Cour constitutionnelle
Arrêt n° 49/2024
du 25 avril 2024
Numéro du rôle : 8073
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 3.62, § 2, du Code civil, posée par le Juge de paix du canton de Hamme.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Joséphine Moerman, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 18 août 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 août 2023, le Juge de paix du canton de Hamme a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 3.62, § 2, du Code civil viole-t-il l’article 16 de la Constitution, l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 17
de la Déclaration universelle des droits de l’homme en ce qu’en cas d’empiètement de mauvaise foi, entre deux propriétés, le voisin/propriétaire ne peut exiger l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète que s’il y a emprise considérable ou préjudice potentiel ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- Erik Van Rymenant et Ann Opsomer, assistés et représentés par Me Jean-Pierre Westerlinck, avocat au barreau de Termonde;
- Marko Algüllü, assisté et représenté par Me Etienne De Prijcker, avocat au barreau de Termonde;
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- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Steve Ronse et Me Thomas Quintens, avocats au barreau de Flandre occidentale.
Le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 28 février 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Joséphine Moerman et Emmanuelle Bribosia, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Les parties demanderesses poursuivent devant le Juge de paix du canton de Hamme la condamnation de la partie défenderesse à abattre l’isolation, le mur, les fondations et les conduites d’utilité publique qu’elle a aménagés sur leur propriété, le long du mur de séparation du bâtiment situé sur la propriété de la partie défenderesse, ainsi qu’à remettre la propriété des parties demanderesses dans son pristin état. Le Juge de paix estime qu’il y a lieu d’appliquer l’article 3.62, § 2, du Code civil, et il constate à cet égard que la partie défenderesse a agi de mauvaise foi, que l’emprise sur la parcelle des parties demanderesses ne saurait être jugée considérable (environ 25 centimètres) et que les parties demanderesses n’indiquent pas en quoi consisterait leur préjudice. Il estime qu’en vertu de la disposition précitée, les parties demanderesses peuvent uniquement demander qu’un droit de superficie leur soit octroyé pour la durée de l’existence de la construction de la partie défenderesse ou exiger la cession de propriété de la partie de la parcelle occupée, moyennant, dans les deux cas, dédommagement sur la base de l’enrichissement injustifié. Il se demande toutefois si l’article 3.62, § 2, alinéa 3, du Code civil est compatible avec le droit de propriété et estime qu’il s’indique de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. Le Conseil des ministres expose que l’article 3.62, § 2, alinéa 3, du Code civil dispose que l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète ne peut être exigé que s’il y a une emprise considérable ou un préjudice potentiel. Il déduit des travaux préparatoires que cette disposition constitue une application de l’interdiction de l’abus de droit, qui, selon lui, est reconnue comme un principe général de droit par la Cour de cassation, par la Cour constitutionnelle et par la Cour de justice de l’Union européenne. Il souligne que l’interdiction de l’abus de droit est également inscrite d’une manière générale à l’article 1.10 du Code civil.
A.2.1. Le Conseil des ministres estime que le propriétaire qui subit un empiétement de mauvaise foi n’est pas privé de son droit d’agir. Si l’emprise n’est pas considérable et que le propriétaire ne subit pas un préjudice potentiel, il ne peut toutefois pas, selon le Conseil des ministres, exiger la destruction de la composante qui empiète, étant donné qu’une telle exigence reviendrait à l’exercice d’un droit d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente placée dans les
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mêmes circonstances. Il considère que le législateur a, dans cette situation, tempéré le droit du propriétaire concerné en application du principe général de l’interdiction de l’abus de droit, en ce sens que ce propriétaire peut céder le fonds empiété ou accorder un droit de superficie, moyennant, dans les deux cas, dédommagement. Il souligne que la disposition en cause laisse aux cours et tribunaux un pouvoir d’appréciation suffisant, étant donné qu’il leur revient d’apprécier le caractère éventuellement considérable de l’emprise ainsi que l’existence d’un préjudice potentiel.
A.2.2. Dès lors que la disposition en cause constitue une simple application de l’interdiction de principe de l’abus de droit, le Conseil des ministres estime que cette disposition est compatible avec les normes de référence mentionnées dans la question préjudicielle.
A.3. La partie défenderesse devant la juridiction a quo est elle aussi d’avis que la disposition en cause constitue une application de l’interdiction de l’abus de droit. À cet égard, elle renvoie aux travaux préparatoires.
