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16/05/2024 | BELGIQUE | N°52/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 16 mai 2024, 52/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 52/2024
du 16 mai 2024
Numéros du rôle : 7994 et 8050
En cause : les recours en annulation de l’article 100 de la loi-programme du 26 décembre 2022 (remplacement de l’article 17, § 1er, 5°, du CIR 1992), introduits par Johan Abbink et autres et par la SA « Accent Group » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache et Danny Pieters, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le présiden

t Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recour...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 52/2024
du 16 mai 2024
Numéros du rôle : 7994 et 8050
En cause : les recours en annulation de l’article 100 de la loi-programme du 26 décembre 2022 (remplacement de l’article 17, § 1er, 5°, du CIR 1992), introduits par Johan Abbink et autres et par la SA « Accent Group » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache et Danny Pieters, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 10 mai 2023 et parvenue au greffe le 11 mai 2023, un recours en annulation de l’article 100 de la loi-programme du 26 décembre 2022 (« Réforme du régime fiscal des droits d’auteur et droits voisins »), publiée au Moniteur belge du 30 décembre 2022, a été introduit par Johan Abbink, Florent Appointaire, Gilles Auquier, Michael Bebronne, Quentin Bettens, Pascal Blommaert, Jérôme Botros, Jean-Marc Boudry, Hervé Bouvet, Laurent Brouwers, Jean Burnay, Sébastien Buysse, Sébastien Claude, Jéremy Coppey, Jean-Cristophe Cornil, Thomas Cullus, Benoit Daccache, Pascal Darasse, Pascal Debuisson, Eric Demarche, Sandrine Fontesse, Anne-Sophie Gennart, Jose Gonzalez Pastor, Maxime Grosdoigt, Hicham Hammad, Aidan Hanet, Anton Hajdinaj, Eric Haynes, Jean-Pierre Heymans, Mohamed Jalloh, Stephane Jamoulle, Ludwig Jossieaux, Zaki Kabuh, Christopher Keyaert, Jérôme Laforge, Rodrigo Leal Padovan, Julien Le Blanc, Cyril Lequeux, Daniel Lipski, Benoit Lorant, Olivier Loschi, Olivier Matis, David Michaluk, Christian Murenzi, Kim-Lan Nguyen, Dominique Nkakudulu, Abdorrahman Ouedan, Diego Pappalardo, Christophe Paquet, Gaëtan Paucot, Mircea-Sorin Pasa, Charles Petitjean, Philippe Piette, Vincent Pletsers, Olivier Proniewski, Michiel Reenaers, Edward Reich, Ronald Reich, Dominique Roeland, Thomas Roulez, Sliman Saïd, Samuel Seron, Manuel Silva Gallego, Michael Silvestre, Xavier Sottiaux, Frédéric Spaey, Youri Tolstoy, Jonas Vanderkelen, Michael Vander Sypen, Fabrice Vanderhaeghen, Alexandre Vandermeulen, Dimitri Vanheghe et Fabian Vilers,
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assistés et représentés par Me Claude Katz, Me Florence Margenat et Me Joëlle Sautois, avocats au barreau de Bruxelles.
b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 30 juin 2023 et parvenue au greffe le 3 juillet 2023, un recours en annulation de l’article 100 de la même loi-programme a été introduit par la SA « Accent Group », Sander Thorrez, la SA « Aprico Consultants », Thierry Scalco, la SA « Inetum Realdolmen Belgium », Jonathan Heirbaut, Geert Indenhoek, la SA « PeopleWare », Wim Lambrechts, la SA « Brightest », Frederique De Winter, la SA « EMAsphere », Florian Thuin, Samuel Petre, la SA « Corilus »
et Alhyane Nahim, assistés et représentés par Me Wouter Verhoeye, avocat au barreau d’Anvers, et par Me Maxime Vermeesch, avocat au barreau de Bruxelles.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7994 et 8050 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- la SRL « Ertzberg » et Stan van der Velden, assistés et représentés par Me Wouter Verhoeye et Me Maxime Vermeesch (parties intervenantes dans l’affaire n° 8050);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Axel Haelterman et Me Maxim Wuyts, avocats au barreau de Bruxelles (dans les deux affaires).
Les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse.
Par ordonnance du 14 février 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Michel Pâques et Yasmine Kherbache, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et les affaires seraient mises en délibéré.
À la suite des demandes de différentes parties à être entendues, la Cour, par ordonnance du 28 février 2024, a fixé l’audience au 27 mars 2024.
À l’audience publique du 27 mars 2024 :
- ont comparu :
. Me Claude Katz, Me Florence Margenat, Me Patricia Minsier et Me Louis Leveque, avocats au barreau de Bruxelles, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 7994;
. Me Wouter Verhoeye et Me Maxime Vermeesch, pour les parties requérantes et les parties intervenantes dans l’affaire n° 8050;
. Me Axel Haelterman et Me Maxim Wuyts, pour le Conseil des ministres;
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- les juges-rapporteurs Michel Pâques et Yasmine Kherbache ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’intérêt
A.1. Les parties requérantes dans les affaires nos 7994 et 8050 demandent l’annulation de l’article 100 de la loi-programme du 26 décembre 2022.
Les parties requérantes dans l’affaire n° 7994 et plusieurs parties requérantes dans l’affaire n° 8050 sont des personnes physiques. Elles perçoivent des revenus de droits d’auteur relatifs à la création de programmes d’ordinateur, dans le cadre de conventions de cession de droits conclues avec les personnes morales ou physiques qui exploitent leur création.
Les autres parties requérantes dans l’affaire n° 8050 sont des entreprises employant des personnes qui développent des programmes d’ordinateur et avec lesquelles elles ont conclu une convention de cession ou de concession de droits d’auteur.
Toutes ces parties requérantes soutiennent que la disposition attaquée, dans l’interprétation selon laquelle les programmes d’ordinateur sont désormais exclus du régime fiscal avantageux des droits d’auteur, affecte directement et défavorablement leur situation.
Les parties requérantes personnes morales dans l’affaire n° 8050 soulignent que la diminution des revenus nets de leurs employés qui résulte de la disposition attaquée les obligerait à compenser cette diminution.
A.2. Les parties intervenantes sont une société et son employé qui se trouvent dans la même situation que les parties requérantes dans l’affaire n° 8050. Elles soutiennent justifier d’un intérêt à l’annulation de la disposition attaquée, pour les mêmes raisons.
A.3. Les parties requérantes personnes physiques dans l’affaire n° 8050 précisent que la disparition de toute sécurité juridique quant à la qualification des revenus suffit à établir leur intérêt.
Quant aux moyens uniques dans les affaires nos 7994 et 8050
A.4.1. Les parties requérantes prennent un moyen unique de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution par l’article 100 de la loi-programme du 26 décembre 2022, en ce qu’il devrait être interprété comme excluant les programmes d’ordinateur du champ d’application de l’article 17 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992) et donc du régime fiscal avantageux applicable aux revenus des droits d’auteur.
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Selon les parties requérantes, la disposition attaquée engendre une discrimination entre les auteurs d’œuvres littéraires ou artistiques protégées par le droit d’auteur conformément au Code de droit économique, selon que ces œuvres sont ou non des programmes d’ordinateur.
