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16/05/2024 | BELGIQUE | N°53/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 16 mai 2024, 53/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 53/2024
du 16 mai 2024
Numéro du rôle : 8015
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 55, alinéa 2, de la section 3
(« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, de l’ancien Code civil et à l’article 52, alinéa 1er, du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019
« modifiant diverses législations en matière de bail à ferme », posées par le Tribunal de première instance du Hainaut, division de Charleroi.
La Cour constitutionnelle,
composée des

présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâque...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 53/2024
du 16 mai 2024
Numéro du rôle : 8015
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 55, alinéa 2, de la section 3
(« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, de l’ancien Code civil et à l’article 52, alinéa 1er, du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019
« modifiant diverses législations en matière de bail à ferme », posées par le Tribunal de première instance du Hainaut, division de Charleroi.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par jugement du 7 juin 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 juin 2023, le Tribunal de première instance du Hainaut, division de Charleroi, a posé les questions préjudicielles suivantes :
« - L’article 55, alinéa 2 de la section 3 ‘ Des règles particulières aux baux à ferme ’ du livre III, titre VIII, chapitre II, de l’ancien Code civil, tel que modifié par l’article 41 du Décret du Parlement wallon du 2 mai 2019 modifiant diverses législations en matière de bail à ferme, lu isolément ou en combinaison avec l’article 3 § 1 alinéa 3 de la section 3 ‘ Des règles particulières aux baux à ferme ’ du livre III, titre VIII, chapitre II, de l’ancien Code civil tel que modifié par l’article 4 du Décret du 2 mai 2019 précité, ainsi qu’avec l’article 52, alinéa 1er du même Décret, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l’article 1er de l’ancien Code civil et le principe général de la non-rétroactivité des lois et le principe général de droit de la sécurité juridique, dans l’interprétation selon laquelle les preneurs titulaires d’un bail verbal conclu antérieurement à l’entrée en vigueur du Décret du 2 mai 2019, soit le 1er janvier 2020, et occupant les lieux loués depuis plus d’un an, peuvent se
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voir notifier en cas d’aliénation de l’objet du bail un congé avec préavis de six mois au motif que ce bail n’a pas date certaine, alors qu’ils se trouvent dans le même temps exclus de toute faculté raisonnable de conférer date certaine à leur bail verbal, dans la mesure où le nouveau régime de l’article 3 § 1 alinéa 3 précité ne leur est expressément pas applicable, de sorte qu’ils se trouvent confrontés de façon subite à un nouveau type de congé qui n’existait pas avant l’entrée en vigueur du Décret du 2 mai 2019 précité et contre lequel ils ne peuvent se prémunir de manière raisonnable et alors que les titulaires de baux verbaux, n’ayant pas date certaine, conclus après l’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019, baux pourtant de nature identique, se voient appliquer l’article 3 précité et peuvent dès lors se prémunir du congé nouvellement introduit par l’article 55 alinéa 2 précité ?
- L’article 52, alinéa 1 du décret du 2 mai 2019 lu en combinaison avec l’article 55 alinéa 2
de la section 3 ‘ Des règles particulières aux baux à ferme ’ du livre III, titre VIII, chapitre II, de l’ancien Code civil, tel que modifié par l’article 41 du Décret du Parlement wallon du 2 mai 2019 modifiant diverses législations en matière de bail à ferme et en combinaison avec l’article 3 § 1 alinéa 3 de la loi sur le bail à ferme tel que modifié par l’article 4 du Décret du 2 mai 2019 précité, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l’article 1er de l’ancien Code civil et le principe général de la non-rétroactivité des lois et le principe général de droit de la sécurité juridique, dans l’interprétation selon laquelle les preneurs d’un bail verbal conclu avant l’entrée en vigueur du Décret du 2 mai 2019 précité, soit le 1er janvier 2020, sont exclus de la possibilité de faire usage du nouvel article 3 § 1 alinéa 3 de la section 3 ‘ Des règles particulières aux baux à ferme ’ du livre III, titre VIII, chapitre II, de l’ancien Code civil tout en étant soumis au nouveau congé régi par l’article 55, alinéa 2 précité, alors que les preneurs d’un bail verbal conclu après l’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019 bénéficient de la possibilité prévue à l’article 3 § 1 alinéa 3
précité pour éviter l’application éventuelle de l’article 55 alinéa 2 précité, ces deux catégories de preneurs étant pourtant titulaires de baux de nature identique ? ».
Luc Vandenhemel, Marie-Christine Mottrie, Marc Vandenhemel et Monique Ployaert, assistés et représentés par Me Paul Renier, avocat au barreau de Namur, ont introduit un mémoire.
Par ordonnance du 28 février 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Magali Plovie et Willem Verrijdt, a décidé :
- que l’affaire était en état,
- d’inviter les parties appelantes devant la juridiction a quo à répondre à la question suivante par un mémoire complémentaire à introduire par pli recommandé à la poste le 20 mars 2024 au plus tard :
« Le remplacement, avec effet rétroactif au 1er janvier 2020, des alinéas 5 et 6 de l’article 52 du décret du 2 mai 2019 modifiant diverses législations en matière de bail à ferme par l’article 1er, 1° du décret de la Région wallonne du 12 octobre 2023 modifiant l’article 52
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du décret du 2 mai 2019 modifiant diverses législations en matière de bail à ferme en ce qui concerne les dispositions transitoires, modifie-t-il l’argumentation développée dans la Section 3, § 2, A (points 18 à 26) du mémoire et si oui, dans quelle mesure ? »,
- qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et
- qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Luc Vandenhemel, Marie-Christine Mottrie, Marc Vandenhemel et Monique Ployaert ont introduit un mémoire complémentaire.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Les couples Vandenhemel-Mottrie et Vandenhemel-Ployaert, parties appelantes devant la juridiction a quo, occupent et exploitent deux terres sises à Lobbes, en qualité de preneurs de trois baux à ferme à la suite d’une cession privilégiée en leur faveur, notifiée le 30 mai 1988 : un bail écrit, non enregistré, daté du 3 février 1972, portant sur 3 hectares 29 ares; un bail écrit, non enregistré, daté du 19 septembre 1975, portant sur 6 hectares 29 ares; et, enfin, un bail verbal portant sur 11 hectares 24 ares et 83 centiares.
Au décès du propriétaire de ces terres, ces dernières sont mises en vente et acquises en indivision par Hervé Duran et Virginie Duran, parties intimées devant la juridiction a quo, par acte authentique du 1er avril 2021.
Invitées par pli recommandé daté du 18 décembre 2020 à faire usage de leur droit de préemption légal, les parties appelantes devant la juridiction a quo ne se sont pas manifestées.
Le 14 avril 2021, Hervé et Virginie Duran notifient aux preneurs un congé en vue d’exploiter personnellement les terres occupées, moyennant un préavis de 6 mois, sur pied de l’article 55, alinéa 2, nouveau, de la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, de l’ancien Code civil (ci-après : la loi sur le bail à ferme), tel qu’il a été modifié par le décret de la Région wallonne du 2 mai 2019 « modifiant diverses législations en matière de bail à ferme » (ci-après : le décret du 2 mai 2019).
Les parties appelantes devant la juridiction a quo contestent la validité de ce congé et déposent une requête en conciliation le 21 juin 2021. Le 14 juillet 2021, la conciliation échoue. Le 12 août 2021, les parties appelantes devant la juridiction a quo intentent la procédure au fond et sollicitent du premier juge qu’il déclare le congé litigieux illégal. Elles sont déboutées et le congé est jugé bon et valable pour le 15 octobre 2021, le premier juge considérant que l’article 55, alinéa 2, réformé, de la loi sur le bail à ferme est d’application immédiate. Elles font appel de ce jugement auprès du Tribunal de première instance du Hainaut, division de Charleroi, et lui demandent d’interroger la Cour à titre préjudiciel.
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Le Tribunal constate qu’à tout le moins, une partie des parcelles concernées fait l’objet d’un bail verbal n’ayant pas date certaine, de sorte que se pose la question de l’application à ce bail de l’article 55, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme. Il considère que cette disposition, compte tenu de son caractère impératif, semble pouvoir être considérée comme étant d’application immédiate aux baux en cours et s’interroge au sujet des différences de traitement qu’elle fait naître. En conséquence, il fait droit à la demande des parties appelantes et pose à la Cour les questions préjudicielles reproduites plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. À titre liminaire, les parties appelantes devant la juridiction a quo formulent deux remarques concernant les prémisses sur lesquelles reposent les questions préjudicielles.
A.1.2. La première remarque concerne l’application dans le temps du décret du 2 mai 2019 et les règles de droit transitoire qu’il édicte. Les parties appelantes devant la juridiction a quo considèrent que l’alinéa 4 de l’article 52 du décret du 2 mai 2019 doit s’interpréter à la lumière des alinéas 5 et 6 du même article [lire : les alinéas 5 et 6 du même article, dans leur version applicable avant leur modification par l’article 1er du décret de la Région wallonne du 12 octobre 2023 « modifiant l’article 52 du décret du 2 mai 2019 modifiant diverses législations en matière de bail à ferme en ce qui concerne les dispositions transitoires » (ci-après : le décret du 12 octobre 2023)]. Partant, et contrairement à ce que la Cour affirme dans son arrêt n° 32/2023 du 2 mars 2023
(ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.032), le décret du 2 mai 2019 contient bien une disposition de droit transitoire applicable à l’ensemble des baux en cours au moment de son entrée en vigueur, qu’ils soient écrits ou oraux.
Échappent ainsi à l’application du nouveau régime du terme extinctif les baux écrits, tant qu’ils ne sont pas renouvelés, ainsi que les baux oraux transformés, dans les cinq ans, en baux écrits. Quant aux baux oraux, le nouveau régime s’applique, mais de manière différée d’au moins dix-huit ans. En conséquence, l’affirmation de la juridiction a quo selon laquelle l’article 41 du décret du 2 mai 2019 (qui modifie l’article 55 de la loi sur le bail à ferme) est d’application immédiate n’est pas évidente.
Dans leur mémoire complémentaire, les parties appelantes devant la juridiction a quo considèrent que la modification, avec effet rétroactif, des alinéas 5 et 6 de l’article 52 du décret du 2 mai 2019 par l’article 1er du décret du 12 octobre 2023 modifie l’équilibre du décret du 2 mai 2019. Il peut se déduire de cette modification que le législateur décrétal a opté pour l’application immédiate du nouveau régime du terme extinctif à tous les baux en cours. Cela étant, les parties appelantes devant la juridiction a quo contestent que l’article 55, alinéa 2, nouveau, de la loi sur le bail à ferme constitue une disposition impérative en faveur du bailleur. À leur estime, il s’agit plutôt d’une disposition venant à l’appui d’une politique de promotion de l’écrit développée dans l’intérêt général et qui profite aux bailleurs.
A.1.3. La seconde remarque concerne la notion de date certaine dans le décret du 2 mai 2019. Les parties appelantes devant la juridiction a quo considèrent qu’il n’est pas évident que, dans le décret du 2 mai 2019, cette notion doive s’entendre au sens de l’article 1328 de l’ancien Code civil ou de l’article 8.22 du Code civil, comme le considère la juridiction a quo. En effet, la notion de « date certaine » apparaît deux fois dans le décret : une première fois dans l’article 3 du décret du 2 mai 2019, insérant un article 2ter dans la loi sur le bail à ferme, et une seconde fois dans l’article 41 du décret du 2 mai 2019. Or, dans sa première occurrence, la notion semble définie de manière différente de la date certaine au sens de l’article 1328 de l’ancien Code civil (8.22 du Code civil). De même, les travaux préparatoires du décret du 2 mai 2019 semblent s’écarter de la définition de la date certaine au sens du Code civil. Il en découle qu’il n’est pas évident que l’expression « date certaine » doive s’interpréter, dans le décret du 2 mai 2019, comme la date certaine au sens de l’article 1328 de l’ancien Code civil (8.22 du Code civil), comme le fait d’emblée la juridiction a quo.
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A.2. Les parties appelantes devant la juridiction a quo estiment que, si la Cour accepte les deux prémisses sur lesquelles reposent les questions préjudicielles, il faudrait y répondre de manière affirmative. Le décret du 2 mai 2019 traite en effet de manière différente, sans justification raisonnable, les preneurs de baux oraux faisant face à l’aliénation du bien loué selon que leur bail est en cours à la date d’entrée en vigueur du décret ou qu’il est conclu après cette date, les premiers ne disposant pas de la faculté d’agir en rédaction forcée afin de conférer une date certaine à leur bail. Partant, les premiers se trouvent confrontés au délai de congé écourté prévu par l’article 55, alinéa 2, nouveau, de la loi sur le bail à ferme, délai auquel ils n’ont pu se préparer et auquel ils ne peuvent rien opposer.
-B-
Quant aux dispositions en cause et à leur contexte
B.1. La loi du 4 novembre 1969 « modifiant la législation sur le bail à ferme et sur le droit de préemption en faveur des preneurs de biens ruraux » (ci-après : la loi sur le bail à ferme)
forme la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, de l’ancien Code civil.
B.2.1. Avant sa modification par l’article 41 du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019 « modifiant diverses législations en matière de bail à ferme » (ci-après : le décret du 2 mai 2019), l’article 55 de la loi sur le bail à ferme disposait :
« En cas d’aliénation du bien loué, l’acquéreur est subrogé aux droits et obligations du bailleur ».
B.2.2. Depuis sa modification par l’article 41 du décret du 2 mai 2019, l’article 55 de la loi sur le bail à ferme dispose :
« Si le bail a une date certaine antérieure à l’aliénation du bien loué, l’acquéreur à titre gratuit ou à titre onéreux est subrogé dans les droits et obligations du bailleur à la date de la passation de l’acte authentique, même si le bail prévoit la faculté d’expulsion en cas d’aliénation.
Il en va de même lorsque le bail n’a pas date certaine antérieure à l’aliénation, si le preneur occupe le bien loué depuis un an au moins. Dans ce cas, l’acquéreur peut mettre fin au bail, à tout moment, pour les motifs et dans les conditions visées à l’article 7, moyennant un congé de six mois notifié au preneur, à peine de déchéance, dans les trois mois qui suivent la date de la
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passation de l’acte authentique constatant la mutation de la propriété. Ce délai est prolongé pour permettre au preneur d’enlever la récolte croissante ».
B.2.3. L’article 7 de la loi sur le bail à ferme, auquel l’article 55, alinéa 2, précité, renvoie, dispose :
« Le bailleur peut mettre fin au bail à l’expiration de chaque période s’il justifie de l’existence d’un motif sérieux. Peuvent seuls être admis comme tels, indépendamment de ceux visés à l’article 6 :
1° l’intention manifestée par le bailleur d’exploiter lui-même tout ou partie du bien loué ou d’en céder en tout ou en partie l’exploitation à son conjoint, à son cohabitant légal, à ses descendants ou enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint, de son cohabitant légal ou aux conjoints ou aux cohabitants légaux desdits descendants ou enfants adoptifs.
Si le bien loué est ou devient copropriété de plusieurs personnes, il ne peut être mis fin au bail en vue de l’exploitation personnelle au profit d’un copropriétaire, de son conjoint ou de son cohabitant légal, ses descendants, enfants adoptifs ou de son conjoint de son cohabitant légal ou des conjoints ou cohabitants légaux desdits descendants ou enfants adoptifs, que si ce copropriétaire possède au moins la moitié indivise du bien loué ou a reçu sa part en héritage ou par legs;
2° l’intention du bailleur de joindre une ou plusieurs parcelles louées, pour lesquelles congé est donné, à d’autres parcelles données à bail par lui à un autre preneur, à condition que cette opération soit commandée par un intérêt économique ou familial incontestable et qu’il ne soit pas porté atteinte à la viabilité de l’exploitation du preneur occupant;
3° l’échange de parcelles louées à divers preneurs par un même bailleur, dans le but de constituer des exploitations remembrées;
4° la division de l’exploitation en deux ou plusieurs exploitations nouvelles, opérée soit pour des raisons économiques sérieuses, soit pour des motifs d’ordre social ou familial, tels que l’installation de jeunes ménages, la création de petites propriétés terriennes, etc., à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à la viabilité de l’exploitation du preneur occupant;
5° des modifications profondes intervenues dans la composition de la famille du preneur en telle sorte que les possibilités d’exploitation du bien loué soient gravement compromises;
6° la dépréciation du bien loué par le fait d’une mauvaise culture ou d’une négligence grave dans l’entretien locatif des bâtiments loués;
7° des injures graves ou des actes d’hostilité manifeste de la part du preneur à l’égard du bailleur ou de membres de sa famille vivant sous son toit;
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8° la condamnation du preneur du chef d’actes de nature à ébranler la confiance du bailleur ou à rendre impossibles les rapports normaux de bailleur à preneur;
9° l’affectation de parcelles par des administrations publiques ou personnes morales de droit public à des fins d’intérêt général;
10° l’affectation de parcelles comme terrains à bâtir ou à destination industrielle à la condition que, vu leur situation au moment du congé, elles doivent être considérées comme tels ».
B.2.4. Conformément à l’article 55, alinéa 1er, du décret du 2 mai 2019, les modifications introduites par l’article 41 du même décret sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020.
B.2.5. Avant son abrogation par l’article 73 de la loi du 13 avril 2019 « portant création d’un Code civil et y insérant un livre 8 ‘ La preuve ’ » (ci-après : la loi du 13 avril 2019), l’article 1328 de l’ancien Code civil disposait :
« Les actes sous seing privé n’ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l’un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où
leur substance est constatée dans des actes dressés par des officiers publics, tels que procès-
verbaux de scellé ou d’inventaire ».