Elle souligne que la pose d’isolation sur des murs extérieurs sert l’intérêt général. Elle soutient que la disposition en cause est compatible avec les normes de référence mentionnées dans la question préjudicielle.
A.4. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo soutiennent que la disposition en cause n’est pas compatible avec le droit de propriété, tel qu’il est garanti par les normes de référence mentionnées dans la question préjudicielle, en ce que cette disposition permet que des personnes soient privées d’une partie de leur propriété, non pas pour cause d’utilité publique, mais dans l’intérêt privé d’une personne agissant de mauvaise foi.
-B-
B.1. La question préjudicielle concerne l’article 3.62 du Code civil, qui dispose :
« § 1er. Si un ouvrage est réalisé en partie sur, au-dessus ou en dessous du fonds du voisin, ce dernier peut en exiger l’enlèvement, sauf si cet empiétement est fondé sur un titre légal ou contractuel. Si l’empiétement a déjà duré le temps de la prescription acquisitive, le propriétaire empiétant peut acquérir un titre légal conformément à l’article 3.27.
Si des ouvrages sont réalisés sur, au-dessus ou en dessous du fonds du voisin sur la base d’un titre légal ou contractuel et sont une composante inhérente d’un ouvrage appartenant au propriétaire empiétant, ils appartiennent à ce dernier par accession pour la durée de ce titre.
§ 2. A défaut de titre, le voisin peut exiger l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète sur son fonds.
Dans ce cas, si le propriétaire est de bonne foi et qu’il serait, par l’enlèvement de la partie qui empiète, lésé de façon disproportionnée, le propriétaire du fonds contigu ne peut pas en exiger l’enlèvement. Il a le choix soit d’accorder un droit de superficie pour la durée de l’existence de la construction, soit de céder la partie de la parcelle nécessaire, moyennant, dans les deux cas, dédommagement sur la base de l’enrichissement injustifié.
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Si l’auteur de l’empiétement est de mauvaise foi, le voisin peut exiger l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète sauf s’il n’y a ni emprise considérable, ni préjudice potentiel dans le chef du voisin. S’il ne demande pas l’enlèvement, l’alinéa 2 est d’application ».
B.2. Il est demandé à la Cour si l’article 3.62, § 2, alinéa 3, du Code civil est compatible avec l’article 16 de la Constitution, avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : le Premier Protocole additionnel) et avec l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en ce qu’en cas d’empiètement de mauvaise foi, le voisin ne peut exiger l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète que s’il y a emprise considérable ou préjudice potentiel.
B.3. À défaut d’inscription des règles de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 dans un texte normatif de valeur contraignante, la Cour ne peut contrôler le respect des dispositions de cette Déclaration dont la violation est invoquée.
En ce qu’il est demandé à la Cour de contrôler la disposition en cause au regard de l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la question préjudicielle n’est pas recevable.
B.4.1. L’article 16 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
L’article 1er du Premier Protocole additionnel dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
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B.4.2. L’article 1er du Premier Protocole additionnel offre une protection non seulement contre l’expropriation ou contre la privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase), mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et contre toute réglementation de l’usage des biens (second alinéa).
Cet article ne porte pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général.
L’ingérence dans le droit au respect des biens n’est compatible avec ce droit que si elle est raisonnablement proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire si elle ne rompt pas le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et celles de la protection de ce droit. La Cour européenne des droits de l’homme considère également que les États membres disposent en la matière d’une grande marge d’appréciation (CEDH, 2 juillet 2013, R.Sz. c. Hongrie, ECLI:CE:ECHR:2013:0702JUD004183811, § 38).
B.4.3. L’article 1er du Premier Protocole additionnel ayant une portée analogue à celle de l’article 16 de la Constitution, les garanties qu’il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle de la disposition en cause.
B.5.1. L’article 3.62 du Code civil règle, dans le cadre du droit des biens, ce qu’on appelle l’empiètement, c’est-à-dire la situation dans laquelle un ouvrage est réalisé en partie sur, au-
dessus ou en dessous du fonds du voisin.
Le second paragraphe de cette disposition s’applique lorsque l’empiètement ne repose sur aucun titre légal ou contractuel.
B.5.2. En vertu de l’article 3.62, § 2, alinéa 1er, du Code civil, à défaut de titre, le voisin peut en principe exiger l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète sur son fonds.
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Une composante inhérente d’un bien est, en vertu de l’article 3.8 du même Code, un élément nécessaire de ce bien qui ne peut en être séparé sans porter atteinte à la substance physique ou fonctionnelle de ce bien.
B.5.3. Le droit du voisin d’exiger l’enlèvement de la composante qui empiète est toutefois tempéré aux alinéas 2 et 3 de l’article 3.62, § 2, du Code civil, qui établissent une distinction selon que le propriétaire empiétant est de bonne ou de mauvaise foi.
Dans l’hypothèse où le propriétaire empiétant est de bonne foi et où il serait lésé de façon disproportionnée par l’enlèvement de la partie qui empiète, le propriétaire du fonds contigu ne peut pas en exiger l’enlèvement. Il a le choix soit d’accorder un droit de superficie pour la durée de l’existence de la construction, soit de céder la partie de la parcelle nécessaire, moyennant, dans les deux cas, dédommagement sur la base de l’enrichissement injustifié (article 3.62, § 2, alinéa 2).
Si le propriétaire empiétant est de mauvaise foi, le voisin peut exiger l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète, sauf s’il n’y a ni emprise considérable, ni préjudice potentiel dans le chef du voisin. S’il ne demande pas l’enlèvement, l’alinéa 2 est d’application (article 3.62, § 2, alinéa 3).
B.5.4. Il s’ensuit que, si le propriétaire empiétant est de mauvaise foi, le voisin peut en principe exiger l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète. Ce n’est que si l’emprise n’est pas considérable et qu’il n’y a pas de préjudice potentiel dans le chef du voisin que l’exigence de l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète est exclue. Dans ce cas, l’article 3.62, § 2, alinéa 2, du Code civil est d’application : le voisin a le choix soit d’accorder un droit de superficie pour la durée de l’existence de la construction, soit de céder la partie de parcelle nécessaire, moyennant, dans les deux cas, dédommagement sur la base l’enrichissement injustifié.
B.6.1. Les travaux préparatoires de la disposition en cause mentionnent :
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« Si un propriétaire ou un titulaire de droit réel démembré érige ou fait ériger un bâtiment qui empiète sur les limites de la parcelle, trois questions se posent, à savoir : (1) quel est le statut de droit réel de la partie du bâtiment qui empiète, (2) quel est le statut de droit réel du sol sur lequel cette partie se trouve et (3) le voisin peut-il demander l’enlèvement de la partie qui empiète ?
Dans la législation actuelle, aucune disposition légale ne traite de cette question, avec l’insécurité juridique qui en découle, sauf à noter la courte finale, controversée de surcroît, de l’article 553 du Code civil. Dans des régimes étrangers, on voit que le cas du dépassement des limites (empiètement/encroachment) fait l’objet d’une réglementation légale (pour un aperçu de droit comparé: Z. TEMMERS, Building encroachments and compulsory transfer of land, 2010). La présente disposition vise à apporter une réponse à ces questions, et ce dans diverses hypothèses. Il est en outre tenu compte des intérêts des deux parties, ainsi que de l’intérêt général en termes d’analyse économique du droit.
[...]
S’il n’y a pas de titre, la réparation en nature est le remède premier, mais une exception est prévue dans les hypothèses d’abus de droit précisées. Contrairement à l’Avant-Projet français Capitant, les auteurs du présent projet ont choisi de ne pas fixer de limite mathématique au dépassement de limite car tout dépend, entre autres, des circonstances propres au cas. Dans la disposition proposée, cet abus de droit est envisagé de façon plus restrictive lorsque celui qui empiète est de bonne foi que lorsqu’il est de mauvaise foi. Pour permettre cette distinction, on précise l’abus de droit tel que défini à l’article 5.7 de l’avant-projet relatif au droit des obligations » (Doc. parl., Chambre, 2019, DOC 55-0173/001, pp. 153-154).
B.6.2. Il en ressort que le législateur, en adoptant les règles contenues dans l’article 3.62, § 2, alinéas 2 et 3, du Code civil, a souhaité régler l’abus de droit dans le cadre de l’empiètement et qu’il a voulu tenir compte à cet égard « des intérêts des deux parties, ainsi que de l’intérêt général en termes d’analyse économique du droit ».
B.6.3. L’interdiction de l’abus de droit est un principe général qui s’oppose à ce qu’un droit soit exercé d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et raisonnable (Cass. 10 septembre 1971, Pas., 1972, I, p. 28, ECLI:BE:CASS:1971:ARR.19710910.2).