A.4.2. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7994 soutiennent que le but du législateur, à savoir l’application d’un régime fiscal approprié aux revenus perçus de manière irrégulière et aléatoire dans l’exercice d’activités artistiques, ne suffit pas à justifier l’exclusion des seuls droits d’auteur sur les programmes d’ordinateur, alors que d’autres catégories de droits d’auteur qui ne génèrent pas non plus que des revenus irréguliers et aléatoires continuent pourtant et à bon droit de relever du champ d’application de l’article 17, § 1er, 5°, du CIR 1992. Il s’ensuit que l’exclusion des seuls droits d’auteur sur les programmes d’ordinateur n’est pas pertinente pour atteindre l’objectif du législateur.
Ces parties requérantes soutiennent que la mesure attaquée produit des effets disproportionnés, puisqu’elle prive les seuls auteurs de programmes d’ordinateur du bénéfice d’une imposition, après déduction des frais, à un taux de 15 %, au lieu des taux progressifs applicables aux revenus professionnels. Elles font valoir, exemples à l’appui, que la disposition attaquée a pour effet d’augmenter significativement le montant de l’impôt dont elles sont redevables, avec l’obligation, en outre, de payer des cotisations sociales sur les revenus concernés.
A.4.3. Les parties requérantes dans l’affaire n° 8050 précisent que les deux catégories de personnes sont objectivement comparables, dès lors que les personnes relevant de ces deux catégories sont toutes des auteurs d’œuvres protégées par le droit d’auteur.
Selon ces parties requérantes, la différence de traitement attaquée n’est pas raisonnablement justifiée. Tout d’abord, le champ d’application de la loi attaquée n’est, objectivement, pas limité aux revenus de droits d’auteur issus d’activités artistiques. Si la loi attaquée renvoie à la condition de détenir une attestation du travail des arts, elle l’assortit d’un critère alternatif, à savoir que les droits d’auteur soient cédés – ou une licence octroyée – à un tiers aux fins de communication au public, d’exécution ou de représentation publique, ou de reproduction. Du reste, il n’existe pas non plus le moindre lien entre les activités artistiques et le champ d’application du livre XI, titre 5, du Code de droit économique, qui est bien plus large et qui comprend également les œuvres littéraires et scientifiques, ainsi que les travaux purement fonctionnels et informatifs. Ensuite, les auteurs qui perçoivent des revenus réguliers et stables relèvent du champ d’application de la loi attaquée, comme l’a souligné la section de législation du Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi. Enfin, on peut parfaitement imaginer qu’un concepteur de programme d’ordinateur perçoive pour ses créations des revenus irréguliers et changeants, à l’instar de l’auteur d’un roman policier. La disposition attaquée reposerait donc sur des considérations budgétaires implicites. Toutefois, ces considérations ne sauraient justifier raisonnablement la différence de traitement attaquée.
En tout état de cause, la différence de traitement produit des effets disproportionnés au but poursuivi.
A.5. Les parties intervenantes reprennent mot pour mot l’argumentation des parties requérantes dans l’affaire n° 8050, sans argumentation supplémentaire.
A.6.1. Le Conseil des ministres allègue que, par la réforme attaquée, le législateur a voulu restreindre et préciser l’application du régime fiscal des droits d’auteur et droits voisins, afin de garantir que celui-ci rencontre réellement les objectifs poursuivis initialement, à savoir la mise en place d’un régime fiscal approprié pour les revenus perçus de manière irrégulière et aléatoire dans le cadre d’activités artistiques. L’argumentation des parties requérantes repose sur une compréhension erronée de l’objectif du législateur. Ce dernier tient compte du type d’activité exercée, à savoir les activités artistiques, et donc de la nature des revenus concernés. L’objectif du législateur n’est pas de réserver le régime fiscal avantageux à toutes les catégories de droits d’auteur susceptibles de générer des revenus irréguliers et aléatoires.
A.6.2. Le Conseil des ministres souligne que la protection des programmes d’ordinateur par le droit d’auteur est réglée dans un titre distinct du Code de droit économique et qu’elle fait historiquement l’objet d’une législation et de directives européennes distinctes. La nature de l’œuvre protégée (programmes d’ordinateur ou autres œuvres)
et le type d’activité dont l’œuvre protégée est issue diffèrent. Par ailleurs, les programmes d’ordinateur ne peuvent pas être considérés comme résultant d’activités artistiques.
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Selon le Conseil des ministres, même si la protection de la propriété intellectuelle des programmes d’ordinateur est, dans une certaine mesure, comparable à celle des œuvres littéraires, cela ne signifie pas que les programmes d’ordinateur sont des œuvres littéraires ni que le législateur doit leur réserver le même traitement fiscal. Le législateur peut prévoir un traitement fiscal favorable spécifique pour les œuvres protégées par le droit d’auteur qui résultent d’activités artistiques, compte tenu de la situation des personnes physiques en ce qui concerne les activités exercées, du type et du montant des revenus, etc. Le régime vise principalement des situations soumises à des aléas et à un risque de précarité. Rien ne justifie que le régime s’applique aux personnes qui créent, dans un cadre professionnel, des œuvres protégées par le droit d’auteur pour lesquelles elles perçoivent des revenus (professionnels) constants et garantis contractuellement, dès lors que ces personnes ne sont pas exposées à de tels aléas, ni à un risque de précarité. Les situations ne sont pas comparables, tant du point de vue du type d’œuvre concerné que de l’activité exercée par le contribuable.
Le Conseil des ministres souligne que le régime prévoit plusieurs seuils et limitations du montant des revenus susceptibles d’être imposés au titre de revenus mobiliers (voy. l’article 101 de la loi-programme du 26 décembre 2022). En outre, selon la Cour, le législateur doit pouvoir revenir aux objectifs initiaux d’un régime fiscal préférentiel, en ajustant et ou en ajoutant des conditions d’application. Pour le surplus, l’observation de la section de législation du Conseil d’État ne concernait pas la disposition attaquée, mais l’article 101 précité.
Le Conseil des ministres estime qu’à supposer que les situations soient comparables, la différence de traitement attaquée repose sur un critère objectif, qu’elle est raisonnablement justifiée et qu’elle est pertinente pour atteindre l’objectif poursuivi, sans être disproportionnée.
A.6.3. Le Conseil des ministres estime que l’impact financier de la réforme attaquée sur la situation des parties requérantes n’est pas pertinent dans le cadre du contrôle de proportionnalité. Il est logique que ces contribuables soient désormais soumis aux taux progressifs normaux et aux cotisations sociales sur les revenus professionnels, comme tous les autres contribuables qui perçoivent des revenus professionnels. Pour le reste, les parties requérantes ne prétendent pas qu’elles se trouveraient dans une situation financière exposée aux aléas et à la précarité. Les employés concernés peuvent compter sur une rémunération stable et les indemnisations pour leurs droits d’auteur forment une composante fixe de leur paquet salarial.
A.6.4. Le Conseil des ministres se demande si l’application du régime fiscal avantageux aux programmes d’ordinateur ne constituerait pas une aide d’État interdite au sens de l’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
A.6.5. Le Conseil des ministres estime enfin qu’il appartient au juge fiscal, en cas de doute, de statuer sur l’existence ou non d’une œuvre protégée par la législation relative au droit d’auteur (et, par extension, sur le type d’œuvres protégées).
A.7.1. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7994 précisent que la disposition attaquée ne doit pas être annulée si elle peut être interprétée comme n’excluant pas les programmes d’ordinateur de son champ d’application. Dans une telle interprétation, la disposition attaquée serait compatible avec les articles 10, 11 et 172
de la Constitution.
A.7.2. Ces mêmes parties requérantes soutiennent qu’il est inexact de prétendre que seuls les revenus issus d’activités artistiques seraient nécessairement aléatoires et irréguliers. Les programmes d’ordinateur sont effectivement protégés par le droit d’auteur au sens du titre 5 du livre XI du Code de droit économique et ce sont des œuvres littéraires ou artistiques originales au sens de l’article XI.165 du même Code. Ensuite, les auteurs de programmes d’ordinateur sont visés à l’article 17, § 1er, 5°, cinquième tiret, nouveau, du CIR 1992, en ce qu’ils sont susceptibles de céder leurs droits ou de les octroyer en licence à un tiers à des fins de reproduction.
Les parties requérantes dans l’affaire n° 7994 allèguent ensuite que la disposition attaquée ne permet pas de réaliser l’objectif poursuivi. La disposition attaquée ne s’applique pas aux seuls revenus de droits d’auteur résultant d’activités artistiques, compte tenu de l’existence d’une condition alternative à celle de la détention d’une attestation du travail des arts, mais elle s’applique également aux revenus relatifs à des œuvres qui ne sont pas des œuvres artistiques au sens strict, telles que les cartes géographiques, les plans, croquis et ouvrages plastiques
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relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture ou aux sciences (voy. l’article 2 de la Convention de Berne du 9 septembre 1886 pour la protection des œuvres littéraires et artistiques). Enfin, la mention, par le Conseil des ministres, du rôle du juge fiscal n’est pas pertinente, dès lors que celui-ci doit appliquer la législation fiscale.
A.8.1. Les parties requérantes dans l’affaire n° 8050 sont d’avis que, compte tenu de l’absence d’unanimité de la doctrine sur la question et des déclarations du ministre des Finances pendant les travaux préparatoires, il convient de considérer que les programmes d’ordinateur ne sont désormais plus visés à l’article 17, § 1er, alinéa 1er, 5°, du CIR 1992 - sous réserve d’une autre lecture par la Cour de la disposition attaquée.
Ces parties requérantes remarquent que la protection du droit d’auteur relative aux programmes d’ordinateur ne découle pas historiquement d’une législation distincte basée sur des directives européennes distinctes. Il ressort d’une réponse donnée en 2011 par le ministre des Finances à une question parlementaire qui lui était posée qu’une protection des programmes d’ordinateur existait sur la base de la loi du 22 mars 1886 « sur le droit d’auteur » avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 1994 « transposant en droit belge la directive européenne du 14 mai 1991
concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur ». D’autre part, il ressort de l’article XI.295/1 du Code de droit économique que toutes les dispositions du titre 5 du livre XI du Code qui n’y sont pas citées, dont l’article XI.165, s’appliquent aux programmes d’ordinateur.
A.8.2. Les parties requérantes dans l’affaire n° 8050 estiment que la loi du 16 juillet 2008 « modifiant le Code des impôts sur les revenus et organisant une fiscalité forfaitaire des droits d’auteur et des droits voisins »
avait uniquement pour but de mettre un terme aux discussions relatives à la qualification fiscale des revenus des droits d’auteur qui existaient auparavant. Par ailleurs, la disposition attaquée ne saurait avoir pour but l’application aux revenus irréguliers et aléatoires d’un régime fiscal approprié. Ce but ne vaut que pour les autres mesures de la loi-programme du 26 décembre 2022 (notamment celles qui sont visées à l’article 37, alinéas 2 et 3, nouveau, du CIR 1992).
Ces mêmes parties requérantes allèguent que le champ d’application matériel de la disposition attaquée ne se limite pas aux œuvres qui sont créées dans le cadre d’activités artistiques et aux droits d’auteur y afférents. Il ressort des travaux préparatoires que ce champ d’application matériel vise les travaux des journalistes, ainsi que les travaux pédagogiques scientifiques des professeurs d’université. Le texte de la disposition attaquée ne fait pas de distinction entre les activités artistiques et les activités non artistiques. Quand bien même cela serait le cas, la différence de traitement ne serait pas davantage justifiée. Bien que le Conseil des ministres affirme que le critère des revenus irréguliers et variables n’a aucun lien avec la loi contestée, il s’inspire néanmoins de ce critère pour justifier les raisons pour lesquelles le champ d’application matériel devrait se restreindre aux revenus obtenus dans le cadre d’activités artistiques.
Les parties requérantes dans l’affaire n° 8050 estiment que l’application de la disposition attaquée aux droits d’auteur relatifs aux programmes d’ordinateur ne constituerait pas une aide d’État. Tout d’abord, il n’est pas exact de soutenir que, si la disposition attaquée n’existait pas, il s’agirait de revenus professionnels. Ensuite, ce (faux)
raisonnement vaudrait aussi pour les autres groupes professionnels qui n’exercent pas une activité artistique, tels les journalistes.
Enfin, selon les parties requérantes dans l’affaire n° 8050, dès lors que la disposition attaquée ne concerne pas un régime de faveur mais une règle de qualification, des considérations budgétaires ne sauraient justifier la différence de traitement.
A.9.1. Le Conseil des ministres répond que le texte de la disposition attaquée est clair et qu’il n’y a pas lieu de statuer sur l’interprétation alternative des parties requérantes.
A.9.2. Le Conseil des ministres précise que la disposition attaquée vise à réformer un régime fiscal trop favorable dont le coût budgétaire a « déraillé ». La référence, dans la disposition attaquée, au livre XI, titre 5, du Code de droit économique constitue un critère de distinction objectif et clair quant à la nature des revenus en question. Les programmes d’ordinateur sont soumis à un régime distinct, en raison de la nature spécifique de l’activité qui conduit à leur création et du cadre économique dans lequel ils sont créés.
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A.9.3. Le Conseil des ministres fait valoir que la législation relative au droit d’auteur prévoit des dérogations significatives pour les programmes d’ordinateur. Ainsi, l’article XI.296 du Code de droit économique prévoit que l’employeur est présumé cessionnaire des droits patrimoniaux relatifs aux programmes d’ordinateur créés par un employé dans l’exercice de ses fonctions. Cette présomption ne vaut pas pour les autres œuvres (article XI.167, § 3, du même Code). En outre, les dispositions impératives prévues aux articles XI.167/1 à XI.167/6 du Code de droit économique ne s’appliquent pas aux programmes d’ordinateur. Il est raisonnablement justifié que le régime fiscal applicable aux autres œuvres ne s’applique pas aux programmes d’ordinateur, dont les créateurs ne bénéficient pas de la protection du droit commun et impératif sur l’obtention d’une rémunération lors de la cession ou de l’octroi d’une licence.
Le Conseil des ministres soutient que, même si le champ d’application matériel de la disposition attaquée ne correspond pas à des activités artistiques sensu stricto, le législateur peut faire usage de catégories qui, nécessairement, n’appréhendent la diversité de situations qu’avec un certain degré d’approximation. La référence au livre XI, titre 5, du Code de droit économique, à l’exclusion explicite du titre 6, est parfaitement logique et légitime car seul ce titre 5 peut couvrir ce que le législateur considère comme des « activités artistiques ».
Le Conseil des ministres souligne que le secteur IT était l’un des principaux utilisateurs (si ce n’est le principal utilisateur) du régime fiscal favorable. L’exclusion des programmes d’ordinateur du champ d’application matériel du régime fiscal vise donc aussi à remédier au constat selon lequel le régime fiscal a évolué vers un mode de rémunération à part entière, dans des secteurs d’activité professionnelle parfois très éloignés des objectifs initiaux.
A.9.4. Le Conseil des ministres fait valoir que les autres conditions prévues par la loi-programme du 26 décembre 2022 contribuent aussi à la réalisation de l’objectif poursuivi. Outre les mesures déjà mentionnées, c’est le cas des conditions relatives à l’attestation du travail des arts ou à la communication au public, à l’exécution ou à la représentation publique, ou à la reproduction des œuvres sous-jacentes en vue d’une communication au public.
A.9.5. Le Conseil des ministres soutient que le régime fiscal en matière de droits d’auteur est en substance un régime de faveur et non simplement une « règle de qualification ».
A.9.6. Le Conseil des ministres estime que l’argument des parties requérantes dans l’affaire n° 8050 selon lequel les programmes d’ordinateur sont protégés de manière générale par la loi du 22 mars 1886, aujourd’hui abrogée, n’est pas sérieux. En effet, depuis les années 1990, les législateurs européen et belge ont pris conscience de ce que l’industrie IT présente des caractéristiques propres qui justifient des règles spécifiques. En outre, en 2008, les programmes d’ordinateur ne relevaient pas du champ d’application du régime fiscal originaire des droits d’auteur. Ce n’est qu’en 2011, à la suite d’une réponse du ministre des Finances à une question parlementaire qui lui était posée, que le régime a été, en pratique, ouvert aux programmes d’ordinateur. Cet élargissement a eu lieu en contradiction avec le texte et l’esprit de la loi originaire.
-B-
Quant à la disposition attaquée et à son contexte
B.1.1. Les recours en annulation sont dirigés contre l’article 100 de la loi-programme du 26 décembre 2022. Cette disposition remplace le 5° de l’article 17, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), qui dispose désormais :
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« Les revenus des capitaux et biens mobiliers sont tous les produits d’avoirs mobiliers engagés à quelque titre que ce soit, à savoir :
[...]
5° les revenus :
- qui résultent de la cession ou de l’octroi d’une licence par le titulaire originaire, ses héritiers ou légataires, de droits d’auteur et de droits voisins, ainsi que des licences légales et obligatoires organisées par la loi, visés au livre XI, titre 5, du Code de droit économique ou par des dispositions analogues de droit étranger;
- qui se rapportent à des œuvres littéraires ou artistiques originales visées à l’article XI.165
du Code de droit économique ou à des prestations d’artistes-interprètes ou exécutants visées à l’article XI.205 du même Code;
- en vue de l’exploitation ou de l’utilisation effective, sauf en cas d’évènement indépendant de la volonté des parties contractantes, de ces droits, conformément aux usages honnêtes de la profession, par le cessionnaire, le détenteur de la licence ou un tiers;
- à condition que le titulaire originaire des droits précité détienne une attestation du travail des arts visée à l’article 6 de la loi du 16 décembre 2022 portant création de la Commission du travail des arts et améliorant la protection sociale des travailleurs des arts, ou dans des dispositions analogues ou ayant des effets équivalents prises par un autre État membre de l’Espace économique européen; ou
- à défaut, que dans le cadre de la cession ou de l’octroi d’une licence conformément aux trois premiers tirets, le titulaire des droits cède ou octroie en licence ces droits à un tiers aux fins de communication au public, d’exécution ou de représentation publique, ou de reproduction;
ainsi que les revenus susvisés qui sont recueillis par le titulaire des droits susvisé par l’intermédiaire d’un organisme de gestion visé à l’article I.16, § 1er, 4° à 6°, du Code de droit économique ».
B.1.2. L’article 100 de la loi-programme du 26 décembre 2022 modifie le régime fiscal applicable aux revenus des droits d’auteur et des droits voisins.
Dans le cadre de ce régime instauré par la loi du 16 juillet 2008 « modifiant le Code des impôts sur les revenus et organisant une fiscalité forfaitaire des droits d’auteur et des droits voisins » (ci-après : la loi du 16 juillet 2008), les revenus qui résultent de la cession ou de la concession de droits d’auteur et de droits voisins ainsi que des licences légales et obligatoires, visés au livre XI du Code de droit économique ou dans des dispositions analogues de droit
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étranger, sont qualifiés de revenus mobiliers (article 17, § 1er, 5°, du CIR 1992, tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 100 de la loi-programme du 26 décembre 2022).
La première tranche de ces revenus est taxée à un taux de 15 %, au lieu, le cas échéant, des taux progressifs applicables aux revenus professionnels (articles 37, alinéa 2, 171, 2°bis, et 269, § 1er, 4°, du CIR 1992). Cette première tranche correspond à 37 500 euros (montant indexé de 64 070 euros pour l’exercice d’imposition 2023). L’imposition effective est encore réduite par l’application de frais forfaitaires susceptibles d’être déduits du montant des revenus bruts en question (article 22, § 3, du CIR 1992; articles 3 et 4 de l’arrêté royal du 27 août 1993
« d’exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 »).
B.1.3. Selon l’exposé des motifs, le législateur entend revenir aux objectifs initiaux de la loi du 16 juillet 2008, à savoir l’application d’un régime fiscal approprié aux revenus perçus de manière irrégulière et aléatoire, dans l’exercice d’activités artistiques :
« Rétroactes
Afin d’inscrire le présent projet dans son contexte historique, il est important de rappeler les motivations qui étaient initialement à la base de la proposition de loi qui a introduit le régime fiscal applicable actuellement aux revenus des droits d’auteur et des droits voisins.
Ce régime d’imposition avait été instauré par la loi du 16 juillet 2008 modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 et organisant une fiscalité forfaitaire des droits d’auteur et des droits voisins (Moniteur belge du 30 juillet 2008). La loi du 16 juillet 2008 résulte de la proposition de loi 2007/4-119/1 déposée au Sénat.
Les développements introductifs de la proposition de loi (SE 2007 – Doc. 4-119/1, p. 1) se référaient au nouveau statut social des artistes, organisé par la loi-programme I du 24 décembre 2002 (Moniteur belge du 31 décembre 2002, art. 170 à 184).
Un rappel de la justification et des objectifs de la proposition de loi SE 2007/4-119/1 est particulièrement indiqué afin d’éclairer l’objet du présent projet de loi.
1. Justification de la proposition de loi SE 2007/4-119/1 :
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S’appuyant sur diverses études et discussions au sein des milieux professionnels concernés, la proposition de loi se fondait sur la nécessité d’organiser une taxation des revenus des artistes plus proche de leur capacité contributive :
‘ Pourquoi ? Si les professions artistiques s’apparentent aux professions libérales et aux métiers de la recherche, elles ne disposent pas des mêmes armes pour réduire leur dépendance à l’égard d’une demande à la fois complexe et instable, et sont soumises à des risques et dépendances tout à fait spécifiques, que ne connaissent pas les autres professions :
- risque de créativité;
- risque lié à l’intermittence de l’activité rémunérée en alternance avec des périodes de création nécessaires, mais non rétribuées;
- risque lié au caractère prototypique inhérent aux produits et prestations artistiques;
- risque lié aux aléas du succès et de la mode.
Ces contraintes particulières les distinguent d’autres catégories professionnelles fort proches comme les chercheurs et les inventeurs industriels qui, eux, travaillent sur des éléments objectifs (la science) et non subjectifs (l’imaginaire) et dans des cadres professionnels plus structurés (accès à la profession, recherche académique ou industrielle).
Les revenus des activités artistiques sont par nature variables et modestes, engrangés après de longues périodes de création non rémunérées au cours desquelles les artistes doivent investir (par exemple dans la préparation d’une exposition, l’écriture d’un roman pendant plusieurs années, la composition et l’enregistrement de musique). Ces revenus subissent alors de plein fouet la progressivité de l’impôt alors qu’ils se rapportent à des périodes d’activité antérieures.
Une catégorie de revenus est plus encore victime de ce phénomène: il s’agit des droits d’auteur et des droits voisins perçus par les artistes pour l’exploitation de leurs œuvres et/ou interprétations. Ces revenus sont totalement aléatoires parce qu’ils dépendent de l’exploitation des droits faite par des tiers et du succès médiatique. ’.
[...]
Depuis quelques années, [le régime fiscal particulier applicable aux revenus des droits d’auteur et des droits voisins] trouve à s’appliquer dans un nombre de plus en plus important de cas et a évolué vers un mode de rémunération à part entière dans des secteurs d’activité professionnelle parfois très éloignés des objectifs prérappelés du législateur de 2008.
[...]
Dans certains secteurs d’activité, les contrats d’emploi ou les conventions de prestations de services sont rédigés de telle sorte que la première tranche de la rémunération (64.070 euros pour la période imposable 2022) est qualifiée en revenus de cession ou de l’octroi d’une licence de droits d’auteur ou de droits voisins en vue de lui appliquer le régime particulier prévu par
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les articles 17, § 1er, 5° et 37, alinéa 2, CIR 92, nonobstant le caractère régulier du montant de ces rémunérations et indépendamment de la capacité contributive du bénéficiaire de ces rémunérations.
[...]
Cette évolution générale se reflète surtout dans l’augmentation constante des dépenses fiscales liées au régime des droits d’auteur et des droits voisins :
[...]
Cette situation est à mettre directement en rapport avec le caractère général de l’énoncé de l’article 17, § 1er, 5°, CIR 92.
Justification et objectifs du présent projet
Par le présent projet, le gouvernement entend revenir aux objectifs initiaux du régime particulier applicable aux revenus de la cession ou de l’octroi d’une licence de droits d’auteur ou de droits voisins, à savoir l’application d’un régime fiscal approprié aux revenus perçus de manière irrégulière et aléatoire dans l’exercice d’activités artistiques.
À cette fin, il convient de tenir compte de la nature des revenus en question, mais également du statut des bénéficiaires de ceux-ci.
1. Clarification de la notion de ‘ droits d’auteur et droits voisins ’ pour l’application de l’article 17, § 1er, 5°, CIR 92
La nature des revenus visés par le présent projet est définie par référence au Code de droit économique. Il s’agit des revenus :
- qui résultent de la cession ou de l’octroi d’une licence, par le titulaire originaire, de droits d’auteur et de droits voisins, visés au livre XI, titre 5, du Code de droit économique ou par des dispositions analogues de droit étranger;
- qui se rapportent à des œuvres littéraires ou artistiques visées à l’article XI.165 du même Code ou à des prestations d’artistes-interprètes ou exécutants visées à l’article XI.205 du même Code.
2. Clarification du champ d’application personnel
Il convient en outre de viser spécifiquement les revenus de l’espèce qui sont perçus par des bénéficiaires qui sont par nature exposés aux risques d’aléas et de précarité propres aux activités de création et de prestation de nature artistique.
Le régime de taxation particulier instauré par la loi précitée du 16 juillet 2008 consiste en l’application conjointe de quatre types de dispositions particulières :
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- l’article 17, § 1er, 5°, CIR 92, concernant la qualification des revenus provenant de la cession ou de l’octroi d’une licence de droits d’auteur ou de droits voisins, ainsi que des revenus provenant de licences légales et de licences obligatoires organisées par la loi;
- l’article 37, alinéa 2, CIR 92, qui déroge jusqu’à un plafond déterminé à la règle commune, prévue par l’article 37, alinéa 1er, CIR 92, de qualification en revenus professionnels des revenus de ce type provenant d’avoirs affectés à l’activité professionnelle du bénéficiaire;
- les articles 171, 2°bis, et 269, § 1er, 4°, CIR 92, prévoyant respectivement un taux d’imposition distinct de 15 p.c. à l’impôt des personnes physiques et un taux de précompte mobilier réduit de 15 p.c. (au lieu de 30 p.c.);
- l’article 4, 1°, de l’AR/CIR 92, qui prévoit un régime de frais professionnels forfaitaires avantageux pour les revenus de l’espèce.
Le présent projet vise à préciser la loi afin d’assurer l’application la plus correcte qui soit de ces dispositions dérogatoires aux règles communes applicables en matière d’impôts sur les revenus.
C’est pourquoi les contribuables dont les revenus tombent sous l’application du régime de taxation particulier constitué par les articles 17, § 1er, 5°, et 37, alinéa 2, CIR 92, devront :
- soit détenir une attestation du travail des arts visée à l’article 6 de la loi portant création de la Commission du travail des arts et améliorant la protection sociale des travailleurs des arts, ou par des dispositions analogues ou ayant des effets équivalents prises par un autre État membre de l’Espace économique européen;
- soit, à défaut de cela, transférer ou donner en licence les droits concernant leur œuvre protégée par le droit d’auteur ou leur prestation protégée par un droit voisin à un tiers aux fins de communication au public, d’exécution ou de représentation publique, ou de reproduction.
Sans préjudice de ce qui est exposé au point 1, ci-avant, les modifications envisagées n’entrainent aucune modification quant à l’accès au régime selon la profession exercée.
3. Conséquences
De la sorte, le régime d’imposition particulier sera applicable essentiellement dans des situations susceptibles d’être exposées aux risques d’aléas et de précarité justifiant l’adoption de règles spécifiques.
Rien ne justifie en effet l’application d’un régime particulier aux bénéficiaires de revenus garantis contractuellement et perçus de manière régulière, contrairement au régime commun applicable à la plupart des travailleurs dont les revenus professionnels nets sont imposés intégralement aux taux progressifs de l’impôt des personnes physiques.
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Par ailleurs, les principes d’égalité devant l’impôt et d’équité impliquent également de tenir compte de la capacité contributive des bénéficiaires des revenus de la cession ou de l’octroi d’une licence de droits d’auteur et de droits voisins.
Ce deuxième impératif implique que le régime particulier revête un caractère proportionné aux objectifs poursuivis.
Rien ne justifie en effet davantage l’application d’un régime particulier aux contribuables qui sont en possession d’une attestation de travailleur des arts et qui perçoivent de manière régulière des revenus élevés provenant de la cession ou de l’octroi d’une licence de droits d’auteur ou de droits voisins.
Pour ce motif, diverses règles de paliers de revenus et des règles anti-abus sont prévues afin d’éviter qu’une partie de tels revenus échappe à l’impôt progressif applicable aux revenus professionnels conformément au régime fiscal commun.
Le présent projet vise à apporter des réponses appropriées à ces préoccupations » (Doc.
parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3015/001, pp. 54-61).
Devant la commission des Finances et du Budget de la Chambre, le Vice-Premier ministre et ministre des Finances a apporté des précisions complémentaires sur la réforme :
« Le vice-premier ministre revient ensuite sur la question des motifs qui permettront dorénavant de déterminer les œuvres et droits d’auteurs/droits voisins qui entrent en considération.
Il conviendra d’abord d’examiner le champ d’application matériel. On vise par là en réalité les ‘ œuvres ’ et ‘ prestations ’ auxquelles les revenus se rapportent. Il convient à cet égard d’examiner en particulier s’il s’agit d’‘ œuvres littéraires ou artistiques ’ ou d’‘ exécutions et représentations publiques d’artistes interprètes ’, visées respectivement aux articles XI.165 et XI. 205 du Code de droit économique. Cela implique que les ‘ œuvres littéraires ou artistiques ’ assimilées par la loi ne sont pas visées. L’assimilation prévue à l’article XI.294 n’est ainsi pas prise en compte.
Une fois que le champ d’application matériel est déterminé, il conviendra d’examiner si les ‘ œuvres ’ ou ‘ prestations d’artistes interprètes ’ font naître des droits d’auteur ou droits voisins qui ne constituent pas une propriété intellectuelle traitée par d’autres titres que le titre 5 du Livre XI du Code de droit économique.
Une fois cet examen réalisé, un transfert des droits d’auteur ou droits voisins doit avoir été réalisé avant que le régime fiscal ne puisse être appliqué.
Il conviendra ensuite d’examiner le champ d’application personnel, à savoir qui, du titulaire originaire, de ses héritiers et de ses légataires, entre en considération, et donc qui est le ‘ bénéficiaire ’.
Le groupe des bénéficiaires est délimité par les critères suivants :
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• soit il s’agit de personnes qui disposent d’une attestation du travail des arts;
• soit, à défaut, il s’agit de personnes qui transfèrent ou donnent en licence les droits concernant leur œuvre protégée par le droit d’auteur ou leur prestation protégée par un droit voisin à un tiers aux fins de communication au public, d’exécution ou de représentation publique, ou de reproduction.
Cette dernière catégorie est une catégorie résiduelle visant à réserver le régime fiscal aux situations dans lesquelles le grand public bénéficie des ‘ œuvres ’ et ‘ prestations d’artistes interprètes ’.
En ce qui concerne les personnes qui disposent d’une attestation du travail des arts, la condition qui ne s’applique qu’aux titulaires originaires, on part en réalité du principe qu’elles créent habituellement déjà des ‘ œuvres ’ ou réalisent des ‘ prestations ’ destinées au grand public.
En ce qui concerne la distinction entre un graphiste et un développeur de jeux vidéo, le vice-premier ministre fait observer qu’il convient d’examiner chaque situation au regard des critères de l’article 17, § 1er, 5°, CIR 92, tel que modifié par le projet de loi à l’examen, afin de vérifier si les revenus perçus par le bénéficiaire relèvent du champ d’application matériel et personnel de cette disposition. Il serait tout à fait prématuré de se prononcer sur ce type de situations sans connaître l’ensemble des éléments juridiques et factuels, mais il va de soi que cette analyse sera réalisée par les services du SPF Finances au regard de la loi et des interprétations qui en découleront.
En tout état de cause, aucune catégorie professionnelle n’est exclue a priori. Mais les conditions prévues dans la loi devront être vérifiées dans chaque cas individuel pour déterminer si le contribuable peut recourir ou non au régime fiscal.
[...]
Par conséquent, la première question à laquelle il faut répondre à cet égard est la question de savoir si l’on a affaire à des ‘ œuvres littéraires ou artistiques ’ ou à des ‘ exécutions et représentations publiques d’artistes interprètes ’.
Étant donné qu’il est explicitement renvoyé à l’article XI.165 du Code économique en ce qui concerne les ‘ œuvres littéraires ou artistiques ’ et à l’article XI.205 du même Code en ce qui concerne les ‘ exécutions et représentations publiques d’artistes interprètes ’, seuls ces articles peuvent être pris en compte en matière fiscale. Cela signifie que les ‘ œuvres littéraires ou artistiques ’ assimilées par la loi ne sont pas visées. Par exemple, l’assimilation visée à l’article XI.294 ne sera donc pas prise en compte.
Une fois que ces éléments sont établis, il conviendra de déterminer si les ‘ œuvres ’ ou les ‘ exécutions ’ donnent lieu à des droits d’auteur ou à des droits voisins visés. Il ne s’agit pas ici de tous les droits d’auteur ou voisins possibles qui existent et sont réglementés dans le Code économique, mais seulement des droits visés au titre 5 du livre XI du Code de droit économique.
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En ce qui concerne l’application du Code de droit économique, certains estiment que le Titre 5 est une lex generalis mais que les Titres 6 et 7 constituent une lex specialis qui doit être partiellement incluse dans le Titre 5. Or, il s’agit d’un raisonnement qui n’est valable qu’en matière de droit commun, spécifiquement dans le cadre du Code de droit économique.
Lorsque le droit fiscal renvoie à une partie spécifique d’une autre législation, il vise explicitement à n’inclure que cette partie spécifique dans son champ d’application et il ne vise pas à intégrer d’autres dispositions et interprétations connexes dans sa législation.
En effet, un principe important prévoit que le droit fiscal suit le droit commun, sauf lorsqu’il s’en écarte spécifiquement. En l’espèce, le droit fiscal s’écarte clairement du droit commun en incluant une référence restrictive au titre 5 du livre XI du Code économique ainsi qu’aux articles spécifiques XI.165 et XI.205.
