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30/05/2024 | BELGIQUE | N°58/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 30 mai 2024, 58/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 58/2024
du 30 mai 2024
Numéro du rôle : 7993
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 3, alinéa 2, de la loi du 22 décembre 2009 « portant des dispositions fiscales », posée par la Cour d’appel de Mons.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Joséphine Moerman, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, ren

d l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 21 avril...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 58/2024
du 30 mai 2024
Numéro du rôle : 7993
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 3, alinéa 2, de la loi du 22 décembre 2009 « portant des dispositions fiscales », posée par la Cour d’appel de Mons.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Joséphine Moerman, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 21 avril 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 9 mai 2023, la Cour d’appel de Mons a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 3, alinéa 2 de la loi du 22 décembre 2009 [portant des dispositions fiscales], interprété comme exigeant, pour son application, que la requête en validation d’une cotisation subsidiaire, introductive d’une nouvelle instance, ait été signifiée avant le 10 janvier 2010, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- la SA « Entreprises Degauque », assistée et représentée par Me Thierry Litannie, avocat au barreau du Brabant wallon;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me David Heurion, avocat au barreau de Charleroi.
Par ordonnance du 27 mars 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Emmanuelle Bribosia et Joséphine Moerman, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant
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la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
À la suite d’un contrôle fiscal mené chez la SA « Entreprises Degauque » au cours de l’année 1999, l’administration fiscale rejette la déduction, par la société, de certaines contributions destinées à financer une pension complémentaire en faveur de deux administrateurs et établit à cet égard des cotisations subsidiaires. Après avoir vu sa réclamation contre ces cotisations subsidiaires rejetée par le directeur régional des contributions, la SA « Entreprises Degauque » dépose une requête devant le Tribunal de première instance du Hainaut, division de Mons, qui, par jugement du 16 septembre 2009, annule notamment la cotisation subsidiaire pour l’exercice d’imposition 1999, pour défaut d’envoi d’un avis de rectification. Le jugement du 16 septembre 2009 ne fait l’objet d’aucune signification.
Le 25 septembre 2013, l’État belge signifie à la SA « Entreprises Degauque » une requête en validation d’une cotisation subsidiaire pour l’exercice d’imposition 1999, conformément à l’article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), tel qu’il était applicable avant sa modification par la loi du 22 décembre 2009 « portant des dispositions fiscales » (ci-après : la loi du 22 décembre 2009). La requête est déposée le 7 octobre 2013 au greffe du Tribunal de première instance du Hainaut, division de Mons. Par jugement du 20 février 2020, ce Tribunal déclare irrecevable la requête en validation de la cotisation subsidiaire, pour cause d’introduction tardive. L’État belge interjette appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Mons.
La Cour d’appel constate que l’article 356 du CIR 1992 a été modifié par la loi du 22 décembre 2009, que cette dernière est entrée en vigueur le 10 janvier 2010, qu’elle est, en vertu de son article 3, alinéa 1er, immédiatement applicable quel que soit l’exercice d’imposition et que son article 3, alinéa 2, prévoit un régime transitoire pour les cotisations qui ont été annulées totalement ou partiellement par le juge, avant l’entrée en vigueur de la loi, pour une cause autre que la prescription. La Cour d’appel déduit de l’article 3, alinéa 2, de la loi du 22 décembre 2009 que l’application du régime transitoire exige la réunion d’au moins deux conditions : la décision judiciaire annulant la cotisation initiale doit avoir été rendue avant le 10 janvier 2010 et la requête en validation de la cotisation subsidiaire doit avoir été introduite dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle la décision judiciaire d’annulation de la cotisation primitive est passée en force de chose jugée. La Cour d’appel estime que ces deux conditions sont remplies dans le cas d’espèce. Cependant, la SA « Entreprises Degauque »
fait valoir, en se référant à un article de doctrine, que l’application du régime transitoire exige également que la requête en validation d’une cotisation subsidiaire, introductive d’une nouvelle instance, soit signifiée au redevable de l’impôt avant le 10 janvier 2010. La Cour d’appel constate que ce point de vue n’est pas suivi par une autre doctrine ni par la jurisprudence et que la condition invoquée par la SA « Entreprises Degauque » peut donner lieu à des différences de traitement entre les contribuables, selon que la requête en validation d’une cotisation subsidiaire est signifiée au contribuable avant le 10 janvier 2010 ou à partir de cette date ainsi que selon la date du jugement annulant la cotisation initiale. Par conséquent, la Cour d’appel estime qu’il s’indique de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
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III. En droit
-A-
A.1.1. À titre principal, le Conseil des ministres estime que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse, dès lors que la réponse à cette question n’est pas utile à la solution du litige pendant devant la juridiction a quo et que cette question repose sur une interprétation erronée de la disposition en cause.
A.1.2. Le Conseil des ministres expose que la juridiction a quo, après avoir considéré que la disposition en cause peut recevoir deux interprétations, a relevé que seule une certaine doctrine défendait l’interprétation mentionnée dans la question préjudicielle. Il ajoute qu’il ressort de la décision de renvoi que la juridiction a quo ne souscrit pas en soi à cette interprétation et qu’elle ne rejette pas non plus l’autre interprétation, avancée par l’administration fiscale. Il estime en outre que la constitutionnalité de l’interprétation défendue par l’administration fiscale ne saurait être mise en doute, eu égard aux arrêts de la Cour nos 82/2011 du 18 mai 2011
(ECLI:BE:GHCC:2011:ARR.082) et 38/2014 du 27 février 2014 (ECLI:BE:GHCC:2014:ARR.038). Selon le Conseil des ministres, il n’appartient pas à la Cour de répondre à une question qui reste, au regard des motifs de la décision de renvoi, purement théorique.
A.1.3. Le Conseil des ministres fait ensuite valoir que la question préjudicielle repose sur la prémisse erronée selon laquelle la disposition en cause exige non pas deux, mais trois conditions pour l’application du régime transitoire qu’elle prévoit. Il estime que cette disposition est parfaitement claire et qu’elle ne contient que deux conditions : la décision judiciaire annulant la cotisation initiale doit avoir été rendue avant le 10 janvier 2010 et la requête en validation de la cotisation subsidiaire doit avoir été introduite dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle la décision judiciaire d’annulation de la cotisation primitive est passée en force de chose jugée. Il insiste sur le fait que la doctrine qui défend une autre interprétation de la disposition en cause est une doctrine isolée et qu’une autre doctrine et la jurisprudence considèrent que la disposition en cause ne pose que deux conditions. Il souligne à cet égard que le régime transitoire prévu par la disposition en cause permet expressément de déroger au régime prévu à l’article 356 du CIR 1992, tel qu’il a été remplacé par l’article 2 de la loi du 22 décembre 2009, et que ce régime transitoire répond aux vœux du législateur qui, selon les travaux préparatoires, a considéré qu’il était indispensable de prendre une mesure transitoire pour préserver les droits du Trésor. Le Conseil des ministres estime que la juridiction a quo soumet ainsi à la Cour une disposition légale dans une interprétation manifestement erronée.
A.2.1. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres est d’avis que la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
A.2.2. Le Conseil des ministres souligne que, bien que la question préjudicielle ne mentionne pas les catégories de personnes à comparer, il peut se déduire de la décision de renvoi que, dans l’interprétation mentionnée dans la question préjudicielle, la disposition en cause fait naître des différences de traitement entre les contribuables, selon que la requête en validation d’une cotisation subsidiaire est signifiée au contribuable avant le 10 janvier 2010 ou à partir de cette date ainsi que selon la date du jugement annulant la cotisation initiale. Le Conseil des ministres fait remarquer qu’il souscrit à ces considérations de la juridiction a quo. Il souligne qu’en vertu de l’article 172 de la Constitution, ni l’administration ni le pouvoir judiciaire ne peuvent accorder une exemption ou une modération d’impôt, de sorte que l’établissement d’une cotisation et le remplacement d’une cotisation annulée pour une cause autre que la prescription sont obligatoires dans le chef de l’administration, qui, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, n’est pas libre de renoncer au recouvrement des impôts dus.
A.2.3. Le Conseil des ministres rappelle que l’article 356 du CIR 1992 a été modifié à la suite de l’arrêt de la Cour n° 158/2009 du 20 octobre 2009 (ECLI:BE:GHCC:2009:ARR.158), par lequel celle-ci a jugé que l’absence de tout délai d’imposition a pour effet que le principe de la sécurité juridique est violé, puisque le contribuable demeure indéfiniment dans l’incertitude quant à l’exercice d’imposition concerné, sans disposer de la possibilité de faire accélérer la procédure. Il souligne que l’article 356 du CIR 1992, tel qu’il a été remplacé par l’article 2 de la loi du 22 décembre 2009, prévoit désormais que l’administration, en cas d’annulation de la cotisation, a l’obligation de soumettre au juge une cotisation subsidiaire dans un délai de six mois à dater du prononcé de la décision. Il souligne également que la disposition en cause prévoit une disposition transitoire
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suivant laquelle, pour les cotisations qui ont été annulées par le juge avant l’entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2009, les cotisations subsidiaires qui sont introduites après la clôture des débats sont valablement soumises à l’appréciation du juge, à la condition que la procédure ait été introduite dans les six mois de la décision judiciaire coulée en force de chose jugée. Il estime que cette disposition transitoire répond à l’objectif poursuivi par le législateur consistant à préserver les droits du Trésor. Il souligne que la Cour, par ses arrêts nos 81/2011 du 18 mai 2011 (ECLI:BE:GHCC:2011:ARR.081) et 38/2014, a jugé que la disposition transitoire n’est pas contraire au principe de la sécurité juridique et au principe d’égalité et de non-discrimination.
A.2.4. Selon le Conseil des ministres, l’interprétation de la disposition en cause qui est soumise à la Cour – interprétation qui induit l’ajout d’une condition aux conditions que cette disposition prévoit pour son application – conduit à une violation des articles 170 et 172 de la Constitution. Il considère en outre qu’une telle interprétation aurait pour effet que la disposition en cause ne peut pas être appliquée à l’égard de certains contribuables, qui échappent de ce fait à l’impôt – plus précisément lorsque la requête en validation d’une cotisation subsidiaire est signifiée le 10 janvier 2010 ou après cette date ou lorsque l’administration ne dispose pas d’un délai suffisant, compte tenu de la date du jugement d’annulation de la cotisation initiale et de la date de l’entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2009, pour faire signifier une requête en validation –, alors que cette disposition serait applicable à l’égard des autres contribuables.
A.3.1. La SA « Entreprises Degauque » déduit des termes de la disposition en cause que le régime transitoire qui y est prévu est applicable aux cotisations subsidiaires qui, conformément à l’ancien article 356 du CIR 1992, sont soumises au juge entre le moment de la clôture des débats sur la légalité de la cotisation initiale et l’entrée en vigueur, le 10 janvier 2010, de la loi du 22 décembre 2009. Selon elle, cette mesure transitoire n’a donc pas vocation à s’appliquer à toutes les décisions judiciaires qui ne sont pas encore devenues définitives, mais uniquement aux décisions prononcées avant le 10 janvier 2010 et à la suite desquelles l’administration a déposé une requête en validation d’une cotisation subsidiaire conformément à l’ancien article 356 du CIR 1992. Elle estime que prétendre le contraire reviendrait à revenir au régime précédent, que la Cour a jugé inconstitutionnel au motif qu’il n’était prévu aucun délai dans lequel la cotisation subsidiaire devait être proposée au juge.
A.3.2. La SA « Entreprises Degauque » estime qu’il ressort tant de la doctrine que des travaux préparatoires que la disposition en cause ne permet pas à l’administration d’encore signifier après le 10 janvier 2010 une requête en validation d’une cotisation subsidiaire au contribuable sous le régime de l’ancien article 356 du CIR 1992.
Selon elle, la disposition en cause a pour seul but de rendre légales les requêtes en validation d’une cotisation subsidiaire signifiées avant le 10 janvier 2010. Elle considère que la disposition en cause pose donc trois conditions pour l’application du régime transitoire qui y est prévu : la décision judiciaire annulant la cotisation initiale doit être rendue avant le 10 janvier 2010, la requête en validation de la cotisation subsidiaire doit avoir été signifiée au redevable avant le 10 janvier 2010 et la requête en validation doit avoir été introduite dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle la décision d’annulation de la cotisation initiale a été coulée en force de chose jugée.
A.4. La SA « Entreprises Degauque » estime que, dans l’interprétation précitée, la disposition en cause ne fait naître aucune différence de traitement entre les contribuables. Elle considère qu’aucun contribuable n’échappe au prélèvement de l’impôt, puisque, logiquement, le régime transitoire s’applique aux décisions judiciaires et aux cotisations qui datent d’avant l’entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2009, tandis que le nouvel article 356
du CIR 1992 s’applique aux cotisations qui datent d’après l’entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2009. Selon elle, une différence de traitement entre les contribuables aurait été créée si le régime transitoire n’avait pas existé.
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-B-
B.1. La question préjudicielle concerne la disposition transitoire de l’article 3, alinéa 2, de la loi du 22 décembre 2009 « portant des dispositions fiscales » (ci-après : la loi du 22 décembre 2009), qui énonce :
« Par dérogation à l’article 2 et pour les impositions qui ont été annulées totalement ou partiellement par le juge, pour une cause autre que la prescription, avant l’entrée en vigueur de la présente loi, les cotisations subsidiaires qui [sont introduites] après clôture des débats, par requête signifiée au redevable conformément à l’article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 tel qu’il existait avant d’être modifié par l’article 2 de la présente loi ou l’article 261 du Code des impôts sur les revenus 1964, sont valablement soumises à l’appréciation du juge, à condition que les procédures aient été introduites dans les six mois de la décision judiciaire coulée en force de chose jugée. Cette disposition est immédiatement d’application ».
B.2.1. L’article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), tel qu’il a été remplacé par l’article 2 de la loi du 22 décembre 2009, dispose :
« Lorsqu’une décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui fait l’objet d’un recours en justice, et que le juge prononce la nullité totale ou partielle de l’imposition pour une cause autre que la prescription, la cause reste inscrite au rôle pendant six mois à dater de la décision judiciaire. Pendant ce délai de six mois qui suspend les délais d’opposition, d’appel ou de cassation, l’administration peut soumettre à l’appréciation du juge par voie de conclusions, une cotisation subsidiaire à charge du même redevable et en raison de tout ou partie des mêmes éléments d’imposition que la cotisation primitive.
[…] ».
B.2.2. L’article 356 du CIR 1992 trouve son origine dans l’article 32 de la loi du 20 août 1947 « apportant des modifications : a) aux lois et arrêtés relatifs aux impôts sur les revenus et à la contribution nationale de crise; b) aux lois et arrêtés relatifs aux taxes spéciales assimilées aux impôts directs » (ci-après : la loi du 20 août 1947). Cette disposition a été ultérieurement reprise dans les articles 260 et 261 du Code des impôts sur les revenus 1964 (ci-après : le CIR 1964), qui constituent actuellement les articles 355 et 356 du CIR 1992.
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Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 20 août 1947 que l’intention du législateur était « d’éviter que l’État ne soit privé d’impôts légitimement dus, mais dont le titre d’établissement a été, à la suite de réclamations et recours, en tout ou en partie annulé par des décisions qui ne sont intervenues définitivement qu’après l’expiration du délai légal fixé pour l’établissement des impôts » (Doc. parl., Chambre, 1946-1947, n° 59, p. 24).
Par conséquent, « lorsque l’Administration a commis une erreur dans l’application des lois, la juste répartition des charges fiscales ne doit pas en être influencée, sauf si le contribuable a acquis le bénéfice de la forclusion » (ibid., pp. 24-25). En effet, il eût été injuste vis-à-vis de la collectivité que l’État soit privé des cotisations qui lui sont légitimement dues « par suite de l’interprétation erronée, quoique compréhensible, du fonctionnaire taxateur », c’est-à-dire « qu’à la faveur d’une erreur d’appréciation un contribuable puisse éluder l’impôt qu’il doit légitimement » (Doc. parl., Chambre, 1946-1947, n° 407, p. 58).
B.3. Il ressort de l’article 356 du CIR 1992, tel qu’il a été remplacé par l’article 2 de la loi du 22 décembre 2009, que le législateur a instauré un délai de six mois dans lequel l’administration fiscale peut soumettre une cotisation subsidiaire après une décision de justice annulant une imposition pour une cause autre que la prescription.
Le législateur a ainsi tenu compte de l’arrêt n° 158/2009 du 20 octobre 2009
(ECLI:BE:GHCC:2009:ARR.158), par lequel la Cour a jugé que l’absence de tout délai, dans l’article 356 précédemment en vigueur du CIR 1992, auquel l’administration fiscale serait tenue pour soumettre une cotisation subsidiaire après une annulation par le juge de la cotisation attaquée portait atteinte au principe de la sécurité juridique, alors que l’article 355 de ce Code autorise l’administration fiscale à établir une nouvelle cotisation dans les trois mois de la date à laquelle la décision d’annuler une imposition, prise par le directeur des contributions ou par le fonctionnaire délégué par lui, n’est plus susceptible d’un recours en justice.
En vertu de l’article 3, alinéa 1er, de la loi du 22 décembre 2009, le nouvel article 356 du CIR 1992 est immédiatement d’application quel que soit l’exercice d’imposition.
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L’article 3, alinéa 2, de la loi du 22 décembre 2009 contient un régime transitoire pour les impositions qui ont été annulées totalement ou partiellement par le juge, pour une cause autre que la prescription, avant l’entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2009. La loi du 22 décembre 2009 est entrée en vigueur le 10 janvier 2010.
B.4.1. Il est demandé à la Cour si l’article 3, alinéa 2, de la loi du 22 décembre 2009, interprété comme exigeant, pour son application, que la requête en validation d’une cotisation subsidiaire, introductive d’une nouvelle instance, ait été signifiée avant le 10 janvier 2010, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.4.2. L’examen de la compatibilité d’une disposition législative avec le principe d’égalité et de non-discrimination, garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution, suppose notamment l’identification précise de deux catégories de personnes qui font l’objet d’une différence de traitement ou d’une identité de traitement.
Le libellé de la question préjudicielle invitant la Cour à un tel examen, et à tout le moins les motifs de la décision de renvoi, doivent donc contenir les éléments nécessaires à cette identification. Il n’appartient pas à la Cour d’examiner la constitutionnalité d’une différence de traitement ou d’une identité de traitement entre deux catégories de personnes dont elle devrait elle-même définir les contours.
B.4.3. En l’espèce, la question préjudicielle ne mentionne pas les catégories de personnes à comparer.
Il peut toutefois se déduire de la décision de renvoi que la juridiction a quo invite la Cour à se prononcer sur des différences de traitement que la disposition en cause, dans l’interprétation précitée, fait naître entre les contribuables, selon que la requête en validation d’une cotisation subsidiaire est signifiée au contribuable avant le 10 janvier 2010 ou à partir de cette date et selon que la décision judiciaire annulant la cotisation initiale est rendue peu de temps ou non avant le 10 janvier 2010.
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B.5. Le Conseil des ministres allègue que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse, dès lors que la juridiction a quo n’interprète pas elle-même la disposition en cause et qu’elle ne s’approprie pas l’interprétation qui lui est prêtée dans la question préjudicielle. Il estime dès lors que la réponse à cette question n’est pas utile à la solution du litige pendant devant cette juridiction.
Le Conseil des ministres allègue en outre que la question préjudicielle repose sur une interprétation manifestement erronée de la disposition en cause et que cette question n’appelle pas de réponse pour ce motif également.
B.6. C’est en règle à la juridiction a quo qu’il appartient d’apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige. Ce n’est que lorsque tel n’est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n’appelle pas de réponse.
Ainsi que la Cour l’a jugé par son arrêt n° 164/2011 du 20 octobre 2011
(ECLI:BE:GHCC:2011:ARR.164), il n’est pas requis que la juridiction a quo opère déjà, lors de l’examen de l’utilité de la réponse à la question préjudicielle pour la solution du litige, un choix décisif en faveur d’une interprétation déterminée de la disposition en cause. Ainsi, la circonstance selon laquelle la juridiction a quo ne s’est pas approprié l’interprétation prêtée à la disposition en cause dans la question préjudicielle n’implique pas que cette question n’appelle pas de réponse.
B.7.1. Il appartient en règle à la juridiction a quo d’interpréter les dispositions qu’elle applique, sous réserve d’une lecture manifestement erronée de la disposition en cause.
B.7.2. Selon les termes de la disposition en cause, le régime que celle-ci prévoit constitue une « dérogation à l’article 2 » de la loi du 22 décembre 2009, qui a remplacé l’article 356 du CIR 1992.
La disposition en cause n’est applicable, selon ses termes, qu’aux « impositions qui ont été annulées totalement ou partiellement par le juge, pour une cause autre que la prescription, avant l'entrée en vigueur de la présente loi ». La loi du 22 décembre 2009 étant entrée en vigueur le
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10 janvier 2010, il s’agit donc des cotisations que le juge a annulées totalement ou partiellement avant cette date pour une cause autre que la prescription.
Le régime dérogatoire à l’article 356 du CIR 1992 implique que les cotisations subsidiaires soumises au juge « après clôture des débats, par requête signifiée au redevable conformément à l’article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 tel qu’il existait avant d’être modifié par l’article 2 de la présente loi ou l’article 261 du Code des impôts sur les revenus 1964, sont valablement soumises à l’appréciation du juge, à condition que les procédures aient été introduites dans les six mois de la décision judiciaire coulée en force de chose jugée ».
Selon l’article 356, alinéa 4, du CIR 1992, dans la version applicable avant sa modification par l’article 2 de la loi du 22 décembre 2009, la « cotisation subsidiaire est soumise à la juridiction par requête signifiée au redevable ». L’article 261, alinéa 3, du CIR 1964 prévoyait un régime analogue.
B.7.3. Il ressort de ce qui précède que la disposition en cause exige pour son application, premièrement, que la cotisation subsidiaire soit établie à la suite d’une cotisation initiale ayant été annulée totalement ou partiellement par le juge avant le 10 janvier 2010 pour une cause autre que la prescription et, deuxièmement, que la requête en validation de la cotisation subsidiaire soit signifiée au redevable dans les six mois à partir du moment où la décision judiciaire annulant la cotisation initiale est coulée en force de chose jugée.
B.7.4. Il ne ressort pas de la disposition en cause qu’il soit exigé, pour son application, que la requête en validation d’une cotisation subsidiaire soit signifiée avant le 10 janvier 2010.
B.7.5. Par son arrêt n° 81/2011 du 18 mai 2011 (ECLI:BE:GHCC:2011:ARR.081), rendu à la suite d’un recours en annulation de la disposition en cause, la Cour a jugé ce qui suit :
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« B.4.4. La partie requérante conteste en particulier la différence de traitement découlant du délai de six mois à partir ‘ de la décision judiciaire coulée en force de chose jugée ’, prévu par la disposition attaquée. La différence de traitement consisterait en ce que, pour une catégorie de contribuables, le délai de six mois prenant cours à partir de la décision judiciaire passée en force de chose jugée était déjà écoulé au moment où la loi du 22 décembre 2009 est entrée en vigueur, tandis que ce n’est pas le cas pour l’autre catégorie de contribuables. Cette dernière catégorie peut, contrairement à la première, encore faire l’objet d’une cotisation subsidiaire que l’administration fiscale soumet à l’appréciation du juge.
En instaurant le délai contesté, le législateur a réalisé un juste équilibre entre l’intérêt qui commande que chaque imposition contraire au droit puisse être rectifiée et le souci de ne pas laisser indéfiniment le contribuable dans l’incertitude concernant cette imposition. La différence de traitement découlant de ce délai n’est pas manifestement déraisonnable ».
B.7.6. Il en ressort que la Cour a jugé que la catégorie des contribuables pour lesquels le délai de six mois prenant cours à partir de la décision judiciaire coulée en force de chose jugée n’était pas encore écoulé au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2009, à savoir le 10 janvier 2010, pouvait encore faire l’objet, selon la disposition en cause, « d’une cotisation subsidiaire que l’administration fiscale soumet à l’appréciation du juge ». Dès lors qu’en vertu de l’article 356, alinéa 4, du CIR 1992, dans la version applicable avant sa modification par l’article 2 de la loi du 22 décembre 2009, la cotisation subsidiaire est soumise à la juridiction par requête signifiée au redevable, la Cour a estimé qu’il n’était pas requis, pour l’application de la disposition en cause, que la requête en validation d’une cotisation subsidiaire soit signifiée avant le 10 janvier 2010.
B.7.7. Par son arrêt n° 81/2011, par lequel le recours contre la disposition en cause a été rejeté, la Cour a jugé implicitement, mais certainement, que cette disposition n’a pas la portée qui lui est prêtée dans la question préjudicielle posée en l’espèce.
B.8. Dès lors que la question préjudicielle repose sur une lecture manifestement erronée de la disposition en cause, cette question n’appelle pas de réponse.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
La question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 mai 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 58/2024
Date de la décision : 30/05/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

La question préjudicielle n'appelle pas de réponse

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 3, alinéa 2, de la loi du 22 décembre 2009 « portant des dispositions fiscales », posée par la Cour d'appel de Mons. Droit fiscal - Impôts sur les revenus - Etablissement et recouvrement - Cotisation - Cotisation irrégulière - Annulation par le juge pour une cause autre que la prescription - Etablissement d'une cotisation subsidiaire - Requête en validation de la cotisation - Signification - Délai


Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-05-30;58.2024 ?

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