Cette interdiction trouve également son fondement dans l’article 1.10 du Code civil, qui dispose :
« Nul ne peut abuser de son droit.
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Commet un abus de droit celui qui l’exerce d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et raisonnable placée dans les mêmes circonstances.
La sanction d’un tel abus consiste en la réduction du droit à son usage normal, sans préjudice de la réparation du dommage que l’abus a causé ».
B.7. L’article 3.62, § 2, alinéa 3, du Code civil, à savoir la disposition en cause, constitue une ingérence dans le droit au respect des biens. Cette disposition empêche en effet le voisin de protéger sa propriété contre les ouvrages qu’une autre personne érige en partie sur, au-dessus ou en dessous de son fonds, lorsque l’emprise sur sa propriété n’est pas considérable et qu’il n’existe dans son chef aucun préjudice potentiel autre que celui qui est lié à l’emprise sur sa propriété.
B.8.1. La disposition en cause concerne la situation dans laquelle le propriétaire empiétant est de mauvaise foi, ce qui signifie qu’il sait ou devrait savoir que l’acte qu’il pose, en l’espèce l’empiètement, est illégal.
B.8.2. Il résulte de l’application de la disposition en cause au litige pendant devant la juridiction a quo que le propriétaire qui est au fait de ce qu’il empiète illégalement peut poursuivre les travaux irréguliers qu’il a planifiés ou entrepris, sans que puisse lui être opposée une demande exigeant l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète, pour autant que l’emprise sur la propriété du voisin ne soit pas considérable et qu’il n’existe dans le chef de ce dernier aucun préjudice potentiel autre que celui qui est lié à l’emprise sur sa propriété.
Cette disposition a également pour effet qu’un voisin qui, dès avant le début des travaux ou au cours de ceux-ci, informe le propriétaire de l’irrégularité pour cause d’empiètement des travaux planifiés ou en cours d’exécution, doit en principe accepter la poursuite des actions illégales posées par le propriétaire, sans pouvoir exiger l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète, lorsque l’emprise sur sa propriété n’est pas considérable et qu’il n’existe pas de préjudice potentiel autre que celui qui est lié à l’emprise sur sa propriété. Dans un tel cas, où il s’agit de travaux qui sont exécutés rapidement, la procédure en référé ne constitue pas un recours effectif.
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B.8.3. Dans l’hypothèse où le propriétaire poursuit les travaux irréguliers après que le voisin l’a informé de l’irrégularité pour cause d’empiètement des travaux planifiés ou en cours d’exécution, la demande faite dans un délai raisonnable par le voisin en vue de l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète ne saurait raisonnablement être considérée comme l’exercice d’un droit d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et raisonnable, même lorsque l’emprise sur la propriété n’est pas considérable et qu’il n’y a pas de préjudice potentiel autre que celui qui est lié à l’emprise sur la propriété. Compte tenu de la mauvaise foi du propriétaire, l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète ne cause pas à ce propriétaire, dans une telle situation, un préjudice qui soit disproportionné à l’avantage que l’enlèvement procurerait au voisin.
B.8.4. Il résulte de ce qui précède que la disposition en cause, en ce que, dans les circonstances décrites en B.8.1 à B.8.3, elle empêche le voisin d’exiger l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète lorsque l’emprise sur sa propriété par une personne de mauvaise foi n’est pas considérable et qu’il n’existe dans son chef aucun préjudice potentiel, produit des effets disproportionnés aux objectifs poursuivis par le législateur.
B.9. La disposition en cause n’est pas compatible avec l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier protocole, en ce qu’elle empêche le voisin ayant informé le propriétaire de l’irrégularité pour cause d’empiètement des travaux planifiés ou en cours d’exécution d’exiger dans un délai raisonnable l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète lorsque l’emprise sur sa propriété, par le propriétaire ayant poursuivi les travaux de mauvaise foi, n’est pas considérable et qu’il n’existe dans son chef aucun préjudice potentiel.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
En ce que l’article 3.62, § 2, alinéa 3, du Code civil empêche le voisin ayant informé le propriétaire de l’irrégularité pour cause d’empiètement des travaux planifiés ou en cours d’exécution d’exiger dans un délai raisonnable l’enlèvement de la composante inhérente qui empiète lorsque l’emprise sur sa propriété, par le propriétaire ayant poursuivi les travaux de mauvaise foi, n’est pas considérable et qu’il n’existe aucun préjudice potentiel dans son chef, cette disposition viole l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 avril 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen