filiale. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un participant primaire ne livrerait pas directement à des consommateurs finaux qu’il ne pourrait pas avoir une importante activité économique ni réaliser des bénéfices considérables, soit en son nom et pour son compte, soit pour le compte d’une société du groupe dont il fait partie. Il est par contre pertinent, pour la délimitation du champ d’application personnel de la loi du 16 décembre 2022, que la partie requérante fasse partie d’un groupe international intégré de sociétés actif aussi bien dans le raffinage de pétrole brut que dans le stockage et la distribution de produits pétroliers, et qu’en tant que participant primaire, elle réalise annuellement un très gros chiffre d’affaires et commercialise annuellement une très grande quantité de produits pétroliers sur le territoire belge.
La désignation comme participant primaire a de surcroît pour conséquence que les intéressés doivent être considérés comme « privilégiés », dès lors que, dans l’hypothèse d’une crise d’approvisionnement en ce qui concerne les produits concernés, ils recevront une offre d’achat en cas de libération des stocks obligatoires détenus par APETRA. Eu égard à leur rôle privilégié dans la chaîne d’approvisionnement en pétrole, il n’est pas déraisonnable d’exiger des participants primaires un certain effort financier sous la forme de la contribution de solidarité attaquée. Il ne s’avère pas que cette contribution produise des effets disproportionnés pour les entreprises concernées.
A.14.3. Selon le Conseil des ministres, le quatrième moyen, en sa troisième branche, est irrecevable, dès lors que la partie requérante n’expose pas suffisamment clairement quelles catégories de personnes font l’objet d’une différence de traitement qui serait discriminatoire.
Dans la mesure où le moyen doit être interprété en ce sens qu’il est pris de la violation du principe d’égalité, lu en combinaison avec le règlement (UE) 2022/1854, en ce que ce règlement offrirait à la partie requérante la garantie qu’elle ne serait pas soumise à une contribution de solidarité, cette branche du moyen repose sur une prémisse erronée. Le règlement (UE) 2022/1854 laisse en effet aux États membres la possibilité d’adopter des mesures nationales équivalentes, ce que le législateur a fait en vertu de sa compétence fiscale autonome au sens de l’article 170, § 1er, de la Constitution. Rien ne s’oppose, par conséquent, à ce que le législateur instaure une contribution de solidarité qui s’applique également aux participants primaires.
En ce qui concerne le cinquième moyen
A.15. Dans le cinquième moyen, la partie requérante invoque la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 30 du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854.
En prévoyant une taxe forfaitaire calculée sur le volume des produits de pétrole importés, la loi du 16 décembre 2022 instaure une taxe d’effet équivalent à un droit de douane à l’importation, ce qui, en vertu de l’article 30 du TFUE, est interdit. La contribution de solidarité temporaire prévue par la loi du 16 décembre 2022
constitue en effet une charge pécuniaire sur le pétrole – à savoir un bien au sens du droit de l’Union –, qui est imposée unilatéralement par la Belgique en raison du franchissement d’une frontière. La simple circonstance que le législateur a prévu un soi-disant mécanisme régulateur ou compensatoire n’y change rien, en ce que la loi du
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16 décembre 2022 a prévu une contribution de solidarité au moins égale au montant des prélèvements à l’importation qui sont dus. De même, le fait que – en réponse à une observation de la section de législation du Conseil d’État – le législateur ait modifié la terminologie et se réfère à présent à la quantité de pétrole « transformé » ou mis à la consommation n’altère pas davantage le constat qu’il s’agit effectivement d’une taxe à l’importation. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice que le contrôle au regard de l’article 30 du TFUE
exige un contrôle factuel, dont il ressort en l’espèce que la taxe frappe les produits pétroliers importés.
À supposer que la Cour doute quant à la question de savoir si la contribution de solidarité attaquée viole ou non l’article 30 du TFUE, il s’indique, selon la partie requérante, de poser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle à cet égard.
A.16.1. Le Conseil des ministres estime que la contribution de solidarité temporaire instaurée par la loi du 16 décembre 2022 n’est pas contraire à l’article 30 du TFUE. Le fait générateur n’est effectivement pas le franchissement de la frontière ou l’importation, mais la quantité de pétrole brut transformé ou la quantité de produits pétroliers transformés mise à la consommation. Par ailleurs, l’imposition concernée est clairement une imposition intérieure qui frappe tant les produits importés que les produits nationaux, qui s’applique selon les mêmes critères et au même stade de la production, et qui s’applique de manière systématique à des catégories de produits, quelle que soit leur origine ou destination. Par conséquent, cette imposition intérieure ne doit pas être contrôlée au regard de l’article 30 du TFUE, mais au regard de l’article 110 du TFUE, qui n’est toutefois pas invoqué par la partie requérante. Ce qui précède vaut également lorsque des produits locaux sont exonérés de l’impôt ou lorsque, dans la pratique, l’impôt s’applique de manière quasiment exclusive aux produits importés parce que la production nationale est fortement limitée, voire inexistante. Comme le confirme également la jurisprudence de la Cour de justice, le fait qu’il n’y ait pas d’extraction de pétrole en Belgique ne change dès lors rien à ce qui précède.
A.16.2. Pour le surplus, le Conseil des ministres fait valoir qu’il n’y a pas non plus violation de l’article 110
du TFUE. La mesure se fonde en effet sur des critères objectifs qui ne prévoient pas une différence de traitement selon que les produits concernés sont fabriqués en Belgique ou à l’étranger. Les critères d’application sont effectivement liés aux quantités de pétrole brut ou de produits qui sont transformés ou mis à la consommation, et non à l’origine belge ou étrangère du produit. La loi du 16 décembre 2022 n’a aucunement pour objectif ou pour effet de protéger toute production locale du produit concerné, dès lors qu’une telle production locale n’existe tout simplement pas.
Même s’il était admis que la mesure fiscale concernée n’est pas fondée sur des critères objectifs sans lien avec l’origine des produits, force est de constater que l’on ne trouve en Belgique aucune production d’un produit analogue au pétrole ni d’un produit concurrent qui soit comparable sur le plan de la production et de la composition et qui serait susceptible d’influencer l’élasticité croisée de la demande.
À l’issue de l’examen global de l’article 110 du TFUE, il est donc clair que, compte tenu de ses caractéristiques intrinsèques, la contribution de solidarité imposée au secteur pétrolier ne saurait avoir un effet discriminatoire ou protecteur.
A.16.3. Eu égard à ce qui précède, il n’est pas nécessaire, selon le Conseil des ministres, que la Cour pose une question préjudicielle à la Cour de justice.
En ce qui concerne le sixième moyen
A.17. Dans le sixième moyen, la partie requérante invoque la violation de l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec le règlement (UE) 2022/1854.
Selon la partie requérante, la contribution de solidarité peut aboutir à une privation de propriété effective, dans la mesure où le législateur ne tient pas compte des bénéfices effectivement réalisés par une entreprise individuelle mais se fonde sur un montant fixe de bénéfices excédentaires irréfragablement présumés qui sont déterminés en fonction des volumes de produits pétroliers transformés ou mis à la consommation. La justification avancée par le législateur selon laquelle il serait très difficile dans la pratique de connaître les bénéfices imposables de telles entreprises ne saurait être admise. En effet, le montant des bénéfices réellement réalisés ressort du rapport financier et des déclarations fiscales des entreprises concernées. La justification précitée est par ailleurs contredite
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dans le texte même de la loi du 16 décembre 2022, en ce que celle-ci prévoit un mécanisme dit de « régularisation ». Même si la Cour devait considérer qu’il est justifié de fixer forfaitairement le montant des bénéfices excédentaires, la mesure est à tout le moins disproportionnée au but poursuivi. La partie requérante, qui met à la consommation une quantité considérable de produits pétroliers, devrait en effet payer une contribution de solidarité annuelle d’environ 19 600 000 euros, bien que ses bénéfices soient faibles, précisément parce que ces bénéfices ne sont pas déterminés par les volumes mis à la consommation. La partie requérante reprend à cet égard les arguments qu’elle a exposés dans le cadre du troisième moyen.
A.18. Le Conseil des ministres fait valoir que la contribution de solidarité attaquée ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens, puisque la contribution poursuit un objectif légitime et peut être raisonnablement justifiée. La contribution de solidarité instaurée par la loi du 16 décembre 2022 n’impose pas une charge excessive aux contribuables et ne porte pas fondamentalement atteinte à leur situation financière. En fixant la contribution de solidarité attaquée sur la base de la quantité de pétrole brut transformé ou sur la base de la quantité de produits pétroliers mise à la consommation, le législateur a ménagé un juste équilibre entre, d’une part, les droits des contribuables concernés et, d’autre part, la nécessité d’établir la base de calcul de la contribution de solidarité pour pouvoir déterminer la contribution due. Le Conseil des ministres renvoie à cet égard à son argumentation relative au troisième moyen, dont il ressort que le montant de la contribution de solidarité attaquée n’a pas été fixé de manière arbitraire et que ce même montant n’impose pas une charge disproportionnée aux entreprises concernées.
En ce qui concerne le septième moyen
A.19.1. Dans le septième moyen, la partie requérante invoque la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre, visée à l’article II.3 du Code de droit économique, avec les articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec les articles 49 et 56
du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854.
Dans la mesure où elle a pour effet que les entreprises visées doivent payer une contribution de solidarité qui dépasse plusieurs fois le montant des bénéfices réels qu’elles peuvent réaliser, la loi du 16 décembre 2022
constituerait une limitation non nécessaire et à tout le moins disproportionnée au but poursuivi de la liberté de commerce et d’industrie. La loi du 16 décembre 2022 a en effet une influence telle sur l’actif net de la partie requérante qu’elle met en péril la continuité de l’entreprise, qui se retrouve contrainte de mener une activité déficitaire. Du fait de l’instauration de la contribution de solidarité, la partie requérante se voit privée de son droit à disposer librement de ses moyens d’exploitation, ce qui affecte également sa position concurrentielle.
Il est vrai que, en vertu du règlement (UE) 2022/1854, le législateur devait prélever une contribution sur les « bénéfices excédentaires réels ». Il n’était cependant nullement besoin de mettre en œuvre le règlement d’une manière qui sape la santé financière d’entreprises robustes. Même si le législateur prévoit une base bénéficiaire forfaitaire, rien ne s’oppose à ce qu’un décompte correct soit effectué par la suite.
A.19.2. Dans son mémoire en réponse, la partie requérante souligne, en ce qui concerne la recevabilité du moyen, que tant la jurisprudence de la Cour que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne reconnaissent que la liberté d’entreprendre est étroitement liée à la liberté professionnelle, au droit de travailler et à la liberté d’entreprise, qui sont garantis par les articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi qu’aux libertés fondamentales garanties par le TFUE, comme la libre prestation des services et la liberté d’établissement.
A.20.1. Le Conseil des ministres fait valoir que le moyen est irrecevable à défaut d’exposé suffisamment clair en ce qu’il est pris de la violation des articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et des articles 49 et 56 du TFUE.
A.20.2. Selon le Conseil des ministres, le moyen n’est pas fondé. Eu égard au large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur en matière fiscale, il est en effet clair que l’intervention du législateur est bien une nécessité concrète pouvant justifier une éventuelle ingérence dans la liberté d’entreprendre. Cette nécessité ressort des travaux préparatoires de la loi du 16 décembre 2022, ainsi que du fait que cette dernière tend à mettre en œuvre une initiative du législateur européen, qui a manifestement estimé qu’il était nécessaire d’instaurer une contribution de solidarité.
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En ce qui concerne l’appréciation du caractère proportionné de la limitation de la liberté d’entreprendre, le Conseil des ministres soutient que cette appréciation doit se faire in abstracto et pas seulement en fonction de la situation subjective de la partie requérante. Le Conseil des ministres renvoie ensuite à sa défense dans le cadre des troisième et sixième moyens, dont il ressort que la contribution de solidarité attaquée n’impose pas une charge disproportionnée aux entreprises contributrices.
En ce qui concerne le huitième moyen
A.21.1. Dans le huitième moyen, la partie requérante invoque la violation des articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 1er du Code civil, avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, avec le principe général de la non-rétroactivité des lois et avec le principe de légalité et de prévisibilité.
Dans la mesure où l’article 5, § 2, de la loi du 16 décembre 2022 instaure une contribution de solidarité due sur les produits qui ont déjà été importés ou mis à la consommation depuis le 1er janvier 2022, la loi du 16 décembre 2022 a un effet rétroactif. Selon la partie requérante, il ne s’agit pas d’un impôt grevant un état permanent par nature, mais d’un impôt par lequel la simple mise à la consommation, importation ou transformation de produits pétroliers conduit à l’exigibilité immédiate d’un prélèvement. Cette qualification est confirmée par le fait que la contribution de solidarité n’est pas acquittée annuellement, mais semestriellement. Il ne s’agit aucunement d’une quelconque avance, dès lors que le montant facturé, après fixation définitive des bénéfices excédentaires effectifs, n’est pas recalculable ni remboursable.
Dans l’exposé des motifs, il n’est nullement expliqué en quoi cette taxation rétroactive serait indispensable pour l’intérêt général. Le but de redistribution poursuivi est un choix purement politique qui, en soi, ne peut en aucun cas être considéré comme indispensable pour l’intérêt général. Ensuite, il ne saurait être renvoyé à l’objectif du règlement (UE) 2022/1854, dès lors que la loi du 16 décembre 2022 n’impose pas les bénéfices excédentaires et que le montant de la contribution de solidarité n’est pas affecté à la prise de mesures concrètes et tournées vers l’avenir, mais à la réduction du déficit budgétaire. Enfin, il ne saurait être renvoyé au risque présumé que les entreprises redevables de la contribution qui sont intégrées dans des entreprises mères ou dans des filiales transfèrent leurs bénéfices. Un tel argument néglige les principes fiscaux internationaux ainsi que l’exigence selon laquelle les entreprises liées doivent fonctionner dans des conditions conformes au marché. En cas de non-respect des règles du jeu, les administrations fiscales nationales peuvent intervenir. D’autre part, cet argument n’est valable que pour autant que les bénéfices effectifs soient imposés, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
A.21.2. En ce qui concerne la recevabilité du moyen, la partie requérante insiste, dans son mémoire en réponse, sur le fait que, lors de l’appréciation du caractère justifié ou non de la rétroactivité, la Cour pourra tenir compte de l’incidence sérieuse du prélèvement sur le patrimoine de la partie requérante. Cela explique le lien avec le droit de propriété. Ensuite, il est évident que la rétroactivité de la loi du 16 décembre 2022 met en péril la prévisibilité. Cette prévisibilité constitue une exigence qualitative à laquelle la législation doit satisfaire, de sorte que le principe de légalité aussi est compromis.
A.22.1. Le Conseil des ministres fait valoir que le moyen est irrecevable en ce qu’il est pris de la violation du droit de propriété, tel qu’il est garanti par l’article 16 de la Constitution et par l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que du principe de légalité. La partie requérante n’expose pas en quoi ces dispositions et ce principe seraient violés.
A.22.2. Quant au fond, le Conseil des ministres affirme que la loi du 16 décembre 2022 n’a pas d’effet rétroactif. La contribution de solidarité attaquée est un impôt direct, qui impose un état permanent par nature ou une série d’opérations qui, prises dans leur ensemble, donnent lieu à un prélèvement périodique. Le montant de cette dette d’impôt n’est définitivement fixé qu’à la fin de la période imposable, c’est-à-dire le 31 décembre 2022
pour la première période imposable (l’année 2022) et le 31 décembre 2023 pour la seconde période imposable (l’année 2023). Ce n’est qu’à ce moment que l’on peut déterminer le volume de pétrole brut qui a été transformé ou le volume de produits pétroliers qui ont été mis à la consommation par les entreprises redevables de la contribution. Ceci est confirmé par l’article 4, § 2, alinéa 3, de la loi du 16 décembre 2022, qui dispose que les montants de la contribution de solidarité sont calculés et dus séparément pour l’année 2022 et pour l’année 2023.
Dès lors que la loi du 16 décembre 2022 est entrée en vigueur le 22 décembre 2022, à savoir avant la clôture de la première période imposable le 31 décembre 2022, elle n’est pas rétroactive.
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Le fait que la contribution de solidarité soit facturée par le SPF Économie chaque semestre de l’année en cours ne change rien à ce qui précède. En effet, cette facture n’est qu’un décompte provisoire sur la base de l’estimation d’un prélèvement qui est calculé et dû par année. Ce décompte provisoire permet au législateur de réaliser le produit de la contribution de solidarité temporaire avec une incidence suffisamment rapide, comme l’exige l’article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) 2022/1854. Le fait qu’il ne s’agisse pas de la fixation définitive de la dette d’impôt résulte également de ce que le législateur a prévu un mécanisme de compensation et de régularisation par lequel le montant de la contribution peut être régularisé lorsque les bénéfices de l’année sont connus.
À titre subsidiaire, pour autant que la contribution de solidarité temporaire pour l’année 2022 doive tout de même être considérée comme rétroactive, le Conseil des ministres affirme que cette rétroactivité peut se justifier par un objectif d’intérêt général, à savoir garantir le caractère abordable de l’énergie. Par ailleurs, sur le plan de l’effet dans le temps, la contribution de solidarité instaurée par la loi du 16 décembre 2022 rejoint complètement le système élaboré par le règlement (UE) 2022/1854. Ce règlement, qui ne date lui-même que du 6 octobre 2022
et qui a été publié au Journal officiel du 7 octobre 2022, permet explicitement aux États membres d’instaurer une contribution de solidarité temporaire pour l’année 2022. Cela confirme que l’effet rétroactif de la loi du 16 décembre 2022 peut se justifier. En outre, le législateur pouvait instaurer la mesure fiscale avec effet rétroactif, afin d’éviter que les entreprises redevables de la contribution, dont de nombreuses sont intégrées dans des entreprises mères ou dans des filiales, transfèrent leurs bénéfices ou les affectent différemment en interne.
A.22.3. À titre infiniment subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que l’annulation ne saurait valoir que dans la mesure où la loi du 16 décembre 2022 s’applique à l’année 2022.
En ce qui concerne le neuvième moyen
A.23.1. Dans le neuvième moyen, la partie requérante invoque la violation des articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 107 du TFUE, en ce que la loi du 16 décembre 2022
instaure une contribution de solidarité temporaire exclusivement pour le secteur pétrolier. L’article 107, paragraphe 1, du TFUE s’opposerait à une telle mesure fiscale qui n’est pas applicable aux secteurs du gaz naturel et du charbon ni à l’ensemble du secteur pétrolier.
A.23.2. En ce qui concerne la recevabilité du moyen, la partie requérante allègue que, dans son arrêt du 26 avril 2018 en cause de Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED) contre Generalitat de Catalunya (CJUE, C-é/16; ECLI:EU:C:2018:280), la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que lorsque le litige porte sur la légalité des règles relatives à un impôt au regard du droit de l’Union, ce qui est le cas dans l’affaire présentement examinée, le débiteur d’un impôt peut invoquer le fait que ces règles sont contraires aux règles en matière d’aides d’État.
A.23.3. Quant au fond, la partie requérante fait valoir que le régime de référence est celui qui est imposé par le règlement (UE) 2022/1854, qui soumet les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage à la contribution de solidarité temporaire. La loi du 16 décembre 2022 déroge à ce régime normal, en ce qu’elle n’instaure pas une contribution de solidarité pour les secteurs du gaz naturel, du charbon et du raffinage. Le législateur a donc différencié des acteurs du marché qui se trouvent dans des situations factuelles et juridiques comparables.
Selon la partie requérante, tous les éléments de l’aide d’État sont présents. Plus précisément, les entreprises exonérées qui sont actives dans les secteurs du gaz naturel, du charbon et du raffinage ont la qualité d’entreprise.
Il est question d’une mesure qui est attribuable à l’État belge. L’exonération est financée au moyen des ressources de l’État : la loi du 16 décembre 2022 entraîne en effet une diminution des recettes de l’État, puisque les entreprises exonérées ne doivent pas payer de contribution de solidarité. La loi du 16 décembre 2022 accorde un avantage aux entreprises exonérées, dès lors que celles-ci ne doivent pas supporter certaines charges économiques qui étaient prévues par le règlement (UE) 2022/1854, et qui grèvent donc normalement le budget de l’entreprise. Enfin, la loi du 16 décembre 2022 confère un avantage sélectif et a une incidence sur la concurrence et les échanges commerciaux entre les États membres. Les entreprises des secteurs du gaz naturel, du charbon et du raffinage bénéficient en effet de l’avantage de ne pas devoir payer de contribution de solidarité. Puisqu’il s’agit de secteurs libéralisés qui se caractérisent, par définition, par un commerce à dimension internationale, il y a (risque de)
distorsion de la concurrence et incidence sur les échanges entre les États membres.
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Dès lors que la loi du 16 décembre 2022 instaure ainsi une mesure d’aide qui n’a pas été notifiée à la Commission européenne, l’article 108, paragraphe 3, du TFUE est violé.
A.24.1. Le Conseil des ministres allègue que le moyen est irrecevable parce que la partie requérante ne pourrait tirer aucun bénéfice de ce moyen s’il était jugé fondé. Il ressort en effet de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 3 mars 2020 en cause de Vodafone Magyarország Mobil Távközlési Zrt. contre Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (CJUE, grande chambre, C-75/18, ECLI:EU:C:2020:139) ainsi que de la communication de la Commission européenne relative à l’application des règles en matière d’aides d’État que la partie requérante ne saurait exciper de ce qu’une mesure d’aide est illégale pour se soustraire au paiement d’un impôt.
Selon le Conseil des ministres, il y a lieu d’opérer une distinction entre la recevabilité d’une action introduite devant le juge national par laquelle la légalité d’une mesure nationale est contestée au regard du droit de l’Union et la recevabilité d’une question posée par une juridiction nationale à la Cour de justice de l’Union européenne au sujet de l’interprétation ou de la validité d’une règle du droit de l’Union. C’est de la première forme d’irrecevabilité qu’il s’agit dans l’affaire présentement examinée, forme pour laquelle la jurisprudence précitée s’applique telle quelle. La jurisprudence citée par la partie requérante concerne la seconde forme d’irrecevabilité et n’est pas applicable en l’espèce.
A.24.2. Quant au fond, le Conseil des ministres souligne d’abord que la partie requérante ne fait pas valoir que la disposition attaquée viole l’obligation de notification préalable à la Commission européenne, prévue à l’article 108, paragraphe 3, du TFUE. Elle conteste seulement la compatibilité de la prétendue aide d’État avec le marché intérieur, ce qui ne relève pas de la compétence de la Cour.
En tout état de cause, la loi du 16 décembre 2022 ne procure pas l’avantage d’une aide sélective. Dans les cas spécifiques tels que celui de la contribution de solidarité temporaire, le cadre de référence pour l’analyse d’un avantage sélectif éventuel est en principe le prélèvement même. Par conséquent, il y a lieu de vérifier si la loi du 16 décembre 2022 déroge au cadre de référence pertinent en ce qu’elle instaure une différence de traitement entre des acteurs du marché qui se trouvent dans des situations factuelles et juridiques comparables, à savoir entre les entreprises du secteur pétrolier qui relèvent du champ d’application de la loi du 16 décembre 2022 et les autres entreprises du même secteur qui sortiraient de ce champ d’application. La partie requérante ne démontre toutefois pas que les autres entreprises du secteur pétrolier sont exonérées de la contribution de solidarité imposée par la loi du 16 décembre 2022. Elle utilise un cadre de référence erroné, qui engloberait également les secteurs du charbon et du gaz. Or, le secteur pétrolier ne se trouve pas dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des secteurs du charbon et du gaz naturel.
Ensuite, la partie requérante ne démontre pas non plus en quoi la mesure fausse ou risque de fausser la concurrence et en quoi elle est susceptible d’influencer les échanges commerciaux entre les États membres, sur la base des effets prévisibles de cette mesure. En tout état de cause, la condition de (menace de) distorsion de la concurrence n’est pas remplie, dès lors que la position concurrentielle de l’entreprise avantagée par rapport aux autres entreprises, concurrentes, ne saurait s’en trouver renforcée. Ainsi qu’il ressort également de la pratique décisionnelle de la Commission européenne, les activités du secteur pétrolier ont en effet lieu sur un marché de produits qui n’est pas le même que celui du marché du gaz naturel ou du charbon. Par ailleurs, la Belgique ne compte aucune entreprise concurrente dans les secteurs du gaz naturel et du charbon qui devrait être soumise à la contribution de solidarité à la lumière des critères du règlement (UE) 2022/1854. Pour les mêmes motifs, il ne saurait y avoir une incidence sur les échanges entre les États membres.
En ce qui concerne le dixième moyen
A.25. Dans le dixième moyen, la partie requérante invoque la violation des articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans la première branche, la partie requérante critique le fait que l’article 7 de la loi du 16 décembre 2022
punit d’une amende d’au moins dix fois le montant éludé le non-paiement, total ou partiel, de la contribution de solidarité temporaire, sans prévoir une distinction selon que le non-paiement est délibéré ou qu’il résulte d’une impossibilité de payer la contribution. Il s’agirait pourtant de situations clairement différentes. La discrimination
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alléguée n’existerait toutefois pas si la disposition attaquée était interprétée en ce sens que la sanction n’est infligée que pour autant qu’il s’agisse d’un dol spécial, comme une intention frauduleuse ou une intention de nuire.
Dans la seconde branche, la partie requérante critique le fait que le législateur a plafonné le montant de la sanction en prévoyant que celle-ci ne peut excéder 20 % du chiffre d’affaires de la société pétrolière enregistrée concernée, alors que le chiffre d’affaires n’est pas un critère pertinent pour ramener la sanction dans des proportions raisonnables, eu égard notamment à l’objectif du législateur qui consiste à frapper les bénéfices excédentaires.
A.26.1. Le Conseil des ministres estime que la première branche du moyen manque en fait. Il ressort du renvoi, dans l’article 7, alinéa 2, de la loi du 16 décembre 2022, au montant « éludé » qu’il est effectivement possible d’interpréter cette disposition en ce sens que la sanction n’est infligée que pour autant qu’il s’agisse d’un dol spécial, comme une intention frauduleuse ou une intention de nuire. Selon la signification habituelle du mot « éluder », cela renvoie à un acte conscient et actif du contribuable, et non à une quelconque erreur. Par ailleurs, le mot « passible » dans la version française du texte français peut être interprété comme la possibilité ou le risque d’être sanctionné, ce qui constitue une indication supplémentaire du fait que l’article 7, alinéa 2, de la loi du 16 décembre 2022 peut être interprété en ce sens que la sanction qu’il contient n’est pas un automatisme.
A.26.2. Selon le Conseil des ministres, le dixième moyen, en sa seconde branche, n’est pas fondé. Dès lors que le législateur a voulu veiller à ce qu’au moins les bénéfices excédentaires visés dans le règlement (UE) 2022/1854 soient soumis à une contribution de solidarité, il n’était pas déraisonnable de choisir le chiffre d’affaires (qui est nécessairement supérieur aux bénéfices) comme plafond pour fixer la hauteur de la sanction. Compte tenu de ce que la sanction vise les contribuables qui ont délibérément éludé le paiement de l’impôt, l’amende potentielle, y compris le plafond appliqué, doit être suffisamment élevée pour garantir que les contribuables respectent leurs obligations et ne soient pas tentés d’éluder la contribution de solidarité.
A.26.3. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres fait valoir que, si la Cour devait considérer que les griefs de la partie requérante sont fondés, l’annulation doit en tout cas rester limitée à l’article 7, alinéa 2, de la loi du 16 décembre 2022, dès lors qu’il s’agit de la seule disposition contre laquelle des griefs sont développés dans le cadre du dixième moyen.
Affaire n° 8030
En ce qui concerne le premier moyen
A.27. La partie requérante prend le premier moyen de la violation de l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et avec le règlement (UE) 2022/1854.
La partie requérante souligne que la loi du 16 décembre 2022 déroge aux règles prévues par le règlement (UE) 2022/1854 en ce qui concerne la base et le taux applicable pour le calcul de la contribution de solidarité. Du fait de cette méthode de calcul différente, dans le cadre de laquelle la contribution n’est pas calculée sur la base des bénéfices excédentaires mais les entreprises sont irréfragablement présumées avoir réalisé des bénéfices excédentaires d’un montant fixe de 6,9 euros par tonne de pétrole brut transformé ou de 7,8 euros par mètre cube de produits mis à la consommation, la contribution de solidarité belge ne peut être considérée comme une « mesure nationale équivalente » au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement (UE) 2022/1854. Cette méthode de calcul différente a en outre pour conséquence que la cotisation de solidarité belge n’est pas soumise à « des règles similaires » et que les mesures nationales ne sont pas efficaces pour générer les recettes visées, mais aussi qu’il est imposé une charge excessive aux sociétés pétrolières concernées. Un tel montant forfaitaire ne reflète en effet pas les bénéfices effectifs des entreprises visées et est par conséquent disproportionné à la lumière de l’objectif qui consiste à capter (uniquement) les bénéfices dits excédentaires.
Ceci est confirmé par la situation financière de la partie requérante, qui, en 2022, n’a tiré aucun avantage de la hausse des prix des matières premières. C’est la conséquence de ce que la partie requérante a dû acheter à un prix plus élevé les volumes de produits pétroliers mis à la consommation, sans pouvoir les vendre au même prix parce que les prix de vente sont fixés par la loi. Selon la partie requérante, le fait que les redevables de la contribution aient encore pu accorder des ristournes sur le tarif maximum n’atteste pas que des bénéfices excédentaires ont été réalisés, mais seulement qu’il règne une forte concurrence entre les acteurs.
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Le fait que le législateur ait prévu un mécanisme de régularisation ne change rien au caractère disproportionné de la contribution de solidarité, dès lors que ce mécanisme ne permet pas le remboursement des contributions payées en trop par rapport au montant calculé conformément au règlement (UE) 2022/1854. Par ailleurs, la simple référence au coût des mesures d’aide ne suffit pas pour démontrer que la contribution de solidarité imposée est raisonnablement justifiée.
Le cas échéant, la partie requérante demande à la Cour de poser à la Cour de justice une question préjudicielle au sujet de la compatibilité de la contribution de solidarité prévue par la loi du 16 décembre 2022 avec le règlement (UE) 2022/1854, compte tenu de l’atteinte au droit de propriété.
A.28. Le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans sa réponse au sixième moyen dans l’affaire n° 7942 (A.18).
Il ajoute que l’on ne saurait déduire une violation du droit de propriété du simple fait que le législateur n’a pas choisi d’appliquer la même assiette ni le même taux que le règlement (UE) 2022/1854. Il s’agit d’un choix d’opportunité du législateur, qui est parfaitement conforme à l’article 14, paragraphe 2 du règlement. L’on ne peut pas non plus critiquer le fait que le mécanisme de régularisation ne fonctionne que dans un sens. La loi du 16 décembre 2022 ne fait ainsi que mettre en œuvre l’exigence du règlement (UE) 2022/1854 selon laquelle les mesures nationales équivalentes doivent générer un produit égal ou supérieur au produit estimé de la contribution de solidarité.
En ce qui concerne le deuxième moyen
A.29.1. Dans le deuxième moyen, la partie requérante invoque la violation, par la loi du 16 décembre 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 172 de la Constitution et avec le règlement (UE) 2022/1854.
La partie requérante conteste la restriction du champ d’application de la loi du 16 décembre 2022 aux deux catégories d’entreprises mentionnées à l’article 4, § 1er, de cette loi. Le critère distinctif n’est pas pertinent au regard de l’objectif poursuivi qui consiste à écrémer les revenus excédentaires. Ce critère entraîne trois discriminations.
A.29.2. Premièrement, la partie requérante vise la distinction qui est opérée entre les entreprises redevables de la contribution et les autres entreprises qui sont actives dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage. Il ne saurait être justifié que les secteurs du charbon et du gaz naturel ne soient pas soumis à la contribution de solidarité temporaire. Il s’agit pourtant de secteurs comparables, puisqu’il peut être admis que ces secteurs aussi ont engrangé des bénéfices excédentaires au cours de la crise énergétique. Ces secteurs sont d’ailleurs visés au niveau européen. Le fait qu’il n’y ait qu’un seul producteur qui produise du coke pour son propre usage ne change rien au fait que ce producteur de coke a lui aussi potentiellement réalisé des bénéfices excédentaires considérables. La distinction opérée entre les raffineries et les autres secteurs de l’énergie produit des effets disproportionnés pour les entreprises visées, lesquelles supportent de ce fait une charge excessive, calculée sur la base d’un montant forfaitaire qui ne reflète pas les bénéfices réalisés, et ce, sans que soit prévu un mécanisme de régularisation en cas de perte.
A.29.3. Deuxièmement, la partie requérante cible la distinction opérée entre les entreprises visées qui ont été définies comme participants primaires en 2022 et les sociétés pétrolières qui n’ont pas été définies comme telles pour cette même année. Il s’agit pourtant d’entreprises comparables, dès lors que ces entreprises sont actives dans le même secteur que celui des sociétés pétrolières enregistrées. Les travaux préparatoires de la loi du 16 décembre 2022 n’indiquent nullement pourquoi les participants primaires sont visés et les autres entreprises pas. Le fait qu’une société pétrolière enregistrée soit désignée comme « participant primaire » est sans lien avec la crise énergétique actuelle et ne prouve pas que cette entreprise a réalisé des bénéfices excédentaires. La distinction opérée entre les sociétés pétrolières enregistrées selon qu’elles ont ou non été définies comme participants primaires produit de surcroît des effets disproportionnés, en ce que les entreprises visées portent de ce fait une charge excessive.
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À titre surabondant, la partie requérante souligne que la loi du 16 décembre 2022 est contraire au règlement (UE) 2022/1854, en ce que les entreprises belges qui relèvent de l’application de ce règlement sont traitées autrement que les entreprises non belges qui n’en relèvent pas.
A.29.4. Troisièmement, la partie requérante cible l’égalité de traitement entre les sociétés pétrolières visées qui sont actives dans le secteur du raffinage et réalisent des bénéfices excédentaires et les sociétés pétrolières visées qui sont actives dans le secteur du raffinage mais ne réalisent pas de bénéfices excédentaires. En ne faisant pas une distinction selon que la société pétrolière concernée a engrangé ou non des bénéfices excédentaires au cours de la crise énergétique en 2022, la contribution de solidarité n’est pas conforme au but visé, à savoir l’écrémage des bénéfices excédentaires.
A.29.5. À titre subsidiaire, la partie requérante demande à la Cour de poser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle au sujet de la compatibilité de la contribution de solidarité prévue par la loi du 16 décembre 2022 avec le règlement (UE) 2022/1854, compte tenu des discriminations précitées.
A.30. Le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans sa réponse aux troisième et quatrième moyens dans l’affaire n° 7942 (A.12 et A.14).
En ce qui concerne le troisième moyen
A.31. Dans le troisième moyen, la partie requérante invoque la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec le principe de la non-rétroactivité des normes, avec le principe de légalité et avec le principe de la sécurité juridique, en ce que la contribution de solidarité instaurée par la loi du 16 décembre 2022 s’applique à des faits générateurs qui se sont déjà réalisés au moment de l’entrée en vigueur de cette loi.
La contribution de solidarité imposée par la loi du 16 décembre 2022 doit être qualifiée d’impôt indirect, en ce qu’elle porte sur un montant par tonne de pétrole brut transformé et par mètre cube de produits mis à la consommation. L’imposition est ainsi la conséquence d’une prestation individualisable, ce qui constitue la caractéristique essentielle d’un impôt indirect. Dans ce cas, l’assujettissement naît lorsque le fait générateur est accompli. Compte tenu de cette qualification d’impôt indirect, la loi du 16 décembre 2022 est rétroactive. Elle est effectivement entrée en vigueur le 22 décembre 2022, alors que la contribution de solidarité est calculée sur la base du pétrole brut déjà importé et des produits pétroliers déjà mis à la consommation et en ce qu’elle s’applique aux exercices d’imposition 2022 et 2023. Le mécanisme de compensation ou de régularisation prévu à l’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022 ne change rien à ce qui précède. Ce mécanisme ne constitue en effet qu’un prélèvement supplémentaire si l’impôt déjà payé s’avère insuffisant. Dès lors que l’impôt ne peut pas être diminué a posteriori, il est bien définitivement dû dès la réception de la facture.
Même à supposer que la Cour juge que la contribution de solidarité doit être qualifiée d’impôt direct, il y aurait lieu de conclure que la loi du 16 décembre 2022 a un effet rétroactif. La contribution de solidarité attaquée porte effectivement sur des faits, des situations ou des opérations qui sont indépendants et auxquels aucune conséquence ultérieure n’avait encore été rattachée au moment où ils ont été commis ou au moment où ils étaient révolus. La loi du 16 décembre 2022 porte en effet sur l’instauration d’un nouvel impôt et pas simplement sur la modification d’un régime d’imposition déjà existant.
L’objectif de redistribution des ressources poursuivi par le législateur est un choix purement politique qui consiste à lutter contre les bénéfices excédentaires considérables et ne saurait nullement être considéré comme « indispensable pour l’intérêt général ». Cette justification vaut d’autant plus que la contribution de solidarité belge n’est pas calculée sur la base des bénéfices excédentaires visés, mais sur la base d’un montant forfaitaire qui est indépendant des bénéfices dits « records ». Enfin, il ne saurait être allégué que le système élaboré dans le règlement (UE) 2022/1854 justifie l’effet rétroactif du prélèvement, dès lors que le législateur belge a délibérément opté pour l’instauration d’un autre type d’impôt par rapport à ce que prescrit le règlement précité.
A.32. Le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans sa réponse au huitième moyen dans l’affaire n° 7942 (A.22.2 et A.22.3).
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Le Conseil des ministres ajoute que la partie requérante ne développe pas de griefs contre l’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022 et contre le mécanisme de régularisation qu’il contient. Si la Cour devait considérer que la loi du 16 décembre 2022 porte atteinte au principe de la non-rétroactivité, l’annulation ne pourrait valoir que pour l’année 2022 et dans la mesure où la loi du 16 décembre 2022 prévoit une méthode de calcul de la contribution de solidarité pour 2022 qui déroge à la méthode prévue par le règlement (UE) 2022/1854. L’éventuel constat selon lequel le caractère rétroactif de l’article 4, § 2, de la loi du 16 décembre 2022 ne saurait être justifié ne change rien au fait que la dette d’impôt qui résulte de l’application du mécanisme de régularisation prévu à l’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022 ne naît qu’après le 22 décembre 2022 et qu’elle n’a donc, par définition, pas été instaurée avec effet rétroactif.
En ce qui concerne les quatrième et cinquième moyens
A.33. Dans le quatrième moyen, la partie requérante invoque la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 28 et 30 du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854.
Selon la partie requérante, la contribution de solidarité, telle qu’elle est élaborée par la loi du 16 décembre 2022, constitue une taxe interdite d’effet équivalent à un droit de douane. Il s’agit en effet d’une charge pécuniaire sur les produits pétroliers qui est imposée de manière unilatérale par la Belgique et qui, dans la mesure où la base imposable est calculée sur le volume importé de produits pétroliers, s’applique en raison du franchissement d’une frontière. Le fait qu’à la suite de l’avis critique de la section de législation du Conseil d’État, le législateur ait remplacé, à l’article 4 de la loi du 16 décembre 2022, le mot « importé » par le mot « transformé » ne change rien à la qualification de la contribution de solidarité en tant que taxe interdite d’effet équivalent. L’article 5, § 2, de la loi du 16 décembre 2022 mentionne qu’il s’agit bien de quantités « importées ». En outre, en Belgique, tout le pétrole transformé est importé, en l’absence d’extraction de pétrole en Belgique.
Selon la partie requérante, la contribution de solidarité ne relève pas d’un système général d’impositions intérieures, mais constitue un impôt totalement indépendant sur la transformation et la mise à la consommation des produits pétroliers, qui ne s’inscrit pas dans le cadre, par exemple, d’une augmentation générale des accises ou de l’instauration d’un impôt général sur divers produits. Le produit de la contribution de solidarité a par ailleurs une finalité particulière et ne contribue pas de manière générale au financement des dépenses de l’État dans tous les secteurs.
Le cas échéant, la partie requérante demande à la Cour de poser à la Cour de justice une question préjudicielle au sujet de la qualification de la contribution de solidarité prévue par la loi du 16 décembre 2022 comme « taxe d’effet équivalent à un droit de douane à l’importation » au sens des articles 28 et 30 du TFUE.
A.34. À titre subsidiaire, la partie requérante invoque, dans un cinquième moyen, la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 110 du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854.
Pour autant que la Cour considère que la contribution de solidarité n’est pas une taxe d’effet équivalent à un droit de douane, cette contribution constitue en tout état de cause un impôt discriminatoire qui a pour but de privilégier les produits nationaux. La contribution n’est en effet prélevée que sur le pétrole, un produit qui est exclusivement importé et qui n’est pas extrait en Belgique, et non sur les autres produits énergétiques qui sont extraits en Belgique. La contribution de solidarité viole ainsi l’article 110, paragraphe 1, du TFUE, dès lors que les impôts (pour autant qu’ils existent) sur les produits nationaux similaires sont calculés différemment, ce qui entraîne une imposition moindre sur ces produits.
En tout état de cause, la contribution de solidarité viole l’article 110, paragraphe 2, du TFUE, étant donné qu’elle affaiblit la position concurrentielle du secteur pétrolier et du pétrole en tant que produit, afin de protéger et de renforcer la position concurrentielle des produits belges concurrents sur le marché (belge).
A.35. Le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans sa réponse au cinquième moyen dans l’affaire n° 7942 (A.16).
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Affaire n° 8036
A.36. Les parties requérantes dans l’affaire n° 8036 demandent l’annulation totale de la loi du 16 décembre 2022. À titre subsidiaire, elles demandent l’annulation, à l’article 4, § 1er, de la loi du 16 décembre 2022, des mots « et des sociétés pétrolières enregistrées définies comme participants primaires pour l’année 2022, conformément à l’arrêté royal du 5 février 2019 pour les produits diesel, gasoil et essences », ainsi que de l’article 4, § 2, alinéa 2, de la même loi, dans son intégralité.
En ce qui concerne le premier moyen
A.37.1. Dans le premier moyen, les parties requérantes invoquent la violation, par l’article 4 de la loi du 16 décembre 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le règlement (UE) 2022/1854, en particulier avec ses articles 2, point 17), 14 et 15, avec l’article 288 du TFUE et avec les principes de la primauté et de l’effectivité du droit de l’Union.
A.37.2. Dans la première branche, les parties requérantes font valoir que le critère de la qualité de société pétrolière enregistrée désignée en 2022 comme participant primaire pour les produits diesel, gasoil et essences n’est pas objectif ni pertinent, qu’il n’est pas conforme à l’article 14 du règlement (UE) 2022/1854 et qu’il entraîne une différence de traitement injustifiée entre les sociétés pétrolières enregistrées, selon qu’elles ont été, en 2022, désignées ou non comme participants primaires pour les produits précités.
La désignation comme participant primaire ne procure aucun privilège particulier à l’entreprise concernée.
La position prétendument avantageuse dépend entièrement d’un évènement hypothétique, à savoir une crise d’approvisionnement nationale et une décision ministérielle d’utiliser temporairement les stocks obligatoires.
Même dans le cas improbable d’une telle crise d’ici le mois de décembre 2023, les participants primaires ne sont pas placés dans une situation particulièrement avantageuse. Dans un tel scénario, le prix de vente des stocks obligatoires est unilatéralement déterminé par APETRA.
En ce qui concerne l’affirmation du législateur selon laquelle les huit participants primaires représentent 90 %
du volume total des produits pétroliers mis à la consommation en Belgique, les parties requérantes formulent trois observations. Premièrement, le législateur n’a fourni aucune justification quant à l’exclusion des sociétés pétrolières responsables des 10 % restants du champ d’application de la loi du 16 décembre 2022. Deuxièmement, la notion de « mise à la consommation » est relative à l’exigibilité des droits d’accises. Ce sont les entrepositaires agréés, comme les parties requérantes, qui sont redevables des droits d’accises lorsqu’ils vendent des produits pétroliers à partir de leur entrepôt fiscal à des revendeurs de combustibles et qu’ils mettent ainsi les produits à la consommation. Or, parmi les plus importants distributeurs de produits pétroliers, plusieurs ne possèdent pas d’entrepôt fiscal. Bien que ces sociétés pétrolières exercent des activités analogues aux activités des parties requérantes et qu’elles représentent même une part de marché plus importante, elles échappent complètement à la contribution de solidarité temporaire, au seul motif qu’elles ne sont pas redevables de droits d’accises. Il en résulte que le critère de la désignation comme participant primaire, qui dépend de la notion de « mise à la consommation »
et donc de la qualité d’ « entrepositaire agréé », n’est pas pertinent. Troisièmement, les parties requérantes soulignent que les participants primaires pour l’année 2022 ont été désignés comme tels sur la base de la quantité de produits mis à la consommation en 2021. Les parties requérantes ajoutent qu’en 2022 elles n’ont mis à la consommation, en ce qui concerne la première partie requérante, que 4 % du produit catégorisé « autres gasoils »
et, en ce qui concerne la seconde partie requérante, 2,34 % des produits catégorisés « autres gasoils » et 4,38 %
des produits « gasoil-diesel moteur ».
Les parties requérantes soulignent ensuite que les sociétés participants primaires, telles les parties requérantes, n’ont pas réalisé de surprofits à la suite de la hausse des prix de l’énergie. Ce ne sont que les sociétés actives dans l’exploration, la production et le raffinage qui ont tiré des bénéfices exceptionnels de la crise de l’énergie. Les distributeurs, eux, ont aussi été touchés par l’augmentation des prix d’achat, et ils sont en outre liés par la marge brute maximale de distribution qui est fixée par contrat-programme. Le fait que tous les participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences soient soumis à une contribution identique par mètre cube de produits mis à la consommation, alors qu’ils sont soumis à des marges brutes maximales de distribution distinctes, confirme qu’il n’existe pas de lien entre la contribution instaurée et les bénéfices excédentaires prétendument réalisés par les redevables de cette contribution.
Enfin, il n’est pas justifié que seuls les participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences relèvent du champ d’application de la loi du 16 décembre 2022, à l’exclusion de la distribution de kérosène et
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d’autres combustibles, dont les prix se sont pourtant également envolés à la suite de la crise énergétique. Le fait que le kérosène ne soit pas vendu directement à des « particuliers » ne saurait justifier cette exclusion.
A.37.3. Dans la deuxième branche du premier moyen, les parties requérantes visent l’égalité de traitement, résultant de l’article 4 de la loi du 16 décembre 2022, entre, d’une part, les sociétés pétrolières enregistrées qui sont actives dans les secteurs du pétrole brut et du raffinage et, d’autre part, les sociétés pétrolières enregistrées qui sont actives dans le secteur de la distribution, alors que le règlement (UE) 2022/1854 dispose que la contribution de solidarité temporaire et, le cas échéant, les mesures nationales équivalentes ne sont, en ce qui concerne l’industrie pétrolière, imposées qu’à la première catégorie. Ce choix fixé au niveau européen est directement lié à l’objectif de prélever les surprofits qui ont été réalisés dans les secteurs des industries extractives.
Comme le précise le considérant 50 du règlement (UE) 2022/1854, les entreprises actives dans l’extraction et le raffinage ont enregistré des bénéfices records pendant la crise énergétique de 2022 et du début de 2023, en ce que leurs coûts n’ont pas changé de manière significative, alors que les prix de vente du pétrole brut et des produits pétroliers raffinés ont fortement augmenté. En revanche, les entreprises actives uniquement dans la distribution ont vu leurs coûts fortement grimper en raison de l’explosion des prix de vente depuis le début de la crise. Du fait que ces distributeurs sont liés par une marge brute maximale de distribution, ils n’ont pu tirer aucun avantage, par le biais de leurs revenus, de la hausse des prix.
Dans leur mémoire en réponse, les parties requérantes ajoutent que la défense du Conseil des ministres, dans laquelle il est renvoyé à la compétence fiscale autonome du législateur, néglige l’article 34 de la Constitution. Les articles 170 et suivants de la Constitution ne permettent en effet pas de déroger à ce qui a fait l’objet d’un transfert aux institutions internationales. Le législateur ne peut donc pas exercer ses compétences fiscales d’une façon qui porte atteinte au champ d’application du règlement (UE) 2022/1854. L’ajout d’une nouvelle catégorie de débiteurs aux entreprises redevables de la contribution de solidarité européenne est contraire aux exigences de mise en œuvre du droit de l’Union.
A.37.4. Dans la troisième branche du premier moyen, les parties requérantes font valoir que l’article 4 de la loi du 16 décembre 2022 fait naître une différence de traitement injustifiée entre les entreprises qui sont soumises à la contribution de solidarité temporaire et les entreprises actives dans les secteurs du charbon et du gaz naturel, qui en sont exonérées. Pourtant, le règlement (UE) 2022/1854 dispose que la contribution de solidarité temporaire et, le cas échéant, les mesures nationales équivalentes soient imposées aux entreprises qui exercent des activités dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage. Le législateur ne pouvait donc pas sélectionner uniquement les secteurs du pétrole brut et du raffinage, mais aurait dû également imposer une contribution de solidarité aux entreprises actives dans la production, la livraison et le stockage de charbon et de gaz naturel.
A.38.1. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, le Conseil des ministres reprend les arguments qu’il a exposés dans le cadre de la deuxième branche du quatrième moyen dans l’affaire n° 7942
(A.14.2).
Le Conseil des ministres ajoute qu’il est possible de déterminer objectivement si une entreprise est désignée ou non comme participant primaire. Les parties requérantes ne contestent pas leur statut de participants primaires et reconnaissent ainsi qu’elles sont responsables d’une part importante du volume total des produits pétroliers mis à la consommation en Belgique. Toutes deux réalisent annuellement un chiffre d’affaires important. Le fait qu’il puisse y avoir d’autres entreprises actives dans le secteur pétrolier qui ont également réalisé des bénéfices exceptionnels mais qui, pour des raisons propres à leurs activités économiques, n’ont pas le statut de participants primaires ne signifie pas que la loi du 16 décembre 2022 n’est pas pertinente.
En ce que les parties requérantes critiquent la procédure de désignation des participants primaires, il suffit de constater que cette procédure n’est pas régie par la loi du 16 décembre 2022. Il est par ailleurs logique que le législateur ait fait référence aux participants primaires pour l’année 2022, dès lors que la liste des participants primaires pour l’année 2023 n’était pas encore établie au moment de l’adoption de la loi du 16 décembre 2022.
Selon le Conseil des ministres, il peut se justifier que la contribution attaquée ne s’applique pas aux participants primaires pour les autres catégories de produits, comme le kérosène et le pétrole lampant. L’exclusion de la catégorie de produits du pétrole lampant peut se justifier par le fait qu’il s’agit de sociétés pétrolières qui mettent à la consommation une quantité négligeable de produits pétroliers. Quant à l’exclusion de la catégorie de produits kérosène, elle peut se justifier par la nature particulière de cette catégorie. Le kérosène est en effet
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principalement utilisé comme carburant pour les avions, et il ne s’agit en principe pas d’un produit pétrolier commercialisé pour des particuliers. En outre, les participants primaires pour le kérosène sont les exploitants d’aéroports, qui n’ont pas accès, ou en tout cas pas dans la même mesure, aux marchés pétroliers et qui n’ont donc pas pu bénéficier des prix élevés. Eu égard aux objectifs de la contribution de solidarité temporaire, ce n’est pas sans justification raisonnable que le législateur a visé uniquement les sociétés pétrolières qui ont réalisé des bénéfices exceptionnels en commercialisant des produits pétroliers livrés directement à des consommateurs finals.
A.38.2. En ce qui concerne la deuxième branche du premier moyen, le Conseil des ministres rappelle que le règlement (UE) 2022/1854 n’affecte pas la possibilité pour les États membres d’adopter des « mesures nationales équivalentes », ce que le législateur belge a fait en vertu de sa compétence fiscale autonome au sens de l’article 170, § 1er, de la Constitution. Il est vrai que le législateur belge doit appliquer le règlement (UE) 2022/1854 en prévoyant une contribution de solidarité temporaire pour les catégories d’entreprises mentionnées à l’article 14 du règlement. C’est ce que le législateur a fait, dès lors qu’il a prévu une contribution pour les sociétés pétrolières enregistrées actives dans le secteur du raffinage et qui disposent d’une capacité de raffinage en Belgique. Le règlement n’interdit nullement aux États membres, lorsqu’ils adoptent une « mesure nationale équivalente », de viser également d’autres catégories d’entreprises, telles les sociétés pétrolières désignées comme participants primaires. Il ne saurait être admis que, pour être conforme au règlement (UE) 2022/1854, une « mesure nationale équivalente » doive avoir un champ d’application personnel identique.
Par ailleurs, le Conseil des ministres soutient qu’il ne découle pas du système de prix maximum et de la marge brute maximale de distribution que les sociétés pétrolières qui sont uniquement actives dans le secteur de la distribution ne pourraient pas bénéficier des hausses des prix de l’énergie. Ceci est confirmé par les comptes annuels de la seconde partie requérante, dans lesquels on peut lire que le chiffre d’affaires a progressé, principalement en raison de l’augmentation du prix des carburants. Il apparaît en outre qu’à la fin de l’année 2022, et donc même lorsque les marchés sont en forte hausse et que les variations de prix sont très volatiles, les négociants étaient encore en mesure d’accorder un multiple du montant de la contribution de solidarité, sous la forme d’une ristourne. Cela montre que le montant de la contribution de solidarité n’est pas disproportionné à la capacité de contribution de l’entreprise.
Le Conseil des ministres souligne enfin que le législateur a tenu compte de la capacité des entreprises redevables, en prenant en considération les différences en termes de bénéfices excédentaires réalisés entre les entreprises opérant en aval ou en amont. Le législateur applique en effet une méthode de calcul différente pour la contribution de solidarité selon qu’il s’agit d’entreprises pétrolières désignées comme participants primaires ou d’entreprises pétrolières actives dans le secteur du raffinage.
A.38.3. Enfin, en ce qui concerne la troisième branche du premier moyen, le Conseil des ministres reprend les arguments qu’il a exposés dans le cadre de la première branche du quatrième moyen dans l’affaire n° 7942
(A.14.1).
Le Conseil des ministres ajoute que, contrairement à ce que les parties requérantes prétendent, le législateur n’a jamais affirmé que le secteur du charbon serait exclu parce que ses activités ou ses bénéfices réalisés sont considérés comme négligeables. Le législateur a simplement constaté que la part relative du charbon dans la consommation énergétique belge était négligeable. Il relève de l’autonomie fiscale du législateur d’étendre le champ d’application de la contribution de solidarité temporaire aux participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences, qui possèdent une part de marché importante sur le marché pétrolier belge, mais pas au secteur du charbon. En ce que les parties requérantes critiquent ce choix, il s’agit d’une simple critique d’opportunité.
En ce qui concerne le deuxième moyen
A.39.1. Dans le deuxième moyen, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10, 11, 16 et 172
de la Constitution, lus en combinaison avec le règlement (UE) 2022/1854, en particulier avec ses articles 14, 15 et 16, avec l’article 288 du TFUE, avec les principes de la primauté et de l’effectivité du droit de l’Union et avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.
A.39.2. Dans la première branche, les parties requérantes allèguent que l’article 4, § 2, de la loi du 16 décembre 2022 porte atteinte aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le règlement (UE) 2022/1854, en particulier avec son article 14, alinéa 2, mais également avec ses articles 14,
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alinéa 1er, 15 et 16, en ce que cette disposition impose une contribution fixe de 6,9 euros par tonne de pétrole brut transformé et de 7,8 euros par mètre cube de produits mis à la consommation. Or, en vertu du règlement (UE) 2022/1854, la contribution de solidarité doit porter sur les bénéfices excédentaires qui ont été réalisés en raison de la crise énergétique. C’est ce qui découle des articles 14, paragraphe 1, et 15 du règlement précité ainsi que de l’économie générale de ce règlement et de l’objectif poursuivi, qui consiste à lutter contre l’augmentation des prix de l’énergie en redistribuant les bénéfices excédentaires réalisés. Il ressort du préambule du règlement que l’imposition des bénéfices excédentaires qui résultent de la crise des prix doit permettre aux entreprises de conserver une partie de la marge bénéficiaire. Seule cette définition de la base imposable permet de garantir la proportionnalité de l’impôt, et donc sa légalité.
Toutefois, la loi du 16 décembre 2022 ne prévoit pas un impôt sur les bénéfices excédentaires, ni même sur l’ensemble des bénéfices imposables, mais elle instaure une contribution fixe par unité de pétrole brut transformé et de produits mis à la consommation. Contrairement à ce que fait valoir le législateur, cette mesure ne constitue pas une « mesure nationale équivalente » au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement (UE) 2022/1854. La mesure attaquée ne satisfait en effet pas aux conditions requises à cet effet. Elle ne poursuit pas le même objectif que le règlement, en ce qu’elle ne vise pas les surprofits. La mesure attaquée n’est de surcroît pas soumise à des règles similaires à celles qui sont applicables à la contribution de solidarité européenne, en ce que la loi du 16 décembre 2022 prévoit un champ d’application personnel différent, une méthode de calcul différente et l’application d’un taux différent. Enfin, la contribution attaquée ne génère pas un produit comparable à celui de la contribution imposée par le règlement (UE) 2022/1854, en ce que le législateur n’a pas prévu de mécanisme de correction pour une entreprise qui n’a pas réalisé de surprofits et qui, conformément aux articles 15 et 16 du règlement, ne devait donc pas être imposée.
En tout état de cause, le législateur ne démontre pas que sa méthode de prélèvement est pertinente et proportionnée à l’objectif poursuivi, qui consiste à redistribuer les surprofits réalisés dans le secteur de l’énergie.
Ainsi, la disposition attaquée porte une atteinte discriminatoire aux intérêts des entreprises qui, telles les parties requérantes, sont soumises à un impôt calculé selon une méthode de calcul qui n’est pas conforme au droit européen.
En ce que le législateur justifie le régime dérogatoire de la loi du 16 décembre 2022 par des difficultés à mettre en œuvre le règlement (UE) 2022/1854, les parties requérantes renvoient au considérant 66 du règlement, qui dispose que, le cas échéant, l’État membre doit consulter la Commission européenne conformément à l’article 4
du TFUE. Ce défaut de consultation de la Commission européenne viole le principe de coopération loyale auquel l’État belge est soumis.
À titre subsidiaire, les parties requérantes invitent la Cour à demander à la Cour de justice de l’Union européenne si le règlement (UE) 2022/1854 doit être interprété en ce sens qu’il autorise les États membres à instaurer un prélèvement fixe sur les quantités de pétrole brut transformé par les sociétés pétrolières enregistrées actives dans le secteur du raffinage et disposant d’une capacité de raffinage en Belgique ainsi que sur les produits pétroliers mis à la consommation par les sociétés pétrolières enregistrées.
A.39.3. Dans la seconde branche, les parties requérantes font valoir que la loi du 16 décembre 2022 viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 16 de la Constitution et avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’elle soumet certains redevables de la contribution de solidarité temporaire, telles les parties requérantes, à un impôt disproportionné et discriminatoire. Outre le fait que l’impôt attaqué ne vise pas les surprofits, il ne prend pas non plus en compte les bénéfices réels réalisés par les débiteurs de l’impôt. Les parties requérantes soulignent à cet égard que le mécanisme de régularisation prévu par la loi du 16 décembre 2022 ne permet pas de compenser les contribuables qui auraient versé une contribution (beaucoup) trop élevée par rapport à leurs bénéfices. Il ne saurait être invoqué que le mécanisme de régularisation met en œuvre une obligation imposée par le règlement (UE) 2022/1854, en ce que ce mécanisme s’applique à des sociétés qui ne relèvent pas du champ d’application de ce règlement et en ce que la contribution est calculée selon une méthode qui n’est pas conforme audit règlement.
Une contribution de 7,8 euros par mètre cube de produits mis à la consommation revient à un montant qui équivaut à près de 80 % de la marge brute de la première partie requérante et à 50 % de la marge brute de la seconde partie requérante. La thèse du législateur selon laquelle la contribution ainsi calculée ne représente qu’un faible pourcentage du prix du produit n’a aucun sens, compte tenu du fait que les marges bénéficiaires des distributeurs sont fixées par contrat-programme, indépendamment de l’évolution des prix du pétrole. En ce que le
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législateur affirme que la contribution ne représente qu’une petite partie de la marge brute de distribution, les parties requérantes soulignent que la marge prise en compte ne porte pas seulement sur la mise à la consommation des produits pour lesquels les parties requérantes ont été définies comme participants primaires, mais également sur d’autres activités (comme la location d’espaces de stockage) qui ne sont pas visées par la loi du 16 décembre 2022 et qui ne relèvent pas du champ d’application du règlement (UE) 2022/1854. Cette marge brute ne tient en outre pas compte des frais et des charges qu’ont les parties requérantes.
Les parties requérantes concluent que la privation de liberté à l’égard d’une catégorie de sociétés pétrolières n’est pas raisonnablement justifiée ni proportionnée à l’objectif poursuivi par le législateur, à savoir redistribuer les surprofits enregistrés, à la suite de la crise énergétique, conformément au règlement (UE) 2022/1854.
A.40. Le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans le cadre des troisième et sixième moyens dans l’affaire n° 7942 (A.12.2 et A.18).
En ce qui concerne la première branche du deuxième moyen, le Conseil des ministres ajoute que, puisque la loi du 16 décembre 2022 met correctement en œuvre le règlement (UE) 2022/1854, il n’y avait aucune raison de consulter la Commission européenne.
En ce qui concerne la seconde branche du deuxième moyen, le Conseil des ministres souligne qu’il ressort des derniers états financiers des parties requérantes qu’elles conservent une marge bénéficiaire substantielle pour l’année 2022, même après la perception de l’impôt attaqué. Pour les deux parties requérantes, le bénéfice après impôt est presque trois fois plus élevé que le montant de la contribution de solidarité due pour 2022. Cela confirme qu’il ne s’agit nullement pour les redevables de la contribution d’une charge disproportionnée qui porterait atteinte à leur droit de propriété.
En ce qui concerne le troisième moyen
A.41. Dans le troisième moyen, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le règlement (UE) 2022/1854, en particulier ses articles 14 et 15, avec les principes de la non-rétroactivité et de la sécurité juridique, avec l’article 288 du TFUE et avec les principes de la primauté et de l’effectivité du droit de l’Union.
La loi du 16 décembre 2022 instaure un impôt indirect, en ce que la contribution de solidarité temporaire à charge du secteur pétrolier s’applique sur l’importation de pétrole brut et sur la mise à la consommation de produits pétroliers. L’importation et la mise à la consommation sont en effet des opérations ponctuelles et isolées, qui n’ont pas de caractère continu ou permanent. Le fait que l’impôt porte sur des transactions qui sont répétées et doivent faire l’objet d’une seule facturation pour une période donnée ne remet pas en cause son caractère indirect.
Ainsi, pour les produits pétroliers qui ont été importés ou mis à la consommation avant l’entrée en vigueur, le 22 décembre 2022, de la loi du 16 décembre 2022, cette dernière instaure un prélèvement rétroactif sur des transactions déjà clôturées. En ce qui concerne cet effet rétroactif, le législateur ne peut invoquer le règlement (UE) 2022/1854, puisque la contribution instaurée par ce règlement constitue un impôt direct, applicable sur les bénéfices imposables de ses débiteurs pour les exercices fiscaux 2022 et 2023. Le règlement ne reconnaît donc aucun effet rétroactif à cet impôt. En instaurant, par la loi du 16 décembre 2022, un impôt indirect qui s’applique de manière rétroactive à l’importation et à la mise à la consommation, le législateur belge a violé les articles 14 et 15 du règlement (UE) 2022/1854.
Le législateur n’a invoqué aucun objectif spécifique d’intérêt général susceptible de justifier l’instauration d’un impôt avec effet rétroactif, qui viole les articles 14 et 15 du règlement (UE) 2022/1854. En ce que le Conseil des ministres renvoie, comme justification, à l’objectif du règlement (UE) 2022/1854 consistant à soutenir les personnes qui subissent la hausse des prix en raison de la crise énergétique, il convient de souligner que, pour atteindre cet objectif, le législateur européen a instauré un impôt sur les revenus des exercices fiscaux 2022 et 2023, sans effet rétroactif. L’on n’aperçoit donc pas quel motif d’intérêt général rend indispensable la dénaturation de la contribution de solidarité en un impôt indirect ayant une portée rétroactive. Le risque de réaffectation des bénéfices en interne qu’invoque le Conseil des ministres constitue une présomption de mauvaise foi non étayée,
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qui, en tout état de cause, ne concerne pas les sociétés débitrices de la contribution qui sont intégralement belges, comme les parties requérantes. Par conséquent, l’effet rétroactif de la loi du 16 décembre 2022 est injustifié.
A.42. Le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans sa réponse au huitième moyen dans l’affaire n° 7942 (A.22.2 et A.22.3) et dans sa réponse au troisième moyen dans l’affaire n° 8030 (A.32).
Affaire n° 8040
En ce qui concerne le premier moyen
A.43.1. Dans le premier moyen, la partie requérante invoque la violation, par la loi, attaquée, du 16 décembre 2022, des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec le règlement (UE) 2022/1854.
A.43.2. Dans la première branche du premier moyen, la partie requérante vise l’application de la loi du 16 décembre 2022 aux distributeurs de produits pétroliers raffinés. Or, le règlement (UE) 2022/1854 ne vise que les secteurs de l’extraction et du raffinage de pétrole. Dès lors que ces secteurs se trouvent au début de la chaîne de valeur, ils bénéficient pleinement de la hausse des prix du pétrole. Ce n’est pas le cas des distributeurs de produits pétroliers raffinés, qui achètent leurs produits auprès des raffineries à un prix conforme au marché (le prix « ex-raffinerie »). Le prix du pétrole ayant augmenté, les distributeurs de produits pétroliers raffinés paient ce prix plus élevé aux raffineries. En raison du contrat-programme conclu entre l’État belge et la Fédération belge Energia, les distributeurs de produits pétroliers raffinés sont liés par une marge brute maximale de distribution. Cette marge est un montant fixe par litre de pétrole. La marge bénéficiaire de la partie requérante est donc limitée à cette marge brute maximale de distribution sur le prix « ex-raffinerie » qui, lui, a déjà augmenté, de sorte qu’il ne saurait y avoir de surprofits en conséquence de la hausse du prix du pétrole. C’est d’autant plus vrai que l’augmentation du prix « ex-raffinerie » n’est pas reflétée dans la marge brute maximale de distribution et qu’elle n’est reflétée dans le prix maximum qu’après un certain temps. Le fait que les distributeurs aient la possibilité d’accorder des remises sur les prix maximum des produits pétroliers en Belgique ne change rien à ce qui précède.
L’objectif légitime du règlement (UE) 2022/1854 consiste pourtant à capter les bénéfices excédentaires qui ont été réalisés dans les secteurs de l’extraction et du raffinage à la suite des circonstances exceptionnelles et de la hausse concomitante des prix des produits, en vue de leur redistribution. Ainsi, l’élargissement, par la loi du 16 décembre 2022, du champ d’application de la contribution de solidarité temporaire au secteur de la distribution ne poursuit pas un objectif légitime.
À titre subsidiaire, si la Cour devait estimer que la loi du 16 décembre 2022 poursuit un objectif légitime qui rejoint les finalités énumérées à l’article 17 du règlement (UE) 2022/1854 et à l’article 4, § 4, de la loi du 16 décembre 2022, la partie requérante souligne que cet objectif légitime n’est pas décrit de manière suffisamment précise. La loi du 16 décembre 2022 ne vise en effet pas à utiliser le produit généré pour toutes les finalités qui sont obligatoirement imposées par l’article 17 dudit règlement. De plus, l’objectif décrit à l’article 4, § 4, de la loi du 16 décembre 2022 n’est pas « clairement défini, transparent et vérifiable », comme l’article 17, alinéa 2, du règlement le requiert. C’est ainsi que l’exposé des motifs indique que le produit de la contribution de solidarité temporaire sera utilisé pour financer des chèques mazout et des chèques pellets, alors que la législation par laquelle ces primes ont été instaurées dispose explicitement que le financement de ces primes doit être supporté par le budget de l’État.
Par ailleurs, l’extension du champ d’application de la contribution de solidarité temporaire au secteur de la distribution n’est pas pertinente, compte tenu du fait que, en raison de la marge brute maximale de distribution, la hausse du prix du pétrole n’a aucune incidence sur les marges bénéficiaires des distributeurs de produits pétroliers raffinés. Du fait que la loi du 16 décembre 2022 fait naître des présomptions irréfragables quant à la réalisation de bénéfices excédentaires sur lesquels la contribution de solidarité temporaire est due – y compris pour les distributeurs de produits pétroliers raffinés –, il n’existe pas de lien entre la base imposable et les « bénéfices excédentaires » effectivement réalisés. Partant, le mécanisme prévu par la loi du 16 décembre 2022 n’est pas comparable à celui que prévoit le règlement précité et il n’est pas pertinent. La justification avancée par le législateur, à savoir le souci de prévoir une perception plus rapide et de prévenir le risque de réaffectation des bénéfices au sein des groupes multinationaux, ne saurait être admise. En effet, le règlement n’interdit pas que des
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paiements intermédiaires soient déjà effectués sur la base des chiffres financiers provisoires. Il existe en outre une kyrielle de règles fiscales qui ont pour but d’éviter que des bénéfices puissent être simplement transférés au sein d’un même groupe.
Enfin, la loi du 16 décembre 2022 est disproportionnée, en ce que le mécanisme de régularisation qu’elle prévoit n’est susceptible de donner lieu qu’à un paiement supplémentaire et non à un remboursement. Il n’y a ainsi aucune garantie que les entreprises ne seront pas inutilement empêchées d’utiliser leurs bénéfices excédentaires pour effectuer des investissements futurs ou pour assurer leur viabilité.
A.43.3. Dans la deuxième branche du premier moyen, la partie requérante vise la différence de traitement entre les sociétés pétrolières enregistrées selon qu’elles ont été désignées ou non comme participants primaires en 2022 pour la distribution de produits diesel, gasoil et essences.
La loi du 16 décembre 2022 fait naître une différence de traitement entre ces catégories de personnes comparables, en ce que seuls les participants primaires sont redevables de la contribution de solidarité temporaire, sans qu’existe une justification raisonnable à cet égard. Le fait que les participants primaires seraient privilégiés lors de la libération des stocks stratégiques de pétrole en cas de crise d’approvisionnement est étranger à l’objectif de la loi du 16 décembre 2022, à savoir écrémer les bénéfices excédentaires au sein du secteur pétrolier, en vue de les redistribuer. Par ailleurs, les participants primaires ne sont aucunement privilégiés, dès lors que ce statut leur est imposé et qu’il entraîne de nombreuses obligations administratives, sans procurer le moindre avantage financier. Le législateur ne démontre pas que les participants primaires ont bénéficié de bénéfices exceptionnels.
Par conséquent, le critère de distinction ne poursuit pas un but légitime.
Le critère de distinction n’est pas non plus objectif, dès lors que l’inscription sur la liste des participants primaires dépend de la décision discrétionnaire du SPF Économie. Le fait que l’exposé des motifs de la loi du 16 décembre 2022 mentionne huit entreprises qui relèvent du champ d’application de la loi du 16 décembre 2022, alors qu’il y en aurait en réalité neuf, le confirme.
Pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés dans le cadre de la première branche du moyen, le critère de distinction n’est pas pertinent. La partie requérante y ajoute encore quatre éléments. Premièrement, la qualification en tant que participant primaire dépend des quantités de produits mis à la consommation en Belgique, ce qui ne constitue qu’une opération purement administrative relative aux obligations en matière d’accises. Par conséquent, les entreprises qui ne font qu’assurer les obligations administratives en matière d’accises pour de grandes entreprises de distribution pourraient être qualifiées de participants primaires et, le cas échéant, être redevables de la contribution de solidarité temporaire sur des bénéfices excédentaires qui n’ont pas été réalisés.
Deuxièmement, il est question d’une différence de traitement entre les distributeurs qui sont soumis aux prix maximum et à la marge brute maximale de distribution du contrat-programme, selon qu’elles sont désignées ou non comme participants primaires pour l’année 2022 pour les produits diesel, gasoil ou essences et qu’elles sont donc soumises ou non à la contribution de solidarité temporaire. Alors que les participants primaires ne sont pas libres de fixer leurs prix, étant donné qu’ils ne peuvent pas répercuter la contribution de solidarité temporaire, les autres distributeurs, eux, peuvent librement déterminer leurs prix. Troisièmement, il n’y a aucune raison que les sociétés pétrolières enregistrées qui ne remplissent pas les critères pour être désignées comme participants primaires pour l’année 2022 pour les produits diesel, gasoil ou essences ne réalisent pas des bénéfices excédentaires. Quatrièmement, le législateur a excédé la liberté politique, accordée à la Belgique, de mettre en œuvre le règlement dans l’ordre juridique national.
Enfin, pour les mêmes motifs que ceux qui ont été exposés dans le cadre de la première branche du moyen, le critère de distinction est manifestement déraisonnable.
A.43.4. Dans la troisième branche du premier moyen, la partie requérante fait valoir que le critère des « participants primaires » est totalement étranger à l’économie de la loi du 16 décembre 2022. La partie requérante reprend à cet égard l’argumentaire qu’elle a exposé dans la deuxième branche du premier moyen. Elle ajoute que le champ d’application personnel de la loi du 16 décembre 2022 se limite aux participants primaires qui, en 2022, ont été désignés pour les produits diesel, gasoil et essences, alors que des participants primaires ont également été définis pour d’autres produits (par exemple le pétrole lampant ou le kérosène). La loi du 16 décembre 2022 fait ainsi naître une différence de traitement au sein de la catégorie des participants primaires pour l’année 2022. Or, il n’apparaît pas que d’autres prémisses économiques que celles que le législateur a utilisées pour les participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences s’appliqueraient aux participants primaires pour ces autres produits, et donc que ces derniers n’auraient pas enregistré des bénéfices excédentaires. Le critère de distinction n’est dès lors pas pertinent.
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A.44. Le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans sa réponse aux troisième et quatrième moyens dans l’affaire n° 7942 (A.12 et A.14).
Le Conseil des ministres ajoute que, si les travaux préparatoires mentionnent huit participants primaires alors qu’il y en a en réalité neuf, c’est simplement parce que l’une de ces entreprises est soumise à la contribution de solidarité à la fois comme raffinerie et comme participant primaire. Cela n’enlève rien au fait que le critère de distinction est objectif, dès lors que la désignation comme participant primaire découle directement de l’article 12, § 1er, alinéa 2, de l’arrêté royal du 5 février 2019.
L’affirmation de la partie requérante selon laquelle elle ne pourrait pas enregistrer des bénéfices exceptionnels compte tenu de l’existence de la marge brute maximale de distribution ne saurait être confrontée à la réalité, faute de données financières relatives à la partie requérante pour la période concernée. Quoi qu’il en soit, cette affirmation est contredite par les comptes annuels de deux autres participants primaires, dont il ressort que les participants primaires ont bel et bien pu profiter de l’augmentation des prix provoquée par la crise. Par ailleurs, il convient de nuancer l’affirmation selon laquelle les distributeurs aussi doivent acheter les produits pétroliers à un prix de marché élevé. Certains distributeurs sont en effet totalement intégrés dans la chaîne de production et de distribution, ce qui signifie qu’ils sont actifs non seulement dans l’extraction et le raffinage de produits pétroliers, mais également dans la livraison de produits pétroliers finis à des consommateurs finals. Il n’est nullement exclu que de telles entreprises puissent acheter des produits pétroliers à des prix plus faibles que les cotations internationales (plus élevées).
Le Conseil des ministres souligne que le législateur a tenu compte de la capacité des entreprises redevables, en prenant en considération les différences en termes de bénéfices excédentaires réalisés entre les entreprises opérant en aval ou en amont. Le législateur applique en effet une méthode de calcul différente pour la contribution de solidarité selon qu’il s’agit d’entreprises pétrolières désignées comme participants primaires ou d’entreprises pétrolières actives dans le secteur du raffinage. Cela démontre qu’il y a bien un rapport raisonnable entre les bénéfices records visés et la base de calcul de la contribution de solidarité belge.
Selon le Conseil des ministres, l’exclusion de la catégorie de produits gasoil peut se justifier par le fait qu’il s’agit de sociétés pétrolières qui mettent à la consommation une quantité négligeable de produits pétroliers. Quant à l’exclusion de la catégorie de produits kérosène, le Conseil des ministres reprend en substance l’argument qu’il a exposé dans sa réponse au premier moyen dans l’affaire n° 8036 (A.38.1).
En ce que la partie requérante fait valoir que le mécanisme de régularisation prévu par la loi du 16 décembre 2022 ne fonctionne que dans un sens, le Conseil des ministres souligne que le règlement (UE) 2022/1854 ne s’y oppose aucunement. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres demande à la Cour, si celle-ci devait considérer que la contribution de solidarité attaquée revêt un caractère manifestement déraisonnable parce que le mécanisme de régularisation visé à l’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022 ne fonctionne que dans un sens, de limiter l’annulation à l’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022, dans la mesure où cette disposition ne prévoit pas de correction lorsque la contribution de solidarité due sur la base de la loi du 16 décembre 2022 est supérieure au produit obtenu conformément au règlement (UE) 2022/1854.
En ce qui concerne le deuxième moyen
A.45. Dans le deuxième moyen, la partie requérante invoque la violation, par la loi du 16 décembre 2022, des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 122, paragraphe 1, du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854.
La partie requérante allègue que, puisque la loi, attaquée, du 16 décembre 2022 se fonde sur le règlement (UE) 2022/1854, la raison d’existence de la loi du 16 décembre 2022 est indissociablement liée à la validité du règlement. Le renvoi littéral aux dispositions concernées du règlement, pour l’application du mécanisme de régularisation, le confirme. Ce règlement a été adopté en vertu de l’article 122, paragraphe 1, du TFUE. Cette disposition n’est toutefois pas applicable à la situation actuelle, dès lors que l’instauration d’une contribution de solidarité n’a pas pour but de solutionner un problème d’approvisionnement énergétique. Dès lors que la contribution de solidarité prévue par le règlement a la nature d’un impôt direct, l’article 115 du TFUE est le seul fondement juridique correct.
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A.46. Le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans sa réponse au premier moyen dans l’affaire n° 7942 (A.7).
En ce qui concerne le troisième moyen
A.47.1. La partie requérante prend un troisième moyen de la violation des articles 38, 39, 128 et 143, § 1er, de la Constitution ainsi que de l’article 5, § 1er, II, de l’article 6, § 1er, VI, VII et IX, et § 3, 2° et 3°, et de l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980, lus en combinaison avec le règlement (UE) 2022/1854.
A.47.2. La partie requérante souligne qu’en vertu du règlement (UE) 2022/1854, le produit de la contribution de solidarité temporaire doit être utilisé à des fins pour lesquelles les communautés et les régions sont compétentes.
Or, le législateur fédéral a intégralement affecté le produit au budget de l’État, et ce, d’une façon qui n’est ni clairement définie, ni transparente, ni vérifiable. Il s’ensuit que le flou total règne quant à la manière dont le produit généré sera réellement utilisé. Même s’il était conclu que la loi du 16 décembre 2022 garantit une utilisation effective du produit au sens du règlement, il y a encore lieu de constater qu’il n’existe aucune garantie quant au fait que le produit sera utilisé pour toutes les fins prévues à l’article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) 2022/1854. Par conséquent, l’affectation du produit est défaillante.
En raison de cette affectation défaillante du produit de la contribution de solidarité temporaire au budget de l’État, les communautés et les régions se voient privées du droit d’utiliser ce produit pour les compétences qui leur ont été attribuées. Les règles, précitées, de répartition des compétences sont donc violées.
A.47.3. Dès lors que la contribution de solidarité temporaire constitue une mesure qui s’inscrit dans le cadre de la politique énergétique (nationale), une concertation en vertu de l’article 6, § 3, 2° et 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980 devait au moins avoir lieu, ce qui n’a pas été le cas. Compte tenu de la profonde imbrication des compétences dans cette matière, plus précisément en ce qui concerne les compétences des communautés en matière d’aide aux personnes et les compétences des régions en matière d’économie, de politique énergétique et de politique de l’emploi, un accord de coopération aurait également dû être conclu entre l’autorité fédérale, les communautés et les régions, mais cela n’a pas été le cas non plus. Partant, les dispositions invoquées au moyen sont violées.
A.48. Le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans sa réponse au deuxième moyen dans l’affaire n° 7942 (A.10).
Il ajoute que l’affectation intégrale du produit au budget de l’État ne change rien à l’objectif mentionné à l’article 4, § 4, de la loi du 16 décembre 2022. Cette dernière ne fait à cet égard que confirmer le principe d’universalité, contenu dans l’article 174, alinéa 2, de la Constitution, qui entraîne, notamment, l’interdiction de réserver certaines recettes à certaines dépenses.
En ce qui concerne le quatrième moyen
A.49. La partie requérante prend un quatrième moyen de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre au sens de l’article II.3 du Code de droit économique, avec les articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec les articles 49 et 56 du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854.
La loi du 16 décembre 2022 a pour effet que les entreprises assujetties sont redevables d’une contribution de solidarité temporaire qui constitue un multiple des bénéfices (excédentaires) qu’elles réalisent réellement. Cette contribution peut aboutir à une limitation de la liberté de commerce et d’industrie, en ce qu’elle empêche la partie requérante d’investir les bénéfices réalisés dans de nouveaux projets (durables). Cette limitation de la liberté d’entreprendre n’était pas nécessaire. En effet, le législateur aurait aussi pu prélever la contribution sur les bénéfices excédentaires réels, conformément au règlement (UE) 2022/1854 et à l’instar de l’Allemagne, de la France et des Pays-Bas.
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A.50. Le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans sa réponse au septième moyen dans l’affaire n° 7942 (A.20).
En ce qui concerne le cinquième moyen
A.51. Dans le cinquième moyen, la partie requérante invoque la violation des articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec le règlement (UE) 2022/1854.
Selon la partie requérante, la loi du 16 décembre 2022 peut aboutir à une privation de propriété effective, parce que le législateur ne tient pas compte des bénéfices effectivement réalisés par entreprise individuelle, mais se fonde sur un montant fixe de bénéfices excédentaires irréfragablement présumés. La partie requérante renvoie à cet égard à son exposé dans le cadre du premier moyen. Le droit de propriété est violé lorsque l’ensemble des bénéfices excédentaires est écrémé. Il est à tout le moins exclu que, sous l’effet de la loi du 16 décembre 2022, les bénéfices réguliers soient également écrémés jusqu’à plus de 100 %. En tout état de cause, la loi du 16 décembre 2022 ne prévoit pas de mécanisme pour éviter de tels scénarios disproportionnés.
De plus, la loi du 16 décembre 2022 prévoit des sanctions disproportionnées, en ce que, en vertu de l’article 7, le non-paiement en tout ou en partie de la contribution de solidarité temporaire est puni d’une amende au moins égale au décuple du montant éludé. Une sanction à ce point sévère, qui constitue une violation significative du droit de propriété, ne saurait être proportionnée que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsqu’il s’agit d’un dol spécial. La loi du 16 décembre 2022 ne fait toutefois aucune distinction entre, d’une part, les situations dans lesquelles le non-paiement est délibéré et, d’autre part, les situations dans lesquelles le non-
paiement résulte d’une impossibilité de payer la contribution. Certes, le législateur a plafonné le montant de la sanction en prévoyant que celle-ci ne peut excéder 20 % du chiffre d’affaires de la société pétrolière enregistrée concernée. Pour autant, le critère du chiffre d’affaires ne constitue pas un critère pertinent permettant de ramener la sanction à des proportions raisonnables, précisément parce que l’objectif du législateur était de prélever les bénéfices excédentaires.
A.52. Le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans sa réponse au sixième moyen dans l’affaire n° 7942 (A.18) et au premier moyen dans l’affaire n° 8030 (A.28).
Il ajoute à cet égard qu’il n’est pas question d’une expropriation ou d’une privation de propriété, mais d’un régime relatif à l’usage des biens autorisé et conforme à l’intérêt général.
En ce qui concerne les sanctions que la loi du 16 décembre 2022 prévoit en cas de non-paiement de la contribution de solidarité, le Conseil des ministres souligne que le principe d’effectivité exige que, en l’absence de mesures coercitives harmonisées fixées par le droit de l’Union, les mesures coercitives nationales doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. La sanction pour non-paiement prévue par la loi du 16 décembre 2022
équivaut au décuple du montant éludé, ce qui garantit le caractère dissuasif de la sanction. Dans le même temps, cette sanction est proportionnée, en ce que la loi du 16 décembre 2022 dispose qu’elle ne peut excéder 20 % du chiffre d’affaires de la société pétrolière enregistrée concernée.
En ce qui concerne le sixième moyen
A.53.1. La partie requérante prend un sixième moyen de la violation des articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 1er du Code civil, avec le principe général de la non-
rétroactivité des lois et avec le principe de légalité et de prévisibilité, en ce que l’article 5, § 2, de la loi du 16 décembre 2022 instaure une contribution de solidarité sur les produits pétroliers qui ont déjà été mis à la consommation à partir du 1er janvier 2022.
Selon la partie requérante, la contribution de solidarité instaurée par la loi du 16 décembre 2022 constitue un impôt indirect. Le prélèvement est en effet dû au moment de la mise à la consommation des produits pétroliers. Il est aussi dû définitivement. Puisque le montant ne peut être ramené à la baisse à la suite d’événements ou d’opérations ultérieurs, il ne s’agit pas d’un impôt perçu en raison d’un état permanent ou sur une série d’opérations prises dans leur ensemble, mais d’un impôt sur une opération de nature passagère. En atteste le fait que la contribution de solidarité n’est pas comptabilisée annuellement mais semestriellement, en vertu de la loi du
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16 décembre 2022. Dès lors qu’il n’est prévu qu’un mécanisme de régularisation à sens unique, le décompte semestriel ne saurait être perçu comme un versement anticipé.
Il découle de ce qui précède que la loi du 16 décembre 2022, qui vise la mise à la consommation des produits pétroliers à partir du 1er janvier 2022 alors qu’elle est entrée en vigueur le 22 décembre 2022, a un effet rétroactif par rapport aux produits pétroliers qui ont été mis à la consommation avant le 22 décembre 2022. Cet effet rétroactif est explicitement reconnu dans une note que le ministre de l’Énergie a adressée au Conseil des ministres au sujet de l’avant-projet de la loi du 16 décembre 2022, ainsi que dans l’approbation de cet avant-projet de loi par le Conseil des ministres
Le législateur n’a pas justifié explicitement cet effet rétroactif. En tout état de cause, l’objectif général du règlement sur lequel la loi du 16 décembre 2022 est fondée, à savoir la mise en place d’un mécanisme de redistribution d’une partie des bénéfices excédentaires démontrables dont les entreprises ont bénéficié, ne saurait justifier un prélèvement rétroactif, et encore moins que cet effet rétroactif est indispensable à la réalisation de cet objectif. La Cour doit également tenir compte à cet égard de l’incidence sérieuse du prélèvement sur le patrimoine de la partie requérante. Enfin, il ne saurait être renvoyé au règlement (UE) 2022/1854 pour justifier l’effet rétroactif, dès lors que le mécanisme d’imposition instauré par ce règlement présente de fortes similitudes avec un impôt direct et qu’il n’a donc, en vertu du principe d’annualité de l’impôt, aucun effet rétroactif, contrairement à la contribution de solidarité temporaire instaurée par la loi du 16 décembre 2022.
A.53.2 En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 16 de la Constitution, la partie requérante précise, dans son mémoire en réponse, que, par sa nature, la contribution attaquée est intrinsèquement confiscatoire.
L’exposé du cinquième moyen montre en outre pourquoi il s’agit d’un prélèvement qui aboutit à une privation de propriété.
A.54.1. Le Conseil des ministres fait valoir que le moyen est irrecevable en ce qu’il est pris de la violation du droit de propriété, garanti par l’article 16 de la Constitution. La partie requérante n’expose pas en quoi cette disposition serait violée.
A.54.2. Quant au fond, le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans sa réponse au troisième moyen dans l’affaire n° 8030 (A.32).
En ce qui concerne le septième moyen
A.55.1. La partie requérante prend un septième moyen de la violation des articles 10, 11, 170, § 1er, et 172
de la Constitution, lus en combinaison ou non avec le règlement (UE) 2022/1854, en ce que l’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022 prévoit un mécanisme de régularisation dont le taux d’imposition n’est pas établi et dont la base imposable n’a pas été déterminée de manière univoque.
L’article 4, § 3, alinéa 1er, de la loi du 16 décembre 2022 renvoie en effet simplement aux articles 14 et 15
du règlement (UE) 2022/1854, qui fixent la contribution de solidarité à « au moins » 33 % des bénéfices excédentaires. Ce renvoi contribue à créer une situation d’insécurité, dès lors que les contribuables n’ont aucune idée du taux qui sera finalement prélevé après application du mécanisme de régularisation. Le fait d’appliquer un prélèvement fixe par mètre cube de produits mis à la consommation, puis d’utiliser un mécanisme de régularisation fondé sur l’imposition des bénéfices, a pour conséquence que le taux de la contribution de solidarité a été fixé de manière imprécise et équivoque. En effet, le taux qui sera finalement appliqué si le mécanisme de régularisation ne trouve pas à s’appliquer n’est pas clair, si l’on se fonde sur le règlement (à savoir l’imposition des bénéfices excédentaires). Partant, puisque le taux de la contribution attaquée n’a pas été établi, il est porté atteinte au principe de la prévisibilité de la législation fiscale, et les principes de légalité et d’égalité garantis par les articles 170 et 172
de la Constitution sont violés.
Par ailleurs, pour ce qui concerne les sociétés dont l’exercice comptable est décalé, un flou règne quant à la façon dont le prélèvement doit être calculé et donc quant à ce sur quoi la base imposable doit être déterminée. La loi du 16 décembre 2022 renvoie en effet à un prélèvement sur les produits pétroliers mis à la consommation entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, alors que le mécanisme de régularisation renvoie aux articles 14 et 15
du règlement (UE) 2022/1854, qui mentionnent l’exercice fiscal 2022 et/ou l’exercice fiscal 2023. Le considérant 52 du règlement permet de déduire que, par l’exercice 2022 et/ou l’exercice 2023, l’on vise les exercices qui commencent le ou après le 1er janvier 2022 ou 2023. Si cela joue pour l’application du mécanisme
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de régularisation, il y a une discordance entre l’application de la contribution de solidarité prévue par la loi du 16 décembre 2022 et le mécanisme de régularisation. Partant, pour ce qui concerne la partie requérante, dont l’exercice court du 1er avril au 31 mars de l’année suivante, l’on n’aperçoit pas clairement comment la contribution doit être appliquée. La partie requérante sera par ailleurs soumise à une double imposition, en ce que, pour l’année 2023, les produits mis à la consommation à partir du 1er janvier 2023 jusqu’au 31 décembre 2023 seront soumis à la contribution due pour la mise à la consommation de produits pétroliers, alors que les bénéfices générés pour la période du 1er janvier 2023 au 31 mars 2023 auront déjà été pris en compte pour l’application du mécanisme de régularisation pour l’exercice 2022.
A.55.2. Selon la partie requérante, si la Cour juge le septième moyen fondé, cela ne doit pas seulement conduire à l’annulation de l’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022. La contribution de solidarité doit en effet être perçue comme un seul impôt indirect, qui comprend un mécanisme en deux étapes. Si un élément de ce mécanisme disparaît, c’est l’ensemble de la contribution de solidarité qui est affecté, d’autant que le renvoi au mécanisme de régularisation a justement été introduit pour rendre la mesure dérogatoire conforme aux exigences du règlement.
A.56. Le Conseil des ministres allègue que le taux d’imposition à appliquer est clair. Si le mécanisme de régularisation est applicable, le taux est de 33 %. Cela résulte du renvoi explicite, dans l’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022, à l’article 16 du règlement (UE) 2022/1854. Si le mécanisme de régularisation n’est pas applicable, le taux doit être fixé conformément à l’article 4, § 2, de la loi du 16 décembre 2022. L’on n’aperçoit pas comment ce taux pourrait ne pas être clair, et encore moins qu’il ne serait pas satisfait à l’exigence de prévisibilité du taux de la contribution de solidarité attaquée.
Selon le Conseil des ministres, la base imposable aussi est claire. Le prétendu manque de clarté allégué par la partie requérante semble porter sur la période imposable prise en compte pour le calcul de la contribution de solidarité. Afin de garantir que la contribution de solidarité instaurée par la loi du 16 décembre 2022 soit conforme aux articles 15 et 16 du règlement (UE) 2022/1854, le mécanisme de régularisation prévu à l’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022 renvoie à la méthode de calcul établie dans ce règlement. Par conséquent, pour ce qui concerne la délimitation de la période imposable, il faut revenir aux termes « l’exercice fiscal commençant le 1er janvier 2022 ou après cette date et/ou le 1er janvier 2023, et pendant toute leur durée respective ». Le simple fait que l’on ne puisse pas totalement exclure que cet exercice fiscal ne corresponde pas totalement à l’année civile 2022 ou 2023 n’implique pas que la contribution de solidarité attaquée serait imprécise, équivoque et floue.
Le Conseil des ministres souligne encore, à cet égard, que le mécanisme de régularisation prévu à l’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022 n’est pas un automatisme, dès lors qu’il n’est appliqué que s’il est établi que le montant de la contribution de solidarité temporaire calculé selon le règlement (UE) 2022/1854 serait supérieur au montant qui serait obtenu selon la méthode de calcul contenue dans la loi du 16 décembre 2022.
À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que, si la Cour devait juger que le septième moyen dans l’affaire n° 8040 est fondé, cela ne saurait conduire qu’à l’annulation de l’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022. Les prétendues insécurités invoquées par la partie requérante découlent en effet exclusivement de l’application du mécanisme de régularisation prévu par cette disposition.
En ce qui concerne le huitième moyen
A.57. La partie requérante prend un huitième moyen de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 107 et 108 du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854, en ce que la loi, attaquée, du 16 décembre 2022 instaure une contribution de solidarité temporaire à l’égard du seul secteur pétrolier, à l’exclusion des secteurs du gaz naturel et du charbon, alors que le règlement précité vise également ces deux derniers secteurs.
A.58.1. Selon la partie requérante, la loi du 16 décembre 2022 fait ainsi naître une différence de traitement injustifiée entre, d’une part, les entreprises visées à l’article 4, § 1er, de cette loi et, d’autre part, les entreprises actives dans les secteurs du gaz naturel et du charbon, qui ne sont pas visées.
En ce qui concerne l’exclusion du secteur du charbon, la partie requérante souligne que la motivation avancée dans l’exposé des motifs de la loi du 16 décembre 2022 selon laquelle la part relative du charbon dans la
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consommation énergétique belge est négligeable et selon laquelle le secteur belge du charbon ne compte qu’un seul grand opérateur n’a aucun sens. Le seul critère général qui vaille pour qu’une entreprise active dans le secteur du charbon relève du champ d’application de la contribution de solidarité temporaire est que cette entreprise génère au moins 75 % de son chiffre d’affaires à partir de la fabrication de produits de cokerie, conformément à l’article 2, point 17), du règlement (UE) 2022/1854. Ce critère général constitue un étalon objectif, alors que le travail sur mesure du législateur ne relève que d’une interprétation subjective. Par ailleurs, le législateur ne saurait être suivi lorsqu’il soutient que les bénéfices du seul opérateur actif dans le secteur du charbon ne peuvent être attribués à une hausse des prix, dès lors que les bénéfices des participants primaires assujettis ne peuvent pas non plus être attribués à une hausse des prix, eu égard aux prix maximum et à la marge brute maximale d’exploitation par lesquels ils sont liés.
En ce qui concerne l’exclusion du secteur du gaz naturel, la partie requérante souligne que cette exclusion ne saurait être justifiée par le fait que l’on ne produit pas de gaz naturel en Belgique, dès lors que les sociétés pétrolières enregistrées ne produisent pas non plus de pétrole en Belgique. Il ne peut pas être allégué non plus que le règlement ne vise que l’extraction de gaz naturel et non le secteur de la distribution. En effet, le règlement ne vise pas non plus le secteur de la distribution en ce qui concerne le pétrole, alors que ce secteur est bien soumis à la loi du 16 décembre 2022.
A.58.2. Dès lors que les secteurs du charbon et du gaz naturel sont exclus du champ d’application de la loi du 16 décembre 2022, il est question d’une aide d’État. Selon les parties requérantes, tous les éléments de l’aide d’État sont présents. Plus précisément, les entreprises qui sont actives dans les secteurs du charbon et du gaz naturel peuvent être qualifiées d’entreprises. Il s’agit d’une mesure qui est attribuable à l’État belge. Puisque l’exemption des secteurs du charbon et du gaz naturel conduit à une diminution des recettes de l’État, il s’agit d’une mesure qui est financée au moyen des ressources de l’État. La loi du 16 décembre 2022 confère un avantage aux entreprises exemptées, en les exonérant de la contribution de solidarité temporaire, alors qu’en vertu du règlement (UE) 2022/1854, elles relèvent bien du champ d’application de cette contribution. La loi du 16 décembre 2022 confère un avantage sélectif : la mesure déroge en effet, sans qu’existe la moindre justification à cet égard, au cadre de référence fixé par le règlement (UE) 2022/1854, en différenciant le secteur pétrolier et les secteurs du charbon et du gaz naturel, alors que ces secteurs se trouvent dans des situations factuelles et juridiques comparables, en ce qu’ils relèvent tous du champ d’application du règlement. Dès lors que les secteurs du charbon et du gaz naturel sont des secteurs libéralisés qui se caractérisent par définition par des échanges internationaux et que ces secteurs peuvent continuer à se déployer sans entrave financière en Belgique grâce à l’aide accordée par la loi du 16 décembre 2022, il est question d’une (menace de) distorsion de la concurrence ainsi que d’une influence des échanges entre les États membres.
Puisqu’il s’agit ainsi d’une aide d’État, la mesure attaquée aurait dû être notifiée à la Commission européenne.
Dès lors que cela n’a pas été fait, l’article 108, paragraphe 3, du TFUE est violé. Puisque cette disposition a un effet direct, le juge national doit tirer toutes les conséquences de cette violation.
A.58.3. En ce qui concerne la recevabilité du moyen relatif aux aides d’État, la partie requérante soutient, dans son mémoire en réponse, que, dans l’affaire présentement examinée, il s’agit de savoir non pas si la partie requérante doit s’acquitter de la contribution de solidarité temporaire, mais si la loi du 16 décembre 2022 est conforme au droit de l’Union en matière d’aides d’État. Ensuite, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de justice, le juge national doit garantir les droits que les individus tirent des obligations de notification et de standstill qui découlent de l’article 108, paragraphe 3, du TFUE. Le juge national doit donc offrir une protection juridique et tirer « toutes les conséquences » de la violation, par un État membre de l’Union européenne, de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, du TFUE.
A.59. Le Conseil des ministres reprend en substance les arguments qu’il a exposés dans sa réponse aux quatrième et neuvième moyens dans l’affaire n° 7942 (A.14 et A.24).
Quant à l’intervention de la SA « Varo Energy Belgium » dans les affaires nos 8030, 8036 et 8040
A.60. La SA « Varo Energy Belgium » souhaite intervenir dans les affaires nos 8030, 8036 et 8040. Elle se rallie aux moyens qui sont développés dans ces affaires, dans la mesure où ces moyens ne sont pas en contradiction avec les moyens qu’elle a elle-même développés dans l’affaire n° 7942.
Dans son mémoire en réplique, la SA « Varo Energy Belgium » demande à la Cour de bien vouloir préciser comment l’article 5, § 1er, de la loi du 16 décembre 2022 doit être interprété. Une interprétation conforme à la
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Constitution signifierait qu’un transfert de la contribution de solidarité est permis s’il apparaît que le participant primaire met les produits à la consommation pour le compte d’autres sociétés pétrolières enregistrées.
La SA « Varo Energy Belgium » demande également à la Cour de poser à la Cour de justice de l’Union européenne plusieurs questions préjudicielles au sujet, d’une part, de l’interprétation du règlement (UE) 2022/1854
et, d’autre part, de la compatibilité de la loi du 16 décembre 2022 avec ce même règlement, avec le TFUE et avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Quant à la demande de maintien des effets
A.61. À supposer que la Cour décide d’annuler certaines ou toutes les dispositions attaquées, le Conseil des ministres demande à la Cour de maintenir définitivement les effets de ces dispositions pour le passé, ainsi que, le cas échéant, provisoirement pour l’avenir, jusqu’au 30 juin 2024 au plus tard.
Une annulation non modulée de la loi du 16 décembre 2022 conduirait incontestablement à de sérieuses difficultés budgétaires. Sans maintien des effets, les contributions de solidarité déjà payées pourraient en effet être réclamées et devraient, le cas échéant, être remboursées, ce qui donnerait lieu à un contentieux judiciaire. Au moment où le recours en annulation sera rendu, le produit de la contribution de solidarité attaquée sera déjà réalisé et aussi définitivement utilisé aux fins auxquelles il est destiné. Sans maintien des effets, l’autorité fédérale sera confrontée, pour les années 2022 et 2023, à un manque à gagner fiscal d’environ 600 millions d’euros, ce qui aura pour effet de creuser encore davantage le déficit budgétaire.
À titre subsidiaire, le Conseil des ministres souligne que la loi du 16 décembre 2022 met partiellement en œuvre le règlement (UE) 2022/1854, qui contraint l’autorité fédérale à imposer, pour le 31 décembre 2023 au plus tard, une contribution de solidarité temporaire au sens de ce règlement ou à établir « une mesure nationale équivalente » qui génère « un produit comparable ou plus important » que le produit estimé de la contribution de solidarité, comme décrit dans le règlement. L’annulation de la loi du 16 décembre 2022 sans maintien des effets aurait pour conséquence que plus aucune contribution de solidarité ne serait due, ce qui porterait atteinte aux objectifs du règlement (UE) 2022/1854 et entraînerait un vide juridique préjudiciable pour le droit de l’Union. Il ne serait en outre pas possible de remplacer la loi du 16 décembre 2022 par de nouvelles prescriptions nationales compatibles avec le règlement (UE) 2022/1854, puisque les États membres devaient adopter et publier les mesures mettant en œuvre la contribution de solidarité temporaire obligatoire prévue à l’article 14 de ce règlement pour le 31 décembre 2022 au plus tard. Par conséquent, le maintien des effets s’impose.
Les effets doivent à tout le moins être maintenus, dans la mesure où il faut pouvoir garantir que la contribution de solidarité attaquée génère un produit « comparable » à celui qui serait obtenu si la méthode de calcul du règlement (UE) 2022/1854 était appliquée. Cela reviendrait à ce que la contribution de solidarité soit calculée conformément aux articles 15 et 16 du règlement (UE) 2022/1854.
Enfin, à supposer que la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité partielle pour défaut d’intérêt soulevée par le Conseil des ministres, les effets des dispositions annulées doivent être maintenus pour les entreprises qui sont actives dans le secteur du raffinage et qui disposent d’une capacité de raffinage en Belgique.
À titre infiniment subsidiaire, si la Cour devait estimer qu’elle ne peut procéder d’initiative au maintien des effets des dispositions annulées, le Conseil des ministres demande à la Cour de poser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle à ce sujet.
A.62. La partie requérante dans l’affaire n° 7942 estime qu’une réparation effective s’impose. Elle soutient que l’autorité publique a elle-même provoqué les conséquences budgétaires et que ces conséquences affectent également la situation financière de la partie requérante. Par ailleurs, il ne saurait être sérieusement renvoyé à des difficultés administratives ou au contentieux judiciaire, dès lors que seuls onze contribuables sont intéressés.
La partie requérante dans l’affaire n° 7942 souligne en outre que la loi du 16 décembre 2022 tend à mettre en œuvre un règlement européen. Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour de justice que les conséquences financières et les charges administratives qui sont susceptibles de découler d’un arrêt préjudiciel pour un État
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membre ne justifient pas, en soi, la limitation dans le temps des effets de l’arrêt concerné. La Cour de justice juge de surcroît que, même en cas de maintien des effets, il y a en tout état de cause lieu de faire une exception pour les personnes qui avaient introduit une action en justice ou une réclamation équivalente avant le prononcé de l’arrêt.
La partie requérante conteste également la demande subsidiaire du Conseil des ministres de maintenir les effets de la loi du 16 décembre 2022 pour permettre la réalisation d’un produit au moins comparable au produit qui serait obtenu si la méthode de calcul du règlement était appliquée. La jurisprudence à laquelle le Conseil des ministres se réfère ne saurait étayer cette demande. L’annulation de la loi du 16 décembre 2022 n’empêche pas l’État belge de tout de même mettre correctement en œuvre le règlement.
A.63. La partie requérante dans l’affaire n° 8030 fait valoir qu’il n’y a, en cas d’annulation, aucune raison de maintenir les effets des dispositions attaquées. La simple référence à des conséquences budgétaires sans autre précision ne saurait justifier le maintien des effets. D’autre part, l’incidence d’une annulation sur le déficit budgétaire doit être relativisée, compte tenu de l’ampleur que ce déficit présente déjà aujourd’hui. Le législateur est par ailleurs libre de tout de même combler ce déficit en levant des impôts qui, eux, résistent au contrôle de constitutionnalité.
Le principe de la primauté du droit de l’Union n’exige pas le maintien des effets des dispositions annulées, mais un cadre législatif national adapté qui soit conforme au règlement (UE) 2022/1854. La partie requérante renvoie aussi à cet égard à la jurisprudence de la Cour de justice en matière de restitution d’impôts perçus en violation du droit de l’Union par un État membre. Compte tenu du caractère temporaire de la contribution de solidarité, le maintien des effets de la loi du 16 décembre 2022 dénuerait de toute utilité le recours en annulation.
À titre infiniment subsidiaire, la partie requérante demande à la Cour de limiter le maintien des effets aux redevables de la contribution qui n’ont pas introduit un recours en annulation recevable.
A.64. Les parties requérantes dans l’affaire n° 8036 estiment que les effets de la loi du 16 décembre 2022 ne sauraient être maintenus. Il est en effet impossible, en l’absence d’un arrêt de la Cour de justice établissant les conditions relatives à un maintien, de maintenir une norme qui est contraire au droit de l’Union. En tout état de cause, des motifs budgétaires ne suffisent pas pour justifier le maintien des effets de la loi du 16 décembre 2022.
À titre subsidiaire, si la Cour accédait à la demande subsidiaire du Conseil des ministres de maintenir les effets de la loi du 16 décembre 2022 de manière à pouvoir garantir que la contribution de solidarité attaquée génère un produit « comparable » à celui qui serait obtenu si la méthode de calcul du règlement (UE) 2022/1854 était appliquée, les parties requérantes soutiennent que ce maintien ne saurait s’étendre aux participants primaires redevables de la contribution, qui ne relèvent pas du champ d’application du règlement (UE) 2022/1854.
À titre infiniment subsidiaire, les parties requérantes soutiennent qu’elles doivent à tout le moins être exclues du maintien, dès lors qu’elles sont les seules sociétés à ne posséder un siège qu’en Belgique et à n’exercer aucune activité de raffinage ou de production de pétrole brut en Belgique ou à l’étranger.
A.65. Selon la partie requérante dans l’affaire n° 8040, la demande de maintien des effets formulée par le Conseil des ministres doit être rejetée.
La partie requérante souligne tout d’abord le fait que le Conseil des ministres lui-même relativise l’ampleur de la contribution de solidarité temporaire, dont le produit est estimé à 600 millions d’euros. Les difficultés administratives ou tout contentieux judiciaire ne peuvent pas non plus justifier le maintien des effets, dès lors que la contribution de solidarité temporaire n’est due que par onze contribuables, qui sont par ailleurs parfaitement identifiables et dont on sait ce qu’ils ont déjà payé. En ce que le Conseil des ministres soutient que le produit de la contribution de solidarité temporaire a déjà été définitivement affecté aux fins auxquelles il est destiné, la partie requérante souligne que les mesures visées n’ont pas été adoptées sur la base de la prémisse selon laquelle il serait possible de récupérer 600 millions d’euros grâce à une contribution de solidarité temporaire. Un remboursement éventuel n’équivaudrait donc pas à un « un manque à gagner fiscal », mais à un remboursement d’une plus-value fiscale qui n’a jamais été prévue initialement. Enfin, la partie requérante souligne que la loi du 16 décembre 2022
visait en partie à mettre en œuvre le règlement, de sorte que le principe de la primauté et du plein effet du droit de
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l’Union doit être pris en compte. Il relève de la compétence exclusive de la Cour de justice de tout de même maintenir les effets dans cette circonstance, de sorte qu’il y aurait lieu de poser à la Cour de justice une question préjudicielle à ce sujet.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1.1. Les parties requérantes demandent l’annulation de la loi du 16 décembre 2022
« instaurant une contribution de solidarité temporaire à charge du secteur pétrolier » (ci-après :
la loi du 16 décembre 2022).
B.1.2. La loi du 16 décembre 2022 tend à « faire contribuer les entreprises du secteur de l’énergie qui ont bénéficié de surprofits suite à la crise de l’énergie et à l’augmentation des prix que nous traversons depuis le début de l’année 2022 », et ce, « afin de soutenir les ménages qui subissent les conséquences de la crise et doivent faire face à ces prix élevés » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3034/001, p. 3).
Par l’instauration d’une contribution de solidarité temporaire à charge du secteur pétrolier, la loi du 16 décembre 2022 tend à la mise en œuvre partielle du règlement (UE) 2022/1854 du Conseil du 6 octobre 2022 « sur une intervention d’urgence pour faire face aux prix élevés de l’énergie » (ci-après : le règlement (UE) 2022/1854). Les articles 14 à 18 de ce règlement, qui forment le chapitre III, intitulé « Mesures concernant les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage », prévoient l’instauration d’une contribution de solidarité temporaire obligatoire pour l’exercice fiscal 2022 et/ou l’exercice fiscal 2023, prélevée sur les bénéfices excédentaires obtenus par les entreprises et les établissements stables de l’Union qui exercent des activités dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage. Cette contribution de solidarité tend à « atténuer les effets de l’évolution exceptionnelle des prix sur les marchés de l’énergie pour les États membres, les consommateurs et les entreprises » (article 2, point 19), du règlement (UE) 2022/1854), par l’affectation de son produit aux mesures de soutien financier visées à l’article 17.
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Les articles 14 à 18 du règlement (UE) 2022/1854 disposent :
« Article 14
Soutien aux clients finals d’énergie au moyen d’une contribution de solidarité temporaire
1. Les bénéfices excédentaires obtenus par les entreprises et les établissements stables de l’Union exerçant des activités dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage font l’objet d’une contribution de solidarité temporaire obligatoire, à moins que les États membres n’aient adopté des mesures nationales équivalentes.
2. Les États membres veillent à ce que les mesures nationales équivalentes adoptées partagent des objectifs similaires à ceux de la contribution de solidarité temporaire au titre du présent règlement, soient soumises à des règles similaires à celles régissant ladite contribution et génèrent un produit comparable ou plus important que le produit estimé de la contribution de solidarité.
3. Les États membres adoptent et publient des mesures mettant en œuvre la contribution de solidarité temporaire obligatoire visée au paragraphe 1 au plus tard le 31 décembre 2022.
Article 15
Base de calcul de la contribution de solidarité temporaire
La contribution de solidarité temporaire pour les entreprises et les établissements stables de l’Union exerçant des activités dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage, y compris ceux faisant partie d’un groupe consolidé à des fins purement fiscales, est calculée sur les bénéfices imposables, tels qu’ils sont déterminés en application des règles fiscales nationales, au cours de l’exercice fiscal 2022 et/ou l’exercice fiscal 2023 et pour toute leur durée, excédant de plus de 20 % la moyenne des bénéfices imposables, déterminés conformément aux règles fiscales nationales, des quatre exercices fiscaux commençant le 1er janvier 2018 ou après cette date. Si la moyenne des bénéfices imposables de ces quatre exercices fiscaux est négative, les bénéfices imposables moyens sont égaux à zéro aux fins du calcul de la contribution de solidarité temporaire.
Article 16
Taux applicable pour le calcul de la contribution de solidarité temporaire
1. Le taux applicable pour le calcul de la contribution de solidarité temporaire est d’au moins 33 % de la base visée à l’article 15.
2. La contribution de solidarité temporaire s’applique en plus des impôts et prélèvements réguliers applicables conformément au droit national d’un État membre.
Article 17
Utilisation du produit de la contribution de solidarité temporaire
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1. Les États membres utilisent le produit de la contribution de solidarité temporaire de manière à ce qu’elle ait une incidence suffisamment rapide pour l’une des fins suivantes :
a) des mesures de soutien financier en faveur des clients finals d’énergie, et notamment des ménages vulnérables afin d’atténuer les effets des prix élevés de l’énergie, de manière ciblée;
b) des mesures de soutien financier visant à contribuer à la réduction de la consommation d’énergie, telles que des systèmes d’enchères ou d’appels d’offres visant à réduire la demande, la diminution des coûts d’achat d’énergie des clients finals d’énergie pour certains volumes de consommation, la promotion des investissements des clients finals d’énergie dans les énergies renouvelables, les investissements structurels dans l’efficacité énergétique ou d’autres technologies de décarbonation;
c) des mesures de soutien financier visant à soutenir les entreprises des secteurs à forte intensité énergétique, à condition qu’elles soient subordonnées à des investissements dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique ou d’autres technologies de décarbonation;
d) des mesures de soutien financier visant à développer l’autonomie énergétique, en particulier les investissements conformes aux objectifs REPowerEU fixés dans le plan REPowerEU, notamment les projets revêtant une dimension transfrontière;
e) dans un esprit de solidarité entre les États membres, les États membres peuvent affecter une part du produit de la contribution de solidarité temporaire au financement commun de mesures visant à réduire les effets néfastes de la crise énergétique, y compris le soutien à la protection de l’emploi ainsi qu’à la reconversion et au perfectionnement de la main-d’œuvre, ou à promouvoir les investissements dans l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables, y compris dans le cadre de projets transfrontières, et dans le mécanisme de financement des énergies renouvelables de l’Union prévu à l’article 33 du règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil.
2. Les mesures visées au paragraphe 1 sont clairement définies, transparentes, proportionnées, non discriminatoires et vérifiables.
Article 18
Nature temporaire de la contribution de solidarité
La contribution de solidarité appliquée par les États membres conformément au présent règlement est de nature temporaire. Elle ne s’applique qu’aux bénéfices excédentaires générés au cours des exercices fiscaux visés à l’article 15 ».
B.1.3. En exécution des articles 14 à 18 du règlement (UE) 2022/1854, l’article 4, § 1er, de la loi du 16 décembre 2022 dispose qu’une contribution de solidarité temporaire est instaurée à charge, d’une part, des sociétés pétrolières enregistrées qui sont actives dans le secteur du raffinage et qui disposent d’une capacité de raffinage en Belgique, et, d’autre part, des sociétés pétrolières enregistrées qui, en 2022, ont été définies comme participants primaires pour les
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produits diesel, gasoil et essences, conformément à l’arrêté royal du 5 février 2019
« déterminant les mesures applicables, lors d’une crise d’approvisionnement, à la répartition internationale et nationale et à l’approvisionnement équitable du pétrole et des produits pétroliers disponibles et déterminant les règles pour l’utilisation des stocks obligatoires de pétrole et produits pétroliers » (ci-après : l’arrêté royal du 5 février 2019).
Pour les sociétés pétrolières précitées qui sont actives dans le secteur du raffinage, le montant de la contribution est fixé à 6,9 euros par tonne de pétrole brut transformé entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, et, pour les sociétés pétrolières précitées qui ont été définies comme participants primaires, à 7,8 euros par mètre cube de produits mis à la consommation entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023. Ces montants sont calculés et dus distinctement pour l’année 2022 et pour l’année 2023 (article 4, § 2) et sont facturés chaque semestre de l’année en cours et payés au plus tard 30 jours à partir de la date de réception de la facture (article 5, § 2).
L’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022 prévoit un « mécanisme de compensation ou de régularisation » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3034/001, p. 4). En vertu de cette disposition, la contribution doit, dès le dépôt du bilan annuel pour l’exercice d’imposition de l’année précédente, être calculée conformément aux articles 15 et 16 du règlement (UE) 2022/1854. Si le montant est supérieur au montant calculé conformément à l’article 4, § 2, de la loi du 16 décembre 2022, la société pétrolière en question doit également payer la différence.
En vertu de l’article 4, § 4, de la loi du 16 décembre 2022, la contribution « a pour but de soutenir les ménages et les entreprises qui subissent les conséquences de la crise énergétique et doivent faire face aux prix exceptionnellement élevés ».
En vertu de l’article 5, § 1er, de la loi du 16 décembre 2022, les sociétés pétrolières enregistrées ne peuvent pas facturer ou répercuter, totalement ou partiellement, de quelque façon, la contribution de solidarité temporaire directement ou indirectement sur d’autres entreprises ou sur l’utilisateur final. Enfin, l’article 7, alinéa 2, de la loi du 16 décembre 2022
dispose que le non-paiement partiel ou total de la contribution de solidarité temporaire est passible d’une amende au moins égale au décuple du montant éludé, sans que cette amende
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puisse excéder 20 % du chiffre d’affaires de la société pétrolière enregistrée concernée dans l’année civile 2022.
Quant à la recevabilité
B.2.1. Le Conseil des ministres conteste l’intérêt des parties requérantes dans les affaires nos 7942, 8030, 8036 et 8040 à l’annulation de la loi du 16 décembre 2022 en ce que celle-ci instaure une contribution de solidarité temporaire pour les raffineries. Ces dispositions ne s’appliqueraient en effet pas aux parties requérantes, qui ne sont soumises à la contribution de solidarité temporaire qu’en leur qualité de participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences.
B.2.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.2.3. Les parties requérantes dans les affaires nos 7942, 8030, 8036 et 8040 sont toutes des sociétés pétrolières enregistrées qui, en 2022, ont été définies comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences, conformément à l’arrêté royal du 5 février 2019.
Elles ne justifient d’un intérêt à l’annulation de la loi du 16 décembre 2022 qu’en ce que cette loi s’applique à cette catégorie de redevables de la contribution.
B.2.4. Par conséquent, la Cour n’examine pas la loi du 16 décembre 2022 en ce qu’elle s’applique aux « sociétés pétrolières enregistrées actives dans le secteur du raffinage et qui disposent de capacité de raffinage en Belgique ».
Si, à l’issue de son examen, la Cour juge un ou plusieurs moyens fondés, ces dispositions pourraient toutefois être annulées s’il s’avérait qu’elles sont indissociablement liées aux dispositions annulées.
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B.3.1. Selon le Conseil des ministres, les moyens dans les affaires nos 7942, 8036 et 8040
sont partiellement irrecevables, à défaut d’exposé. L’on n’apercevrait pas toujours clairement en quoi chacune des dispositions attaquées par les parties requérantes violerait les normes de référence invoquées.
B.3.2. En vertu de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la requête doit contenir un exposé des faits et des moyens.
Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 précité, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions. Ces exigences sont dictées, d’une part, par la nécessité pour la Cour d’être à même de déterminer, dès le dépôt de la requête, la portée exacte du recours en annulation et, d’autre part, par le souci d’offrir aux autres parties au procès la possibilité de répliquer aux arguments des parties requérantes, de sorte qu’il est indispensable de disposer d’un exposé clair et univoque des moyens.
Cette disposition exige donc que les parties requérantes indiquent quels sont les articles ou parties d’articles qui, selon elles, violent les normes exposées aux moyens, dont la Cour garantit le respect.
La Cour doit déterminer l’étendue du recours en annulation en fonction du contenu de la requête, et notamment sur la base de l’exposé des moyens. Elle limite dès lors son examen aux parties des dispositions attaquées au sujet desquelles il est exposé en quoi elles violeraient les normes de référence invoquées aux moyens et aux normes de référence au sujet desquelles il est exposé en quoi elles seraient violées.
Quant au fond
B.4. Dans leurs moyens, les parties requérantes dans les affaires nos 7942, 8030, 8036 et 8040 invoquent en substance la violation :
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(1) des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 122, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), en ce que la loi du 16 décembre 2022 tend à transposer le règlement (UE) 2022/1854, alors que ce règlement n’a pas de fondement juridique valable (premier moyen dans l’affaire n° 7942;
deuxième moyen dans l’affaire n° 8040);
(2) des règles répartitrices de compétences, en ce que les fins auxquelles la contribution doit être utilisée relèvent de matières qui ont été attribuées aux régions et aux communautés (deuxième moyen dans l’affaire n° 7942; troisième moyen dans l’affaire n° 8040);
(3) des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec le règlement (UE) 2022/1854, en ce que la loi du 16 décembre 2022 impose les entreprises y visées en fonction de la quantité de produits pétroliers mise à la consommation et en ce que le champ d’application personnel de la disposition attaquée est discriminatoire (troisième et quatrième moyens dans l’affaire n° 7942; deuxième moyen dans l’affaire n° 8030; premier moyen et première branche du deuxième moyen dans l’affaire n° 8036; premier moyen et première branche du huitième moyen dans l’affaire n° 8040);
(4) des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 28 et 30, ou avec l’article 110, du TFUE, en ce que la disposition attaquée instaure une taxe à l’importation qui est interdite ou un impôt discriminatoire qui a pour but de favoriser des produits nationaux (cinquième moyen dans l’affaire n° 7942; quatrième et cinquième moyens dans l’affaire n° 8030);
(5) des articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 107 et 108 du TFUE, en ce que l’exclusion des secteurs du gaz naturel et du charbon du champ d’application de la loi du 16 décembre 2022 constitue une aide d’État qui n’a pas été préalablement notifiée à la Commission européenne (neuvième moyen dans l’affaire n° 7942;
huitième moyen dans l’affaire n° 8040);
(6) du droit de propriété, en ce que la contribution de solidarité peut aboutir à une privation de propriété effective, dans la mesure où le législateur ne tient pas compte des bénéfices
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effectivement réalisés (sixième moyen dans l’affaire n° 7942; premier moyen dans l’affaire n° 8030; seconde branche du deuxième moyen dans l’affaire n° 8036; cinquième moyen dans l’affaire n° 8040);
(7) de la liberté d’entreprendre, en ce que la contribution rendue obligatoire dépasse plusieurs fois le montant des bénéfices réels que les redevables de cette contribution peuvent réaliser (septième moyen dans l’affaire n° 7942; quatrième moyen dans l’affaire n° 8040);
(8) du principe d’égalité et du droit de propriété, en ce que la sanction prévue à l’article 7
de la loi du 16 décembre 2022 pour non-paiement de la contribution due ne fait aucune distinction selon que ce non-paiement est délibéré ou qu’il résulte d’une impossibilité de payer la contribution, et en ce que le plafond de la sanction est fixé à 20 % du chiffre d’affaires de la société pétrolière concernée (dixième moyen dans l’affaire n° 7942; cinquième moyen dans l’affaire n° 8040);
(9) du principe de la non-rétroactivité des lois, en ce qu’une taxation rétroactive est prévue sur les produits qui ont été mis à la consommation depuis le 1er janvier 2022, alors que cet effet rétroactif n’est pas indispensable pour l’intérêt général (huitième moyen dans l’affaire n° 7942;
troisième moyen dans l’affaire n° 8030; troisième moyen dans l’affaire n° 8036; sixième moyen dans l’affaire n° 8040);
(10) du principe de légalité en matière fiscale, en ce que la loi du 16 décembre 2022 prévoit un mécanisme de régularisation dont le taux d’imposition n’est pas fixé et dont la base imposable n’a pas été déterminée de manière univoque (septième moyen dans l’affaire n° 8040).
En ce qui concerne la violation alléguée des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 122, paragraphe 1, du TFUE
B.5. Le premier moyen dans l’affaire n° 7942 et le deuxième moyen dans l’affaire n° 8040
sont pris de la violation, par la loi du 16 décembre 2022, des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 122, paragraphe 1, du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854. Les parties requérantes estiment que ce règlement a été décidé à
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tort en vertu de l’article 122, paragraphe 1, du TFUE, qui habilite le Conseil à « décider [...] des mesures appropriées à la situation économique », et que c’est en vertu de l’article 115 du TFUE
que la contribution de solidarité temporaire, qui constitue un impôt direct, devait être adoptée.
Dès lors que le règlement (UE) 2022/1854 n’aurait ainsi pas de fondement juridique valable, la loi du 16 décembre 2022 perdrait aussi sa raison d’être.
B.6. L’article 115 du TFUE dispose :
« Sans préjudice de l’article 114, le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après consultation du Parlement européen et du Comité économique et social, arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché intérieur ».
L’article 122, paragraphe 1, du TFUE dispose :
« Sans préjudice des autres procédures prévues par les traités, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l’approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l’énergie ».
B.7. Il ressort du préambule du règlement (UE) 2022/1854 que ce règlement a été décidé sur la base de l’article 122, paragraphe 1, du TFUE.
Au sujet de ce fondement juridique, les considérants 7 et 8 du règlement (UE) 2022/1854
mentionnent ce qui suit :
« (7) Les perturbations actuelles de l’approvisionnement en gaz, la disponibilité réduite de certaines centrales électriques et les effets qui en résultent sur les prix du gaz et de l’électricité constituent une grave difficulté dans l’approvisionnement en produits énergétiques (gaz et électricité) au sens de l’article 122, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Il existe un risque sérieux que la situation continue de se détériorer au cours de la saison hivernale 2022-2023 en cas de nouvelles ruptures d’approvisionnement en gaz et d’une saison hivernale froide qui gonflerait la demande de gaz et d’électricité. Cette nouvelle détérioration pourrait entraîner une pression à la hausse accrue sur les prix du gaz et des autres matières premières énergétiques, ce qui aurait une incidence sur les prix de l’électricité.
(8) Les dysfonctionnements sur le marché de l’énergie, provoqués par l’un des principaux acteurs du marché qui a réduit artificiellement l’approvisionnement en gaz dans le contexte de
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la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, et la guerre hybride déclenchée par cette agression, ont conduit à une situation de crise qui nécessite l’adoption d’un ensemble de mesures urgentes, temporaires et exceptionnelles de nature économique afin de faire face à ses effets insupportables pour les consommateurs et les entreprises. S’il n’y est pas remédié rapidement, la situation de crise pourrait avoir des effets néfastes très graves sur l’inflation, la liquidité des opérateurs de marché et l’économie dans son ensemble ».
B.8.1. La Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur la compatibilité du règlement précité avec l’article 122, paragraphe 1, du TFUE.
B.8.2. L’article 267 du TFUE habilite la Cour de justice de l’Union européenne à statuer, à titre préjudiciel, aussi bien sur l’interprétation des conventions et des actes des institutions de l’Union européenne que sur la validité de ces actes. En vertu du troisième alinéa de cette disposition, une juridiction nationale est tenue de saisir la Cour de justice lorsque ses décisions – comme celles de la Cour constitutionnelle – ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne. En cas de doute sur l’interprétation ou sur la validité d’une disposition du droit de l’Union européenne importante pour la solution d’un litige pendant devant une telle juridiction nationale, celle-ci doit, même d’office, poser une question préjudicielle à la Cour de justice.
B.8.3. La Cour de justice n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur la validité du règlement (UE) 2022/1854. Cependant, plusieurs recours en annulation de ce règlement, dans lesquels il est notamment invoqué que le Conseil n’était pas compétent pour décider du règlement précité dès lors que l’article 122, paragraphe 1, du TFUE n’offre aucun fondement juridique valable, ont déjà été introduits devant le Tribunal de l’Union européenne.
Eu égard notamment au fait que les parties requérantes dans les affaires nos 7942, 8030, 8036 et 8040 invoquent la violation du règlement (UE) 2022/1854 dans divers autres moyens examinés ci-après, il y a lieu, avant de statuer quant au fond, de poser à la Cour de justice la première question préjudicielle formulée dans le dispositif.
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En ce qui concerne la violation alléguée des règles répartitrices de compétences
B.9. Le deuxième moyen dans l’affaire n° 7942 et le troisième moyen dans l’affaire n° 8040 sont pris de la violation, par la loi du 16 décembre 2022, des articles 38, 39, 128 et 143, § 1er, de la Constitution, ainsi que de l’article 5, § 1er, II, de l’article 6, § 1er, VI, VII et IX, et § 3, 2° et 3°, et de l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), lus en combinaison avec le règlement (UE) 2022/1854.
Selon les parties requérantes, les dispositions attaquées porteraient atteinte aux compétences des communautés et des régions, en ce que le produit de la contribution de solidarité temporaire est intégralement affecté au budget de l’État, alors qu’il devrait l’être à toutes les fins mentionnées à l’article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) 2022/1854, qui concernent en partie des compétences attribuées aux communautés et aux régions. À tout le moins, il y aurait eu lieu de conclure un accord de coopération conformément à l’article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 et une concertation aurait dû avoir lieu en vertu de l’article 6, § 3, 2° et 3°, de la même loi.
B.10.1. La contribution de solidarité temporaire instaurée par la loi du 16 décembre 2022
est un impôt. Par conséquent, le législateur fédéral est compétent pour établir cette contribution en vertu de la compétence fiscale qui lui est attribuée par l’article 170, § 1er, de la Constitution.
Sauf les cas établis par ou en vertu de la Constitution ou par une loi spéciale et sous réserve du respect du principe de proportionnalité propre à tout exercice de compétence, le législateur fédéral peut prendre des mesures fiscales concernant les matières imposables qu’il détermine, sans avoir égard aux compétences matérielles des communautés et des régions.
Le fait que les communautés et les régions soient compétentes pour certaines des fins relatives à l’utilisation du produit de la contribution de solidarité temporaire qui sont mentionnées à l’article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) 2022/1854 ne fait pas obstacle à la compétence fiscale précitée du législateur fédéral, dès lors qu’il n’est pas avéré que celui-ci ait,
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en l’espèce, rendu impossible ou exagérément difficile l’exercice par les communautés et les régions des compétences qui leur ont été attribuées, mentionnées au moyen.
Par ailleurs, la partie requérante donne à la loi du 16 décembre 2022 une portée qu’elle n’a pas, en ce qu’elle fait valoir que cette loi règle l’affectation du produit de la contribution de solidarité temporaire. L’article 4, § 4, de la loi du 16 décembre 2022 dispose seulement que la contribution « a pour but de soutenir les ménages et les entreprises qui subissent les conséquences de la crise énergétique et doivent faire face aux prix exceptionnellement élevés ».
Il appartient à l’autorité fédérale, sous le contrôle du juge compétent, de tenir compte des règles répartitrices de compétences lorsqu’elle détermine les mesures d’affectation du produit de la contribution de solidarité temporaire et de prendre exclusivement des mesures qui relèvent de sa compétence.
B.10.2. Ensuite, l’absence d’un accord de coopération dans une matière pour laquelle le législateur spécial ne prévoit pas l’obligation de conclure un tel accord, comme c’est le cas en l’espèce, n’emporte pas une violation des règles répartitrices de compétences, sauf lorsque les compétences de l’État fédéral et des régions sont à ce point imbriquées qu’elles ne peuvent être exercées que dans le cadre d’une coopération, ce qui n’est pas démontré en l’espèce.
B.10.3. Enfin, l’obligation de concertation prévue à l’article 6, § 3, 2° et 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980 ne s’applique pas en l’espèce. Comme il est dit en B.10.1, la mesure attaquée constitue une mesure fiscale. Il ne s’agit pas d’une « mesure au sujet de la politique de l’énergie », et cette mesure ne relève pas non plus des « grands axes de la politique énergétique nationale ».
B.10.4. Le deuxième moyen dans l’affaire n° 7942 et le troisième moyen dans l’affaire n° 8040 ne sont pas fondés.
Il n’y a dès lors pas lieu de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la question suggérée par la partie requérante dans l’affaire n° 7942 en ce qui concerne l’interprétation de l’article 17 du règlement (UE) 2022/1854.
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En ce qui concerne la violation alléguée des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec le règlement (UE) 2022/1854
B.11. Dans les troisième et quatrième moyens dans l’affaire n° 7942, dans le deuxième moyen dans l’affaire n° 8030, dans le premier moyen et dans la première branche du deuxième moyen dans l’affaire n° 8036, ainsi que dans le premier moyen et dans la première branche du huitième moyen dans l’affaire n° 8040, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec le règlement (UE) 2022/1854.
Elles critiquent en substance le champ d’application personnel de la loi du 16 décembre 2022, ainsi que la base imposable de la contribution de solidarité temporaire instaurée par cette loi. Elles critiquent en particulier l’application de la contribution aux sociétés pétrolières enregistrées qui, en 2022, ont été définies comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences, y compris les sociétés pétrolières enregistrées qui commercialisent uniquement des produits pétroliers, ainsi que l’exclusion des participants primaires pour les autres catégories de produits, comme le pétrole lampant et le kérosène, et l’exclusion des entreprises actives dans les secteurs du charbon et du gaz naturel. Les parties requérantes reprochent également à la loi du 16 décembre 2022 d’imposer les entreprises visées non pas sur la base des bénéfices excédentaires, mais bien sur la base de la quantité de produits pétroliers mise à la consommation. La loi du 16 décembre 2022 violerait ainsi le règlement (UE) 2022/1854 et ferait naître diverses discriminations.
B.12. Comme il est dit en B.2, les parties requérantes ne justifient pas d’un intérêt à l’annulation de la loi du 16 décembre 2022, en ce que cette loi porte sur « les sociétés pétrolières enregistrées actives dans le secteur du raffinage et qui disposent de capacité de raffinage en Belgique ».
Par conséquent, la Cour n’examine pas le deuxième moyen dans l’affaire n° 8030 en ce qu’il porte sur l’égalité de traitement entre les sociétés pétrolières visées dans la loi du 16 décembre 2022 qui sont actives dans le secteur du raffinage, qu’elles aient ou non réalisé des bénéfices excédentaires.
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B.13.1. Le Conseil des ministres conteste la recevabilité du troisième moyen dans l’affaire n° 7942, au motif que les parties requérantes n’identifieraient pas les catégories de personnes à comparer.
B.13.2. Le règlement (UE) 2022/1854 règle notamment l’obligation de prélever une contribution de solidarité temporaire.
Lorsque les dispositions du règlement précité sont invoquées en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour doit examiner s’il est porté une atteinte discriminatoire aux garanties offertes par ce règlement, notamment à l’égard des parties requérantes.
B.13.3. L’exception est rejetée.
B.14.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination contenu dans les articles 10 et 11 de la Constitution n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.14.2. L’article 172, alinéa 1er, de la Constitution constitue une application particulière, en matière fiscale, du principe d’égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution.
B.14.3. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine : les règles constitutionnelles de l’égalité et de la
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non-discrimination sont applicables à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique.
B.15.1. Est invoquée en l’espèce la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec le règlement (UE) 2022/1854.
B.15.2. En vertu de l’article 14, paragraphe 1, du règlement (UE) 2022/1854, une contribution de solidarité temporaire obligatoire est prélevée sur « [les] bénéfices excédentaires obtenus par les entreprises et les établissements stables de l’Union exerçant des activités dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage ». Ces redevables de la contribution sont définis comme étant « les entreprises ou les établissements stables de l’Union qui génèrent au moins 75 % de leur chiffre d’affaires dans des activités économiques relevant des secteurs des industries extractives, du raffinage du pétrole ou de la fabrication de produits de cokerie » (article 2, point 17), du même règlement). En vertu de l’article 15 du règlement précité, la base de calcul de la contribution de solidarité temporaire est constituée par les « bénéfices imposables, tels qu’ils sont déterminés en application des règles fiscales nationales, au cours de l’exercice fiscal 2022 et/ou l’exercice fiscal 2023 et pour toute leur durée, excédant de plus de 20 % la moyenne des bénéfices imposables, déterminés conformément aux règles fiscales nationales, des quatre exercices fiscaux commençant le 1er janvier 2018 ou après cette date ». L’article 16 dispose que le taux applicable pour le calcul de la contribution de solidarité temporaire s’élève à au moins 33 % de la base précitée.
Les considérants 50 à 54 du règlement (UE) 2022/1854 mentionnent ce qui suit :
« (50) Sans modifier sensiblement leur structure de coûts ni augmenter leurs investissements, les entreprises et les établissements stables de l’Union générant au moins 75 %
de chiffre d’affaires dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage, ont vu leurs bénéfices bondir en raison des circonstances soudaines et imprévisibles de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, de la réduction de l’approvisionnement en énergie et de l’augmentation de la demande en raison des températures exceptionnellement élevées.
(51) La contribution de solidarité temporaire devrait servir de mesure de redistribution et faire en sorte que les entreprises concernées qui ont réalisé des bénéfices excédentaires en raison des circonstances imprévues contribuent proportionnellement à remédier à la crise énergétique sur le marché intérieur.
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(52) La base de calcul de la contribution de solidarité temporaire est constituée par les bénéfices imposables des entreprises et des établissements stables, dont la résidence fiscale est dans l’Union et qui exercent des activités dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage, tels qu’ils sont définis dans les traités bilatéraux ou les législations fiscales nationales des États membres pour l’exercice fiscal commençant le 1er janvier 2022 ou après cette date et/ou le 1er janvier 2023, et pendant toute leur durée respective. Les États membres qui ne taxent que les bénéfices distribués par les entreprises devraient appliquer la contribution de solidarité temporaire aux bénéfices calculés indépendamment de leur distribution. L’exercice fiscal est défini selon les règles en vigueur en vertu du droit national des États membres.
(53) Seuls les bénéfices réalisés en 2022 et/ou en 2023 excédant de plus de 20 % les bénéfices imposables moyens générés au cours des quatre exercices fiscaux commençant le 1er janvier 2018 ou après cette date devraient être soumis à la contribution de solidarité.
(54) Cette approche garantirait qu’une partie de la marge bénéficiaire, qui n’est pas due à l’évolution imprévisible des marchés de l’énergie à la suite de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, puisse être utilisée par les entreprises et les établissements stables concernés pour des investissements futurs ou pour assurer leur stabilité financière pendant la crise énergétique actuelle, y compris par l’industrie à forte intensité énergétique. Cette définition de la base de calcul garantirait que la contribution de solidarité dans les différents États membres est proportionnée. La fixation d’un seuil permettrait aussi que la contribution de solidarité soit équitable et proportionnée. Les États membres devraient rester libres d’appliquer pour leur contribution de solidarité un taux supérieur à 33 %. Ces États membres seraient ainsi en mesure de fixer le taux choisi qu’ils jugent acceptable et approprié en vertu de leur système juridique national ».
B.15.3. Par dérogation aux dispositions précitées du règlement (UE) 2022/1854, les États membres peuvent adopter des « mesures nationales équivalentes » (article 14, paragraphe 1, dernier segment, du règlement (UE) 2022/1854). L’article 2, point 21), du règlement précité définit une « mesure nationale équivalente adoptée » comme étant « une mesure législative, réglementaire ou administrative adoptée et publiée par un État membre au plus tard le 31 décembre 2022 qui contribue à rendre l’énergie abordable ». En vertu de l’article 14, paragraphe 2, du règlement (UE) 2022/1854, les États membres doivent veiller à ce que « les mesures nationales équivalentes adoptées partagent des objectifs similaires à ceux de la contribution de solidarité temporaire au titre du présent règlement, soient soumises à des règles similaires à celles régissant ladite contribution et génèrent un produit comparable ou plus important que le produit estimé de la contribution de solidarité ».
Au sujet des « mesures nationales équivalentes », le considérant 63 du règlement (UE) 2022/1854 mentionne ce qui suit :
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« Les États membres devraient appliquer la contribution de solidarité mise en place par le présent règlement sur leur territoire respectif, à moins qu’ils n’aient adopté des mesures nationales équivalentes. L’objectif de la mesure nationale devrait être considéré comme similaire à l’objectif global de la contribution de solidarité fixé par le présent règlement lorsqu’il consiste à contribuer au caractère abordable de l’énergie. Une mesure nationale devrait être considérée comme soumise à des règles similaires à celles s’appliquant à la contribution de solidarité lorsqu’elle couvre des activités dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage, qu’elle définit une base, prévoit un taux et garantit que le produit de la mesure nationale est utilisé à des fins comparables à celles de la contribution de solidarité ».
B.15.4. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 16 décembre 2022 que, par cette loi, le législateur entendait établir une « mesure nationale équivalente » au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement (UE) 2022/1854 (Voy. Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3034/001, p. 5).
La loi du 16 décembre 2022 a un champ d’application autre que celui du règlement (UE) 2022/1854, en ce qu’elle s’applique aux « sociétés pétrolières enregistrées actives dans le secteur du raffinage et qui disposent de capacité de raffinage en Belgique » ainsi qu’aux « sociétés pétrolières enregistrées définies comme participants primaires pour l’année 2022, conformément à l’arrêté royal du 5 février 2019 pour les produits diesel, gasoil et essences » (article 4, § 1er, de la loi du 16 décembre 2022). En vertu de l’article 12 de l’arrêté royal du 5 février 2019, cette liste de participants primaires est établie par la direction générale Énergie du Service public fédéral Économie, PME, Classes moyennes et Énergie, qui se fonde pour ce faire sur les sociétés pétrolières enregistrées qui sont ensemble responsables d’au moins 90 % du volume total du produit éligible mis à la consommation en Belgique au cours de l’année civile précédente. Le législateur a précisé que ces sociétés participants primaires sont visées « car elles ont également profité de bénéfices extraordinaires [dus] à l’augmentation des prix du diesel, gasoil et essences et elles sont reconnues comme une catégorie particulière de sociétés car privilégiées en cas de crise d’approvisionnement » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3034/001, p. 6). Le législateur justifie l’exclusion des entreprises des secteurs du charbon et du gaz naturel en ces termes :
« Concernant le charbon, sa part relative dans la consommation énergétique belge n’est pas significative. De plus, un seul grand opérateur est actif dans ce secteur en Belgique. Cette seule entreprise fabrique des produits de cokerie en Belgique mais les utilise pour ses propres besoins.
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Elle n’est pas un fournisseur de ces produits. Les bénéfices réalisés par cette entreprise ne sont pas dus à l’augmentation des prix des produits de coke fabriqués.
Par ailleurs, il n’a pas été jugé opportun d’instaurer une contribution sur le secteur gazier au vu l’absence de production de gaz naturel en Belgique » (ibid., p. 5).
En outre, la loi du 16 décembre 2022 prévoit un calcul de la contribution de solidarité différent de celui qui est prévu par le règlement (UE) 2022/1854, en ce que, pour la première catégorie de sociétés pétrolières, le montant de la contribution est fixé à 6,9 euros par tonne de pétrole brut transformé entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, et en ce que, pour la seconde catégorie de sociétés pétrolières, le montant est fixé à 7,8 euros par mètre cube de produits mis à la consommation entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023. Selon le législateur, ce montant « représente environ 1,5 % du prix du produit », et il ressortirait du « niveau des ristournes appliqué par les opérateurs sur le prix maximum » que « le montant de la contribution est raisonnable et proportionné aux capacités des sociétés » (ibid., p. 7). En outre, aux fins de la « conformité de la loi nationale belge avec l’article 14.2 du règlement 2022/1854 qui exige que ‘ les mesures nationales équivalentes adoptées (…)
génèrent un produit comparable ou plus important que le produit estimé de la contribution de solidarité ’ » (ibid., p. 5), le législateur a prévu un « mécanisme de compensation ou de régularisation ». L’article 4, § 3, de la loi du 16 décembre 2022 dispose ainsi que, dès le dépôt du bilan annuel pour l’exercice d’imposition de l’année précédente, la contribution est calculée conformément aux articles 15 et 16 du règlement (UE) 2022/1854. Si le montant ainsi calculé est supérieur au montant obtenu selon le calcul prévu par la loi du 16 décembre 2022, la société pétrolière redevable de la contribution doit s’acquitter de la différence.
B.15.5. Selon les parties requérantes dans les affaires nos 7942, 8030, 8036 et 8040, la loi du 16 décembre 2022 porte une atteinte discriminatoire au règlement (UE) 2022/1854, en ce que la contribution de solidarité attaquée n’est pas calculée sur les bénéfices excédentaires visés par ce règlement et en ce que la loi du 16 décembre 2022 déroge au champ d’application personnel de ce règlement. Les parties requérantes contestent en particulier l’application de la contribution de solidarité temporaire aux sociétés pétrolières enregistrées qui, en 2022, ont été définies comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences, y compris les
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sociétés pétrolières enregistrées qui commercialisent uniquement des produits pétroliers, ainsi que l’exclusion des participants primaires pour les autres catégories de produits, comme le pétrole lampant et le kérosène, et l’exclusion des entreprises actives dans les secteurs du charbon et du gaz naturel. Selon les parties requérantes, une telle mesure ne saurait être considérée comme étant une « mesure nationale équivalente » au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement (UE) 2022/1854.
B.15.6. Dans son avis sur l’avant-projet de loi qui a conduit à la loi du 16 décembre 2022, la section de législation du Conseil d’État a observé, en ce qui concerne le champ d’application personnel de cette loi :
« ‘ Les États membres adoptent et publient des mesures mettant en œuvre la contribution de solidarité temporaire obligatoire visée au paragraphe 1 au plus tard le 31 décembre 2022 ’.
L’article 3, § 1er, de l’avant-projet impose une contribution de solidarité temporaire à la charge des ‘ sociétés pétrolières enregistrées actives dans le secteur du raffinage et qui disposent de capacité de raffinage en Belgique et des sociétés pétrolières enregistrée[s] définies comme participants primaires pour l’année 2022, conformément à l’arrêté royal du 5 février 2019 pour les produits diesel, gasoil et essences ’. Ainsi, le champ d’application de la contribution en projet est plus restreint que celui de [l’article 14 du règlement précité]. À la question de savoir si des prélèvements équivalents seront encore instaurés pour les autres secteurs avant l’échéance prévue au paragraphe 3 de cette disposition (31 décembre 2022), le délégué a répondu :
‘ Un projet de loi est en préparation afin d’instaurer un impôt sur les recettes excédentaires par les producteurs d’électricité.
Il n’est pas prévu d’instaurer un impôt sur le secteur gazier. Ceci car en termes de producteurs, le secteur gazier en Belgique se caractérise, d’une part, par l’absence de production de gaz naturel et, d’autre part, par le faible développement des secteurs du biogaz et du biométhane. La production de biogaz n’est pas suffisamment significative pour permettre l’instauration d’une taxe ou d’une contribution.
Concernant le charbon, il n’est pas non plus prévu d’instaurer un impôt sur les surprofits étant donné que la part relative au charbon dans la consommation énergétique belge n’est pas significative ’.
4.2. On peut admettre que la mise en œuvre du règlement (UE) 2022/1854 s’effectue de manière fragmentée, avec des mesures distinctes pour les différents secteurs visés à l’article 14, paragraphe 1, du règlement. Il n’en demeure pas moins que des contributions de solidarité doivent finalement être imposées dans l’ensemble de l’Union aux entreprises et aux établissements stables de l’Union exerçant des activités dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage et qu’il serait contraire au règlement que certaines entreprises et certains établissements stables ayant une activité lucrative dans ces secteurs ne
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soient pas soumis à la contribution de solidarité. En effet, cela pourrait conduire à favoriser certains secteurs par rapport à d’autres, ce qui pourrait affecter la concurrence sur le marché de l’énergie.
Par ailleurs, une proposition de loi néerlandaise portant exécution de cette disposition réglementaire a effectivement un champ d’application qui correspond étroitement aux secteurs énumérés dans cette disposition. Le fait que l’activité lucrative d’un secteur déterminé serait limitée ou insignifiante par rapport à d’autres secteurs, ne suffit pas en soi à dispenser ce secteur s’il correspond à un secteur visé par la disposition réglementaire.
Il peut être admis que le biogaz et les autres biocarburants ne relèvent pas des secteurs énumérés dans la disposition réglementaire. En ce qui concerne le secteur du charbon, le Conseil d’État ne dispose pas des connaissances requises pour pouvoir déterminer sa part par rapport aux autres secteurs, mais si des bénéfices ne pouvant être considérés comme négligeables sont réalisés dans ce secteur, celui-ci doit également être soumis à une contribution. La circonstance qu’il n’y ait pas d’extraction de charbon ou de gaz naturel en Belgique (ni de pétrole), ne change rien au fait qu’il peut y avoir des activités lucratives dans ces secteurs exercées par des entreprises et des établissements stables en Belgique, même si le Conseil d’État ne dispose pas non plus des connaissances de fait requises à cet égard.
Si les auteurs de l’avant-projet estiment que les prélèvements qu’ils envisagent suffiront au regard du règlement (UE) 2022/1854, ils doivent encore fournir une motivation convaincante dans l’exposé des motifs. Si cela ne s’avère pas possible, le champ d’application de la réglementation en projet doit être élargi » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3034/001, pp. 23-24).
La section de législation du Conseil d’État examine ensuite si « la mise en œuvre concrète de la contribution dans le régime en projet peut s’inscrire dans le cadre de l’article 14 du règlement, qui habilite les États membres à adopter des ‘ mesures nationales équivalentes ’, pourvu qu’elles ‘ partagent des objectifs similaires à ceux de la contribution de solidarité temporaire au titre du présent règlement, soient soumises à des règles similaires à celles régissant ladite contribution et génèrent un produit comparable ou plus important que le produit estimé de la contribution de solidarité ’ » :
« 5.1. La première exigence, à savoir que la contribution doit partager des objectifs similaires, ne soulève pas de problème, dès lors que, conformément à l’article 3, § 3, de l’avant‑projet, la contribution a pour but ‘ de soutenir les ménages et les entreprises qui subissent les conséquences de la crise énergétique et doivent faire face aux prix exceptionnellement élevés ’. Cet objectif correspond à plusieurs des finalités énumérées à l’article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) 2022/1854. Du reste, ladite énumération ne semble pas impliquer que le produit de la contribution doive bénéficier à chacune des finalités de cette énumération.
Il est néanmoins requis que conformément à l’article 17, paragraphe 2, du règlement, les mesures visant à affecter le produit de ce prélèvement soient ‘ clairement définies,
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transparentes, proportionnées, non discriminatoires et vérifiables ’, même si cela ne semble pas nécessairement impliquer que ces mesures doivent être énoncées dans des règles de droit formelles.
5.2. En ce qui concerne la deuxième exigence, à savoir que la contribution doit être soumise à des règles similaires à la définition de la contribution dans le règlement, force est de constater que l’avant-projet déroge aux règles relatives à la base et au taux applicable pour le calcul de la contribution, tels qu’ils figurent aux articles 15 et 16 du règlement (UE) 2022/1854.
En effet, la contribution prévue à l’article 3, § 2, de l’avant-projet n’est pas, ainsi que le mentionnent ces dispositions réglementaires, un taux de 33 pour cent minimum sur les bénéfices imposables, mais bien un montant fixe par tonne de pétrole brut importé ou par nombre de mètres cubes de produits mis à la consommation. Ce n’est donc pas un impôt sur le revenu qui est prévu mais un prélèvement sur l’importation et la mise à la consommation de produits.
À ce sujet, le délégué a déclaré ce qui suit :
‘ Le montant de la contribution est en effet calculé par tonne importée ou par mètre cube mis à la consommation. Cependant, selon nos estimations, prenant notamment en compte le système de prix maximum instauré en Belgique, nous pouvons considérer que le montant de la contribution ainsi calculée sera comparable ’.
À ce propos, la note au Conseil des ministres mentionne ce qui suit :
‘ La contribution ne se calcule pas sur les bénéfices imposables excédant de plus de 20 %
les bénéfices imposables moyens des années précédentes, car dans la pratique, il est très difficile de connaître les bénéfices imposables de telles entreprises dans le secteur pétrolier. Etant donné que la plupart des sociétés visées sont des multinationales, il est difficile d’estimer leurs bénéfices déclarés en Belgique. […] La contribution proposée de 6.9 euros/tonne de pétrole brut importé équivaut à 0.95 euros/baril. Cela représente environ 1 % du prix moyen actuel.
Cette contribution, basée sur les importations de pétrole brut en 2021, générerait environ 200 millions d’euros pour l’année 2022. Aussi bien la période que le montant nous semblent proportionnés, et en accord avec le Règlement européen ’.
Toutefois, il n’est nullement certain qu’un prélèvement fixe par unité de produit importé ou mis à la consommation aboutisse à un résultat suffisamment comparable à celui d’un prélèvement en pourcentage sur les bénéfices imposables, indépendamment, en outre, de la question de savoir si de tels droits à l’importation sur le pétrole brut ne sont pas contraires à l’article 30 du Traité ‘ sur le fonctionnement de l’Union européenne ’. Compte tenu de ce qui précède, le règlement (UE) 2022/1854 ne peut en tout cas pas être considéré comme une autorisation implicite donnée aux États membres d’instaurer de tels droits à l’importation.
Il est vrai que les États membres doivent disposer d’une certaine marge de manœuvre pour pouvoir inscrire la contribution définie dans le règlement dans un mécanisme d’imposition qui leur est habituel et connu, qui permette non seulement de fixer cette contribution avant le 31 décembre 2022, ainsi que le requiert l’article 14, paragraphe 3, du règlement (UE) 2022/1854, mais également d’utiliser le produit avec ‘ une incidence suffisamment rapide ’, ainsi que le prescrit l’article 17, paragraphe 1, phrase introductive. La
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question se pose toutefois de savoir si ces arguments suffisent pour justifier un mécanisme d’imposition à ce point différent » (ibid. pp. 24-26).
B.15.7. Dès lors que les recours en annulation font naître un doute concernant la question de savoir si la contribution de solidarité temporaire instaurée par la loi du 16 décembre 2022
est une « mesure nationale équivalente » au sens de l’article 14 du règlement (UE) 2022/1854, il y a lieu, avant de statuer quant au fond, de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la deuxième question préjudicielle formulée dans le dispositif.
B.16.1. Les griefs des parties requérantes mentionnés en B.15.5 portent sur la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus isolément ou non avec le règlement (UE) 2022/1854. Selon les parties requérantes, l’article 4 de la loi du 16 décembre 2022 fait naître une égalité de traitement injustifiée entre, d’une part, les sociétés pétrolières enregistrées qui sont actives dans les secteurs du pétrole brut et du raffinage et, d’autre part, les sociétés pétrolières enregistrées qui sont actives dans le secteur de la distribution. Les parties requérantes dénoncent également la différence de traitement entre, d’une part, les sociétés pétrolières enregistrées qui, en 2022, ont été définies comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences, qui sont redevables de la contribution de solidarité temporaire et, d’autre part, les sociétés pétrolières qui, en 2022, n’ont pas été définies comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences, les participants primaires pour les autres catégories de produits, comme le pétrole lampant et le kérosène, et les entreprises qui sont actives dans les secteurs du charbon et du gaz naturel, qui ne sont pas redevables de la contribution de solidarité temporaire.
B.16.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination est également garanti par les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
L’article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose :
« Toutes les personnes sont égales en droit ».
L’article 21 de cette même Charte dispose :
« 1. Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les
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convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.
2. Dans le domaine d’application des traités et sans préjudice de leurs dispositions particulières, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite ».
B.16.3. En ce que le règlement (UE) 2022/1854 permet l’adoption d’une mesure nationale telle que celle que prévoit la loi du 16 décembre 2022, la question se pose de savoir si le règlement, dans cette interprétation, est compatible avec le principe d’égalité et de non-
discrimination garanti par les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Il y a dès lors lieu, avant de statuer quant au fond, de poser à la Cour de justice la troisième question préjudicielle formulée dans le dispositif.
En ce qui concerne la violation alléguée des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec le TFUE
B.17. Dans le cinquième moyen dans l’affaire n° 7942 et dans le quatrième moyen dans l’affaire n° 8030, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 28 et 30 du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854.
Les parties requérantes estiment que, en prévoyant une taxe forfaitaire calculée sur le volume des produits pétroliers importés, la loi du 16 décembre 2022 instaure une taxe d’effet équivalent à un droit de douane à l’importation, ce qui est interdit en vertu des articles 28 et 30
du TFUE.
À titre subsidiaire, dans le cinquième moyen, la partie requérante dans l’affaire n° 8030
invoque la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 110 du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854. À supposer que la Cour estime que la contribution de solidarité ne constitue pas une taxe d’effet équivalent à un droit de douane, la contribution de solidarité constituerait en tout état de cause un impôt discriminatoire ayant pour but de favoriser des produits nationaux, dans la mesure où la
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contribution n’est prélevée que sur le pétrole importé et non sur les autres produits énergétiques extraits en Belgique.
B.18. Comme il est dit en B.2, les parties requérantes ne justifient pas d’un intérêt à l’annulation de la loi du 16 décembre 2022 en ce que cette loi vise les « sociétés pétrolières enregistrées actives dans le secteur du raffinage et qui disposent de capacité de raffinage en Belgique ».
Par conséquent, la Cour n’examine les moyens mentionnés en B.17 qu’en ce qu’ils portent sur le calcul de la contribution de solidarité temporaire qui est due par les sociétés pétrolières enregistrées ayant, pour l’année 2022, été définies comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences, conformément à l’arrêté royal du 5 février 2019.
B.19. L’article 28 du TFUE dispose :
« 1. L’Union comprend une union douanière qui s’étend à l’ensemble des échanges de marchandises et qui comporte l’interdiction, entre les États membres, des droits de douane à l’importation et à l’exportation et de toutes taxes d’effet équivalent, ainsi que l’adoption d’un tarif douanier commun dans leurs relations avec les pays tiers.
2. Les dispositions de l’article 30 et du chapitre 3 du présent titre s’appliquent aux produits qui sont originaires des États membres, ainsi qu’aux produits en provenance de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans les États membres ».
L’article 30 du TFUE dispose :
« Les droits de douane à l’importation et à l’exportation ou taxes d’effet équivalent sont interdits entre les États membres. Cette interdiction s’applique également aux droits de douane à caractère fiscal ».
L’article 110 du TFUE dispose :
« Aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d’impositions intérieures, de quelque nature qu’elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires.
En outre, aucun État membre ne frappe les produits des autres États membres d’impositions intérieures de nature à protéger indirectement d’autres productions ».
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B.20. Selon la Cour de justice, « constitue une taxe d’effet équivalent à un droit de douane toute charge pécuniaire, même minime, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises en raison du fait qu’elles franchissent une frontière, lorsqu’elle n’est pas un droit de douane proprement dit. En revanche, une charge pécuniaire résultant d’un régime général d’impositions intérieures appréhendant systématiquement selon les mêmes critères objectifs des catégories de produits indépendamment de leur origine ou de leur destination relève de l’article 110 TFUE, qui interdit les impositions intérieures discriminatoires » (CJUE, 6 décembre 2018, C-305/17, FENS, ECLI:EU:C:2018:986, point 29). À cet égard, la Cour de justice a déjà jugé que « la caractéristique essentielle d’une taxe d’effet équivalent, qui la distingue d’une imposition intérieure de nature générale, réside dans la circonstance que la première frappe exclusivement le produit qui franchit la frontière en tant que tel, tandis que la seconde frappe à la fois des produits importés, exportés et nationaux » (CJUE, 6 décembre 2018, C-305/17, précité, point 37; voy. aussi 2 octobre 2014, C-254/13, Orgacom BVBA, ECLI:EU:C:2014:2251, point 28; 20 septembre 2000, C-441/98 et C-442/98, Kapniki Michaïlidis AE, ECLI:EU:C:2000:479, point 22).
B.21. En vertu de l’article 4, § 2, alinéa 2, de la loi du 16 décembre 2022, le montant de la contribution de solidarité attaquée qui est dû par les participants primaires précités est fixé à 7,8 euros par mètre cube de produits « mis à la consommation » entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023.
Le moment auquel un produit est « mis à la consommation » correspond au moment auquel les accises sont dues. En vertu de l’article 6, § 2, de la loi du 22 décembre 2009 « relative au régime général d’accise », on entend par « mise à la consommation » :
« a) la sortie, y compris la sortie irrégulière, de produits soumis à accise, d’un régime de suspension de droits;
b) la détention ou le stockage de produits soumis à accise, y compris dans les cas d’irrégularité, en dehors d’un régime de suspension de droits pour lesquels le droit d’accise n’a pas été prélevé conformément aux dispositions de l’Union et à la législation nationale applicables;
c) la production, y compris la transformation, de produits soumis à accise et la production irrégulière ou la transformation de produits soumis à accise, en dehors d’un régime de suspension de droits;
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d) l’importation de produits soumis à accise, sauf si les produits soumis à accise sont placés, immédiatement après leur importation, sous un régime de suspension de droits, ou l’entrée irrégulière de produits soumis à accise, sauf si la dette douanière s’est éteinte en vertu de l’article 124, paragraphe 1er, point e), f), g) ou k), du règlement (UE) n° 952/2013 ».
B.22. Les recours en annulation font naître un doute quant à la question de savoir si la contribution de solidarité temporaire instaurée par la loi du 16 décembre 2022 sur « les produits mis à la consommation » constitue une taxe d’effet équivalent à un droit de douane au sens de l’article 30 du TFUE ou une imposition intérieure de nature générale au sens de l’article 110 du TFUE. Si la contribution attaquée constitue une imposition intérieure de nature générale, la question se pose de savoir si cette imposition intérieure est discriminatoire ou non, en ce que cette contribution n’est prélevée que sur le pétrole, lequel n’est pas extrait en Belgique et est donc systématiquement importé, et non sur les autres produits énergétiques qui sont extraits en Belgique.
Par conséquent, il y a lieu, avant de statuer quant au fond, de poser à la Cour de justice les quatrième et cinquième questions préjudicielles formulées dans le dispositif.
B.23. Dans le neuvième moyen dans l’affaire n° 7942 et dans le huitième moyen dans l’affaire n° 8040, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10, 11, 16 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 107 et 108 du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854, en ce que la loi du 16 décembre 2022 instaure une contribution de solidarité temporaire exclusivement pour le secteur pétrolier et non pour les secteurs du gaz naturel et du charbon, alors que le règlement précité vise également ces secteurs.
Selon les parties requérantes, l’exclusion des secteurs du gaz naturel et du charbon du champ d’application de la loi du 16 décembre 2022 constitue une aide d’État qui n’a pas été préalablement notifiée à la Commission européenne.
B.24.1. Le Conseil des ministres conteste la recevabilité du neuvième moyen dans l’affaire n° 7942 et du huitième moyen dans l’affaire n° 8040, au motif que les parties requérantes ne sauraient retirer aucun avantage de ces moyens, à supposer qu’ils soient jugés fondés. Il découlerait en effet de la jurisprudence de la Cour de justice que la partie requérante ne peut invoquer l’irrégularité d’une mesure d’aide pour se soustraire au paiement de l’impôt.
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B.24.2. Dès lors que les parties requérantes justifient de l’intérêt requis pour demander l’annulation des dispositions attaquées, elles ne doivent pas en outre justifier d’un intérêt au moyen.
