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20/06/2024 | BELGIQUE | N°64/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 20 juin 2024, 64/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 64/2024
du 20 juin 2024
Numéro du rôle : 7978
En cause : le recours en annulation du décret de la Région wallonne du 19 octobre 2022
« modifiant l’article 26 du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation et limitant l’indexation des loyers en fonction du certificat de performance énergétique des bâtiments », introduit par l’ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Joséphin

e Moerman, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée d...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 64/2024
du 20 juin 2024
Numéro du rôle : 7978
En cause : le recours en annulation du décret de la Région wallonne du 19 octobre 2022
« modifiant l’article 26 du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation et limitant l’indexation des loyers en fonction du certificat de performance énergétique des bâtiments », introduit par l’ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Joséphine Moerman, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 18 avril 2023 et parvenue au greffe le 19 avril 2023, un recours en annulation du décret de la Région wallonne du 19 octobre 2022 « modifiant l’article 26 du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation et limitant l’indexation des loyers en fonction du certificat de performance énergétique des bâtiments » (publié au Moniteur belge du 3 novembre 2022) a été introduit par l’ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires », l’ASBL « Verenigde Eigenaars - Propriétaires Réunis », Jacques Lecomte et Danielle Guillaume, assistés et représentés par Me Emmanuel Plasschaert, Me Eric Montens et Me Sakine Yilmaz, avocats au barreau de Bruxelles.
Le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me Marc Verdussen, Me Michel Kaiser, Me Cécile Jadot et Me Pierre Bellemans, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire et les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse.
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Par ordonnance du 13 mars 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Emmanuelle Bribosia et Joséphine Moerman, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
À la suite de la demande du Gouvernement wallon à être entendu, la Cour, par ordonnance du 27 mars 2024, a fixé l’audience au 24 avril 2024.
À l’audience publique du 24 avril 2024 :
- ont comparu :
. Me Eric Montens, également loco Me Emmanuel Plasschaert, pour les parties requérantes;
. Me Pierre Bellemans, également loco Me Marc Verdussen, pour le Gouvernement wallon;
- les juges-rapporteures Emmanuelle Bribosia et Joséphine Moerman ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
A.1. Les parties requérantes sont de deux types. Il s’agit d’abord des ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires » et « Verenigde Eigenaars - Propriétaires Réunis », qui ont chacune pour objet de défendre et de protéger les intérêts des propriétaires et copropriétaires au sens large et qui sont habilitées à représenter ceux-ci en justice. Elles estiment que ce but statutaire est distinct de l’intérêt général et qu’il est réellement poursuivi, comme en témoignent les nombreux avis rendus par les deux ASBL à des instances publiques diverses. Elles justifient leur intérêt au recours par le fait que le décret de la Région wallonne du 19 octobre 2022
« modifiant l’article 26 du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation et limitant l’indexation des loyers en fonction du certificat de performance énergétique des bâtiments » (ci-après : le décret du 19 octobre 2022) modifie la formule d’indexation de certains baux à loyer, ce qui porte directement atteinte au droit de propriété ainsi qu’à la jouissance et l’usage que tout propriétaire, dont elles défendent les intérêts, peut faire de ce droit. Le décret précité porte également atteinte à l’épargne des propriétaires et affecte donc directement la situation des personnes qu’elles représentent. Les autres parties requérantes sont deux personnes physiques, Jacques Lecomte et Danielle Guillaume, conjointement usufruitiers d’un appartement dont ils tirent des revenus locatifs. L’interdiction partielle d’indexer les loyers les affecte directement, puisque leur appartement dispose d’un certificat PEB D.
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Quant au premier moyen
A.2.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par les articles 1er à 5 du décret du 19 octobre 2022, des règles répartitrices de compétences entre l’autorité fédérale et les régions. Elles soutiennent que les dispositions attaquées empiètent sur les compétences résiduelles de l’autorité fédérale en matière de droit civil et en matière de politique de prix de l’énergie, en particulier l’article 1728bis de l’ancien Code civil, en dénaturant le mécanisme d’indexation existant pour créer un déséquilibre contractuel entre les propriétaires et les locataires. Auparavant, le mécanisme d’indexation assurait un équilibre entre ces deux co-
contractants, puisque son calcul était lié à l’indice santé et au coût de la vie. L’inflation anormale est la justification mise en avant par le législateur décrétal pour brider voire interdire l’indexation des loyers. Ces mesures reviennent à briser l’équilibre précité, ce que reconnaît d’ailleurs le législateur décrétal, puisqu’il part du postulat erroné que le propriétaire serait par essence moins affecté par la crise économique. Les parties requérantes ajoutent que les mesures ont en outre des effets disproportionnés, puisqu’elles font supporter l’intégralité de l’inflation par le propriétaire en instaurant un enrichissement injustifié dans le chef du locataire et que, par ailleurs, la modification de la formule d’indexation aura pour effet de ralentir toute indexation future à partir du 1er novembre 2023 et pour une durée indéterminée.
A.2.2. Le Gouvernement wallon réfute le premier moyen. Il rappelle qu’aux termes de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, l’autorité fédérale dispose d’une compétence réservée en matière de politique des prix et des revenus mais que celle-ci s’est vue réduite de manière importante en faveur des régions, lesquelles peuvent réglementer les prix dans les matières qui relèvent de leur compétence. En l’espèce, la matière des baux d’habitation en fait bien partie en vertu de l’article 6, § 1er, IV, 1°
et 2°, de la loi spéciale précitée. La Cour a déjà pu reconnaître à plusieurs reprises que cette compétence doit être interprétée largement. Font partie de cette compétence la détermination du loyer, y compris la détermination de prix indicatifs, et l’adaptation du loyer au coût de la vie. Si la doctrine a pu pointer le double aspect de la politique des loyers, touchant à des compétences à la fois fédérales et régionales, aucun auteur n’a jamais soutenu que la compétence relative à l’indexation des loyers constituait une compétence purement fédérale. Au contraire, elle est considérée, selon le Gouvernement wallon, comme un véritable accessoire des autres compétences régionales. À
cet égard, le Gouvernement wallon estime que les parties requérantes se méprennent lorsqu’elles soutiennent que les mesures attaquées portent atteinte à l’article 1728bis de l’ancien Code civil. Au contraire, les mécanismes wallons ne s’appliquent qu’une fois le loyer indexé conformément à la disposition précitée, s’y ajoutant donc sans empiètement. Enfin, il ne peut être affirmé que le mécanisme d’indexation serait dévoyé de ses fins par le législateur décrétal. Il est à l’inverse un outil qui peut être mobilisé en vue de poursuivre des objectifs d’intérêt général, ce qui est le cas en l’espèce.
A.2.3. Les parties requérantes contestent les arguments du Gouvernement wallon. À titre principal, elles maintiennent que la Région wallonne n’était pas compétente pour adopter le décret du 19 octobre 2022. La sixième réforme de l’État a transféré aux régions les « règles spécifiques » relatives à la location des biens d’habitation.
Cette spécificité justifie que le législateur fédéral conserve sa compétence en matière de droit civil. Or, le mécanisme d’indexation des loyers, adopté au niveau fédéral, a pour objectif d’assurer l’équilibre des intérêts du propriétaire et du locataire. Si l’indexation des loyers est une compétence partagée, la Région wallonne ne peut l’exercer d’une manière qui porte atteinte aux principes généraux de droit civil, y compris l’équilibre contractuel entre les parties. Le décret du 19 octobre 2022 le modifie profondément, et de façon non anecdotique puisque 75 %
des locataires wallons bénéficieront de la mesure et non le quartile précarisé annoncé.
À titre subsidiaire, les parties requérantes soutiennent que l’exercice de la compétence de la Région wallonne empiète à tout le moins de façon disproportionnée sur la compétence de l’autorité fédérale de fixer les prix et les revenus pour lutter contre l’inflation. Le Gouvernement wallon lui-même reconnaît dans son mémoire que la lutte contre l’inflation est l’objectif des mesures attaquées. Il ne peut en effet pas être celui de protéger les locataires précarisés vu le champ d’application beaucoup trop large du décret. Il ne peut pas non plus être de réellement inciter à l’accélération de la rénovation du bâti wallon, ce que le Gouvernement admet également. Les parties requérantes rappellent que la Cour n’évalue la constitutionnalité des normes qui lui sont soumises qu’au regard de
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l’objectif réellement poursuivi. Or, il résulte de ce qui précède que le décret du 19 octobre 2022 est une mesure de fixation de prix pour lutter contre l’inflation, sans lien réel avec le bail ou avec la rénovation du bâti.
Quant au deuxième moyen
A.3.1. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation, par les articles 1er à 5 du décret du 19 octobre 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution. Il est divisé en huit branches.
A.3.2. Le Gouvernement wallon réfute le deuxième moyen dans chacune de ses branches et s’interroge, à titre liminaire, sur la recevabilité du moyen dans son intégralité, au motif que les parties requérantes n’indiquent pas avec précision quelles sont les catégories de personnes qu’elles entendent comparer.
A.3.3. Les parties requérantes répondent à l’interrogation du Gouvernement wallon quant à l’absence supposée de précision des catégories visées, notant au passage que le Gouvernement wallon ne soulève à aucun moment une exception formelle d’irrecevabilité. Outre que cette interrogation ne peut concerner les deux premières branches, elle n’est pas fondée pour les autres branches, pour lesquelles les catégories sont définies précisément et auxquelles le Gouvernement wallon n’a d’ailleurs aucun mal à répondre par la suite.
A.4.1. Dans une première branche, les parties requérantes contestent le choix du critère sur lequel la mesure est fondée, à savoir le certificat PEB. Tout d’abord, celui-ci constituait jusqu’à l’entrée en vigueur du décret du 19 octobre 2022 un instrument purement informatif. À cet égard, les parties requérantes relèvent qu’il n’est pas obligatoire d’en posséder un, hormis pour conclure une vente ou un contrat de location à dater du 1er juin 2011. Il ne le sera pour tous qu’en 2025. Ainsi, seuls 25 % du parc immobilier wallon seraient certifiés. On ne peut donc, selon les parties requérantes, raisonnablement choisir un critère fondé sur un document la plupart du temps absent.
Ensuite, le contenu du certificat PEB en tant que tel est particulièrement instable, puisque son protocole d’établissement change régulièrement. Dans le même ordre d’idées, il est constamment critiqué, y compris par des instances publiques ou européennes comme la Commission européenne, pour son caractère peu fiable. Il est maintenant de notoriété publique que les certifications connaissent d’importantes variations selon le certificateur choisi. Face à ces constats, les parties requérantes estiment que le critère n’est pas objectif.
A.4.2. Le Gouvernement wallon souligne que la première branche doit être rejetée, puisque les parties requérantes se contentent en réalité d’opérer une critique radicale du mécanisme même du PEB. Or, celui-ci repose sur une directive européenne adoptée il y a vingt-trois ans et ne peut donc être raisonnablement considéré comme constituant un critère non objectif.
A.4.3. Les parties requérantes réfutent ensuite le caractère d’objectivité que voudrait conférer le Gouvernement wallon au PEB. Tout démontre le contraire. Un rapport rédigé en 2018 et joint par les parties au mémoire en réponse fait état d’une différence de cinq lettres (de C à G) pour un même bien immobilier selon le certificateur. C’est donc le manque d’objectivité qui est manifeste. Les parties requérantes pointent notamment le fait que les propriétaires doivent eux-mêmes apporter les preuves, par exemple de l’isolation, et qu’à défaut, ils sont sanctionnés, de même que, lorsqu’un doute existe, le bien est marqué dans la catégorie la moins avantageuse.
Il est donc erroné d’affirmer, comme le fait le Gouvernement wallon, que les valeurs du PEB sont des valeurs moyennes qui n’avantagent ni ne pénalisent les propriétaires.
À titre subsidiaire, même si le critère est considéré comme objectif, les parties requérantes affirment qu’il n’est pas suffisamment justifié. Elles soulignent à cet égard la disparité qui existe entre les législations des trois régions de Belgique, en ce qui concerne tant la limitation de l’indexation en fonction des labels PEB que ces labels eux-mêmes. Ainsi, par exemple, la classe D correspond, en Région de Bruxelles-Capitale, à une consommation théorique annuelle par mètre carré se situant entre 248 et 341 kWh, alors que la fourchette est de 255 à 340 kWh en Région wallonne et de 300 à 400 kWh en Région flamande. Pointer ces disparités ne revient pas à mettre en cause l’autonomie régionale en la matière mais à montrer, selon les parties requérantes, à quel point les doutes sont importants sur la légitimité d’un tel critère. Elles estiment, dès lors, qu’il est impossible de justifier raisonnablement le lien qui existerait entre le PEB et le soutien aux locataires les plus défavorisés.
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A.5.1. Dans une deuxième branche, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées ne sont pas pertinentes pour atteindre les objectifs poursuivis, à savoir le soutien aux locataires à la suite de la crise énergétique et l’incitation à la réalisation de travaux, en vue d’accélérer la rénovation du parc immobilier wallon pour des raisons environnementales.
En ce qui concerne l’objectif de soutien aux locataires à la suite de la crise énergétique, les parties requérantes rappellent que le législateur décrétal entendait réagir à l’inflation anormale des prix de l’énergie, laquelle affecte en priorité les personnes qui résident dans des « passoires énergétiques ». Or, selon les prévisions en la matière, il s’avère que la Région a réagi trop vite, puisque l’inflation a stagné à la fin de l’année 2022 puis s’est mise à diminuer en 2023. Ceci rend manifestement inutiles les mesures de protection. Ensuite, le PEB n’est en tout état de cause pas pertinent pour jauger la performance énergétique, puisqu’il n’est qu’un raccourci. Les parties requérantes insistent sur le fait qu’il ne mesure qu’une performance théorique, sans rapport avec la consommation énergétique réelle d’un bien. Enfin, le certificat PEB varie considérablement en fonction du certificateur, comme déjà exposé.
En ce qui concerne l’objectif d’incitation à la réalisation de travaux, mue par l’objectif d’accélérer la rénovation du parc immobilier wallon pour des raisons environnementales, les parties requérantes estiment que le certificat PEB n’est pas l’instrument adéquat. Tout d’abord, certains travaux sont difficiles à mettre en œuvre en raison des règles de l’urbanisme et de protection du patrimoine. Les parties requérantes citent à cet égard l’impossibilité de procéder à une isolation par l’extérieur des bâtiments classés et le fait que l’isolation intérieure est considérée comme moins performante et plus coûteuse. La difficulté peut également être temporelle, comme c’est le cas des copropriétés où la décision prise par l’assemblée générale des copropriétaires d’effectuer des travaux peut prendre plusieurs années. En tout état de cause, l’éventuel incitant reste minime, puisque le certificat PEB ne sera pas obligatoire avant 2025. Ensuite, les parties requérantes font valoir que le protocole du certificat PEB a des implications paradoxales et contre-productives en termes d’objectifs environnementaux. Ainsi, les chauffages électriques affectent négativement l’évaluation du PEB, quand bien même leur source serait décarbonée. Ceci va clairement à l’encontre des objectifs de la stratégie de rénovation énergétique de la Région wallonne, de même que de ceux de l’Union européenne. Enfin, les parties requérantes rappellent à nouveau que le certificat fluctuera en fonction du certificateur.
A.5.2. Le Gouvernement wallon rappelle en premier lieu que la période récente d’inflation, dont le pic date d’octobre 2022, est la plus importante que l’on ait connue depuis les années 1970. Cette inflation record, due à la situation géopolitique ainsi qu’à la reprise rapide de l’activité économique après la pandémie de COVID-19, a atteint fortement les ménages, d’autant que l’indexation des salaires ne couvre pas l’intégralité de l’inflation en raison du calcul par rapport à l’indice santé, lequel exclut plusieurs types de produits qui pèsent lourdement sur l’inflation générale. Tous les niveaux de pouvoir ont donc dû faire face à cette situation au futur imprévisible. Il faut ajouter à cela le phénomène antérieur et toujours actuel de précarisation des ménages. Le Gouvernement wallon ajoute que le Bureau fédéral du plan, au moment de l’adoption du décret du 19 octobre 2022, prévoyait une hausse des prix à la consommation qui allait certes s’apaiser avec le temps mais qui n’en restait pas moins forte.
Quant à la « chute » des prix du gaz et de l’électricité avancée par les parties requérantes, on ne peut que constater qu’elle ne se traduit pas encore dans les factures des consommateurs. En bref, c’est en s’appuyant sur des données objectives correspondant à une nécessité impérieuse que le législateur décrétal a agi pour protéger les locataires les plus exposés.
À cet égard, le législateur wallon a choisi le critère du PEB, puisqu’il est directement lié à l’un des symptômes de la crise inflationniste, à savoir l’augmentation des prix de l’énergie, mais qu’il contribue en outre à garantir le droit constitutionnel à un environnement sain. Ainsi, le Gouvernement wallon estime que les parties requérantes se méprennent sur l’effet incitatif voulu par le législateur décrétal. Celui-ci n’est qu’un objectif secondaire qui s’ajoute à la volonté de protéger les locataires. Il ne cherche pas tant à inciter à effectuer des travaux rapides qu’à introduire un changement de comportement des propriétaires à moyen et à long terme. En tout état de cause, ces derniers ne sont jamais obligés de demander l’indexation des loyers et ceux qui, parmi eux, ont réellement entamé des rénovations sont effectivement avantagés. Il n’en reste pas moins que, selon le Gouvernement wallon, les parties requérantes cherchent avant tout à remettre en cause le mécanisme même du PEB, ce qui sort des limites tant du litige présentement examiné que de la compétence de la Cour.
A.5.3. Les parties requérantes remettent tout d’abord en cause l’argument tiré des prévisions du Bureau du plan et soulignent que celles-ci portent en réalité sur l’évolution de l’inflation et non sur l’évolution des prix de
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l’énergie. Or, l’objectif annoncé du décret du 19 octobre 2022 est bien de faire face à la hausse des prix de l’énergie.
Force est de constater, affirment les parties requérantes, qu’en cette matière, les prévisions économiques de la Banque nationale de Belgique sont moins alarmantes que ne veut le faire croire le Gouvernement wallon. Celles-
ci mentionnaient en effet, dès juin 2022, que l’inflation des prix de l’énergie connaîtrait une stagnation puis une diminution en 2023. Concrètement, le prix du gaz, par exemple, est presque revenu à son niveau de septembre 2021
au cours du premier semestre de l’année 2023. Le décret du 19 octobre 2022 revient donc, selon les parties requérantes, à faire supporter l’inflation, et non pas l’augmentation des prix de l’énergie, aux propriétaires-
bailleurs. En outre, la Banque nationale de Belgique indiquait dans ses prévisions de décembre 2022 que l’indexation des salaires en 2023 viendrait effacer la perte de pouvoir d’achat de l’année 2022. Or, mettre l’inflation à charge des propriétaires-bailleurs non seulement n’est pas nécessaire, mais peut aussi causer un enrichissement sans cause en faveur des locataires.
Ensuite, les parties requérantes maintiennent que le PEB n’est pas pertinent, notamment et particulièrement pour certaines catégories, comme les bâtiments classés ou les copropriétés, qui sont loin d’être des problèmes isolés mais concernent un grand nombre de personnes. En ce qui concerne spécialement l’objectif incitatif, les parties requérantes ne peuvent que constater que le Gouvernement wallon leur donne raison, puisqu’il estime que cet objectif n’est pas réellement poursuivi; il s’agit plutôt d’encourager, à moyen ou long terme, un changement de comportement. Or, il n’est pas sérieux de soutenir qu’un stimulant financier disponible durant un an pourrait avoir un quelconque effet incitatif à long terme. Les parties requérantes y voient au contraire la confirmation implicite que le décret du 19 octobre 2022 ne poursuit pas d’objectif environnemental. En tout état de cause, le PEB reste un critère non pertinent, d’autant qu’il ne préjuge en rien de la capacité du locataire à payer ses factures d’électricité et son loyer.
A.6.1. Dans une troisième branche, les parties requérantes soutiennent que le décret du 19 octobre 2022 crée une différence de traitement non justifiée entre les locataires, puisque ne sont pas pris en compte leur statut et leurs moyens financiers réels. En effet, les chiffres mis en avant par la Région wallonne montrent que, sur le territoire, seuls les locataires avec les revenus les plus bas, le « premier quartile », sont réellement affectés par l’inflation énergétique au point que l’accessibilité financière à leur logement est mise en péril. Au surplus, les parties requérantes estiment que les propriétaires sont autant affectés par l’inflation. Le législateur décrétal doit donc être considéré comme ayant procédé à un choix politique clair qui prend le parti de n’intervenir qu’en faveur d’une seule catégorie, inadéquate, à savoir les locataires, sans avoir égard ni à l’incidence réelle de l’inflation, ni à leurs moyens d’existence propres.
En ce qui concerne l’identité de traitement entre les locataires nonobstant l’incidence réelle de l’inflation, les parties requérantes pointent deux catégories de locataires, à savoir ceux qui paient des charges réelles avec provision et ceux qui paient un forfait de charges. Une exception pour les locataires de la seconde catégorie était prévue dans l’avant-projet initial mais a été abandonnée. L’identité de traitement est injustifiée, puisque la seconde catégorie n’est pas affectée par l’inflation. De ce fait, les parties requérantes estiment que les mesures sont disproportionnées à l’objectif de protéger les locataires contre une double pénalisation liée à l’augmentation des prix de l’énergie.
En ce qui concerne l’identité de traitement entre les locataires sans tenir compte de leurs moyens d’existence propres, les parties requérantes mettent en avant une étude économique universitaire qui démontre que le choc lié à l’augmentation des prix de l’énergie ne croît pas proportionnellement aux moyens financiers du ménage. De même, l’indexation automatique des salaires n’amortit pas l’augmentation des prix de la même manière pour tous.
En réalité, à partir du troisième décile, les revenus supplémentaires générés par l’indexation dépassent les dépenses liées aux prix élevés de l’énergie. À cet égard, les parties requérantes font valoir que les indépendants, qui n’ont pas droit à une indexation, sont d’autant plus défavorisés car ils sont moins protégés que les salariés ou allocataires sociaux. Enfin, elles rappellent que la Cour, dans son arrêt n° 32/2018 du 15 mars 2018
(ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.032), avait censuré le saut d’index.
A.6.2. En ce qui concerne les charges réelles ou forfaitaires, le Gouvernement wallon pointe la casuistique potentiellement infinie des arguments des parties requérantes. Le législateur wallon ne peut raisonnablement prendre toutes les situations en compte dans le moindre détail, au risque de rendre sa tâche impossible et impraticable. Comme la Cour l’a souvent reconnu, un législateur légifère au moyen de catégories, nécessairement approximatives. Ce choix ne peut être censuré que s’il est manifestement déraisonnable. Le Gouvernement wallon note par ailleurs que l’un des objectifs poursuivis s’aligne sur la stratégie de rénovation énergétique, laquelle vise à stimuler la demande de rénovation, à tendre vers des biens décarbonés et à encourager la mise en location de biens de qualité. En tout état de cause, il n’existe, selon le Gouvernement wallon, aucun lien entre l’indexation des loyers et les charges forfaitaires insuffisantes éventuellement supportées par le propriétaire. Il existe en effet
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d’autres moyens de pallier cet inconvénient, par le biais du juge de paix notamment. De plus, les parties requérantes oublient que les locataires qui paient un forfait peuvent voir celui-ci augmenter par l’application d’une clause contractuelle ou par décision du juge de paix. Par ailleurs, les forfaits eux-mêmes sont multiples et il n’est pas impossible qu’ils soient en pratique plus élevés que le coût réel, bénéficiant donc aux propriétaires. En bref, il n’existe aucun moyen pour le législateur décrétal de définir la catégorie parfaite de locataires qui ne subiraient absolument aucun effet négatif financier sur leurs charges locatives.
En ce qui concerne les moyens d’existence des locataires, le Gouvernement wallon souligne qu’il est impossible d’exiger que l’administration effectue un contrôle de tous les locataires afin d’évaluer qui pourrait bénéficier de la mesure ou non : nos sociétés sont devenues trop complexes. En tout état de cause, les juges de paix disposent d’une large compétence, en application de l’article 58, § 1er, du décret de la Région wallonne du 15 mars 2018 « relatif au bail d’habitation » (ci-après : le décret du 15 mars 2018), pour statuer en équité sur la question des loyers trop ou trop peu élevés. Au surplus, le Gouvernement wallon met en avant que les mesures attaquées sont temporaires, ont un caractère exceptionnel et ne portent que sur une petite partie du parc locatif régional. Par conséquent, elles n’emportent pas d’effets disproportionnés. Par ailleurs, le Gouvernement wallon n’aperçoit pas en quoi la différence avec les propriétaires est liée au grief examiné. Quand bien même, les parties oublient que le législateur décrétal a prévu de nombreuses mesures pour soutenir les propriétaires, notamment pour encourager la rénovation du bâti.
Enfin, en ce qui concerne les locataires sociaux, le Gouvernement wallon soutient que ces derniers ne constituent pas une catégorie comparable aux locataires de droit commun. En effet, le loyer des logements sociaux n’est pas calculé de la même manière, puisqu’il sera toujours plafonné à un pourcentage des revenus du ménage.
A.6.3. Les parties requérantes répondent qu’elles s’étonnent de la remise en question du lien entre les charges forfaitaires et le décret du 19 octobre 2022. Ce lien est au contraire flagrant, puisque l’objectif principal du décret est d’éviter que les locataires supportent deux fois l’augmentation des prix de l’énergie, d’abord via leur facture, puis par le biais de l’indexation des loyers. Or, un locataire qui paie des charges forfaitaires ne subira ni l’une ni l’autre. Par ailleurs, si les parties requérantes reconnaissent que tout législateur doit légiférer par voie de dispositions générales, il n’empêche pas que le législateur wallon a en l’espèce agi comme s’il n’existait qu’une seule catégorie de bailleurs et une seule catégorie de locataires. Il a ainsi commis un excès d’approximation manifestement déraisonnable en n’opérant aucune distinction entre locataires. Rien ne s’opposait à ce qu’une telle distinction soit établie au moyen de catégories générales. En ce qui concerne l’argument du Gouvernement wallon selon lequel il est possible de demander la conversion ou la révision des charges devant le juge de paix, les parties requérantes estiment qu’il ne permet pas de faire disparaître la différence de traitement soulevée. À l’inverse, il est possible de tirer du même argument l’inutilité du décret du 19 octobre 2022, puisque les locataires peuvent en tout état de cause demander une révision du loyer devant le juge de paix. Enfin, les parties requérantes contestent le fait que le caractère temporaire rendrait les mesures proportionnées. D’une part, cela omet la faculté de prolongation pour des périodes d’un an et, d’autre part, cela reviendrait à accepter toute discrimination pourvu qu’elle soit limitée dans le temps. En tout état de cause, les conséquences du gel de l’indexation ne sont, elles, pas limitées, puisqu’elles se répercuteront sur les loyers futurs.
Ensuite, les parties requérantes affirment qu’elles n’ont jamais plaidé pour l’individualisation des mesures mais qu’elles ont bien critiqué le caractère approximatif des catégories créées par la loi. Pour être en phase avec l’objectif socio-économique avancé par la Région wallonne, le décret aurait en réalité dû être limité aux locataires se trouvant dans le premier quartile de revenus. Par ailleurs, les parties requérantes réitèrent leur étonnement face à l’argument tiré de la compétence du juge de paix. Cette action ne peut en effet être intentée qu’entre le sixième et le troisième mois précédant l’expiration d’un triennat en cours et sera donc, dans bien des cas, indisponible pour beaucoup de locataires. En tout état de cause, le juge ne peut conférer un effet rétroactif à sa décision.
A.7.1. Dans une quatrième branche, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées instaurent une différence de traitement injustifiée entre les locataires et les propriétaires. Partant d’une prémisse douteuse, à savoir que l’équilibre contractuel entre le locataire et le bailleur était rompu, le législateur wallon a considéré que le propriétaire serait par essence moins affecté par l’augmentation des prix de l’énergie. Or, selon les parties requérantes, il n’en est rien. Au contraire, les propriétaires voient également les coûts qu’ils doivent subir
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augmenter; il en est ainsi du coût des matériaux de construction, des primes d’assurance incendie, du précompte immobilier (taux de base et centimes additionnels), sans compter les charges sous la forme de forfait et l’incidence de la hausse des taux d’intérêt immobiliers. Les parties requérantes dénoncent l’oubli des propriétaires, qui a pour conséquence de leur faire supporter des coûts qui devraient l’être soit par la collectivité soit par les locataires. Il s’agit ni plus ni moins d’un enrichissement sans cause au bénéfice des locataires.
A.7.2. Le Gouvernement wallon considère tout d’abord que les propriétaires et les locataires ne sont pas des catégories comparables mais qu’elles sont, au contraire, en opposition totale au regard des dispositions attaquées.
Une telle comparaison n’aurait potentiellement de sens qu’en lien avec un droit fondamental, comme le droit de propriété, qui fait l’objet du quatrième moyen et auquel le Gouvernement wallon répond plus loin. En tout état de cause, les propriétaires n’ont pas été oubliés par le législateur wallon et sont bénéficiaires de nombreuses aides et mesures qui leur sont adressées, comme les primes à la rénovation ou les prêts à taux zéro.
A.7.3. Les parties requérantes rappellent qu’en termes de comparabilité, les catégories visées ne doivent pas, pour la Cour, être parfaitement identiques mais suffisamment proches. Or, tel est le cas, puisque tant les propriétaires-bailleurs que les locataires font face à l’inflation et à l’augmentation des prix de l’énergie, auxquelles il faut ajouter, pour les propriétaires, l’augmentation des coûts de financement, fiscaux et d’entretien liés à leur bien. À cet égard, les parties requérantes répètent que les propriétaires ont été oubliés, contrairement à ce que soutient le Gouvernement wallon. En effet, les mesures citées, à savoir les primes de rénovation et les prêts à taux zéro, ne suffisent pas et sont même non pertinentes pour ce qui est du prêt, puisque celui-ci n’est ouvert qu’aux propriétaires-occupants. En revanche, les locataires ont, eux, bénéficié d’un grand nombre d’aides : la diminution du taux de TVA, la prime fédérale sur l’énergie, le tarif réduit pour les plus précarisés, la prime chauffage, la prime mazout et la prime pellets. On ne peut donc raisonnablement soutenir que les locataires étaient démunis. Les parties requérantes notent d’ailleurs, en passant, que l’intégralité des aides précitées sont fédérales, tandis que la seule prétendue aide wallonne, le saut d’index, est quant à elle financée par les bailleurs privés. Enfin, les parties requérantes ajoutent qu’un effet d’aubaine peut même exister au profit de certains locataires, à savoir ceux qui ont un contrat de fourniture d’énergie à prix fixe durant l’année du gel de l’index, qui seront donc deux fois gagnants.
Tout cela démontre un déséquilibre manifeste et disproportionné, en plus du fait que l’objectif incitatif environnemental n’est pas, comme déjà développé, réellement poursuivi.
A.8.1. Dans une cinquième branche, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées établissent une identité de traitement injustifiée entre les propriétaires de maisons et les propriétaires d’appartements. Si le décret du 19 octobre 2022 entend inciter à effectuer les travaux nécessaires à l’amélioration d’un score PEB, il est incontestablement plus compliqué pour les propriétaires d’appartements d’initier ceux-ci. En effet, dans une copropriété, les travaux requièrent une majorité des deux tiers à l’assemblée générale des copropriétaires, laquelle n’est pas aisée à obtenir et peut prendre plusieurs années, d’autant plus qu’il n’existe aucun incitant à se doter d’un certificat PEB, qui ne deviendra obligatoire qu’en 2025. Par ailleurs, il existe de nombreuses contraintes administratives qui rendent dans certains cas impossible la réalisation des travaux nécessaires pour améliorer le PEB à court ou à moyen terme.
A.8.2. Le Gouvernement wallon estime que la critique des parties requérantes repose sur des affirmations vagues et non étayées. Elles partent du principe, sans le démontrer, que les travaux susceptibles d’améliorer le PEB dans un immeuble à appartements sont principalement des travaux portant sur les parties communes. Les parties requérantes remettent en réalité en cause le régime de la copropriété, qui serait trop lourd. Or, il n’appartient pas au législateur décrétal de revoir les fondements de ce régime pour légiférer de son côté sur l’indexation des loyers.
A.8.3. Les parties requérantes répondent au Gouvernement wallon qu’elles ne remettent pas en cause le régime de la copropriété mais se contentent de prendre en compte les difficultés réelles liées à celui-ci, au contraire du législateur décrétal, qui semble se complaire dans le déni au regard de ces réalités. Pourtant, les informations provenant du SPF Finances démontrent à suffisance que ce régime concerne un nombre très important d’habitants dans les trois régions du pays. Les difficultés sont bien connues : le vote à la majorité des deux tiers, le fait que la performance énergétique de l’immeuble est principalement liée aux parois de déperdition, donc aux parties communes, et l’impossibilité de procéder à des travaux en l’espace de quelques semaines. Les parties requérantes
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concluent que l’attitude du Gouvernement wallon relative à cette cinquième branche démontre bien que le second objectif d’encouragement à la rénovation du bâti n’a jamais été poursuivi.
A.9.1. Dans une sixième branche, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées établissent une identité de traitement injustifiée entre les propriétaires sans tenir compte de la date à laquelle leur certificat PEB a été établi. Or, cette date fait varier considérablement la performance énergétique des bâtiments, puisque le protocole pour l’établissement dudit certificat est régulièrement révisé. À titre d’exemple, les parties requérantes indiquent que les sous-sols aménagés et chauffés doivent désormais être inclus dans la surface brute de plancher, alors que cela n’était pas le cas auparavant.
A.9.2. Si le Gouvernement wallon reconnaît qu’il est plus difficile d’atteindre les objectifs de performance énergétique pour une maison unifamiliale, cela est lié au fait même d’acheter un bâtiment de ce type. Toutefois, ce n’est pas l’affectation du bien mais sa performance énergétique qui compte pour le décret du 19 octobre 2022
et celle-ci est fixée de la même façon pour tout bien.
A.9.3. Les parties requérantes considèrent que les arguments développés par le Gouvernement wallon sont étrangers à cette branche et elles se contentent donc de renvoyer aux motifs déjà développés en termes de requête.
A.10.1. Dans une septième branche, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées établissent une différence de traitement injustifiée entre les propriétaires-bailleurs dont le contrat de bail est entré en vigueur avant le 1er novembre 2022 et les propriétaires-bailleurs dont le contrat de bail est entré en vigueur à partir de cette date. En effet, il ressort de la lecture des articles 3 à 5 du décret du 19 octobre 2022 que les mesures de limitation et d’interdiction de l’indexation des loyers pourraient être prolongées, à chaque fois pour une période d’un an, mais uniquement pour les baux entrés en vigueur avant le 1er novembre 2022. Selon les parties requérantes, il en découle que toute mesure de prolongation engendrerait nécessairement une discrimination entre les deux catégories susvisées.
A.10.2. Le Gouvernement wallon ne peut que s’étonner de la critique émise. Il était en effet juridiquement impossible d’appliquer des mesures d’une durée d’un an à des baux conclus après l’entrée en vigueur de celles-ci, d’autant qu’on ne peut indexer un loyer qu’à partir de la date d’anniversaire du bail. Le législateur wallon a ici fait œuvre de proportionnalité, puisqu’il s’est tenu à ce qui était strictement nécessaire pour atteindre l’objectif visé, assurant ainsi la sécurité juridique.
A.10.3. Les parties requérantes prennent acte des arguments du Gouvernement wallon. Elles précisent cependant que c’est dans l’hypothèse où le législateur décrétal déciderait de renouveler les mesures de gel ou d’interdiction de l’indexation que serait créée une discrimination entre les propriétaires-bailleurs dont le contrat est entré en vigueur avant le 1er novembre 2022 et les autres. De plus, la disproportion ne fera qu’augmenter à chaque fois que les mesures seront prolongées pour une année supplémentaire.
A.11.1. Dans une huitième branche, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées établissent une différence de traitement injustifiée entre les propriétaires d’un bien pourvu d’un label F ou G et les propriétaires dont le bien n’a pas été certifié durant la période où la mesure était en vigueur. Selon les parties requérantes, le législateur décrétal a choisi de ne pas viser les propriétaires-bailleurs dont le bien n’a pas été certifié, quelle que soit l’origine de cette absence. Or, certains de ces propriétaires ont méconnu leur obligation de certification. Le législateur décrétal favorise donc de façon inacceptable des citoyens en situation d’illégalité.
A.11.2. Le Gouvernement wallon soutient que la différence de traitement visée par les parties requérantes n’existe pas. En effet, le décret du 19 octobre 2022 vise à éviter une surindexation à rebours. Or, si l’article 2 du décret du 19 octobre 2022 ne mentionne que les PEB D, E, F et G, il va de soi que les biens ne disposant pas de certificat PEB sont également visés.
A.11.3. Les parties requérantes constatent quant à elles que le Gouvernement wallon reconnaît implicitement le bien-fondé de la huitième branche. Tout au plus cherche-t-il à s’en tirer en inventant une certaine interprétation de l’article 2 du décret du 19 octobre 2022, laquelle est contraire au prescrit littéral de la disposition.
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Troisième moyen
A.12. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par les articles 1er à 5 du décret du 19 octobre 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe général de la sécurité juridique. Les parties requérantes rappellent à titre liminaire que la Cour a déjà érigé la sécurité juridique au rang de principe général du droit.
A.13.1. Dans une première branche, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées établissent une identité de traitement injustifiée contraire à la sécurité juridique entre deux catégories de propriétaires qui ne disposent pas de certificat PEB, les propriétaires de la première catégorie n’ayant jamais été soumis à l’obligation de faire établir un tel certificat et les propriétaires de la seconde catégorie n’ayant pas fourni ce certificat à leurs locataires alors qu’ils y étaient tenus. Compte tenu de l’obligation d’obtenir un certificat PEB pour la mise en vente ou location d’un bien depuis le 1er juin 2011, les propriétaires-bailleurs qui ont gardé le même locataire depuis une date antérieure ne disposent pas de certificat PEB et ne violent aucune disposition légale ce faisant.
L’obligation pour tous ne prendra effet qu’en 2025. Par conséquent, le décret du 19 octobre 2022 sanctionne le propriétaire-bailleur de la première catégorie, qui s’est conformé à ses obligations légales, lequel se trouve manifestement dans une situation différente du propriétaire-bailleur de la seconde catégorie, qui ne dispose pas d’un certificat PEB, mais de manière illégale.
A.13.2. Le Gouvernement wallon rappelle tout d’abord qu’en application des articles 33 à 36 du décret de la Région wallonne du 28 novembre 2013 « relatif à la performance énergétique des bâtiments » (ci-après : le décret du 28 novembre 2013), un bien doit obligatoirement disposer d’un certificat PEB dans trois hypothèses : un changement de locataire, une mise en vente ou des travaux d’un pourcentage déterminé du bâti. Le Gouvernement wallon s’étonne de l’argument des parties requérantes qui revient à réclamer des sanctions pour les propriétaires qui ne disposent pas d’un certificat PEB pour leur bien sans enfreindre la loi, à savoir l’unique cas des baux de longue durée pour les mêmes locataires depuis avant le 1er juin 2011. Or, l’obligation de disposer d’un certificat PEB provient du droit européen. L’objectif du législateur décrétal, dans la foulée, est d’imposer la certification complète, à terme, mais pas à pas. Par conséquent, il n’est pas déraisonnable d’exiger la production d’un certificat PEB au bailleur qui, bien qu’il n’en ait pas l’obligation légale, décide d’indexer son loyer durant la période où les mesures attaquées sont en vigueur. À défaut, si ce propriétaire fait le choix de continuer, légalement, à ne pas posséder un PEB, il ne peut indexer son loyer. Cette mesure est dès lors parfaitement proportionnée au but visé.
A.13.3. Les parties requérantes contestent l’affirmation du Gouvernement wallon selon laquelle elles chercheraient en réalité à faire sanctionner tout propriétaire qui ne disposerait pas d’un certificat PEB. C’est exactement l’inverse : les parties requérantes souhaitent que le législateur décrétal s’abstienne de sanctionner les propriétaires qui ne disposent pas d’un certificat PEB sans enfreindre la loi. Elles répètent que la discrimination pointée gît dans le fait de traiter de la même manière les propriétaires-bailleurs soumis à l’obligation d’avoir un certificat PEB mais qui n’en disposent pas, en violation de la loi, et les nombreux propriétaires-bailleurs qui, sans violer aucune disposition, n’en disposent pas. Elles renvoient pour le surplus aux arguments déjà développés.
A.14.1. Dans une deuxième branche, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées établissent une identité de traitement injustifiée contraire à la sécurité juridique entre les propriétaires-bailleurs disposant d’un certificat PEB F ou G et les propriétaires-bailleurs ne disposant pas d’un certificat PEB et ce en violation de leur obligation légale. Selon les parties requérantes, ces catégories sont essentiellement différentes en raison de leur caractère légal, pour la première, ou illégal, pour la seconde. Elles estiment qu’il est ainsi porté une atteinte injustifiée aux attentes légitimes que possédaient les propriétaires-bailleurs de ne pas se voir sanctionner ni subir de conséquences préjudiciables à tout le moins avant l’année 2030 pour un label F ou G, en application de la stratégie de rénovation énergétique.
A.14.2. Le Gouvernement wallon souligne que l’absence de certificat PEB obligatoire est déjà sanctionnée depuis le 1er juin 2011. Le décret du 19 octobre 2022 n’avait donc pas à préciser de champs d’applications distincts entre ceux qui respectent la loi et ceux qui ne la respectent pas. Il s’est donc contenté d’assimiler le propriétaire dont le bien loué n’a pas de certificat de performance énergétique au propriétaire dont le certificat porte le label F
ou G.
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A.14.3. Les parties requérantes réitèrent quant à elles leur grief selon lequel l’assimilation des certificats PEB F ou G à l’absence illégale de certificat constitue une identité de traitement non justifiée, alors que les propriétaires qui disposent de certificats PEB F ou G respectent toutes leurs obligations et avaient une espérance légitime de ne pas être sanctionnés avant 2030. Il est en tout état de cause disproportionné de leur faire subir une perte de 100 %, alors que l’augmentation des prix de l’énergie représente au niveau le plus élevé tout au plus 50 % de l’inflation. Enfin, l’incitation aux travaux constitue également, selon les parties requérantes, une atteinte à l’espérance légitime de ne pas subir de sanction avant 2030.
A.15.1. Dans une troisième branche, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées établissent une différence de traitement injustifiée contraire à la sécurité juridique entre les propriétaires-bailleurs et les propriétaires-occupants qui disposent d’un certificat PEB avec un label D, E, F ou G. Avant l’entrée en vigueur du décret du 19 octobre 2022, ces deux catégories de propriétaires pensaient pouvoir compter sur une longue période d’adaptation de leur bien pour réaliser des travaux de performance énergétique, puisqu’aux termes de la stratégie de rénovation énergétique de la Région wallonne, les sanctions en la matière ne devaient pas être prévues avant 2030 voire 2040. Les mesures attaquées rompent non seulement cette confiance légitime mais aussi l’égalité entre ces propriétaires, puisque seuls les propriétaires-bailleurs sont sanctionnés s’ils ne procèdent pas à des travaux dans un très court délai de quelques mois voire quelques semaines.
A.15.2. Le Gouvernement wallon conteste la comparabilité des situations des propriétaires-bailleurs et des propriétaires-occupants. Celles-ci sont fondamentalement différentes au regard de l’objectif principal du décret du 19 octobre 2022, qui est de réduire les conséquences négatives de l’indexation pour les catégories défavorisées de locataires. Quant à l’argument tiré de la sécurité juridique, le Gouvernement wallon rappelle que la Cour ne censure pas la simple différence entre deux situations régies par deux lois successives. L’atteinte au principe de la confiance légitime réclame un examen plus serré par rapport aux circonstances qui entourent la norme visée. Or, le Gouvernement wallon estime que le décret du 19 octobre 2022 vise à lutter contre des circonstances exceptionnelles, dévastatrices et imprévisibles, ce qui permet en soi de le justifier, d’autant que les mesures attaquées sont limitées dans le temps.
A.15.3. Les parties requérantes réfutent l’argument de la non-comparabilité des catégories visées. Au contraire, les propriétaires-bailleurs et les propriétaires-occupants présentent suffisamment de similitudes, à commencer par les nombreux coûts relatifs au bien qu’ils doivent supporter (entretien, taxes, financement), ainsi que leur soumission aux obligations de la stratégie de rénovation énergétique. Les parties requérantes soulignent que la différence de traitement est disproportionnée en défaveur des propriétaires-bailleurs pour plusieurs raisons.
En premier lieu, les propriétaires-occupants sont éligibles à un plus grand nombre de primes et d’aides. En deuxième lieu, les propriétaires-occupants bénéficient de l’indexation de leurs revenus, au contraire des propriétaires-bailleurs dont les seuls revenus sont tirés des loyers qu’ils perçoivent. En troisième lieu, le certificat PEB entre déjà dans la détermination du loyer. En quatrième lieu, les mesures attaquées vont plus loin que l’objectif visé, puisqu’elles s’appliquent indépendamment des revenus du locataire. En cinquième lieu, les propriétaires-bailleurs prudents et diligents n’auraient pu s’attendre à se voir pénaliser financièrement pour un mauvais PEB qu’à une échéance plus lointaine. En sixième lieu, les parties requérantes relèvent qu’il n’y a pas eu de discussion au Parlement wallon pour modifier les échéances de la stratégie de rénovation énergétique. En septième lieu, le caractère temporaire des mesures attaquées doit être fortement nuancé par la possibilité illimitée de prolonger celles-ci pour des périodes d’un an. Les parties requérantes renvoient pour le surplus aux arguments développés en termes de requête.
A.16.1. Dans une quatrième branche, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées établissent une différence de traitement injustifiée contraire à la sécurité juridique entre les propriétaires-bailleurs dont le contrat de bail est entré en vigueur avant le 1er novembre 2022 et ceux dont le contrat de bail est entré en vigueur à partir de cette date. En effet, les mesures attaquées ne s’appliquent qu’aux propriétaires-bailleurs de la première catégorie. Or, celles-ci peuvent être prolongées par le législateur décrétal pour un an supplémentaire et, dans cette hypothèse, seront toujours applicables exclusivement à la première catégorie. Outre la discrimination que cela crée, déjà exposée au premier moyen, les parties requérantes dénoncent une violation du principe de la sécurité juridique, puisque l’article 3 du décret du 19 octobre 2022 se limite à mentionner que les mesures sont prolongeables, sans plus de précisions. Selon les parties requérantes, ceci donne carte blanche au législateur décrétal et ne balise pas suffisamment son intervention.
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A.16.2. Le Gouvernement wallon ne répond pas à la quatrième branche.
Quatrième moyen
A.17.1. Les parties requérantes prennent un quatrième moyen de la violation, par les articles 1er à 5 du décret du 19 octobre 2022, de l’article 16 de la Constitution et de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. Elles estiment que la limitation voire l’interdiction de l’indexation constituent incontestablement une ingérence dans leur droit de propriété, puisqu’elles ont une incidence sur les revenus que le propriétaire tire de son bien. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà reconnu qu’une réduction des loyers constituait une telle ingérence (CEDH, 19 décembre 1989, Mellacher e.a. c. Autriche, ECLI:CE:ECHR:1989:1219JUD001052283). À titre principal, les parties requérantes soutiennent qu’il n’existe aucun impératif d’intérêt général qui justifie ces ingérences.
À titre subsidiaire, les parties requérantes estiment que les ingérences dénoncées sont disproportionnées aux buts poursuivis. En effet, elles affirment que la situation des bailleurs s’est fortement dégradée et est sans commune mesure avec les bénéfices que les locataires retirent des mesures attaquées. Il n’est ainsi nullement pris en compte le fait qu’alors que les loyers sont gelés, les coûts et frais relatifs à l’investissement immobilier, eux, ne le sont pas. Par ailleurs, les mesures vont au-delà de l’objectif annoncé, à savoir de protéger les locataires contre la hausse des prix de l’énergie, puisque l’inflation générale n’est due qu’à 50 % aux prix de l’énergie. De plus, tous les locataires bénéficient des mesures, y compris ceux qui ont des moyens d’existence suffisants pour faire face à ces augmentations. En tout état de cause, les parties requérantes estiment que la performance énergétique d’un bien est déjà centrale pour la détermination des loyers dès la conclusion du contrat de bail; la limitation et le gel des loyers ne font donc qu’affecter négativement une seconde fois ces propriétaires.
En outre, les parties requérantes font valoir que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière réclame l’existence d’une période transitoire et le respect du principe de la confiance légitime (CEDH, 13 décembre 2011, Lakićević e.a. c. Monténégro et Serbie, ECLI:CE:ECHR:2011:1213JUD002745806).
Or, le décret du 19 octobre 2022 ne prévoit aucun régime transitoire, alors que les travaux auxquels incite le législateur décrétal prennent évidemment un certain temps. De plus, les parties requérantes considèrent que les propriétaires-bailleurs sont privés de leur droit acquis à la conclusion du contrat de bail de pouvoir indexer celui-
ci chaque année selon la formule contenue à l’article 1728bis du Code civil pour autant que les conditions soient respectées. Ces attentes sont d’autant plus légitimes que le législateur décrétal avait annoncé que les propriétaires-
bailleurs ne seraient pas pénalisés en raison d’un mauvais PEB avant 2030 ou 2040. À cela s’ajoute le fait que les mesures attaquées peuvent être arbitrairement prolongées par le législateur décrétal, sans que les circonstances et les conditions puissent en être prévues. Ceci témoigne à tout le moins d’une méconnaissance du principe de la sécurité juridique. Selon les parties requérantes, il faut par ailleurs pointer, comme l’opposition parlementaire l’a fait dans les travaux préparatoires, qu’il existe également un effet rétroactif aux mesures. En effet, le PEB ne fait partie des éléments constitutifs du bail que depuis le décret du 15 mars 2018. En donnant effet au PEB pour les baux conclus avant cette date, le décret du 19 octobre 2022 est donc rétroactif et viole derechef le principe de sécurité juridique. Enfin, les parties requérantes soulignent que l’une des mesures, à savoir la modification de la formule d’indexation pour l’avenir, n’est pas temporaire et a pour effet de ralentir l’indexation des loyers à partir du 1er novembre 2023 pour une période indéterminée.
A.17.2. Le Gouvernement wallon réfute le quatrième moyen. Il estime tout d’abord qu’il existe bien un impératif d’intérêt général qui justifie les mesures contestées, à savoir le double objectif de protéger les locataires de l’inflation extrême et d’accélérer la rénovation du bâti wallon. La protection des personnes fragilisées a notamment été reconnue comme objectif légitime dans l’arrêt n° 97/2022 de la Cour du 14 juillet 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.097), portant sur les mesures pour lutter contre la COVID-19. La protection sociale des locataires a également été reconnue par la Cour européenne des droits de l’homme en tant qu’objectif légitime (voy. CEDH, 11 décembre 2014, Anthony Aquilina c. Malte, ECLI:CE:ECHR:2014:1211JUD000385112). Il en va de même de l’objectif relatif à l’incitation à effectuer des travaux de rénovation du bâti (voy. CEDH, grande chambre, 28 juin 2018, G.I.E.M. S.R.L. e.a. c. Italie, ECLI:CE:ECHR:2018:0628JUD000182806). Outre le droit
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de propriété, le Gouvernement wallon souligne que le législateur décrétal a tenu à prendre en compte et à assurer l’équilibre de nombreux droits fondamentaux, dont les droits à la dignité humaine, au respect de la vie privée, à l’inviolabilité du domicile et à la vie. Il a en outre particulièrement tenu à garantir de façon effective et concrète le droit à un logement décent.
Ensuite, le Gouvernement wallon estime que l’ingérence est proportionnée aux buts visés, d’autant plus que la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît en la matière aux États membres une large marge d’appréciation, qui plus est dans le contexte d’une grave crise économique. Dans l’affaire Mellacher et autres c. Autriche, citée par les parties requérantes, la Cour a précisément conclu à la non-violation des droits fondamentaux par une mesure qui ménageait un juste équilibre entre les intérêts en présence. Le décret du 19 octobre 2022 peut être également considéré à cette lumière, compte tenu de la circonstance déterminante qu’est l’alerte de l’Office belge de statistique (Statbel) sur l’ampleur de l’inflation. Les mesures ne présentent aucun déséquilibre, puisqu’elles sont limitées et s’insèrent dans un ensemble de dispositions visant à lutter contre la crise économique, y compris des mesures en faveur des propriétaires.
A.17.3. Les parties requérantes contestent les arguments du Gouvernement wallon et rappellent tout d’abord que la Cour européenne des droits de l’homme réclame en la matière une mise en balance concrète des intérêts des propriétaires et des locataires. Or, les mesures attaquées n’ont pas ménagé un tel équilibre. Tout d’abord, les mesures n’ont pas été limitées aux locataires les plus démunis, en dépit de ce qui était annoncé. Ensuite, le législateur wallon a passé sous silence les difficultés auxquelles sont confrontés les propriétaires dans la mise en balance des intérêts, dont l’augmentation des coûts (fiscaux, d’entretien et de financement du bien), et leur a fait supporter, pour les PEB F et G, une contribution supérieure à la part de la hausse des prix de l’énergie dans l’inflation générale. De plus, ces mesures sont renouvelables indéfiniment. Les parties requérantes rappellent que la Cour constitutionnelle a déjà estimé que l’autorité publique ne peut imposer des charges qui excèdent celles qui doivent être supportées par un particulier dans l’intérêt général. Enfin, elles soulignent à nouveau l’impossibilité d’éviter les effets négatifs de la mesure en procédant aux travaux nécessaires, dont la faisabilité concrète dans le délai imparti est proche de zéro, comme le reconnaît d’ailleurs le Gouvernement wallon. Pour toutes ces raisons, les mesures attaquées ne répondent pas aux exigences de proportionnalité en matière d’atteinte au droit de propriété telles que consacrées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
-B-
Quant au décret attaqué et à son contexte
B.1. Le recours en annulation est dirigé contre le décret de la Région wallonne du 19 octobre 2022 « modifiant l’article 26 du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation et limitant l’indexation des loyers en fonction du certificat de performance énergétique des bâtiments » (ci-après : le décret du 19 octobre 2022). Ce décret « a pour objet de limiter l’indexation des loyers des logements disposant d’un certificat de performance énergétique des bâtiments (PEB) de classe énergétique D à 75 % de l’indexation théoriquement due, celle des loyers des logements disposant d’un certificat PEB de classe énergétique E à 50 % de l’indexation théoriquement due et d’interdire toute indexation des loyers des logements
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disposant d’un certificat PEB de classe énergétique F et G ou ne disposant pas de certificat PEB » (Doc. parl., Parlement wallon, 2022-2023, n° 1085/1, p. 2).
B.2.1. Aux termes de l’article 2, 22°, du décret de la Région wallonne du 28 novembre 2013 « relatif à la performance énergétique des bâtiments » (ci-après : le décret du 28 novembre 2013), un certificat de performance énergétique, ou certificat PEB, est « un certificat reconnu par la Wallonie qui indique la performance énergétique d’un bâtiment ou d’une unité de bâtiment calculée selon une méthode adoptée conformément à l’article 3 ».
L’article 3 du décret précité dispose :
« La performance énergétique des bâtiments est déterminée sur la base de la méthode de calcul définie par le Gouvernement.
Elle est exprimée par un ou plusieurs indicateurs numériques qui tiennent compte de l’énergie réellement consommée ou calculée sur la base de la méthode définie par le Gouvernement.
La méthode de calcul tient compte, notamment, des caractéristiques techniques de l’isolation thermique et des installations, de la conception et de l’implantation, eu égard aux paramètres climatiques, à l’exposition solaire et à l’incidence des structures avoisinantes, de l’autoproduction d’énergie et d’autres facteurs, y compris le climat intérieur, qui influencent la demande d’énergie.
Le Gouvernement détermine les modalités d’application de la méthode de calcul ».
Un tel certificat est établi par un certificateur PEB, qui est agréé dans les conditions et en suivant la formation prévues au titre 5 du décret du 28 novembre 2013 ainsi qu’au titre V de l’arrêté du Gouvernement wallon du 15 mai 2014 « portant exécution du décret du 28 novembre 2013 relatif à la performance énergétique des bâtiments » (ci-après : l’arrêté du 15 mai 2014).
L’arrêté du 15 mai 2014 fixe les méthodes de calcul de la performance énergétique des bâtiments.
B.2.2 Le certificat PEB est obligatoire, notamment, en cas de construction d’un bâtiment (article 33 du décret du 28 novembre 2013), ainsi qu’en cas de mise en vente ou en location
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(article 34 du même décret). Cette obligation est entrée en vigueur, pour ce qui concerne la mise en location, le 1er juin 2011 en application de l’article 3 de l’arrêté du Gouvernement wallon du 27 mai 2010 « modifiant l’arrêté du Gouvernement wallon du 3 décembre 2009 relatif à la certification des bâtiments résidentiels existants » (ci-après : l’arrêté du 27 mai 2010).
B.2.3. Par le décret de la Région wallonne du 17 décembre 2020 « modifiant le décret du 28 novembre 2013 relatif à la performance énergétique des bâtiments » est inséré un titre 2/1
au décret du 28 novembre 2013, intitulé « Stratégie de rénovation à long terme ». L’article 8/1, ainsi inséré, dispose :
« § 1er. Le Gouvernement établit une stratégie de rénovation à long terme des bâtiments, pour soutenir la rénovation en vue de la constitution d’un parc immobilier à haute efficacité énergétique et décarboné d’ici à 2050, facilitant ainsi la transformation rentable de bâtiments existants en bâtiments dont la consommation d’énergie est quasi nulle.
La stratégie de rénovation comprend au minimum :
1° un aperçu du parc immobilier fondé, s’il y a lieu, sur un échantillonnage statistique et la proportion escomptée de bâtiments rénovés en 2020;
2° l’inventaire des approches de rénovation rentables qui sont adaptées au type de bâtiment et à la zone climatique, compte tenu des seuils de déclenchement pertinents potentiels, le cas échéant, dans le cycle de vie du bâtiment;
3° des politiques et des actions visant à stimuler des rénovations lourdes de bâtiments rentables, y compris des rénovations lourdes par étapes, et à soutenir des mesures et des rénovations ciblées rentables;
4° un aperçu des politiques et des actions ciblant les segments les moins performants du parc immobilier, les dilemmes de divergence d’intérêts et les défaillances du marché, ainsi qu’une brève présentation des actions nationales pertinentes qui contribuent à atténuer la précarité́ énergétique;
5° des politiques et des actions visant tous les bâtiments publics;
6° un aperçu des initiatives visant à promouvoir les technologies intelligentes et des bâtiments et communautés bien connectés, ainsi que les compétences et la formation dans les secteurs de la construction et de l’efficacité énergétique;
7° une estimation, fondée sur des éléments tangibles, des économies d’énergie attendues et des bénéfices plus larges escomptés, par exemple dans les domaines de la santé, de la sécurité et de la qualité de l’air.
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Le Gouvernement annexe à la stratégie de rénovation à long terme le détail de la mise en œuvre de la stratégie de rénovation à long terme la plus récente, y compris sur les politiques et les actions prévues.
Avant son adoption et au cours de sa mise en œuvre, le Gouvernement soumet la stratégie de rénovation à une consultation publique s’adressant, de manière directe ou indirecte, à l’ensemble des parties prenantes, notamment les autorités locales, les organisations de la société civile, les entreprises du bâtiment et de la construction, les secteurs financiers et de l’investissement et les autres parties prenantes concernées, en ce compris le grand public.
Le Gouvernement définit les modalités d’organisation de la consultation visée à l’alinéa 4.
§ 2. La stratégie de rénovation à long terme intègre une feuille de route comportant des mesures et des indicateurs de progrès mesurables et des jalons indicatifs pour 2030, 2040 et 2050, en précisant la manière dont ces jalons contribuent à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1er, alinéa 1er.
§ 3. Afin de soutenir la mobilisation des investissements dans les travaux de rénovation nécessaires à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1er, le Gouvernement facilite l’accès aux mécanismes appropriés visant à permettre :
1° l’agrégation des projets afin de permettre l’accès des investisseurs et d’offrir des solutions globales aux clients potentiels;
2° la réduction du risque lié aux opérations en matière d’efficacité énergétique perçu par les investisseurs et le secteur privé;
3° l’utilisation de fonds publics pour attirer des investissements supplémentaires en provenance du secteur privé ou remédier à certaines défaillances du marché;
4° l’orientation des investissements vers la constitution d’un parc de bâtiments publics efficace sur le plan énergétique;
5° la mise en place d’outils de conseil accessibles et transparents concernant les rénovations pertinentes visant à améliorer l’efficacité́ énergétique et les instruments financiers disponibles ».
B.2.4. Aux termes de l’article 30, § 2, du décret du 28 novembre 2013, les certificats PEB
contiennent nécessairement :
« 1° l’évaluation de la performance énergétique du bâtiment ou de l’unité PEB;
2° des valeurs de référence telles que les exigences minimales en matière de performance énergétique;
3° les recommandations techniquement réalisables qui visent l’amélioration optimale en fonction des coûts du bâtiment ou de l’unité PEB, et qui concernent la rénovation, en tout ou
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en partie, de l’enveloppe ou des systèmes techniques du bâtiment ou de l’unité PEB, et les mesures à prendre pour mettre en œuvre les recommandations;
4° le lieu où la personne intéressée peut trouver des informations complémentaires sur les éléments contenus dans le certificat PEB ».
Les articles 36 et 37 de l’arrêté du 15 mai 2014 précisent le contenu des certificats PEB
pour une unité résidentielle. Ils disposent :
« Art. 36. Outre les éléments visés à l’article 30, § 2 du décret, le certificat PEB contient les informations suivantes :
1° l’adresse du bâtiment ou de l’unité PEB;
2° le cas échéant, la date d’octroi du permis de bâtir, d’urbanisme ou unique autorisant sa construction et son numéro de référence;
3° une photo extérieure du bâtiment identifiant l’unité PEB concernée;
4° la version du logiciel de calcul et, le cas échéant du protocole de collecte des données utilisés;
5° le code unique du certificat;
6° le prix du certificat, sauf pour le certificat de bâtiment public en vue de l’affichage s’il a été réalisé par un certificateur interne et pour le certificat établi à l’issue d’une procédure PEB;
7° la date d’émission du certificat;
8° l’identification et le numéro d’agrément du certificateur ou du responsable PEB et sa signature.
Art. 37. Le certificat PEB d’unité résidentielle contient en outre :
1° la classe énergétique de l’unité;
2° la consommation théorique totale d’énergie primaire de l’unité;
3° la consommation spécifique d’énergie primaire de l’unité;
4° le cas échéant, la référence du rapport partiel visé à l’article 31, § 1er, du décret ».
B.2.5. Les règles précitées relatives au certificat de performance énergétique s’inscrivent dans le cadre de la transposition de la directive 2010/31/UE du Parlement européen et du
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Conseil du 19 mai 2010 « sur la performance énergétique des bâtiments (refonte) » (ci-après :
la directive 2010/31/UE). L’article 11, paragraphe 1, de la directive 2010/31/UE dispose que les États membres « arrêtent les mesures nécessaires pour établir un système de certification de la performance énergétique des bâtiments » et que « le certificat de performance énergétique inclut la performance énergétique du bâtiment et des valeurs de référence telles que les exigences minimales en matière de performance énergétique, afin que les propriétaires ou locataires du bâtiment ou de l’unité de bâtiment puissent comparer et évaluer sa performance énergétique ».
En vertu de l’article 2bis, paragraphe 1, de cette directive, « chaque État membre établit une stratégie de rénovation à long terme pour soutenir la rénovation du parc national de bâtiments résidentiels et non résidentiels, tant publics que privés, en vue de la constitution d’un parc immobilier à haute efficacité énergétique et décarboné d’ici à 2050, facilitant ainsi la transformation rentable de bâtiments existants en bâtiments dont la consommation d’énergie est quasi nulle ».
B.3.1. L’indexation des loyers pour les baux d’habitation est réglée à l’article 26 du décret de la Région wallonne du 15 mars 2018 « relatif au bail d’habitation » (ci-après : le décret du 15 mars 2018). Le paragraphe 1er de cet article dispose :
« Si une adaptation du loyer au coût de la vie a été convenue, elle ne peut être appliquée qu’une fois par année de location et au plus tôt au jour anniversaire de l’entrée en vigueur du bail. Cette adaptation est faite sur base des fluctuations de l’indice santé tel que défini à l’article 2 de l’arrêté royal du 24 décembre 1993 portant exécution de la loi du 6 janvier 1989
de sauvegarde de la compétitivité du pays.
Le loyer adapté ne peut dépasser le montant qui résulte de la formule suivante : loyer de base multiplié par le nouvel indice et divisé par l’indice de départ.
Le loyer de base est le loyer qui résulte de la convention ou d’un jugement, à l’exclusion de tous frais et charges quelconques expressément laissés à charge du preneur par le bail.
Le nouvel indice est l’indice santé du mois qui précède celui de l’anniversaire de l’entrée en vigueur du bail.
L’indice de base est l’indice santé du mois précédant le mois pendant lequel la convention a été conclue ».
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La disposition précitée déroge aux règles de droit commun relatives à l’indexation des loyers, fixées à l’article 1728bis de l’ancien Code civil.
B.3.2. Le décret du 19 octobre 2022, attaqué, modifie l’article 26 du décret du 15 mars 2018 en y insérant plusieurs paragraphes. Il dispose :
« Art. 1er. Dans l’article 26 du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation, sont insérés les paragraphes 1erbis, 1erter et 1erquater rédigés comme suit :
‘ § 1erbis. Par dérogation au paragraphe 1er, si le bien loué dispose d’un certificat PEB de classe énergétique D au sens de l’arrêté du Gouvernement wallon du 15 mai 2014 portant exécution du décret du 28 novembre 2013 relatif à la performance énergétique des bâtiments au moment de la demande d’adaptation du loyer, pour l’adaptation du loyer dont le droit échoit dans la période du 1er novembre 2022 au 31 octobre 2023, le loyer adapté ne peut pas dépasser le montant obtenu en majorant le loyer des trois quarts de la différence entre le loyer indexé conformément au paragraphe 1er et le loyer dû avant la date d’anniversaire du bail survenant pendant la période visée au présent paragraphe.
§ 1erter. Par dérogation au paragraphe 1er, si le bien loué dispose d’un certificat PEB de classe énergétique E au sens de l’arrêté du Gouvernement wallon du 15 mai 2014 portant exécution du décret du 28 novembre 2013 relatif à la performance énergétique des bâtiments au moment de la demande d’adaptation du loyer, pour l’adaptation du loyer dont le droit échoit dans la période du 1er novembre 2022 au 31 octobre 2023, le loyer adapté ne peut pas dépasser le montant obtenu en majorant le loyer de la moitié de la différence entre le loyer indexé conformément au paragraphe 1er et le loyer dû avant la date d’anniversaire du bail survenant pendant la période visée au présent paragraphe.
§ 1erquater. Par dérogation au paragraphe 1er, pour l’adaptation du loyer dont le droit échoit dans la période du 1er novembre 2022 au 31 octobre 2023, les loyers des logements mis en location ne disposant pas de certificat PEB au sens de l’arrêté du Gouvernement wallon du 15 mai 2014 portant exécution du décret du 28 novembre 2013 relatif à la performance énergétique des bâtiments ou disposant d’un certificat PEB de classe énergétique F ou G au moment de la demande d’adaptation du loyer ne peuvent pas être indexés. ’
Art. 2. § 1er. Par dérogation à l’article 26, § 1er, du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation, à partir du 1er novembre 2023, si le bien loué dispose d’un certificat PEB de classe énergétique D, E, F ou G au sens de l’arrêté du Gouvernement wallon du 15 mai 2014 portant exécution du décret du 28 novembre 2013 relatif à la performance énergétique des bâtiments, le loyer de base est le loyer adapté entre le 1er novembre 2022 et le 31 octobre 2023 en application de l’article 26, §§ 1erbis à 1erquater, du décret du 15 mars 2018 relatif au bail
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d’habitation et l’indice de base est l’indice santé du mois qui précède celui de l’anniversaire intervenu entre le 1er novembre 2022 et le 31 octobre 2023.
§ 2. Les dispositions contractuelles dont l’effet excède l’adaptation prévue au présent article sont réductibles à celle-ci.
Art. 3. La limitation de l’adaptation du loyer au coût de la vie prévue à l’article 26, §§ 1erbis à 1erquater, du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation peut être prolongée par période maximale d’un an.
[...] ».
B.3.3. Le décret du 19 octobre 2022 est applicable aux contrats de bail d’habitation au sens du décret du 15 mars 2018 qui sont entrés en vigueur avant le 1er novembre 2022 (articles 4 et 5 du décret du 19 octobre 2022).
B.4. Selon les travaux préparatoires du décret du 19 octobre 2022, le législateur décrétal est parti du constat d’une hausse exceptionnelle de l’inflation, laquelle se structure à partir des produits énergétiques. Il met en avant que « l’évolution de l’indice santé en raison de l’augmentation des prix des produits énergétiques a pour conséquence de faire payer deux fois la hausse des coûts de l’énergie aux ménages locataires de leur logement par le biais de la hausse de la facture ou de charges énergétiques et par le biais de la hausse des loyers indexés » (Doc.
parl., Parlement wallon, 2022-2023, n° 1085/1, p. 3). Les auteurs du projet de décret chiffrent cette incidence sur le locataire à plus d’un 13e mois de loyer supplémentaire (ibid.).
Par les mesures de limitation et d’interdiction de l’indexation des loyers sous certaines conditions, le législateur décrétal entend protéger les locataires affectés et restaurer de ce fait l’« équilibre dans les relations contractuelles entre le bailleur et le locataire » (ibid.) en maintenant le caractère protecteur du mécanisme d’indexation. À cet effet, le législateur décrétal estime :
« [La] classe énergétique du logement, selon la certification de performance énergétique des bâtiments (PEB), permet une anticipation du montant théorique de la consommation en énergie primaire ainsi que du coût y afférent. De facto, la performance énergétique du logement pris en location a une incidence effective sur le montant théorique des charges à supporter par le locataire. Il y a donc une nécessité de moduler la formule d’indexation possible au regard de cette réalité » (ibid., p. 4).
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D’autre part, les travaux préparatoires font valoir un autre objectif poursuivi, lié à la performance énergétique des bâtiments, et mentionnent que les mesures visées s’inscrivent « également dans un cadre structurel d’objectifs portés par le Gouvernement wallon, notamment à travers la Stratégie wallonne de rénovation énergétique à long terme du bâtiment »
(ibid.). En conclusion, le législateur décrétal vise à « protéger le logement des familles sans affecter de manière disproportionnée la situation des bailleurs » (ibid.).
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.5. Le premier moyen est pris de la violation, par les articles 1er à 5 du décret du 19 octobre 2022, de l’article 6, § 1er, IV et VII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980) et de la compétence résiduelle de l’autorité fédérale. Selon les parties requérantes, l’autorité fédérale, et non la Région wallonne, était compétente pour adopter les dispositions attaquées.
B.6.1. En vertu de l’article 6, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980, les régions sont notamment compétentes pour :
« II. En ce qui concerne l’environnement et la politique de l’eau :
1° La protection de l’environnement, notamment celle du sol, du sous-sol, de l’eau et de l’air contre la pollution et les agressions ainsi que la lutte contre le bruit;
[...]
IV. En ce qui concerne le logement :
1° le logement et la police des habitations qui constituent un danger pour la propreté et la salubrité publiques;
2° les règles spécifiques concernant la location des biens ou de parties de biens destinés à l’habitation.
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[...]
VII. En ce qui concerne la politique de l’énergie :
Les aspects régionaux de l’énergie, et en tout cas :
[...]
h) L’utilisation rationnelle de l’énergie ».
B.6.2. En vertu de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, de la loi spéciale du 8 août 1980, « l’autorité fédérale est [...] seule compétente pour : [...] 3° la politique des prix et des revenus, à l’exception de la réglementation des prix dans les matières qui relèvent de la compétence des régions et des communautés, sous réserve de l’article 6, § 1er, VII, alinéa 2, d) ».
L’article 6, § 1er, VII, alinéa 2, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose que l’autorité fédérale est compétente, en ce qui concerne la politique de l’énergie, « pour les matières dont l’indivisibilité technique et économique requiert une mise en œuvre homogène sur le plan national, à savoir : [...] d) les tarifs, en ce compris la politique des prix, sans préjudice de la compétence régionale en matière de tarifs visée à l’alinéa 1er, a) et b) ».
B.7. Le Constituant et le législateur spécial, dans la mesure où ils n’en disposent pas autrement, ont attribué aux communautés et aux régions toute la compétence d’édicter les règles propres aux matières qui leur ont été transférées.
B.8. La compétence en matière de baux d’habitation, visée à l’article 6, § 1er, IV, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980, a été confiée aux régions par la loi spéciale du 6 janvier 2014
relative à la Sixième Réforme de l’État (ci-après : la loi spéciale du 6 janvier 2014).
Aux termes des travaux préparatoires de la loi spéciale du 6 janvier 2014, les régions sont compétentes pour les « règles spécifiques concernant la location de biens ou des parties de ceux-
ci, destinés à l’habitation », y compris les « règles spécifiques relatives aux contrats de bail qui pourront s’écarter du droit commun déterminé au niveau fédéral ». Le législateur spécial
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entendait transférer aux régions « [la] totalité des règles spécifiques concernant la location de biens ou de parties de biens destinés à l’habitation », s’agissant entre autres des règles concernant « les droits et les obligations du bailleur », « les droits et les obligations du preneur », « l’état du bien loué », « la rénovation », « les réparations et la réalisation de travaux déterminés », « la détermination du loyer, y compris la détermination de prix indicatifs, et l’adaptation du loyer au coût de la vie », « la détermination des frais et charges imposés au preneur » et « la révision du loyer, des frais et des charges » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2232/1, pp. 82-84).
B.9. L’indice des prix à la consommation est un indicateur économique de base. Des indexations sont opérées afin de suivre, dans les divers domaines de la politique, l’évolution des prix à la consommation. Un mécanisme d’indexation ne peut par conséquent être considéré comme une matière en soi mais bien comme un instrument que le législateur fédéral et le législateur décrétal peuvent utiliser, chacun pour ce qui le concerne, pour autant qu’ils agissent dans les limites de leurs compétences respectives. À cet égard, l’article 6, § 1er, VI, alinéa 5, 3°, de la loi spéciale du 8 août 1980 confirme que les régions et les communautés sont compétentes pour régler les prix dans les matières relevant de leurs compétences (voy.
également Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2232/1, p. 99).
B.10. Le décret du 19 octobre 2022 restreint, en ce qui concerne les baux d’habitation, la possibilité d’indexer le loyer, en fonction de la performance énergétique du logement. Une telle mesure s’inscrit dans le cadre de la compétence régionale en matière de baux d’habitation, visée à l’article 6, § 1er, IV, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980. Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.8, les régions peuvent, en vertu de cette compétence, adopter des règles spécifiques concernant la fixation du montant du loyer de biens destinés à l’habitation, en particulier en ce qui concerne l’adaptation du montant du loyer au coût de la vie. Ce faisant, les régions peuvent déroger aux règles de droit commun relatives à l’indexation des loyers, fixées à l’article 1728bis de l’ancien Code civil.
B.11. Dans l’exercice de leurs compétences, les régions doivent toutefois respecter le principe de proportionnalité, qui est inhérent à tout exercice de compétence. Elles doivent dès
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lors veiller à ne pas rendre impossible ou exagérément difficile l’exercice des compétences fédérales.
Contrairement à ce que font valoir les parties requérantes, les dispositions attaquées ne rendent pas impossible ou exagérément difficile l’exercice de la compétence résiduelle de l’autorité fédérale en matière de droit civil. Les dispositions attaquées ne portent pas atteinte à la possibilité dont dispose l’autorité fédérale de fixer les règles de droit commun en matière de baux à loyer. Ces règles demeurent applicables, d’une part, aux baux à loyer qui n’ont pas été transférés aux régions et, d’autre part, aux aspects des baux à loyer qui ont été transférés aux régions, mais pour lesquels les régions n’ont pas adopté de règles spécifiques.
B.12. Les parties requérantes allèguent également que les dispositions attaquées portent atteinte à la compétence de l’autorité fédérale, en matière de politique de l’énergie, de régler « les tarifs, en ce compris la politique des prix » (article 6, § 1er, VII, alinéa 2, d), de la loi spéciale du 8 août 1980). La circonstance que la limitation de la possibilité d’indexer les loyers s’applique uniquement aux logements peu économes en énergie n’a cependant pas pour conséquence qu’il soit intervenu dans la fixation des tarifs en matière d’énergie ou des prix que paient les clients pour la fourniture d’énergie.
B.13. Le premier moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le deuxième moyen
B.14. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
Les parties requérantes divisent celui-ci en huit branches. La Cour les examine successivement.
B.15. Contrairement à ce que fait valoir le Gouvernement wallon, la requête identifie bien les catégories de personnes qui doivent précisément être comparées entre elles dans le cadre des discriminations invoquées par les parties requérantes. Il ressort par ailleurs de son mémoire que celui-ci a bien compris le deuxième moyen et qu’il a donc été en mesure de mener une défense utile. Le deuxième moyen est dès lors recevable.
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B.16. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.17. Il appartient au législateur décrétal d’apprécier dans quelle mesure il est opportun de prendre des mesures, dans le cadre de sa politique socio-économique, en vue de promouvoir des logements abordables et l’efficacité énergétique du parc d’habitations. Il dispose en la matière d’un pouvoir d’appréciation étendu. Lorsque le législateur décrétal prévoit de limiter la possibilité d’indexer les loyers d’habitations peu économes en énergie, il relève de son pouvoir d’appréciation de déterminer quelles catégories de locataires et de bailleurs relèvent de cette mesure. La Cour ne peut censurer les choix politiques opérés et les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou s’ils sont déraisonnables.
B.18. Les parties requérantes font en premier lieu valoir que les dispositions attaquées, en ce qu’elles se fondent sur le certificat de performance, ne reposent pas sur un critère de distinction objectif et que ce critère n’est pas pertinent pour atteindre les objectifs poursuivis (première et deuxième branches du moyen). Bien que la comparaison ne soit pas expressément formulée, il ressort de l’argumentaire des parties requérantes qu’elles visent une différence de traitement entre, d’une part, les bailleurs d’un logement disposant d’un certificat de performance énergétique labellisé D, E, F ou G ainsi que ceux qui ne disposent pas d’un tel certificat et, d’autre part, les bailleurs d’un logement disposant d’un meilleur certificat de performance énergétique.
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B.19.1. Comme il est dit en B.2.1 à B.2.5, en vertu du décret du 28 novembre 2013, les labels énergétiques sont établis sur la base du résultat chiffré du calcul de la performance énergétique d’un logement, par un certificateur agréé et sur la base d’une méthode établie par le Gouvernement wallon dans l’arrêté du 15 mai 2014.
B.19.2. Les parties requérantes critiquent en particulier le fait qu’il n’est obligatoire de disposer d’un certificat de performance énergétique que depuis le 1er juin 2011, en vertu de l’arrêté du 27 mai 2010. Il en résulterait que certains bailleurs ne disposent pas encore d’un certificat de performance énergétique.
Compte tenu de l’objectif du législateur décrétal d’imposer l’obligation d’un certificat de performance énergétique, à terme, pour tous les bâtiments, il n’est pas déraisonnable de prendre en compte ce critère. Le bailleur qui, bien qu’il n’en ait pas l’obligation légale, décide d’indexer son loyer durant la période où les mesures attaquées sont en vigueur dispose également de la possibilité de faire établir un certificat de performance énergétique. De plus, il n’apparaît pas que le prix moyen de l’établissement d’un certificat de performance énergétique soit excessif ou qu’il soit impossible d’obtenir un tel certificat à bref délai.
B.19.3. Il découle de ce qui précède que le fait qu’un logement ait un certificat de performance énergétique ou non et, dans l’affirmative, le label de ce certificat constituent un critère de distinction objectif. Les parties requérantes dénoncent par ailleurs la fiabilité du certificat de performance énergétique et la seule prise en compte de la consommation théorique d’énergie du logement. Ces griefs visent les imperfections et le mode de calcul du certificat de performance énergétique. Ils ne peuvent remettre en cause ce qui précède.
B.20. Les parties requérantes contestent également qu’un tel critère de distinction soit pertinent à la lumière des objectifs poursuivis par le législateur décrétal.
Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.4, le législateur décrétal vise, par la législation attaquée, à protéger le droit au logement des locataires, particulièrement affectés par l’inflation élevée et l’augmentation des prix de l’énergie, qui se sont manifestées après les premières vagues de la pandémie de COVID-19 et à la suite de la guerre en Ukraine.
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Le législateur décrétal souhaite aussi inciter les propriétaires à améliorer les performances énergétiques des logements de location.
B.21.1. En ce qui concerne l’objectif consistant à protéger le droit au logement des locataires, le législateur décrétal pouvait postuler que, généralement, plus le label énergétique se rapproche de la lettre G, plus les dépenses énergétiques sont élevées. Le label énergétique est un critère de consommation énergétique du logement. Il peut être admis que les conséquences de la hausse des prix de l’énergie sont les plus importantes pour les locataires de logements sans certificat de performance énergétique ou labellisés D, E, F ou G et que, par conséquent, seuls ces locataires doivent bénéficier d’une limitation de la possibilité d’indexer les loyers.
B.21.2. La circonstance que, comme le soutiennent les parties requérantes, dans l’intervalle, la hausse de l’inflation et des prix de l’énergie s’avère en réalité plus limitée que celle initialement estimée n’aboutit pas à une autre conclusion.
Les travaux préparatoires du décret du 19 octobre 2022 mentionnent que, selon l’Office belge de statistique, « l’inflation sur la base de l’indice santé affiche une hausse exceptionnelle de 11,25 % entre septembre 2021 et 2022, soit un indice historiquement élevé à hauteur de 124,92 points. L’augmentation anormale du taux d’inflation en 2022 est due notamment à divers facteurs : la crise socio-économique, la situation géopolitique et la guerre en Ukraine.
Cette forte hausse de l’inflation se structure à partir des produits énergétiques. L’électricité coûte désormais 81,3 % de plus qu’en septembre 2021 et le gaz naturel coûte 134,9 % de plus sur la même période. Les prévisions du Bureau du plan font état d’une inflation belge, en moyenne, à 9,4 % en 2022 et à 6,5 % en 2023. En conséquence, cette inflation a évidemment des répercussions sur l’augmentation des loyers et sur la capacité financière des ménages »
(Doc. parl., Parlement wallon, 2022-2023, n° 1085/1, p. 3). Le législateur décrétal s’est donc basé sur des éléments statistiques qui étaient disponibles au moment de l’adoption du régime attaqué. Les parties requérantes ne démontrent pas que l’appréciation du législateur décrétal repose sur une erreur manifeste.
B.21.3. De plus, par la législation attaquée, le législateur décrétal a voulu rapidement réagir à la hausse exceptionnelle des prix de l’énergie. Il a dès lors pu faire usage de catégories qui, nécessairement, n’appréhendent la diversité des situations qu’avec un certain degré
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d’approximation, en se basant sur le système existant des certificats de performance énergétique qui fournit, pour l’application des dispositions attaquées, des critères de distinction objectifs.
Ce système permet en effet de comparer, de manière simple et sans examiner la situation individuelle de chaque locataire, la consommation d’énergie escomptée des logements locatifs.
B.22.1. Les parties requérantes contestent également que les dispositions attaquées soient pertinentes au regard de l’objectif consistant à inciter les propriétaires à améliorer les performances énergétiques des logements de location. Elles allèguent que, dans le court délai de vigueur des mesures attaquées, entre le 1er novembre 2022 et le 31 octobre 2023, il est dans de nombreux cas impossible ou à tout le moins très difficile de réaliser de tels travaux.
B.22.2. Selon le Gouvernement wallon, le décret du 19 octobre 2022 ne cherche pas tant à inciter à effectuer des travaux rapides ou immédiats qu’à introduire un changement de comportement des propriétaires à moyen et à long terme.
Les mesures attaquées incitent en effet les bailleurs qui ne l’ont pas encore fait à faire établir un certificat de performance énergétique relatif à leur bien. Cette démarche, même si elle n’est pas suivie de travaux réalisés avant le 31 octobre 2023, constitue une première étape vers une amélioration ultérieure des performances énergétiques des biens concernés, et contribue donc déjà en elle-même à atteindre un des objectifs poursuivis par le législateur décrétal.
B.22.3. De plus, l’article 2 du décret du 19 octobre 2022 prévoit, à partir du 1er novembre 2023, l’application d’un facteur de correction au loyer indexé. De ce fait, l’indexation du loyer qui peut être opérée à partir de cette date, tant que le logement n’a pas de label énergétique favorable, ne tient pas compte de l’augmentation de l’indice au cours de la période entre le 1er novembre 2022 et le 31 octobre 2023. À partir du moment où le bailleur procède aux travaux de rénovation nécessaires et obtient ainsi un label énergétique favorable, celui-ci peut encore, à partir de ce moment, adapter intégralement le loyer à l’indice, en ce compris l’augmentation de l’indice entre le 1er novembre 2022 et le 31 octobre 2023. Même si la rénovation énergétique ne peut commencer qu’après l’expiration de la période visée à
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l’article 1er du décret du 19 octobre 2022, les bailleurs concernés auront par conséquent intérêt à procéder à une telle rénovation.
B.23. La différence de traitement entre, d’une part, les bailleurs d’un logement disposant d’un certificat de performance énergétique labellisé D, E, F ou G ainsi que ceux qui ne disposent pas d’un tel certificat et, d’autre part, les bailleurs d’un logement disposant d’un meilleur certificat de performance énergétique repose bien sur un critère de distinction objectif qui est pertinent pour atteindre les objectifs poursuivis.
B.24.1. La Cour doit encore examiner si les dispositions attaquées ne produisent pas des effets disproportionnés pour les bailleurs d’un logement sans certificat de performance énergétique ou disposant d’un certificat de performance énergétique labellisé D, E, F ou G.
B.24.2. Les dispositions attaquées portent exclusivement sur la possibilité dont disposent les bailleurs concernés d’indexer les loyers. Elles ne portent pas sur la valeur nominale du loyer, qu’il ait déjà été indexé ou non, lequel reste intégralement dû par le locataire. De surcroît, l’interdiction d’indexation des loyers, prévue par l’article 1er du décret du 19 octobre 2022, est seulement applicable entre le 1er novembre 2022 et le 31 octobre 2023. Cette interdiction est proportionnée au niveau de performance énergétique du logement, étant donné qu’au cours de cette période, seuls les bailleurs d’un logement ayant un label énergétique F ou G ont été exclus de la possibilité d’indexer les loyers et que les bailleurs d’un logement labellisé D ou E ont encore pu indexer le loyer pour les trois quarts ou pour moitié, respectivement. En vertu de l’article 2 du décret du 19 octobre 2022, à partir du 1er novembre 2023, tous les bailleurs peuvent à nouveau indexer les loyers, mais avec l’application d’un facteur de correction, qui est également proportionné au niveau de performance énergétique du logement. Enfin, les bailleurs des logements les plus performants sur le plan énergétique, à savoir les logements labellisés A++, A+, A, B ou C, ne sont soumis à aucune limitation en ce qui concerne la possibilité d’indexer les loyers.
B.24.3. Les bailleurs qui effectuent des travaux améliorant la performance énergétique de leur logement de location augmentent ainsi en outre la valeur de leur bien.
B.24.4. Enfin, les bailleurs qui ne disposaient pas encore d’un certificat de performance énergétique lors de l’entrée en vigueur des dispositions attaquées peuvent toujours faire établir
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un certificat de performance énergétique par un certificateur agréé. Il n’apparaît pas que le prix moyen de l’établissement d’un certificat de performance énergétique soit excessif ou qu’il soit impossible d’obtenir un tel certificat à bref délai. Un certificat de performance énergétique est valable pour dix ans (article 30, § 5, du décret du 28 novembre 2013) et contient des recommandations destinées à améliorer la rentabilité de la performance énergétique du bâtiment (article 30, § 2, 3°, du même décret), de sorte que ce certificat peut également être utile au bailleur pour d’autres finalités. La circonstance que, comme le soutiennent les parties requérantes, certains bailleurs n’étaient pas tenus de disposer d’un certificat de performance énergétique lors de l’entrée en vigueur des dispositions attaquées, parce que l’obligation de produire un certificat de performance énergétique lors de la conclusion d’un nouveau contrat de bail n’est valable que depuis le 1er juin 2011, n’y change rien.
B.24.5. Compte tenu du pouvoir d’appréciation étendu dont dispose en l’espèce le législateur décrétal et du fait que les dispositions attaquées ont été adoptées dans le cadre d’une augmentation imprévue et exceptionnelle des prix de l’énergie, ces dispositions ne produisent dès lors pas des effets disproportionnés pour les bailleurs concernés.
B.25. Le deuxième moyen, en ses deux premières branches, n’est pas fondé.
B.26. Les parties requérantes soutiennent en deuxième lieu que le décret du 19 octobre 2022 crée des différences de traitement non justifiées entre différentes catégories de locataires, puisque leur statut et leurs moyens financiers réels ne sont pas pris en compte. Les dispositions attaquées traitent en effet tous les locataires de la même manière, sans tenir compte de la mesure dans laquelle ils sont effectivement affectés par l’augmentation des prix de l’énergie. En particulier, les dispositions attaquées n’établissent pas de distinction selon que le locataire doit payer des charges réelles ou des charges forfaitaires ou selon les ressources du locataire (troisième branche du deuxième moyen).
B.27. Il est raisonnablement justifié que la législation attaquée ne contienne pas d’exception pour le cas où l’augmentation des prix de l’énergie n’a qu’une incidence limitée sur la situation financière du locataire, plus précisément parce que le locataire paie des charges forfaitaires pour sa consommation d’énergie, a un revenu relativement élevé ou bénéficie d’une indexation automatique de ses revenus. Le législateur décrétal ne peut se voir reprocher, en
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l’espèce, de ne pas avoir tenu compte des spécificités de chaque cas individuel, d’autant qu’il a voulu, par la législation attaquée, réagir rapidement à la hausse exceptionnelle des prix de l’énergie. Le législateur décrétal a dès lors pu opter pour une législation prévoyant qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la situation financière individuelle de chaque locataire. Par ailleurs, en cas de frais et de charges forfaitaires, l’article 58, § 3, du décret du 15 mars 2018 dispose qu’« à tout moment, chacune des parties peut demander au juge de paix la révision des frais et charges forfaitaires ou leur conversion en frais et charges réels ». De surcroît, la situation financière du locataire n’est en tout cas pas pertinente au regard de l’objectif consistant à encourager les propriétaires à améliorer les performances énergétiques des logements de location.
B.28. Le deuxième moyen, en sa troisième branche, n’est pas fondé.
B.29. En troisième lieu, les parties requérantes font valoir que les dispositions attaquées établissent une différence de traitement entre locataires et bailleurs. Les parties requérantes estiment que non seulement les locataires, mais également les bailleurs sont affectés par la hausse de l’inflation et des prix de l’énergie (quatrième branche du deuxième moyen).
B.30. Au regard de l’objectif poursuivi par le législateur décrétal d’inciter les propriétaires à améliorer les performances énergétiques des logements de location, la distinction entre les locataires et les bailleurs est pertinente, ces derniers étant davantage en mesure de réaliser les travaux nécessaires à l’amélioration des performances énergétiques de leurs biens.
De plus, les bailleurs qui effectuent des travaux améliorant la performance énergétique de leur logement de location augmentent ainsi la valeur de leur bien. Par ailleurs, il se peut que le bailleur puisse partiellement compenser le coût des mesures d’économie d’énergie en sollicitant les éventuelles aides prévues par la Région wallonne.
Enfin, pour les motifs cités en B.24.1 et B.24.5, les mesures attaquées ne produisent pas des effets disproportionnés pour les bailleurs concernés. En ce que les parties requérantes font valoir que le législateur décrétal, dans le cadre de l’augmentation de l’inflation et des frais
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énergétiques, n’a pas prévu d’aides suffisantes pour les bailleurs, leurs griefs ne peuvent par ailleurs pas être imputés aux dispositions attaquées.
B.31. Le deuxième moyen, en sa quatrième branche, n’est pas fondé.
B.32. En quatrième lieu, les parties requérantes font valoir que les dispositions attaquées établissent une différence de traitement entre les bailleurs, selon qu’ils donnent en location une habitation unifamiliale ou un appartement. Pour les bailleurs d’un appartement, il serait nettement plus difficile d’obtenir un label énergétique favorable, étant donné que, pour pouvoir effectuer divers travaux d’économies d’énergie, une décision de l’assemblée générale de l’association des copropriétaires, prise à la majorité des deux tiers des voix, serait requise (cinquième branche du deuxième moyen).
B.33. Le législateur décrétal ne peut se voir reprocher en l’espèce de n’avoir pas pris en compte les spécificités de chaque situation, d’autant qu’il a voulu, par la législation attaquée, réagir rapidement à la hausse exceptionnelle des prix de l’énergie.
De surcroît, la législation attaquée ne produit pas des effets disproportionnés pour les bailleurs d’un appartement détenu en copropriété. En effet, il existe des aménagements énergétiques pour lesquels l’autorisation des autres copropriétaires n’est pas nécessaire.
L’article 3.88, § 1er, 1°, b), du Code civil n’exige en effet une décision de l’assemblée générale de l’association des copropriétaires que pour les travaux effectués dans les parties communes.
Cette disposition n’empêche pas les propriétaires individuels de faire des travaux dans les parties privatives. En outre, les autres copropriétaires ont en principe également intérêt à effectuer des travaux d’économie d’énergie dans les parties communes, étant donné que de tels travaux augmentent également l’efficacité énergétique de leur propriété.
B.34. Par conséquent, il est raisonnablement justifié que la législation attaquée ne contienne pas d’exception pour les bailleurs d’un appartement détenu en copropriété.
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B.35. Le deuxième moyen, en sa cinquième branche, n’est pas fondé.
B.36. En cinquième lieu, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées établissent une identité de traitement injustifiée entre les propriétaires sans tenir compte de la date à laquelle leur certificat PEB a été établi. Or, cette date fait varier considérablement la performance énergétique des bâtiments, puisque le protocole pour l’établissement dudit certificat est régulièrement révisé (sixième branche du deuxième moyen).
B.37. Le grief précité revient à mettre à nouveau en cause l’objectivité et la fiabilité du critère relatif au certificat de performance énergétique. Pour les motifs développés en B.19.3, cette critique n’est pas fondée.
Au surplus, rien n’empêche le bailleur qui estime que son certificat de performance énergétique pourrait être amélioré par la seule modification du protocole d’établissement de faire établir un nouveau certificat de performance énergétique. À cet égard, comme il a déjà été dit, il n’apparaît pas que le prix moyen de l’établissement d’un certificat de performance énergétique soit excessif ou qu’il soit impossible d’obtenir un tel certificat à bref délai.
B.38. Le deuxième moyen, en sa sixième branche, n’est pas fondé.
B.39. En sixième lieu, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées établissent une différence de traitement injustifiée entre les bailleurs dont le contrat de bail est entré en vigueur avant le 1er novembre 2022 et les bailleurs dont le contrat de bail est entré en vigueur à partir de cette date, en ce que les bailleurs de la seconde catégorie, en cas de prolongation des mesures de limitation et d’interdiction de l’indexation des loyers conformément à l’article 3 du décret du 19 octobre 2022, seraient favorisés par rapport aux bailleurs de la première catégorie (septième branche du deuxième moyen).
B.40. L’article 3 du décret du 19 octobre 2022 dispose que la « limitation de l’adaptation du loyer au coût de la vie prévue à l’article 26, §§ 1erbis à 1erquater, du décret du 15 mars 2018
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relatif au bail d’habitation peut être prolongée par période maximale d’un an ». Au 1er novembre 2023, le législateur décrétal n’a pas opté pour la prolongation. Il ressort de cette inaction que les mesures critiquées de limitation et d’interdiction de l’indexation des loyers ont définitivement cessé de s’appliquer, à l’exception de la mesure relative au calcul du loyer de base (article 2 du décret du 19 octobre 2022).
B.41. Il résulte de ce qui est dit en B.40 que la différence de traitement dénoncée par les parties requérantes n’existe pas.
B.42. Le deuxième moyen, en sa septième branche, n’est pas fondé.
B.43. En septième lieu, les parties requérantes soutiennent que les mesures attaquées établissent une différence de traitement injustifiée entre les bailleurs d’un bien disposant d’un certificat de performance énergétique de label F ou G et les propriétaires dont le bien n’a pas été certifié durant la période où la mesure était en vigueur, et ce, quelle que soit l’origine de cette absence (huitième branche du deuxième moyen).
B.44.1. L’article 2 du décret du 19 octobre 2022, qui touche au calcul du loyer de base à partir du 1er novembre 2023 pour les biens loués qui disposent d’un certificat PEB de classe énergétique D, E, F ou G, indique qu’il est lié à l’« application de l’article 26, §§ 1erbis à 1erquater, du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation » et doit dès lors être considéré comme indissociable de ces dispositions. Par conséquent, et contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, l’article 2 du décret du 19 octobre 2022 doit être interprété comme s’appliquant également aux logements ne disposant pas de certificat de performance énergétique.
B.44.2. Il résulte de ce qui est dit en B.44.1 que les parties requérantes visent non pas une différence de traitement mais bien une identité de traitement entre les bailleurs d’un bien disposant d’un certificat de performance énergétique de label F ou G et les propriétaires dont le bien n’a pas été certifié durant la période où la mesure était en vigueur.
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B.45.1. Compte tenu des objectifs poursuivis et du critère objectif et pertinent que constitue le certificat de performance énergétique, et pour les motifs développés en ce qui concerne les première et deuxième branches du deuxième moyen (B.18 à B.24.5), le législateur décrétal a raisonnablement pu choisir de traiter les bailleurs dont le bien ne dispose pas de certificat de la même façon que les bailleurs de logements disposant d’un certificat de label F
et G. En outre, l’identité de traitement ne produit pas des effets disproportionnés pour les bailleurs qui ne disposent pas d’une certification alors qu’ils respectent la législation applicable.
En effet, comme mentionné en B.19.2, le bailleur qui, bien qu’il n’en ait pas l’obligation légale, décide d’indexer son loyer durant la période où les mesures attaquées sont en vigueur dispose de la possibilité de faire établir un certificat de performance énergétique et il n’apparaît pas que le prix moyen de l’établissement d’un certificat de performance énergétique soit excessif ou qu’il soit impossible d’obtenir un tel certificat à bref délai.
B.45.2. Au surplus, la critique des parties requérantes selon laquelle les propriétaires qui ont méconnu leur obligation de certification seraient favorisés repose sur une prémisse erronée.
Dès lors que le logement dépourvu de certificat est assimilé au logement disposant d’un certificat de label F et G, aucun traitement favorable ne lui est applicable, puisque l’indexation des loyers y sera interdite durant la période de vigueur de la mesure. En tout état de cause, le manquement à l’obligation de disposer d’un certificat de performance énergétique est déjà sanctionné, conformément au titre 6 du décret du 28 novembre 2013.
B.46. Compte tenu de ce qui est dit en B.44.1, le deuxième moyen, en sa huitième branche, n’est pas fondé.
En ce qui concerne le troisième moyen
B.47. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la sécurité juridique.
B.48. Le principe de la confiance légitime est étroitement lié au principe de la sécurité juridique, invoqué par les parties requérantes, qui interdit au législateur décrétal de porter
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atteinte sans justification objective et raisonnable à l’intérêt que possèdent les sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.
B.49. En premier lieu, les parties requérantes font valoir que, lors de l’entrée en vigueur du décret du 19 octobre 2022, certains bailleurs n’étaient pas encore tenus de disposer d’un certificat de performance énergétique. En effet, la production d’un certificat de performance énergétique lors de la conclusion d’un nouveau contrat de bail n’est imposée que depuis le 1er juin 2011 (voy. l’article 3 de l’arrêté du 27 mai 2010). Pour ces bailleurs aussi, la possibilité d’indexer les loyers est limitée, alors que, selon les parties requérantes, ceux-ci pouvaient légitimement escompter que l’absence de certificat de performance énergétique n’aurait pas d’effets préjudiciables pour eux (première branche du troisième moyen).
B.50.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination ne s’oppose pas à ce que le législateur décrétal renonce à ses objectifs initiaux pour en poursuivre d’autres. Ce principe n’est pas violé pour la seule raison qu’une nouvelle disposition déjouerait les calculs de ceux qui avaient compté sur le maintien de la politique antérieure. D’une manière générale, les pouvoirs publics doivent pouvoir adapter leur politique aux exigences changeantes de l’intérêt général.
B.50.2. La circonstance que certains bailleurs ne seraient pas légalement tenus de disposer d’un certificat de performance énergétique n’empêche pas le législateur décrétal de prendre une mesure dont le champ d’application dépend du fait d’avoir ou non un tel certificat et du label énergétique mentionné sur celui-ci. Les bailleurs concernés sont encore libres de faire établir un certificat de performance énergétique. Comme il est dit en B.19.2, il n’apparaît pas que le prix moyen de l’établissement d’un certificat de performance énergétique soit excessif ou qu’il soit impossible d’obtenir un tel certificat à court terme.
B.51. Le troisième moyen, en sa première branche, n’est pas fondé.
B.52.1. Les parties requérantes soutiennent en deuxième lieu que les dispositions attaquées établissent une identité de traitement entre les bailleurs qui ont conclu un contrat de bail avant le 1er juin 2011 et n’étaient de ce fait pas obligés de disposer d’un certificat de performance énergétique, d’une part, et les bailleurs qui ont conclu le contrat de bail après cette date mais
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qui – en contravention aux dispositions mentionnées en B.2.2 – n’ont pas fait établir un certificat de performance énergétique, d’autre part (deuxième branche du troisième moyen).
B.52.2. La circonstance que l’absence de certificat de performance énergétique est due au fait que le contrat de bail a été conclu à un moment où un tel certificat n’était pas obligatoire ou au fait qu’il a été négligé, en contravention à la législation en vigueur au moment considéré, d’en faire établir un ne présente pas de rapport pertinent avec les objectifs des dispositions attaquées tels qu’ils se dégagent des travaux préparatoires cités en B.4, de sorte que le législateur décrétal n’était pas tenu de traiter différemment les deux catégories de bailleurs.
B.53. Le troisième moyen, en sa deuxième branche, n’est pas fondé.
B.54. En troisième lieu, les parties requérantes allèguent que les dispositions attaquées dérogent aux délais dans lesquels les propriétaires d’une habitation située en Région wallonne doivent satisfaire à certaines exigences en matière de performance énergétique. Elles soulignent que les mesures attaquées sont notamment contraires à la « stratégie wallonne de rénovation énergétique à long terme du bâtiment ». À la lumière de celle-ci, les propriétaires auraient pu légitimement espérer disposer d’un délai plus long pour améliorer la performance énergétique de l’habitation (troisième branche du troisième moyen).
B.55.1. Le 12 novembre 2020, le Gouvernement wallon a approuvé la « stratégie wallonne de rénovation énergétique à long terme du bâtiment » (ci-après : la stratégie wallonne). Celle-
ci s’inscrit dans le cadre de l’obligation faite aux États membres de l’Union européenne de développer et de mettre à jour une stratégie de rénovation à long terme des bâtiments, conformément à l’article 1er, point 2), de la directive (UE) 2018/844 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 « modifiant la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique ».
La stratégie wallonne contient une série d’engagements et d’étapes pour, en ce qui concerne les biens résidentiels, « tendre en 2050 vers le label PEB A décarboné en moyenne pour
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l’ensemble du parc de logements et viser en priorité la rénovation profonde des logements les moins performants, tout en assurant que tout projet de rénovation s’inscrive dans une réflexion globale et cohérente avec les objectifs de la région, structurée dans l’échéancier d’implémentation de la stratégie de rénovation » (stratégie wallonne, p. 4). Par ailleurs, il est mentionné que « des obligations d’amélioration de la performance énergétique des bâtiments aux moments charnières de la vie des bâtiments (achat/vente, changement de locataire, donations/successions, autres travaux de rénovation) seront mises en place, tout en assurant que ces mesures ne restreignent pas l’accès à la propriété et ne diminuent pas l’offre de logements »
(ibid., p. 5).
B.55.2. Le Gouvernement wallon a également adopté le « Plan Air Climat Énergie à l’horizon 2030 » (ci-après : le PACE) le 4 avril 2019, modifié par la suite et approuvé définitivement le 21 mars 2023. Ce plan constitue la base de la contribution wallonne à la mise à jour du plan national énergie-climat dans le cadre de l’obligation faite aux États membres de l’Union européenne d’introduire au plus tard le 31 décembre 2019 un plan énergie et climat national intégré auprès de la Commission européenne, conformément à l’article 3 du règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 « sur la gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat, modifiant les règlements (CE) n° 663/2009 et (CE) n° 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/CE, 98/70/CE, 2009/31/CE, 2009/73/CE, 2010/31/UE, 2012/27/UE et 2013/30/UE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/CE et (UE) 2015/652 du Conseil et abrogeant le règlement (UE) n° 525/2013 du Parlement européen et du Conseil ».
Le PACE fait état, comme la stratégie wallonne, de mesures de décarbonation « en vue de tendre en 2050 vers le label PEB A » (PACE, p. 83). Plus spécifiquement, le PACE indique :
« Dès lors, pour les biens mis en location pour la première fois par leur propriétaire (estimation : de l’ordre de 3 000/an tous les labels confondus) :
- à partir du 01/01/2025, ils devront au minimum être de label F;
- à partir du 01/01/2028, ils devront au minimum être de label E;
- à partir du 01/01/2031 ils devront au minimum être de label D;
- à partir du 01/01/2034 ils devront au minimum être de label C.
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Pour les biens qui sont déjà en location, et en cas de changement de locataire; (estimation de l’ordre de 39 000/an tous labels confondus) :
- à partir du 01/01/2027, le niveau minimum F sera exigé;
- à partir du 01/01/2030, le niveau minimum E sera exigé;
- à partir du 01/01/2033, le niveau minimum D sera exigé;
- à partir du 01/01/2036, le niveau minimum C sera exigé » (PACE, pp. 85-86).
B.56. Pareils plan et stratégie n’ont pas pu susciter auprès des parties requérantes l’attente légitime selon laquelle aucune mesure ne serait prise à court terme afin d’inciter les bailleurs de logements énergivores à procéder à des travaux d’économie d’énergie. Bien que la stratégie wallonne ait été intégrée au titre 2/1 du décret du 28 novembre 2013, il s’agit d’un document essentiellement prospectif, annonçant uniquement une série de mesures complémentaires en matière d’énergie et de climat que le Gouvernement wallon a l’intention de prendre. Il en va de même du PACE. Il appartient au Gouvernement wallon et, le cas échéant, au législateur décrétal de formaliser ou non ces mesures dans la réglementation et d’en déterminer les modalités et le calendrier. Par conséquent, les parties requérantes ne peuvent puiser de droits dans les documents précités. Par ailleurs, le décret du 19 octobre 2022 diffère des mesures prospectives mentionnées en B.55.1 et B.55.2, qui sont sans rapport avec la possibilité d’indexation des loyers.
B.57. Pour le surplus, le législateur décrétal a pu estimer qu’eu égard notamment aux objectifs formulés dans la stratégie wallonne et dans le PACE, il était nécessaire d’inciter dès à présent, en particulier, les propriétaires-bailleurs à effectuer des travaux pour améliorer les performances énergétiques.
B.58. Le troisième moyen, en sa troisième branche, n’est pas fondé.
En ce qui concerne le quatrième moyen
B.59. Le quatrième moyen est pris de la violation de l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : le Premier Protocole additionnel). Les parties requérantes
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allèguent que les dispositions attaquées constituent une ingérence dans le droit au respect des biens des bailleurs d’une habitation sans certificat de performance énergétique ou disposant d’un certificat de performance énergétique labellisé D, E, F ou G. Selon les parties requérantes, cette ingérence n’est pas justifiée par une exigence d’intérêt général.
B.60.1. L’article 16 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
L’article 1er du Premier Protocole additionnel dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
B.60.2. L’article 1er du Premier Protocole additionnel ayant une portée analogue à celle de l’article 16 de la Constitution, les garanties qu’il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle des dispositions attaquées.
B.60.3. L’article 1er du Protocole précité offre une protection non seulement contre l’expropriation ou la privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase), mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et contre toute réglementation de l’usage des biens (second alinéa).
B.60.4. Toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il faut qu’existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.
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B.61.1. Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.4, le législateur décrétal vise, par la législation attaquée, à protéger les locataires de logements peu économes en énergie. Les travaux préparatoires se réfèrent à l’inflation élevée et à l’augmentation des prix de l’énergie, qui se sont manifestées après les premières vagues de la pandémie de COVID-19
et depuis la guerre en Ukraine.
À cet égard, le législateur décrétal a pu estimer que le préjudice subi par les bailleurs du fait de la limitation de la possibilité d’indexer les loyers ne l’emporte pas sur le bénéfice pour les locataires. Selon les travaux préparatoires précités, de manière générale, les locataires se trouvent dans une situation financière plus précaire que les bailleurs et l’augmentation de l’inflation et des prix de l’énergie a particulièrement des conséquences sérieuses pour les locataires : non seulement l’inflation élevée aboutit-elle à une augmentation considérable des loyers indexés, mais l’augmentation des prix de l’énergie implique de surcroît des coûts énergétiques plus élevés pour les locataires, en particulier pour les locataires d’une habitation énergivore. Ainsi, selon le législateur décrétal, il s’agissait de réagir à « l’inflation anormale des prix des produits énergétiques » qui a « pour conséquence de faire payer deux fois la hausse des coûts de l’énergie aux ménages locataires de leur logement par le biais de la hausse de la facture ou de charges énergétiques et par le biais de la hausse des loyers indexés », ce qui peut mettre « en péril les ménages et leur capacité à assumer le paiement du loyer » (Doc. parl., Parlement wallon, 2022-2023, n° 1085/1, p. 3). Les parties requérantes ne démontrent pas que cette appréciation du législateur décrétal serait déraisonnable.
B.61.2. Le législateur décrétal souhaitait en outre inciter les propriétaires à améliorer les performances énergétiques des logements de location. À la lumière notamment des objectifs climatiques poursuivis par la Région wallonne, tels qu’ils sont contenus entre autres dans la stratégie wallonne et dans le PACE, la nécessité d’assurer l’efficacité énergétique du patrimoine de logements peut, pour cette raison, justifier que le législateur décrétal demande des efforts spécifiques aux bailleurs d’habitations peu économes en énergie.
B.62. Par conséquent, les dispositions attaquées ménagent un juste équilibre entre les exigences poursuivies de l’intérêt général et celles de la protection du droit au respect des biens des bailleurs concernés.
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Le quatrième moyen n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 20 juin 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 64/2024
Date de la décision : 20/06/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-06-20;64.2024 ?

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