Ce raisonnement peut également s’expliquer téléologiquement et historiquement étant donné que dans l’état actuel de la législation, on se réfère généralement au livre XI sans distinction. En renvoyant dorénavant spécifiquement aux articles XI.165 et XI.205 en ce qui concerne la qualification des ‘ œuvres ’ et des ‘ prestations ’, et au Titre 5 du Livre XI en ce qui concerne la qualification des droits d’auteur et des droits voisins, le législateur fiscal exprime la volonté de ne prendre en compte, dans un sens restrictif, que les articles précités et le Titre 5, sans associer d’autres articles ou titres et dispositions à l’application des dispositions de droit fiscal en cause. Cela ne peut pas non plus être interprété différemment d’un point de vue téléologique ou du point de vue de la genèse de la loi.
En outre, l’adoption d’une disposition légale dans laquelle une définition plus étroite de la notion fiscale de ‘ droits d’auteur et droits voisins ’ n’a aucun effet, en fonction de l’objectif visé par le législateur de revenir au raisonnement de 2008, ne serait qu’une modification législative inutile dénuée d’objectif. Par définition, il faut donc supposer que les nouvelles références aux articles XI.165 et XI.205 et au titre 5 du livre XI visent à inscrire, en matière fiscale, une définition plus précise des notions d’‘ œuvres ’ et de ‘ prestations ’, ainsi que respectivement de la notion de ‘ droits d’auteur et droits voisins ’ » (Doc. parl., Chambre, 2022-
2023, DOC 55-3015/014, pp. 55-61).
B.1.4. Le législateur a donc restreint le champ d’application du régime fiscal spécifique des droits d’auteur en le réservant désormais aux seuls revenus « qui résultent de la cession ou de l’octroi d’une licence par le titulaire originaire, ses héritiers ou légataires, de droits d’auteur et de droits voisins, ainsi que des licences légales et obligatoires organisées par la loi, visés au livre XI, titre 5, du Code de droit économique ou par des dispositions analogues de droit étranger » (premier tiret) et « qui se rapportent à des œuvres littéraires ou artistiques originales visées à l’article XI.165 du Code de droit économique ou à des prestations d’artistes-interprètes ou exécutants visées à l’article XI.205 du même Code » (deuxième tiret).
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Il ressort des déclarations du Vice-Premier ministre et ministre des Finances devant la commission de la Chambre des Finances et du Budget que les œuvres qui sont « assimilées » à des œuvres littéraires, tels les programmes d’ordinateur visés à l’article XI.294 du Code de droit économique, ne sont pas prises en compte dans le nouveau régime :
« En ce qui concerne les ‘ œuvres et prestations ’ éligibles, il s’agit des ‘ œuvres littéraires ou artistiques visées à l’article XI. 165 du Code de droit économique ’ et des ‘ prestations des artistes-interprètes ou exécutants visées à l’article XI.205 du même Code ’. Les ‘ œuvres littéraires ’ assimilées ne sont donc pas visées en l’espèce » (ibid., p. 8).
« Il conviendra d’abord d’examiner le champ d’application matériel. On vise par là en réalité les ‘ œuvres ’ et ‘ prestations ’ auxquelles les revenus se rapportent. Il convient à cet égard d’examiner en particulier s’il s’agit d’‘ œuvres littéraires ou artistiques ’ ou d’‘ exécutions et représentations publiques d’artistes interprètes ’, visées respectivement aux articles XI.165 et XI. 205 du Code de droit économique. Cela implique que les ‘ œuvres littéraires ou artistiques ’ assimilées par la loi ne sont pas visées. L’assimilation prévue à l’article XI.294 n’est ainsi pas prise en compte » (ibid., p. 55).
« Étant donné qu’il est explicitement renvoyé à l’article XI.165 du Code économique en ce qui concerne les ‘ œuvres littéraires ou artistiques ’ et à l’article XI.205 du même Code en ce qui concerne les ‘ exécutions et représentations publiques d’artistes interprètes ’, seuls ces articles peuvent être pris en compte en matière fiscale. Cela signifie que les ‘ œuvres littéraires ou artistiques ’ assimilées par la loi ne sont pas visées. Par exemple, l’assimilation visée à l’article XI.294 ne sera donc pas prise en compte » (ibid., p. 60).
Interrogé à ce sujet en seconde lecture par un membre de la Chambre, le ministre a confirmé cette interprétation (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3015/020, pp. 20-21).
Le fait que l’article 17, § 1er, 5°, premier tiret, du CIR 1992 mentionne désormais uniquement les droits d’auteur et les droits voisins « visés au livre XI, titre 5, du Code de droit économique », et non plus, d’une manière générale, le livre XI du même Code, dont le titre 6
concerne les programmes d’ordinateur, traduit cette volonté, exprimée dans les travaux préparatoires, d’exclure les œuvres assimilées aux œuvres littéraires.
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B.1.5. Outre la disposition attaquée, la loi-programme du 26 décembre 2022 contient plusieurs autres mesures visant à la réalisation des objectifs cités en B.1.3.
Comme il est dit en B.1.2, seule la première tranche des revenus visés à l’article 17, § 1er, 5°, du CIR 1992 est taxée à un taux de 15 %. Cette première tranche correspond à 37 500 euros (montant indexé de 64 070 euros pour l’exercice d’imposition 2023). Au-delà de ce montant, les revenus sont susceptibles d’être imposés comme des revenus professionnels. À cette limite absolue prévue à l’article 37, alinéa 2, second tiret, du CIR 1992, l’article 101 de la loi-
programme ajoute une limite relative. Selon cette nouvelle limite relative contenue dans l’article 37, alinéa 2, premier tiret, du CIR 1992, « le rapport entre les rémunérations totales pour les transferts et les licences de droits d’auteur et de droits voisins et les rémunérations totales, qui comprennent les rémunérations pour les prestations fournies, ne peut pas dépasser 30 p.c. » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3015/001, p. 65). Enfin, l’article 101 de la loi-programme prévoit que la limite absolue s’apprécie par rapport à la moyenne des quatre périodes imposables qui précèdent la période imposable concernée (ibid.).
Quant à l’intérêt
B.2.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.2.2. Les parties requérantes sont des concepteurs de programmes d’ordinateur et des entreprises actives dans le secteur informatique, qui, respectivement, perçoivent et versent des droits d’auteur relatifs à la création de programmes d’ordinateur dans le cadre de conventions de cession ou de concession de droits d’auteur. Elles soutiennent que la disposition attaquée, dans l’interprétation selon laquelle elle exclut les revenus qui se rapportent aux programmes d’ordinateur du champ d’application de l’article 17 du CIR 1992, et donc du régime fiscal avantageux des droits d’auteur, affecte directement et défavorablement leur situation.
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B.2.3. L’article XI.294 du Code de droit économique dispose que « les programmes d’ordinateur, en ce compris le matériel de conception préparatoire, sont protégés par le droit d’auteur et assimilés aux œuvres littéraires au sens de la Convention de Berne ».
Comme il est dit en B.1.4, les œuvres qui sont « assimilées » à des œuvres littéraires, tels les programmes d’ordinateur, ne sont pas visées par le nouveau régime fiscal des droits d’auteur. La disposition attaquée doit donc être interprétée comme excluant du régime fiscal des droits d’auteur les revenus qui se rapportent à des programmes d’ordinateur.
B.2.4. Les parties requérantes justifient dès lors d’un intérêt à leur recours.
Quant aux moyens uniques dans les affaires nos 7994 et 8050
B.3. Les parties requérantes prennent un moyen unique de la violation des articles 10, 11
et 172 de la Constitution par l’article 100 de la loi-programme du 26 décembre 2022, en ce qu’il créerait une discrimination entre les auteurs d’œuvres littéraires ou artistiques protégées par le droit d’auteur, selon que ces œuvres sont ou non des programmes d’ordinateur.
B.4.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination. L’article 172 de la Constitution est une application particulière de ce principe en matière fiscale.
B.4.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de
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non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.5.1. Le Conseil des ministres allègue que les catégories de personnes mentionnées en B.3 ne se trouvent pas dans des situations comparables, tant en ce qui concerne le type d’œuvre concerné qu’en ce qui concerne l’activité exercée par le contribuable.
B.5.2. Les concepteurs de programmes d’ordinateur se trouvent dans une situation comparable à celle des auteurs d’œuvres littéraires ou artistiques visées à l’article XI.165 du Code de droit économique, dès lors que les programmes d’ordinateur sont aussi protégés par le droit d’auteur, en vertu de l’article XI.294 du même Code, et que les concepteurs de ces programmes sont susceptibles de percevoir des revenus de droits d’auteur soumis à l’impôt.
B.6. En matière fiscale, le législateur dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu. Tel est notamment le cas lorsqu’il détermine les redevables, la matière imposable, la base d’imposition, le taux d’imposition et les éventuelles exonérations d’impôts qu’il prévoit. Dans cette matière, la Cour ne peut censurer les choix politiques du législateur et les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou sont déraisonnables.
Lorsqu’il instaure un régime fiscal particulier, le législateur doit par ailleurs pouvoir faire usage de catégories qui, nécessairement, n’appréhendent la diversité de situations qu’avec un certain degré d’approximation. Le recours à ce procédé n’est pas déraisonnable en soi. Il revient néanmoins à la Cour de vérifier la manière dont le procédé a été mis en œuvre.
B.7. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.1.3 que, par la disposition attaquée, le législateur entend revenir aux objectifs initiaux de la loi du 16 juillet 2008, à savoir l’application d’un régime fiscal approprié aux revenus perçus de manière irrégulière et aléatoire dans l’exercice d’activités artistiques. Le législateur cherche à mettre un terme aux abus du régime fiscal des droits d’auteur, dont il a constaté qu’il est devenu « un mode de rémunération à part
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entière dans des secteurs d’activité professionnelle parfois très éloignés des objectifs prérappelés du législateur de 2008 [...], nonobstant le caractère régulier du montant de ces rémunérations et indépendamment de la capacité contributive du bénéficiaire de ces rémunérations » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3015/001, pp. 57-58).
B.8. La différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir la nature de l’œuvre qui est protégée par le droit d’auteur et à laquelle les revenus se rapportent, à savoir une œuvre littéraire ou artistique dans un cas et un programme d’ordinateur dans l’autre cas. La Cour doit vérifier si ce critère est pertinent en vue de la réalisation des objectifs mentionnés en B.7.
B.9. Le régime fiscal particulier des droits d’auteur repose sur la présomption selon laquelle les revenus auxquels il s’applique sont perçus de manière irrégulière et aléatoire.
Ce régime valait initialement, de manière générale, pour « les revenus qui résultent de la cession ou de la concession de droits d’auteur et de droits voisins, ainsi que des licences légales et obligatoires, visés au livre XI du Code de droit économique ou par des dispositions analogues de droit étranger » (article 17, § 1er, 5°, du CIR 1992, tel qu’il était applicable avant sa modification par l’article 100 de la loi-programme du 26 décembre 2022).
Par la disposition attaquée, le législateur restreint le champ d’application de ce régime fiscal particulier. L’exclusion des programmes d’ordinateur de ce régime repose sur l’idée que la présomption selon laquelle les droits d’auteur correspondent à des revenus perçus de manière irrégulière et aléatoire n’est pas établie en ce qui concerne les programmes d’ordinateur.
B.10. Les programmes d’ordinateur sont principalement de nature technique et utilitaire, et leur création intervient dans un contexte économique particulier. Certes, les programmes d’ordinateur sont protégés par le droit d’auteur, tout comme les œuvres littéraires et artistiques, mais ils sont seulement « assimilés » aux œuvres littéraires en vertu de l’article XI.294 du Code de droit économique. En outre, ils sont soumis à un régime particulier et dérogatoire sur plusieurs points au droit commun du droit d’auteur. Ainsi, l’article XI.296 du même Code
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prévoit que l’employeur est présumé cessionnaire des droits patrimoniaux relatifs aux programmes d’ordinateur créés par un employé dans l’exercice de ses fonctions. Par ailleurs, les dispositions impératives prévues aux articles XI.167/1 à XI.167/6 du même Code ne s’appliquent pas aux programmes d’ordinateur (article XI.295/1 du même Code). Il peut être déduit de ce régime particulier que la création de programmes d’ordinateur s’inscrit, d’une manière générale, dans des relations économiques stables.
B.11. Compte tenu du pouvoir d’appréciation étendu dont il dispose en matière fiscale et de la nécessité de recourir à des catégories qui n’appréhendent la diversité de situations qu’avec un certain degré d’approximation, comme il est dit en B.6, le législateur a pu raisonnablement présumer qu’un risque de précarité et des aléas existent en ce qui concerne les revenus des auteurs d’œuvres littéraires et artistiques, et non - ou d’une manière nettement plus circonscrite - en ce qui concerne les revenus des concepteurs de programmes d’ordinateur.
À cet égard, le législateur a pu tenir compte du fait que, depuis plusieurs années, la création des programmes d’ordinateur donne lieu à un recours relativement systématique au régime fiscal des droits d’auteur, ce que montre le nombre de décisions du Service de décisions anticipées rendues à la demande des entreprises actives dans ce secteur, de sorte que le paiement de droits d’auteur y est devenu un mode de rémunération à part entière.
Il s’ensuit que la différence de traitement attaquée repose sur un critère pertinent en vue de la réalisation des objectifs poursuivis par le législateur.
B.12. Enfin, la mesure attaquée ne produit pas des effets disproportionnés pour les créateurs de programmes d’ordinateur ou pour les personnes qui les emploient, en ce qu’elle aurait uniquement pour effet de les soumettre au régime fiscal applicable aux revenus professionnels. À cet égard, il n’apparaît pas que la mesure attaquée aille au-delà de ce que requiert la réalisation des objectifs poursuivis par le législateur.
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B.13. Compte tenu de ce qui précède, l’exclusion des revenus se rapportant aux programmes d’ordinateur du régime fiscal des droits d’auteur est raisonnablement justifiée.
Les moyens uniques dans les affaires nos 7994 et 8050 ne sont pas fondés.
23
Par ces motifs,
la Cour
rejette les recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 16 mai 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52/2024
Date de la décision : 16/05/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-05-16;52.2024 ?

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