B.24.3. L’exception est rejetée.
B.25.1. L’article 107, paragraphe 1, du TFUE dispose :
« Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».
L’article 108, paragraphe 3, du TFUE dispose :
« Art. 108.3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu’un projet n’est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l’article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L’État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ».
B.25.2. Les articles 107 et 108, précités, du TFUE exposent les règles qui doivent être suivies lorsque des aides d’État sont octroyées. Le respect de ces règles garantit qu’aucune mesure ne fausse ou ne menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Dans son examen de la compatibilité des dispositions attaquées avec les articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour peut dès lors être amenée à examiner s’il est porté une atteinte discriminatoire à cette garantie.
Si la question de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur relève d’une mission attribuée en propre à la Commission européenne, sous le contrôle du Tribunal et de la Cour de justice, de telle sorte que la Cour n’est pas compétente pour en connaître, il en va différemment du point de savoir si la disposition attaquée doit être considérée comme contraire à l’article 108, paragraphe 3, du TFUE au motif qu’elle constitue la mise en œuvre d’une aide d’État qui n’a
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pas été notifiée auparavant à la Commission européenne (à ce propos, voy. CJUE, 18 juillet 2013, C-6/12, P Oy, ECLI:EU:C:2013:525, point 38).
B.25.3. La Cour doit vérifier si la contribution de solidarité temporaire instaurée par la loi du 16 décembre 2022 doit, en ce qu’elle s’applique uniquement au secteur pétrolier et non aux secteurs du gaz naturel et du charbon, être qualifiée de nouvelle aide d’État, et, dans l’affirmative, si celle-ci devait être notifiée à la Commission avant d’être mise en œuvre.
B.26.1. L’article 107, paragraphe 1, du TFUE prohibe, en principe, les aides accordées aux entreprises par les États, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres.
B.26.2. Pour qu’une mesure puisse être qualifiée d’aide d’État, quatre conditions cumulatives doivent être remplies, à savoir « [p]remièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence » (CJUE, 10 juin 2010, C-140/09, Fallimento Traghetti del Mediterraneo SpA, ECLI:EU:C:2010:335, point 31).
À cet égard, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, « la notion d’aide est plus générale que celle de subvention, étant donné qu’elle comprend non seulement des prestations positives, telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions d’État qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, par-là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques » (CJUE, 4 juin 2015, C-5/14, Kernkraftwerke Lippe-Ems GmbH c. Hauptzollamt Osnabrück, ECLI:EU:C:2015:354, point 71).
B.26.3. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour de justice que « l’article 107, paragraphe 1, TFUE interdit les aides ‘ favorisant certaines entreprises ou certaines productions ’, c’est-à-dire les aides sélectives » et qu’en ce qui concerne « l’appréciation de la condition de sélectivité, il résulte d’une jurisprudence constante que l’article 107, paragraphe 1,
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TFUE impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, une mesure nationale est de nature à favoriser certaines entreprises ou certaines productions par rapport à d’autres, qui se trouveraient, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable » (CJUE, 4 juin 2015, C-5/14, précité, points 73-74).
B.27. L’examen du caractère sélectif ou non de la mesure attaquée, quant à l’application des articles 107 et 108 du TFUE, en ce que cette mesure ne s’applique qu’au secteur pétrolier et non aux secteurs du gaz naturel et du charbon, présente un certain nombre de similitudes avec l’examen des moyens mentionnés en B.10, que les parties requérantes prennent de la violation du principe d’égalité et de non-discrimination, garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution et par les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, au sujet duquel la Cour pose à la Cour de justice la troisième question préjudicielle formulée dans le dispositif.
Dès lors que les recours font naître un doute quant à la question de savoir si la contribution de solidarité instaurée par la loi du 16 décembre 2022, en ce qu’elle s’applique uniquement au secteur pétrolier et non aux secteurs du gaz naturel et du charbon, doit être qualifiée de nouvelle aide d’État et si, dans l’affirmative, celle-ci devait être notifiée à la Commission préalablement à sa mise en œuvre, il y a lieu, avant de statuer quant au fond, de poser à la Cour de justice la sixième question préjudicielle formulée dans le dispositif.
En ce qui concerne les violations alléguées des droits fondamentaux
B.28. Dans le sixième moyen dans l’affaire n° 7942, dans le premier moyen dans l’affaire n° 8030, dans la seconde branche du deuxième moyen dans l’affaire n° 8036 ainsi que dans le cinquième moyen dans l’affaire n° 8040, les parties requérantes invoquent la violation de l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : le Premier Protocole additionnel), avec l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec le règlement (UE) 2022/1854.
Dans le septième moyen dans l’affaire n° 7942 et dans le quatrième moyen dans l’affaire n° 8040, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10, 11 et 172 de la
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Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre au sens de l’article II.3 du Code de droit économique, avec les articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec les articles 49 et 56 du TFUE et avec le règlement (UE) 2022/1854.
Les parties requérantes critiquent en substance le fait que, pour le calcul de la contribution de solidarité due, le législateur ne tient pas compte des bénéfices effectivement réalisés par entreprise individuelle, mais se fonde sur un montant fixe de bénéfices excédentaires irréfragablement présumés qui sont déterminés en fonction des volumes de produits pétroliers mis à la consommation. Elles critiquent en outre le fait que le mécanisme de régularisation prévu par la loi du 16 décembre 2022 ne permet pas le remboursement du montant payé en trop par rapport au montant calculé selon le règlement (UE) 2022/1854. Le montant de la contribution de solidarité due dépasserait plusieurs fois le montant des bénéfices réels qu’elles peuvent réaliser et imposerait ainsi une charge excessive qui porterait atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre.
B.29.1. L’article 16 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
L’article 1er du Premier Protocole additionnel dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
L’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose :
« 1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en
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temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général.
2. La propriété intellectuelle est protégée ».
B.29.2. L’article 1er du Premier Protocole additionnel et l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ayant une portée analogue à celle de l’article 16 de la Constitution, les garanties qu’ils contiennent forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans l’article 16 de la Constitution, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle des dispositions attaquées.
B.29.3. L’article 1er du Protocole précité offre une protection non seulement contre une expropriation ou une privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase) mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et tout règlement de l’usage des biens (alinéa 2).
B.29.4. Toute ingérence dans le droit de propriété doit être établie par une loi suffisamment accessible et précise. Elle doit être formulée en des termes clairs et suffisamment précis pour que chacun puisse – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – prévoir, à un degré raisonnable, dans les circonstances de la cause, les conséquences d’un acte déterminé, tout en évitant une rigidité excessive, empêchant de tenir compte des circonstances ou conceptions sociales changeantes dans l’interprétation d’une norme législative (CEDH, grande chambre, 11 décembre 2018, Lekić c. Slovénie, ECLI:CE:ECHR:2018:1211JUD003648007, §§ 94-95;
grande chambre, 7 juin 2012, Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie, ECLI:CE:ECHR:2012:0607JUD003843309, §§ 187-188).
Toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il faut qu’existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.
B.30.1. La liberté d’entreprendre, visée à l’article II.3 du Code de droit économique, doit s’exercer « dans le respect des traités internationaux en vigueur en Belgique, du cadre normatif
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général de l’union économique et de l’unité monétaire tel qu’établi par ou en vertu des traités internationaux et de la loi » (article II.4 du même Code).
La liberté d’entreprendre doit par conséquent être lue en combinaison avec les dispositions de droit de l’Union européenne applicables, ainsi qu’avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980, au regard duquel la Cour peut effectuer directement un contrôle, dès lors qu’il s’agit d’une règle répartitrice de compétences.
B.30.2. La liberté d’entreprendre précitée est en outre étroitement liée à la liberté professionnelle, au droit de travailler et à la liberté d’entreprise, qui sont garantis par les articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et à plusieurs libertés fondamentales garanties par le TFUE, comme la libre prestation des services (article 56
du TFUE) et la liberté d’établissement (article 49 du TFUE).
Dès lors que les articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les articles 49 et 56 du TFUE ont une portée analogue à celle de la liberté d’entreprendre, la Cour tient compte des garanties contenues dans ces dispositions dans le cadre de son contrôle des dispositions attaquées.
B.30.3. La liberté d’entreprendre ne peut être conçue comme une liberté absolue. Elle ne fait pas obstacle à ce que la loi, le décret ou l’ordonnance règle l’activité économique des personnes et des entreprises.
Des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par le TFUE peuvent néanmoins être admises dès lors qu’elles sont instaurées par la loi et qu’elles respectent la substance de ces droits et libertés, qu’elles répondent à des raisons impérieuses d’intérêt général ou aux exigences de la protection des droits et libertés d’autrui, qu’elles sont propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et qu’elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (CJUE, grande chambre, 13 novembre 2018, C-33/17, Čepelnik d.o.o., ECLI:EU:C:2018:896, point 42; grande chambre, 22 janvier 2013, C-283/11, Sky Österreich GmbH, ECLI:EU:C:2013:28, points 45-50; 4 mai 2016, C-477/14, Pillbox 38, ECLI:EU:C:2016:324, points 157-160). Par conséquent, le législateur
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compétent n’interviendrait de manière déraisonnable que s’il limitait sans aucune nécessité la liberté d’entreprendre ou si cette limitation était disproportionnée au but poursuivi.
B.31. Le Conseil des ministres estime que la contribution de solidarité attaquée ne porte pas une atteinte injustifiée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre, et il argumente son point de vue en renvoyant notamment à la possibilité qu’offre l’article 14 du règlement (UE) 2022/1854 d’adopter des « mesures nationales équivalentes », à condition que ces mesures « génèrent un produit comparable ou plus important que le produit estimé de la contribution de solidarité ».
B.32. La question se pose de savoir si l’article 14 du règlement (UE) 2022/1854, interprété comme permettant que le montant de la contribution de solidarité temporaire à charge des sociétés pétrolières enregistrées qui, en 2022, ont été définies comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences conformément à l’arrêté royal du 5 février 2019 soit fixé à 7,8 euros par mètre cube de produits mis à la consommation entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, sans que soit prévu un mécanisme de régularisation permettant le remboursement des contributions payées en trop par rapport au montant calculé selon le règlement (UE) 2022/1854, est compatible avec le droit de propriété et avec la liberté d’entreprendre.
B.33. Il y a dès lors lieu, avant de statuer quant au fond, de poser à la Cour de justice la septième question préjudicielle formulée dans le dispositif.
B.34. Dans le huitième moyen dans l’affaire n° 7942, dans le troisième moyen dans l’affaire n° 8030, dans le troisième moyen dans l’affaire n° 8036 et dans le sixième moyen dans l’affaire n° 8040, les parties requérantes invoquent notamment la violation des articles 10, 11
et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la non-rétroactivité des lois et avec le principe de la sécurité juridique.
Selon les parties requérantes, la loi du 16 décembre 2022 a un effet rétroactif, en ce qu’elle instaure une contribution de solidarité due sur les produits qui ont déjà été importés ou mis à la consommation à partir du 1er janvier 2022. Aucun objectif d’intérêt général ne justifierait cette taxation rétroactive.
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B.35.1. Le principe de la sécurité juridique interdit au législateur de porter atteinte sans justification objective et raisonnable à l’intérêt que possèdent les sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.
B.35.2. La non-rétroactivité des lois est une garantie ayant pour but de prévenir l’insécurité juridique. Cette garantie exige que le contenu du droit soit prévisible et accessible, de sorte que le justiciable puisse prévoir, dans une mesure raisonnable, les conséquences d’un acte déterminé au moment où cet acte est accompli. La rétroactivité ne se justifie que si elle est indispensable à la réalisation d’un objectif d’intérêt général.
B.36. L’article 5, § 2 de la loi du 16 décembre 2022 dispose :
« La contribution de solidarité temporaire relative au pétrole brut importé et aux produits diesel, gasoil et essences mis à la consommation entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2022 sera facturée chaque semestre de l’année en cours et payée au plus tard 30 jours à partir de la date de réception de la facture.
La contribution de solidarité temporaire relative au pétrole brut importé et aux produits diesel, gasoil et essences mis à la consommation entre le 1er janvier 2023 et le 31 décembre 2023 sera facturée chaque semestre de l’année en cours et payée au plus tard 30 jours à partir de la date de réception de la facture ».
En vertu de l’article 8 de la loi du 16 décembre 2022, la loi est entrée en vigueur le 22 décembre 2022, à savoir le jour où elle a été publiée au Moniteur belge.
B.37. Les parties requérantes critiquent le fait que la loi du 16 décembre 2022 vise la mise à la consommation des produits pétroliers à partir du 1er janvier 2022, alors que cette loi n’est entrée en vigueur que le 22 décembre 2022. Par conséquent, la loi du 16 décembre 2022 aurait un effet rétroactif à l’égard des produits pétroliers mis à la consommation avant le 22 décembre 2022.
B.38. Selon le Conseil des ministres, la loi du 16 décembre 2022 n’a pas d’effet rétroactif, puisque le montant de la dette d’impôt n’est définitivement fixé qu’à la fin de la période imposable, c’est-à-dire le 31 décembre 2022 pour la première période imposable (l’année 2022), et que la loi du 16 décembre 2022 est entrée en vigueur avant la clôture de cette première période. À supposer que la contribution de solidarité temporaire pour l’année 2022
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doive tout de même être considérée comme étant rétroactive, le Conseil des ministres soutient que cette rétroactivité peut se justifier par un objectif d’intérêt général, à savoir la garantie du caractère abordable de l’énergie. Par ailleurs, le Conseil des ministres renvoie au fait que la contribution de solidarité instaurée par la loi du 16 décembre 2022 rejoint, en ce qui concerne son effet dans le temps, le règlement (UE) 2022/1854, qui certes ne date lui-même que du 6 octobre 2022 et n’a été publié au Journal officiel que le 7 octobre 2022, mais qui autorise explicitement les États membres à instaurer une contribution de solidarité temporaire pour l’année 2022.
B.39. En vertu de l’article 14, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) 2022/1854, les États membres peuvent adopter des « mesures nationales équivalentes », qui sont soumises à des règles similaires à celles qui régissent la contribution de solidarité temporaire au titre du règlement.
En vertu de l’article 15 du règlement (UE) 2022/1854, la contribution de solidarité temporaire pour les entreprises et les établissements stables de l’Union européenne exerçant des activités dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage est « calculée sur les bénéfices imposables [...] au cours de l’exercice fiscal 2022 et/ou l’exercice fiscal 2023 et pour toute leur durée, excédant de plus de 20 % la moyenne des bénéfices imposables, déterminés conformément aux règles fiscales nationales, des quatre exercices fiscaux commençant le 1er janvier 2018 ou après cette date ».
Les considérants 64 et 65 du règlement (UE) 2022/1854 précisent ce qui suit :
« (64) […] La contribution de solidarité devrait être applicable pour couvrir les bénéfices excédentaires générés en 2022 et/ou en 2023, afin de parer aux effets néfastes de la crise énergétique actuelle pour les ménages et les entreprises et de les atténuer. [...]
(65) La contribution de solidarité ne devrait s’appliquer qu’à l’exercice fiscal 2022 et/ou 2023. [...] ».
B.40. La question se pose de savoir si les articles 14 et 15 du règlement (UE) 2022/1854, en ce qu’ils permettent que, pour les sociétés pétrolières enregistrées qui ont été définies en 2022 comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences, le montant de la contribution de solidarité temporaire instaurée par la loi du 16 décembre 2022 soit calculé sur les produits mis à la consommation entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, alors
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que le règlement précité et la loi du 16 décembre 2022 ne sont entrés en vigueur, respectivement, que le 8 octobre 2022 et le 22 décembre 2022, sont compatibles avec le principe général de la sécurité juridique et de la non-rétroactivité des lois.
B.41. Il y a dès lors lieu, avant de statuer quant au fond, de poser à la Cour de justice la huitième question préjudicielle formulée dans le dispositif.
En ce qui concerne le maintien des effets des dispositions attaquées
B.42.1. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres demande à la Cour de maintenir les effets des dispositions à annuler, le cas échéant, en ce qui concerne les contributions déjà perçues.
Le Conseil des ministres renvoie à cet égard aux difficultés budgétaires qu’une annulation non modulée entraînerait, compte tenu du fait que le produit de la contribution de solidarité attaquée a déjà été réalisé et a également été définitivement affecté aux fins auxquelles il est destiné. Le Conseil des ministres souligne ensuite le fait que la loi du 16 décembre 2022 met partiellement en œuvre le règlement (UE) 2022/1854, qui contraint l’autorité fédérale à imposer une contribution de solidarité temporaire au sens de ce règlement au plus tard le 31 décembre 2023, ou à adopter une « mesure nationale équivalente » qui génère « un produit comparable ou plus important » que le produit estimé de la contribution de solidarité, comme décrit dans le règlement. Une annulation de la loi du 16 décembre 2022 sans maintien des effets aurait pour conséquence que plus aucune contribution de solidarité ne serait due, ce qui porterait atteinte à l’objectif de la contribution de solidarité visée dans le règlement (UE) 2022/1854 consistant à « [cibler] les bénéfices excédentaires des entreprises et des établissements stables de l’Union exerçant des activités dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage afin d’atténuer les effets de l’évolution exceptionnelle des prix sur les marchés de l’énergie pour les États membres, les consommateurs et les entreprises », et engendrerait un vide juridique préjudiciable pour le droit de l’Union. Il serait par ailleurs impossible de remplacer la loi du 16 décembre 2022 par de nouvelles prescriptions nationales compatibles avec le règlement (UE) 2022/1854, puisque les États membres devaient adopter et publier les mesures de mise en œuvre de la contribution de solidarité temporaire obligatoire au plus tard le 31 décembre 2022.
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B.42.2. En la matière, la Cour doit tenir compte des limitations qui découlent du droit de l’Union européenne quant au maintien des effets des normes nationales qui doivent être annulées parce qu’elles sont contraires à ce droit (CJUE, grande chambre, 8 septembre 2010, C-409/06, Winner Wetten GmbH, ECLI:EU:C:2010:503, points 53-69; grande chambre, 28 février 2012, C-41/11, Inter-Environnement Wallonie ASBL et Terre wallonne ASBL, ECLI:EU:C:2012:103, points 56-63).
En règle générale, ce maintien des effets ne peut avoir lieu qu’aux conditions qui sont fixées par la Cour de justice en réponse à une question préjudicielle. Partant, il convient de poser à la Cour de justice la neuvième question préjudicielle formulée dans le dispositif.
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Par ces motifs,
la Cour,
- avant de statuer quant au fond sur les premier et troisième à neuvième moyens dans l’affaire n° 7942, sur les moyens dans les affaires nos 8030 et 8036, ainsi que sur les premier, deuxième et quatrième à sixième moyens dans l’affaire n° 8040, pose à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
1. Les dispositions du règlement (UE) 2022/1854 du Conseil du 6 octobre 2022 « sur une intervention d’urgence pour faire face aux prix élevés de l’énergie » relatives à la contribution de solidarité temporaire sont-elles valides, en ce que ces dispositions ont été adoptées en vertu de l’article 122, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ?
2. En cas de réponse affirmative à la première question préjudicielle, l’article 14 du règlement (UE) 2022/1854, précité, doit-il être interprété en ce sens qu’une contribution telle que celle qui a été instaurée par la loi du 16 décembre 2022 « instaurant une contribution de solidarité temporaire à charge du secteur pétrolier », constitue une « mesure nationale équivalente » ?
3. En cas de réponse affirmative aux première et deuxième questions préjudicielles, l’article 14 du règlement (UE) 2022/1854, précité, viole-t-il, dans l’interprétation mentionnée dans la deuxième question préjudicielle, les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce qu’il permet l’adoption d’une mesure nationale qui s’applique tant aux sociétés pétrolières enregistrées qui sont actives dans les secteurs du pétrole brut et du raffinage qu’aux sociétés pétrolières enregistrées qui sont actives dans le secteur de la distribution, et en ce qu’il permet l’adoption d’une mesure nationale qui s’applique aux sociétés pétrolières enregistrées qui ont été définies en 2022 comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences, alors que cette mesure ne s’applique pas aux sociétés pétrolières enregistrées qui n’ont pas été définies en 2022 comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences, ni aux participants primaires pour les autres catégories de produits, comme le pétrole lampant et le kérosène, ni aux entreprises qui sont actives dans les secteurs du charbon et du gaz naturel ?
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4. L’article 30 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu’une mesure telle que celle que contient la loi, précitée, du 16 décembre 2022 à charge des sociétés pétrolières enregistrées qui ont été définies en 2022 comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences constitue une taxe interdite d’effet équivalent à un droit de douane ?
5. L’article 110 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu’une mesure telle que celle que contient la loi, précitée, du 16 décembre 2022 à charge des sociétés pétrolières enregistrées qui ont été définies en 2022
comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences constitue une imposition intérieure discriminatoire ?
6. Les articles 107, paragraphe 1, et 108, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une mesure telle que celle qui est contenue dans la loi, précitée, du 16 décembre 2022 constitue une nouvelle aide d’État qui aurait dû être notifiée à la Commission européenne ?
7. En cas de réponse affirmative aux première et deuxième questions préjudicielles, l’article 14 du règlement (UE) 2022/1854, dans l’interprétation mentionnée dans la deuxième question préjudicielle, viole-t-il les articles 15, 16 et 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et les articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en ce qu’il permet que, pour les sociétés pétrolières enregistrées qui ont été définies en 2022 comme participants primaires pour les produits diesel, gasoil et essences, le montant de la contribution de solidarité temporaire, telle qu’elle a été instaurée par la loi, précitée, du 16 décembre 2022, soit fixé à 7,8 euros par mètre cube de produits mis à la consommation entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, sans que soit prévu un mécanisme de régularisation permettant le remboursement des contributions payées en trop par rapport au montant calculé selon le règlement (UE) 2022/1854 ?
8. En cas de réponse affirmative aux première et deuxième questions préjudicielles, l’article 14 du règlement (UE) 2022/1854, dans l’interprétation mentionnée dans la deuxième question préjudicielle, et l’article 15 de ce même règlement violent-ils le principe général de la sécurité juridique et de la non-rétroactivité des lois, en ce qu’ils permettent que, pour les sociétés pétrolières enregistrées qui ont été définies en 2022 comme participants primaires pour
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les produits diesel, gasoil et essences, le montant de la contribution de solidarité temporaire, telle qu’elle a été instaurée par la loi, précitée, du 16 décembre 2022, soit calculé sur les produits mis à la consommation entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, alors que ce règlement et cette loi ne sont entrés en vigueur, respectivement, que le 8 octobre 2022 et le 22 décembre 2022 ?
9. Si, sur la base des réponses aux questions préjudicielles reproduites plus haut, la Cour constitutionnelle devait arriver à la conclusion que la loi, précitée, du 16 décembre 2022, qui transpose le règlement (UE) 2022/1854, méconnaît une ou plusieurs des obligations découlant des dispositions mentionnées dans ces questions, pourrait-elle maintenir définitivement les effets de la loi, précitée, du 16 décembre 2022, afin d’éviter les difficultés budgétaires qu’une annulation non modulée entraînerait et de garantir que l’objectif de la contribution de solidarité visée dans le règlement (UE) 2022/1854 puisse être réalisé ?
- sursoit à statuer sur le dixième moyen dans l’affaire n° 7942 et sur les cinquième et septième moyens dans l’affaire n° 8040;
- rejette le deuxième moyen dans l’affaire n° 7942 et le troisième moyen dans l’affaire n° 8040.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 avril 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen