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20/06/2024 | BELGIQUE | N°65/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 20 juin 2024, 65/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 65/2024
du 20 juin 2024
Numéros du rôle : 7990, 8019 et 8041
En cause : les recours en annulation partielle de la loi du 19 décembre 2022 « portant l’octroi d’une deuxième prime fédérale d’électricité et de gaz », introduits par Anne Thirion, par Guy van Hoye et par l’ASBL « OKRA, trefpunt 55+ » et autres, et en annulation des articles 36 à 40 et 58, § 1er, de la loi du 30 octobre 2022 « portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie », introduit par Anne Thirion.
La Cour constitutionnel

le,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Yasmine Kherbache, ...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 65/2024
du 20 juin 2024
Numéros du rôle : 7990, 8019 et 8041
En cause : les recours en annulation partielle de la loi du 19 décembre 2022 « portant l’octroi d’une deuxième prime fédérale d’électricité et de gaz », introduits par Anne Thirion, par Guy van Hoye et par l’ASBL « OKRA, trefpunt 55+ » et autres, et en annulation des articles 36 à 40 et 58, § 1er, de la loi du 30 octobre 2022 « portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie », introduit par Anne Thirion.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Yasmine Kherbache, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 3 mai 2023 et parvenue au greffe le 4 mai 2023, Anne Thirion a introduit un recours en annulation des articles 4 à 6 et 25, § 1er, de la loi du 19 décembre 2022 « portant l’octroi d’une deuxième prime fédérale d’électricité et de gaz » et des articles 36 à 40 et 58, § 1er, de la loi du 30 octobre 2022 « portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie » (publiées respectivement au Moniteur belge du 23 décembre 2022 et du 3 novembre 2022).
b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 12 juin 2023 et parvenue au greffe le 14 juin 2023, Guy van Hoye a introduit un recours en annulation totale ou partielle des articles 3 à 16 de la même loi du 19 décembre 2022.
c. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 22 juin 2023 et parvenue au greffe le 23 juin 2023, un recours en annulation des articles 4, 6, § 3, 11 et 13, § 3, de la même loi du 19 décembre 2022 a été introduit par l’ASBL « OKRA, trefpunt 55+ »,
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Delphine Van Dijck, Jerome Beck et Alfons Verwee, assistés et représentés par Me Mieke Van Den Broeck et Me Pauline Delgrange, avocates au barreau de Bruxelles.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7990, 8019 et 8041 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Valérie De Schepper et Me Jean-François De Bock, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit des mémoires (dans toutes les affaires), les parties requérantes dans les affaires nos 8019 et 8041 ont introduit des mémoires en réponse et le Conseil des ministres a également introduit des mémoires en réplique (dans les affaires nos 8019 et 8041).
Par ordonnance du 24 avril 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Magali Plovie et Willem Verrijdt, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et les affaires seraient mises en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
En ce qui concerne les affaires nos 7990 et 8019
A.1. Les parties requérantes dans les affaires nos 7990 et 8019 sont des clients résidentiels qui se chauffent exclusivement à l’électricité.
Les parties requérantes critiquent le fait qu’en vertu des lois attaquées, à savoir, dans l’affaire n° 7990, la loi du 30 octobre 2022 « portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie » (ci-après : la loi du 30 octobre 2022) et la loi du 19 décembre 2022 « portant l’octroi d’une deuxième prime fédérale d’électricité et de gaz » (ci-après : la loi du 19 décembre 2022) et, dans l’affaire n° 8019, la loi du 19 décembre 2022, elles sont exclues de la prime fédérale de gaz, sans avoir droit à une prime équivalente pour leurs besoins énergétiques relatifs au chauffage.
La partie requérante dans l’affaire n° 8019 estime qu’en cas d’annulation des articles 3 à 16 de la loi du 19 décembre 2022, il existe une chance raisonnable qu’elle reçoive une prime pour son chauffage électrique.
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A.2.1. Le Conseil des ministres considère que le recours dans l’affaire n° 7990 n’est pas recevable, dès lors que les dispositions attaquées ne sont pas susceptibles d’affecter directement et défavorablement les intérêts de la partie requérante et que celle-ci ne pourrait pas obtenir une nouvelle chance de voir sa situation réglée plus favorablement à la suite d’une annulation.
Selon le Conseil des ministres, la partie requérante dans l’affaire n° 7990 ne justifie pas d’un intérêt à attaquer les dispositions relatives à la prime fédérale d’électricité. En cas d’annulation de celles-ci, la partie requérante ne recevrait pas non plus cette prime. Elle ne peut prétendre avoir intérêt à l’annulation de ces dispositions au seul motif qu’elle n’aurait pas droit à une autre prime. Cette partie requérante ne justifie pas non plus d’un intérêt à l’annulation des dispositions relatives à la cotisation spéciale énergie, ni à l’annulation des dispositions relatives aux clients résidentiels qui partagent le même point de raccordement EAN. Elle n’explique pas davantage pourquoi son recours est dirigé uniquement contre une partie des dispositions relatives à la prime fédérale d’électricité et contre une partie des dispositions relatives à la cotisation spéciale énergie, et non contre l’ensemble des dispositions relatives à ces deux régimes.
A.2.2. Le Conseil des ministres estime que la partie requérante dans l’affaire n° 8019 justifie d’un intérêt purement hypothétique en ce qu’elle postule qu’une annulation des dispositions attaquées de la loi du 19 décembre 2022 pourrait amener le législateur à adopter une prime pour les ménages qui se chauffent à l’électricité.
Le Conseil des ministres observe par ailleurs qu’en vertu de loi du 30 octobre 2022 et de la loi du 19 décembre 2022, cette partie requérante a droit au moins, en principe, aux primes fédérales d’électricité d’un montant de 122
et de 183 euros et qu’en vertu de la loi du 28 février 2022 « portant des dispositions diverses en matière d’énergie », elle a en principe droit à une prime de chauffage de 100 euros ainsi qu’à une réduction temporaire de la TVA sur l’électricité.
Il soutient que la partie requérante dans l’affaire n° 8019 ne répond pas à l’exception d’irrecevabilité qu’il soulève.
En ce qui concerne l’affaire n° 8041
A.3. La première partie requérante dans l’affaire n° 8041, à savoir l’ASBL « OKRA, trefpunt 55+ », fait valoir que, conformément à ses statuts, elle défend les intérêts des personnes âgées de plus de 55 ans. Elle justifierait ainsi d’un intérêt à attaquer l’exclusion des résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice des primes d’électricité et de gaz qui ont été instaurées par les dispositions attaquées de la loi du 19 décembre 2022.
Les deuxième et troisième parties requérantes dans l’affaire n° 8041, à savoir Delphine Van Dijck et Jerome Eduard Beck, vivent toutes deux dans un centre de soins résidentiel et n’ont donc pas droit aux primes d’électricité et de gaz. La quatrième partie requérante dans cette même affaire, Alfons Verwee, habite dans un logement à assistance lié à un centre de soins résidentiel et n’a pas de contrats d’énergie à son nom, de sorte qu’elle n’a pas droit aux primes d’électricité et de gaz. Ces parties seraient ainsi toutes affectées personnellement et directement par les dispositions attaquées.
A.4. Le Conseil des ministres estime que l’intérêt d’Alfons Verwee n’est pas établi, dès lors que celui-ci ne démontre pas qu’il se fournit en gaz et en électricité pour son logement à assistance via un centre de soins résidentiel. En ce qui concerne l’intérêt des autres parties requérantes dans l’affaire n° 8041, le Conseil des ministres s’en remet à la sagesse de la Cour. Il estime également que le recours n’est pas recevable en ce qu’il est dirigé contre les articles 6, § 3, et 13, § 3, de la loi du 19 décembre 2022, puisqu’en cas d’annulation des articles 4
et 11 de la même loi, plus personne ne bénéficierait de la prime d’électricité et de gaz et que l’annulation des articles 6, § 3, et 13, § 3, ne changerait rien à cet égard.
A.5. Les parties requérantes dans l’affaire n° 8041 répondent qu’il ressort de la convention d’occupation pour les logements à assistance « Groote Broel » à Courtrai que les résidents des logements à assistance sont obligés de se fournir en gaz, en eau et en électricité auprès de l’association sans but lucratif concernée. Elles remettent à la Cour des pièces qui démontrent ce qu’elles affirment et estiment que l’intérêt d’Alfons Verwee est ainsi suffisamment démontré. En ce qui concerne les articles 6, § 3, et 13, § 3, de la loi du 19 décembre 2022, elles répondent que ces dispositions sont indissociablement liées aux articles 4 et 11 de la même loi, dès lors qu’en cas d’annulation de ces seules dernières dispositions, les personnes résidant dans une forme d’habitat collectif n’auraient toujours pas droit au forfait de base électricité à défaut d’avoir introduit une demande via le mécanisme prévu par les articles 6, § 3, et 13, § 3.
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Quant au fond
En ce qui concerne les affaires nos 7990 et 8019
A.6.1. Par son premier moyen, la partie requérante dans l’affaire n° 7990 invoque une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
A.6.2. En sa première branche, le premier moyen dans l’affaire n° 7990 est dirigé contre les articles 36 à 40
de la loi du 30 octobre 2022 et les articles 4 à 6 de la loi du 19 décembre 2022.
Ces dispositions font naître une différence de traitement non raisonnablement justifiée entre les clients résidentiels, selon qu’ils disposent d’un contrat de fourniture d’électricité et de gaz ou uniquement d’un contrat de fourniture d’électricité. Ces deux catégories de personnes sont comparables. La différence de traitement entre elles n’est pas adéquate au regard de l’objectif de soutenir les ménages face à la crise énergétique. En effet, les clients résidentiels qui disposent uniquement d’un contrat de fourniture d’électricité ne peuvent bénéficier que de la plus faible des deux primes prévues par les dispositions attaquées, sans pouvoir bénéficier de l’aide financière organisée par la loi du 26 juin 2022 « visant à octroyer une allocation pour l’acquisition de gasoil ou de propane en vrac destinés au chauffage d’une habitation privée » (ci-après : la loi du 26 juin 2022) ni de celle prévue par les articles 3
à 16 de la loi-programme du 26 décembre 2022. Ces clients résidentiels, qui représentent 7 % des ménages, sont privés de 70 % des aides publiques de soutien global aux ménages.
Des mesures alternatives à la mesure attaquée existent. Il serait en effet possible d’octroyer une prime aux ménages qui se chauffent exclusivement à l’électricité, de mettre en place un système de prime souple prenant en compte les dépenses concrètes des ménages jusqu’à un certain plafond, d’instaurer une prime fixe accompagnée d’un complément fixe en cas de chauffage à l’électricité, ou encore, d’augmenter la prime d’électricité via une modification de la consommation totale prise en compte.
La différence de traitement est disproportionnée en ce que les justifications sur lesquelles elle repose sont erronées et imprécises. D’une part, la crise énergétique ayant débuté en 2021, l’autorité fédérale avait disposé à la fin de l’année 2022 de suffisamment de temps pour évaluer l’impact de celle-ci et pour planifier une mesure non discriminatoire de soutien aux ménages. D’autre part, la charge de travail qu’entraînerait la prise en compte de la consommation concrète des ménages ou des sources d’énergie qu’ils utilisent n’est ni évaluée ni démontrée.
A.6.3. En ses deuxième et troisième branches, le premier moyen dans l’affaire n° 7990 est dirigé contre l’article 36 de la loi du 30 octobre 2022 et l’article 4 de la loi du 19 décembre 2022.
A.7. Par son second moyen, la partie requérante dans l’affaire n° 7990 invoque la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par l’article 58, § 1er, de la loi du 30 octobre 2022 et par l’article 25, § 1er, de la loi du 19 décembre 2022.
A.8. La partie requérante dans l’affaire n° 8019 prend un moyen unique de la violation des articles 10 et 11
de la Constitution par les articles 3 à 16 de la loi du 19 décembre 2022, en ce qu’ils traitent différemment les ménages qui se chauffent au gasoil, au propane ou au gaz et les ménages qui se chauffent à l’électricité (en particulier ceux qui se chauffent au moyen d’accumulateurs électriques, d’un chauffage au sol électrique ou de tout autre appareil électrique).
Cette partie requérante développe une argumentation analogue à l’argumentation développée dans la première branche du premier moyen soulevé dans l’affaire n° 7990. Ce n’est pas la source d’énergie mais l’augmentation du coût de l’énergie qui est pertinente pour déterminer qui a droit à un soutien de l’autorité et dans quelle mesure.
A.9. En ce qui concerne le premier moyen dans l’affaire n° 7990, en sa première branche, le Conseil des ministres conteste que les clients résidentiels qui disposent d’un contrat de fourniture d’électricité et de gaz et les clients résidentiels qui disposent uniquement d’un contrat de fourniture d’électricité soient comparables.
Premièrement, ces deux catégories de clients résidentiels ne sont pas comparables au regard de l’objectif poursuivi
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par le législateur d’accorder une prime non liée à la consommation pour chaque type de source d’énergie.
Deuxièmement, l’impact des primes sur les ménages résulte non pas des dispositions attaquées mais de la situation factuelle des ménages. Les primes ont été instaurées selon une approche égalitaire. Le ménage qui chauffe son logement et son eau à l’électricité a droit à la prime fédérale d’électricité au même titre que celui qui chauffe son logement et son eau au gaz. Troisièmement, le législateur a prévu d’autres primes pour faire face à la hausse des factures d’énergie, à côté des primes fédérales par source d’énergie. Il résulte de l’ensemble de ces mesures d’aide que les deux catégories de clients résidentiels ne sont pas traitées différemment.
À titre subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que les dispositions attaquées visent à tempérer la hausse des factures d’énergie et non à compenser intégralement cette hausse, pour le groupe de personnes le plus large possible. Ce but est légitime.
Le critère de la source d’énergie concernée est objectif et pertinent.
Les primes d’électricité attaquées sont en outre adéquates au regard des objectifs poursuivis par le législateur.
Le fait que les clients résidentiels disposant uniquement d’un contrat de fourniture d’électricité n’aient pas reçu les premières aides financières organisées par la loi du 26 juin 2022 et qu’ils ne reçoivent pas la prime fédérale de gaz n’y change rien. Le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation en matière d’énergie. Il peut appréhender la diversité des situations de manière simplifiée. L’existence de mesures alternatives aux mesures attaquées est hors sujet. La partie requérante ne démontre pas que les dispositions attaquées reposent sur une erreur manifeste d’appréciation, ni qu’elles sont dépourvues d’une justification raisonnable.
Ces primes d’électricité sont nécessaires pour réduire l’impact de la crise sur la facture énergétique. Compte tenu des autres mesures fédérales adoptées en manière d’énergie, il est inexact qu’une personne puisse être privée de toute intervention fédérale dans les dépenses de chauffage et que les clients résidentiels ne puissent bénéficier que d’une seule prime.
Le choix de ne pas prendre en compte l’importance du coût et de la consommation concrets de l’énergie est proportionné à l’objectif poursuivi. Il est inexact que le législateur eût dû préciser la complexité et la charge administrative que les mesures alternatives invoquées par la partie requérante auraient impliquées. La partie requérante dans l’affaire n° 7990 se méprend quant à la portée de la crise et quant au temps nécessaire à la mise en place de telles mesures. En outre, il n’est pas déraisonnable que le législateur reprenne un mécanisme qu’il a déjà utilisé. Une prime variable compliquerait considérablement la mise en œuvre et le contrôle de la mesure, ce qui serait contraire à l’objectif de tempérer le plus rapidement possible l’impact de la crise énergétique. Une prime variable impliquerait par ailleurs de tenir compte des primes et allocations déjà existantes pour les autres sources d’énergie. L’évaluation des effets des primes attaquées ne peut être que globale. À cet égard, les ménages se chauffant à l’électricité bénéficient de la baisse de TVA à 6 % décidée dans le cadre de la crise énergétique. Les mesures fédérales font l’objet d’un suivi et seront ajustées si nécessaire. Elles tiennent compte des mesures régionales qui contribuent à atténuer l’impact de la crise énergétique, telles que les subventions régionales accordées pour l’installation de pompes à chaleur. Enfin, la section de législation du Conseil d’État a reconnu dans son avis n° 72.459/3 du 14 novembre 2022 que les différences de traitement nées des dispositions attaquées ne sont pas discriminatoires.
A.10. En ce qui concerne l’affaire n° 8019, le Conseil des ministres précise que, dès lors que la prime fédérale d’électricité n’est pas liée à la consommation ou aux besoins concrets des ménages, il n’est pas pertinent de savoir si elle porte sur les coûts de chauffage ou non.
A.11. La partie requérante dans l’affaire n° 8019 précise que le fait que la prime fédérale d’électricité ne tienne pas compte de la consommation réelle de chaque ménage ne veut pas dire que le législateur, pour déterminer le montant de la prime, n’a pas tenu compte d’une consommation déterminée « normalisée » par source d’énergie d’un ménage-type vivant dans une habitation-type. Autrement, il faudrait se demander si le montant des différentes primes n’a pas été fixé arbitrairement, ce qui ne serait pas admissible dans un État de droit.
Selon cette partie requérante, on peut considérer qu’un client-type se chauffant au gaz consomme 17 000 kWh de gaz naturel, dont 15 000 kWh pour le chauffage de locaux et 2 000 kWh pour le chauffage de l’eau sanitaire, tandis que les ménages avec un raccordement à l’électricité exclusif tarif de nuit consomment 12 500 kWh pour le chauffage de locaux et de l’eau sanitaire. Ces chiffres tiennent compte de l’efficacité respective de chacune des sources d’énergie.
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Selon cette partie requérante, dès lors que le législateur n’a pas voulu tenir compte des différentes situations factuelles des ménages en ce qui concerne les efforts entrepris pour diminuer leur consommation d’énergie, il ne peut pas non plus en être tenu compte pour conclure que les ménages ne se trouvent pas dans des situations suffisamment comparables.
La partie requérante dans l’affaire n° 8019 précise que ses critiques sont fondées sur les chiffres fournis par le ministre de l’Économie, l’autorité flamande, la CREG et la VREG. Ensuite, les différences qui existent quant au prix de l’énergie dans les différentes régions ne sont pas de nature à invalider sa thèse selon laquelle le gaz coûterait près du double du mazout et du propane et l’électricité coûterait plus du double du gaz. Enfin, si le législateur avait voulu tenir compte des subventions régionales pour les pompes à chaleur, il aurait dû exclure les ménages qui ont bénéficié de la prime pour le chauffage électrique.
A.12. Le Conseil des ministres conteste les chiffres relatifs à la consommation avancés par la partie requérante dans l’affaire n° 8019, ainsi que l’idée selon laquelle il existerait un besoin énergétique totalement comparable entre les différents ménages. Il conteste aussi les données relatives aux prix utilisées par la partie requérante, laquelle ne cite pas ses sources et ne tient pas compte des fluctuations concrètes des prix pendant l’année concernée.
En ce qui concerne l’affaire n° 8041
A.13. Les parties requérantes invoquent la violation, par les articles 4, 6, § 3, 11 et 13, § 3, de la loi du 19 décembre 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et avec les articles 4, 5, 12, 19 et 28 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
A.14.1. En sa première branche, le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
Les dispositions attaquées font naître une différence de traitement entre les personnes qui sont titulaires d’un contrat d’énergie résidentiel et celles qui ne disposent pas d’un tel contrat, en ce que les personnes relevant de la première catégorie bénéficient d’une prime d’électricité de 183 euros et d’une prime de gaz de 405 euros, contrairement aux personnes relevant de la seconde catégorie, qui ne bénéficient pas de ces primes. Ces dispositions font également naître une différence de traitement entre les personnes qui résident dans une forme d’habitat collectif ‒ souvent une maison de repos et de soins, un logement à assistance ou un centre de soins résidentiel ‒ et les autres personnes.
La distinction entre les deux catégories est certes objective : les personnes relevant de la première catégorie ont conclu un contrat avec un fournisseur d’énergie, contrairement aux personnes relevant de la seconde catégorie, qui ne sont pas titulaires d’un tel contrat. Ce critère est toutefois étranger à l’objectif poursuivi par les dispositions attaquées, à savoir accorder un soutien financier à un maximum de citoyens face à l’augmentation du coût de l’énergie. Les deux catégories se trouvent dans des situations comparables au regard de cet objectif : toutes deux souffrent de l’augmentation des prix, ce que le législateur lui-même concède également. Il peut être objectivement constaté que le tarif journalier, à savoir le tarif que paie le résident d’un centre de soins résidentiel, a augmenté au cours des derniers mois sous l’effet de la hausse des prix de l’énergie. Le tarif journalier comprend en effet le coût du logement, dont les frais énergétiques font partie. La hausse du coût de l’énergie est donc répercutée sur les résidents. Par ailleurs, lier les prix à l’indice des prix à la consommation, c’est également les lier au prix de l’énergie. En Flandre, il a été décidé, par la voie d’une circulaire, qu’à partir du 1er mars 2022, le tarif journalier pourrait, compte tenu de l’augmentation du coût de la vie et en particulier des factures d’énergie, être revu à la hausse deux fois par an, contre seulement une fois auparavant. Entre le 1er mars 2022 et le 28 avril 2022, l’indexation moyenne pour les 367 établissements qui ont introduit un dossier d’indexation s’est élevée à 6,77 %, ce qui représente une augmentation tarifaire moyenne de 124 euros par mois pour ces établissements. Depuis lors, les augmentations se succèdent. Au cours de l’année 2022, le tarif mensuel moyen d’une chambre individuelle standard a augmenté de 197,50 euros, soit une hausse moyenne de 10,4 %. Les résidents du groupe Orpea Belgique, l’un des plus grands exploitants privés de centres de soins résidentiels en Wallonie et à Bruxelles, ont eux aussi vu les tarifs grimper de 8,04 %, soit une hausse de 150 euros par mois. Par conséquent, l’affirmation selon laquelle les résidents de formes d’habitat collectif sont moins confrontés à la hausse des prix est inexacte.
Le fait que les coûts de l’énergie ne soient pas répercutés de manière directe, mais par le biais du tarif journalier, n’est pas pertinent. Puisque l’augmentation des coûts de l’énergie peut être et sera répercutée dans le tarif
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journalier, il s’agit tout au plus d’une répercussion ralentie, mais pas réduite. Le risque de pauvreté auquel sont exposés les résidents des centres de soins était déjà très élevé avant l’envolée des prix. Il est dès lors d’autant plus problématique que ce groupe de personnes soit exclu du bénéfice d’une mesure qui vise à atténuer les effets de l’augmentation des factures d’énergie.
Le fait qu’il serait plus fastidieux d’accorder la prime aux personnes ne disposant pas d’un contrat d’énergie résidentiel ne saurait être considéré comme justifiant raisonnablement cette différence de traitement. La loi prévoit un mécanisme pour les personnes qui ne reçoivent pas la prime par l’intermédiaire de leur fournisseur d’énergie.
Il est donc parfaitement possible de prévoir un mécanisme distinct pour les personnes qui ne disposent pas d’un contrat d’énergie résidentiel. L’exclusion d’une catégorie de personnes aux fins de faciliter le travail de l’administration n’est pas raisonnable.
Ensuite, il ne saurait être allégué que l’octroi des primes est une compétence communautaire dès lors que ces primes doivent être versées aux résidents des maisons de repos. Comme l’a également souligné la section de législation du Conseil d’État, l’octroi d’une telle prime à tous, y compris aux résidents de formes d’habitat collectif, constitue effectivement une compétence fédérale.
Enfin, il ne saurait être allégué que les centres de soins résidentiels auraient moins de frais d’énergie par tête que les ménages ordinaires. En effet, le législateur a expressément choisi de verser les primes à tout le monde, que le bénéficiaire soit affecté ou non par la hausse des prix de l’énergie. Par ailleurs, on pourrait remettre en cause la véracité de l’affirmation selon laquelle les centres de soins résidentiels auraient des frais d’énergie moins élevés.
Vu la vulnérabilité et la sensibilité des résidents, la température des chambres doit en effet être d’au moins 22 °C
et celles-ci doivent être correctement ventilées. Il peut en outre difficilement être argué que les différences tarifaires relatives à l’énergie entre les particuliers et les centres de soins résidentiels, qui sont inexistantes dans certains cas, voire inversées (tarif plus avantageux pour le consommateur résidentiel que pour le consommateur professionnel), justifient raisonnablement l’exclusion des résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice des primes. Le fait que des taux d’accises différents s’appliquent aux clients professionnels et aux clients particuliers ne permet pas de juger que les prix de l’énergie augmenteraient moins pour les résidents de centres de soins résidentiels. En outre, les montants d’accises que les clients professionnels doivent payer en moins ne sont pas proportionnés aux primes payées, qui sont du reste accordées quel que soit le coût réel que le client paie par unité d’énergie. Selon les parties requérantes, la norme énergétique ne saurait être considérée comme un facteur modérateur distinct, dès lors que cette norme porte également sur le taux d’accises plus faible applicable aux clients professionnels. Elles estiment enfin que les communautés n’ont pas limité la mesure dans laquelle les établissements de soins peuvent répercuter les coûts de l’énergie sur leurs résidents.
Puisque la différence de traitement repose ainsi sur des arguments sans lien avec l’objectif poursuivi par l’octroi des primes, cette différence n’est pas raisonnablement justifiée. Les parties requérantes observent de surcroît que les habitants des centres de soins résidentiels et des maisons de repos et de soins sont également exclus du tarif social, et qu’à l’origine, ils l’étaient aussi de la baisse de la TVA sur l’électricité. Il n’y a dès lors aucune proportionnalité entre la mesure attaquée et l’objectif poursuivi par le législateur.
A.14.2. En sa deuxième branche, le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. En excluant les résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice des primes, l’on exclut un groupe de population qui est essentiellement composé de personnes d’un âge avancé. Le critère, apparemment neutre, qui est de disposer d’un contrat d’énergie résidentiel entraîne donc une discrimination indirecte fondée sur l’âge. Ainsi que cela a déjà été démontré dans le cadre de la première branche du moyen unique, cette différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée. Par conséquent, dès lors que les primes visent à protéger le niveau de vie, il est porté atteinte aux articles 2 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en vertu duquel le droit à un niveau de vie suffisant doit être garanti sans discrimination.
A.14.3. En sa troisième branche, le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 4, 5, 12, 19 et 28 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
Dès lors que les personnes qui vivent dans un centre de soins résidentiel ont une autonomie à ce point réduite qu’elles ne sont plus capables de vivre seules, elles relèvent en principe de la définition de « personne handicapée »
énoncée à l’article 1er, deuxième alinéa, de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Les personnes qui vivent dans des formes d’habitat collectif et qui sont exclues du bénéfice des primes d’énergie sont
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principalement des personnes résidant dans des maisons de repos et des centres de soins résidentiels qui, en raison de leur autonomie réduite, ne sont pas ou plus capables de vivre seules. Aussi s’agit-il d’une discrimination indirecte fondée sur le handicap, qui n’est pas raisonnablement justifiée. Il est par conséquent porté atteinte à l’article 5 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, en vertu duquel les États parties à la Convention reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi. Le législateur viole ainsi également les obligations générales qui incombent à la Belgique en vertu de l’article 4 de cette Convention. De plus, les dispositions attaquées sont contraires à l’article 12, paragraphe 5, de ladite Convention, qui dispose que les personnes handicapées ont le droit, sur la base de l’égalité avec les autres, de posséder des biens, ainsi qu’à l’article 19 de la même Convention, qui dispose que les services et équipements sociaux destinés à la population générale doivent être mis à la disposition des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres. Dès lors que la discrimination alléguée fondée sur le handicap affecte la qualité de vie des personnes âgées nécessitant plus de soins, il est également porté atteinte à l’article 28 de la Convention précitée.
A.15.1. En ce qui concerne la première branche du moyen, le Conseil des ministres estime que les catégories de personnes visées dans cette branche ne sont pas suffisamment comparables, de sorte que la différence de traitement ne saurait conduire à une violation du principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination. Les résidents des centres de soins collectifs peuvent eux aussi être confrontés à des prix de l’énergie plus élevés, mais pas de la même façon que les clients résidentiels qui disposent d’un contrat d’énergie résidentiel pour leur domicile.
En effet, les résidents des centres de soins ne sont, en règle, confrontés à la hausse des prix de l’énergie qu’après avoir bénéficié de l’influence combinée et atténuante des tarifs plus avantageux des contrats énergétiques non résidentiels dont bénéficient les centres de soins, de la norme énergétique qui permet aux centres de soins de bénéficier d’une réduction sur leur facture d’énergie et de la donnée selon laquelle les centres de soins ne peuvent répercuter les frais d’électricité et de gaz sur leurs résidents que par le tarif journalier et dans la mesure où la réglementation prévue par les communautés les y autorise. La norme énergétique garantit que les augmentations de prix dues aux taxes fédérales ne sont plus automatiquement répercutées sur la facture. Elles sont remplacées par des droits d’accises. Étant donné que les résidents des maisons de repos prélèvent leur électricité par le biais d’un raccordement unique et via un contrat professionnel, la consommation se situe dans une tranche supérieure, ce qui permet aux centres de soins résidentiels de bénéficier de la dégressivité des taux d’accises. Les hôpitaux et les centres de soins résidentiels bénéficient de ce fait d’une réduction sur la facture par rapport aux années précédentes, qui est nettement plus élevée que pour les clients résidentiels. Par ailleurs, l’augmentation du tarif journalier des centres de soins résidentiels est la conséquence de plusieurs facteurs, tels que l’indexation des salaires des travailleurs des centres de soins.
A.15.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres affirme que les mesures attaquées poursuivent un objectif légitime, qui consiste à atténuer en urgence l’impact de la crise énergétique sur la facture d’énergie en prévoyant un forfait de base énergie à prix réduit pour les ménages. C’est à la lumière de cet objectif qu’a été élaborée une réglementation qui, en ce qui concerne l’octroi des primes, se fonde en principe sur le critère qui consiste à disposer d’un contrat de fourniture d’électricité et de gaz pour son propre domicile.
Il s’agit d’un critère objectif et pertinent. Ce critère permet d’atteindre le groupe cible le plus largement possible, dans le cadre de la compétence fédérale en matière de prix de l’énergie. En effet, en règle générale, les ménages achètent de l’électricité et du gaz par le biais d’un point d’accès au réseau de distribution concerné, identifiable au moyen d’un code EAN, par unité d’habitation, même lorsqu’un même bâtiment compte plusieurs unités. En raison de l’interdiction des réseaux privés de distribution, il est en principe exclu que plusieurs unités d’habitation se fournissent en électricité ou en gaz par le biais d’un point de raccordement collectif. Le critère choisi contribue également à permettre le versement des primes dans les meilleurs délais et moyennant des efforts raisonnables. Pour l’octroi de ces primes, il est en effet possible de s’appuyer dans une large mesure sur les flux de données et l’automatisation mis en place dans le cadre de l’octroi du tarif social pour l’électricité et le gaz.
Enfin, il n’est pas disproportionné d’exclure les résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice des primes en appliquant le critère qui consiste à disposer d’un contrat de fourniture d’énergie pour son propre domicile. En effet, les personnes qui ne disposent pas d’un tel contrat d’énergie pour leur domicile, et en particulier les résidents des centres de soins résidentiels, seront en général confrontées à tout le moins dans une moindre mesure ou moins directement à la hausse des prix de l’énergie. Le Conseil des ministres souligne à cet égard que l’octroi des primes aux résidents individuels des centres de soins résidentiels flamands signifierait que ces primes fédérales sont octroyées en tout état de cause, alors que seule la Communauté flamande peut décider si, et dans quelle mesure, ces résidents sont réellement confrontés à la hausse des coûts de l’énergie par le biais du tarif journalier. Le Conseil des ministres souligne que la justification de la différence de traitement n’est nullement imputable à une incompétence de l’autorité fédérale et que le législateur fédéral a voulu se montrer loyal par rapport aux règles que les communautés ont développées en ce qui concerne la mesure dans laquelle les
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établissements de soins peuvent répercuter leurs coûts d’énergie sur leurs résidents. Ensuite, il y a lieu de tenir compte du fait que le législateur entendait octroyer les primes le plus rapidement possible, en tenant compte des efforts que cela implique pour l’administration. Les idées relatives à un éventuel affinement des critères d’octroi semblent aller à l’encontre de l’objectif qui consiste à octroyer les primes de manière simple et rapide. Enfin, le Conseil des ministres souligne que la réglementation relative aux primes peut évoluer et peut s’analyser dans le cadre d’un ensemble plus large de mesures déjà prises et à prendre par le législateur. Si la situation l’exige et que les possibilités se présentent, le législateur ne manquera pas d’apporter un soutien supplémentaire.
Le Conseil des ministres conclut que les dispositions attaquées ne violent pas le principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination.
A.15.3. En ce qui concerne le moyen unique, en sa deuxième branche, le Conseil des ministres soutient qu’il n’est nullement question d’une discrimination indirecte fondée sur l’âge. La mesure attaquée n’a en effet pas pour conséquence de préjudicier en particulier les personnes âgées par rapport à d’autres personnes, puisque toutes les personnes âgées qui sont des clients résidentiels par le biais d’un contrat d’énergie pour leur domicile peuvent en principe bénéficier des primes.
Il s’avère en tout cas que la différence de traitement est justifiée par des facteurs objectifs qui sont sans rapport avec une quelconque discrimination fondée sur l’âge. Le Conseil des ministres se réfère à cet égard à son exposé relatif à la première branche du moyen unique.
A.15.4. En ce qui concerne le moyen unique, en sa troisième branche, le Conseil des ministres fait valoir que les parties requérantes ne justifient pas d’un intérêt à cette branche.
Quant au fond, le Conseil des ministres soutient qu’il n’est pas question d’une discrimination indirecte des personnes handicapées. La mesure attaquée n’a en effet pas pour conséquence de préjudicier en particulier les personnes handicapées par rapport à d’autres personnes, puisque toutes les personnes handicapées qui sont des clients résidentiels par le biais d’un contrat d’énergie pour leur domicile peuvent en principe bénéficier des primes.
Dès lors que les dispositions attaquées n’entraînent aucune discrimination directe ou indirecte, la Belgique ne saurait être tenue de supprimer les dispositions attaquées sur la base de l’article 4 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. L’article 12 de la même Convention n’est pas applicable en l’espèce. Les parties requérantes n’ont pas intérêt à invoquer une violation de l’article 19 de la même Convention. Par ailleurs, le fait que les résidents des centres de soins résidentiels soient exclus du bénéfice des primes ne constitue pas une violation du droit à un niveau de vie suffisant, étant donné que les primes attaquées ne visent pas à protéger le niveau de vie de la population belge.
En ce qui concerne le maintien des effets
A.16.1. La partie requérante dans l’affaire n° 8019 considère qu’il y a lieu d’annuler les dispositions attaquées tout en maintenant leurs effets pendant une période limitée, pendant laquelle le législateur devrait rétablir l’égalité en accordant aux clients résidentiels qui se chauffent à l’électricité une prime adaptée.
A.16.2. Le Conseil des ministres demande qu’en cas d’annulation des dispositions attaquées dans l’affaire n° 8019, les effets de celles-ci soient maintenus définitivement. En tout état de cause, la Cour n’est pas compétente pour donner au législateur une injonction positive d’octroyer une prime aux ménages se chauffant à l’électricité, comme la partie requérante dans l’affaire n° 8019 le lui demande.
A.16.3. La partie requérante dans l’affaire n° 8019 estime qu’il y a lieu de rejeter la demande du Conseil des ministres, dans la mesure où celle-ci impliquerait qu’il puisse négliger de prendre les mesures nécessaires pour remédier à l’inégalité qui a justifié l’annulation.
En ce qui concerne sa propre demande de maintien des effets, la partie requérante dans l’affaire n° 8019
précise qu’elle formule une suggestion afin, d’une part, de ne pas nuire aux intérêts des ménages qui ont reçu ou vont encore recevoir une prime sur la base des dispositions attaquées et, d’autre part, de préserver les droits des ménages qui se chauffent à l’électricité.
A.16.4. Le Conseil des ministres estime qu’en cas d’annulation, il n’appartiendrait pas à la Cour, mais au législateur, de prévoir une prime pour les ménages qui se chauffent à l’électricité.
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A.17.1. Dans l’affaire n° 8041, le Conseil des ministres demande à la Cour, à supposer que celle-ci décide d’annuler les dispositions attaquées, de maintenir les effets de ces dernières. Les parties requérantes n’attaquent en effet pas l’octroi, en tant que tel, des primes, mais seulement le fait que les résidents des centres de soins résidentiels n’ont pas droit à ces primes. L’annulation des dispositions attaquées n’aura pas directement pour effet de garantir que ces personnes recevront ces primes.
Entre-temps, les primes ont en grande partie été versées aux ayants droit. Une annulation du fondement juridique du paiement des primes serait source d’insécurité juridique et n’aurait aucune valeur ajoutée pour les parties requérantes.
A.17.2. Les parties requérantes dans l’affaire n° 8041 ne s’opposent pas au maintien des effets des dispositions attaquées.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. La reprise économique post-COVID-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont provoqué une augmentation considérable des prix de l’énergie. Dans ce contexte, le législateur a pris plusieurs mesures de soutien temporaires en vue d’aider les ménages.
Parmi ces mesures figurent : une prime de chauffage de 100 euros; une allocation de 300 euros pour l’acquisition de gasoil ou de propane en vrac destinés au chauffage d’une habitation privée; une allocation de 250 euros pour les ménages se chauffant aux pellets; un forfait de base énergie à prix réduit pour les ménages, lequel consiste à accorder une prime pour l’électricité et le gaz; une réduction temporaire des accises sur le diesel et sur l’essence; une réduction temporaire de la TVA sur l’électricité et le gaz; une extension du tarif social.
Les parties requérantes demandent l’annulation de plusieurs dispositions législatives relatives aux primes fédérales de gaz et d’électricité.
B.2.1. La loi du 30 octobre 2022 « portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise de l’énergie » (ci-après : la loi du 30 octobre 2022) a introduit les premières primes fédérales de gaz et d’électricité. Par cette loi, le législateur octroie une prime forfaitaire unique de 122 euros à chaque client résidentiel qui, au 30 septembre 2022, a un contrat de fourniture
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d’électricité pour sa résidence, soit à prix fixe et qui a été conclu ou renouvelé après le 30 septembre 2021, soit à prix variable (article 36, § 1er, de la loi). En outre, une prime forfaitaire unique de 270 euros est octroyée à chaque client résidentiel qui, au 30 septembre 2022, a un contrat de fourniture de gaz pour sa résidence, soit à prix fixe et qui a été conclu ou renouvelé après le 30 septembre 2021, soit à prix variable (article 43, § 1er, de la loi).
Ces primes sont valables pour les mois de novembre et de décembre 2022.
En ce qui concerne la prime fédérale de gaz, les clients finals reliés à un point de raccordement collectif avec une installation commune de chauffage au gaz qui bénéficient d’un droit de fourniture dans le cadre d’un contrat éligible à la prime, qui a été conclu en leur nom et pour leur compte par un autre client résidentiel de la même installation commune de chauffage au gaz ou par une association de copropriétaires, ont également droit à la prime (article 43, § 1er, alinéa 2, de la loi précitée). Il est précisé que « les clients finaux pour le gaz qui utilisent une installation de chauffage commune bénéficient également de cette mesure de soutien » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2915/001, p. 19).
En principe, les primes sont octroyées automatiquement par le fournisseur aux ayants droit (articles 37, 38, § 1er, et 44 de la loi du 30 octobre 2022).
Les ayants droit auxquels aucune prime fédérale d’électricité n’a été accordée peuvent introduire une demande écrite ou électronique auprès du SPF Économie du 23 janvier 2023 au 30 avril 2023 (article 38, § 3, de la loi du 30 octobre 2022). L’article 45, § 3, de la loi du 30 octobre 2022 comporte une disposition analogue pour l’octroi de la prime de gaz. Un ayant droit qui achète du gaz avec plusieurs familles ou ménages via le même point de raccordement EAN sur le réseau de distribution de gaz naturel doit également introduire une demande en ce sens auprès du SPF Économie (article 45, § 1er, de la même loi).
B.2.2. Les premières primes fédérales d’électricité et de gaz visent « à atténuer l’impact sur la facture énergétique de la crise énergétique [...] pour les ménages. En choisissant d’accorder une prime pour l’électricité et le gaz via les contrats d’électricité et de gaz résidentiels, [le législateur entend toucher] le groupe le plus large possible dans le cadre des
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compétences fédérales (prix de l’énergie) » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2915/001, p. 19).
En ce qui concerne les personnes ayant droit aux primes, les travaux préparatoires mentionnent :
« Les personnes vivant dans un logement où les personnes paient des frais de séjour ou qui bénéficient de subventions de fonctionnement ne qualifient pas en tant qu’ayants droits. De telle façon, les maisons de repos et leurs résidents ne font donc pas partie des bénéficiaires, car ils relèvent de la compétence des Communautés. En effet, l’octroi d’une prime aux personnes en maison de repos est lié à la compétence des Communautés en matière de soins et d’assistance aux personnes. Toutefois, les clients finaux pour le gaz derrière un point de raccordement collectif avec une installation commune de chauffage au gaz qui bénéficient d’un droit de fourniture dans le cadre d’un contrat visé à l’alinéa 1er sous ce titre 1er qui a été conclu en leur nom et pour leur compte par un autre client résidentiel de la même installation commune de chauffage au gaz ou par une association de copropriétaires, ont toutefois droit à la prime. De telle façon, les résidents d’immeubles d’habitation et autres copropriétés avec un système de chauffage au gaz partagé font partie des bénéficiaires » (ibid., p. 20).
En ce qui concerne le montant de la prime, les travaux préparatoires mentionnent :
« La prime envisagée s’élève à 270 euros pour le gaz et à 122 euros pour l’électricité.
En ce qui concerne la prime pour le gaz, le niveau de la prime correspond à la réduction moyenne annualisée dont bénéficierait un ménage s’il était approvisionné pour 5 MWh à un tarif réglementé (0,13 euros/kWh tout compris) et pour 12 MWh à un tarif commercial (0,26 euros/kWh tout compris) par rapport à une consommation totale (17 MWh) au même tarif commercial. La réduction calculée sur une base annuelle est accordée en tant que prime unique et n’est pas ajustée en fonction de la consommation du ménage.
En ce qui concerne la prime pour l’électricité, le niveau de la prime correspond à la remise moyenne annualisée dont bénéficierait un ménage s’il était approvisionné pour 1,5 MWh au tarif réglementé (0,24 euros/kWh tout compris) et pour 2 MWh au tarif commercial (0,44 euros/kWh tout compris) par rapport à une consommation totale (3,5 MWh) au même tarif commercial. La réduction calculée sur une base annuelle est accordée en tant que prime unique et n’est pas ajustée en fonction de la consommation du ménage.
En aucun cas, la prime n’affecte la TVA due en proportion de la facture ou de la dette impayée. Du point de vue de la TVA, il convient de noter que la prime fédérale pour l’électricité et le gaz ne peut être qualifiée ni de subvention de prix au sens de l’article 26, § 1er, premier alinéa, du Code de la TVA, ni de réduction de prix au sens de l’article 28, 2°, du Code précité.
En effet, il n’y a pas de lien nécessaire entre la prime accordée et la facture de gaz et d’électricité sur laquelle elle est imputée. Dans la plupart des cas, la prime est liée à la facture d’électricité et de gaz du ménage auquel la prime est accordée via la facture de gaz et d’électricité. La facture
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d’électricité est donc utilisée uniquement comme instrument technique pour l’octroi de la prime. Le montant épargné peut être utilisé librement par le ménage en question, pour être dépensé ou non en biens ou services de consommation. Les termes ‘ facture ’, ‘ note de crédit ’, ‘ rabais ’, etc. doivent donc être interprétés dans le contexte de la législation spécifique et sont distincts de leur interprétation traditionnelle dans le contexte de la législation sur la TVA. La base imposable à la TVA sur la fourniture de gaz et d’électricité ne peut donc en aucun cas être réduite du fait de ce titre » (ibid., p. 21).
B.3. Par la loi du 19 décembre 2022 « portant l’octroi d’une deuxième prime fédérale d’électricité et de gaz » (ci-après : la loi du 19 décembre 2022), le législateur étend le forfait de base énergie aux mois de janvier, février et mars 2023, en introduisant les secondes primes fédérales pour l’électricité et le gaz, dans le prolongement des premières primes.
Les conditions pour bénéficier des primes sont en grande partie identiques aux conditions prévues par la loi du 30 octobre 2022, à ceci près que la situation de l’ayant droit s’apprécie au 31 décembre 2022 et que le montant de la prime s’élève à 183 euros pour l’électricité et à 405 euros pour le gaz (articles 4, § 1er, et 11, § 1er, de la loi du 19 décembre 2022).
À la suite d’une remarque de la section de législation du Conseil d’État, le montant des primes est justifié de manière complémentaire comme suit :
« Le régime conçu vise à fournir aux ménages un forfait de base énergie à prix réduit unique, composé de deux primes distinctes destinées à la consommation d’électricité et de gaz des clients résidentiels, quel que soit le niveau de consommation d’énergie et indépendamment de l’achat exclusif ou combiné d’électricité et de gaz respectivement pour les différents types d’utilisation du ménage (éclairage, cuisine, chauffage, etc.). En effet, le forfait de base précité a été conçu comme une prime unique et forfaitaire pour l’électricité et le gaz, chacune consistant en un montant absolu résultant d’un coût annuel moyen pour un profil de consommation le plus courant dans le pays. Pour ce faire, on a utilisé des données raisonnablement disponibles sur la consommation moyenne des clients résidentiels, en tenant compte de l’objectif d’attribuer les primes le plus rapidement possible.
La ratio legis de ce projet de loi consiste à atténuer l’impact de la crise énergétique sur les factures d’énergie des ménages en proposant un forfait de base énergie à prix réduit et justifie le critère déterminant pour être l’ayant droit de la prime, à savoir être un client résidentiel et titulaire d’un droit de livraison en vertu d’un contrat de fourniture d’électricité ou de gaz conclu au cours d’une période où les prix de l’énergie ont atteint des sommets extraordinaires, à savoir un contrat de fourniture encore actif au 31 décembre 2022 à prix variable ou à prix fixe à condition qu’il ait été conclu ou renouvelé après le 30 septembre 2021, et ce indépendamment
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du fait qu’une fourniture ait été effectivement reçue ou non au cours de la période pour laquelle la prime est accordé[e]. L’application d’une prime variable en fonction de la consommation concrète ou d’une différenciation des profils de consommation en fonction des sources d’énergie utilisées par le ménage créerait une charge administrative complexe et importante, disproportionnée par rapport à l’objectif visé, et devrait en outre tenir compte des primes ou allocations déjà existantes pour les autres sources d’énergie spécifiques. Le déploiement du compteur intelligent n’est pas non plus encore suffisamment avancé pour connaître la consommation individuelle de chaque client résidentiel » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3016/001, pp. 9-10).
En commission de la Chambre, la ministre de l’Énergie explique :
« Discrimination et principe d’égalité
Le Conseil d’État a demandé une clarification de la distinction entre le forfait de base gaz et le forfait de base électricité. L’exposé des motifs a clarifié la question sur la base de quatre points :
- Il s’agit d’un forfait de base pour deux vecteurs, à savoir le gaz et l’électricité, fonctionnant avec une tranche de consommation à laquelle est appliqué un tarif régulé et réduit, indépendamment de la consommation globale de la personne.
- Les primes forfaitaires ont été calculées à partir d’un coût annuel moyen pour le profil de consommation le plus courant, sur la base des tableaux de bord de la CREG.
- Le compteur numérique n’a pas encore été entièrement déployé, de sorte que la consommation des clients n’est pas connue.
- L’application d’une prime variable en fonction de la consommation n’est pas facile à mettre en œuvre sur le plan administratif et compromet une décision rapide de versement de la prime aux citoyens.
Pompes à chaleur et accumulation
Le forfait de base prévoit une prime pour la consommation domestique d’électricité et de gaz. Les pompes à chaleur et le chauffage par accumulation ont déjà été abordés lors de la discussion des premières primes et de la note de politique générale. Le Conseil d’État indique qu’il ne peut et ne doit pas y avoir de différenciation dans la remise pour l’électricité : ‘ Une prime majorée pour un client résidentiel qui n’a qu’un contrat de fourniture d’électricité et qui chauffe son logement à l’électricité pourrait être en contradiction avec cette intention, sans compter les difficultés pratiques pour distinguer ce client des autres clients résidentiels qui n’ont qu’un contrat de fourniture pour l’électricité mais utilisent d’autres sources d’énergie pour chauffer leur domicile. ’ Sur la base de cet avis, le problème des personnes qui se chauffent avec des pompes à chaleur ou par accumulation est plus difficile à résoudre que ce qui pourrait paraître à première vue.
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Plusieurs installations de combustion pour un point d’accès unique
La ministre n’a pas connaissance de la situation spécifique évoquée par [le membre]. Elle suppose qu’il s’agit d’un réseau privé ou d’un réseau de distribution fermé, et donc pas d’un approvisionnement par les réseaux publics. C’est ce qui explique qu’une telle situation, à première vue, ne relève pas du champ d’application du projet de loi à l’examen. La ministre est prête à étudier des situations spécifiques, mais elle a du mal à imaginer que les situations concernées soient très nombreuses. Elle souligne également que les réglementations concernant ces réseaux privés ou ces réseaux de distribution fermés diffèrent en fonction de la région où
ils sont situés » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3016/004, pp. 9-10).
Quant à la recevabilité
En ce qui concerne l’affaire n° 7990
B.4.1. Le Conseil des ministres soutient que la partie requérante dans l’affaire n° 7990 ne justifie pas d’un intérêt à l’annulation des dispositions qu’elle attaque, qui sont toutes relatives aux primes fédérales d’électricité.
B.4.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.4.3. La partie requérante dans l’affaire n° 7990 demande l’annulation des articles 36 à 40 et 58, § 1er, de la loi du 30 octobre 2022, qui sont relatifs à la première prime fédérale d’électricité, et des articles 4 à 6 et 25, § 1er, de la loi du 19 décembre 2022, qui sont relatifs à la seconde prime fédérale d’électricité.
La partie requérante dans l’affaire n° 7990 bénéficie en principe de ces primes. Elle n’a dès lors pas intérêt à l’annulation des dispositions qui les prévoient.
Le recours dans l’affaire n° 7990 est irrecevable à défaut d’intérêt.
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En ce qui concerne l’affaire n° 8019
B.5.1. Le Conseil des ministres soutient que la partie requérante dans l’affaire n° 8019
justifie d’un intérêt purement hypothétique en ce qu’elle postule qu’une annulation des dispositions attaquées de la loi du 19 décembre 2022 pourrait amener le législateur à adopter une prime pour les ménages qui se chauffent à l’électricité.
B.5.2. Pour que la partie requérante justifie de l’intérêt requis, il n’est pas nécessaire qu’une éventuelle annulation lui procure un avantage direct. La circonstance qu’elle pourrait obtenir une nouvelle chance de voir sa situation réglée plus favorablement à la suite de l’introduction de son recours suffit à justifier son intérêt.
B.5.3. Tel est le cas en l’espèce, dès lors qu’en cas d’annulation des dispositions attaquées, le législateur pourrait être amené à prendre de nouvelles dispositions octroyant une prime aux ménages qui, comme la partie requérante dans l’affaire n° 8019, se chauffent à l’électricité.
Par conséquent, la partie requérante dans l’ affaire n° 8019 justifie d’un intérêt à demander l’annulation des articles 10 à 16 de la loi du 19 décembre 2022, relatifs à la seconde prime fédérale de gaz.
La partie requérante dans l’affaire n° 8019 ne justifie en revanche pas d’un intérêt à demander l’annulation des articles 3 à 9 de la même loi, relatifs à la seconde prime fédérale d’électricité, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés en B.4.3.
En ce qui concerne l’affaire n° 8041
B.6.1. Le Conseil des ministres ne conteste pas que l’ASBL « OKRA, trefpunt 55+ », qui, selon ses statuts, défend les intérêts des personnes âgées de plus de 55 ans, et les deuxième et troisième parties requérantes, qui vivent dans un centre de soins résidentiel, ont intérêt à l’annulation des articles 4 et 11 de la loi du 19 décembre 2022, en ce que ces articles excluent du bénéfice des secondes primes d’électricité et de gaz les résidents des centres de soins résidentiels.
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Le Conseil des ministres fait valoir toutefois que l’intérêt de la quatrième partie requérante n’est pas établi, dès lors qu’il n’a pas été démontré que celle-ci se fournit en gaz et/ou en électricité pour son logement à assistance via un centre de soins résidentiel, et que les parties requérantes n’ont pas intérêt à la troisième branche du moyen qu’elles invoquent.
B.6.2. Dans leur mémoire en réponse, les parties requérantes, en produisant la convention d’occupation du logement à assistance concerné, ont démontré que la quatrième partie requérante n’a pas de contrats d’énergie à son nom et qu’elle se fournit en gaz et en électricité via l’association sans but lucratif concernée. Dès lors que la quatrième partie requérante n’est pas un client résidentiel d’électricité et de gaz au sens des articles 4 et 11 de la loi du 19 décembre 2022, elle est exclue des secondes primes d’électricité et de gaz et elle justifie d’un intérêt au recours, en ce qu’il est dirigé contre les dispositions précitées.
B.6.3. Une fois que l’intérêt des parties requérantes au recours en annulation a été démontré, elles ne doivent pas en plus justifier d’un intérêt à chacun des moyens ou à chacune des branches des moyens qu’elles formulent. L’exception soulevée par le Conseil des ministres quant au défaut d’intérêt à la troisième branche du moyen est rejetée.
B.7. Le Conseil des ministres fait également valoir que le recours est irrecevable en ce qu’il est dirigé contre les articles 6, § 3, et 13, § 3, de la loi du 19 décembre 2022, parce que l’annulation de ces dispositions n’affecterait pas la situation des parties requérantes si les articles 4 et 11 de la même loi devaient être annulés.
Comme il est dit en B.6.2, l’exclusion des résidents des centres de soins résidentiels du bénéfice des secondes primes fédérales d’électricité et de gaz découle des articles 4 et 11 de la loi du 19 décembre 2022. La Cour limite dès lors son examen à ces dispositions et elle n’examine pas les articles 6, § 3, et 13, § 3, de la même loi.
À supposer que la Cour juge le moyen fondé, ces dernières dispositions pourraient toutefois être annulées s’il s’avérait qu’elles sont indissociablement liées aux autres dispositions jugées inconstitutionnelles.
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B.8. Les recours sont donc recevables en ce qu’ils visent les articles 10 à 16 de la loi du 19 décembre 2022 (affaire n° 8019) et les articles 4 et 11 de la même loi (affaire n° 8041).
Quant au fond
En ce qui concerne la différence de traitement entre les personnes qui se chauffent au gaz, au gasoil ou au propane en vrac et celles qui se chauffent à l’électricité
B.9. La partie requérante dans l’affaire n° 8019 soutient que les articles 10 à 16 de la loi du 19 décembre 2022 violent les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’ils traitent différemment les ménages se chauffant à l’électricité et les ménages se chauffant au gaz, au gasoil ou au propane en vrac. Les ménages qui se chauffent à l’électricité recevraient uniquement une prime fédérale d’électricité, tandis que les ménages qui se chauffent au gaz, au gasoil ou au propane en vrac recevraient, outre cette prime fédérale d’électricité, une prime ou allocation supplémentaire de gaz, de gasoil ou de propane en vrac. Les ménages relevant des deux catégories consommeraient pourtant, pour se chauffer, des quantités comparables d’énergie, sous des formes différentes.
Les parties requérantes estiment que les ménages qui se chauffent à l’électricité devraient avoir droit à une prime équivalente à celle qui est accordée aux ménages qui se chauffent au gaz ou, à tout le moins, à une prime adaptée.
B.10.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination.
B.10.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de
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non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.11. En matière socio-économique, le législateur dispose d’une large marge d’appréciation. La Cour ne pourrait censurer les mesures prises par lui dans cette matière que si elles reposaient sur une erreur manifeste ou si elles étaient déraisonnables.
Par ailleurs, le législateur ne peut pas prendre en compte les particularités des divers cas d’espèce. Il doit pouvoir faire usage de catégories qui, nécessairement, n’appréhendent la diversité de situations qu’avec un certain degré d’approximation.
B.12.1. Le Conseil des ministres soutient que les impacts éventuellement différents des mesures adoptées sur les ménages ne découlent pas de ces mesures mais des situations factuelles des ménages, qui diffèrent en fonction notamment du type d’énergie utilisé pour les différents besoins énergétiques et des efforts entrepris pour réduire la consommation d’énergie. Selon le Conseil des ministres, les catégories de personnes mentionnées en B.9 ne sont pas comparables.
B.12.2. Comme la Cour l’a jugé par son arrêt n° 166/2023 du 30 novembre 2023
(ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.166), les dispositions attaquées, en ce qu’elles octroient aux ménages qui ont conclu un contrat de fourniture de gaz, ou qui se chauffent au gasoil ou au propane en vrac, une prime ou allocation, moyennant le respect de certaines conditions, outre la prime fédérale d’électricité dont ils pourraient bénéficier par ailleurs, traitent ces ménages différemment des ménages qui se chauffent à l’électricité et qui n’ont droit qu’à la prime fédérale d’électricité. La circonstance que ces primes et allocations puissent avoir une incidence différente sur les ménages, compte tenu de leur situation factuelle, n’y change rien.
B.12.3. Par ailleurs, les catégories de personnes mentionnées en B.9 sont comparables, en ce qu’il s’agit dans les deux cas de ménages qui sont susceptibles d’être affectés par l’augmentation des prix de l’énergie et qui, à ce titre, peuvent prétendre à diverses primes et allocations des pouvoirs publics.
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B.13.1. La différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir le fait pour le ménage d’avoir conclu un contrat de fourniture de gaz ou d’avoir été livré par une entreprise en gasoil ou en propane en vrac en vue de chauffer sa résidence principale, ou non.
B.13.2. Comme il est dit en B.1 à B.3, les primes et allocations mises en place par le législateur visent à atténuer le plus rapidement possible l’impact de l’augmentation des prix de l’énergie sur les factures des ménages.
Au regard de cet objectif, il n’est pas déraisonnable que le législateur ait accordé ces primes et allocations en fonction de la source d’énergie concernée, sans tenir compte de la consommation réelle des ménages ni de l’usage concret que ceux-ci sont susceptibles de faire de l’énergie consommée (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3016/001, pp. 8-10; Doc.
parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2915/001, p. 21). Cette approche simplificatrice d’une diversité de situations est d’autant plus justifiée que les mesures attaquées font partie d’un ensemble de mesures de crise ponctuelles par lesquelles le législateur a voulu répondre rapidement à l’incidence de l’augmentation exceptionnelle des prix de l’énergie. Partant, il ne saurait être reproché au législateur qu’il n’ait pas prévu de prime supplémentaire pour les ménages qui se chauffent à l’électricité, en raison des difficultés énoncées dans les travaux préparatoires cités en B.3.
B.14. Il résulte de ce qui précède que la différence de traitement, attaquée, entre les ménages qui se chauffent au gaz, au gasoil ou au propane en vrac et les ménages qui utilisent l’électricité pour chauffer leur habitation est raisonnablement justifiée.
B.15. Le moyen unique dans l’affaire n° 8019 n’est pas fondé.
En ce qui concerne la différence de traitement entre les personnes qui sont titulaires d’un contrat d’électricité et de gaz résidentiel et celles qui vivent dans une forme d’habitat collectif
B.16. Les parties requérantes dans l’affaire n° 8041 soutiennent que les articles 4 et 11 de la loi du 19 décembre 2022 font naître une différence de traitement injustifiée entre les
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personnes qui sont titulaires d’un contrat d’électricité et de gaz résidentiel et celles qui vivent dans une forme d’habitat collectif, en ce que seule la première catégorie de personnes a droit aux secondes primes d’électricité et de gaz.
Cette différence de traitement violerait les articles 10 et 11 de la Constitution (première branche du moyen unique). En ce qu’elle constituerait une discrimination indirecte fondée sur l’âge et sur le handicap, elle violerait les articles 2 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (deuxième branche du moyen unique) et les articles 4, 5, 12, 19 et 28 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (troisième branche du moyen unique), lus en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
La Cour examine les trois branches du moyen unique conjointement.
Il ressort de l’exposé du moyen que les parties requérantes critiquent en particulier l’exclusion des résidents des centres de soins résidentiels, ainsi que l’exclusion des résidents de logements à assistance qui dépendent d’un centre de soins résidentiel pour leur fourniture d’énergie. La Cour limite dès lors son examen de la constitutionnalité des dispositions attaquées à ces catégories de personnes.
B.17.1. Les articles 2 et 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels disposent :
« Article 2
1. Chacun des Etats parties au présent Pacte s’engage à agir, tant par son effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives.
2. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
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3. Les pays en voie de développement, compte dûment tenu des droits de l’homme et de leur économie nationale, peuvent déterminer dans quelle mesure ils garantiront les droits économiques reconnus dans le présent Pacte à des non-ressortissants ».
« Article 11
1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l’importance essentielle d’une coopération internationale librement consentie.
2. Les Etats parties au présent Pacte, reconnaissant le droit fondamental qu’a toute personne d’être à l’abri de la faim, adopteront, individuellement et au moyen de la coopération internationale, les mesures nécessaires, y compris des programmes concrets :
a) Pour améliorer les méthodes de production, de conservation et de distribution des denrées alimentaires par la pleine utilisation des connaissances techniques et scientifiques, par la diffusion de principes d’éducation nutritionnelle et par le développement ou la réforme des régimes agraires, de manière à assurer au mieux la mise en valeur et l’utilisation des ressources naturelles;
b) Pour assurer une répartition équitable des ressources alimentaires mondiales par rapport aux besoins, compte tenu des problèmes qui se posent tant aux pays importateurs qu’aux pays exportateurs de denrées alimentaires ».
B.17.2. Les articles 1er, 4, 5, 12, 19 et 28 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées disposent :
« Article 1er
Objet
La présente Convention a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque.
Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ».
« Article 4
Obligations générales
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1. Les États Parties s’engagent à garantir et à promouvoir le plein exercice de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales de toutes les personnes handicapées sans discrimination d’aucune sorte fondée sur le handicap. À cette fin, ils s’engagent à :
a) Adopter toutes mesures appropriées d’ordre législatif, administratif ou autre pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente Convention;
b) Prendre toutes mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour modifier, abroger ou abolir les lois, règlements, coutumes et pratiques qui sont source de discrimination envers les personnes handicapées;
c) Prendre en compte la protection et la promotion des droits de l’homme des personnes handicapées dans toutes les politiques et dans tous les programmes;
d) S’abstenir de tout acte et de toute pratique incompatible avec la présente Convention et veiller à ce que les pouvoirs publics et les institutions agissent conformément à la présente Convention;
e) Prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination fondée sur le handicap pratiquée par toute personne, organisation ou entreprise privée;
f) Entreprendre ou encourager la recherche et le développement de biens, services, équipements et installations de conception universelle, selon la définition qui en est donnée à l’article 2 de la présente Convention, qui devraient nécessiter le minimum possible d’adaptation et de frais pour répondre aux besoins spécifiques des personnes handicapées, encourager l’offre et l’utilisation de ces biens, services, équipements et installations et encourager l’incorporation de la conception universelle dans le développement des normes et directives;
g) Entreprendre ou encourager la recherche et le développement et encourager l’offre et l’utilisation de nouvelles technologies - y compris les technologies de l’information et de la communication, les aides à la mobilité, les appareils et accessoires et les technologies d’assistance - qui soient adaptées aux personnes handicapées, en privilégiant les technologies d’un coût abordable;
h) Fournir aux personnes handicapées des informations accessibles concernant les aides à la mobilité, les appareils et accessoires et les technologies d’assistance, y compris les nouvelles technologies, ainsi que les autres formes d’assistance, services d’accompagnement et équipements;
i) Encourager la formation aux droits reconnus dans la présente Convention des professionnels et personnels qui travaillent avec des personnes handicapées, de façon à améliorer la prestation des aides et services garantis par ces droits.
2. Dans le cas des droits économiques, sociaux et culturels, chaque État Partie s’engage à agir, au maximum des ressources dont il dispose et, s’il y a lieu, dans le cadre de la coopération internationale, en vue d’assurer progressivement le plein exercice de ces droits, sans préjudice des obligations énoncées dans la présente Convention qui sont d’application immédiate en vertu du droit international.
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3. Dans l’élaboration et la mise en œuvre des lois et des politiques adoptées aux fins de l’application de la présente Convention, ainsi que dans l’adoption de toute décision sur des questions relatives aux personnes handicapées, les États Parties consultent étroitement et font activement participer ces personnes, y compris les enfants handicapés, par l’intermédiaire des organisations qui les représentent.
4. Aucune des dispositions de la présente Convention ne porte atteinte aux dispositions plus favorables à l’exercice des droits des personnes handicapées qui peuvent figurer dans la législation d’un État Partie ou dans le droit international en vigueur pour cet État. Il ne peut être admis aucune restriction ou dérogation aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales reconnus ou en vigueur dans un État Partie à la présente Convention en vertu de lois, de conventions, de règlements ou de coutumes, sous prétexte que la présente Convention ne reconnaît pas ces droits et libertés ou les reconnaît à un moindre degré.
5. Les dispositions de la présente Convention s’appliquent, sans limitation ni exception aucune, à toutes les unités constitutives des États fédératifs ».
« Article 5
Égalité et non-discrimination
1. Les États Parties reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi.
2. Les États Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement.
3. Afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination, les États Parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés.
4. Les mesures spécifiques qui sont nécessaires pour accélérer ou assurer l’égalité de facto des personnes handicapées ne constituent pas une discrimination au sens de la présente Convention ».
« Article 12
Reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité
1. Les États Parties réaffirment que les personnes handicapées ont droit à la reconnaissance en tous lieux de leur personnalité juridique.
2. Les États Parties reconnaissent que les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres.
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3. Les États Parties prennent des mesures appropriées pour donner aux personnes handicapées accès à l’accompagnement dont elles peuvent avoir besoin pour exercer leur capacité juridique.
4. Les États Parties font en sorte que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique soient assorties de garanties appropriées et effectives pour prévenir les abus, conformément au droit international des droits de l’homme. Ces garanties doivent garantir que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique respectent les droits, la volonté et les préférences de la personne concernée, soient exemptes de tout conflit d’intérêt et ne donnent lieu à aucun abus d’influence, soient proportionnées et adaptées à la situation de la personne concernée, s’appliquent pendant la période la plus brève possible et soient soumises à un contrôle périodique effectué par un organe indépendant et impartial ou une instance judiciaire.
Ces garanties doivent également être proportionnées au degré auquel les mesures devant faciliter l’exercice de la capacité juridique affectent les droits et intérêts de la personne concernée.
5. Sous réserve des dispositions du présent article, les États Parties prennent toutes mesures appropriées et effectives pour garantir le droit qu’ont les personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, de posséder des biens ou d’en hériter, de contrôler leurs finances et d’avoir accès aux mêmes conditions que les autres personnes aux prêts bancaires, hypothèques et autres formes de crédit financier; ils veillent à ce que les personnes handicapées ne soient pas arbitrairement privées de leurs biens ».
« Article 19
Autonomie de vie et inclusion dans la société
Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société, notamment en veillant à ce que :
a) Les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier;
b) Les personnes handicapées aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d’accompagnement, y compris l’aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer et pour empêcher qu’elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation;
c) Les services et équipements sociaux destinés à la population générale soient mis à la disposition des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, et soient adaptés à leurs besoins ».
« Article 28
Niveau de vie adéquat et protection sociale
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1. Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à un niveau de vie adéquat pour elles-mêmes et pour leur famille, notamment une alimentation, un habillement et un logement adéquats, et à une amélioration constante de leurs conditions de vie et prennent des mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit sans discrimination fondée sur le handicap.
2. Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à la protection sociale et à la jouissance de ce droit sans discrimination fondée sur le handicap et prennent des mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit, y compris des mesures destinées à:
a) Assurer aux personnes handicapées l’égalité d’accès aux services d’eau salubre et leur assurer l’accès à des services, appareils et accessoires et autres aides répondant aux besoins créés par leur handicap qui soient appropriés et abordables;
b) Assurer aux personnes handicapées, en particulier aux femmes et aux filles et aux personnes âgées, l’accès aux programmes de protection sociale et aux programmes de réduction de la pauvreté;
c) Assurer aux personnes handicapées et à leurs familles, lorsque celles-ci vivent dans la pauvreté, l’accès à l’aide publique pour couvrir les frais liés au handicap, notamment les frais permettant d’assurer adéquatement une formation, un soutien psychologique, une aide financière ou une prise en charge de répit;
d) Assurer aux personnes handicapées l’accès aux programmes de logements sociaux;
e) Assurer aux personnes handicapées l’égalité d’accès aux programmes et prestations de retraite ».
B.18. Comme il est dit en B.11, le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation en matière socio-économique. Dans cette matière, la Cour ne peut censurer les choix politiques du législateur et les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou sont dépourvus de justification raisonnable.
B.19. Comme la Cour l’a jugé par son arrêt n° 33/2024 du 21 mars 2024
(ECLI:BE:GHCC:2024:ARR.033) à propos de dispositions analogues aux dispositions attaquées, la différence de traitement attaquée concerne les personnes qui sont titulaires d’un contrat d’électricité et de gaz résidentiel et les résidents de centres de soins résidentiels et de logements à assistance qui dépendent d’un centre de soins résidentiel pour leur fourniture d’énergie. Ces résidents sont, dans la grande majorité des cas, des personnes âgées ou des personnes qui, en raison de leur autonomie réduite, ne sont pas ou plus en mesure de vivre
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seules ou de vivre seules sans aide. Il peut être admis que nombre d’entre elles puissent être considérées comme répondant à la définition de la « personne handicapée » telle qu’établie à l’article 1er, deuxième alinéa, de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
Il s’ensuit que les dispositions attaquées engendrent une différence de traitement indirecte fondée sur l’âge et sur la situation de handicap.
B.20.1. Selon le Conseil des ministres, les personnes qui sont titulaires d’un contrat d’électricité et de gaz résidentiel et les résidents de centres de soins résidentiels et de logements à assistance qui dépendent d’un centre de soins résidentiel pour leur fourniture d’énergie ne sont pas suffisamment comparables. Ces derniers ne seraient, en règle, confrontés à la hausse des prix de l’énergie qu’après avoir bénéficié de l’influence atténuante des tarifs plus avantageux dans le cadre des contrats énergétiques non résidentiels proposés aux centres de soins, de la norme énergétique, qui permet aux centres de soins résidentiels de recevoir une réduction sur leur facture d’énergie, et du fait que les centres de soins résidentiels ne peuvent répercuter les coûts d’électricité et de chauffage sur leurs résidents que par le tarif journalier et dans la mesure où la réglementation concernée prévue par les communautés les y autorise.
B.20.2. Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. Les différences soulevées par le Conseil des ministres peuvent certes constituer un élément dans l’appréciation d’une différence de traitement, mais elles ne sauraient suffire pour conclure à la non-comparabilité, sous peine de vider de sa substance le contrôle au regard du principe d’égalité et de non-
discrimination.
B.21.1. Selon l’article 4, § 1er, de la loi du 19 décembre 2022, la prime d’électricité est accordée « à chaque client résidentiel qui, au 31 décembre 2022, a un contrat de fourniture d’électricité pour sa résidence ». Selon l’article 11, § 1er, alinéa 1er, de cette loi, la prime de gaz est accordée à « chaque client résidentiel qui, au 31 décembre 2022, a un contrat de fourniture de gaz pour sa résidence ». Selon l’article 11, § 1er, alinéa 2, de cette même loi, sont également qualifiés d’ayants droit au sens de l’alinéa 1er, les clients finals reliés à un point de raccordement collectif avec une installation commune de chauffage au gaz qui bénéficient d’un droit de fourniture dans le cadre d’un contrat visé à l’alinéa 1er, conclu en leur nom et pour leur compte par un autre client résidentiel de la même installation commune de chauffage au gaz ou par une association de copropriétaires (ci-après : les clients finals au sens de l’article 11, § 1er, alinéa 2, de la loi du 19 décembre 2022).
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Les articles 4, § 1er, alinéa 2, et 11, § 1er, alinéa 3, disposent que les clients résidentiels qui, au 31 décembre 2022, faisaient partie de la même famille ou du même ménage et habitaient à la même adresse ne se voient attribuer les primes qu’une seule fois. Les primes d’électricité et de gaz ne sont dès lors accordées qu’une seule fois par ménage.
Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires cités en B.2.2, « les personnes vivant dans un logement où les personnes paient des frais de séjour ou qui bénéficient de subventions de fonctionnement » n’ont pas droit aux primes d’électricité et de gaz, parce qu’elles n’ont pas conclu de contrat de fourniture. En outre, elles ne sont en principe pas des clients finals au sens de l’article 11, § 1er, alinéa 2, de la loi du 19 décembre 2022.
B.21.2. La différence de traitement attaquée repose sur des critères objectifs, à savoir le fait pour la personne concernée d’être titulaire ou non d’un contrat de fourniture d’électricité et de gaz résidentiel ou le fait d’être client final ou non au sens de l’article 11, § 1er, alinéa 2, de la loi du 19 décembre 2022.
B.22. Comme il est dit en B.2.2, le législateur a voulu, en instaurant les primes fédérales d’électricité et de gaz, atténuer l’impact de la crise énergétique sur la facture d’énergie des ménages et, en choisissant d’accorder ces primes via les contrats résidentiels d’électricité et de gaz, atteindre « le groupe le plus large possible » dans le cadre des compétences fédérales.
Les titulaires d’un contrat de fourniture d’électricité et de gaz résidentiel et les clients finals au sens de l’article 11, § 1er, alinéa 2, de la loi du 19 décembre 2022, d’une part, et les résidents de centres de soins résidentiels et de logements à assistance qui dépendent d’un centre de soins résidentiel pour leur fourniture d’énergie, d’autre part, se trouvent objectivement dans des situations différentes. En effet, même si le tarif journalier dû par les résidents des centres de soins résidentiels couvre les dépenses liées à la consommation d’énergie et que ce tarif journalier augmente en partie du fait de l’augmentation des prix de l’énergie, ces résidents, en ce qu’ils bénéficient d’un service global, ne paient pas eux-mêmes directement l’énergie qu’ils consomment, de sorte qu’ils sont moins directement confrontés à l’augmentation des prix de
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l’énergie. Les résidents de logements à assistance qui dépendent d’un centre de soins résidentiel pour leur fourniture d’énergie ne paient pas non plus eux-mêmes directement à un fournisseur d’énergie l’énergie qu’ils consomment. Ainsi, le législateur a pu raisonnablement considérer que ces résidents ne sont pas affectés par l’augmentation des prix de l’énergie dans la même mesure que les titulaires d’un contrat de fourniture d’électricité et de gaz résidentiel.
B.23.1. Il n’est pas établi que la différence de traitement attaquée produit des effets disproportionnés à l’égard des résidents de centres de soins résidentiels et de logements à assistance qui dépendent d’un centre de soins résidentiel pour leur fourniture d’énergie.
Ainsi qu’il ressort en effet des travaux préparatoires de la loi du 19 décembre 2022, ces résidents ne sont confrontés à l’augmentation des prix de l’énergie « qu’après l’influence combinée et atténuante : 1.) des tarifs plus avantageux dans le cadre des contrats énergétiques non résidentiels proposés aux établissements de santé, 2.) [de] la norme énergétique introduite par la loi du 28 février 2022 portant des dispositions diverses en matière d’énergie et 3.) [des]
réglementations prévues par les communautés, qui contiennent des restrictions sur la mesure dans laquelle les établissements de soins peuvent répercuter les coûts énergétiques sur leurs résidents et avec lesquelles [le législateur fédéral] ne souhaite pas interférer » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3016/001, p. 7). Il convient par ailleurs de tenir compte des aides octroyées par l’autorité fédérale et par les entités fédérées aux entreprises et, le cas échéant, aux centres de soins résidentiels, pour les aider à faire face à l’augmentation du coût de l’énergie.
B.23.2. La Cour doit également tenir compte, dans son examen de la proportionnalité de la mesure, du fait que, comme il est dit en B.19, les dispositions attaquées ont pour effet de traiter de manière défavorable certaines personnes âgées ou en situation de handicap. Les personnes concernées subissent dès lors un préjudice spécifique qui est indirectement basé sur leur âge ou sur leur situation de handicap. Dès lors que la différence de traitement indirecte est fondée sur la situation de handicap, elle doit reposer sur des raisons particulièrement impérieuses (CEDH, 30 avril 2009, Glor c. Suisse, ECLI:CE:ECHR:2009:0430JUD001344404, § 84; 10 mars 2011, Kiyutin c. Russie, ECLI:CE:ECHR:2011:0310JUD000270010, § 63).
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Compte tenu de la circonstance que la mesure attaquée fait partie d’un ensemble de dispositions par lesquelles le législateur a voulu donner rapidement une première réponse à l’impact de l’augmentation exceptionnelle des prix de l’énergie, il peut être admis que la différence de traitement repose sur des raisons d’ordre socio-économique particulièrement impérieuses.
B.24. Eu égard à ce qui précède, les articles 4 et 11, attaqués, de la loi du 19 décembre 2022 sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les normes mentionnées en B.17.1 et en B.17.2, en ce qu’ils excluent les résidents de centres de soins résidentiels et de logements à assistance qui dépendent d’un centre de soins résidentiel pour leur fourniture d’énergie du bénéfice des primes d’électricité et de gaz.
Le moyen unique dans l’affaire n° 8041 n’est pas fondé.
31
Par ces motifs,
la Cour
rejette les recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 20 juin 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 65/2024
Date de la décision : 20/06/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-06-20;65.2024 ?

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