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04/07/2024 | BELGIQUE | N°77/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 04 juillet 2024, 77/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 77/2024
du 4 juillet 2024
Numéro du rôle : 8196
En cause : le recours en annulation de l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, introduit par l’ASBL « Ligue des droits humains ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du

recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 22 mar...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 77/2024
du 4 juillet 2024
Numéro du rôle : 8196
En cause : le recours en annulation de l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, introduit par l’ASBL « Ligue des droits humains ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 22 mars 2024 et parvenue au greffe le 26 mars 2024, un recours en annulation de l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge a été introduit par l’ASBL « Ligue des droits humains », assistée et représentée par Me Ronald Fonteyn, avocat au barreau de Bruxelles.
Le 9 avril 2024, en application de l’article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs Magali Plovie et Willem Verrijdt ont informé la Cour qu’ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l’examen de l’affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire.
Des mémoires justificatifs ont été introduits par :
- la partie requérante;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Evrard de Lophem et Me Sébastien Depré, avocats au barreau de Bruxelles.
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Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
–A–
A.1. En application de l’article 4, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la partie requérante demande l’annulation de l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge.
À l’appui de son recours en annulation, la partie requérante renvoie à l’arrêt de la Cour n° 12/2023 du 19 janvier 2023 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.012), par lequel cette dernière a jugé que la disposition précitée viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’elle ne prévoit pas la possibilité, pour un mineur non émancipé qui a perdu de plein droit la nationalité belge parce que la filiation sur la base de laquelle cette nationalité a été attribuée a cessé d’être établie, de demander à une juridiction d’annuler rétroactivement cette perte lorsque les conséquences concrètes de celle-ci sont disproportionnées.
A.2. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par la disposition attaquée, pour les motifs exposés dans l’arrêt n° 12/2023 précité.
A.3. Par leurs conclusions prises en application de l’article 72 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les juges-
rapporteurs ont fait savoir qu’ils pourraient être amenés, pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés dans l’arrêt n° 12/2023 précité, à proposer à la Cour de mettre fin à la procédure par un arrêt rendu sur procédure préliminaire, déclarant le recours en annulation fondé et annulant l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, tel qu’il était applicable avant l’entrée en vigueur des articles 165 et 166 de la loi du 28 mars 2024 « portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis » (ci-après : la loi du 28 mars 2024), pour violation des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il ne prévoit pas la possibilité, pour un mineur non émancipé qui a perdu de plein droit la nationalité belge parce que la filiation sur la base de laquelle cette nationalité a été attribuée a cessé d’être établie, de demander à une juridiction d’annuler rétroactivement cette perte lorsque les conséquences concrètes de celle-ci sont disproportionnées.
A.4. La partie requérante se rallie aux conclusions des juges-rapporteurs.
A.5.1. Dans son mémoire justificatif, le Conseil des ministres fait valoir que les motifs exposés dans l’arrêt n° 12/2023 précité ont donné lieu à une intervention législative. En effet, le législateur a adopté les articles 165 et 166 de la loi du 28 mars 2024, afin précisément de rendre la législation belge conforme à l’arrêt n° 12/2023 précité.
Il en découle qu’il ne peut être soutenu que la disposition attaquée est toujours entachée des mêmes vices de constitutionnalité qu’au moment où la Cour l’a examinée au contentieux préjudiciel, et qu’il convient donc de rejeter le recours en annulation.
A.5.2. Le Conseil des ministres relève que, sur la base de l’arrêt n° 12/2023 précité, un juge qui était confronté à une situation similaire à celle qui a donné lieu audit arrêt pouvait, en application de l’article 26, § 4, alinéa 2, 4°, de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989, constater que les articles 10 et 11 de la Constitution étaient manifestement violés et statuer en ce sens.
Il considère également que la Cour ne pourrait annuler une disposition pour ses seuls effets passés, en la laissant subsister à l’identique pour ses effets futurs. Or, une annulation pure et simple de l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge serait moins favorable, pour les situations présentes comme à venir, que son maintien dans l’ordre juridique, dans la mesure où elle impliquerait que les personnes dont la filiation est anéantie après leurs 18 ans se verraient également privées de plein droit de la nationalité belge.
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Enfin, le Conseil des ministres relève qu’un recours de droit commun a toujours existé en la matière, comme en témoignent les travaux préparatoires de la loi du 28 mars 2024.
A.5.3. Le Conseil des ministres considère, pour ces motifs, que le recours en annulation doit être rejeté ou qu’à tout le moins la proposition d’accueillir le recours en annulation sur procédure préliminaire ne peut être retenue et que l’occasion doit être donnée aux parties de s’exprimer utilement quant aux conséquences des modifications législatives sur l’objet et sur le bien-fondé du recours.
–B–
B.1.1. Le recours en annulation porte sur l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge.
B.1.2. L’article 8 du Code de la nationalité belge dispose :
« § 1er. Sont Belges :
1° l’enfant né en Belgique d’un auteur belge;
2° l’enfant né à l’étranger :
a) d’un auteur belge né en Belgique ou dans des territoires soumis à la souveraineté belge ou confiés à l’administration de la Belgique;
b) d’un auteur belge ayant fait dans un délai de cinq ans à dater de la naissance une déclaration réclamant, pour son enfant, l’attribution de la nationalité belge;
c) d’un auteur belge, à condition que l’enfant ne possède pas, ou ne conserve pas jusqu’à l’âge de dix-huit ans ou son émancipation avant cet âge, une autre nationalité.
La déclaration visée à l’alinéa 1er, 2°, b, est faite, et, sur la base de celle-ci, un acte de nationalité est établi conformément à l’article un 22, § 4.
La déclaration a effet à compter de l’établissement de l’acte de nationalité.
Celui à qui la nationalité belge a été attribuée en vertu du premier alinéa, 2°, c, conserve cette nationalité tant qu’il n’a pas été établi, avant qu’il n’ait atteint l’âge de dix-huit ans ou n’ait été émancipé avant cet âge, qu’il possède une nationalité étrangère.
§ 2. Pour l’application du paragraphe 1er, l’auteur doit avoir la nationalité belge au jour de la naissance de l’enfant ou, s’il est mort avant cette naissance, au jour de son décès.
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§ 3. La filiation établie à l’égard d’un auteur belge après la date du jugement ou de l’arrêt homologuant ou prononçant l’adoption n’attribue la nationalité belge à l’enfant que si cette filiation est établie à l’égard de l’adoptant ou du conjoint de celui-ci.
§ 4. La personne à laquelle a été attribuée la nationalité belge de son auteur conserve cette nationalité si la filiation cesse d’être établie après qu’elle a atteint l’âge de dix-huit ans ou été émancipée avant cet âge. Si la filiation cesse d’être établie avant l’âge de dix-huit ans ou l’émancipation antérieure à cet âge, les actes passés avant que la filiation cesse d’être établie et dont la validité est subordonnée à la possession de la nationalité belge ne peuvent être contestés pour le seul motif que l’intéressé n’avait pas cette nationalité. Il en est de même des droits acquis avant la même date ».
B.2.1. Le recours est introduit sur la base de l’article 4, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, qui dispose :
« Un nouveau délai de six mois est ouvert pour l’introduction d’un recours en annulation d’une loi, d’un décret ou d’une règle visée à l’article 134 de la Constitution par le Conseil des Ministres, par le Gouvernement de Communauté ou de Région, par les présidents des assemblées législatives à la demande de deux tiers de leurs membres ou par toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt, lorsque la Cour, statuant sur une question préjudicielle, a déclaré que cette loi, ce décret ou cette règle visée à l’article 134 de la Constitution viole une des règles ou un des articles de la Constitution visés à l’article 1er. Le délai prend cours le lendemain de la date de la publication de l’arrêt au Moniteur belge ».
B.2.2. Par l’article 4, alinéa 2, précité, le législateur spécial a voulu éviter le maintien dans l’ordre juridique de dispositions que la Cour, sur question préjudicielle, a déclarées contraires aux règles que la Cour est habilitée à faire respecter (voy. Doc. parl., Sénat, 2000-2001, n° 2-897/1, p. 6).
B.2.3. Statuant sur un recours en annulation introduit sur la base de l’article 4, alinéa 2, la Cour peut donc être amenée à annuler la norme attaquée dans la mesure dans laquelle elle en a auparavant constaté l’inconstitutionnalité au contentieux préjudiciel.
B.3. Par l’arrêt n° 12/2023 du 19 janvier 2023 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.012), la Cour a dit pour droit :
« L’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il ne prévoit pas la possibilité, pour un mineur non émancipé qui a perdu de plein droit la nationalité belge parce que la filiation sur la base de laquelle cette nationalité
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a été attribuée a cessé d’être établie, de demander à une juridiction d’annuler rétroactivement cette perte lorsque les conséquences concrètes de celle-ci sont disproportionnées ».
B.4. L’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge n’a pas été modifié depuis la publication au Moniteur belge de l’arrêt n° 12/2023 précité.
B.5.1. Par contre, le législateur a entendu remédier à l’inconstitutionnalité constatée dans l’arrêt précité par l’adoption des articles 165 et 166 de la loi du 28 mars 2024 « portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis » (ci-après :
la loi du 28 mars 2024). Ces dispositions ne font pas l’objet du recours présentement examiné.
B.5.2. L’article 165 de la loi du 28 mars 2024 insère, dans l’ancien Code civil, un article 334quater, qui dispose :
« En cas de contestation relative à la filiation, d’annulation d’une reconnaissance frauduleuse, ou d’annulation d’un acte de l’état civil, le cas échéant à la suite d’une décision prise sur la base de l’article 463 du Code d’instruction criminelle, qui donnent lieu à l’anéantissement du lien de filiation vis-à-vis d’un auteur belge, le juge se prononce sur le maintien éventuel de la nationalité belge de l’enfant ».
B.5.3. L’article 166 de la loi du 28 mars 2024 insère, dans le Code de la nationalité belge, un article 7ter, qui dispose :
« Dans les cas où la filiation cesse d’être établie à l’égard d’un auteur belge, le retrait de plein droit de la nationalité belge de l’enfant n’intervient pas si le jugement prononçant l’anéantissement de la filiation a décidé du maintien de la nationalité belge, conformément à l’article 334quater de l’ancien Code civil.
En cas de retrait de la nationalité belge, l’officier de l’état civil compétent notifie immédiatement ce retrait à l’intéressé ou à son représentant légal par envoi recommandé.
À moins qu’un juge ne se soit déjà prononcé sur le maintien de la nationalité belge conformément à l’article 334quater de l’ancien Code civil, la notification mentionne que ce retrait peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal de la famille dans les quinze jours de cette notification ».
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B.5.4. Aucune disposition de la loi du 28 mars 2024 ne règle spécifiquement l’entrée en vigueur de ses articles 165 et 166, lesquels ont donc sorti leurs effets dix jours après leur publication au Moniteur belge. Partant, la disposition attaquée a produit l’effet discriminatoire mentionné dans l’arrêt n° 12/2023 précité, à l’égard des personnes mineures dont la filiation avec leur auteur belge a cessé d’être établie avant le 8 avril 2024.
B.5.5. Il découle de ce qui précède que le recours en annulation ne conserve son objet qu’en ce qui concerne les personnes dont la filiation avec leur auteur belge a cessé d’être établie avant le 8 avril 2024 alors qu’elles étaient mineures et qui, en application de la disposition attaquée, ont perdu leur nationalité belge en conséquence de cette perte du lien de filiation.
L’objet du présent recours doit donc être circonscrit à la disposition attaquée telle qu’elle était applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 28 mars 2024. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, rien ne s’oppose à ce que, compte tenu des changements législatifs survenus postérieurement à sa saisine, la Cour limite l’objet du recours de cette manière et annule partiellement, le cas échéant, la disposition attaquée, dans la mesure où celle-
ci a été appliquée avant l’entrée en vigueur des dispositions législatives qui avaient pour but de remédier à l’inconstitutionnalité constatée dans l’arrêt n° 12/2023 précité.
B.6. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que la disposition attaquée ne prévoit pas la possibilité, pour un mineur non émancipé qui a perdu de plein droit la nationalité belge parce que la filiation sur la base de laquelle cette nationalité a été attribuée a cessé d’être établie, de demander à une juridiction d’annuler rétroactivement cette perte lorsque les conséquences concrètes de celle-ci sont disproportionnées.
B.7.1. Il est raisonnablement justifié qu’un mineur non émancipé qui s’est vu attribuer la nationalité belge de l’un de ses auteurs perde de plein droit cette nationalité lorsque la filiation cesse d’être établie, alors qu’une personne majeure ou un mineur émancipé se trouvant dans la même situation conserve cette nationalité. Contrairement à une personne majeure ou à un
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mineur émancipé, un mineur non émancipé est en effet sous l’autorité parentale et se trouve en principe dans une situation de dépendance tant juridique que matérielle vis-à-vis de ses parents.
B.7.2. Par ailleurs, la disposition attaquée prévoit que, lorsqu’un mineur non émancipé perd la nationalité belge, « les actes passés avant que la filiation cesse d’être établie et dont la validité est subordonnée à la possession de la nationalité belge ne peuvent être contestés pour le seul motif que l’intéressé n’avait pas cette nationalité ». Il en est de même « des droits acquis avant la même date ». La perte de la nationalité belge ne produit donc des effets que pour l’avenir.
En outre, l’article 17 du Code de la nationalité belge permet à « la personne de bonne foi à qui la nationalité belge a été octroyée erronément et qui a, de façon constante durant au moins dix années, été considérée comme Belge par les autorités belges » d’acquérir la nationalité belge « si la nationalité belge lui est contestée », en faisant une déclaration conformément à l’article 15 du même Code avant l’expiration d’un délai d’un an prenant cours à partir de la date à laquelle une autorité belge conteste définitivement la nationalité. Ce délai est prorogé « jusqu’à l’âge de dix-neuf ans si le déclarant est une personne dont la filiation à l’égard d’un auteur belge a cessé d’être établie alors qu’il n’était pas émancipé et n’avait pas atteint l’âge de dix-huit ans ».
B.8.1. Il n’est cependant pas proportionné aux objectifs poursuivis par le législateur de priver le mineur concerné de la possibilité de contester la perte de plein droit de la nationalité belge et de demander à une juridiction d’annuler rétroactivement cette perte lorsque les effets concrets de celle-ci s’avèrent excessifs (voy. CJUE, grande chambre, 12 mars 2019, C-221/17, Tjebbes e.a., ECLI:EU:C:2019:189, points 40 à 47). Par ailleurs, tout mineur qui perd la nationalité belge en application de la disposition attaquée ne peut invoquer l’article 17, précité, du Code de la nationalité belge pour encore acquérir cette nationalité.
Lors de l’examen du caractère excessif ou non des effets, le juge doit apprécier la situation individuelle du mineur, et plus spécialement l’impact de la perte de la nationalité belge et des droits qui en découlent sur sa vie privée et familiale et sur son développement personnel,
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notamment à la lumière des possibilités de séjour légal dont le mineur dispose en sa qualité d’étranger. À cet égard, il convient de tenir compte en particulier de l’article 22bis, alinéa 4, de la Constitution, qui prévoit que, dans toute décision qui le concerne, l’intérêt de l’enfant est pris en considération de manière primordiale.
Un tel examen exige en outre qu’il soit vérifié si le mineur concerné ne risque pas de devenir apatride du fait de la perte de la nationalité belge, en particulier lorsqu’il est né à l’étranger. Dans ce cas, il ne pourra effectivement pas invoquer l’article 10, § 1er, alinéa 1er, du Code de la nationalité belge, qui prévoit qu’est Belge « l’enfant né en Belgique et qui, à un moment quelconque avant l’âge de dix-huit ans ou l’émancipation antérieure à cet âge, ne possède aucune autre nationalité ».
B.8.2. Cette possibilité doit également exister lorsque le lien de filiation initial a été établi sur la base d’une reconnaissance de complaisance dont la nullité a été prononcée ultérieurement.
Il est justifié que le législateur tente de lutter contre la pratique des reconnaissances visant uniquement à l’obtention d’un avantage en matière de séjour, en prévoyant l’annulation de telles reconnaissances et une incrimination vis-à-vis de l’auteur de la reconnaissance et des personnes qui donnent leur consentement préalable à la reconnaissance (voy. les articles 330/1 à 330/3 de l’ancien Code civil et les articles 79ter-bis et 79quater de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers »). Toutefois, le comportement des parents dans le cadre de l’octroi de la nationalité belge à leur enfant est indépendant des conséquences concrètes que l’enfant mineur pourra ensuite subir du fait de la perte de cette nationalité. Il est parfaitement possible que cet enfant, en exerçant ses droits résultant de la nationalité belge, ait participé assez longtemps à la vie sociale en Belgique, par exemple en y habitant, en y allant à l’école et en y développant une vie sociale. L’enfant n’est du reste pas responsable du fait qu’à sa naissance, ses parents aient frauduleusement fait en sorte, en vue de bénéficier d’un permis de séjour, que la nationalité belge lui soit attribuée.
B.9. En ce qui concerne l’objet du recours tel qu’il est circonscrit en B.5.5, le moyen unique est fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
annule l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, tel qu’il était applicable jusqu’à l’entrée en vigueur des articles 165 et 166 de la loi du 28 mars 2024 « portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis », en ce qu’il ne prévoit pas la possibilité, pour un mineur non émancipé qui a perdu de plein droit la nationalité belge parce que la filiation sur la base de laquelle cette nationalité a été attribuée a cessé d’être établie, de demander à une juridiction d’annuler rétroactivement cette perte lorsque les conséquences concrètes sont disproportionnées.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 4 juillet 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 77/2024
Date de la décision : 04/07/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Annulation (article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, tel qu'il était applicable jusqu'à l'entrée en vigueur des articles 165 et 166 de la loi du 28 mars 2024 « portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis », en ce qu'il ne prévoit pas la possibilité, pour un mineur non émancipé qui a perdu de plein droit la nationalité belge parce que la filiation sur la base de laquelle cette nationalité a été attribuée a cessé d'être établie, de demander à une juridiction d'annuler rétroactivement cette perte lorsque les conséquences concrètes sont disproportionnées)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - le recours en annulation de l'article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, introduit par l'ASBL « Ligue des droits humains ». Droit public - Nationalité - Attribution en raison de la nationalité belge du père ou de la mère - Perte de plein droit de la nationalité pour la personne dont la filiation cesse d'être établie avant l'âge de dix-huit ans - Voies de recours


Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-07-04;77.2024 ?

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