Cette disposition a été remplacée par l’article 8.22 du Code civil, tel qu’il a été inséré par l’article 3 de la loi du 13 avril 2019. L’article 8.22 est entré en vigueur le 1er novembre 2020
(article 75 de la loi du 13 avril 2019) et dispose :
« L’acte sous signature privée n’acquiert date certaine à l’égard des tiers que :
1° du jour où il a été enregistré, ou
2° du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique, ou
3° du jour où au moins l’une des parties se trouve dans l’incapacité de modifier l’acte ou sa date, notamment suite au décès de l’une d’elles ».
Par conséquent, un contrat ne peut recevoir une date certaine au sens de l’article 1328 de l’ancien Code civil et de l’article 8.22 du Code civil que s’il a été mis par écrit.
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B.2.6. L’article 55 de la loi sur le bail à ferme, tel qu’il a été modifié par l’article 41 du décret du 2 mai 2019, a donc pour effet qu’en cas d’aliénation du bien loué, le preneur d’un bail oral, ne disposant par définition pas d’une date certaine au sens de l’article 1328 de l’ancien Code civil et de l’article 8.22 du Code civil, déclarés applicables par la juridiction a quo, peut se voir notifier à tout moment dans les trois mois de la passation de l’acte authentique de vente un congé de six mois pour les motifs et dans les conditions visés à l’article 7 de la même loi, s’il occupe les terres affermées depuis au moins un an. Dans les autres cas, le bail à ferme sans date certaine antérieure à l’aliénation du bien loué n’est plus opposable à l’acquéreur.
B.3.1. L’article 3, 1°, de la loi sur le bail à ferme disposait, avant sa modification par l’article 4 du décret du 2 mai 2019 :
« Le bail doit être constaté par écrit. A défaut de date précise de la prise de cours de la convention le bail est censé avoir pris cours à l’échéance du premier fermage.
A défaut de pareil écrit, celui qui exploite un bien rural pourra fournir la preuve de l’existence du bail et de ses conditions par toutes voies de droit, témoins et présomptions compris.
En outre, il a la faculté de prouver l’existence du bail en produisant une preuve d’offre personnelle de paiement du fermage, conformément à l’article 23, alinéa trois, contre laquelle le bailleur n’a pas réagi dans un délai de six mois, prenant cours au moment de l’offre, par une demande en conciliation devant le juge de paix compétent.
Cette offre de paiement mentionnera expressément le terme ‘ bail ’ et l’année à laquelle le paiement se rapporte.
Elle doit être confirmée dans les quinze jours par l’envoi d’une lettre recommandée à la poste dans laquelle mention est faite de l’existence d’un bail ainsi que de l’année et de la parcelle concernées par le paiement.
La lettre doit également indiquer expressément que le paiement vaut preuve de l’existence d’un bail, sauf si le propriétaire réagit dans un délai de six mois à partir du jour du paiement par une demande en conciliation devant le juge de paix compétent.
Si le montant du fermage convenu n’est pas établi, il est déterminé par le juge, conformément aux dispositions limitant les fermages ».
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B.3.2. Depuis sa modification par l’article 4 du décret du 2 mai 2019, l’article 3, § 1er, de la loi sur le bail à ferme dispose :
« Tout bail tombant sous la présente section ainsi que sa modification ou sa reconduction expresse, sont établis par écrit. Cet écrit contient indépendamment de toutes autres modalités :
1° l’identité des parties contractantes, à savoir :
a) pour les personnes physiques, leurs nom, prénom, domicile, date et lieu de naissance, état civil, leur numéro d’identification dans le registre national ou dans le registre bis de la Banque-Carrefour de la sécurité sociale et, s’ils sont connus, le numéro de producteur et le numéro d’entreprise visé à l’article III.17 du Code de droit économique;
b) pour les personnes morales, leur dénomination, leur siège social et, s’ils sont connus, leur numéro de producteur et leur numéro d’entreprise visé à l’article III.17 du Code de droit économique, ainsi que l’identité des personnes habilitées à les représenter;
2° la date de prise de cours;
3° la durée du bail suivant les articles 4 et 8, §§ 2 à 5;
4° la désignation cadastrale des parcelles telle que reprise sur l’extrait de la matrice cadastrale et mentionnant à tout le moins : la commune où se situent les parcelles, la division, la section, le numéro parcellaire, la contenance ainsi que le nom de la rue ou le lieu-dit;
5° le revenu cadastral non-indexé de chaque parcelle ainsi que la Région agricole dans laquelle se situe chaque parcelle.
