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27/06/2024 | BELGIQUE | N°73/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 27 juin 2024, 73/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 73/2024
du 27 juin 2024
Numéro du rôle : 8059
En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 8 et 21 de la loi du 18 décembre 2015 « portant des dispositions diverses en matière de produits soumis à accise, ainsi que des modifications à la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises », posées par la Cour d’appel de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache et D

anny Pieters, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc L...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 73/2024
du 27 juin 2024
Numéro du rôle : 8059
En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 8 et 21 de la loi du 18 décembre 2015 « portant des dispositions diverses en matière de produits soumis à accise, ainsi que des modifications à la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises », posées par la Cour d’appel de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache et Danny Pieters, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par arrêt du 28 juin 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 juillet 2023, la Cour d’appel de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes :
« L’article 8 de la loi du 18 décembre 2015 portant des dispositions diverses en matière de produits soumis à accise, ainsi que des modifications à la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises (Moniteur belge du 29 décembre 2015) viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition impose aux acquéreurs de produits soumis à accises qui y sont visés et qui, après contrôle, doivent demander le remboursement des accises payées une obligation d’enregistrement préalable analogue à l’obligation d’enregistrement imposée à ceux qui, dans le cadre de la livraison ou de l’utilisation de produits soumis à accises, peuvent se prévaloir d’emblée d’une exonération et qui ne doivent dès lors pas non plus payer d’accises ?
L’article 8 de la loi du 18 décembre 2015 portant des dispositions diverses en matière de produits soumis à accise, ainsi que des modifications à la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises (Moniteur belge du 29 décembre 2015) viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les libertés européennes en matière de circulation des biens et des services, en ce que cette disposition prive les acquéreurs de produits soumis à accises du droit à restitution pour la simple raison qu’ils ne s’étaient pas encore
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enregistrés alors qu’ils satisfont pour le reste à toutes les conditions pour bénéficier de la restitution, tandis que les acquéreurs de produits soumis à accises qui s’étaient enregistrés dans le délai imparti ont quant à eux droit à la restitution ?
Les articles 8 et 21 de la loi du 18 décembre 2015 portant des dispositions diverses en matière de produits soumis à accise, ainsi que des modifications à la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises (Moniteur belge du 29 décembre 2015) violent-ils le principe constitutionnel de légalité (et le principe de prévisibilité qu’il comporte) et/ou le principe d’égalité énoncé dans les articles 170 et 172 de la Constitution, en ce que l’application de ces dispositions a pour conséquence d’imposer de nouvelles formalités (sous peine du refus de la restitution), sans prévoir une période transitoire raisonnable, ce qui a pour effet que les justiciables ne sont informés que la formalité complémentaire n’a pas été accomplie qu’après avoir exercé leur droit à restitution, conformément aux prescriptions antérieures ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- la société de droit roumain « Euro Fleet Transports », assistée et représentée par Me Mark Delanote, avocat au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
La société de droit roumain « Euro Fleet Transports » a également introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 27 mars 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Yasmine Kherbache et Michel Pâques, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
La SRL « Euro Fleet Transports » est une société de droit roumain qui est active dans le secteur du transport et qui s’est régulièrement approvisionnée en « diesel professionnel » en Belgique. Conformément à l’article 429, § 5, de la loi-programme du 27 décembre 2004, la SRL « Euro Fleet Transports » a demandé, les 14 avril 2017, 9 mai 2017, 16 mai 2017 et 10 novembre 2017, le remboursement de l’augmentation du droit d’accise spécial pour la période du 1er janvier 2014 au 7 février 2017.
Par décision de l’administration fiscale du 16 janvier 2019, cette demande a été rejetée, au motif qu’un remboursement ne peut être octroyé qu’à partir de la date à laquelle une autorisation « produits énergétiques » a été délivrée à la personne qui exerce une activité économique et qui souhaite bénéficier d’une exonération de l’accise (arrêté ministériel du 27 octobre 2005 « concernant la taxation des produits énergétiques et de
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l’électricité »). Le 8 février 2019, la SRL « Euro Fleet Transports » a introduit une réclamation contre cette décision, mais celle-ci est restée sans réponse.
La SRL « Euro Fleet Transports » a ensuite intenté une action devant le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, le 6 décembre 2019, en vue d’obtenir l’annulation de la décision de rejet et le remboursement demandé. Par un jugement du 12 juin 2020, le Tribunal de première instance a déclaré l’action recevable et partiellement fondée pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. Pour la période du 1er janvier 2016 au 7 février 2017, l’action a été déclarée non fondée.
La SRL « Euro Fleet Transports » a interjeté appel de ce jugement. La Cour d’appel de Bruxelles constate que, pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, la partie appelante devant la juridiction a quo a en principe droit au remboursement de l’augmentation du droit d’accise spécial. En ce qui concerne le remboursement demandé pour la période du 1er janvier 2016 au 7 février 2017, la juridiction a quo estime que l’enregistrement requis par la loi pour obtenir le remboursement fait débat. Il ressort des faits que la partie appelante devant la juridiction a quo dispose de l’enregistrement requis par l’article 429, § 5, de la loi-programme du 27 décembre 2004 depuis le 8 février 2017, raison pour laquelle l’administration fiscale a refusé le remboursement.
Selon la partie appelante devant la juridiction a quo, l’obligation d’enregistrement n’est pas raisonnablement justifiée, l’obligation d’enregistrement est disproportionnée, les effets sur le plan fiscal sont disproportionnés, l’obligation d’enregistrement constitue une entrave aux libertés européennes et cette mesure viole le principe de prévisibilité. La juridiction a quo pose à la Cour les questions préjudicielles reproduites plus haut.
III. En droit
-A-
Quant à l’exception soulevée par le Conseil des ministres
A.1.1. Le Conseil des ministres fait valoir que les questions préjudicielles n’appellent pas de réponse parce que l’article 8, en cause, de la loi du 18 décembre 2015 « portant des dispositions diverses en matière de produits soumis à accise, ainsi que des modifications à la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises » (ci-
après : la loi du 18 décembre 2015) ne fait que préciser la réglementation qui existait déjà et constitue une disposition interprétative. Étant donné que l’obligation d’enregistrement préalable existait déjà, la prétendue inégalité de traitement ne découle pas de l’article 8.
A.1.2. Dans son mémoire en réponse, la partie appelante devant la juridiction a quo estime que les questions préjudicielles appellent une réponse. La juridiction a quo a jugé que la modification législative n’est nullement interprétative et qu’il n’existait aucune obligation d’enregistrement préalable à l’acquisition du diesel professionnel. Une instruction interne a révélé que l’administration fiscale a toujours appliqué la loi antérieure en ce sens qu’un enregistrement ne devait avoir lieu qu’en vue de l’introduction de la demande et non avant l’acquisition de diesel professionnel.
Quant au fond
A.2.1. En ce qui concerne la première question préjudicielle, la partie appelante devant la juridiction a quo estime que les acquéreurs de produits soumis à accises qui peuvent obtenir une exonération au moyen d’un remboursement sont traités de la même manière que les fournisseurs ou utilisateurs de produits soumis à accises qui ne doivent pas payer d’accises parce qu’ils bénéficient automatiquement d’une exonération, alors que ces catégories sont différentes. La modification législative en cause a eu pour effet d’imposer une même exigence d’enregistrement préalable aux deux catégories d’acquéreurs. Cependant, celui qui bénéficie d’une exonération et peut donc livrer des produits sans devoir payer un droit d’accise doit être soumis in personam au droit de contrôle de l’administration fiscale. Il est parfaitement justifié d’imposer des obligations en matière d’autorisation à certains fournisseurs ou utilisateurs de produits soumis à accises s’ils bénéficient par la suite automatiquement du régime
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d’exonération. Le but est d’éviter que les justiciables appliquent des exonérations sans que l’administration fiscale ait eu la possibilité de vérifier si l’intéressé satisfaisait effectivement à toutes les conditions pour invoquer l’exonération. De cette manière, l’on anticipe également une éventuelle perte de revenus.
Selon la partie appelante devant la juridiction a quo, cette justification ne vaut pas en ce qui concerne les exonérations accordées au moyen d’un remboursement à l’acquéreur des produits soumis à accises. Le risque que l’État soit confronté à une perte de recettes est inexistant, dès lors que les accises ont déjà été payées. Un contrôle préalable n’est pas pertinent, puisque la question de savoir s’il est satisfait aux conditions de la restitution n’est pas examinée dans le cadre de la demande d’autorisation, mais dans celui des demandes de restitution proprement dites. Le fait que l’utilisateur final de « diesel professionnel » puisse obtenir un remboursement traduit la volonté du législateur d’accorder une possibilité de restitution pour l’utilisation professionnelle de gasoil démontrée ultérieurement. Le fait que le demandeur s’était ou non enregistré au moment où il a utilisé le gasoil est étranger à la nature de l’utilisation à démontrer ultérieurement. Le législateur a prévu un moyen de preuve spécial pour pouvoir démontrer la nature de l’utilisation, à savoir la production, par l’utilisateur final, d’une facture devant contenir un certain nombre de mentions. Le contrôle a posteriori n’empêche pas qu’il soit procédé aux vérifications nécessaires et, plus encore, ce contrôle est inhérent au régime de l’exonération par restitution.
Selon la partie appelante devant la juridiction a quo, la sanction, qui consiste à refuser l’exonération et la restitution, est disproportionnée. Cette sanction disproportionnée est contraire à la jurisprudence de la prééminence du fond sur la forme (substance over form) de la Cour de justice de l’Union européenne, selon laquelle un législateur peut imposer certaines obligations qu’il estime nécessaires pour garantir la juste perception de l’imposition due et pour éviter la fraude. La lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est par nature un objectif qui peut être poursuivi, mais de telles mesures ne peuvent aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre pareil objectif. Le législateur aussi a répété que le respect de certaines formalités ne peut conditionner l’exonération. Le non-respect de formalités ne doit pas être sanctionné par le refus de l’exonération, mais par une amende modérée.
A.2.2. En ce qui concerne la deuxième question préjudicielle, la partie appelante devant la juridiction a quo observe que la Cour doit se prononcer sur une différence de traitement entre des catégories très comparables. Du fait de la modification législative, le législateur a instauré une distinction importante entre les firmes de transport qui se sont enregistrées au préalable et celles qui ne l’ont pas fait mais qui peuvent démontrer qu’elles satisfont à toutes les conditions matérielles de la restitution. La première catégorie obtient la restitution du droit d’accise spécial, la seconde catégorie ne l’obtient pas.
La différence de traitement risque d’affecter en particulier les firmes de transport étrangères, ce qui entraîne une tension supplémentaire avec la libre circulation des biens et des services. La condition de l’enregistrement constitue une mesure qui peut avoir pour effet que les transporteurs européens ne puissent pas travailler aux mêmes conditions du marché, ainsi qu’une entrave pour le secteur du transport européen qui souhaite offrir ses services sur le marché belge ou livrer des marchandises sur le marché belge. Il n’est pas à exclure qu’un transporteur étranger n’ait connaissance qu’après un certain temps de l’obligation belge d’enregistrement pour faire valoir son droit à l’exonération.
Il appartient toujours à l’utilisateur final de prouver la nature de son utilisation. Il peut le faire en produisant une facture contenant un certain nombre de mentions. Exiger en plus que ces factures soient établies à un moment où le consommateur final est enregistré constitue, selon la partie appelante devant la juridiction a quo, une condition purement formelle qui est contraire à l’application proportionnée de la mesure d’exonération mentionnée dans la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 « restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité » (ci-après : la directive 2003/96/CE).
A.2.3. En ce qui concerne la troisième question préjudicielle, la partie appelante devant la juridiction a quo fait valoir que l’application de la loi doit être prévisible pour le justiciable et qu’il convient de laisser au justiciable le temps de s’adapter aux nouvelles formalités. En l’espèce, le législateur a violé le principe de prévisibilité en inscrivant une nouvelle formalité dans la loi sans prévoir une période transitoire raisonnable. La disposition en question a été publiée au Moniteur belge le 29 décembre 2015 et est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Une période d’adaptation aussi courte n’est pas sérieuse, certainement pas pour les firmes de transport étrangères.
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A.3.1. Le Conseil des ministres soutient que l’identité de traitement, ou la différence de traitement, repose sur un critère objectif et est raisonnablement justifiée, compte tenu de l’objectif et des effets de la mesure.
L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/96/CE permet aux États membres de faire une distinction entre l’utilisation commerciale et l’utilisation non commerciale de gasoil comme carburant. La directive 2003/96/CE a été transposée en droit belge par l’arrêté royal du 29 février 2004 « portant des dispositions diverses en matière d’accise » et par la loi-programme du 27 décembre 2004. Il s’agit dès lors d’une exonération d’accise autorisée par la réglementation européenne. La condition de l’enregistrement préalable imposée par le législateur belge s’applique tant aux personnes belges qu’aux personnes étrangères qui souhaitent bénéficier de l’exonération.
L’exigence d’un enregistrement préalable permet donc un premier contrôle, de sorte que l’administration fiscale peut examiner plus aisément si les conditions nécessaires étaient effectivement remplies lors de l’utilisation commerciale. En imposant l’enregistrement préalable, le contrôle est organisé le plus efficacement possible et la fraude devient plus difficile.
Un contrôle efficace et la lutte contre la fraude justifient légitimement une obligation d’enregistrement préalable. L’intérêt et la valeur ajoutée de l’organisation d’un contrôle efficace, réaliste et pouvant aboutir à l’octroi d’un enregistrement ne peuvent être considérés comme des conditions purement formelles. Le contrôle préalable permet un bon fonctionnement du système de remboursement. Une fois l’enregistrement obtenu, l’exonération du droit d’accise spécial au moyen d’un remboursement peut être demandée. Là aussi, un contrôle est effectué, en particulier sur la base de factures qui doivent mentionner certaines données.
Selon le Conseil des ministres, l’enregistrement préalable constitue une mesure raisonnablement justifiée et proportionnée à son objectif : grâce à une affectation équilibrée et calculée des deniers publics, il devient possible de procéder à un contrôle effectif et efficace, de lutter contre la fraude et d’évaluer l’incidence budgétaire de la mesure d’exonération fiscale. La mesure est objective et s’applique pleinement à toute personne qui souhaite obtenir l’exonération; elle met en œuvre une directive européenne et est axée spécifiquement sur l’utilisation du diesel à des fins professionnelles et commerciales, de sorte qu’il n’est nullement question de la moindre entrave à la libre circulation.
A.3.2. En ordre subsidiaire, pour autant que la Cour considère que la troisième question préjudicielle appelle une réponse affirmative, le Conseil des ministres estime qu’un délai de six ou douze mois peut être considéré comme une période transitoire raisonnable.
A.4. La partie appelante devant la juridiction a quo répond que la prétendue nécessité de garantir les contrôles fiscaux, y compris à l’égard des entreprises étrangères, ne suffit pas en soi pour justifier la mesure. Une mesure restrictive ne peut être justifiée que si elle est compatible avec le principe de proportionnalité, ce qui signifie qu’elle doit être appropriée pour atteindre l’objectif visé et qu’elle ne peut aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. L’administration fiscale peut simplement demander les informations nécessaires à l’entreprise de transport. Par ailleurs, il existe aussi un instrument de droit européen, à savoir le règlement (UE) n° 389/2012 du Conseil du 2 mai 2012 « concernant la coopération administrative dans le domaine des droits d’accise et abrogeant le règlement (CE) n° 2073/2004 ». La partie appelante devant la juridiction a quo estime que l’État belge dispose de suffisamment de moyens pour effectuer des contrôles précis.
Ni l’objectif de contrôle, ni l’objectif budgétaire, ni l’absence d’affectation efficace des moyens de fonctionnement ne rendent un enregistrement préalable nécessaire.
En ce qui concerne la période transitoire dite raisonnable, la partie appelante devant la juridiction a quo relève qu’il appartient au juge du fond de juger, compte tenu de tous les faits et circonstances, si la période transitoire raisonnable est expirée ou non. À supposer que la Cour estime qu’elle pourrait elle-même déterminer la période transitoire raisonnable, il est demandé de faire coïncider la période transitoire raisonnable avec la période au cours de laquelle des demandes de remboursement peuvent encore être introduites pour une période au cours de laquelle un enregistrement préalable aux approvisionnements à la pompe n’était pas encore obligatoire, donc pour tous les approvisionnements à la pompe antérieurs au 1er janvier 2016.
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-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1.1. Les trois questions préjudicielles portent sur la nouvelle condition de remboursement, telle qu’elle existe dans le mécanisme du « diesel professionnel », insérée par l’article 8 de la loi du 18 décembre 2015 « portant des dispositions diverses en matière de produits soumis à accise, ainsi que des modifications à la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises » (ci-après : la loi du 18 décembre 2015).
L’article 8 de la loi du 18 décembre 2015 dispose :
« L’article 429, § 5, 2), de la loi-programme du 27 décembre 2004, est complété par un alinéa rédigé comme suit :
‘ Le remboursement est uniquement octroyé pour les livraisons de gasoil effectuées après l’obtention de l’enregistrement concerné ’ ».
Est ensuite contestée, dans la troisième question préjudicielle, la constitutionnalité de l’article 21 de la loi du 18 décembre 2015, qui règle l’entrée en vigueur de l’article 8.
L’article 21 de la loi du 18 décembre 2015 dispose :
« La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2016 ».
B.1.2. L’article 429, § 5, de la loi-programme du 27 décembre 2004 règle l’exonération, au moyen d’un remboursement, du droit d’accise spécial pour le « diesel professionnel » et trouve son origine dans la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 « restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité » (ci-après : la directive 2003/96/CE). Par le mécanisme du « diesel professionnel », les entreprises de transport professionnelles peuvent, sous certaines conditions, récupérer une partie du droit d’accise spécial sur le gasoil (diesel) qu’elles utilisent comme carburant.
Dans les travaux préparatoires de la loi-programme du 27 décembre 2004, il est précisé, à cet égard :
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« Le paragraphe 5 crée un taux d’accise réduit pour le secteur du transport des marchandises et des personnes. Cette création est conforme aux dispositions de l’article 7, §§ 2
et 3, de ‘ la directive ’ [2003/96/CE], lesquelles résultent du souhait du législateur communautaire de réserver un traitement fiscal spécifique au carburant diesel utilisé par les transporteurs routiers. En conséquence, les secteurs professionnels définis dans ‘ la directive ’ sont exemptés, pour le gasoil à faible teneur en soufre qu’ils utilisent, des augmentations du droit d’accise spécial intervenant après le 1er janvier 2004. Cette exemption est accordée sous la forme d’un remboursement de ce droit d’accise spécial. Les mesures reprises aux chiffres 2
et 3 étaient déjà mentionnées à l’article 16bis de ‘ la loi ’ [la loi du 22 octobre 1997 concernant la taxation des produits énergétiques et de l’électricité] » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1437/001, p. 273).
L’article 16bis de la loi du 22 octobre 1997 « concernant la taxation des produits énergétiques et de l’électricité », auquel il est fait référence ci-dessus, avait été introduit par l’article 3 de la loi-programme du 9 juillet 2004, dont les travaux préparatoires indiquent notamment :
« Considérant que cette exemption, à l’exclusion de ceux effectués par un service de taxis, s’applique aux transports opérés tant par des résidents belges que par ceux installés dans d’autres États membres et qu’il convient de maintenir une égalité de traitement entre ces deux catégories d’opérateurs, il est nécessaire qu’elle soit accordée par la voie d’un remboursement seule procédure garantissant cette égalité; telle est la portée de l’article 16bis, § 1er.
L’article 16bis, § 2, prévoit l’enregistrement préalable des opérateurs concernés qu’ils soient installés dans le pays ou dans un autre État membre » (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-1138/001 et 51-1139/001, pp. 13-14).
B.1.3. L’article 429, § 5, de la loi-programme du 27 décembre 2004, tel qu’il est applicable dans l’affaire soumise à la juridiction a quo, à savoir pour la période du 1er janvier 2016 au 7 février 2017, dispose :
« Le gasoil visé à l’article 419, f), i), peut bénéficier d’une exonération du droit d’accise spécial d’un montant de 79,0017 euros par 1 000 litres à 15 °C. Ce montant est augmenté, lors de chaque augmentation du droit d’accise spécial comme prévu à l’article 420, § 3, du montant de cette augmentation. L’exonération du droit d’accise spécial s’effectue au moyen d’un remboursement, lorsque ce gasoil est utilisé pour :
a) le transport rémunéré de personnes au moyen de véhicules automobiles affectés à un service de taxis; cette affectation est attestée par l’autorité communale ou régionale du ressort de l’exploitant;
b) le transport rémunéré de personnes au moyen de véhicules automobiles faisant l’objet d’une location avec chauffeur, pour autant que ces véhicules soient reconnus aptes au transport
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de personnes handicapées; cette reconnaissance fait l’objet d’une déclaration de conformité attestant de l’adaptation du véhicule, délivrée par le SPF Mobilité et Transports;
c) le transport de marchandises, pour compte d’autrui ou pour compte propre, par un véhicule à moteur ou un ensemble de véhicules couplés destinés exclusivement au transport de marchandises par route et ayant un poids maximum en charge autorisé égal ou supérieur à 7,5 tonnes;
d) le transport régulier ou occasionnel de passagers par un véhicule automobile de catégorie M2 ou M3 au sens de l’arrêté royal du 15 mars 1968 portant règlement général sur les conditions techniques auxquelles doivent répondre les véhicules automobiles, leurs remorques, leurs éléments ainsi que les accessoires de sécurité.
2) Par dérogation à l’article 10 de la loi du 22 décembre 2009 relative au régime général d’accise, le remboursement visé sous 1) est accordé, sur demande écrite déposée auprès des services désignés par le directeur général des douanes et accises, à la personne qui procède aux transports concernés.
Cette personne est tenue, par ailleurs, de se faire enregistrer conformément aux modalités fixées par ce directeur général des douanes et accises. Cet enregistrement est préalable à la demande de remboursement.
La preuve du paiement du droit d’accise spécial est apportée, à la satisfaction des agents de l’Administration des douanes et accises, par la facture établie par le fournisseur de gasoil.
Les factures faisant l’objet d’un paiement en numéraire n’ouvrent pas droit à remboursement.
Le remboursement est uniquement octroyé pour les livraisons de gasoil effectuées après l’obtention de l’enregistrement concerné.
3) Lorsque le ravitaillement en gasoil s’effectue auprès d’une station-service, la facture établie par le fournisseur comporte les éléments suivants :
- la date du ravitaillement;
- l’adresse de la station-service;
- le type et la quantité de carburant livré;
- le prix total du carburant;
- le numéro d’immatriculation du véhicule.
A titre transitoire, les factures établies entre le 1er janvier et le 31 mai 2004 sont toutefois dispensées de la mention du numéro d’immatriculation du véhicule.
Le directeur général des douanes et accises peut admettre que cette mention soit remplacée sur les factures établies à compter du 1er juin 2004, par un autre élément, pour autant que la personne concernée par le remboursement, tienne à l’appui de sa comptabilité, des pièces
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permettant à l’administration de faire le lien entre la facture et le véhicule concerné par le ravitaillement.
4) Lorsque le ravitaillement en gasoil s’effectue au départ d’un dépôt de carburant mis à la consommation appartenant à la personne qui procède aux transports concernés, celui-ci tient une comptabilité des stocks et des mouvements de gasoil comportant les éléments suivants :
- la situation de stock au 4 février 2004 à 0 heure et au 1er janvier à 0 heure des années suivantes;
- les quantités achetées sous la référence aux dates de leurs livraisons et à leurs factures d’achat;
- par approvisionnement de véhicule :
- la date et l’heure;
- la quantité;
- le numéro d’immatriculation du véhicule;
- le kilométrage du véhicule;
- l’identité du chauffeur.
Le directeur général des douanes et accises peut admettre que cette comptabilité contienne d’autres éléments pour autant que la régularité du remboursement demandé puisse être aisément attestée.
5) Le ministre des Finances est annuellement chargé, dans le courant du second semestre de l’année, d’estimer les conséquences économiques et budgétaires liées à l’exonération de l’augmentation de l’accise spéciale dont question sous 1) ».
B.1.4. L’enregistrement requis pour obtenir le remboursement d’une partie du droit d’accise spécial doit avoir lieu préalablement à la demande de remboursement. Avant le 1er janvier 2016, l’obligation d’enregistrement précitée était conçue comme une condition préalable pour pouvoir bénéficier d’un remboursement. Tant que le délai de prescription pour le remboursement du droit d’accise spécial de trois ans, à compter de la livraison de gasoil, n’était pas expiré, il était possible de s’enregistrer et d’introduire un dossier de demande pour le gasoil livré.
Depuis le 1er janvier 2016, il n’est possible d’obtenir le remboursement d’une partie du droit d’accise spécial que pour le gasoil livré après l’enregistrement.
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Quant à l’exception soulevée par le Conseil des ministres
B.2. Le Conseil des ministres soutient que les questions préjudicielles n’appellent pas de réponse parce que l’obligation d’enregistrement en cause existait déjà avant la modification législative du 18 décembre 2015, de sorte que la prétendue identité de traitement, ou la différence de traitement, ne saurait découler de l’article 8 en cause.
B.3.1. Il appartient à la juridiction a quo de déterminer les dispositions qui sont applicables au litige dont elle est saisie; les parties ne sont pas habilitées à mettre ce choix en cause devant la Cour. La Cour ne pourrait par ailleurs s’abstenir de répondre à la question qui lui est posée que si la réponse à cette question n’était manifestement pas utile à la solution de ce litige.
B.3.2. Par son arrêt de renvoi, la Cour d’appel de Bruxelles a jugé que « pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, [l’appelante] a en principe droit au remboursement »
parce que, selon la Cour d’appel, l’article 8 en cause ne peut être considéré comme une loi interprétative.
En ce qui concerne la période du 1er janvier 2016 au 7 février 2017, la Cour d’appel de Bruxelles considère que la partie appelante devant la juridiction a quo dispose de l’enregistrement requis depuis le 8 février 2017. Selon la juridiction a quo, la nouvelle condition de remboursement ne peut porter que sur les demandes de remboursement afférentes au droit d’accise spécial qui a été payé pour la période commençant au 1er janvier 2016, soit à la date d’entrée en vigueur de l’article 8 de la loi du 18 décembre 2015 (article 21 de la même loi).
B.3.3. La Cour répond aux questions telles qu’elles ont été posées par la juridiction a quo.
L’exception est rejetée.
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Quant à la première question préjudicielle
B.4. Par la première question préjudicielle, la juridiction a quo demande à la Cour si l’article 8 de la loi du 18 décembre 2015 viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition impose aux acquéreurs de produits soumis à accises qui peuvent obtenir une exonération au moyen d’un remboursement d’une partie du droit d’accise spécial une obligation d’enregistrement préalable « analogue à l’obligation d’enregistrement imposée à ceux qui, dans le cadre de la livraison ou de l’utilisation de produits soumis à accises, peuvent se prévaloir d’emblée d’une exonération et qui ne doivent dès lors pas non plus payer d’accises ».
B.5.1. L’article 429, § 5, de la loi-programme du 27 décembre 2004, tel qu’il a été modifié par l’article 8 de la loi du 18 décembre 2015, règle l’exonération, au moyen d’un remboursement, du droit d’accise spécial pour le « diesel professionnel » et impose, dans ce cadre, une obligation d’enregistrement préalable.
B.5.2. L’article 31 de l’arrêté royal du 28 juin 2015 « concernant la taxation des produits énergétiques et de l’électricité » dispose :
« Sans préjudice des dispositions particulières définies aux articles 32 à 48, toute personne exerçant une activité économique qui souhaite bénéficier d’une des exonérations de l’accise visées à l’article 429 de la [loi-programme du 27 décembre 2004], doit introduire préalablement une demande d’autorisation précisant l’utilisation qui sera donnée au produit énergétique ou à l’électricité.
Cette demande est appuyée d’un dossier démontrant qu’elle se trouve dans une situation lui permettant de bénéficier d’une de ces exonérations ».
B.6.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination. L’article 172 de la Constitution est une application particulière de ce principe en matière fiscale.
B.6.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des
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catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.6.3. Il relève du pouvoir d’appréciation du législateur de déterminer, lorsqu’il lève un impôt, les exonérations et les modalités de celui-ci. Il dispose en la matière d’une marge d’appréciation étendue. Toutefois, dans certains domaines, notamment en matière d’accises sur les produits énergétiques et l’électricité, cette compétence est limitée par la réglementation européenne applicable, en l’occurrence par la directive 2003/96/CE.
Dans cette matière, la Cour ne peut sanctionner les choix politiques du législateur et les motifs qui les fondent que s’ils reposent sur une erreur manifeste ou s’ils sont déraisonnables.
B.7.1. L’obligation d’enregistrement imposée par l’article 429, § 5, de la loi-programme du 27 décembre 2004, tel qu’il a été modifié par l’article 8 de la loi du 18 décembre 2015, s’applique aux acquéreurs de « diesel professionnel », qu’ils aient la nationalité belge ou une autre nationalité. L’obligation d’enregistrement permet à l’administration fiscale d’effectuer un premier contrôle, lequel consiste à vérifier si l’acquéreur existe effectivement et s’il satisfait aux normes légales imposées.
B.7.2. L’enregistrement pour les acquéreurs de « diesel professionnel » facilite, dans une phase ultérieure, lorsque le remboursement est effectivement demandé, le contrôle par l’administration fiscale. Du fait de l’obligation d’enregistrement préalable, le contrôle est organisé le plus efficacement possible, ce qui constitue un objectif légitime du législateur.
L’enregistrement permet, en outre, une estimation de l’incidence budgétaire de la mesure d’exonération fiscale, telle qu’elle est exigée à l’article 429, § 5, 5), de la loi-programme du 27 décembre 2004.
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Il s’ensuit que l’obligation d’enregistrement préalable ne constitue pas une condition purement formelle.
B.7.3. Il ressort de ce qui précède que l’identité de traitement en cause est raisonnablement justifiée.
B.7.4. L’examen de la première question préjudicielle n’aboutit pas à un constat d’incompatibilité de l’article 8 de la loi du 18 décembre 2015 avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
Quant à la deuxième question préjudicielle
B.8. Par la deuxième question préjudicielle, la juridiction a quo demande à la Cour si l’article 8 de la loi du 18 décembre 2015 viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec « les libertés européennes en matière de circulation des biens et des services », en ce qu’il prive les acquéreurs de produits soumis à accises du droit à restitution « pour la simple raison qu’ils ne s’étaient pas encore enregistrés [...] alors qu’ils satisfont pour le reste à toutes les conditions pour bénéficier de la restitution ».
Comme il est dit en B.1.1 (article 21 de la loi du 18 décembre 2015) et en B.3.2, la condition de remboursement en cause, à savoir l’enregistrement préalable à l’acquisition de gasoil, n’est applicable que depuis le 1er janvier 2016.
B.9. La différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir le fait que la livraison de gasoil a été effectuée avant ou après l’octroi de l’enregistrement.
B.10.1. Comme il est dit en B.7.1 et en B.7.2, l’exigence d’une obligation d’enregistrement permet à l’administration fiscale de procéder à un contrôle efficace.
La condition de remboursement en cause est dès lors pertinente pour atteindre les objectifs du législateur.
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B.10.2. La différence de traitement entre les acquéreurs qui se sont enregistrés avant la livraison de gasoil et les acquéreurs qui se sont enregistrés après la livraison de gasoil ne produit pas des effets disproportionnés.
Tout acquéreur de « diesel professionnel », qui est actif dans le secteur du transport, peut vérifier au préalable quelles sont les conditions à remplir pour bénéficier du remboursement d’une partie du droit d’accise spécial sur le gasoil. Cette responsabilité peut être attendue de la part de tout entrepreneur prudent et raisonnable.
B.10.3. Par conséquent, la différence de traitement est raisonnablement justifiée.
B.10.4. Sans qu’il soit nécessaire d’examiner si l’obligation d’enregistrement en cause limite les « libertés européennes en matière de circulation des biens et des services », il suffit de constater que, conformément à la directive 2003/96/CE, la « taxe est en tout cas prélevée et perçue selon les procédures fixées par chaque État membre » (article 21, paragraphe 5, de la directive 2003/96/CE) et que la mesure en cause est proportionnée aux objectifs poursuivis par le législateur.
Le contrôle au regard des « libertés européennes en matière de circulation des biens et des services » ne conduit dès lors pas à une autre conclusion.
B.11. L’article 8 de la loi du 18 décembre 2015 est compatible avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec les « libertés européennes en matière de circulation des biens et des services ».
Quant à la troisième question préjudicielle
B.12. Par la troisième question préjudicielle, la juridiction a quo demande à la Cour si les articles 8 et 21 de la loi du 18 décembre 2015 violent « le principe constitutionnel de légalité (et le principe de prévisibilité qu’il comprend) et/ou le principe d’égalité contenu dans les articles 170 et 172 de la Constitution, en ce que l’application de ces dispositions a pour conséquence d’imposer de nouvelles formalités (sous peine du refus de la restitution), sans prévoir une période transitoire raisonnable ».
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B.13. Comme il est dit en B.1.1 et en B.3.2, la nouvelle condition de remboursement est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Par conséquent, à partir du 1er janvier 2016, dans le cadre de la demande de remboursement d’une partie du droit d’accise spécial sur le gasoil, l’enregistrement doit être antérieur à l’acquisition du « diesel professionnel » en question.
Cette nouvelle condition de remboursement a été instaurée par l’article 8 de la loi du 18 décembre 2015, publiée au Moniteur belge du 29 décembre 2015, avec entrée en vigueur quasiment immédiate, le 1er janvier 2016.
B.14. Il appartient en principe au législateur, lorsqu’il décide d’introduire une nouvelle réglementation, d’estimer s’il est nécessaire ou opportun d’assortir celle-ci de dispositions transitoires. Les articles 170 et 172 de la Constitution ne sont violés que si l’absence d’une mesure transitoire entraîne une différence de traitement dénuée de justification raisonnable ou s’il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime.
Le législateur doit toutefois, lorsqu’il instaure un nouveau régime légal, examiner au cas par cas si des mesures transitoires sont nécessaires, compte tenu de l’incidence des nouvelles règles et des attentes légitimes des justiciables concernés.
B.15.1. Au regard du principe de la confiance légitime, le fait qu’aucun régime transitoire n’ait été prévu pour la nouvelle condition de remboursement n’est pas raisonnablement justifié.
L’entrée en vigueur quasiment immédiate de la nouvelle condition de remboursement contrarie les attentes légitimes des acquéreurs de gasoil, dès lors que l’enregistrement devait auparavant seulement être préalable à la demande de remboursement et non à l’acquisition de « diesel professionnel » et qu’ils pouvaient raisonnablement s’attendre à pouvoir exercer leur droit au remboursement de cette façon. La publication de l’article 8 en cause au Moniteur belge du 29 décembre 2015 et son entrée en vigueur le 1er janvier 2016 ont pour effet que le délai pour prendre connaissance de la nouvelle condition de remboursement et, le cas échéant, pour régler l’enregistrement requis est déraisonnablement court.
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B.15.2. Les articles 8 et 21 de la loi du 18 décembre 2015 ne sont dès lors pas compatibles avec les articles 170 et 172 de la Constitution en ce qu’ils ne prévoient pas, à l’égard des acquéreurs de gasoil, une période transitoire raisonnable pour régler leur enregistrement.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
Les articles 8 et 21 de la loi du 18 décembre 2015 « portant des dispositions diverses en matière de produits soumis à accise, ainsi que des modifications à la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises » violent les articles 170 et 172 de la Constitution en ce qu’ils ne prévoient pas, à l’égard des acquéreurs de gasoil, une période transitoire raisonnable pour régler leur enregistrement.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 27 juin 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 73/2024
Date de la décision : 27/06/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Violation (articles 8 et 21 de la loi du 18 décembre 2015, en ce qu'ils ne prévoient pas, à l'égard des acquéreurs de gasoil, une période transitoire raisonnable pour régler leur enregistrement)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles relatives aux articles 8 et 21 de la loi du 18 décembre 2015 « portant des dispositions diverses en matière de produits soumis à accise, ainsi que des modifications à la loi générale du 18 juillet 1977 sur les douanes et accises », posées par la Cour d'appel de Bruxelles. Droit fiscal - Taxation des produits énergétiques - Droit d'accise spécial pour le diesel professionnel (gasoil) - Exonération - Entreprises de transport professionnelles - Remboursement - Conditions - Période transitoire


Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-06-27;73.2024 ?

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