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27/06/2024 | BELGIQUE | N°74/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 27 juin 2024, 74/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 74/2024
du 27 juin 2024
Numéro du rôle : 8071
En cause : la question préjudicielle concernant l’article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014
« relative aux assurances », posée par la Cour d’appel d’Anvers.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Joséphine Moerman, Michel Pâques, Danny Pieters, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suiva

nt :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 27 juin 2023, dont l’expéditio...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 74/2024
du 27 juin 2024
Numéro du rôle : 8071
En cause : la question préjudicielle concernant l’article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014
« relative aux assurances », posée par la Cour d’appel d’Anvers.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Joséphine Moerman, Michel Pâques, Danny Pieters, Willem Verrijdt et Kattrin Jadin, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 27 juin 2023, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 août 2023, la Cour d’appel d’Anvers a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances viole-t-il les articles 10
et 11 de la Constitution, interprété en ce sens :
que les assurés ayant conclu un contrat d’assurance maladie (au sens de l’article 201, § 1er, de la loi du 4 avril 2014), à savoir en l’espèce une assurance incapacité de travail (au sens de l’article 201, § 1er, 2°, de la loi du 4 avril 2014), qui est offert à titre accessoire par rapport au risque principal, dont la durée n’est pas à vie, ne bénéficient pas, en vertu de l’article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014, d’une couverture impérative au moins jusqu’à l’âge de 65 ans ou à un âge antérieur, si cet âge est l’âge normal auquel l’assuré met complètement et définitivement fin à son activité professionnelle, alors que les assurés ayant conclu un contrat d’assurance maladie (au sens de l’article 201, § 1er, de la loi du 4 avril 2014), à savoir en l’espèce une assurance incapacité de travail (au sens de l’article 201, § 1er, 2°, de la loi du 4 avril 2014), qui n’est pas offert à titre accessoire par rapport au risque principal, dont la durée n’est pas à vie, bénéficient, en vertu de l’article 203, § 1er, de la loi du 4 avril 2014, d’une couverture impérative au moins jusqu’à l’âge de 65 ans ou à un âge antérieur, si cet âge est l’âge normal auquel l’assuré met complètement et définitivement fin à son activité professionnelle ? ».
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Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- Willem Daniels, assisté et représenté par Me Stijn Verbist, avocat au barreau du Limbourg, et Me Noa Michiels, avocate au barreau d’Anvers;
- la SA « AG Insurance », assistée et représentée par Me Dirk Vanes, avocat au barreau d’Anvers;
- l’ASBL « Assuralia », assistée et représentée par Me Sandra Lodewijckx et Me Jens Debièvre, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Carmenta Decordier, avocate au barreau de Gand.
Par ordonnance du 10 avril 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Danny Pieters et Kattrin Jadin, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le 13 février 1997, Willem Daniels conclut un contrat d’assurance avec Fortis AG, prédécesseur juridique de la SA « AG Insurance ». Ce contrat comprend une assurance vie (épargne-pension, sous la forme d’un capital différé avec remboursement de primes) avec une assurance complémentaire incapacité de travail (sous la forme d’une rente). Le contrat prévoit une couverture du risque principal jusqu’à l’âge de 65 ans et une couverture de l’assurance complémentaire jusqu’à l’âge de 60 ans. Le paiement des rentes dans le cadre de l’assurance complémentaire incapacité de travail s’interrompt au 1er mars 2020, c’est-à-dire à la date de fin prévue au contrat.
Le 2 octobre 2020, Willem Daniels assigne la SA « AG Insurance » pour qu’elle continue à payer la rente dans le cadre de l’assurance complémentaire incapacité de travail jusqu’à la date à laquelle il aura atteint l’âge de 65 ans. Il invoque pour cela l’article 203, § 1er, de la loi du 4 avril 2014 « relative aux assurances » (ci-après : la loi du 4 avril 2014). En vertu de cette disposition, les contrats d’assurance maladie visés à l’article 201, § 1er, 2°, valent jusqu’à l’âge de 65 ans ou un âge antérieur, si cet âge est l’âge normal auquel l’assuré met complètement et définitivement fin à son activité professionnelle. L’article 201, § 1er, 2°, porte sur l’assurance incapacité de travail.
La SA « AG Insurance » conteste la demande de Willem Daniels. Elle se fonde sur l’article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014, aux termes duquel les dispositions de cet article ne sont pas applicables aux contrats d’assurance maladie offerts à titre accessoire par rapport au risque principal dont la durée n’est pas à vie.
Après que le Tribunal de l’entreprise d’Anvers, division de Tongres, a rejeté sa demande en la déclarant non fondée, Willem Daniels interjette appel devant la juridiction a quo. Celle-ci constate que l’assurance complémentaire incapacité de travail est un contrat d’assurance maladie accessoire au sens de l’article 203, § 3,
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de la loi du 4 avril 2014. À la demande de Willem Daniels, la juridiction a quo pose la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
Quant à la recevabilité de la question préjudicielle
A.1. La SA « AG Insurance », partie intimée devant la juridiction a quo, soutient que la question préjudicielle ne relève pas de la compétence de la Cour, puisque celle-ci demande à la Cour d’interpréter l’article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014.
A.2. Selon Willem Daniels, partie appelante devant la juridiction a quo, la question préjudicielle relève bien de la compétence de la Cour. Il appartient à la Cour d’examiner la disposition en cause dans l’interprétation que lui donne la juridiction a quo.
A.3. Assuralia, partie intervenante, soutient que la réponse à la question préjudicielle ne saurait contribuer à la solution du litige soumis à la juridiction a quo parce que la question préjudicielle invite la Cour à établir une comparaison entre une assurance incapacité de travail souscrite de manière isolée et une assurance incapacité de travail souscrite à titre accessoire, alors que ces situations sont manifestement incomparables. En outre, même si la Cour conclut à l’inconstitutionnalité de l’article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014, l’article 203, § 2, de cette loi est en tout cas applicable et offre la possibilité de conclure des contrats pour une durée limitée à la demande expresse de l’assuré principal et s’il y va de son intérêt.
A.4. La partie appelante devant la juridiction a quo rétorque que la question préjudicielle est pourtant recevable. Si la Cour répond à la question préjudicielle par l’affirmative, la juridiction a quo ne pourra pas tenir compte de la non-prolongation de l’assurance incapacité de travail qu’elle a souscrite à titre accessoire.
Quant au fond
A.5.1. La partie appelante devant la juridiction a quo observe que la disposition en cause, dans l’interprétation retenue par la juridiction a quo, fait naître une différence de traitement entre deux catégories de contrats d’assurance maladie qui sont comparables, à savoir, d’une part, un contrat d’assurance maladie qui a été souscrit comme assurance principale dont la durée n’est pas à vie, et dont la durée est prolongée jusqu’à l’âge légal de la pension en vertu de l’article 203, §§ 1er et 3, et, d’autre part, un contrat d’assurance maladie qui a été souscrit comme assurance accessoire par rapport à un risque principal dont la durée n’est pas à vie, et dont la durée n’est pas prolongée jusqu’à l’âge légal de la pension en vertu des mêmes dispositions. Selon elle, les deux contrats sont comparables parce qu’ils prévoient tous les deux une couverture en cas de maladie, ainsi que des frais qui en découlent, et parce qu’ils pouvaient tous les deux être souscrits pour une durée moindre que jusqu’à l’âge légal de la pension.
La question préjudicielle ne vise pas à établir une comparaison entre les personnes qui relevaient du champ d’application de l’ancienne réglementation légale et les personnes qui relèvent du champ d’application de la disposition en cause. La disposition en cause crée en effet une différence de traitement entre deux catégories de preneurs d’assurance qui relevaient de l’ancienne législation, en n’accordant un avantage qu’à la catégorie des preneurs d’assurance qui avaient souscrit une assurance maladie comme assurance principale.
Le fait que l’assurance soit souscrite comme assurance principale ou comme assurance accessoire n’entraîne pas la non-comparabilité des catégories de personnes mentionnées dans la question préjudicielle. Il n’est pas non plus pertinent à cet égard que l’exposé des motifs du projet à l’origine de la loi du 20 juillet 2007 « modifiant, en ce qui concerne les contrats privés d’assurance maladie, la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre »
(ci-après : la loi du 20 juillet 2007) mentionne à propos de l’article 138bis-3, dernier paragraphe, de la loi du
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25 juin 1992 « sur le contrat d’assurance terrestre », qui est la disposition antérieure à la disposition en cause, que les parties qui concluent un contrat d’assurance maladie souscrit comme assurance accessoire ne cherchent pas prioritairement à couvrir le risque maladie, mais à offrir une couverture accessoire en sus de la couverture offerte par le contrat d’assurance principal. En effet, d’autres motifs peuvent aussi être à l’origine de ce choix.
A.5.2. Selon la partie appelante devant la juridiction a quo, le caractère accessoire ou non du contrat d’assurance maladie ne constitue pas un critère de distinction objectif. Elle se réfère à l’appui de ce point de vue à ce qu’elle a observé ci-avant à propos de la justification donnée dans l’exposé des motifs du projet à l’origine de la loi du 20 juillet 2007. En outre, la disposition en cause lèse uniquement les personnes ayant souscrit sous l’empire de la précédente législation un contrat d’assurance maladie comme assurance accessoire.
A.5.3. La partie appelante devant la juridiction a quo aborde ensuite l’objectif poursuivi par la loi du 20 juillet 2007. En introduisant les contrats individuels d’assurance maladie conclus à vie, cette loi vise à protéger les intérêts du consommateur en apportant une réponse aux pratiques de certains assureurs, qui profitaient d’une maladie ou d’un accident pour résilier le contrat. À la lumière de cet objectif, le caractère accessoire ou non du contrat d’assurance maladie ne constitue pas un critère nécessaire et adéquat, dès lors que le preneur d’assurance doit bénéficier dans les deux cas de la même protection. Le législateur aurait pu tout autant atteindre son objectif de compléter la couverture de l’assurance principale par l’assurance souscrite à titre accessoire en maintenant l’assurance accessoire jusqu’au moment où l’assuré atteint l’âge légal de la pension, si l’assurance principale est d’une durée équivalente. La proportionnalité de la différence de traitement en cause ne peut, selon la partie appelante devant la juridiction a quo, reposer sur le fait que le preneur d’assurance peut poser un choix libre et éclairé en faveur de l’une ou l’autre assurance. En effet, elle a souscrit ses contrats d’assurance avant l’entrée en vigueur de la disposition en cause.
A.6.1. La partie intimée devant la juridiction a quo observe en premier lieu que, déjà avant l’entrée en vigueur de la disposition en cause, la règle qui prévalait était que les contrats d’assurance maladie souscrits comme assurance accessoire par rapport à un risque principal dont la durée n’est pas à vie ne s’appliquaient pas au moins jusqu’à l’âge de 65 ans ou à un âge antérieur, si cet âge est l’âge normal auquel l’assuré met complètement et définitivement fin à son activité professionnelle. La différence de traitement en cause a été créée par la loi du 20 juillet 2007 et par la loi du 17 juin 2009 « modifiant, en ce qui concerne les contrats d’assurance maladie, la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre et la loi du 20 juillet 2007 modifiant, en ce qui concerne les contrats privés d’assurance maladie, la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre ». Avant l’entrée en vigueur de ces lois, les parties pouvaient convenir librement de la durée du contrat d’assurance maladie, peu importe que celui-ci ait été conclu comme assurance principale ou comme assurance accessoire. La question préjudicielle vise dès lors à établir une comparaison entre les personnes qui tombaient sous le champ d’application de l’ancienne réglementation légale et les personnes qui tombent sous le champ d’application de la disposition en cause. Cependant, une telle comparaison ne peut pas aboutir à une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
A.6.2. La partie intimée devant la juridiction a quo fait valoir en deuxième lieu qu’un preneur d’assurance qui a souscrit une assurance incapacité de travail comme assurance principale et un preneur d’assurance qui a souscrit une assurance incapacité de travail comme assurance accessoire sont incomparables. Premièrement, les deux types de contrats sont soumis à des régimes légaux distincts. Deuxièmement, les deux catégories de travailleurs ont des intentions différentes. Alors que le preneur d’assurance qui a souscrit une assurance incapacité de travail comme assurance principale cherche à obtenir une couverture d’assurance maladie, le preneur d’assurance qui a souscrit une assurance incapacité de travail comme assurance accessoire veut seulement obtenir une couverture supplémentaire. Troisièmement, les deux types de contrats d’assurance sont de natures différentes et portent sur des produits différents. Enfin, la problématique de la compatibilité de l’assurance accessoire ne se pose pas dans le cas d’une assurance maladie souscrite comme assurance principale.
A.6.3. La partie intimée devant la juridiction a quo estime en troisième lieu que la disposition en cause poursuit un but légitime. Il ressort en effet de l’exposé des motifs du projet à l’origine de la loi du 20 juillet 2007
qu’en adoptant la disposition en cause, le législateur cherchait à ce que l’assurance accessoire suive la couverture de l’assurance principale, en application de l’adage « accessorium sequitur principale ».
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A.6.4. Enfin, selon la partie intimée devant la juridiction a quo, la différence de traitement en cause est fondée sur un critère de distinction objectif, pertinent et proportionné. Le critère de distinction est objectif, puisqu’il s’agit de la manière dont l’assurance incapacité de travail a été souscrite. Ce critère est également pertinent pour atteindre l’objectif mentionné en A.5.3. Si une assurance incapacité de travail accessoire avait une durée obligatoire jusqu’à 65 ans, il ne serait plus possible de souscrire une assurance vie ou décès comme risque principal d’une durée moindre que jusqu’à 65 ans. Enfin, le caractère accessoire ou non d’une assurance incapacité de travail constitue un critère de distinction proportionné, puisque l’assuré peut effectivement poser un choix libre et éclairé pour l’un ou l’autre type d’assurance, comme l’a également fait la partie appelante devant la juridiction a quo. Les parties contractantes sont libres de souscrire une assurance incapacité de travail comme assurance principale ou comme assurance accessoire et, dans le second cas, de convenir de durées différentes pour l’assurance principale et pour l’assurance accessoire. Les éventuels effets préjudiciables qu’entraîne un tel choix constituent une situation de fait qui ne relève pas de la compétence de la Cour.
A.7.1. Le Conseil des ministres fait valoir qu’un preneur d’assurance qui a souscrit un contrat d’assurance maladie qui n’est pas offert à titre accessoire par rapport à un risque principal dont la durée n’est pas à vie et un preneur d’assurance qui a souscrit un contrat d’assurance maladie qui est offert à titre accessoire par rapport à un risque principal dont la durée n’est pas à vie sont incomparables. En effet, une couverture impérative s’applique jusqu’à 65 ans dans le premier cas (en vertu de l’article 201, § 1er, de la loi du 4 avril 2014), mais pas dans le second cas (en vertu de l’article 203, § 3, de la loi précitée). Ces couvertures différentes s’expliquent par les risques différents qui en font l’objet. Le contrat d’assurance vie qu’a souscrit la partie appelante devant la juridiction a quo comme contrat principal couvre le décès avant l’âge de 65 ans, alors que l’assurance incapacité de travail qu’elle a souscrite comme assurance accessoire couvre l’invalidité ou l’incapacité totale de travail jusqu’à l’âge défini dans le contrat ou jusqu’à la date du décès antérieur.
A.7.2. Le Conseil des ministres souligne par ailleurs que la différence de traitement en cause poursuit un but légitime, qui est de fixer la durée du contrat d’assurance en fonction du risque assuré et de protéger le preneur d’assurance. Les éléments énoncés en A.7.1 constituent des critères de distinction objectifs. Enfin, la différence de traitement en cause est proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, puisque le preneur d’assurance a connaissance des différentes durées des couvertures qui sont offertes au moment où il souscrit le contrat.
A.8.1. La partie intervenante fait valoir qu’un assuré qui souscrit une assurance incapacité de travail à titre accessoire par rapport à un risque principal, par exemple une assurance complémentaire exonération de primes en cas d’incapacité de travail, et qui est liée à une assurance pension et un assuré qui souscrit une assurance incapacité de travail comme risque principal ou unique sont incomparables. Alors qu’une assurance incapacité de travail qui n’est pas souscrite à titre accessoire par rapport à un risque principal a pour but exclusif de couvrir l’incapacité de travail proprement dite, l’assurance incapacité de travail qui est souscrite à titre accessoire par rapport à un risque principal constitue simplement une garantie supplémentaire et couvre donc un autre risque que le risque d’incapacité de travail. En outre, les deux types d’assurances font l’objet de réglementations différentes, y compris sur le plan fiscal.
A.8.2. Selon la partie intervenante, la différence de traitement en cause est à tout le moins raisonnablement justifiée. Elle repose sur un critère de distinction objectif et général, à savoir le mode de souscription de l’assurance.
La disposition en cause poursuit deux objectifs, à savoir, d’une part, l’alignement de la durée de l’assurance complémentaire sur celle de l’assurance principale et, d’autre part, la liberté de choix offerte au preneur d’assurance par rapport à la souscription d’une assurance incapacité de travail. Ces objectifs sont légitimes. Pour les motifs énoncés en A.6.4, la différence de traitement est en outre adéquate, nécessaire et proportionnée au regard des objectifs poursuivis par le législateur.
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-B-
Quant à la disposition en cause
B.1.1. La question préjudicielle porte sur l’article 203 de la loi du 4 avril 2014 « relative aux assurances » (ci-après : la loi du 4 avril 2014), qui dispose, sous l’intitulé « Durée du contrat d’assurance » :
« § 1er. Sans préjudice de l’application des articles 59, 60, 65, 69, 70, 71, 72 et 81 et hormis le cas de fraude, les contrats d’assurance maladie visés à l’article 201, § 1er, 1°, 3° et 4°
sont conclus à vie. Les contrats d’assurance maladie visés à l’article 201, § 1er, 2°, valent jusqu’à l’âge de 65 ans ou un âge antérieur, si cet âge est l’âge normal auquel l’assuré met complètement et définitivement fin à son activité professionnelle.
§ 2. Sans préjudice de l’application de l’article 85, § 3, les contrats peuvent être conclus pour une durée limitée à la demande expresse de l’assuré principal et s’il y va de son intérêt.
§ 3. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux contrats d’assurance maladie offerts à titre accessoire par rapport au risque principal, dont la durée n’est pas à vie ».
L’article 201, § 1er, de la loi du 4 avril 2014 dispose :
« Par contrat d’assurance maladie, l’on entend :
1° l’assurance soins de santé qui garantit, en cas de maladie ou en cas de maladie et d’accident, des prestations relatives à tout traitement médical préventif, curatif ou diagnostique nécessaire à la préservation et/ou au rétablissement de la santé;
2° l’assurance incapacité de travail qui, en cas de maladie ou en cas de maladie et d’accident, indemnise totalement ou partiellement la diminution ou la perte de revenus professionnels due à l’incapacité de travail d’une personne;
3° l’assurance invalidité qui garantit une prestation en cas de maladie ou en cas de maladie et d’accident;
4° l’assurance soins non obligatoire qui prévoit des prestations en cas de perte totale ou partielle d’autonomie.
[...] ».
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B.1.2. L’article 203, § 1er, de la loi du 4 avril 2014 constitue une exception à la règle générale selon laquelle la durée des contrats d’assurance visés par cette loi ne peut excéder un an (article 85, § 1er, alinéa 1er, première phrase, et alinéa 4, première phrase, de la loi du 4 avril 2014).
B.1.3. En vertu de l’article 331, § 3, de la loi du 4 avril 2014, les articles 201 et 203 de cette loi sont applicables tant aux contrats conclus à ou après la date d’entrée en vigueur de cette loi qu’aux contrats conclus antérieurement qui sont toujours en cours à cette date.
Quant à la recevabilité et à l’utilité de la question préjudicielle
B.2.1. La partie intimée devant la juridiction a quo allègue que la question préjudicielle doit être déclarée irrecevable parce qu’elle soumettrait à la Cour une question relative à l’interprétation d’une disposition législative.
B.2.2. La question posée par la juridiction a quo ne porte pas sur l’interprétation de l’article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014, mais sur sa constitutionnalité dans l’interprétation précisée par cette juridiction. Une telle question relève de la compétence de la Cour, telle qu’elle résulte de l’article 142, alinéa 2, 2°, de la Constitution.
B.2.3. L’exception est rejetée.
B.3.1. La partie intervenante soutient que la réponse à la question préjudicielle n’est pas utile à la solution du litige soumis à la juridiction a quo parce que les situations visées par la question préjudicielle ne sont pas comparables et parce que, même si la Cour devait conclure à l’inconstitutionnalité de l’article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014, l’article 203, § 2, de cette loi serait en tout cas applicable.
B.3.2. L’examen de ces exceptions coïncide avec celui du fond de l’affaire.
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Quant au fond
B.4.1. La juridiction a quo demande à la Cour si l’article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014
est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle les assurés qui ont souscrit une assurance incapacité de travail qui est offerte à titre accessoire par rapport au risque principal, dont la durée n’est pas à vie, ne peuvent bénéficier d’une couverture au moins jusqu’à l’âge de 65 ans ou à un âge antérieur, si cet âge est l’âge normal auquel l’assuré met complètement et définitivement fin à son activité professionnelle, alors que les assurés qui ont souscrit une assurance incapacité de travail qui n’est pas offerte à titre accessoire par rapport au risque principal, dont la durée n’est pas à vie, peuvent quant à eux bénéficier d’une couverture au moins jusqu’à l’âge de 65 ans ou à un âge antérieur, si cet âge est l’âge normal auquel l’assuré met complètement et définitivement fin à son activité professionnelle.
B.4.2. Il ressort de la décision de renvoi que, dans le litige au fond, un assuré, partie appelante devant la juridiction a quo, a souscrit le 13 février 1997 une assurance vie (épargne-
pension) en tant qu’assurance principale, avec une assurance incapacité de travail souscrite en tant qu’assurance accessoire au sens de l’article 201, § 1er, 2°, de la loi du 4 avril 2014, en ayant convenu de durées différentes pour les deux assurances : le risque principal est couvert jusqu’à l’âge de 65 ans, tandis que le risque accessoire est couvert jusqu’à l’âge de 60 ans.
La Cour limite son examen à cette situation.
B.5.1. La partie intimée devant la juridiction a quo allègue que la question préjudicielle vise à établir une comparaison entre des assurés qui relevaient du champ d’application de l’ancienne réglementation légale et des assurés qui relèvent du champ d’application de la disposition en cause. Une telle comparaison ne peut selon elle être constitutive d’une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.5.2. Pour vérifier le respect du principe d’égalité et de non-discrimination, il n’est pas pertinent de comparer entre elles deux législations qui étaient applicables à des moments différents. Il relève du pouvoir d’appréciation du législateur de poursuivre un objectif différent de celui qu’il poursuivait antérieurement et d’adopter des dispositions de nature à le réaliser.
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La seule circonstance que le législateur ait pris une mesure différente de celle qu’il avait adoptée antérieurement n’établit en soi aucune discrimination. À peine de rendre impossible toute modification de la loi, il ne peut être soutenu qu’une disposition nouvelle violerait le principe d’égalité et de non-discrimination par cela seul qu’elle modifie les conditions d’application de la législation ancienne.
B.5.3. Il ressort du libellé de la question préjudicielle et de la motivation de la décision de renvoi que la question préjudicielle vise à établir une comparaison entre deux catégories d’assurés qui ont souscrit une assurance incapacité de travail et auxquels l’article 203 de la loi du 4 avril 2014 s’applique, à savoir, d’une part, un assuré qui a souscrit une assurance incapacité de travail en tant qu’assurance principale et, d’autre part, un assuré qui a souscrit une assurance incapacité de travail en tant qu’assurance accessoire.
B.6.1. La partie intimée devant la juridiction a quo, le Conseil des ministres et la partie intervenante font valoir qu’un assuré qui a souscrit une assurance incapacité de travail comme assurance principale et un assuré qui a souscrit une assurance incapacité de travail comme assurance accessoire sont incomparables, puisque les deux types d’assurances font l’objet de réglementations légales différentes et poursuivent des objectifs différents.
B.6.2. Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. S’il est vrai que les éléments invoqués par la partie intimée devant la juridiction a quo, par le Conseil des ministres et par la partie intervenante peuvent être pris en compte dans l’appréciation du caractère raisonnable et proportionné d’une différence de traitement entre assurés qui souscrivent une assurance incapacité de travail en tant qu’assurance principale ou en tant qu’assurance accessoire, ces éléments ne peuvent cependant suffire pour conclure à la non-comparabilité de ces catégories de personnes, sous peine de priver de toute substance le contrôle exercé au regard du principe d’égalité et de non-discrimination.
B.7. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
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L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.8. L’article 203, § 1er, seconde phrase, de la loi du 4 avril 2014 prévoit pour les assurances incapacité de travail une durée minimale obligatoire jusqu’à l’âge de 65 ans ou un âge antérieur, si cet âge est l’âge normal auquel l’assuré met complètement et définitivement fin à son activité professionnelle. En vertu de l’article 203, § 2, de la loi précitée, de telles assurances ne peuvent être conclues pour une durée moindre qu’à la demande expresse de l’assuré principal et s’il y va de son intérêt. Cependant, l’article 203, § 3, de la loi précitée exclut expressément les assurances incapacité de travail offertes à titre accessoire par rapport au risque principal, dont la durée n’est pas à vie, de cette durée minimale et de cette possibilité conditionnelle d’une durée moindre.
B.9. La différence de traitement en cause repose sur un critère de distinction objectif, à savoir le fait de souscrire une assurance incapacité de travail à titre principal ou à titre accessoire.
B.10. L’article 203 de la loi du 4 avril 2014 trouve sa source dans l’article 138bis-3 de la loi du 25 juin 1992 « sur le contrat d’assurance terrestre » (ci-après : la loi du 25 juin 1992), inséré par l’article 2 de la loi du 20 juillet 2007 « modifiant, en ce qui concerne les contrats privés d’assurance maladie, la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre » (ci-
après : la loi du 20 juillet 2007). La loi du 20 juillet 2007 vise « à améliorer considérablement et à protéger les droits des assurés (y compris les malades et les handicapés) dans le cadre de l’assurance maladie privée (assurance hospitalisation, assurance incapacité de travail, assurance invalidité, assurance revenu garanti) » (Doc. parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2689/001, p. 3). L’une des mesures prises en ce sens se rapporte à la durée de l’assurance maladie individuelle, qui « est garantie à vie tant pour le preneur d’assurance que pour les membres de sa famille (généralement le partenaire et les enfants) qui sont repris dans son assurance » (ibid.).
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En ce qui concerne l’assurance incapacité de travail, cela s’est traduit en une durée minimale qui correspond à la carrière professionnelle de l’assuré. Selon les travaux préparatoires de la loi du 20 juillet 2007, l’instauration d’une durée minimale obligatoire pour les contrats d’assurance maladie vise à mettre un terme à la pratique consistant, « à la suite d’une maladie ou d’un accident, [à résilier] les contrats d’assurance précités [...] ou [à modifier] les conditions contractuelles (insertion de nouvelles exclusions) ou tarifaires » (ibid., p. 4).
Le commentaire des articles précise ce qui suit à propos de l’article 138bis-3 en projet :
« Durée du contrat d’assurance
Les alinéas premier et second du paragraphe premier de l’article 30 ne sont pas applicables au présent titre.
Précisons qu’il ne s’agit pas d’une nouveauté. En effet, l’actuel article 30, § 1er, alinéa quatre stipule déjà que le principe de l’annalité du contrat n’est pas applicable à l’assurance maladie.
Il serait, par ailleurs, contradictoire de laisser le principe de l’annalité des contrats et de stipuler, dans le même temps, que ces contrats sont conclus à vie comme le prévoit le paragraphe deux de l’article 138bis-3, § 2.
Le principe de la conclusion à vie du contrat d’assurance maladie ne doit, toutefois, pas empêcher les mécanismes du droit commun des assurances de jouer. Ainsi en est-il en cas d’omission ou d’inexactitude (articles 6 et 7 de la loi), de déchéance du droit à la prestation (article 11), du défaut de paiement de la prime (article 14), de la sommation à payer et de la suspension du contrat (articles 14, 15, 16 et 17) et de l’inexistence du risque (article 24).
De même, l’adage Fraus omnia corrumpit reste applicable en telle sorte qu’en cas de fraude, le caractère à vie de l’assurance maladie disparaît.
De plus, à la demande du preneur, le contrat peut être résilié à la date de l’échéance annuelle de la prime. Le caractère à vie du contrat d’assurance maladie n’affecte pas le droit du preneur d’assurance de résilier son contrat d’assurance. Seul, l’assureur ne peut plus résilier le contrat.
Ceci est logique compte tenu du fait que le contrat d’assurance est précisément conclu en vue de couvrir le risque de détérioration de l’état de santé de l’assuré [...]. L’assureur le sait. Il inclut ce risque dans sa politique d’acceptation et dans le calcul de la prime au moment de la conclusion du contrat d’assurance. Dans la même optique, il ne peut invoquer une aggravation du risque (article 26) pour résilier le contrat ou augmenter la prime.
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Il est aussi loisible au preneur d’assurance de solliciter la conclusion d’un contrat pour une durée limitée comme le prévoit le troisième paragraphe [article 138bis-3, § 2, de la loi du 25 juin 1992, inséré par l’article 2 de la loi du 20 juillet 2007].
Il est parfois de l’intérêt du preneur d’assurance et/ou de l’assuré de pouvoir conclure une assurance temporaire. Ainsi en est-il d’une assurance conclue pour une durée limitée par une personne séjournant temporairement en Belgique. Il en est de même pour la personne qui désire souscrire une assurance incapacité de travail ou invalidité pour une période déterminée, soit la période pendant laquelle elle va être exposée à ce risque. On pense aussi à l’assurance revenu garanti pour une personne chargée d’une mission spécifique en Belgique et qui retournera par la suite dans son pays d’origine pour y poursuivre son activité professionnelle habituelle.
Enfin, le quatrième paragraphe [article 138bis-3, § 3, de la loi du 25 juin 1992, inséré par l’article 2 de la loi du 20 juillet 2007] précise que cet article n’est pas applicable aux contrats d’assurance maladie couvrant un risque accessoire offert conjointement à la couverture d’un risque principal qui n’est pas conclu à vie. Cette disposition est logique compte tenu que l’objectif poursuivi à la conclusion du contrat n’est pas prioritairement de couvrir le risque maladie. Cette dernière couverture est accessoire. La couverture assurance maladie suit dans ces circonstances la couverture du risque principal. Accessorium sequitur principale » (Doc.
parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2689/001, pp. 11-12).
B.11. Il ressort des travaux préparatoires précités que la non-application de la disposition concernant la durée minimale et la possibilité conditionnelle de prévoir une durée moindre aux assurances incapacité de travail offertes à titre accessoire par rapport à un risque principal dont la durée n’est pas à vie repose sur la prémisse que de telles assurances incapacité de travail ne visent pas tant l’obtention d’une couverture du risque d’incapacité de travail, mais l’obtention d’une couverture venant compléter la couverture du risque principal, de sorte que la durée de cette couverture complémentaire doit être alignée sur la durée de la couverture de l’assurance principale.
B.12.1. Cette prémisse néglige toutefois le fait que la disposition en cause exige seulement que l’assurance maladie ait été offerte à titre accessoire par rapport au risque principal, mais pas que cette assurance maladie accessoire offre une couverture accessoire contre le risque principal. Une assurance maladie accessoire au sens de la disposition en cause peut dès lors se rapporter à un autre risque que le risque principal, tant qu’elle n’a été souscrite qu’à titre accessoire par rapport à l’assurance principale. Un assuré qui, comme dans le litige au fond, a souscrit une assurance incapacité de travail comme assurance accessoire par rapport à une assurance vie ne vise donc pas nécessairement une couverture accessoire du risque principal couvert par l’assurance vie, mais peut viser une couverture du risque accessoire d’incapacité de
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travail, c’est-à-dire du risque de diminution ou de perte de revenus professionnels en cas de maladie ou en cas de maladie et d’accident.
Étant donné que, comme le législateur l’indique aussi lui-même dans les travaux préparatoires mentionnés en B.10, le risque d’incapacité de travail augmente au fur et à mesure que l’assuré vieillit et que sa carrière professionnelle avance, il n’est pas pertinent, à la lumière de l’objectif du législateur de renforcer la protection des droits des assurés, d’exclure de la durée minimale inscrite à l’article 203, § 1er, de la loi du 4 avril 2014 les assurances incapacité de travail offertes à titre accessoire par rapport à un risque principal dont la durée n’est pas à vie.
En effet, par sa nature, une assurance incapacité de travail est intrinsèquement liée à la durée de la carrière professionnelle de l’assuré. La souscription de cette assurance comme assurance principale ou comme assurance accessoire n’est pas pertinente à cet égard.
En d’autres termes, la disposition précitée expose l’assuré aux conséquences préjudiciables que le législateur voulait justement éviter en instaurant la durée minimale et la possibilité conditionnelle d’une durée moindre. À ce propos, une députée a d’ailleurs demandé, lors des travaux préparatoires de la loi du 20 juillet 2007, si l’exclusion vis-à-vis des assurances incapacité de travail offertes à titre accessoire « ne [risque] pas de miner le principe général de la durée à vie », étant donné le grand nombre d’assurés se trouvant dans cette situation (Doc.
parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2689/004, p. 10). Le ministre compétent lui a seulement répondu en reprenant ce qui était indiqué dans le commentaire des articles à propos de cette exclusion, à savoir que les dispositions prévues par l’article 138bis-3, §§ 1er et 2, concernent uniquement les contrats d’assurance maladie conclus en ordre principal, et en plaidant « pour qu’un maximum d’assurés conclue un contrat d’assurance maladie en ordre principal et non en annexe à un autre contrat d’assurance » (ibid.).
B.12.2. Comme le relève la partie appelante devant la juridiction a quo, la disposition en cause n’est pas non plus pertinente au regard de l’objectif poursuivi par le législateur d’appliquer l’adage « accessorium sequitur principale ». Au lieu de faire en sorte que l’application de la durée minimale jusqu’à l’âge de 65 ans ou à un âge antérieur, si cet âge est l’âge normal auquel l’assuré met complètement et définitivement fin à son activité professionnelle, aux assurances incapacité de travail offertes à titre accessoire dépende de la
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condition de ne pas pouvoir excéder la durée de l’assurance principale, la disposition en cause exclut totalement les assurés qui ont souscrit à titre accessoire une assurance incapacité de travail de la réglementation inscrite à l’article 203, § 1er, de la loi du 4 avril 2014, si bien qu’il n’est nullement garanti que la durée de l’assurance principale et celle de l’assurance souscrite à titre accessoire seront alignées l’une sur l’autre.
B.12.3. Contrairement à ce que soutiennent la partie intimée devant la juridiction a quo, le Conseil des ministres et la partie intervenante, la disposition en cause ne peut être justifiée par le fait que l’assuré peut choisir de souscrire l’assurance incapacité de travail en tant qu’assurance principale ou en tant qu’assurance accessoire. Étant donné la protection fondamentale offerte à l’assuré par les dispositions inscrites à l’article 203, §§ 1er et 2, de la loi du 4 avril 2014, il n’y a pas réellement de liberté de choix pour l’assuré. Il n’est pas non plus pertinent que l’article 203, § 2, de la loi du 4 avril 2014 offre explicitement la possibilité de souscrire, à la demande expresse de l’assuré principal et s’il y va de son intérêt, une assurance incapacité de travail en tant qu’assurance principale pour une durée moindre. Il ressort en effet du commentaire des articles mentionné en B.10, ainsi que de l’objectif poursuivi par le législateur en subordonnant cette possibilité à la condition que cela soit dans l’intérêt de l’assuré (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2689/002, p. 3), que cette disposition ne vise que des cas exceptionnels et qu’elle ne peut être appliquée que dans l’intérêt de l’assuré. Cette disposition ne peut donc servir de fondement général pour déroger à la durée minimale prévue par l’article 203, § 1er, de la loi du 4 avril 2014.
B.13. L’article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014 n’est dès lors pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il ne rend pas la durée minimale obligatoire inscrite à l’article 203, § 1er, de cette loi applicable aux assurés qui ont souscrit une assurance incapacité de travail offerte à titre accessoire par rapport à un risque principal dont la durée n’est pas à vie.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014 « relative aux assurances » viole les articles 10
et 11 de la Constitution, en ce qu’il ne rend pas la durée minimale obligatoire inscrite à l’article 203, § 1er, de cette loi applicable aux assurés qui ont souscrit une assurance incapacité de travail offerte à titre accessoire par rapport à un risque principal dont la durée n’est pas à vie.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 27 juin 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 74/2024
Date de la décision : 27/06/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Violation (article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014, en ce qu'il ne rend pas la durée minimale obligatoire inscrite à l'article 203, § 1er, de cette loi applicable aux assurés qui ont souscrit une assurance incapacité de travail offerte à titre accessoire par rapport à un risque principal dont la durée n'est pas à vie)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle concernant l'article 203, § 3, de la loi du 4 avril 2014 « relative aux assurances », posée par la Cour d'appel d'Anvers. Droit des assurances - Assurances de personnes - Contrats d'assurance maladie - Assurance incapacité de travail - Durée du contrat d'assurance - Assurance principale / Assurance accessoire


Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-06-27;74.2024 ?

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