Concernant l’alinéa 1er, 1°, lorsqu’un numéro d’entreprise ou un numéro de producteur n’a pas encore été attribué à une partie, cette partie transmet ce numéro d’entreprise ou ce numéro de producteur dès qu’elle en dispose à l’ensemble des parties et le certifie dans l’acte ou dans une déclaration complétive signée au pied de l’acte.
La partie contractante la plus diligente peut, faute d’exécution dans les vingt jours d’une mise en demeure signifiée par envoi, contraindre l’autre partie, par voie judiciaire s’il échet, à dresser, compléter ou signer une convention écrite telle que prévue au présent paragraphe.
La compétence du juge est limitée par l’existence préalable d’un contrat oral entre les parties.
Le Gouvernement peut arrêter un modèle-type de contrat de bail à valeur indicative ».
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B.3.3. L’article 52, alinéa 1er, du décret du 2 mai 2019 règle l’applicabilité dans le temps de l’article 3 de la loi sur le bail à ferme, tel qu’il a été modifié par l’article 4 du décret du 2 mai 2019. Il dispose :
« L’article 3 de la section 3 (‘ Des règles particulières aux baux à ferme ’) du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil, tel que modifié par l’article 4 du présent décret s’applique aux contrats conclus après son entrée en vigueur ».
B.3.4. Il résulte de la lecture combinée de l’article 3, § 1er, alinéa 3, de la loi sur le bail à ferme, tel qu’il a été modifié par l’article 4 du décret du 2 mai 2019, et de l’article 52, alinéa 1er, du décret du 2 mai 2019 que les preneurs d’un bail oral conclu après l’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019, soit après le 1er janvier 2020, disposent d’une action en rédaction forcée leur permettant de transformer leur bail oral en un bail écrit. À l’inverse, la situation des preneurs d’un bail oral conclu avant l’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019 demeure régie par l’ancien article 3 de la loi sur le bail à ferme, et ils ne disposent pas d’une telle action.
B.3.5. Les preneurs d’un bail oral en cours à l’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019
peuvent, en vertu de l’article 52, alinéa 2, du décret, le transformer en bail de carrière ou en bail de longue durée. Cette transformation nécessite cependant l’accord du bailleur, et les baux ainsi transformés sont réputés être de nouveaux baux.
B.4. Comme la Cour l’a jugé par son arrêt n° 32/2023 du 2 mars 2023
(ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.032), ces différentes modifications s’inscrivent dans le contexte d’une réforme de la loi sur le bail à ferme visant « la généralisation de l’écrit » (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1318/1, p. 18), notamment en « sanctionn[ant] l’obligation d’écrit par la mise en place d’une action devant le juge de paix permettant de forcer à dresser, compléter ou signer une convention écrite » (ibid., p. 6).
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Quant aux questions préjudicielles
B.5. Par les deux questions préjudicielles, la Cour est invitée à comparer la situation des preneurs d’un bail à ferme oral en cours lors de l’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019 qui occupent le bien loué depuis au moins un an à celle des preneurs d’un bail à ferme oral conclu après l’entrée en vigueur du même décret. Les premiers n’ont pas la possibilité d’engager l’action en rédaction forcée prévue par l’article 3, § 1er, alinéa 3, de la loi sur le bail à ferme, puisque cette disposition ne leur est pas applicable en vertu de l’article 52, alinéa 1er, du décret du 2 mai 2019. En cas d’aliénation du bien loué, l’acquéreur peut de ce fait leur notifier un congé de six mois, sur la base de l’article 55, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu’il a été modifié par l’article 41 du décret du 2 mai 2019. Les seconds, en revanche, peuvent prévenir un tel congé, en mettant le bail par écrit et en lui conférant une date certaine.
B.6.1. Les questions préjudicielles sont fondées sur la prémisse selon laquelle l’article 55, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu’il a été modifié par l’article 41 du décret du 2 mai 2019, est une disposition impérative d’application immédiate aux baux oraux conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de ce décret.
B.6.2. Il appartient en règle à la juridiction a quo d’interpréter les dispositions qu’elle applique, sous réserve d’une lecture manifestement erronée des dispositions en cause.
B.6.3. En vertu des principes généraux du droit transitoire en matière de conventions, l’ancienne loi demeure applicable aux conventions conclues avant la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi, à moins que la nouvelle loi ne soit d’ordre public ou impérative ou ne prévoie expressément qu’elle s’applique aux conventions en cours (Cass., 4 février 2021, C.20.0399.F, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210204.1F.2; 24 juin 2019, C.15.0328.F, ECLI:BE:CASS:2019:ARR.20190624.2).
B.6.4. La disposition en cause fait partie de la législation sur le bail à ferme, qui vise essentiellement à réaliser un juste équilibre entre les intérêts des bailleurs et ceux des preneurs.
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La volonté d’offrir une plus grande sécurité d’entreprise aux preneurs, en garantissant la stabilité de leurs investissements sur le bien faisant l’objet du bail à ferme, constitue l’objectif général initial de la législation sur le bail à ferme.
La volonté de prendre davantage en compte l’évolution de l’agriculture et l’intérêt des propriétaires à retrouver la libre disposition de leur terre sont des nouveaux objectifs de la législation sur le bail à ferme applicable en Région wallonne (Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1318/1, pp. 3-4; nos 1317/3 et 1318/7, p. 6).
B.6.5. En permettant à l’acquéreur d’une terre affermée, dans les cas où le bail n’a pas de date certaine et où le preneur occupe ladite terre depuis au moins un an, de notifier, dans les trois mois de l’acte authentique de vente, un congé de six mois s’il entend exploiter personnellement les terres acquises, l’article 55, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu’il a été modifié par l’article 41 du décret du 2 mai 2019, protège les intérêts du nouveau propriétaire.
Il ressort des termes de cette disposition et de la volonté du législateur décrétal de restaurer la confiance des propriétaires dans le bail à ferme en mettant notamment fin au caractère quasiment perpétuel de celui-ci (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, C.R.I.C., n° 34, pp. 6
et 9; Doc. parl., Parlement wallon, 2018-2019, n° 1318/1, p. 3; nos 1317/3 et 1318/7, pp. 4-6, 8
et 22; C.R.I., n° 16, pp. 9, 17 et 20) que cet aspect de cette disposition est impératif en faveur du nouveau propriétaire.
B.6.6. L’interprétation de la juridiction a quo selon laquelle l’article 55, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu’il a été modifié par l’article 41 du décret du 2 mai 2019, est d’application immédiate aux baux oraux en cours eu égard à son caractère impératif n’est dès lors pas manifestement erronée.
B.7.1. Par la première question préjudicielle, il est demandé à la Cour si l’article 55, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu’il a été modifié par l’article 41 du décret du 2 mai 2019, lu isolément ou en combinaison avec l’article 3, § 1er, alinéa 3, de la même loi, tel qu’il a été modifié par l’article 4 du décret du 2 mai 2019, et avec l’article 52, alinéa 1er, du décret du 2 mai 2019, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en
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combinaison avec l’article 1er de l’ancien Code civil, le principe général de la non-rétroactivité des lois et le principe général de droit de la sécurité juridique.
B.7.2. Par la seconde question préjudicielle, il est demandé à la Cour si l’article 52, alinéa 1er, du décret du 2 mai 2019, lu en combinaison avec les articles 3, § 1er, alinéa 3, et 55, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tels qu’ils ont été modifiés respectivement par l’article 4
et par l’article 41 du décret du 2 mai 2019, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l’article 1er de l’ancien Code civil, le principe général de la non-rétroactivité des lois et le principe général de droit de la sécurité juridique.
B.7.3. Il ressort du libellé des questions préjudicielles et des motifs de la décision de renvoi que la juridiction a quo vise, dans les deux questions préjudicielles, la même différence de traitement.
La Cour examine les deux questions préjudicielles ensemble.
B.8.1. La Cour est invitée à comparer la situation des preneurs d’un bail oral conclu après l’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019, soit le 1er janvier 2020, qui disposent de la faculté de recourir à l’action en rédaction forcée prévue par l’article 3, § 1er, alinéa 3, de la loi sur le bail à ferme, tel qu’il a été modifié par l’article 4 du décret du 2 mai 2019, et celle des preneurs d’un bail oral conclu avant l’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019, qui sont exclus, par l’article 52, alinéa 1er, du même décret, de l’application de l’article 3, § 1er, alinéa 3, de la loi sur le bail à ferme, tel qu’il a été modifié par l’article 4 du décret du 2 mai 2019, et qui ne peuvent donc pas recourir à l’action en rédaction forcée.
B.8.2. Anticipant une potentielle aliénation du bien loué, les preneurs d’un bail oral conclu après le 1er janvier 2020 peuvent donc forcer la rédaction d’un écrit leur permettant de conférer une date certaine à leur bail et d’échapper à l’application du congé de six mois prévu par l’article 55, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, tel qu’il a été modifié par l’article 41 du décret du 2 mai 2019, alors que les preneurs d’un bail de même nature, mais conclu avant le 1er janvier
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2020, ne peuvent utiliser la même procédure et se trouvent donc confrontés au risque de se voir notifier un congé de six mois, sans possibilité de s’y opposer.
B.9. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.10. C’est le propre d’une nouvelle règle d’établir une distinction entre les personnes qui sont concernées par des situations juridiques qui entraient dans le champ d’application de la règle antérieure et les personnes qui sont concernées par des situations juridiques qui entrent dans le champ d’application de la nouvelle règle. Semblable distinction ne viole pas en soi les articles 10 et 11 de la Constitution. À peine de rendre impossible toute modification de la loi, il ne peut être soutenu qu’une disposition nouvelle violerait ces dispositions constitutionnelles par cela seul qu’elle modifie les conditions d’application de la législation ancienne.
Par ailleurs, si le législateur décrétal estime qu’un changement de politique s’impose, il peut décider de lui donner un effet immédiat et, en principe, il n’est pas tenu de prévoir un régime transitoire. Les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont violés que si l’absence d’une mesure transitoire entraîne une différence de traitement qui n’est pas susceptible de justification raisonnable ou s’il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime. Ce principe est étroitement lié au principe de la sécurité juridique, qui interdit au législateur de porter atteinte sans justification objective et raisonnable à l’intérêt que possèdent les sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.
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B.11. En tant que tel, il n’est pas sans justification raisonnable que l’article 3, § 1er, alinéa 3, de la loi sur le bail à ferme soit applicable, en vertu de l’article 52, alinéa 1er, du décret du 2 mai 2019, aux baux conclus après l’entrée en vigueur de ce décret et que la possibilité d’agir en rédaction forcée n’existe par conséquent que pour de tels baux. En effet, une partie peut avoir délibérément opté, au moment de la conclusion du bail, pour un bail oral, supposant que son caractère oral ne pourrait pas être modifié sans accord mutuel.
B.12. Toutefois, le fait que l’acquéreur puisse, conformément à l’article 55, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, mettre fin au bail pour les motifs et dans les conditions visés à l’article 7, moyennant un congé de six mois, produit des effets disproportionnés pour le preneur qui s’est trouvé dans l’impossibilité absolue, préalablement à l’aliénation du bien loué, de conférer date certaine au bail, en particulier parce qu’il s’agissait d’un bail oral conclu avant l’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019, et qui, au moment de la conclusion du bail, ne pouvait pas prévoir qu’une telle résiliation pourrait avoir lieu, avant l’expiration du bail, sur la base d’une modification ultérieure du régime décrétal.
B.13. L’article 52, alinéa 1er, du décret du 2 mai 2019, lu en combinaison avec l’article 55, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, n’est pas compatible avec les articles 10 et 11
de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle les preneurs d’un bail oral conclu avant l’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019 sont exclus de la possibilité de faire usage de l’article 3, § 1er, alinéa 3, de la loi sur le bail à ferme pour conférer date certaine à leur bail, ce qui les expose au risque de se voir notifier un congé de six mois dans les trois mois de l’aliénation des terres qui en font l’objet.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 52, alinéa 1er, du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019 « modifiant diverses législations en matière de bail à ferme », lu en combinaison avec l’article 55, alinéa 2, de la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, de l’ancien Code civil, tel qu’il a été modifié par l’article 41 du décret du 2 mai 2019, viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que les preneurs d’un bail oral conclu avant l’entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019 précité, soit le 1er janvier 2020, sont exclus de la possibilité de faire usage du nouvel article 3, § 1er, alinéa 3, de la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, de l’ancien Code civil pour conférer date certaine à leur bail.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 16 mai 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 53/2024
Date de la décision : 16/05/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Violation (article 52, alinéa 1er, du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019, lu en combinaison avec l'article 55, alinéa 2, de la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, de l'ancien Code civil, tel qu'il a été modifié par l'article 41 du décret du 2 mai 2019, en ce que les preneurs d'un bail oral conclu avant l'entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019 précité, soit le 1er janvier 2020, sont exclus de la possibilité de faire usage du nouvel article 3, § 1er, alinéa 3, de la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, de l'ancien Code civil pour conférer date certaine à leur bail)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles relatives à l'article 55, alinéa 2, de la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, de l'ancien Code civil et à l'article 52, alinéa 1er, du décret de la Région wallonne du 2 mai 2019 « modifiant diverses législations en matière de bail à ferme », posées par le Tribunal de première instance du Hainaut, division de Charleroi. Droit civil - Bail à ferme - Région wallonne - Bail oral conclu avant l'entrée en vigueur du décret du 2 mai 2019 - Congé - Exclusion de l'action en rédaction forcée - Disposition d'application immédiate


Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-05-16;53.2024 ?

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