Cour constitutionnelle
Arrêt n° 56/2024
du 16 mai 2024
Numéro du rôle : 8171
En cause : la demande de suspension de l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023
« portant des dispositions diverses en matière de santé », introduite par l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la demande et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 22 février 2024 et parvenue au greffe le 23 février 2024, une demande de suspension de l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 « portant des dispositions diverses en matière de santé » (publiée au Moniteur belge du 24 novembre 2023) a été introduite par l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux », l’ASBL reconnue comme union professionnelle « Société belge de Radiologie », Lieven Van Hoe, la SRL « Kahuna », Patrik Aerts, la SRL « Dr. Patrik Aerts », William Simoens, la SRL « Dr. William Simoens », Peter Bracke, Didier Fonck, Frederik Vanrietvelde, la SRL « Dokter Frederik Vanrietvelde », Yves De Bruecker, la SRL « Dr. De Bruecker Yves », Sofie De Vuysere et la SRL « Dokter Sofie De Vuysere », assistés et représentés par Me Ann Dierickx et Me An Vijverman, avocates au barreau de Louvain, et par Me Dimitri Verhoeven, avocat au barreau d’Anvers.
Par la même requête, les parties requérantes demandent également l’annulation de la même disposition légale.
Par ordonnance du 28 février 2024, la Cour a fixé l’audience pour les débats sur la demande de suspension au 27 mars 2024, après avoir invité les autorités visées à l’article 76, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle à introduire, le 20 mars 2024 au plus
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tard, leurs observations écrites éventuelles sous la forme d’un mémoire, dont une copie serait envoyée dans le même délai aux parties requérantes, ainsi qu’au greffe de la Cour par courriel envoyé à l’adresse « greffe@const-court.be ».
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Pierre Slegers et Me Margaux Kerkhofs, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit des observations écrites.
À l’audience publique du 27 mars 2024 :
- ont comparu :
. Me Ann Dierickx, pour les parties requérantes;
. Me Pierre Slegers, également loco Me Margaux Kerkhofs, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Willem Verrijdt et Magali Plovie ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’intérêt
A.1. Les parties requérantes demandent la suspension et l’annulation de l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 « portant des dispositions diverses en matière de santé » (ci-après : la loi du 13 novembre 2023). En vertu de cette disposition, les médecins hospitaliers ne peuvent pas facturer des suppléments d’honoraires aux patients non hospitalisés pour les prestations d’imagerie médicale lourde qui sont urgentes ou qui ont lieu un jour de semaine qui n’est pas un jour férié, entre 8 h 00 et 18 h 00. En outre, ils ne peuvent en aucun cas facturer des suppléments d’honoraires sans le consentement éclairé du patient, consentement qui doit être établi par écrit dans un document signé.
Les parties requérantes estiment qu’elles justifient d’un intérêt à leur demande de suspension et à leur recours en annulation. Les première et deuxième parties requérantes sont respectivement l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux » et l’ASBL reconnue comme union professionnelle « Société belge de Radiologie ». Par leur demande de suspension et leur recours en annulation, ces deux associations défendent les intérêts de leurs membres, ce qui correspond à leur but statutaire. Les troisième, cinquième, septième, neuvième, dixième, onzième, treizième et quinzième parties requérantes sont des médecins spécialistes en radiodiagnostic (ci-après :
radiologues) non conventionnés. Les quatrième, sixième, huitième, douzième, quatorzième et seizième parties requérantes sont des sociétés par le biais desquelles les troisième, cinquième, septième, onzième, treizième et quinzième parties requérantes, respectivement, exercent leur profession. Elles sont affectées directement et défavorablement par la disposition attaquée, dès lors que celle-ci limite la possibilité de réclamer des suppléments d’honoraires pour les prestations ambulatoires d’imagerie médicale lourde.
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A.2. Le Conseil des ministres ne conteste pas l’intérêt des parties requérantes.
Quant au risque de préjudice grave difficilement réparable
A.3. Les parties requérantes allèguent, en ce qui concerne le risque de préjudice grave difficilement réparable, que l’application de l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 hypothèque la qualité des soins d’imagerie médicale lourde fournis aux patients non hospitalisés. La disposition attaquée allonge les délais d’attente pour les prestations ambulatoires complexes d’imagerie médicale lourde. Dès lors que la plupart des patients souhaitent réaliser leur examen sans avoir à payer des suppléments d’honoraires, ceux-ci demanderont que cet examen ait lieu un jour de semaine entre 8 h 00 et 18 h 00, ce qui laisse moins de place pour les examens complexes durant cette plage horaire, alors que c’est justement pendant ces heures que le niveau de présence du personnel est au plus haut et que des radiologues spécialisés sont également présents. De cette manière, le personnel de santé n’est pas déployé de manière adéquate. Par ailleurs, le fait que les prestations qualifiées d’urgentes doivent également être effectuées en journée allonge encore les délais d’attente, tant pour les examens complexes que pour les examens non complexes. Ce phénomène est renforcé par le fait que la notion de « soin urgent » pourrait être abusivement utilisée et ainsi vidée de sa substance, afin d’éviter le paiement de suppléments d’honoraires. Il en résulterait une diminution du temps disponible pour les examens vraiment urgents.
Selon les parties requérantes, si l’application de la disposition attaquée devait être maintenue, il serait difficile, voire impossible, d’inverser la tendance de l’allongement significatif des délais d’attente dont font déjà état les premiers chiffres fournis par quelques hôpitaux, et encore moins de le faire dans un délai raisonnable. Or, les longs délais d’attente ont de graves répercussions. Un traitement commencé tardivement peut avoir des conséquences sérieuses et irréversibles sur la santé du patient. Par ailleurs, les hôpitaux limitent l’offre des prestations ambulatoires d’imagerie médicale lourde pour pouvoir effectuer tous les examens dans un délai raisonnable, de sorte que le patient devra souvent se déplacer plus loin pour subir son examen et aura tout de même un long délai d’attente, puisque de telles concentrations donneront lieu, à leur tour, à un allongement des délais.
Selon les parties requérantes, le fait que la disposition attaquée impose au gestionnaire et au conseil médical de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les prestations soient proposées dans les délais scientifiquement usuels en fonction de la pathologie concernée ne change rien à ce qui précède. Compte tenu de la liberté thérapeutique du médecin, il n’appartient en effet pas au gestionnaire ni au conseil médical de prendre des mesures quant au planning. Sans compter qu’il est pratiquement impossible, pour le gestionnaire et le conseil médical, de résoudre le problème des longs délais d’attente, dès lors que le nombre de plages horaires par jour est limité.
A.4. Le Conseil des ministres estime qu’il ne s’agit pas d’un préjudice grave difficilement réparable. Il souligne d’abord que les parties requérantes invoquent principalement des préjudices hypothétiques pour les patients. En outre, ce sont les radiologues et les services hospitaliers concernés eux-mêmes qui ont créé les préjudices pour les patients. Ce sont eux qui ont déplacé les soins les plus lucratifs à des moments où des suppléments d’honoraires peuvent encore être facturés. La disposition attaquée ne requiert par contre pas que les soins soient organisés autrement.
Ensuite, le Conseil des ministres fait valoir qu’en ce que les parties requérantes invoquent un préjudice personnel, il s’agit d’un préjudice financier qui résulte de la perte de suppléments d’honoraires. Un tel préjudice n’est toutefois pas difficilement réparable et les parties requérantes ne démontrent pas non plus le contraire. Rien n’empêchera en effet les radiologues, après une éventuelle annulation, de facturer et de recouvrer malgré tout les suppléments d’honoraires. L’action intentée par le prestataire de soins ne se prescrit qu’après un délai de deux ans à compter de la fin du mois au cours duquel la prestation a été accomplie.
Enfin, le Conseil des ministres soutient que l’absence d’un risque de préjudice grave difficilement réparable ressort également du fait que les parties requérantes ont attendu trois mois pour introduire leur demande de suspension. S’il y avait réellement eu urgence, elles auraient introduit une action plus tôt. Selon le Conseil des ministres, l’urgence invoquée est de nature purement politique et symbolique.
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-B-
Quant à la disposition attaquée et à son contexte
B.1. Les parties requérantes demandent la suspension et l’annulation de l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 « portant des dispositions diverses en matière de santé » (ci-après : la loi du 13 novembre 2023). Cette disposition insère, dans la loi coordonnée du 10 juillet 2008
« sur les hôpitaux et autres établissements de soins » (ci-après : la loi coordonnée du 10 juillet 2008), un nouvel article 152/1, qui dispose :
« § 1er. Le présent article est applicable aux patients qui ne sont pas hospitalisés et à qui des prestations sont fournies à l’hôpital en appliquant de l’imagerie médical[e] lourde[,] tel que visé à l’article 52 de la présente loi.
§ 2. Les médecins hospitaliers qui fournissent les prestations précitées ne peuvent facturer aucun supplément aux patients visés au § 1er, sans préjudice des circonstances spéciales visées au deuxième alinéa. Pour l’application du présent article, par suppléments, il faut entendre des tarifs qui s’écartent des tarifs de l’accord au cas où un accord visé à l’article 50 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, est en vigueur, ou des tarifs qui s’écartent des tarifs qui servent de base au calcul de l’intervention de l’assurance si un tel accord n’est pas en vigueur.
Par dérogation à l’alinéa premier, les médecins hospitaliers peuvent facturer des suppléments si les prestations sont fournies à la demande expresse du patient entre 18 heures et 8 heures ou le samedi, le dimanche et les jours fériés.
Le médecin hospitalier informe préalablement le patient au sujet des conséquences financières. L’autorisation du patient qui formule la demande expresse visée à l’alinéa précédent est établie par écrit, préalablement à la prestation, dans un document signé dont le patient et l’hôpital reçoivent un exemplaire.
En aucun cas, des suppléments ne peuvent être facturés si le médecin qui prescrit la prestation mentionne explicitement qu’il s’agit d’une nécessité médicale urgente.
§ 3. Le gestionnaire et le conseil médical prennent toutes les mesures nécessaires pour garantir que les prestations visées au § 1er sont proposées aux patients concernés sans facturation de suppléments, dans les délais scientifiquement usuels en fonction de la pathologie concernée, sans préjudice des circonstances spéciales visées au § 2, deuxième alinéa ».
B.2.1. L’article 152/1 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008, tel qu’il a été inséré par la disposition attaquée, limite la possibilité pour les médecins hospitaliers qui fournissent des
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prestations d’imagerie médicale lourde au sens de l’article 52 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 de facturer des suppléments d’honoraires aux patients qui ne sont pas hospitalisés. Les médecins hospitaliers ne peuvent désormais facturer des suppléments pour ces prestations que si la prestation est fournie à la demande expresse du patient entre 18 h 00 et 8 h 00 ou un samedi, un dimanche ou un jour férié et qu’il ne s’agit pas d’une nécessité médicale urgente. Dans ce cas, le médecin hospitalier doit informer préalablement le patient au sujet des conséquences financières de sa demande et obtenir son autorisation écrite préalable.
Cette disposition prévoit en outre l’obligation pour le gestionnaire et le conseil médical de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les prestations précitées soient proposées sans facturation de suppléments, dans les délais scientifiquement usuels en fonction de la pathologie concernée.
B.2.2. L’article 8 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 définit le gestionnaire comme « l’organe qui, selon le statut juridique de l’hôpital, est chargé de la gestion de l’exploitation de l’hôpital » (article 8, alinéa 1er, 1°) et le médecin hospitalier comme « le médecin attaché à l’hôpital ou au réseau hospitalier clinique locorégionale » (article 8, alinéa 1er, 4°). En vertu de l’article 133 de cette même loi, le conseil médical s’entend comme « l’organe représentant les médecins hospitaliers par lequel ceux-ci sont associés à la prise de décisions à l’hôpital ».
B.2.3. La notion de « suppléments » est définie à l’article 152/1, § 2, alinéa 1er, de la loi coordonnée du 10 juillet 2008, tel qu’il a été inséré par la disposition attaquée, comme désignant les tarifs qui s’écartent des tarifs de l’accord visé à l’article 50 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 (ci-après : la loi coordonnée du 14 juillet 1994), ou les tarifs qui s’écartent des tarifs qui servent de base au calcul de l’intervention de l’assurance si un tel accord n’est pas en vigueur.
L’accord visé à l’article 50 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 est un accord national (ci-après : accord tarifaire), conclu au sein de la Commission nationale médico-mutualiste, qui fixe les tarifs pour les prestations médicales prévues dans la nomenclature.
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Les médecins hospitaliers qui choisissent d’adhérer à l’accord tarifaire (ci-après : les médecins hospitaliers conventionnés) sont en principe tenus de respecter les tarifs qui y sont contenus. En contrepartie, les médecins hospitaliers conventionnés peuvent bénéficier d’avantages sociaux et d’autres avantages (article 54 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 et arrêté royal du 5 mai 2020 « instituant un régime d’avantages sociaux et d’autres avantages à certains dispensateurs de soins qui sont réputés avoir adhéré aux accords ou conventions qui les concernent »).
Les médecins hospitaliers non conventionnés ne sont en principe pas tenus de respecter les tarifs de l’accord tarifaire, mais ils ne peuvent prétendre aux avantages sociaux et aux autres avantages précités. Ils sont libres de facturer des honoraires supérieurs aux tarifs en vigueur de l’accord tarifaire, sauf exception prévue par la loi.
B.3. Au sujet de la mesure attaquée, l’exposé des motifs mentionne ce qui suit :
« Ce projet de loi a pour objectif de garantir l’accessibilité des soins aux prestations diagnostiques médicales essentielles.
Il est ainsi donné suite à une proposition qui figure dans l’accord national médico-
mutualiste 2022-2023 qui a été conclu le 21 décembre 2021. Le point 3.5.5. de l’accord précité est libellé comme suit : ‘ La CNMM a constaté que dans certains hôpitaux, certains examens radiologiques ne sont plus proposés aux tarifs de la convention. La CNMM est d’avis que le principe selon lequel les soins aux patients hospitalisés doivent obligatoirement pouvoir être offerts aux tarifs de la convention dans les hôpitaux, doit également s’appliquer aux examens ambulatoires qui peuvent uniquement être effectués à l’hôpital ’.
Concrètement, il s’agit d’examens réalisés avec un appareillage médical lourd. Il faut entendre par-là les appareils ou équipements d’examen qui sont coûteux soit en raison de leur prix d’achat, soit en raison de leur maniement par un personnel hautement spécialisé et qui sont repris dans une liste établie par l’arrêté royal du 25 avril 2014, article 1, 1er alinéa, 1° à 6°, en application de l’article 52 de la loi sur les hôpitaux. Il s’agit des appareils suivants, hybrides ou non : CT, SPECT-CT, PET, PET-CT, PET-RMN, RMN.
Les appareils en question doivent être installés sur la base de la réglementation applicable dans le cadre d’un service médico-technique d’hôpital.
Par conséquent, les patients qui ont besoin d’un diagnostic/d’un traitement au moyen de ces appareils n’ont pas la liberté de choisir de le faire réaliser en dehors de l’hôpital.
L’organisation de ces services et, en particulier, l’utilisation de freins financiers ne peuvent donc pas avoir pour conséquence que les patients n’y aient pas accès.
Les prestations en question peuvent uniquement être exécutées sur prescription d’un médecin traitant.
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En outre, il s’agit généralement de patients présentant une pathologie lourde pour laquelle l’imagerie médicale en question est essentielle en vue d’un diagnostic/traitement particulier et pour laquelle d’autres examens, comme une échographie ou un RX conventionnel, n’offrent pas d’alternative.
Enfin, il ne faut pas perdre de vue qu’une partie des appareils en question (RMN, PET) est largement financée par les autorités.
Ces trois raisons (liberté de choix limitée, diagnostic essentiel, financement de l’appareillage par les autorités) motivent la limitation de la facturation des suppléments d’honoraires.
La proposition n’affecte en rien le statut de conventionnement des médecins concernés, mais limite la facturation de suppléments pour certaines prestations qui sont essentielles au traitement de patients chez qui de graves problèmes de santé sont constatés.
Le gestionnaire et le conseil médical se voient imposer l’obligation de veiller à ce qu’il y ait une capacité suffisante pour pouvoir réaliser les prestations concernées aux tarifs conventionnés dans un délai qui est scientifiquement indiqué en fonction de la pathologie.
À l’avenir, des suppléments d’honoraires ne pourront plus être facturés que pour les prestations exécutées à la demande expresse du patient entre 18 h et 8 h et pendant le week-end ou les jours fériés. Cette demande expresse peut découler, par exemple, du souhait du patient de recourir à la prestation plus tôt que ce qui est médicalement nécessaire. Ces suppléments peuvent se justifier sur la base de l’exigence dite spéciale du patient, mais aussi parce que les prestations s’accompagnent dans ce cas de coûts de personnel supplémentaires. La demande expresse et l’autorisation du patient devront être formalisé[e]s au préalable.
En aucun cas, des suppléments ne sont autorisés lorsque le médecin prescripteur estime que l’examen doit être exécuté d’urgence » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3538/001, pp. 12-14).
Quant aux conditions pour la suspension
B.4. Aux termes de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, deux conditions doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée :
- des moyens sérieux doivent être invoqués;
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- l’exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.
Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l’une de ces deux conditions n’est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.
B.5.1. Quant au risque de préjudice grave difficilement réparable, la suspension par la Cour d’une disposition législative doit permettre d’éviter que l’application immédiate de la norme attaquée entraîne pour la partie requérante un préjudice grave qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait difficilement l’être en cas d’annulation de cette norme.
B.5.2. Il ressort de l’article 22 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 que, pour satisfaire à la deuxième condition de l’article 20, 1°, de cette loi, la personne qui forme une demande de suspension doit exposer, dans sa requête, des faits concrets et précis qui prouvent à suffisance que l’application immédiate des dispositions dont elle demande l’annulation risque de lui causer un préjudice grave difficilement réparable.
Cette personne doit notamment faire la démonstration de l’existence d’un risque de préjudice, de sa gravité, de son caractère difficilement réparable et de son lien avec l’application des dispositions attaquées.
B.6. Les parties requérantes allèguent, en ce qui concerne le risque de préjudice grave difficilement réparable, que l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 hypothèque la qualité des soins. La disposition attaquée aurait pour effet d’allonger les délais d’attente pour les prestations ambulatoires complexes et moins complexes d’imagerie lourde, dès lors que la plupart des patients souhaitent subir leur examen un jour de semaine entre 8 h 00 et 18 h 00, lorsque des suppléments d’honoraires ne peuvent pas être facturés, et dès lors que des prestations sont abusivement qualifiées d’urgentes dans le but d’éviter des suppléments d’honoraires ou de longs délais d’attente. Par ailleurs, certains hôpitaux ne proposeraient pas certaines prestations d’imagerie médicale lourde, ou en proposeraient moins, de façon à pallier l’allongement des délais d’attente, ce qui, toutefois, aurait également pour effet d’allonger les délais d’attente pour le patient et le contraindrait à parcourir de plus grandes distances pour obtenir un rendez-vous dans un autre hôpital. Selon les parties requérantes, ces longs délais
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d’attente et ces ajustements de l’offre ne pourront pas être rectifiés facilement en cas d’annulation de la disposition attaquée.
B.7.1. Les première et deuxième parties requérantes sont des associations sans but lucratif.
Selon ses statuts, la première partie requérante a pour but de « réunir les différentes entités syndicales régionales de médecins ». Dans ce cadre, elle défend les intérêts des médecins, y compris des médecins spécialistes en radiodiagnostic (ci-après : radiologues). La deuxième partie requérante a pour but statutaire « la défense, l’étude, la protection et la promotion des intérêts scientifiques et professionnels de ses membres ». Ces derniers sont des radiologues, des médecins en cours de formation en radiologie et des sociétés de radiologues.
B.7.2. Lorsqu’il s’agit d’apprécier la gravité et le caractère difficilement réparable d’un préjudice, une association sans but lucratif qui défend des principes ou protège un intérêt collectif ne peut être confondue avec les personnes physiques affectées dans leur situation personnelle, auxquelles ces principes ou cet intérêt sont relatifs.
B.7.3. Le préjudice allégué n’affecte pas personnellement les première et deuxième parties requérantes. En ce qui les concerne, il ne pourrait s’agir tout au plus que d’un préjudice moral résultant de l’adoption et de l’application d’une disposition législative qui affecte les intérêts collectifs qu’elles défendent. À leur égard, il suffit de constater qu’un tel préjudice n’est en aucun cas difficilement réparable, puisqu’il disparaîtrait en cas d’annulation de la disposition attaquée.
B.8.1. Les troisième, cinquième, septième, neuvième, dixième, onzième, treizième et quinzième parties requérantes sont des radiologues non conventionnés. Les quatrième, sixième, huitième, douzième, quatorzième et seizième parties requérantes sont des sociétés par le biais desquelles les troisième, cinquième, septième, onzième, treizième et quinzième parties requérantes, respectivement, exercent leur profession.
B.8.2. Le préjudice allégué n’affecte pas ces parties requérantes, mais leurs patients. Ce sont en effet ces derniers qui, selon les parties requérantes, devraient subir des délais d’attente plus longs et se déplacer plus loin. Les parties requérantes n’exposent pas, dans leur requête, en quoi la disposition attaquée est susceptible de causer aux médecins spécialistes et à leurs sociétés mêmes un préjudice grave difficilement réparable.
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B.9. Dès lors qu’une des conditions de fond pour que la suspension puisse être décidée n’est pas remplie, il y a lieu de rejeter la demande de suspension.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette la demande de suspension.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 16 mai 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Luc Lavrysen